2016 : première année de baisse du chômage depuis neuf ans !

Département Analyse et Prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de décembre 2016, publiés par Pôle emploi, font apparaître une hausse du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (+26 100 personnes en France métropolitaine) qui fait suite à une séquence de trois mois consécutifs de baisse. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A[1] ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), l’évolution mensuelle est stable (-100 personnes).

Les évolutions mensuelles des chiffres issus de Pôle emploi sont très volatiles et doivent être prises avec prudence et analysées sur des périodes relativement longues. Sur un an, la baisse des DEFM en catégorie A s’établit à 107 400 personnes. L’année 2016 est ainsi marquée par une inversion de la courbe du chômage. Une telle évolution du nombre de DEFM inscrits en catégorie A n’a plus été observée depuis 2007 (-250 000 personnes). Le rythme de la baisse est toutefois plus de deux fois inférieur à celui d’alors, l’année 2007 étant marquée par une croissance de l’activité économique plus rapide (2,4%).

Au sein des inscrits en catégorie A, les hommes ont plus bénéficié que les femmes de la baisse du chômage en 2016, mais ils avaient aussi été plus durement touchés auparavant. La baisse concerne les moins de 50 ans. Pour les seniors, l’amélioration ne se fait pas encore sentir, bien que la progression ait très fortement ralenti par rapport à la période allant de mai 2012 à décembre 2015.

En intégrant aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), la baisse sur an est très faible (-2 300 personnes). Le nombre d’inscrits en catégorie C a en effet fortement progressé au cours de l’année (+104 800 personnes). La reprise du marché du travail constatée en 2015, et qui s’est confirmée en 2016 (cf. graphique), s’est d’abord traduite par une reprise de l’emploi précaire (intérim, CDD, temps partiel subi, …). Cette précarité rend floue la frontière entre emploi et chômage et retarde de fait la sortie définitive des inscrits des listes de Pôle emploi.

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Le retournement de la courbe du chômage a concerné les DEFM inscrits depuis plus d’un an et moins de trois ans. Ceux-ci ont pu bénéficier de la montée en charge du plan « 500 000 formations » qui s’est traduite par une forte progression du nombre d’inscrits en catégorie D (+67 400 personnes en 2016). En revanche le nombre d’inscrits en catégories A, B ou C depuis moins d’un an a poursuivi sa hausse malgré la baisse des catégories A du fait de l’augmentation de l’activité réduite. Enfin, l’amélioration de la situation économique ne bénéficie pas encore aux DEFM inscrits depuis plus de trois ans.

Pour conclure, les chiffres de taux de chômage publiés par Eurostat pour l’ensemble des pays de l’Union européenne indiquent que le taux de chômage a évolué favorablement en France (-0,7 point entre décembre 2015 et novembre 2016), au même rythme que celui de la zone euro (-0,6 point).

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[1] – catégorie A : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi ;

– catégorie B : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite courte (de 78 heures ou moins dans le mois) ;

– catégorie C : demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, ayant exercé une activité réduite longue (de plus de 78 heures au cours du mois) ;

– catégorie D : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi ;

– catégorie E : demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi, en emploi (par exemple : bénéficiaires de contrats aidés, créateurs d’entreprise).




Trump peut-il vraiment réindustrialiser les Etats-Unis ?

Par Sarah Guillou

Calliclès à Socrate : « Ce que tu dis ne m’intéresse pas et je continuerai à agir comme j’agissais auparavant, sans me préoccuper des leçons que tu prétends donner. » Le Gorgias , Livre III

Les Etats-Unis n’ont plus guère que 8% des emplois dans l’industrie. Donald Trump, le nouveau Président des Etats-Unis, veut réindustrialiser l’Amérique et communique contre les ouvertures d’usines à l’étranger ou les fermetures d’usines locales. Existe-t-il une rationalité économique à la communication sans discernement  du nouveau Président des Etats-Unis ?

Ses déclarations relatives à la production à l’étranger de grandes entreprises américaines sont consternantes pour un économiste. Ainsi, il suffirait donc de menacer les multinationales, d’augmenter les droits sur leurs importations, ou de les menacer d’une fiscalité punitive pour qu’elles reconsidèrent leurs décisions de localisation. Au-delà de ce que la méthode de Trump est une antithèse de l’Etat de droit, ce qui surprend l’économiste, c’est que ces déclarations non seulement font fi de tout ce que l’on sait sur la logique de la globalisation des chaînes de valeurs mais également de la nature de l’évolution passée et future de la production industrielle. Elles soulèvent donc plus de perplexité que de ralliements (voir aussi sur la politique macroéconomique le billet de X. Ragot).

La seule vérité de la rhétorique de Trump est l’intense désindustrialisation américaine. Repartons de l’état de l’industrie américaine pour comprendre le terreau de la nostalgie ouvrière sur lequel se fonde cette rhétorique.

