L’économie européenne 2020

par Jérôme Creel

Comme chaque année, un peu avant
le printemps, l’OFCE publie dans la collection « Repères » des
Editions La Découverte un ouvrage synthétique sur l’état de l’économie
européenne et sur les enjeux de l’année à venir, L’économie
européenne 2020
. Il faut bien admettre que lors de la préparation de l’ouvrage,
dont le dernier chapitre a été achevé au tout début de l’année 2020, nous n’avions
pas anticipé que l’épidémie liée au coronavirus en Chine engendrerait la crise
sanitaire et économique globale dont nous subissons les effets depuis quelques
semaines. Aussi l’ouvrage ne répond-il pas à l’actualité essentielle du moment.
Il livre cependant quelques pistes de réflexion qui s’avéreront sans doute utiles
lorsque la phase aiguë de la crise sanitaire aura été dépassée. Ces pistes de
réflexion concernent l’impulsion politique européenne des derniers mois de
l’année 2019 et les ambitions de la nouvelle Commission européenne, les
perceptions des Européens à l’égard de l’Union européenne et les outils
macroéconomiques à mobiliser pour contrecarrer un ralentissement économique ou
une fragilisation du secteur bancaire.



Comme nous avons coutume de le
faire chaque année, est reproduite ici l’introduction de L’économie européenne 2020. Les parties de phrase en italiques sont
des ajouts visant à actualiser (un peu) le texte.

En 2020, Mesdames Christine
Lagarde et Ursula von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de
l’Europe, la première à la tête de la Banque centrale européenne et la seconde
à celle de la Commission européenne, dans un environnement européen et
international compliqué. Depuis le pic de croissance de 2017, l’activité
économique en Europe a donné de sérieux signes d’essoufflement. Dans un
contexte marqué notamment par l’incertitude politique – notamment quant à
l’évolution des tensions commerciales avec les États-Unis et à l’organisation
effective du Brexit –, et par la perspective de la fin du cycle
d’expansion américain et par la survenue
d’une crise sanitaire, économique et financière sans précédent
, se pose désormais
la question des marges de manœuvre européennes pour mener des politiques
économiques plus expansionnistes.

Du côté de la Commission
européenne, les projets ne manquent cependant pas : une nouvelle
stratégie de croissance, le Pacte vert (ou Green Deal), a pour but d’assurer
une transition écologique juste et équitable, tandis que le renouveau de
l’Europe sociale vise à assurer la justice sociale, « fondement de
l’économie sociale de marché européenne ». Il passera notamment par des
initiatives concernant les salaires minimums en Europe, le mécanisme de
réassurance chômage européen, les mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes
et les incidences à long terme du vieillissement de la population européenne.

Du côté de la Banque centrale
européenne, les changements prévus sont moins en rupture avec la présidence
précédente : poursuite des mesures non conventionnelles pour respecter le
mandat principal de la BCE et soutenir l’économie de la zone euro, et poursuite
de la mise en œuvre des politiques dites macro-prudentielles.

Cet ouvrage dresse un état des lieux de l’Union européenne et met en perspective l’ensemble des initiatives annoncées. Après avoir présenté l’état de la conjoncture européenne (avant le déclenchement de la crise sanitaire) et les effets probables de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et après avoir analysé les attentes des Européens à l’égard de l’Union européenne, l’ouvrage se concentre sur les grands thèmes mis en avant par la nouvelle Commission européenne : la nécessité de faire face au changement climatique et aux transformations des sociétés européennes. À cette fin, les questions de dette climatique européenne et celles d’inégalités environnementales en Europe sont abordées mais aussi les transformations des marchés du travail et le financement de la dépendance. Les initiatives de la Commission européenne s’inscrivent dans une période d’attentes plus critiques de la part des citoyens européens. S’ils continuent généralement à avoir un a priori positif à l’égard de la participation de leur pays à l’Union européenne, ses actions concrètes semblent engendrer une rupture entre les perdants et les gagnants de l’intégration européenne. Et les premiers, qui sont ceux qui attendent de l’UE qu’elle les protège mieux, sont aussi ceux qui expriment la confiance dans l’UE la plus faible pour mettre en place cette protection. L’ouvrage présente alors deux types de politiques susceptibles de mieux protéger les Européens : une politique budgétaire d’assurance-chômage européenne et une politique macro-prudentielle chargée d’assurer la stabilité bancaire en Europe.




