Avantage fiscal sur le gazole : une fin programmée

par Céline Antonin

Comme l’a souligné le rapport n°4019 de l’Assemblée Nationale sur l’offre automobile française, « la France est un des pays d’Europe dont le parc roulant est le plus diésélisé et où l’écart de fiscalité appliqué à l’essence et au gazole reste parmi les plus importants. » Or plusieurs arguments plaident pour un alignement des fiscalités. Tout d’abord, alors que l’avantage conféré au gazole s’expliquait par son utilisation majoritairement professionnelle, le diesel a massivement investi la sphère des voitures particulières, rendant cet avantage indu. En outre, le gazole présente des dangers pour la santé publique. En 2012, l’Organisation mondiale de la santé a classé les gaz d’échappement des moteurs diesel comme cancérogènes, avec un coût sanitaire estimé par la Cour des comptes entre 20 et 30 milliards d’euros[1]. L’argument économique plaide également pour un rééquilibrage : la forte diésélisation du parc automobile français conduit à un fort besoin d’importation en gazole alors que la France est exportateur net d’essence raffinée. Enfin, le manque à gagner fiscal est conséquent : la Cour des comptes chiffre la perte de recettes fiscales liées au diesel à 6,9 milliards d’euros pour l’année 2011.

Depuis, l’alignement est en cours : force est de constater que la fiscalité du gazole a été progressivement relevée à partir de la Loi de finances de 2015. En 2017, l’écart de fiscalité entre essence et gazole a été réduit d’un tiers par rapport à 2014, passant de 17 à 11 centimes d’euros. Le gouvernement Macron a réaffirmé la volonté d’éliminer ce différentiel à l’horizon de quatre ans. En 2018, le gazole augmenterait de 7,4 centimes d’euro et l’essence sans plomb de 4,5 centimes, sous le seul effet des taxes. Le réalignement devrait entraîner, en 2021, une hausse du prix à la pompe de 27 centimes pour le gazole et de 13 centimes pour le sans-plomb, à condition que le prix du pétrole en euros reste constant. Par ailleurs, la hausse de fiscalité sur le gazole devrait rapporter 3 milliards d’euros aux caisses de l’Etat en 2018[2] (par rapport à un scénario de stabilité fiscale). Si l’on considère l’ensemble des carburants, les recettes supplémentaires atteindraient 3,4 milliards d’euros pour l’année 2018.

Le but de ce billet est de décrypter les composantes du prix du carburant et de détailler le chiffrage prospectif de la hausse du prix d’ici 2021.

Un différentiel lié à l’histoire

Si historiquement, le gazole a bénéficié d’une fiscalité préférentielle, c’est d’abord en raison de son utilisation quasi-exclusivement professionnelle, dans un contexte de reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. En 1980, ce carburant ne représentait en effet que 8,4 % des immatriculations. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que les véhicules légers à motorisation diesel destinés aux particuliers sont apparus massivement. Leur diffusion s’est accélérée au cours des années 2000 (graphique 1) et la part des immatriculations de véhicules diesel a culminé à 73 % en 2008. Depuis, cette part décroît ; cela étant, les nouvelles immatriculations de véhicules diesel représentent plus de la moitié des immatriculations de véhicules particuliers neufs en France en 2016. Par ailleurs, les véhicules diesel représentent 62,4 % du parc automobile[3]. La France n’est pas une exception en Europe : cinq pays (l’Irlande, le Luxembourg, l’Espagne, le Portugal et la Grèce) affichent un taux de diésélisation plus fort.

Le rééquilibrage a été envisagé par plusieurs gouvernements, dès 1998 (gouvernements Jospin puis Raffarin), mais la réforme n’a jamais été menée à son terme, malgré la décision de l’Organisation mondiale de la santé de 2012 de classer les particules fines de gaz d’échappement de véhicules diesel comme cancérogènes. De nombreux rapports ont cependant souligné l’absence de justification de l’avantage fiscal sur le gazole, notamment en termes de manque à gagner pour l’Etat, et prôné l’alignement des fiscalités à l’instar du Comité pour la fiscalité écologique[4] en 2013.

Finalement, à partir de la Loi de finances de 2015, la fiscalité portant sur le gazole a été progressivement relevée. Ainsi, la principale composante de cette fiscalité, la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), a plus fortement augmenté sur le gazole que sur l’essence sans plomb (graphique 1). En 2017, le gouvernement Macron s’est engagé à poursuivre la convergence et a annoncé que le différentiel serait comblé grâce à l’augmentation de la TICPE.

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Les composantes du prix à la pompe : un petit rappel technique

Le prix de vente des carburants se décompose en strates successives[5].

Le prix du carburant hors taxes

La première composante est le prix d’achat du pétrole brut, déterminé sur les marchés mondiaux. Sur ces marchés, deux indices (Brent et Western Texas Intermediate) font référence : les formules de prix de tous les bruts vendus sur les marchés internationaux sont explicitement indexées sur le prix du Brent s’ils sont à destination de l’Europe et du WTI à destination des États-Unis. Par conséquent, on peut faire l’approximation selon laquelle les évolutions de prix du brut importé en France sont identiques à celles du Brent. L’effet du taux de change est crucial, puisque le pétrole brut est négocié en dollars sur les marchés : lorsque l’euro s’apprécie, la facture pétrolière s’allège.

Le pétrole importé est ensuite raffiné avec le prélèvement d’une marge de raffinage par les producteurs. Les produits pétroliers raffinés font l’objet de cotations sur les marchés régionaux (Rotterdam pour l’Europe du Nord, Gênes-Lavéra pour la Méditerranée). Les carburants sont ensuite transportés et distribués sur l’ensemble du territoire. Les distributeurs prélèvent une marge de transport/distribution, définie comme la différence entre le prix hors taxe et le prix sur le marché de produits raffinés. La France se situe en dessous de la moyenne européenne pour la marge de transport-distribution, avec des marges comprimées du fait d’un secteur très concurrentiel.

La taxation du carburant

Les taxes constituent l’essentiel du prix à la pompe. En 2016, elles représentent 66 % du prix TTC pour le SP-95 et 63 % pour le gazole (graphique 2).

Une première taxe, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques[6] (TICPE), est un droit d’accise, perçu sur les volumes, et non sur le prix de vente du produit. Elle est complexe car elle résulte de la combinaison de plusieurs strates :

– Une TICPE nationale, fixée chaque année par la Loi de finances et reprise en droit français dans le tableau B de l’article 256 du code des douanes. Cette TICPE nationale sur chaque unité consommée est plus faible sur le gazole que sur l’essence : en 2014, elle atteignait 42,8 centimes d’euros sur le gazole contre 62,3 centimes d’euros sur le sans-plomb ;

– Une part de TICPE régionale (uniformisée en 2017 par la Loi de finances rectificative pour 2016) ;

– La taxe carbone (ou contribution climat énergie), intégrée à la TICPE depuis 2014, et fortement relevée chaque année. En 2014, le montant de la taxe carbone était de 7 € par tonne de CO2 ; ce montant a été relevé à 14,50 €/tonne de CO2 en 2015, 22 €/ tonne de CO2 en 2016 et 30,5 €/tonne de CO2 en 2017.

Une seconde taxe, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), porte sur le prix de vente hors taxe majoré de la TIPCE (d’où une double taxation, puisque l’on taxe à la fois le prix hors taxe et la TICPE). Le taux de TVA en vigueur sur la consommation de produits pétroliers et de gaz naturel est le taux normal, soit 20 %.

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En 2018, la taxation du gazole va augmenter sous l’effet de deux mesures :

Un alignement du prix du gazole sur celui de l’essence sans plomb à l’horizon 2021

– D’abord le gouvernement a annoncé sa volonté d’augmenter la TICPE « nationale » chaque année de 2,6 centimes par litre de gazole jusqu’en 2021 (annonce de Bruno Le Maire du 12 septembre 2017) ;

– Par ailleurs, l’article 1 VIII de la Loi sur la transition énergétique pour une croissance verte prévoyait une trajectoire croissante de la composante carbone jusqu’en 2030 : la composante carbone devrait passer de 30,50 €/ tonne de carbone en 2017 à 39 €/ tonne de carbone en 2018, et à 60,4 €/ tonne de carbone en 2021. Or, le ministre de la Transition écologique a expliqué que cette trajectoire était insuffisante pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et une nouvelle trajectoire devrait être inscrite dans le Projet de loi de finances de 2018. Cette nouvelle trajectoire prévoit un prix de 44,6 €/ tonne de carbone en 2018, 55 €/ t en 2019, 65,4 €/ t en 2020, 75,8 €/ t en 2021 et 86,2 €/ t en 2022.

