Quelles marges de manœuvre pour la politique budgétaire en zone euro face aux menaces de ralentissement ?

par Christophe Blot, Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Raul Sampognaro

L’activité économique en Europe a
donné des signes d’essoufflement qui se sont traduits par un ralentissement en
2018, amplifié en 2019. La croissance du PIB de la zone euro a progressé de 1,2
% au troisième trimestre 2019 en glissement annuel contre 1,6 % un an plus tôt
et 3 % fin 2017. Les perspectives pour 2020 restent moroses et la croissance se
maintiendrait à un rythme de 1,2 % tirée notamment vers le bas par le
ralentissement allemand et la stagnation de l’Italie. Surtout, les risques sur
le scénario de croissance restent principalement orientés à la baisse, ce qui
pose la question de la capacité des autorités budgétaires à réagir pour amortir
un choc négatif et empêcher une éventuelle récession dans un contexte qui reste
marqué par un niveau des dettes publiques bien plus élevé qu’avant la Grande
Récession de 2009.



Dans un Policy
Brief
récent, nous discutons l’évolution de la dette publique et déterminons
quelle devrait être l’orientation des politiques budgétaires des pays de la
zone euro permettant d’atteindre un objectif de 60% de dette publique par
rapport au PIB en 2040. Nos analyses suggèrent qu’un assainissement budgétaire supplémentaire
semble irréaliste dans certains pays (France, Italie, Espagne et Belgique),
remettant en question la crédibilité de cet objectif. Certains pays – Allemagne
en tête – bénéficient cependant de marges de manœuvre pour conduire une
politique budgétaire plus expansionniste, ce qui permettrait non seulement
d’amortir le choc négatif en cours mais aussi d’atténuer les besoins de
consolidation devant être effectués par les autres pays. Il reste cependant que
la convergence vers un ratio de dette publique de 60 % du PIB à l’horizon
2040 pour l’ensemble des pays se traduirait par une réduction de la croissance
dans la zone euro, notamment dans les pays qui accusent déjà un retard de
croissance, renforçant de fait l’hétérogénéité. Comme l’ont montré les
précédents rapports iAGS et iASES. Ces
simulations rappellent que l’orientation de la politique budgétaire en zone
euro doit tenir compte des conséquences qu’elle génère en termes de croissance
du PIB – et par conséquent d’emploi – et de la vitesse de réduction de la dette
publique. Les autorités budgétaires n’échapperont pas à cet arbitrage entre des
objectifs qui peuvent être concurrents.

Cet arbitrage se fait dans un
contexte où les taux d’intérêts nominaux souverains s’établissent à des niveaux
historiquement bas, même négatifs, dans nombreux pays de l’union monétaire. Ce
scénario de taux bas semble être causé par des facteurs structurels
(démographie, montée des inégalités, ralentissement du tendanciel de
productivité) et pourrait être durable. Or, un niveau de taux plus bas facilite
l’ajustement de la dette et donne de l’espace fiscal aux États.
Nous illustrons cet effet en analysant l’impact (modéré) du taux d’intérêt sur
l’exigence de consolidation budgétaire. Ainsi, l’ampleur des marges de manœuvre
budgétaires dépendra fortement de la vitesse d’ajustement de la dette publique souhaitée
et du niveau des taux d’intérêt.




L’industrie européenne va-t-elle se recharger dans la batterie ?

par Sarah Guillou

Le 9
décembre 2019, la Commission européenne a donné son accord aux versements
d’aides d’Etat pour le développement de la recherche et de l’innovation du
secteur des batteries en Europe. Cet accord porte sur un montant de 3,2
milliards d’euros offerts par 7 pays membres ; il est sensé entraîner des investissements
privés pour 5-7 milliards d’euros. Le projet a obtenu le label IPCEI,
c’est-à-dire celui de projet jugé important et portant sur des intérêts
européens communs. La décision ne faisait pas mystère mais elle marque le
démarrage d’une politique industrielle européenne plus décidée que par le passé.



Les batteries seront un
élément important de la transition écologique, d’une part pour assurer la
disparition du moteur à combustion et, d’autre part pour emmagasiner les
énergies renouvelables dont la production est intermittente.

Le secteur de la production des batteries pour les voitures électriques est
en pleine expansion. Le Japon, la Chine et la Corée du Sud dominent le marché,
l’Europe est très loin derrière.

