La BCE a-t-elle perdu la tête ?

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par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 12 septembre 2019, la BCE a annoncé une série de nouvelles mesures d’assouplissement de sa politique monétaire assez représentative de l’arsenal de mesures maintenant à disposition des banques centrales. En effet, il a non seulement été décidé d’une réduction de taux d’intérêt – celui des facilités de dépôts – mais aussi de reprendre les achats d’actifs à compter du 1er novembre 2019, de lancer une nouvelle vague d’octroi de liquidités en contrepartie des crédits accordés par les banques de la zone euro. Au cours d’une de ses dernières réunions à la tête de la BCE, Mario Draghi a également innové en introduisant un système de palier[1] pour la rémunération – à taux négatif depuis juin 2014 – des réserves excédentaires. Enfin, il a également souligné que la BCE conditionnerait une normalisation des taux seulement lorsque l’inflation convergera vers la cible de 2 % indiquant également que cette convergence serait appréciée à l’aune de l’évolution de l’inflation sous-jacente.

Ces annonces ont fait l’objet de vives critiques à la fois d’anciens banquiers centraux européens mais également au sein même du Conseil des Gouverneurs de la BCE ; la représentante allemande du Directoire ayant même démissionné de ses fonctions le 31 octobre.

Dans un Policy Brief, nous analysons les motivations qui ont conduit la BCE à prendre de nouvelles mesures de soutien. La faiblesse de l’inflation depuis plusieurs années, la perte d’ancrage des anticipations et les perspectives d’un ralentissement économique justifient une politique monétaire qui reste accommodante. Nous discutons également des différentes critiques émises. Notre analyse suggère qu’elles sont faiblement fondées. Premièrement, il a été avancé que des taux d’intérêt bas pourraient augmenter le taux d’épargne des ménages en raison d’un effet de revenu[2]. Nous montrons que cela ne se matérialise pas sur les données récentes. Nous n’observons une telle corrélation que pour l’Allemagne, et ce déjà avant 2008, ce qui jette un doute sur le sens de la causalité. Deuxièmement, il est avancé que les bénéfices des banques sont menacés en raison des faibles taux d’intérêt. Les données montrent cependant que les bénéfices des banques n’ont pas baissé et se redressent même depuis 2012. Troisièmement, en utilisant un indicateur des déséquilibres financiers, nos analyses suggèrent qu’il n’y aurait pas de bulles sur les marchés immobilier et boursier de la zone euro considérés dans leur ensemble.


[1] Rappelons que les banques de la zone euro sont tenues de conserver, auprès de la BCE, des réserves dites obligatoires en fonction des dépôts qu’elles collectent. Les réserves excédentaires sont les liquidités laissées par les banques sur leur compte auprès de la BCE, au-delà des réserves obligatoires. Avant la décision du 12 septembre, l’intégralité des réserves excédentaires était rémunérée au taux des facilités de dépôts. Celui-ci étant négatif, ces réserves étaient de fait taxées. Depuis, les réserves excédentaires sont exonérées de ce taux négatif tant qu’elles ne dépassent pas un certain seuil – un multiple des réserves obligatoires – fixé par la BCE.

[2] L’impact du taux d’intérêt sur l’épargne peut être décomposé en deux effets : substitution et revenu. Selon l’effet de substitution, la baisse des taux réduit l’incitation à épargner au profit de la consommation. L’effet de revenu suggère que les ménages souhaitent maintenir un certain niveau de revenu de leur épargne. Ainsi, en réduisant les gains à l’épargne, cet effet indique que les ménages vont épargner plus pour maintenir ce niveau de revenu souhaité.

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