Le tissu industriel élimé de l’Amérique, terreau de la nostalgie ouvrière

D. Trump use des ressorts de la nostalgie des électeurs d’une époque où le secteur manufacturier tournait à plein régime. Il faut dire que la désindustrialisation américaine a été intense et ce malgré une ouverture commerciale bien moindre qu’elle ne l’est en Europe. Elle a été brutale pour de nombreux travailleurs sans protection sociale. Les pays où l’on entend le plus de discours en faveur de la ré-industrialisation sont ceux où le recul de l’emploi industriel a été le plus accentué, à savoir les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Tous trois ont perdu plus d’un quart d’emplois manufacturiers depuis 1995[1].

Graphique 1 : Evolution de l’emploi manufacturier (base 100 en 1995)

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Source : EU Klems pour les Pays européens. FRED Federal Bank of St Louis pour les Etats-Unis.

Le graphique 1 montre la similarité d’évolution de ces 3 économies depuis la fin des années 1990, la France commence à perdre des emplois un peu après les pays anglo-saxons et l’arrêt de cette tendance qui apparaît aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dès 2009, ne  s’observe pas nettement pour la France qui continue à perdre des emplois, certes à un rythme plus ralenti qu’en début de période.

Les Etats-Unis ont perdu plus de 5 millions d’emplois depuis 1995, contre plus de 1,5 million au Royaume-Uni et 900 000 pour la France, soit respectivement 29%, 38% et 24% de pertes sur la période. Bien entendu au début les gains de productivité ont permis un moindre recul de la valeur ajoutée, ce qui est moins vrai à partir de l’année 2000 étant donné le ralentissement des gains de productivité dans le secteur manufacturier. On remarquera aussi que l’emploi manufacturier repart à la hausse depuis 2010 aux Etats-Unis mais ralentit de nouveau à partir de 2015 (voir Bidet-Mayer et Frocain, 2017)

Les causes de la désindustrialisation sont bien identifiées. La désindustrialisation a touché toutes les vieilles puissances industrielles en raison notamment du progrès technique et du déplacement de la production de valeur manufacturière dans les services à l’industrie. Au niveau mondial, la production manufacturière ne représente plus que 16% du PIB et donc les 12% américain sont tout à fait honorables. De plus, les Etats-Unis demeurent un acteur majeur de la production manufacturière mondiale, deuxième derrière la Chine en volume produit.

Enfin, une fois considéré que l’incorporation de technologie dans la valeur ajoutée manufacturière ne va pas ralentir et que la robotisation des tâches répétitives propres à la manufacture de séries va se poursuivre sinon s’accélérer, il est certain que la production industrielle du futur connaîtra un moindre contenu en emplois (lire à ce sujet M. Muro).

A l’échelle de la génération des électeurs de Trump, seule une petite part des électeurs localisés dans une petite partie du territoire du Nord des Etats-Unis a été victime de la désindustrialisation. Mais l’industrie est un secteur symbolique, symbole de la puissance économique d’antan, celles des puissances guerrières et impériales, de la naissance de la société de consommation et ensuite celle de l’émergence des puissances économiques asiatiques, nouveaux lieux des usines du monde. Elle incarne une partie de la classe moyenne-ouvrière qui n’a pas vu s’améliorer son revenu sur les 20 dernières années (comme le suggère le graphique « Elephant » de Branko Milanovic)[2]. Enfin, la désindustrialisation américaine s’identifie comme le symétrique de l’industrialisation chinoise ou d’autres pays émergents comme le Mexique, dont la réussite économique est alors prise comme bouc-émissaire de la classe moyenne. Mais si la globalisation a eu des effets différenciés sur les individus selon leur qualification, elle ne se superpose pas à la désindustrialisation.

Partant de cette nostalgie pour l’industrie d’antan, Trump a choisi de s’impliquer personnellement dans les décisions de localisation des entreprises afin de conquérir le vote de cette classe moyenne ayant souffert de la désindustrialisation. Ses interventions ont consisté à prendre à partie directement les entreprises en se targuant d’infléchir leurs décisions. Revenons sur les divers épisodes les plus marquants afin de saisir les motivations respectives des acteurs.

Des cibles industrielles symboliques et communicantes

Il y a eu d’abord l’affaire de l’entreprise Carrier, un équipementier de l’Indiana fabricant de chauffages et climatiseurs, qui avait annoncé en février 2016 sa décision de déplacer 1400 emplois vers le Mexique. S’etant saisi de cette affaire durant sa campagne, une fois élu, Trump partit négocier en novembre avec les dirigeants de l’entreprise. En échange d’allègement d’impôt, de charges et de réglementations, D. Trump demandait le maintien d’une partie des emplois dans l’Indiana. Les autorités locales intervinrent également dans l’accord afin d’amadouer l’entreprise. Le 30 novembre, l’entreprise annonçait son intention de conserver 1000 emplois sur le site. C’est une victoire éminemment symbolique, dans tous les sens du terme, alors que l’économie américaine crée plus de 180 00 emplois par mois. La maison mère de Carrier, United Technologies, concède que ce revirement ne lui coûtera pas si cher surtout si en échange elle obtient une oreille attentive du Président, sans compter que United Technologies est aussi un fabricant de matériel militaire très dépendant de la commande publique (10% des ses ventes selon le New York Times).