Il est rare
de saisir la stratégie industrielle de l’UE tant elle est souvent brouillée par
les positions contradictoires de ses membres ou dénuée de substance car fondée
sur un consensus minimal retirant toute valeur ajoutée à l’échelon européen.

Les
initiatives pour soutenir la recherche, la production et le recyclage des
batteries amorcées depuis 2017 jusqu’à ce dernier feu vert de Bruxelles aux
aides des Etats font apparaître une stratégie cohérente en matière industrielle,
qui devra cependant être adossée à des arbitrages en matière de politique
commerciale et de politiques urbaines.

L’industrie de la batterie, une industrie
au carrefour du passé et du futur industriel de l’Europe

Elle est
cohérente non seulement avec l’actuelle spécialisation de l’industrie
européenne mais aussi avec les objectifs environnementaux de l’UE. Elle est
cohérente avec son passé, l’automobile, et son futur, l’environnement.

En effet, la
production de batteries va devenir très vite un enjeu crucial pour l’avenir de
l’industrie automobile en Europe qui doit faire face à deux chocs majeurs :
un choc de régulation associé aux limites d’émissions de CO2 et à
l’organisation des mobilités urbaines et un choc technologique mélangeant les
véhicules autonomes, les objets connectés et la voiture électrique. Or cette
industrie représente 700 milliards d’euros de production pour la seule zone euro
et 6,1% de l’emploi total européen. Elle exporte 37% de sa production et participe
fortement à l’excédent commercial de l’UE (Eurostat). Elle réalise 25% de la recherche
et développement (R&D) des 1000 premières entreprises européennes en 2018 (206,3 milliards
d’euros, EU R&D Scoreboard). Volkswagen, Daimler et BMW sont les trois
premiers investisseurs en R&D parmi les 1000 premiers investisseurs
européens tous secteurs confondus. En France, Renault et Peugeot sont les deux
premiers investisseurs en R&D après Sanofi. En outre c’est une industrie
fortement fragmentée sur le territoire européen qui induit une sensibilité très
partagée à tout choc qui toucherait le secteur.

En matière de véhicule
électrique, la batterie est la pièce maîtresse des véhicules électriques, elle
en constitue entre le tiers et la moitié de la valeur ajoutée. De plus, la
production de batteries ne doit pas être trop éloignée, tant physiquement qu’au
sens de l’intégration verticale de la production des véhicules. C’est en effet
un élément de poids, au sens propre, donc les coûts de transports sont élevés,
et au sens figuré parce que c’est l’essentiel de la valeur ajoutée[1]. Or l’UE est très peu
présente dans la production mondiale de batteries.

Du côté du futur, le
« green new deal » annonce un changement de braquet en matière de
contrôle des émissions. La neutralité carbone est visée à l’horizon de 2050. Déjà
la pression est forte sur les constructeurs pour qu’ils passent à l’électrique,
car en effet ils doivent se conformer d’ici 2021 à ce que leurs flottes de
véhicules ne dépassent pas les 95 grammes de CO2 par kilomètre. Ils devront
payer une amende de 95 euros pour chaque gramme additionnel multiplié par le
nombre de voitures vendues. La contrainte est telle que Fiat n’a pas hésité à
s’allier avec Tesla (rachat des crédits d’émission de Tesla) pour se conformer
aux objectifs (voir « Quand Fiat-Chrysler s’offre les crédits Co2 de
Tesla », Les Echos, 6 mai 2019).

Les constructeurs
européens n’ont pas trop tardé à se lancer dans la production de véhicules électriques :
le marché des voitures électriques européen est plus grand que celui des
Etats-Unis. Mais la production européenne, qui représente 22% de la production
mondiale, est réalisée avec des batteries importées.

Les batteries sont
également une pièce maîtresse de la transformation énergétique, les énergies
renouvelables, de nature intermittente, nécessitent d’être stockées. A cet
égard, le stockage dans les batteries de véhicules à l’arrêt pourrait être un
des vecteurs de l’articulation des véhicules avec les besoins en énergie de la
ville.

La réalisation des objectifs du
« green new deal » ne se fera qu’en développant les technologies de
conservation de l’énergie. La disponibilité de batteries bon marché aidera à
développer les énergies renouvelables. Aujourd’hui seuls les Chinois peuvent produire
des batteries bon marché. Mais si on veut transformer les subventions
européennes en profits futurs, faut-il laisser le marché européen totalement ouvert
aux batteries chinoises ?