Ainsi, en 2018, les prix du gazole augmenteraient de 2,6 centimes par litre auxquels il faut ajouter 3,8 centimes par litre au titre de la taxe carbone[7] et 1,6 centime au titre du surplus de TVA. Le surcoût par litre de gazole serait donc de 7,4 centimes d’euros, si le prix du gazole hors taxes reste inchangé ainsi que la part régionale de la TICPE (tableau).A l’horizon 2021, si l’on fait l’hypothèse d’une hausse de la TICPE nationale de 2,6 centimes chaque année, et qu’on suit la trajectoire de taxe carbone qui devrait être inscrite dans le Projet de loi de finances de 2018, le montant de la TICPE sur le gazole passerait de 54,4 centimes d’euros en 2017 à 76,9 centimes en 2021. En supposant le prix du baril de pétrole inchangé, le montant total des taxes sur le gazole passerait quant à lui de 0,75 euro en 2017 à 1,02 euro en 2021, soit une augmentation de 36 %.Dans le même temps, la TICPE sur l’essence sans plomb passerait de 65,8 à 76,7 centimes d’euros par litre entre 2017 et 2021. En supposant le prix du baril de pétrole inchangé, le montant total des taxes sur l’essence sans plomb passerait de 88,8 centimes à 101,7 centimes en 2021, soit une augmentation de 15 %.

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Ainsi, en 2021, le prix du gazole rejoindrait celui du sans plomb, effaçant l’avantage historique conféré au gazole. Cela devrait se traduire par la désaffection des consommateurs pour les véhicules diesel par rapport aux véhicules à essence, amplifiant la baisse amorcée en 2012 (graphique 1). Cela étant, les ventes de gazole représentent 80,8% de la consommation française de carburants, et la hausse de fiscalité sur le gazole devrait rapporter 3 milliards d’euros aux caisses de l’Etat en 2018[8] (par rapport au scénario de stabilité fiscale). Si l’on considère l’ensemble des carburants, les recettes supplémentaires atteindraient 3,4 milliards d’euros pour l’année 2018[9].

En 2018, nous prévoyons une légère baisse du prix du baril de pétrole en euros (qui passerait de 46 à 43 euros par baril), sous l’effet de l’appréciation de l’euro. Cette baisse devrait réduire de moitié la hausse du prix à la pompe pour 2018. Cependant, à plus long terme, l’Agence Internationale de l’Energie n’exclut pas un nouveau choc pétrolier d’ici le début des années 2020, en raison d’une insuffisance d’investissements en amont[10]. Ainsi, la facture pourrait s’avérer très salée pour le consommateur, et le seuil symbolique de 2 euros par litre pourrait à nouveau être franchi. L’augmentation de la facture carburant est néanmoins une bonne nouvelle du point de vue écologique, même si, à court terme, la consommation de carburant devrait peu baisser en raison d’une faible élasticité-prix de la demande, et d’une transition électrique qui prendra du temps.

 

[1] Référé n°65241 de la Cour des comptes, 17 décembre 2012.

[2] En faisant l’hypothèse d’une élasticité du volume d’achat au prix du carburant de -0,4, et sachant que les ventes de gazole de 2016 représentaient 40,6 millions de mètres cubes en 2016.

[3] Chiffre de 2014, Comité des constructeurs français d’automobiles.

[4] Avis n° 3 du Comité pour la fiscalité écologique « L’écart de taxation entre le gazole et l’essence », 18 avril 2013.

[5] Pour le détail du calcul technique du prix à la pompe, on pourra se reporter à C. Antonin, Lettre de l’OFCE, n°328, 2011.

[6] La TICPE a remplacé en 2011 la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers).

[7] Sachant qu’un litre de gazole produit 2,7 kg de CO2 (et un litre de sans plomb produit 2,2 kg de CO2).

[8] En faisant l’hypothèse d’une élasticité du volume d’achat au prix du carburant de -0,4, et sachant que les ventes de gazole de 2016 représentaient 40,6 millions de mètres cubes en 2016 (UFIP et CPDP).

[9] Les ventes d’essence sans plomb représentaient 9,8 millions de mètres de cube en 2016 (UFIP et CPDP).

[10] International Energy Agency (2017), Market Report Series: Oil 2017, Analysis and Forecast to 2022.




Attention : un PFU peut en cacher un autre

par Pierre Madec

Dans le cadre de l’évaluation économique du programme présidentiel, l’OFCE publiait le 30 juin dernier un policy brief évaluant les effets redistributifs de la mise en place d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% tel que proposé dans le programme du candidat Emmanuel Macron. Nous établissions que le coût budgétaire de la mesure était d’environ 4 milliards d’euros en année pleine. Les équipes du candidat annonçaient quant à elles un coût budgétaire quasi nul. Dans un entretien au journal Les Echos en date du 12 septembre 2017, le ministre de l’Economie et des Finances jugeait notre évaluation « fantaisiste et exagérée ». Dans ce contexte, il paraît nécessaire d’opérer un éclaircissement.

Notre évaluation publiée en juin avait pour source d’informations le programme d’ « En Marche » publié sur leur site internet. A l’aide du modèle de micro-simulation Ines, nous avons :

  1. Extrait du barème de l’impôt sur le revenu l’ensemble des revenus financiers autres que ceux issus de l’assurance-vie et des livrets défiscalisés (intérêts, dividendes, plus-value, …) ;
  2. Imposé l’ensemble de ces revenus à un prélèvement forfaire de 14,5% et à la CSG patrimoine de 15,5% ;
  3. Comparé la situation des ménages après la mise en place de la mesure à la situation qui était la leur dans le cadre de législation de 2015 ;
  4. Isolé les ménages gagnants et considéré que les autres ménages conservent l’imposition actuelle, comme le programme présidentiel le prévoyait. Autrement dit, il n’y a que des gagnants et, au pire, des impositions inchangées[1].

Par cette méthode nous avons chiffré le nombre de ménages bénéficiaires de la réforme à 12,8 millions et le coût budgétaire de la mesure à 4 milliards d’euros. Compte tenu des taux marginaux d’imposition des revenus du capital et de la concentration du capital financier dans le centile le plus élevé de la distribution de revenu, cette estimation semble raisonnable.

Depuis, le gouvernement a fait évolué la proposition de campagne et plusieurs nouvelles annonces ont modifié significativement l’évaluation du coût budgétaire de la mesure. La taxation obligatoire, donc non optionnelle, des assurances-vies de plus 150 000 euros (par contribuable) correspond à un gain fiscal de 1,2 milliard d’euros, réduisant l’impact budgétaire du PFU d’autant. L’entrée, obligatoire ou optionnelle, des plans d’épargne en actions ou des plans d’épargne Logement aura également un effet, bien que moindre, sur le coût de la réforme.

De fait, les comparaisons opérées entre notre évaluation du 30 juin 2017 et celle du gouvernement sont sur des bases différentes. Tel qu’il était conçu avant l’été, le PFU avait un coût budgétaire de 4 milliards. Cette évaluation n’était ni « fantaisiste » ni « exagérée » mais basée sur les éléments dont nous disposions en juin. Depuis, la mesure a été amendée. Ceci rend nécessaire une nouvelle évaluation du PFU (version de septembre 2017) que nous publierons dans les prochains jours. Le débat budgétaire pourra être l’occasion d’amendements qui peuvent encore modifier significativement le coût de la mesure.

On trouve encore (27 septembre 2017, 17h19) sur le site d’ « En marche » le paragraphe suivant : « A un taux d’environ 30 %, le PFU permet de maintenir le niveau des recettes antérieurement perçues sur les revenus de l’épargne, mais aussi de financer la hausse de la CSG (sic !) sur les revenus du capital, contrepartie de la baisse des cotisations salariales, et le remplacement de l’ISF par l’IFI. Le but n’est donc pas de baisser globalement la fiscalité des revenus du capital mais de la rendre plus lisible et plus efficace ». Sans commentaire.

 

[1] Le programme d’« En Marche » suggérait des abrogations de niches fiscales, mais sans indications précises et donc nous ne les avons pas simulées.

 




L’effet des politiques économiques dépend-il de ce dont nous en savons ?

par Paul Hubert et Giovanni Ricco

Les effets de la politique monétaire dépendent-ils de l’information dont disposent les ménages et les entreprises ? Dans ce billet, nous analysons dans quelle mesure la façon dont la banque centrale surprend les acteurs économiques affecte les effets de sa politique, et dans quelle mesure la publication par la banque centrale de son information privée modifie les effets de sa politique.