La BCE face à la crise du Covid-19 : encore un effort?

par Christophe Blot et Paul Hubert

La BCE annonçait le jeudi
12 mars
une première série de mesures pour répondre au choc économique lié
au Covid-19. Cependant, ces annonces n’ont pas eu les effets escomptés sur les
marchés financiers et ont même probablement ajouté de l’incertitude. Au-delà
des craintes sur l’état de l’économie de la zone euro, la réponse de Christine
Lagarde à une question d’un journaliste durant la conférence de presse sur les
écarts de taux au sein de la zone euro a déconcerté par son décalage avec la
situation actuelle. Bien que la BCE ait annoncé un nouveau plan de rachats
d’actifs dans la soirée du 18 mars, il reste que toutes les solutions aux
problèmes de la zone euro n’ont pas encore été explorées.



Les mesures prises par la BCE

Dans la situation actuelle, l’action des banques centrales est essentielle pour soutenir la croissance et éviter que le ralentissement de l’activité et ses répercussions financières ne se transforment en crise bancaire ou des dettes souveraines. C’est la raison pour laquelle la BCE garantit aux banques l’accès à la liquidité par le biais d’opérations de refinancement et qu’elle a également renouvelé les accords avec la Réserve fédérale lui permettant d’offrir des liquidités en dollar[1]. La BCE a, dans un premier temps, annoncé qu’elle achèterait 120 milliards d’euros d’actifs supplémentaires d’ici la fin de l’année dans le cadre de son programme APP (Asset Purchase Programme). À ce montant se sont ajoutés 750 milliards d’euros dans le cadre d’un nouveau programme qualifié de PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) annoncé le 18 mars[2]. Les achats seront étalés sur l’année 2020 et seront répartis sur les différentes classes d’actifs déjà acquises par la BCE et, pour les achats de titres publics, en continuant de respecter la limite de détention par émetteur[3] et la clé de répartition selon la part dans le capital de la BCE[4], ce qui conduira la BCE à acheter une proportion plus forte de titres allemands que de titres italiens ou espagnols.

Ces achats permettront
d’assouplir les conditions de financement pour le secteur privé comme pour les États
de la zone euro, ce qui permettra d’accompagner les efforts entrepris par les
gouvernements pour soutenir l’activité. On peut ainsi espérer que ces mesures,
et notamment la deuxième annonce bien plus conséquente, permettront de calmer
les tensions qui ont de nouveau émergé sur les marchés de dette souveraine. Ces
derniers jours, les investisseurs avaient effectivement délaissé les titres
souverains de certains pays (Italie, Espagne, Portugal et dans une moindre
mesure France) au profit des titres allemands (graphique), même si le rendement
de ces derniers est reparti à la hausse ces derniers jours[5].

Lors de la conférence de presse
du 12 mars, Christine Lagarde a évoqué la propagation de l’épidémie à plusieurs
reprises, elle est restée étonnamment silencieuse sur les écarts (« spread »
en anglais) de taux d’intérêts. À la question d’un journaliste à ce
propos, Christine Lagarde a même déclaré que le rôle du Conseil des Gouverneurs
n’était pas de fermer les écarts de taux[6]
amplifiant immédiatement les tensions sur les marchés. Christine Lagarde est
cependant revenue un peu plus tard sur cette réponse déclarant qu’elle
s’engageait à éviter la fragmentation dans la zone euro et que des écarts de
taux élevés pénalisent la transmission de la politique monétaire.