L’équilibre entre protectionnisme et
ouverture commerciale reste à trouver

L’UE est
fortement insérée dans la légalité internationale et en matière de politique
commerciale, elle a plutôt penché du côté de l’ouverture aux échanges que du
côté du protectionnisme. La concurrence chinoise a rebattu les cartes et l’UE
tend de plus en plus à analyser la réciprocité des conditions de l’échange. Les
subventions publiques chinoises et les barrières posées aux entreprises
européennes pour accéder au marché chinois sont de moins en moins ignorées.
Cependant le rôle de l’UE dans la défense de règles de commerce juste et
équitable, voire le poids de la responsabilité d’être historiquement cette voix
du libéralisme régulé, pourrait contraindre ses marges de manœuvre.

Les
subventions européennes sont-elles légales au regard des règles du commerce
international ? Les Etats-Unis pourraient-ils demain venir contester la
position de leadership du suédois Nothvolt ou du français Saft au motif que ces
entreprises ont reçu des subventions européennes ? Rappelons que l’UE
vient de se faire condamner par l’OMC pour avoir versé des subventions à Airbus
(décision d’octobre 2019) entraînant des droits de douane américains sur 7
milliards de dollars d’exportations européennes.

Les batteries,
des cellules aux packs complets, ont été exclues de l’accord sur les
technologies de l’information (ITA, 1996, 2015). Donc les batteries ne sont pas
couvertes par un accord spécifique. En revanche, une politique de subvention de
la production des batteries pourrait conduire à des mesures de représailles (counterveiling measures). Précisément,
l’accord de l’OMC sur les subventions (Subsidies and countervailing measures,
SCM) prohibe l’usage de subventions qui pourraient affecter le commerce dans la
mesure où elles donneraient un avantage au contenu local.

A contrario, l’UE doit-elle se
protéger de l’entrée des batteries chinoises voire japonaises ?[2]
A l’égard des batteries chinoises, elle pourrait légalement le faire au motif que
leur production a été subventionnée. Mais une telle position n’est pas exempte
d’un effet boomerang sur sa politique actuelle. De
manière plus indirecte, une réglementation en termes de standards relatifs à
l’extraction des minerais et au recyclage des batteries pourrait être mise en
place et reviendrait à protéger les producteurs européens de la concurrence
asiatique tout en renforçant les exigences environnementales et technologiques
du processus de production des batteries.

Enfin, l’UE
doit-elle accueillir à bras ouverts les investisseurs étrangers du secteur des
batteries ? Au regard des objectifs de court terme de l’emploi, de
l’environnement et des transferts de technologie, la réponse doit être
positive. Mais il faut mesurer que cela peut créer une concurrence difficile
pour les nouveaux entrants qui devront faire face à des coûts plus élevés,
étant en bas de la courbe d’apprentissage et ne bénéficiant pas encore d’économies
d’échelle. Le choix de l’ouverture aux investisseurs a jusqu’à présent plutôt prévalu.
On a pu voir ainsi le chinois CATL investir avec BMW en Allemagne, le sud-coréen LG Chem investir en Pologne tandis que Samsung
SDI et SK Innovation se sont implantés en Hongrie.

Il faut
veiller à contrôler ces investissements de telle manière à qu’ils ne soient pas
prédateurs, ni sur la captation de la demande européenne, ni sur la captation
des subventions (tel que cela a pu se produire avec les panneaux solaires).

Des ressources aux débouchés, des
efforts encore nécessaires

Outre la définition du degré
d’ouverture optimale pour le développement de l’industrie, deux autres leviers
majeurs sont à envisager : celui de l’accès aux ressources et celui des débouchés.

En effet, la
question de l’approvisionnement en lithium reste une probable pierre
d’achoppement future. Ces 10 dernières années, la Chine est devenu un
fournisseur incontournable de lithium, en 2019 elle contrôle 60% de la
production de lithium. Les producteurs de batteries doivent s’assurer un approvisionnement
en lithium et en cobalt. Les mines de cobalt se trouvent principalement en
République du Congo, détenues en grande partie par le suisse Glencore mais
aussi le chinois Zhejiang Huayou. Avec la hausse de la demande, les prix de ces
ressources vont augmenter.

Northvolt a signé un accord de
vente en 2018 avec le canadien Nemaska Lithium  pour s’assurer les ressources en hydroxide
de lithium[3]. Les Européens ne
devraient-ils pas joindre leurs forces pour gagner plus d’indépendance en
matière d’accès aux terres rares ?