Dans une économie où l’information serait parfaite et où les anticipations des agents privés sont rationnelles, les annonces de politique monétaire n’ont pas d’effet réel (sur l’activité) sauf s’il s’agit de « surprises », c’est-à-dire de décisions non anticipées. Dans la mesure où les agents privés connaissent les raisons économiques justifiant les décisions de politique monétaire, une surprise de politique monétaire correspond donc à un changement temporaire de préférence des banquiers centraux

Cependant, en présence de frictions informationnelles et plus particulièrement lorsque les ensembles d’informations de la banque centrale et des agents privés diffèrent, les agents privés ne connaissent pas l’information de la banque centrale et ne savent donc pas à quoi réagissent les banquiers centraux. Lorsqu’ils sont surpris par une décision de politique monétaire, ils ne peuvent donc pas déduire si cette surprise vient d’une réévaluation de l’information macroéconomique de la banque centrale ou d’un changement des préférences des banquiers centraux. En fait, pour les agents privés une décision de politique monétaire peut donc refléter soit leur réponse au choc de préférence, soit leur réponse à l’information macroéconomique qui vient de leur être révélée. Par exemple, une augmentation du taux directeur de la banque centrale peut signaler aux agents privés qu’un choc inflationniste touchera l’économie dans le futur, poussant les anticipations privées d’inflation à la hausse. Cependant, la même augmentation du taux directeur de la banque centrale peut être interprétée comme un choc de préférence indiquant que les banquiers centraux veulent se montrer plus restrictifs, ce qui réduira les anticipations privées d’inflation. Plus généralement, lorsque la banque centrale et les agents privés ont des ensembles d’informations différents, la décision de politique monétaire pourrait véhiculer l’information de la banque centrale sur les développements macroéconomiques futurs[1].

L’interprétation faite par les agents privés des surprises de politique monétaire est donc cruciale pour déterminer le signe et l’ampleur de l’effet des politiques monétaires. Sur la base de cette intuition, un récent travail de G. Ricco et S. Miranda-Agrippino propose une nouvelle approche pour étudier les effets des chocs de politique monétaire qui tient compte du problème auquel les agents sont confrontés dans la compréhension des décisions de la banque centrale. Malgré des années de recherche, il existe encore beaucoup d’incertitudes quant aux effets des décisions de politique monétaire. En particulier, plusieurs travaux ont mis en évidence une hausse, contre-intuitive, de la production ou des prix à la suite d’un resserrement monétaire – aussi appelé price puzzle.

Dans ce travail, les auteurs montrent qu’une grande part du manque de robustesse des résultats dans la littérature existante est due à l’hypothèse implicite que la banque centrale ou les agents privés ont une information parfaite sur l’état de l’économie. Il s’avère en fait que c’est le transfert d’informations sur les conditions économiques de la banque centrale vers les agents privés qui pourrait générer le price puzzle mis en évidence dans la littérature.

Aux États-Unis la banque centrale divulgue au bout de cinq ans les prévisions de ses économistes (Greenbook forecasts) qui ont servi à informer les décisions de la politique monétaire. Cela nous permet de séparer ex post les réactions des marchés financiers à la nouvelle information sur l’état de l’économie transférée par l’action de la banque centrale, des réactions aux chocs de politique monétaire. Nous utilisons ces réponses pour étudier les effets de la politique monétaire sur l’économie américaine dans un modèle économétrique flexible et robuste à de mauvaises spécifications.

Dans le graphique 1, nous comparons notre approche avec des méthodes qui ne prennent pas en compte le transfert d’informations entre la banque centrale et les agents privés. Alors que ces dernières méthodes génèrent le price puzzle, avec notre approche nous constatons que le resserrement monétaire réduit à la fois les prix et la production.

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Sur la base de ces résultats et afin d’étudier si l’interprétation faite par les agents privés des surprises de politique monétaire dépend de l’information dont ils disposent, un autre récent document de travail évalue si la publication par la banque centrale de ses projections macroéconomiques pourrait affecter la façon dont les agents privés comprennent les surprises de politique monétaire et donc in fine influe sur les effets de la décision de politique monétaire.

Plus précisément, ce travail évalue si et comment la structure par terme des anticipations d’inflation répond différemment aux décisions de la Banque d’Angleterre (BoE) lorsque celles-ci sont accompagnées ou non de la publication de ses projections macroéconomiques (d’inflation et de croissance) et lorsque celles-ci sont corroborées ou contredites par ses projections[2].

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On peut constater que les anticipations d’inflation privées répondent en moyenne négativement aux chocs monétaires restrictifs, comme attendu compte tenu des mécanismes de transmission de la politique monétaire. Le résultat principal du graphique 2 est cependant que les projections d’inflation de la banque centrale modifient l’impact des chocs monétaires. Les chocs monétaires (dans l’exemple ici, restrictifs) ont des effets plus négatifs lorsqu’ils sont interagis avec une surprise positive sur les projections d’inflation de la banque centrale. En revanche, un choc monétaire restrictif, qui interagit avec une surprise négative sur les projections d’inflation, n’a aucun effet sur les anticipations d’inflation privées.

Cette constatation suggère que, lorsque les chocs monétaires et les surprises de projection se corroborent, les chocs monétaires ont plus d’impact sur les anticipations d’inflation privées, possiblement parce que les agents privés peuvent déduire le choc de préférence des banquiers centraux et y répondent plus fortement. Lorsque les chocs monétaires et les surprises de projection se contredisent, les chocs monétaires n’ont pas d’impact (ou moins), possiblement parce que les agents privés reçoivent des signaux opposés et ne sont pas en mesure de déduire l’orientation de la politique monétaire. Ils répondent donc aussi à l’information macroéconomique divulguée.

Ces résultats montrent que la publication par les banques centrales de leur information macroéconomique aide les agents privés à traiter les signaux qu’ils reçoivent et modifie donc leur réponse aux décisions de politique monétaire. Cette étude suggère ainsi que fournir une orientation sur l’évolution future de l’inflation, plutôt que sur l’évolution future des taux d’intérêt (la politique de Forward Guidance), peut améliorer l’efficacité de la politique monétaire, en permettant aux agents privés de mieux distinguer l’information macroéconomique de la banque centrale de ses préférences.

Notes

[1] Voir Baeriswyl, Romain, et Camille Cornand (2010), “The signaling role of policy actions”, Journal of Monetary Economics, 57(6), 682-695 ; Tang, Jenny (2015), “Uncertainty and the signaling channel of monetary policy”, FRB Boston Working Paper, n° 15-8 ; et Melosi, Leonardo (2017), “Signaling effects of monetary policy”, Review of Economic Studies, 84(2), 853-884.

[2] Cette étude se focalise sur le Royaume-Uni parce que les projections de la BoE ont une caractéristique spécifique qui permet d’identifier économétriquement leurs effets propres. En effet, la question posée exige que les projections de la banque centrale ne soient pas fonction de la décision de la politique actuelle, de sorte que les surprises monétaires et les surprises de projection puissent être identifiées séparément. Les projections de BoE sont conditionnées au taux d’intérêt du marché et pas au taux directeur, de sorte que les projections de la BoE sont indépendantes des décisions de politique monétaire.




Justice distributive, normes sociales et diversité des demandes de redistribution

par Gilles Le Garrec

Lorsqu’on étudie la préférence pour la redistribution au niveau individuel, on observe en premier lieu qu’une personne se déclarera d’autant plus favorable à la redistribution des revenus que son propre revenu est faible. Mais la perception que l’on a des revenus en général joue également un rôle crucial. En effet, si une personne pense que les revenus reflètent plus la chance que l’effort fourni, alors elle aura tendance à soutenir une plus forte redistribution. Ainsi, ce que révèlent les études empiriques c’est que les demandes de redistribution reflètent autant l’intérêt propre des individus que leur préoccupation pour la justice distributive. Il convient néanmoins de souligner que l’intensité de cette préoccupation peut varier fortement d’un pays à l’autre. Plus précisément, Corneo (2001) montre que les individus des pays ayant une forte redistribution du revenu, comme l’ex RFA dans son étude, se caractérisent par une préoccupation pour la justice distributive plus forte que les individus des pays à faible redistribution tels que les Etats-Unis. De ce point de vue, comprendre le rôle de l’environnement culturel dans le développement des préférences individuelles revêt un caractère crucial si l’on veut comprendre les demandes de redistribution et, par extension, la diversité des politiques redistributives dans les démocraties, comme illustré dans le tableau ci-dessous. A cet égard, le résultat mis en évidence par Luttmer et Signal (2011) montrant que les immigrants originaires de pays à forte préférence pour la redistribution continuent à soutenir une plus forte redistribution dans leur pays d’accueil (que les autochtones) est déterminant. Ainsi il apparaît non seulement que l’intensité de la préoccupation pour la justice distributive dépend de l’environnement dans lequel on a été élevé, mais aussi que cette dernière ne varie plus lorsqu’on atteint l’âge adulte[1].