L’erreur de communication en était-elle
une ?

Doit-on interpréter la phrase de
Christine Lagarde comme une erreur
de communication 
? Une autre interprétation est que cette réponse
spontanée de Christine Lagarde pendant la conférence de presse reflète
l’absence de consensus au sein du Conseil des gouverneurs qui avait eu lieu
dans la matinée et la réticence d’une partie des membres à prendre des
engagements sur les écarts de taux, qui contraindraient les banques centrales
de l’Eurosystème à acquérir une importante quantité de titres publics. En
particulier, cela pourrait avoir pour incidence d’enfreindre la règle de
répartition des achats de titres s’il s’avérait nécessaire d’acheter
massivement des titres souverains italiens[7]. Pour
certains membres du Conseil des gouverneurs, la BCE ne doit pas refinancer les États
et la garantie que les écarts de taux seront réduits pourrait être interprétée
comme le signal implicite d’un tel financement. Les voix discordantes qui
s’étaient exprimées en septembre 2019 à la suite des mesures expansionnistes
annoncées par Mario Draghi donnent du crédit à cette interprétation[8].

Cette hypothèse semble confirmée
par la déclaration de Robert Holzmann, gouverneur de la Banque centrale
d’Autriche, le mercredi 18 mars, jugeant que la politique monétaire de la BCE
avait atteint ses limites[9] et qui a
fait passer en moins de quelques heures les taux italiens de 2,4 à 3%. Cette
sortie a poussé la BCE à publier un communiqué de presse démentant cette
allégation tandis que sa chef économiste, Isabel Schnabel a, plus tard dans la
journée, insisté sur la capacité de la BCE à intervenir pour assurer la
transmission de la politique monétaire. Des mots aux actes, il n’y a eu qu’un
pas, franchi dans la soirée du 18 mars avec l’annonce du PEPP. Toutes les
marges de manœuvre n’étaient donc pas épuisées et les déclarations du
gouverneur autrichien, dans un contexte financier déjà très chahuté, ont en
réalité probablement poussé la BCE à corriger le tir.

Pourquoi et comment réduire les écarts de
taux ?

Pour autant, bien qu’il semble
que la BCE prenne la mesure de la crise et du risque d’un ralentissement très
brutal de l’activité, la question des écarts de taux dans la zone euro demeure
et les déclarations de Christine Lagarde ou d’Isabel
Schnabel
à propos de la fragmentation n’offrent pas de réponse adéquate sur
ce point. Le maintien de la clé de répartition pour les achats de titres va
continuer à soutenir plus activement le marché des titres allemands que celui
de la dette italienne puisque les achats sont proportionnels au PIB des États
membres. Le communiqué de la BCE indique que les achats pourront être réalisés
avec une certaine souplesse, ce qui signifie que la clé de répartition sera
respectée sur l’ensemble de la durée du programme mais pas nécessairement en continu.
Néanmoins, tant que la BCE n’aura pas remis en cause cette règle, la question
des écarts de taux subsistera.

Au-delà des potentiels
déséquilibres macroéconomiques et financiers existants, la crise actuelle résulte
avant tout d’une crise sanitaire. La réponse à cette dernière par le
confinement réduit fortement l’activité économique, ce qui pèsera sur l’emploi,
les revenus et la situation financière des entreprises. La réponse des États
au choc du Covid-19 sera en grande partie budgétaire avec des mesures destinées
à éviter les faillites d’entreprises, d’entrepreneurs, d’indépendants et
maintenir le pouvoir d’achat des ménages. De plus, avec la baisse à venir du
PIB, les ratios de déficit et de dette publique vont mécaniquement augmenter.
Ces efforts ne peuvent pas être réduits à néant par une hausse des taux qui réduirait
les marges de manœuvres et viendrait atténuer l’effet multiplicateur de la
politique budgétaire par le canal du risque souverain[10].