En matière
de débouchés, il va falloir que les gouvernements locaux soient fortement
incités à modifier leurs parcs de transports publics et à investir dans des
infrastructures favorables aux changements de comportements des agents. Le cas
des villes chinoises qui achètent les bus électriques de BYD – le deuxième plus
grand producteur chinois de batteries et producteurs de véhicules électriques –
et qui contraignent de plus en plus la circulation aux véhicules hybrides ou
électriques montre une autre dimension de la politique très volontariste des Chinois.
La question du traitement comptable de ces dépenses publiques locales, des
aides au financement des investissements aux infrastructures des mobilités
électriques devra être discutée plus précisément à l’échelle européenne. Il
faudrait également penser le déploiement des stations de charge au niveau
européen pour parachever l’intégration européenne des transports.

De plus la technologie
des véhicules électriques est complexe et nécessite aussi un réseau de
sous-traitants notamment en micro-électronique. Enfin, la localisation de la
production de véhicules électriques doit se faire auprès des usines de
batteries et les deux nécessitent de grands espaces. Cela implique une
concordance de plusieurs éléments qui détermineront la localisation de
l’industrie des batteries pour véhicules électriques. Pour le moment, la Chine
cumule tous ces éléments, et le défaut qu’elle peut avoir en termes de
technologie, elle le conquiert en échange du reste – un marché soutenu,
l’engagement de l’Etat, le contrôle des ressources. C’est pourquoi tant
d’entreprises automobiles se sont alliées à des constructeurs chinois pour
produire des véhicules électriques en Chine. L’investissement de CATL en
Allemagne n’est pas une mauvaise nouvelle. Cela signifie que l’Allemagne et
l’Union européenne sont des territoires attractifs pour le fabricant de
batteries chinois. Cela tient au fait que BMW apporte sa technologie mais aussi
au fait que les infrastructures européennes et le marché européen permettent
d’envisager la viabilité de ce marché. La dépendance aux batteries chinoises
sera difficile à éviter à court terme, tant le gouvernement chinois est
pro-actif dans la construction d’un environnement favorable aux véhicules
électriques ; dans ce cas, autant influencer les conditions d’une
interdépendance aujourd’hui tout en pensant l’indépendance future. Les
constructeurs européens gagneront à se servir des compétences des Chinois et de
leurs investissements tout en cherchant à se développer sur des technologies
parallèles et de rupture.

En conclusion, le marché
des batteries illustre une interdépendance saine et démocratique entre la
puissance publique – vecteur des préférences des citoyens – et les entreprises
privées. La régulation sera un élément structurant du secteur et déterminant de
la rentabilité de l’investissement dans le secteur. Tant le prix du carbone que
la régulation sur les émissions que la mise en place d’infrastructures propices
à l’usage des voitures électriques, les subventions directes (achat par l’Etat,
ou financement de la R&D ou autres investissements) ou indirectes
(fiscalité) au développement des véhicules électriques, et in fine le degré
d’ouverture aux investissements et aux importations, créent l’environnement de
la décision d’investissement des acteurs privés. La compétitivité est le
résultat d’un processus continu et stable d’incitations favorables qui
conduisent les acteurs à investir durablement. Si les Etats européens décident,
en accord avec le mandat qui leur a été accordé, de parier et de s’engager dans
l’électrique durablement, alors les acteurs privés pourraient suivre.


[1] De fait
les constructeurs automobiles se sont installés partout où ils vendaient,
rapprochant le lieu de vente et le lieu de production ou au moins d’assemblage.

[2] La concurrence n’est pas seulement chinoise. Du côté des Japonais, pionniers
dans le secteur, l’alliance des constructeurs automobiles avec les producteurs
de batteries a démarré bien avant le projet de consortium européen. Toyota est
très actif dans le domaine de la recherche sur les batteries solides,
planifiant de dépenser plus de 13 milliards de dollars de R&D d’ici 2030 sur les batteries de la prochaine génération.
Un consortium japonais a également été lancé par la New Energy and Industrial
Technology Development Organisation incluant 23 industriels japonais. Les
Japonais risquent bien d’être les leaders des batteries solides avec
l’engagement de Toyota.

[3] Nemaska Lithium est un
producteur canadien d’hydroxide de lithium et de carbonate de lithium.  Il extrait le lithium de sa mine Whabouchi, au
nord de Chibougamau au Québec.