Ensuite, il y a eu l’épisode Foxconn, une entreprise d’assemblage taïwanaise des produits d’Apple – son plus gros client — qui décidait de monter une usine d’assemblage aux Etats-Unis, décision que Trump brandit alors comme une victoire personnelle. Foxconn possède déjà des unités de production aux Etats-Unis. Ce n’est pas a priori une relocalisation d’activités car l’entreprise n’envisage pas parallèlement de « désinvestir » à Taïwan. Si l’entreprise décide d’investir aux Etats-Unis, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire. Parmi ces raisons, les anticipations sur la croissance du marché américain, les obstacles à l’échange que menacent d’instaurer D. Trump et les pressions de son donneur d’ordre (Apple) peuvent jouer.

Enfin, il s’est attaqué aux industries automobiles. Déjà au printemps 2016, Trump avait fustigé le plan de Ford Motors de vouloir construire une usine au Mexique. Le 3 janvier 2017, l’entreprise a bien décidé d’annuler son projet de 1,6 milliard dans l’Etat de San Luis Potosi au Mexique et a annoncé un investissement de 700 millions dans une usine américaine de Flat Rock dans le Michigan afin de construire des voitures électriques et des voitures autonomes. S’agit-il d’un revirement de l’entreprise ? En fait, l’usine mexicaine avait pour vocation de construire des Ford Focus, donc des petits modèles dont la demande a fortement chuté au profit des SUV et autres « crossovers ». La décision de Ford Motors signifie qu’elle cherche à réduire sa production sur ce créneau de véhicules alors que la politique de Trump laisse entrevoir une relance de la demande américaine d’automobiles qui ne se situe pas sur ce créneau. L’entreprise va cependant confirmer sa décision de déplacer ses capacités de production du modèle Focus de Wayne aux Etats-Unis à Hermosillo au Mexique (The Economist, Wheel Spin, 2017). Ces décisions traduisent donc plus un repositionnement de l’entreprise qu’une relocalisation.

La menace d’un droit de douane de 35% pour les véhicules en provenance du Mexique ou bien d’une taxe sur les revenus des importations, est évidemment prise au sérieux par les constructeurs. En 2015, les Etats-Unis importaient plus de 2 millions de véhicules du Mexique. Les constructeurs ont tout intérêt à montrer patte blanche afin par ailleurs d’obtenir d’autres avantages comme le relâchement des réglementations en matière d’émissions par exemple. De plus avec l’ex-président d’ExxonMobil, Rex Tillerson au poste de Secrétaire d’Etat qui assurera la défense des énergies fossiles et le programme économique de relance annoncée, les constructeurs anticipent une reprise des achats.

Les épisodes d’interpellation et de réactions se poursuivent (Hyundai, Toyota, BMW…). Trump passe en revue tous les constructeurs et suspecte toute production à l’étranger d’être un détournement de l’emploi américain. Ce n’est pas un hasard qu’il s’occupe de l’industrie automobile car c’est un secteur symbole de l’« American way of life », symbole de la puissance industrielle américaine au temps où la « rust belt » était encore clinquante. Mais le secteur s’est fortement globalisé et on peut se demander comment Trump peut à ce point méconnaître ou nier l’organisation actuelle de l’industrie et tromper ses électeurs.

Y-a-t-il réellement un vivier d’emplois à relocaliser ?

La globalisation s’est exprimée de deux manières sur l’organisation de la production des entreprises. D’une part, associée au progrès technique, elle a pu se traduire par une disparition de la manufacture à la suite d’une externalisation totale tout en gardant la maîtrise des chaînons où se réalisent les profits. C’est le cas d’Apple, qui ne dispose pas en propre d’usines à l’étranger. On ne peut donc contraindre Apple à relocaliser ce qu’elle n’est pas délocalisé ! Si les droits de douane augmentent, Apple importera des composants plus chers, l’Etat récupèrera une partie de la rente d’innovation et les consommateurs paieront une partie de la taxe. D’autre part, la globalisation a pu aussi se traduire par une délocalisation de la production et dans ce cas, l’entreprise détient des sites productifs à l’étranger, comme dans le secteur automobile mais aussi dans le textile ou le secteur du jouet comme Mattel. Des emplois ont donc bien été déplacés mais parfois aussi les qualifications qu’il n’est pas forcément aisé de retrouver dans le pays domestique.