Au regard de ces résultats empiriques, j’ai été amené à proposer dans un document de travail un mécanisme de transmission culturelle de la norme morale ou de l’intensité de la préoccupation pour la justice distributive. Selon ce dernier, caractéristique d’un processus de socialisation oblique[2], les préférences se structurent en partie par observation, imitation[3] et internalisation des pratiques culturelles. Plus précisément, mon mécanisme stipule que l’observation durant l’enfance de politiques redistributives trop inéquitables se traduiraient par une préoccupation pour la justice distributive affaiblie. Le coût moral à ne pas supporter une juste répartition des revenus une fois adulte serait ainsi réduit par l’observation de l’échec collectif de la génération précédente à avoir pu mettre en place une institution promouvant la justice distributive. Autrement dit, le mécanisme que je propose traduit le fait qu’avoir été exposé à trop d’injustice réduit la capacité à se sentir concerné par l’injustice[4].

Conséquence du mécanisme de transmission culturelle intergénérationnelle proposé, mon modèle permet de reproduire de manière satisfaisante le fait que la redistribution soit plus importante en Europe qu’aux Etats-Unis alors même que les inégalités de revenus avant impôts et transferts y sont plus faibles (Cf. Tableau 1). Ce faisant, j’améliore la prédiction du modèle canonique de Meltzer et Richard (1981) qui soutient au contraire que plus d’inégalité de revenus devrait se traduire par plus de redistribution. De plus, ces différences de redistribution sont persistantes dans le temps car inscrites dans les préférences individuelles via la transmission intergénérationnelle de l’intensité de la préoccupation pour la justice distributive. C’est par ce même mécanisme de transmission intergénérationnelle des valeurs que l’on peut enfin expliquer pourquoi les immigrants des pays ayant une forte redistribution continue à soutenir une plus forte redistribution dans leur pays d’accueil.

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Références

Boyd R. et Richerson P. J. (1985), Culture and the evolutionary process, London, University of Chicago Press.

Corneo G. (2001), “Inequality and the State: Comparing US and German preferences”, Annals of Economics and Statistics, 63/64, pp. 283-296.

Le Garrec Gilles (2017), “Fairness, social norms and the cultural demand for redistribution”, Document de travail OFCE n° 2017-20 , à paraître dans Social Choice and Welfare, DOI 10.1007/s00355-017-1080-6.

Luttmer E. et Signal M (2011), “Culture, context, and the taste for redistribution”, American Economic Journal: Economic Policy, 3(1), pp. 157-179.

McCrae R. et Costa P. (1994), “The stability of personality: observation and evaluations”, Current Directions in Psychological Science, 3(6), pp. 173-175.

Meltzer A. et Richard S. (1981), “A rational theory of the size of government”, Journal of Political Economy, 89(5), pp 914-927.

Twenge J., Baumeister R., DeWall N., Ciarocco N. et Bartels M. (2007), “Social exclusion decreases prosocial behavior”, Journal of Personality and Social Psychology, 92(1), pp. 56-66.

[1] Soutenant cette interprétation, les psychologues McCrae et Costa (1994) ont montré que les traits de personnalité se figeaient après l’âge de 30 ans.

[2] On parle de socialisation ou transmission oblique lorsqu’un individu apprend au contact de personnes de la génération de ses parents ou d’institutions. La transmission est dite verticale lorsqu’elle s’effectue entre les parents et leurs enfants. Elle est dite horizontale lorsqu’un individu apprend au contact de ses pairs.

[3] Dans la littérature évolutionnaire, apprendre des autres en les imitant est une manière économe et efficace d’acquérir les informations localement pertinentes à l’adaptation. Dans cette optique, les propensions à apprendre et imiter sont des composantes d’une psychologie qui a évolué par sélection naturelle (Boyd et Richerson, 1985).

[4] Twenge et al. (2007) expliquent ainsi que l’exclusion sociale provoque de forts sentiments négatifs qui nuisent à la capacité de compréhension empathique des autres et, par conséquent, diminue le comportement pro-social.




Exonération de taxe d’habitation : quel impact de la réévaluation des seuils ?

par Pierre Madec et Mathieu Plane

Dans un Policy brief OFCE publié en juin dernier dans le cadre de l’évaluation du programme présidentiel, nous analysions les conséquences de la réforme de la taxe d’habitation visant à exonérer 80% des ménages français, mesure proposée par le Président de la République lors de sa campagne électorale. Le 13 septembre, le ministre de l’Action et des Comptes publics présentait les modalités d’application de la mesure, quelque peu amendée lors des dernières semaines. Dans ce billet, nous proposons d’analyser l’impact de ces modifications.Initialement, la proposition visait à exonérer les ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 20 000 euros par an et par part fiscale. Les déclarations du ministre ont modifié ce seuil et les paramètres du nouveau mode de calcul s’écartent quelque peu du principe des « parts fiscales » (tableau 1).

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Ces modifications ont deux conséquences principales. D’une part, la mesure finalisée accroît globalement le nombre de ménages éligibles à l’exonération. Comme détaillé dans notre Policy brief daté du 26 juin 2017, la proposition initiale entraînait l’exonération totale de la taxe d’habitation pour 21 millions de ménages métropolitains, soit 74% de la population ; 4,5 millions étant d’ores et déjà dispensés de cette taxe. Les seuils modifiés élargissent le nombre de ménages exonérés puisqu’il atteindrait 22,2 millions, soit 78% des ménages, un objectif proche de celui affiché par le gouvernement. Si 1,8 million de ces ménages sont des personnes seules, les familles monoparentales (+64 000) et les couples sans enfant sont également plus nombreux à bénéficier de l’augmentation des seuils (+450 000) (graphique 1). Les retraités, les ménages les plus touchés par la hausse à venir de la CSG, sont bénéficiaires de l’évolution des seuils puisqu’ils représentent la moitié des nouveaux entrants dans le dispositif (+670 000) (graphique 2). A contrario, les couples avec enfants[1], du fait notamment de la prise en compte relativement défavorable des enfants, sont moins nombreux à être éligibles au dispositif d’exonération (- 400 000).

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Augmentant massivement le nombre de bénéficiaires, la modification des seuils engendre un surcoût budgétaire non négligeable. Evalué à 9,4 milliards d’euros dans sa version initiale, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80% des ménages devrait impacter au final les finances publiques de 10,3 milliards en 2020, la montée en charge de la mesure étant étalée sur trois ans. Le gain moyen pour les bénéficiaires devrait s’établir à 579 euros par ménage, soit légèrement supérieur au gain observé dans l’ancienne mouture (564€).

Globalement, la modification des critères d’éligibilité ne modifie pas les gains moyens par décile analysés lors de notre précédente évaluation. Malgré tout, les conséquences de la modification sont notables lorsque l’on observe le nombre de ménages bénéficiaires par décile de niveau de vie. La version précédente de la mesure était fortement ciblée sur les classes dites « moyennes ». Les ménages ayant un niveau de vie compris entre le 3e et le 7e décile concentraient à eux seuls 70% des bénéficiaires de la mesure. Sous l’effet de la hausse des seuils, des ménages plus aisés sont dorénavant éligibles à l’exonération (graphique 3). A contrario, les perdants sont à compter parmi les ménages du bas de la distribution de niveau de vie, ménages ayant plus de deux enfants. Ainsi, 1,7 million de ménages ayant un niveau de vie supérieur à la médiane sont dorénavant éligibles à l’exonération totale de la taxe d’habitation. Dans le même temps, 480 000 ménages au niveau de vie inférieur à la médiane sont exclus de l’exonération. Ce transfert s’expliquant intégralement par la nouvelle prise en compte de la composition des ménages.

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[1] La part fiscale habituellement attribuée aux enfants est de 0,5 et le nombre d’unité de consommation (uc) s’élèvent habituellement à 0,3. Dans la mesure les uc implicites pour les enfants sont de 0,22 ; 0,44 à partir du troisième enfant.