L’impact de la grève de la RATP le 17 décembre pour l’accessibilité de l’emploi

Par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

L’accessibilité de
l’emploi est un indicateur de plus en plus utilisé en géographie urbaine (voir ici,
un exemple
pour Seattle
). Il mesure le nombre d’emplois auquel on peut accéder
en partant d’un point donné (le lieu où l’on réside). L’opération est loin
d’être simple lorsqu’on utilise non pas les kilomètres qui vous séparent de
chaque emploi mais le temps qu’il faut pour se rendre d’un point à un autre en
utilisant le système de transport en commun. Un indicateur d’accessibilité peut
être défini comme la somme de tous les emplois que l’on peut atteindre par les
transports en commun en un temps donné. Il ne s’agit bien sûr pas d’occuper
tous ces emplois, mais de mesurer les opportunités auxquelles ont accès les
individus en fonction de leur lieu de résidence.



La diffusion
d’informations très détaillées sur les systèmes de transport permet de
construire une carte de l’indicateur d’accessibilité sur une grille de point
de départ aussi fine que voulue. Cette information est librement accessible sur
un smartphone grâce au développement depuis 2005 du format GTFS (initialement
Google Transit Feed Specification, aujourd’hui le General Feed
Transit Specification
). Ile de
France Mobilité
, mais aussi la RATP ou encore la SNCF diffusent et
mettent à jour régulièrement les lignes, les horaires théoriques et les accès à
l’ensemble des réseaux de transports, ferrés comme routiers – les funiculaires
sont aussi inclus ! GTFS prévoit également un format temps réel afin de
renseigner les voyageurs sur leur temps d’attente ou leur trouver le meilleure
itinéraire pour se rendre à leur destination.

Cette information détaillée, combinée à un algorithme qui calcule les temps minimums de déplacement sous quelques contraintes (ne pas trop attendre, ne pas trop marcher, ne pas trop changer de moyen de transport) permet de construire un indicateur d’accessibilité à l’emploi par les transports en commun. La carte suivante représente l’indicateur d’accessibilité en transport en commun (métro, RER, tramway et bus) à l’emploi (localisé au niveau de l’IRIS) pour l’unité urbaine de Paris un jour normal de fonctionnement du réseau de transport. Sans surprise, les habitants du centre de l’agglomération bénéficient d’un réseau dense et rapide qui leur permet d’accéder en moins d’une heure à plus de 4 millions d’emplois (sur les 7 que compte l’aire urbaine) qui sont très concentrés eux-mêmes au centre de l’aire urbaine. Le long des lignes de RER l’accessibilité est élevée et plus on s’éloigne du réseau de transport, plus l’accessibilité à l’emploi se réduit. Cet indicateur est théorique puisqu’il ne permet pas les déplacements multimodaux (voiture puis RER, ou encore vélo+métro) et ne prends pas en compte ni la congestion (qui est un facteur essentiel pour les déplacements en voiture) ni les temps de parcours effectifs sur les réseaux ferrés. Malgré tout, il donne une bonne indication de la géographie urbaine.

La carte suivante est construite en dégradant le réseau de transport de la RATP conformément aux informations de trafic pour la journée du 17 décembre 2019. Le mouvement social conduit à la fermeture totale d’une dizaine de lignes de métro, de réductions importantes de la fréquence sur le RER A et B, les lignes de métro 3, 4, 7, 8, 9 et 11, les tramway T1, T2,  T3A, T3B, T6 et t8,  de réductions de trajet sur les lignes 8, 9 et 11 et enfin de réductions de la fréquence ou d’interruptions de trafic sur les lignes de bus. Tout ceci conduit à un allongement des temps de transport et réduit l’accessibilité de l’emploi.

La dernière carte représente la perte relative d’accessibilité. Elle résulte de la différence en pourcentage des deux précédentes.

Note technique : les cartes présentées sont réalisées à partir de données et logiciels en données ouvertes. La carte routière est la carte Open Street Map téléchargée sur le site data.gouv.fr le 15/12/2019. Le fichier GTFS est celui publié par Ile de France mobilité et téléchargé le 12/12/2019. Les données d’emploi à l’IRIS sont celles pour l’année 2009 issues du dispositif CLAP de l’INSEE téléchargé sur data.gouv.fr en octobre 2019. Seule l’année 2009 est disponible la maille IRIS. OpenTripPlanner (version 1.4) est utilisé pour le calcul des isochrones à partir de la carte OSM et des données GTFS IDFM. Enfin, nous utilisons R et RStudio et notamment les packages tidyverse, tidytransit et tmap pour traiter les différentes données et produire les cartes. Le code sera prochainement disponible.