L’avantage de coût du travail du Mexique ne va pas disparaître : le coût horaire en Indiana est équivalent à ce que touche un travailleur mexicain en une journée. Il en est de même pour le coût chinois. La relocalisation de ce type d’emploi impliquerait de baisser fortement les salaires sauf à ce que les droits de douanes (qui renchérissent les salaires étrangers), la baisse du coût de l’énergie et de la fiscalité et la productivité (qui diminuent les salaires américains) conduisent à un nouvel arbitrage. Mais il faudrait des variations importantes qui ne manqueraient pas d’impacter le reste de l’économie non manufacturière, soit 92% des emplois.

Donc au final, tout le contenu en emplois des importations n’est pas « relocalisable ». De plus, une grande part des importations alimente les exportations : autrement dit une grande part des emplois chinois ou mexicains active des emplois américains dont les productions sont vendues à l’étranger parce le développement des pays émergents a permis la solvabilité de la demande. L’interdépendance est aujourd’hui telle que nul ne sait quelles conséquences un nouvel équilibre des emplois aura sur les prix, les profits, les investissements et les emplois futurs.

Quelles seraient les conséquences d’une relocalisation industrielle ?

Reprenons le cas de Foxconn. Si cette entreprise investit, ce sera pour servir le marché américain. Comme les coûts de production y sont plus élevés, cela implique trois stratégies possibles non exclusives l’une de l’autre. L’entreprise réduit ses marges (ainsi qu’Apple) pour ne pas voir se réduire sa part de marché : Foxconn et Apple acceptent cette réduction des marges pour contrecarrer l’impact négatif sur les ventes de l’opprobre jeté par D. Trump sur l’entreprise. La deuxième stratégie est une augmentation des prix des produits sur le marché américain : à ce moment-là les consommateurs financent les quelques emplois créés. Troisième stratégie : l’entreprise entreprend des procédés de production différents notamment avec une automatisation intensive qui réduit le coût du travail pendant qu’elle réduit aussi les coûts logistiques pour servir le marché américain. En fin du compte, la décision de l’entreprise Foxconn, si elle se confirme, relève d’une rationalité économique assez classique. L’effet Trump s’en mêle dans la mesure où il met Apple en demeure de se justifier sur sa stratégie de localisation. Mais attention si la communication de Trump met en péril la santé financière de l’entreprise (certes, elle a de la marge), alors il met en péril un fleuron de l’économie américaine.

Dans le cas des constructeurs, la multiplication des investissements, si elle se confirmait, va gonfler à la fois l’offre de travail mais aussi l’offre productive domestique. Cela augmentera la concurrence entre les acteurs. Non seulement les salaires vont augmenter, mais les marges vont se réduire en raison des coûts de production plus élevés, du renchérissement des composants importés et de la concurrence accrue sur le marché domestique. Il n’est pas certain que ce soit les constructeurs américains qui tirent forcément leur épingle du jeu. De là à ce qu’ils soient alors contraints d’accepter des participations au capital d’investisseurs chinois et l’arroseur sera arrosé ! Voire même, l’ensemble des décisions d’investissement des constructeurs automobiles pourraient provoquer une pénurie de main d’œuvre – alors que le marché de l’emploi américain est proche du plein emploi – conduisant à une hausse des salaires (et donc des coûts de production) impliquant soit une robotisation accélérée, soit une entrée de travailleurs étrangers.

Donc au final, si on se demande quel sera l’impact d’investissements supplémentaires sur le territoire américain, tout dépend à quelles incitations ils répondent. S’ils répondent à de nouvelles conditions plus contraignantes pour les entreprises posées par le nouveau gouvernement, alors la théorie microéconomique nous dit que les entreprises produiront moins ou plus chers. Si un événement externe augmente les coûts d’une entreprise, elle produit moins (i) soit tout de suite car elle augmente ses prix, (ii) soit à moyen-long terme parce que ses marges sont réduites (elle n’a pas augmenté ses prix) et elle investit moins, (iii) soit à long terme parce qu’elle sort du marché. S’ils répondent à des anticipations d’un accroissement de la demande, alors il faudra que Trump tienne ses promesses de relance. Enfin, si l’investissement se fait en échange de dépense fiscale (baisse des impôts, aides à l’investissement, aides financières), alors le coût pour les finances publiques se traduira par des dépenses présentes ou futures diminuées. En résumé, l’investissement se réalise s’il profite à l’entreprise : qu’il se localise dans le pays d’origine ou à l’étranger, il est toujours conditionné à la promesse de revenus futurs.

Mais pourquoi défendre des multinationales et renoncer au protectionnisme?