Christine Lagarde a d’ailleurs
appelé le 12 mars les gouvernements à mettre en œuvre les politiques adaptées et
coordonnées pour faire face au choc[11]. Dans
la mesure où cette action ne peut pas être obtenue via le budget européen qui est limité, les décisions seront
nécessairement prises par les États membres, ce qui pèsera donc sur
leur dette nationale. Cette action sera certes d’autant plus efficace qu’elle sera
coordonnée mais, étant donné la gouvernance européenne, elle restera d’abord du
ressort des États.

Il apparaît ainsi évident que la
banque centrale peut éviter une spirale où la hausse anticipée des déficits
provoque une hausse des taux, en particulier pour les pays dont la situation
macroéconomique était déjà fragile et la dette publique élevée. Pour ce faire,
le principal levier est donc de limiter une hausse des taux et l’apparition
d’écarts trop importants au sein de la zone euro. En l’absence de budget
européen, c’est à la BCE que revient la mission de coordonner implicitement les
efforts déployés par les États membres en finançant massivement les émissions de
dette liées aux plans de soutien.

La BCE pourrait ainsi annoncer
qu’elle garantit que les écarts de taux ne dépasseront pas un seuil donné
pendant le temps de crise indépendamment de toute annonce sur un montant
d’achats d’actifs. Il s’agirait d’une nouvelle version de l’OMT
– qui avait été annoncée lors de la crise des dettes souveraines en septembre
2012 par Mario Draghi – via laquelle
la BCE s’engagerait à acheter des titres de dette jusqu’à une maturité de trois
ans sans fixer de limite de montant a priori mais seulement une limite quant à
la durée de l’opération. La BCE enverrait ainsi un signal puisqu’en tant
qu’institut émetteur de la monnaie, elle a la possibilité de créer des réserves
en quantité importante, ce qui rend l’annonce crédible et efficace. Comme le
suggère Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, la conditionnalité[12] pourrait
cette fois porter sur les titres de toute maturité et limiter à la durée de la
crise liée au Covid-19 et aux mesures exceptionnelles prises pour y faire face.
Cette option rencontrera des réticences au sein du Conseil des gouverneurs
puisqu’elle conduit à envisager l’absence de limites pour les achats de titres.

Une autre solution pourrait être
de modifier, temporairement, la clé de répartition en fondant celle-ci non pas
sur le PIB des États membres mais sur les niveaux de dette[13]. En
l’état, même si le signal envoyé aux gouvernements et aux investisseurs est
rassurant, acheter une part plus élevée de dette allemande plutôt qu’italienne
ne va que très faiblement contribuer à réduire la fragmentation. Le dernier
paragraphe du communiqué de presse du 18 mars suggère que la BCE réfléchit à la
possibilité de reconsidérer la clé de répartition[14]. Le
plus tôt sera le mieux pour donner toute latitude aux États de gérer cette crise
sanitaire.


[1] La BCE a effectivement proposé des nouvelles
conditions pour les TLTRO-III (Targeted
long-term refinancing operations
) qui permettent aux banques d’obtenir un
refinancement en contrepartie des crédits qu’elles octroient aux entreprises.
Les banques pourront ainsi emprunter jusqu’à mille milliards d’euros (jusque
juin 2021) à un taux pouvant être inférieur de 25 points au taux des facilités
de dépôts, soit -0,75 %. Elle a aussi annoncé une opération de
refinancement à très long terme sans aucune conditionnalité. Cette dernière
mesure permet ainsi de répondre aux besoins de liquidité dans l’éventualité
d’une panique bancaire.

[2] Pour comparaison, l’annonce du premier programme
d’assouplissement quantitatif (APP) de la BCE était de 60 milliards d’euros sur
19 mois (de mars 2015 à septembre 2016) soit 1 140 milliards d’euros,
tandis que les achats d’actifs pour 2020 se montent à 1 050 milliards
d’euros (les 870 milliards d’euros annoncés ces derniers jours auxquels il
convient d’ajouter les 20 milliards d’euros par mois annoncés en septembre
2019, soit 180 milliards d’euros additionnels).