 




Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : comment faire ?

par Guillaume Allègre

Le gouvernement a décidé de reporter le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (IR) à janvier 2019. A partir de cette date, les employeurs prélèveront directement l’impôt sur la fiche de paie à un taux transmis par l’administration fiscale. Ce taux sera calculé sur la base de la déclaration fiscale effectuée au printemps 2018 (sur les revenus 2017). En 2019, l’impôt sera ainsi payé sur les revenus 2019. L’avantage principal de la réforme réside dans cette contemporanéité : si les revenus d’un ménage baissent (chômage, départ à la retraite, …), l’impôt baissera proportionnellement[1]. En cas de changement de situation conduisant à une baisse prévisible significative de l’impôt dû, les ménages pourront demander en cours d’année sur le site impots.gouv.fr une mise à jour de leur taux de prélèvement à la source, de sorte que la baisse de l’impôt payé sera plus que proportionnelle. Le prélèvement à la source évite ainsi les difficultés de trésorerie pour les personnes dont la situation change en cours d’année. Du point de vue de l’Etat, le prélèvement à la source permettrait également une plus grande efficacité des stabilisateurs automatiques (l’IR variera en temps réel avec les revenus).

Dans un Policy brief OFCE récent (« Prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu : peu d’avantages et beaucoup d’inconvénients »), Gilles Le Garrec et Vincent Touzé évaluent la réforme et concluent qu’elle présente plus d’inconvénients que d’avantages. Parmi les inconvénients, elle occasionnerait des tâches administratives supplémentaires, elle impliquerait une année blanche « due à la non fiscalisation des revenus 2018 », une hausse fiscale liée à la suppression du délai d’un an pour payer l’IR, et la divulgation à l’employeur d’informations fiscales personnelles. Selon un rapport du Sénat, très critique du projet de loi prévoyant le prélèvement à la source, la réforme constituerait un « choc de complexité ». Il est vrai que ce n’est pas une réforme de simplification : les ménages devront toujours déclarer leurs revenus et il y aura une régularisation de l’impôt en n+1 si l’impôt dû est différent de l’impôt prélevé à la source l’année n ; les entreprises auront un rôle de tiers collecteur qu’elles n’ont pas aujourd’hui.

Il est en fait possible de répondre aux critiques adressées au prélèvement à la source si l’on procède à certains ajustements. Ce faisant, les avantages de la contemporanéité de l’impôt semblent supérieurs aux inconvénients.

Comme souligné par le rapport du Sénat, le taux utilisé pour le prélèvement à la source repose sur l’impôt payé en n-1 mais en excluant les éventuelles réductions et crédits d’impôt. Les ménages ne bénéficieront donc de ces réductions ou crédits qu’en milieu d’année n+1. L’Etat n’a ainsi pas voulu faire d’avance de trésorerie aux ménages. L’Etat pourrait être plus généreux en incluant les réductions et crédits d’impôt dans le calcul du taux de prélèvement à la source, quitte à régulariser en n+1 pour les ménages ayant perdu leurs avantages en année n.

Si la réforme est bien mise en place en janvier 2019, les ménages paieront en 2018 l’impôt sur les revenus qu’ils percevront en 2017 puis ils paieront en 2019 l’impôt sur leurs revenus 2019 (avec une régularisation en 2020). En termes de trésorerie, il n’y a donc pas d’année blanche du point de vue des ménages ou de l’Etat[2]. Les revenus perçus en 2018 ne seront pas imposés mais la loi prévoit déjà que les revenus exceptionnels (indemnités de rupture du contrat de travail, …), ainsi que les plus-values immobilières, les intérêts, les dividendes, les gains sur les stocks options ou les actions gratuites restent imposés selon les modalités habituelles (voir les modalités prévues pour l’année de transition). S’il n’y a pas d’année blanche en termes de trésorerie, la question de l’année d’un décès en cours d’année ne semble pas avoir été prévue par le législateur. En effet, dans la législation actuelle, les héritiers doivent payer l’impôt sur les revenus dû par la personne décédée l’année suivant le décès. Avec le prélèvement à la source, au contraire les héritiers seront remboursés d’un trop-perçu : si un individu meurt au milieu de l’année 2019, il aura payé trop d’impôt car l’impôt est annualisé (et fortement progressif) et l’individu décédé n’a des revenus que pour une partie de l’année[3]. Il y a donc une perte fiscale pour l’Etat[4]. Pour éviter la plus grosse partie de cette perte fiscale (le remboursement d’une grande partie de l’impôt payé l’année du décès), le législateur pourrait décider de proratiser le barème de l’impôt sur le revenu l’année du décès : si l’individu meurt au milieu de l’année, le barème en tranches serait multiplié par 50% de sorte que l’impôt prélevé durant la moitié de l’année serait plus ou moins égal à l’impôt dû à la fin de l’année. Une solution complémentaire ou de substitution serait d’augmenter l’impôt sur les successions de sorte que les héritiers ne soient pas gagnants à la réforme. Pour éviter que les héritiers gagnent avec la réforme, Le Garrec et Touzé suggèrent de conserver la créance fiscale sur l’année de transition mais cette solution semble trop compliquée à mettre en œuvre.

Le Garrec et Touzé soulignent un autre inconvénient du passage au prélèvement à la source : du fait de l’abandon du délai d’un an pour payer l’IR, et comme les revenus augmentent (du fait de la croissance économique positive), l’Etat fait un gain de trésorerie aux dépens des ménages. Le législateur peut neutraliser cet effet en ajustant le barème de l’impôt sur le revenu (par exemple en rehaussant les tranches d’imposition).

Il convient de ne pas surestimer les démarches administratives supplémentaires pour les entreprises. Rappelons que les entreprises prélèvent déjà à la source les cotisations sociales et autres prélèvements sociaux[5]. Les services fiscaux communiqueront un taux de prélèvement au titre de l’IR pour chaque employé. Les entreprises n’auront qu’à appliquer ce taux au salaire net imposable, qui est déjà calculé par les logiciels de paie. Le mois suivant, elles reverseront les prélèvements à la DGFIP (elles gagnent ainsi un mois de trésorerie). La complication administrative est donc à la fois limitée et compensée. Les entreprises connaîtront néanmoins le taux d’imposition de leurs salariés (soumis au secret professionnel). Comme ils connaissent les salaires versés, les employeurs pourront savoir – par exemple pour un célibataire – si leur employé perçoit des revenus fonciers ou mobiliers. Pour préserver la confidentialité, les salariés pourront opter pour l’application d’un taux neutre ne prenant en compte que le salaire imposable (pour un célibataire sans enfant). Mais si l’application du taux neutre conduit à un prélèvement moins important, le salarié devra calculer lui-même et régler la différence directement à la DGFIP « au plus tard le dernier jour du mois suivant celui de la perception du revenu »[6], ce qui constitue une complication[7]. De plus, le taux neutre n’est guère favorable car il ne tient pas compte du quotient familial. Une réforme du taux neutre semble donc souhaitable[8].

Une autre complication concerne l’imposition des couples mariés ou pacsés, l’imposition en France étant conjugalisée (voir Allègre, Périvier, 2013 « Réformer le quotient conjugal »). Par défaut, l’administration fiscale communiquera le même taux pour les deux conjoints, quels que soient leurs revenus respectifs. Ce taux par défaut permettra à l’employeur d’avoir des informations sur le revenu du conjoint. De plus, étant donné que la femme perçoit généralement un salaire plus faible que celui de son conjoint, elle verra son salaire net d’IR fortement imposé, même si cela est neutre au niveau du couple. Les conjoints pourront néanmoins opter pour des taux individualisés. Les études dans le champ de l’économie comportementale ont montré que le choix de l’option par défaut avait une grande influence sur le comportement des individus qui optent souvent pour le taux par défaut (voir Thaler et Sustein, 2010 : Nudge. La méthode douce pour inspirer la bonne solution) – qui ici est défavorable au conjoint ayant les plus faibles revenus. Même si on sait peu de choses sur la façon dont le paiement de l’impôt est réparti aujourd’hui au sein des couples, il serait préférable du point de vue de l’égalité femmes-hommes que l’option de taux individualisés soit l’option par défaut.