Les partisans des mesures protectionnistes répondent : (i) peu importe si les entreprises produisent moins au total, si la répartition de leur production est plus à l’avantage du territoire domestique ; (ii) peu importe si elles font moins de profits, ces multinationales en font tellement ! C’est oublier que les entreprises ont aussi des stratégies intégrées – c’est-à-dire globale — et si elles ont moins de profits, elles investiront moins, cela finira par impacter leur croissance future. C’est oublier que les multinationales sont aussi celles qui investissent le plus en R&D et si leur valeur boursière augmente, elles ne distribuent pas toutes des dividendes. C’est oublier que les échanges, sans être équilibrés, sont bilatéraux c’est-à-dire que si on réduit les revenus de nos partenaires en réduisant leur exportation, on réduit ses propres exportations. Autrement dit, si le revenu des mexicains est fortement réduit, ils achèteront beaucoup moins de produits américains. Sans compter que le protectionnisme – qui finit toujours par être aussi bilatéral (rétorsion oblige) — ne protège pas les faibles mais les rentiers.

Certains maintiennent que les mesures protectionnistes sont le moyen de la re-localisation des sites de production sur les lieux de consommation (afin d’éviter les barrières) et donc de récupération d’activités qui avaient été externalisées. Il faut souligner que le protectionnisme protège les géants, ceux qui peuvent supporter les barrières tarifaires. Et s’il sauvegarde des emplois non qualifiés un peu plus longtemps, il les maintient dans leur « non-qualification ». Surtout, il entrave le développement de la classe moyenne tant des consommateurs que des entreprises. On ne réduira pas les inégalités par du protectionnisme, on figera la société et l’économie. Le protectionnisme n’est pas la solution aux gains différenciés de la globalisation.

Aux Etats-Unis, les effets de la globalisation ont été plus accentués et malgré un marché de l’emploi dynamique, la répartition des gains de la croissance a été très inégale. Les contraintes d’adaptation des qualifications ont été intenses : ainsi les 12% de valeur ajoutée manufacturière, s’ils sont très honorables, se concentrent essentiellement dans le secteur de l’électronique et des technologies de l’information (voir Baily et Bosworth, 2016). Un récent travail de D. Autor et ses co-auteurs du MIT montrent que l’exposition aux importations chinoise a conduit à polariser les votes vers des candidats aux extrémités de l’offre politique. Cela révèle la forte sensibilité des électeurs aux marques de la globalisation.

Mais si le malaise est réel, des mesures protectionnistes ne pourront pas fondamentalement le réduire parce qu’elles vont diminuer la richesse économique des catégories les moins aisés dont le panier de consommation est relativement plus rempli de produits importés, alors que peu d’emplois seront créés. Reprenons l’exemple du secteur automobile, le consommateur américain va voir le prix des automobiles augmenter : le pouvoir d’achat de l’ensemble des consommateurs sera affecté au bénéfice d’une petite minorité d’ouvriers du secteur automobile. La baisse de la fiscalité qui pèse sur les entreprises réduira les recettes fiscales et les moyens de financement des biens publics qui bénéficient le plus aux catégories modestes. Et il n’est pas certain que cette baisse de la fiscalité ait un impact positif sur les entreprises si par ailleurs elles ont à subir des taxes douanières supplémentaires.

En conclusion, l’emploi industriel ne va pas renaître de mesures protectionnistes. Le malaise économique de la classe moyenne ne sera pas amoindri par ce biais. Avec une politique économique et étrangère qui accentue les déséquilibres présents — isolationnisme, protectionnisme, relance au plein-emploi — Donald Trump engage son mandat volontairement dans l’inconnu et l’instabilité. Le pragmatisme ou le cynisme des acteurs de l’économie mondiale ne sera pas annulé par la rhétorique de Trump. C’est sans doute à un autre cynisme qu’elle conduira: celui de l’horizon d’une mandature inespérée et personnelle et du chacun pour soi.

 

[1] L’industrie manufacturière est un sous-ensemble majoritaire de l’industrie qui exclut les activités énergétiques. Il est commun d’associer l’industrie au secteur manufacturier.

[2] Branko Milanovic « Global Inequality », 2016, HUP.

 




Faut-il de nouveau défiscaliser les heures supplémentaires ?

par Eric Heyer

Près de 10 ans après son instauration par le gouvernement Fillon dans la Loi TEPA d’octobre 2007 et 5 ans après son abrogation par le gouvernement Ayrault en septembre 2012, la défiscalisation des heures supplémentaires a refait surface à la faveur des primaires de l’élection présidentielle. Nicolas Sarkozy l’a notamment mise en avant lors des primaires de la droite et du centre et Manuel Valls l’a inscrite dans son programme des primaires de gauche.

Quel bilan peut-on tirer de la défiscalisation des heures supplémentaires au cours des années 2008 et 2011 ?

La défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales poursuivent trois objectifs : accroître le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent, réduire le coût du travail et inciter à une durée du travail plus longue.

Quel coût ex-ante sur les finances publiques ?