[3] Fixée à 33% pour les obligations souveraines. Les
Pays-Bas et l’Allemagne sont au-dessus des 30% donc très proches de la limite,
tandis que la France et l’Italie sont autour des 20%, en raison d’une dette
publique plus élevée (en % du PIB).

[4] Pour information, au 30 janvier 2020, la Bundesbank
représentait 21,4%, la Banque de France 16,6% et la Banque d’Italie 13,8%.

[5] Ce mouvement est aussi observé sur les taux
américains qui ont augmenté de 0,5 point entre le 9 et le 17 mars après avoir
fortement baissé (passant de 1,6 % début février à un creux de 0,5 %
le 9 mars). Dans un contexte de marasme boursier, la baisse du rendement
souverain américain traduisait sans doute une réallocation des portefeuilles
des investisseurs pour des actifs jugés liquides et sûrs. La contagion mondiale
de l’épidémie et du ralentissement économique et la perspective d’un soutien
budgétaire massif du gouvernement américain pourrait expliquer le surajustement
des taux américains.

[6] « We are not here to
close spreads 
».

[7] La répartition des achats de titres dans le cadre du
programme PSPP prévoit effectivement que ceux-ci soient déterminés en fonction
de la part des États
membres dans le capital de la BCE, ce qui signifie en pratique que la BCE
détient une proportion plus importante de titres allemands, puis français,
italiens…

[8] Voir Blot et Hubert (2019) pour une analyse des critiques qui avaient suivi les
mesures prises en septembre 2019.

[9] « monetary
policy has reached its limits ».

[10] Voir Corsetti, Kuester, Meier et Müller (2013).

[11] « an
ambitious and coordinated fiscal stance is now needed in view of the weakened
outlook ».

[12] Dans le cadre de l’OMT, la BCE s’engageait à acheter
les titres de dette à condition que les États adoptent un programme d’aide via le FESF / MES.

[13] Elle achète effectivement une part – du fait du poids
du PIB plus élevé de l’Allemagne – plus importante d’une dette moins élevée en
% du PIB. Cet argument est avancé et précisé dans Blot et Creel (2017).

[14] « To the extent that some self-imposed limits
might hamper action that the ECB is required to take in order to fulfil its
mandate, the Governing Council will consider revising them to the extent
necessary to make its action proportionate to the risks that we face. »




La dépendance aux intrants chinois et italiens des industries françaises

Sarah
Guillou[1]

La
crise sanitaire déclenchée par le coronavirus va constituer un choc récessif
majeur dont l’impact est à ce jour difficile à chiffrer puisqu’il s’agit d’un
choc sans précédent (voir Xavier Timbeau (L’économie au temps du COVID-19,
9 Mars 2020, Blog OFCE) et Pierre-Olivier
Gourinchas (Flattening the Pandemic and Recession
Curves
, 13 Mars 2020).
Entre autres préoccupations, cette crise provoque une large prise de conscience
des interdépendances productives, aussi appelée, chaîne de valeurs ajoutée
mondiale (CVM).

Proprement
ignorée voire niée par l’administration de Donald Trump ou encore par les
défenseurs du Brexit, il va apparaître fatalement que la méconnaissance de ces
interdépendances productives est une carence pour la définition des politiques
commerciales et industrielles et aujourd’hui pour la mesure des vulnérabilités
de certains secteurs. Je montre ici l’ampleur des dépendances des industries
françaises aux intrants chinois et italiens au-delà des seuls secteurs manufacturiers.
Il ne faudrait cependant pas tirer de ces vulnérabilités des louanges pour un
retour à l’autarcie.