La discussion ci-dessus montre que les difficultés liées au passage au prélèvement à la source ne sont pas majeures, même si ce passage nécessite quelques ajustements dont la plupart ont d’ailleurs déjà été anticipés par le gouvernement précédent. Les avantages liés à la contemporanéité de l’impôt – notamment en termes de trésorerie pour les ménages – nous semblent ainsi plus importants que les inconvénients. A terme, le prélèvement à la source permettrait également une fusion de l’impôt sur le revenu, d’une partie de la Prime d’activité et de la CSG, déjà prélevée à la source, ce qui simplifierait grandement le système socio-fiscal et lui donnerait plus de lisibilité. On peut donc espérer que cette réforme soit réellement mise en place en 2019 et non reportée sine die.

 

[1] Mais seulement proportionnellement alors que l’impôt est progressif : il y a un effet « assiette » (l’assiette de l’impôt varie immédiatement) mais pas d’effet « taux » (le taux ne varie pas à moins de demander expressément une modulation de taux en cours d’année en cas de changement de situation).

[2] Il y aura tout de même des possibilités d’optimisation dues au fait que les revenus 2018 ne seront jamais imposés. Le gouvernement prévoit des dispositions particulières pour que les contribuables ne puissent pas majorer artificiellement leurs revenus de l’année 2018.

[3] Prenons l’exemple d’un retraité célibataire, veuf ou divorcé ayant 50 000 euros de revenus annuels. Sur une année son impôt sera de 8 235 euros, soit 16,5% de son revenu. S’il meurt en milieu d’année, il n’aura que 25 000 euros de revenus. Le prélèvement à la source sera de 16,5%*25 000=4 118 euros. Or l’impôt dû pour 25 000 euros de revenus annuels n’est que de 1 625 euros (soit 6,5% du revenu). L’Etat devra donc rembourser 2 493 euros aux héritiers. Sans le prélèvement à la source, les héritiers auraient dû payer 1 625 euros. Avec le prélèvement à la source, on voit donc que l’Etat perd une année d’impôt l’année du décès du contribuable.

[4] Qui est compensée en partie par le fait que les nouveaux contribuables paieront leur impôt avec une année d’avance.

[5] Ce qui est tout de même plus simple du fait qu’ils sont individuels et proportionnels aux revenus.

[6]  LOI n°2016-1917 du 29 décembre 2016 – art. 60 (V)

[7] Il est possible que certains contribuables choisissent le taux neutre pour ne pas divulguer à leur employeur qu’ils bénéficient de crédits ou de réductions d’impôt. Il n’est pas prévu que la DGFIP règle la différence « au fur et à mesure ».

[8] Les contribuables devraient pouvoir tenir compte du quotient familial. Le solde à payer devrait être calculé par l’administration fiscale.




Croissance et inégalités dans l’Union européenne

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

« Croissance et inégalités : défis pour les économies de l’Union européenne » : tel était le thème du 14e Colloque EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenu le 9 juin 2017 à Berlin. EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni). Depuis 2004, EUROFRAME organise chaque année un colloque sur un sujet important pour les économies européennes.

Cette année, 27 contributions de chercheurs, retenues par un comité scientifique, ont été présentées au colloque dont la plupart sont disponibles sur la page web de la conférence. Ce texte fournit un résumé des travaux présentés et discutés lors du colloque.

Ainsi que l’a souligné Marcel Fratzcher, Président du DIW, dans son allocution d’ouverture, la montée des inégalités depuis quelque 30 années, a fait que les inégalités qui étaient auparavant un sujet réservé aux chercheurs spécialisés en politique sociale sont maintenant devenus des sujets d’étude pour de nombreux économistes. Se posent plusieurs questions : pourquoi cette hausse des inégalités ? La hausse des inégalités dans chaque pays est-elle une conséquence obligée de la diminution des inégalités entre pays, que ce soit en Europe ou au niveau mondial ? Quelles sont les conséquences macroéconomiques de cette hausse ? Quelles politiques économiques pour l’éviter ?

Inégalités de revenus : les faits. Mark Dabrowski (CASE, Varsovie) : “Is there a trade-off between global and national inequality ?”, souligne que la croissance des inégalités à l’intérieur de chaque pays (en particulier aux Etats-Unis et en Chine) va de pair avec la diminution des inégalités entre pays, les deux étant favorisés par la mondialisation commerciale et financière. Toutefois, certains pays avancés ont réussi à stopper la croissance des inégalités internes, ce qui montre que les politiques nationales continuent à avoir de l’importance.

Oliver Denk (OCDE) : “Who are the Top 1 Percent Earners in Europe ?” analyse la structure de la couche des 1% de salariés ayant les plus hauts salaires dans les pays de l’UE. Ceux-ci représentent de 9% de la masse salariale au Royaume-Uni à 3,8% en Finlande (4,7% en France). Statistiquement, ils sont plus âgés que l’ensemble des salariés (ceci étant moins net dans les pays de l’Est), plus masculins (ceci étant moins net dans les pays nordiques), plus diplômés. Ils sont plus nombreux dans la finance, la communication, les services aux entreprises.

Tim Callan, Karina Doorley et Michael Savage (ESRI Dublin) : “Inequality in EU crisis countries: Identifying the impacts of automatic stabilisers and discretionary policy”, analysent la croissance des inégalités de revenus dans les pays qui ont le plus souffert de la crise (Espagne, Grèce, Irlande, Portugal, Chypre). Dans ces cinq pays, les inégalités de revenus primaires ont augmenté en raison de la crise, mais le jeu des transferts fiscaux et sociaux automatiques a fait que les inégalités de revenu disponible sont restées stables en Irlande et au Portugal et (à un moindre degré) en Grèce.

Carlos Vacas-Soriano et Enrique Fernández-Macías (Eurofound) : “Inequalities and employment patterns in Europe before and after the Great Recession”, montrent que les inégalités de revenus diminuaient globalement dans l’UE avant 2008 puisque les nouveaux entrants rattrapaient les anciens membres. Depuis 2008, la Grande Récession a creusé les inégalités entre pays et à l’intérieur de nombreux pays. La croissance des inégalités internes provient surtout de la hausse du chômage ; elle frappe des pays traditionnellement égalitaristes (Allemagne, Suède, Danemark) ; elle est atténuée par la solidarité familiale et la protection sociale, dont les rôles sont cependant remis en cause.

Modélisation de la relation croissance/inégalité. Alberto Cardaci (Universita Cattolica del Sacro Cuore Milan) et Francesco Saraceno (OFCE, Paris) : “Inequality and Imbalances: an open-economy agent-based model”, présentent un modèle à deux pays. Dans l’un, la recherche d’excédents extérieurs induit une pression sur les salaires et une dépression de la demande intérieure compensée par des gains à l’exportation. Dans l’autre, la croissance des inégalités induit une tendance à la baisse de la consommation compensée par le développement du crédit. Il en résulte une crise endogène de la dette quand la dette des ménages du deuxième pays atteint une valeur limite.

Alain Desdoigts (IEDES, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), et Fernando Jaramillo, (Universidad del Rosario, Bogota) “Learning by doing, inequality, and sustained growth: A middle-class perspective”, présentent un modèle où les innovations ne peuvent être appliquées dans la production que dans les secteurs d’une taille suffisante, et donc ceux qui produisent les biens achetés par la classe moyenne (et ni dans les secteurs de biens de luxe, ni dans les secteurs de biens de bas de gamme). La croissance est donc d’autant plus forte que la classe moyenne est développée. La redistribution est favorable à la croissance si elle se fait des riches vers la classe moyenne, défavorable si elle va de la classe moyenne aux pauvres.

Inégalité, financiarisation, politique monétaire. L’article de Dirk Bezemer et Anna Samarina (Université de Groningen) : “Debt shift, financial development and income inequality in Europe”, distingue deux types de crédit bancaire, celui qui finance les activités financières et l’immobilier et celui qui finance les entreprises non-financières et la consommation. Il explique la croissance des inégalités dans les pays développés par la place croissante du crédit finançant la finance au détriment de celui qui finance la production.

L’article de Mathias Klein (DIW Berlin) et Roland Winkler (TU Dortmund University) : “Austerity, inequality, and private debt overhang”, soutient que les politiques budgétaires restrictives ont peu d’impact sur l’activité et l’emploi quand les dettes privées sont faibles (car l’effet Barro joue à plein) ; elles ont un effet restrictif sur l’activité et augmentent les inégalités de revenus quand les dettes privées sont fortes. De sorte qu’il faudrait ne pratiquer l’austérité budgétaire qu’une fois que l’endettement privé a été réduit.