En 2011, selon l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires exonérées au titre de la loi TEPA s’est élevé à 739 millions. Plus de la moitié de ces heures ont été réalisées dans les entreprises de plus de 20 salariés (57,7 %)[1]. Le montant des exonérations afférentes a été de 3,107 milliards d’euros dont plus de 77 % proviennent des baisses de charges salariales. Concernant les baisses de cotisations patronales, elles représentent 693 millions d’euros en 2011 dont 65,5 % sont en faveur des entreprises de moins de 20 salariés[2] (tableau 1).

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Par ailleurs, cette mesure permettait aux salariés d’être dispensés d’impôt sur le revenu sur les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %. D’après le PLF 2012, cela a entraîné un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros pour les finances publiques en 2011.

Au total, le coût ex-ante pour les finances publiques de cette mesure s’est élevé à environ 4,5 milliards d’euros en 2011.

Cette mesure a-t-elle induit une augmentation du nombre d’heures supplémentaires ?

Un des objectifs de cette mesure était d’inciter à une durée du travail plus longue par le biais d’un recours accru aux heures supplémentaires. Cela fut-il le cas ? Compte tenu de la faiblesse de la longueur des séries et d’une impossibilité de comparaison avec un épisode conjoncturel similaire, il apparaît difficile de répondre catégoriquement à cette question. Il nous semble toutefois possible, à la lecture des données fournies par l’ACOSS, de formuler une hypothèse de travail.

 

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Comme l’illustre le graphique 1, la hausse des heures supplémentaires s’est réalisée en deux temps. Au cours de la première année, le volume d’heures supplémentaires a bondi de près de 50 %, atteignant un premier pic en fin d’année 2008 avec près de 175 millions au quatrième trimestre. Deux explications à cette forte hausse peuvent être avancées : la première est en lien avec l’amélioration sur le front du chômage, le taux de chômage s’établissant en dessous de 7% pour la première fois depuis 1983. La seconde explication, moins vertueuse, est avancée par Cahuc et Carcillo (2012). Selon eux, ce dispositif n’a eu aucune incidence significative sur le nombre d’heures travaillées. Elle a en revanche suscité une optimisation fiscale des salariés qualifiés qui ont déclaré plus d’heures supplémentaires – afin de bénéficier de la défiscalisation – mais qui n’ont pas travaillé plus.

Après une période de stabilisation du volume d’heures supplémentaires, une deuxième période de hausse est observée entre 2010 et 2012. Or cette remontée du volume d’heures supplémentaires est plus surprenante : alors que l’activité ne repartait pas suffisamment pour permettre une décrue du chômage, rendant compte d’une position cyclique dégradée de l’économie, le volume d’heures supplémentaires a franchi un nouveau pic en 2011, atteignant plus de 195 millions au quatrième trimestre. Ce rebond contra-cyclique peut être dû à la défiscalisation associée aux heures supplémentaires : sans elle, compte tenu de la situation conjoncturelle toujours dégradée, leur nombre aurait dû rester voisin de celui observé en début d’année 2009.

Sous cette hypothèse, en 2011, cette mesure aurait favorisé une hausse de près de 80 millions d’heures supplémentaires en rythme annuel soit un supplément de près de 12 %.

Quel impact sur l’emploi ?

L’impact sur l’emploi est ambigu. En effet, deux effets de sens contraire se superposent :

  1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d’œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi ;

 

  1. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs). Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme ;

 

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D’après nos simulations, réalisées à l’aide du modèle macroéconomique de l’OFCE, emod.fr, et dont les principaux résultats sur l’emploi sont résumés dans le tableau 2, dans les conditions économiques de 2011, l’effet négatif l’emporterait sur l’effet positif : la défiscalisation des heures supplémentaires aurait détruit plus de 30 000 emplois en 2011.

Par ailleurs, la baisse des charges salariales et patronales ainsi que l’exonération d’impôt sur le revenu  coûtent 4,5 milliards d’euros ex-ante (0,22 point de PIB) et ne sont pas financés. En tenant compte de plus du coût pour les finances publiques de la dégradation du marché du travail (-30 000 emplois), cette mesure aurait creusé le déficit public de 6,8 milliards d’euros, soit 0,34 point de PIB en 2011.

Le financement de cette mesure alourdirait le bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois auraient finalement été comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011 (tableau 3).

tab 3

Ce bilan conforte l’idée selon laquelle, dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période actuelle, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi (Heyer, 2011). Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

Conclusion

La défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales auraient donc un impact différent sur l’économie selon la conjoncture en vigueur au moment de son application.

Dans un contexte économique favorable, la hausse de la durée du travail incitée par la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales semble appropriée. Certes celle-ci n’est pas financée et son financement par une hausse des prélèvements en change radicalement la nature mais sans remettre toutefois en cause l’impact positif sur l’emploi et le chômage (Heyer, 2011).