La BCE a-t-elle perdu la tête ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 12 septembre 2019, la BCE a
annoncé une série de nouvelles mesures d’assouplissement de sa politique
monétaire assez représentative de l’arsenal de mesures maintenant à disposition
des banques centrales. En effet, il a non seulement été décidé d’une réduction
de taux d’intérêt – celui des facilités de dépôts – mais aussi de reprendre les
achats d’actifs à compter du 1er novembre 2019, de lancer une
nouvelle vague d’octroi de liquidités en contrepartie des crédits accordés par
les banques de la zone euro. Au cours d’une de ses dernières réunions à la tête
de la BCE, Mario Draghi a également innové en introduisant un système de palier[1]
pour la rémunération – à taux négatif depuis juin 2014 – des réserves
excédentaires. Enfin, il a également souligné que la BCE conditionnerait une
normalisation des taux seulement lorsque l’inflation convergera vers la cible
de 2 % indiquant également que cette convergence serait appréciée à l’aune
de l’évolution de l’inflation sous-jacente.

Ces annonces ont fait l’objet de
vives critiques à la fois d’anciens banquiers centraux européens mais également
au sein même du Conseil des Gouverneurs de la BCE ; la représentante
allemande du Directoire ayant même démissionné de ses fonctions le 31 octobre.



Dans un Policy
Brief
, nous analysons les motivations qui ont conduit la BCE à
prendre de nouvelles mesures de soutien. La faiblesse de l’inflation depuis
plusieurs années, la perte d’ancrage des anticipations et les perspectives d’un
ralentissement économique justifient une politique monétaire qui reste
accommodante. Nous discutons également des différentes critiques émises. Notre
analyse suggère qu’elles sont faiblement fondées. Premièrement, il a été avancé
que des taux d’intérêt bas pourraient augmenter le taux d’épargne des ménages
en raison d’un effet de revenu[2].
Nous montrons que cela ne se matérialise pas sur les données récentes. Nous
n’observons une telle corrélation que pour l’Allemagne, et ce déjà avant 2008,
ce qui jette un doute sur le sens de la causalité. Deuxièmement, il est avancé
que les bénéfices des banques sont menacés en raison des faibles taux
d’intérêt. Les données montrent cependant que les bénéfices des banques n’ont
pas baissé et se redressent même depuis 2012. Troisièmement, en utilisant un
indicateur des déséquilibres financiers, nos analyses suggèrent qu’il n’y
aurait pas de bulles sur les marchés immobilier et boursier de la zone euro
considérés dans leur ensemble.


[1] Rappelons que les banques de la zone euro sont tenues
de conserver, auprès de la BCE, des réserves dites obligatoires en fonction des
dépôts qu’elles collectent. Les réserves excédentaires sont les liquidités
laissées par les banques sur leur compte auprès de la BCE, au-delà des réserves
obligatoires. Avant la décision du 12 septembre, l’intégralité des réserves
excédentaires était rémunérée au taux des facilités de dépôts. Celui-ci étant
négatif, ces réserves étaient de fait taxées. Depuis, les réserves excédentaires
sont exonérées de ce taux négatif tant qu’elles ne dépassent pas un certain
seuil – un multiple des réserves obligatoires – fixé par la BCE.

[2] L’impact du taux d’intérêt sur l’épargne peut être
décomposé en deux effets : substitution et revenu. Selon l’effet de
substitution, la baisse des taux réduit l’incitation à épargner au profit de la
consommation. L’effet de revenu suggère que les ménages souhaitent maintenir un
certain niveau de revenu de leur épargne. Ainsi, en réduisant les gains à l’épargne,
cet effet indique que les ménages vont épargner plus pour maintenir ce niveau
de revenu souhaité.




Time for Climate justice

Par Eloi Laurent

On September
18th 2019, 16 years old climate activist Greta Thunberg appeared
before the United States House of Representatives. When asked to submit a
formal version of her inaugural statement, she replied that she would be giving
lawmakers a copy of the IPPC special report on the impacts of global warming of
1.5 °C, the so-called “SR 1.5“. “I am submitting this
report as my testimony because I don’t want you to listen to me, I want you to
listen to the scientists”, she said eloquently.