Davide Furceri, Prakash Loungani et Aleksandra Zdzienicka (FMI) : “The effect of monetary policy shocks on inequality,” rappellent que l’impact de la politique monétaire sur les inégalités de revenus est ambigu. Une politique expansionniste peut faire baisser le chômage et réduire les taux d’intérêt (ce qui réduit les inégalités) ; elle peut aussi induire de l’inflation et faire augmenter le prix des actifs (ce qui augmente les inégalités). Empiriquement, il apparaît qu’une politique restrictive augmente les inégalités de revenu, sauf si elle est provoquée par une croissance plus forte.

Inégalités et politique sociale. Alexei Kireyev et Jingyang Chen (FMI) « Inclusive growth framework », plaident pour des indicateurs de croissance incluant l’évolution de la pauvreté et des inégalités de revenu et de consommation.

Dorothee Ihle (University of Muenster) : « Treatment effects of Riester participation along the wealth distribution: An instrumental quantile regression analysis » ,analyse l’impact des plans de pensions Riester sur le patrimoine des ménages allemands. Ceux-ci augmentent significativement le patrimoine des ménages participants au bas de la distribution des revenus, mais ils sont relativement peu nombreux, tandis qu’ils ont surtout des effets de redistribution du patrimoine pour les ménages des classes moyennes.

Inégalité, pauvreté et mobilité. Katharina Weddige-Haaf (Utrecht University) et Clemens Kool (CPB and Utrecht University) : “ The impact of fiscal policy and internal migration on regional growth and convergence in Germany”, analysent les facteurs de convergence du revenu par habitant entre les anciens et nouveau Länder allemands. La convergence a été impulsée par les migrations internes, les subventions à l’investissement et les fonds structurels, mais les transferts fiscaux en général n’ont pas eu d’effet. La crise de 2008 a favorisé la convergence en affectant surtout les régions les plus riches.

Elizabeth Jane Casabianca et Elena Giarda (Prometeia, Bologne) “From rags to riches, from riches to rags: Intra-generational mobility in Europe before and after the Great Recession” analysent la mobilité des revenus individuels dans quatre pays européens : Espagne, France, Italie, Royaume-Uni. Avant la crise, elle était forte en Espagne et faible en Italie. Elle a nettement diminué après la crise, en particulier en Espagne ; elle est restée stable au Royaume-Uni.

Luigi Campiglio (Università Cattolica del S. Cuore di Milano) : “Absolute-poverty, food and housing”, analyse la pauvreté absolue en Italie à partir d’un indicateur basé sur la consommation alimentaire. Il montre que les familles pauvres supportent des coûts de logement particulièrement importants, ce qui pèse sur leur consommation alimentaire et leurs dépenses de santé. Les familles pauvres avec enfants, locataires de leur logement, ont été particulièrement touchés par la crise. La politique sociale devrait mieux les protéger par des transferts ciblés, en espèces ou en nature (santé, éducation).

Georgia Kaplanoglou et Vassilis T. Rapanos (National and Kapodistrian University of Athens and Academy of Athens) : “Evolutions in consumption inequality and poverty in Greece: The impact of the crisis and austerity policies”, rappellent que la crise et les politiques d’austérité ont réduit en Grèce le PIB et la consommation des ménages d’environ 30 %. Cela s’est accompagné d’une hausse des inégalités en matière de consommation que l’article documente avec précision. Il analyse en particulier l’effet des hausses de TVA. Les familles avec enfants ont été particulièrement affectées.

Marché du travail. Christian Hutter (IAB, German Federal Employment Agency) et Enzo Weber, (IAB et Universität Regensburg)  : “Labour market effects of wage inequality and skill-biased technical change in Germany”, estiment sur données allemandes un modèle structurel vectoriel pour analyser le lien entre les inégalités salariales, l’emploi, le progrès technique neutre et le progrès technique favorisant le travail qualifié. Ce dernier augmente la productivité du travail, les salaires, mais aussi les inégalités salariales et réduit l’emploi. Les inégalités salariales ont elles un effet négatif sur l’emploi et sur la productivité globale.

Eckhard Hein et Achim Truger (Berlin School of Economics and Law, Institute for International Political Economy Berlin) : “Opportunities and limits of rebalancing the Eurozone via wage policies: Theoretical considerations and empirical illustrations for the case of Germany”, analysent l’impact des hausses de salaires en Allemagne sur le rééquilibrage des soldes courants en Europe. Ils montrent que celles-ci ne jouent pas seulement par effet compétitivité, mais aussi par effet demande en modifiant la répartition salaire/profit et en impulsant la consommation. Aussi, doivent-ils être appuyés par une hausse des dépenses publiques.

Camille Logeay et Heike Joebges (HTW Berlin) : “Could a wage formula prevent excessive current account imbalances in euro area countries? A study on wage costs and profit developments in peripheral countries”, montrent que la règle « les salaires doivent croître comme la productivité du travail et l’objectif d’inflation », aurait eu des effets stabilisateurs en Europe tant sur les compétitivités des pays membres que sur leurs demandes intérieures. Toutefois, cela suppose que les entreprises n’en profitent pas pour augmenter leurs profits et qu’aucun pays ne recherche de gain de compétitivité.

Hassan Molana (University of Dundee), Catia Montagna, (University of Aberdeen) et George E. Onwordi, (University of Aberdeen) : “Reforming the Liberal Welfare State – International Shocks, unemployment and household income shares” construisent une maquette pour montrer qu’un pays libéral, comme le Royaume-Uni, pourrait améliorer le fonctionnement de son marché du travail en en réduisant la flexibilité pour aller vers un modèle de flexi-sécurité : hausse des prestations chômage, restrictions aux licenciements, hausse des dépenses de formation, aides à l’embauche. Cette stratégie, en augmentant la productivité du travail, réduirait le taux de chômage structurel et augmenterait la part des profits.

Guillaume Claveres, (Centre d’Economie de la Sorbonne, Paris) et Marius Clemens (DIW, Berlin) : ”Unemployment Insurance Union” proposent une modélisation d’une assurance-chômage européenne qui prendrait en charge une partie des dépenses de prestations chômage. Celle-ci pourrait réduire les fluctuations de la consommation et du chômage à la suite de chocs spécifiques. Cela suppose cependant qu’elle ne s’applique qu’au chômage conjoncturel, qu’il est difficile de définir.

Bruno Contini, (Università di Torino et Collegio Carlo Alberto), José Ignacio Garcia Perez, (Universidad Pablo de Olavide), Toralf Pusch, (Hans-Boeckler Stiftung, Düsseldorf) et Roberto Quaranta, (Collegio Carlo Alberto) : “New approaches to the study of long term non-employment duration via survival analysis: Italy, Germany and Spain”, analysent la non-activité involontaire (les personnes qui souhaiteraient travailler mais ont renoncé à chercher un emploi et ont perdu leurs droits aux prestations chômage) en Allemagne, Italie et Espagne,. Celle-ci est particulièrement importante et durable en Espagne et en Italie. Ils mettent en garde contre les mesures favorisant les licenciements et la précarisation du travail ou incitant au travail au noir.

Fiscalité. Markku Lehmus, (ETLA, Helsinski) : “Distributional and employment effects of labour tax changes: Finnish evidence over the period 1996-2008” utilise un modèle d’équilibre général avec agents hétérogènes pour évaluer l’impact de la baisse de la fiscalité du travail en Finlande de 1996 à 2008. Il montre que celle-ci explique une faible part de la hausse de l’emploi (1,4 point sur 16%) et de la hausse des inégalités de revenu.

Sarah Godar (Berlin School of Economics and Law) et Achim Truger ( IMK and Berlin School of Economics and Law) : “Shifting priorities in EU tax policies: A stock-taking exercise over three decades” analysent l’évolution de la fiscalité dans les Etats de l’UE : de 1980 à 2007, la fiscalité est devenue moins progressive avec la baisse des taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés, et un traitement privilégié des revenus du capital. La crise de 2008 et les difficultés des finances publiques ont freiné temporairement ce mouvement ; la hausse des recettes a cependant été souvent recherchée par la hausse de la TVA.

Alexander Krenek et Margit Schratzenstaller (WIFO) : “Sustainability-oriented future EU funding: A European net wealth tax” plaident pour l’instauration d’un impôt européen sur la richesse des ménages, qui pourrait contribuer à financer le budget européen.

Les conséquences macroéconomiques des inégalités. Bjoern O. Meyer (University of Rome – Tor Vergata) : “Savings glut without saving: retirement saving and the interest rate decline in the United States between 1984 and 2013 », explique 60 % de la baisse du taux d’intérêt aux Etats-Unis entre 1983 et 2013, malgré la baisse du taux d’épargne global des ménages par des facteurs démographiques (la hausse différenciée de l’espérance de vie), le ralentissement des gains de productivité du travail et l’augmentation des inégalités de revenu.