En revanche, cette mesure est mal adaptée à une situation conjoncturelle dégradée comme celle que connaît actuellement l’économie française. Cela corrobore les résultats d’une étude récente de Cochard et alii (2011). Menée sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, les auteurs estiment qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 500 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des emplois salariés marchands) dont les trois quarts seraient des emplois intérimaires. Ainsi, dans un contexte de grave crise économique, il semblerait que l’incitation à travailler plus nuit à l’emploi, et notamment à l’emploi intérimaire.

 

[1] Rappelons toutefois que près de 70 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 20 salariés.

[2] Rappelons que cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 € par heure supplémentaire effectuée pour les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 € pour les entreprises de plus de vingt salariés. Pour plus de détails sur la mesure, se référer à Heyer (2011).

 




Effets de bilan d’un éclatement de l’euro

par Cédric Durand (Université Paris 13) et Sébastien Villemot

Lorsqu’il a été introduit au tournant du millénaire, l’euro était largement perçu comme une réalisation majeure pour l’Europe. Les succès économiques apparents, conjugués à la convergence de plusieurs indicateurs économiques entre pays, ont nourri ce sentiment de succès. Quelques années plus tard, le tableau semble radicalement différent. La crise financière mondiale a révélé des déséquilibres qui ont conduit à la crise des dettes souveraines et ont amené la zone euro au bord de la dislocation. Les politiques d’austérité, qui sont devenues la norme sur le continent en 2011, ont alimenté une longue stagnation[1], avec des taux de croissance bien pâles en comparaison des États-Unis et du Royaume-Uni.

Cette sous-performance économique a alimenté le ressentiment populaire vis-à-vis de l’euro, ce dernier étant aujourd’hui perçu par un nombre croissant d’Européens comme le problème plutôt que la solution. La communauté financière elle-même semble s’être préparée à la possibilité d’une sortie ou d’une dissolution de la monnaie unique, par la réduction de ses expositions transfrontalières. La Grèce a failli sortir en 2015. Enfin, l’atmosphère intellectuelle a également changé : des penseurs de premier plan, tels que l’économiste américain Joseph Stiglitz, ou le sociologue allemand Wolfgang Streeck sont les représentants les plus visibles d’un changement d’attitude plus général.

La sortie d’un pays de l’euro, voire la dissolution de la monnaie unique, est donc devenue une possibilité concrète. Un tel événement aurait évidemment un impact majeur sur plusieurs plans. Au niveau économique, la conséquence la plus évidente concernerait les marchés de produits, du fait des nouveaux taux de change ; l’incertitude prévaudrait certes à court terme, mais à plus long terme la possibilité d’ajuster les parités nominales contribuerait à la résorption des déséquilibres des comptes courants.

Il existe toutefois un autre impact, moins discuté, mais potentiellement plus perturbateur : les modifications des bilans des acteurs économiques, résultant du processus de redénomination monétaire. Ce processus pourrait introduire des déséquilibres importants dans les bilans entre actifs et passifs. Il est crucial d’évaluer ces effets de bilan, car ils pourraient affecter les relations financières, l’investissement et le commerce, avoir des effets redistributifs inattendus et, s’ils n’étaient pas gérés adéquatement, conduire à des perturbations dans la sphère productive.

Les questions concrètes que nous posons sont les suivantes. Si un pays sort de l’euro et déprécie sa nouvelle monnaie nationale, quelles seront les conséquences pour les agents économiques nationaux qui ont des passifs libellés en euros : seront-ils en mesure de rembourser dans la nouvelle monnaie nationale ? Sinon, pourront-ils éviter la faillite malgré l’augmentation de leur dette ? Inversement, quelles sont les conséquences pour les pays sortants dont la nouvelle monnaie s’appréciera et qui ont accumulé des actifs étrangers ?

Dans une récente étude, nous proposons une évaluation de ce risque de redénomination dans la zone euro, par pays et par principaux secteurs institutionnels, dans deux scénarios : la sortie d’un seul pays et un éclatement complet.

Notre analyse s’appuie sur le concept de passifs et actifs « pertinents » : ce sont les postes du bilan qui ne seront pas redénominés dans la nouvelle monnaie après la sortie, pour des raisons juridiques ou économiques. Dans la pratique, le facteur le plus important pour déterminer quelles dettes ou actifs sont « pertinents » est le droit qui leur est applicable : si un contrat financier est régi par le droit interne, il est très probable que le gouvernement du pays sortant puisse le redénominer dans la nouvelle monnaie, en faisant simplement voter une loi au Parlement. À l’inverse, les contrats de droit étranger (généralement de droit anglais ou new-yorkais) resteront en euros, ou seront redénominés dans une autre devise si l’euro disparaît. Dans le premier cas, le prêteur supporte la perte économique ; dans le deuxième cas, le risque est supporté par l’emprunteur, dont la charge de la dette est augmentée, à moins qu’il ne décide de faire défaut et donc d’imposer des pertes au prêteur.