By the same
token, when asked what words she wanted to be printed on the sails of the boat
carrying her across the Atlantic Ocean from Sweden to the US, she asked for a
blunt message urging citizens and policymakers to act upon climate knowledge:
“Unite behind Science”. Greta Thunberg deserves considerable praise for her
intelligence, courage and determination in the face of ignorance, skepticism
and animosity. But she is wrong on one important point: nations and people
around the world won’t unite behind science. They will only unite behind
justice.

Any
meaningful conversation among humans about reform, change and progress starts
with debating justice principles at play and imagining institutions able to
embody these principles. This is especially true of the titanic shift in
attitudes and behaviors required by the climate transition, which goal is
nothing short of saving the hospitality of the planet for humans.

Climate
injustice is obvious in our world. On the one hand, a handful of countries,
about ten percent (and a handful of people and industries within these
countries) are responsible for 80% of human greenhouse gas emissions, causing
climate change that is increasingly destroying the well-being of a considerable
part of humanity around the world, but mostly in poor and developing nations.
On the other hand, the vast majority of the people most affected by climate
change (in Africa and Asia), numbering in the billions, live in countries that
represent almost nothing in terms of responsibility but are highly vulnerable
to the disastrous consequences of climate change (heat waves, hurricanes,
flooding) triggered by the lifestyle of others, thousands of miles away.

Why is
climate change still not mitigated and actually worsening before our eyes,
while we have all the science, technology, economics, and policy tools we need
to fix it? Largely because the most responsible are not
the most vulnerable, and vice-versa
.

And yet, the time may be ripe for
climate justice to take center stage in international negotiations. Data
compiled by the Global Carbon
Project
released last week show that top emitters are converging in
terms of climate responsibility (table 1).

Of course, China remains by far
the first polluter: the country has emitted in 2018 roughly twice the volume of
CO2 than the US, thrice the amount of the EU, four times the amount of India,
five times the amount of Russia. Consider the amount per capita, and the
picture changes dramatically: a citizen of the United States emits more than
twice CO2 than a Chinese. And yet, for the first time, a European is (slightly)
less responsible than a Chinese in terms of per capita emissions. Conversely, it
is well established that historical responsibility for greenhouse gas emissions
falls largely on the shoulders of Western countries, with the US and the EU
jointly responsible for half of emissions since the industrial revolution,
while China only accounts for less than 15%. And yet, for the first time, China
is as responsible as the US when emissions are counted since 1990 onwards (both
countries accounting for 20% each of emissions over the 1990-2018 period).

It is thus the right time to
devise actionable equity criteria, commonly agreed upon top emitters, as to how
distributing the remaining “carbon budget” (the overall amount of emissions
remaining before the Earth’s climate reaches a catastrophic tipping point, approximately
1200 billion tons of carbon that remain to be emitted over the next three
decades so as to limit the rise of ground temperatures to around 2 degrees by
the end of the 21st century).

But as incredible as it may seem,
the formal global conversation has not yet started on climate justice: as the
COP 25 ends in Madrid and all eyes turn to COP 26 for a renewed climate
ambition, countries are still negotiating at the UN on volumes of emissions
that do not take into account current and projected population, human
development level, geographic basis (production vs. consumption emissions),
historical responsibility, etc. By the same token, The
Paris Agreement
(2015) mentions the term “justice” only a single
time, to affirm that signatories recognize “the importance for some of the
concept of ‘climate justice’”. This is clearly a misinterpretation. The whole
point of climate justice is precisely that it is not confined to a few nations
or important for a few people: it should be the concern of all involved in
climate negotiations.

It can be shown that the
application of a hybrid but relatively simple model of climate justice based on
five criteria would lead to substantially cutting global emissions in addition
to the carbon budget (by 36%) over the next three decades which would ensure
meeting the goal of 2 degrees, and even targeting 1.5 degrees, thereby
enhancing the fairness of this common rule with respect to the most vulnerable
countries and social groups (see table 2).

As available data make clear, we are collectively missing the wrong targets on climate. Even if all countries fulfilled their pledges and reach their targets, the increase in temperatures would still be of 3 degrees by the end of the 21st century (or twice the target agreed upon at the Paris Agreement in 2015). In other words, what is lacking is not just the political will but also the imagination. Climate justice is the way out of this impasse. Climate justice is the key to understanding and eventually solving the urgent climate crisis. Climate justice is the solution to climate change.