Marius Clemens, Ferdinand Fichtner, Stefan Gebauer, Simon Junker et Konstantin A. Kholodilin (DIW Berlin) : “How does income inequality influence economic growth in Germany?” présentent un modèle macroéconométrique où, à court terme, les inégalités de revenu augmentent la productivité de chaque actif (effet d’incitation), mais réduisent la consommation globale (effet d’épargne) ; à long terme, elles ont un impact négatif sur la formation du capital humain des jeunes des classes populaires. Ainsi, une hausse exogène des inégalités de revenu a d’abord un effet négatif sur le PIB (effet demande), puis positif (effet incitation individuel), puis négatif à long terme (effet capital humain). L’effet est toujours négatif sur la consommation des ménages et positif sur la balance extérieure.

 

 

 




Une reprise à durée déterminée

par Bruno Ducoudré et Xavier Timbeau

La ministre du Travail, Madame Muriel Pénicaud, a décidé de ne plus commenter mensuellement le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois mais de consacrer un point presse chaque trimestre à un tour d’horizon plus général de la situation du marché du travail et, espérons, un bilan des mesures engagées par le gouvernement pour améliorer le marché du travail. Curieusement, en effet, chaque mois les différents ministres du Travail avaient pris l’habitude de commenter, par un communiqué de presse, l’évolution du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois, alors que d’autres statistiques, comme les créations d’emplois ou encore la publication par l’INSEE du taux chômage au sens du BIT à partir de l’enquête Emploi, ne faisait pas l’objet d’une attention égale du ministre et rencontrait dans l’espace médiatique une couverture moindre. En faisant du chômage un objectif central de la politique économique – François Hollande l’avait érigé en condition de sa candidature à sa réélection – les différents gouvernements ont encore accentué la centralité de toute information sur le chômage. La coexistence de deux sources – les demandes d’emploi en fin de mois collectées par Pôle Emploi et le taux de chômage au sens du BIT établi à partir de l’enquête Emploi – a ajouté à la confusion. Or la méthodologie « au sens du BIT » vise à résoudre les faiblesses de la source « administrative », les demandeurs d’emploi en fin de mois. Cette dernière échantillonne mal (puisque sont comptabilisés les chômeurs qui se déclarent comme chômeurs) et est très sensible aux « comportements » de l’administration (accueil des chômeurs, radiations, etc.). Vouloir élargir l’analyse du marché du travail au-delà des informations apportées par le chiffre mensuel de Pôle Emploi est louable. Nous faisons ici, à cette occasion, un rapide panorama de la situation du marché du travail, jusqu’à la fin du deuxième trimestre 2017, c’est-à-dire avant l’élection d’Emmanuel Macron, pour comprendre dans quel contexte et avec quelles perspectives les politiques de l’emploi du gouvernement Philippe s’inscrivent.

Le premier point est que depuis presque deux années, en matière de chômage, les indicateurs indiquent une amélioration franche de la situation économique de l’emploi et du marché du travail. Ainsi, le taux de croissance de l’économie française, à 0,5% lors des trois derniers trimestres, a atteint un rythme qui induit une fermeture de l’écart de production (la différence entre la production potentielle et la production observée) et une décrue nette du taux de chômage. Le rebond de l’activité, couplé aux dispositifs de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche), s’est traduit par un enrichissement de la croissance en emplois : les créations d’emplois salariés ont accéléré pour atteindre 149 400 dans le secteur privé au premier semestre de l’année 2017 et près de 300 000 depuis un an.

Le second point est la baisse du taux de chômage, de 0,5 point en un an et de 1 point depuis son point haut atteint au deuxième trimestre 2015. L’inversion de la courbe du chômage a donc débuté il y a deux ans maintenant. Si la baisse ne s’observe pas aussi franchement du côté des inscrits à Pôle emploi, cette amélioration notable sur le front du chômage s’est accompagnée d’une progression des taux d’activité et d’emploi pour toutes les classes d’âge (cf. graphique 1). Certes le taux d’activité des seniors a le plus progressé (+1,9 point depuis le T2 2015) du fait de la montée en charge des réformes successives visant à retarder l’âge de départ à la retraite, mais celui des 15-49 ans a progressé également de 0,2 point depuis le point haut atteint du taux de chômage en 2015. La baisse du chômage s’est donc faite par une progression de l’emploi et non par des sorties massives du marché du travail, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis.

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Ces chiffres positifs ne doivent toutefois pas masquer une situation toujours dégradée. Le taux de chômage reste à un niveau élevé, de 2,3 points supérieur à son point bas atteint au premier trimestre 2008. Au rythme de baisse du chômage au cours des derniers trimestres, il faudra trois à cinq années pour revenir à la situation d’avant la crise de 2008. De plus, l’amélioration de l’emploi ne garantit pas l’amélioration des conditions d’emploi ou de la qualité des emplois. Ainsi, le taux d’emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) a baissé de plus d’un point depuis 2008 alors que l’emploi en contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, a priori plus précaire, a progressé de 0,8 point sur la même période (graphique 2). Depuis 2015, le taux d’emploi en CDI est stable et l’amélioration du taux d’emploi général s’est faite uniquement par les CDD ou l’intérim. La part de l’emploi à temps partiel pour l’ensemble de la population s’est stabilisée depuis 2015, elle a fortement progressé chez les jeunes (+1,4 point) et les seniors (+0,4 point).

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Alors que la croissance est encore très modeste, de fortes créations d’emplois peuvent indiquer (aux révisions près de la croissance du PIB dans les trimestres à venir) un ralentissement de la productivité. Ce ralentissement pourrait être un symptôme supplémentaire de la précarisation du marché du travail, de la déformation structurelle et des mesures d’enrichissement de la croissance en emplois (notamment les baisses de charges sur les non-qualifiés dans le cadre du Pacte de responsabilité). La productivité apparente dans le secteur marchand non-agricole a ainsi progressé de 0,1% au deuxième trimestre 2017 en glissement annuel, quand notre estimation du taux de croissance tendanciel de la productivité situe celui-ci à 0,8%. Les évolutions de salaires semblent déterminées par la volatilité des prix à la consommation, dont l’origine est liée aux prix du pétrole. Elles sont en apparence plus dynamiques que la productivité, mais la prise en compte du CICE dans le coût du travail (anticipant sa transformation en baisse de cotisations attendue pour janvier 2019) tempère largement le diagnostic et permet de retrouver le rétablissement des marges ou des profits pour les entreprises non financières.

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Le mouvement conjoncturel amorcé depuis quelques trimestres est enclenché de façon robuste. Il a été stimulé par la fin de la crise des dettes souveraines en zone euro, une politique monétaire expansive, une baisse du prix du pétrole et un euro plutôt déprécié par rapport aux monnaies des partenaires commerciaux. La pause dans la consolidation budgétaire, tout comme le redressement des marges des entreprises, expliquent également l’amorce de la fermeture de l’écart de croissance. Certains de ces facteurs positifs devraient s’estomper dans les trimestres qui viennent. La remontée de l’euro, la reprise de la consolidation budgétaire, voire la normalisation de la politique monétaire, pourraient ralentir la reprise. À cela peuvent s’ajouter les effets de court terme de la réforme du marché du travail ou la réduction du nombre des emplois aidés. À plus long terme, la précarisation sensible du marché du travail français pourrait également s’accentuer.

Le gouvernement a ainsi annoncé 310 000 contrats aidés signés en 2017 après 459 000 en 2016, ce qui se traduira mécaniquement par une baisse du nombre de personnes en emploi aidé, notamment dans le secteur non marchand : les contrats les plus fréquents, les CUI-CAE (Contrat unique d’insertion-Contrat d’accompagnement dans l’emploi) avaient une durée moyenne à la signature de 11,6 mois en 2015, ce qui signifie qu’une grande partie des contrats signés au deuxième semestre 2016 arrivent à échéance au deuxième semestre 2017. Le baisse du nombre de contrats aidés ne permettra pas de les renouveler, ce qui pourrait se traduire par une baisse de 50 000 du stock d’emplois aidés non marchands entre fin juin et fin décembre 2017. L’effet d’aubaine étant plus faible pour ces contrats que pour les contrats aidés dans le secteur marchand, la mesure se traduirait par 0,1 point de chômage supplémentaire fin 2017 par rapport à un scénario où les emplois aidés auraient été maintenus à un niveau constant.