Commençons par regarder les passifs. Le tableau 1 présente nos estimations de la dette pertinente, par pays et par secteur institutionnel. Ce tableau donne donc une estimation de l’exposition des différents secteurs et pays à une sortie de l’euro suivie d’une dépréciation. Dans la mesure où les premiers mois après une sortie de l’euro seront les plus critiques, potentiellement marqués par un surajustement du taux de change, la composante de court terme de la dette pertinente est également indiquée.

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Du côté de la dette publique, les pays les plus menacés sont la Grèce et le Portugal, puisqu’ils disposent d’importants prêts extérieurs qui devront être remboursés en euros. À l’inverse, la France ou l’Italie ne sont pas exposés sur leur dette publique, car celle-ci est quasi-intégralement régie par le droit interne et peut donc facilement être redénominée en francs ou en lires. Le secteur financier est plus exposé, en particulier dans les pays agissant comme intermédiaires financiers, tels que le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande. L’exposition du secteur privé non financier semble beaucoup plus limitée (et en raison de certaines limites de nos données, les chiffres sont surestimés dans les pays dotés d’un système financier non bancaire très développé).

Néanmoins, les passifs pertinents ne résument pas l’enjeu à eux seuls. Les actifs pertinents sont également importants : pour les pays qui devraient subir une dépréciation (typiquement les pays du Sud, en y incluant la France), ces actifs aideront à atténuer le problème de la dette, puisque les avoirs en devises seront réévalués en termes de monnaie nationale ; inversement, dans le cas d’une appréciation de la monnaie (typiquement pour les pays du Nord), c’est du côté de l’actif que des difficultés peuvent survenir.

Le graphique ci-dessous montre nos estimations pour les « positions pertinentes nettes », à savoir la différence entre les passifs et les actifs pertinents. Un nombre positif signifie qu’une dépréciation va améliorer le bilan, tandis qu’une appréciation va le détériorer.

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Il ressort de façon frappante que, pour la plupart des pays et des secteurs, la position pertinente nette est positive. Cela signifie que les pays du Nord risquent de subir d’importantes pertes sur leurs avoirs à l’étranger s’ils quittent l’Union monétaire. A l’inverse, pour les pays du Sud et la France, il n’existe pas de risque de bilan pour le secteur privé pris dans son ensemble (à l’exception de l’Espagne), et même pas de risque pour le secteur public dans certains cas. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de problème parce qu’au niveau microéconomique les détenteurs d’actifs pertinents peuvent ne pas être les mêmes que ceux des passifs pertinents, mais au moins y a-t-il des marges de manœuvre.

Afin de brosser un tableau plus global tenant compte du fait que les actifs peuvent atténuer les problèmes de passif – mais seulement dans une certaine mesure – et que la dette à court terme est la question la plus critique, nous avons construit un indice de risque composite qui synthétise toutes ces dimensions, tel que le montre le tableau 2. En particulier, cet indicateur a été construit en utilisant des estimations pour les variations de change attendues après la sortie de l’euro.

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Bien que cet exercice implique nécessairement le choix de seuils arbitraires, il aide à identifier quelques vulnérabilités spécifiques : les dettes publiques de la Grèce et du Portugal, pour lesquelles une restructuration substantielle ou même un défaut serait le résultat probable ; les secteurs financiers de la Grèce, de l’Irlande, du Luxembourg et éventuellement de la Finlande, qui devraient subir une restructuration profonde ; et potentiellement le secteur non financier de l’Irlande et du Luxembourg, bien que ce dernier résultat puisse être un artefact causé par les limites de nos données.

La conclusion générale qui peut être tirée de notre analyse est que, même si le problème des bilans est réel et doit être pris au sérieux, son ordre de grandeur global n’est pas aussi grand que certains le prétendent. En particulier, dans le secteur privé non financier, cette problématique devrait être gérable à condition que des politiques appropriées soient mises en œuvre, ce qui devrait alors limiter les perturbations.

L’évaluation des coûts d’une sortie de l’euro importe évidemment pour gérer correctement cet événement ex post, si celui-ci devait se concrétiser en raison de certains chocs politiques ou économiques inattendus. Mais cette évaluation est également intéressant ex ante, en particulier pour un pays qui envisage de partir ou de rester. À cet égard notre analyse aboutit à une conclusion quelque peu inattendue : les coûts ne sont probablement pas si élevés pour certains pays déficitaires (Italie, Espagne), alors qu’ils sont plus élevés qu’on ne le pense habituellement pour les pays excédentaires, qui pourraient subir des pertes en capital par dépréciation ou défaut. La prise de conscience de ce fait devrait renforcer le pouvoir de négociation des pays du Sud dans leurs négociations avec les pays du Nord concernant l’avenir de la zone euro.

 

[1] Voir les rapports de l’independent Annual Growth Survey (iAGS).