L’interdépendance
des entreprises au sein d’un réseau mondial de production, la multiplicité
d’aller-retour entre pays de fragments de produits et de services sont mises à
jour par les pénuries potentielles et les ruptures d’approvisionnement
qu’anticipent les entreprises et les responsables sanitaires une fois les
stocks épuisés. Les chaînes de valeur mondiales sont bien connues des
économistes du commerce international. Ce phénomène a fait l’objet de beaucoup
de littérature et de nombreux rapport (voir un rapport du CEPR (2015), The Age of Global Value Chains: Maps and
Policy Issues
, édité by João Amador and Filippo di Mauro, et un rapport
plus récent de la Banque
mondiale, Trading for Developpement in the age of
Global Value Chain
, 2020). L’impact du coronavirus sur les CVM a été
abordé récemment par Baldwin et Tomiua (CEPR, Ebook, Economics on the time of COVID-19,
2020) qui soulignent un processus de contagion parallèle tout au long des CVM,
tant par la rupture de la production que par celle de l’acheminement.

La
province de Hubei où sied la ville de Wuhan d’où est partie la crise est une
plaque tournante entre autres des industries automobiles, de semi-conducteurs,
des fibres optiques et d’acier. L’Italie, de son côté, est au cœur de l’Europe
manufacturière. D’autres centres de production majeurs seront progressivement
touchés mais je me concentre seulement sur la Chine et l’Italie pour la
pédagogie du propos.

Pour
calculer la dépendance de la production aux intrants étrangers, on utilise les
tables inputs-outputs qui sont des tables croisées des besoins en intrants
(inputs) domestiques et étrangers de chaque industrie.[2]

La dépendance directe aux intrants chinois
et italiens

Il
n’existe pas un secteur de l’économie marchande française – à un niveau agrégé
à 2 chiffres – qui ne dépende au premier ordre, c’est-à-dire directement, d’un
intrant en provenance de Chine. Le tableau suivant montre que les taux de
dépendance – c’est-à-dire la part de la production qui dépend des intrants
chinois et/ou italiens – varient entre les secteurs : de 0,2 % pour
le secteur agroalimentaire à 3 % pour le secteur textile et habillement
(en 2014, les derniers chiffres disponibles pour les tables internationales).
Il va de soi que les taux de dépendance varient à l’intérieur des secteurs. Que
le secteur des équipements électriques soit dépendant à 2,4 % au premier
ordre des inputs chinois, ne dit pas que toutes les entreprises appartenant à
ce secteur le sont à ce degré. Si on retient les 15 premiers secteurs en
matière de besoins en intrants chinois, 13 sur 15 sont issus de l’industrie
manufacturière. Les trois derniers sont le secteur des télécommunications, le Transport
aérien
, et la Construction.

La
dépendance de premier ordre (directe) aux intrants italiens est plus élevée
mais les industries les plus dépendantes sont assez semblables à celles
dépendantes des intrants chinois : il s’agit des secteurs
manufacturiers : du textile (7 %) aux produits non métalliques (1,7 %).
Cela révèle la plus forte insertion dans les chaînes de valeurs mondiales de
certaines industries indépendamment de l’origine des intrants et donc de leur
multi-vulnérabilité aux chocs de leurs fournisseurs. En l’espèce, elles
subiront au moins deux chocs : le choc chinois et le choc italien.

Cela
corrobore aussi le fait que les chaînes de valeur de la production française
sont plus européennes qu’asiatiques, c’est aussi le cas de la production allemande
et de celles des autres pays européens. La part des inputs européens est bien
plus grande pour toutes les industries françaises que la part des inputs
chinois et asiatiques – de 1 à 28 % pour la dépendance directe aux inputs
aux européens contre un maximum de 4 % pour l’Asie (Chine comprise).

Mais
ce qui compte, c’est la multinationalité des maillons essentiels. La
concentration de l’interdépendance productive au sein de l’Europe n’immunise
pas de la rupture des chaînes en raison de la dépendance en abîme.

Par
exemple, si pour la production d’un produit P, il faut 10 intrants essentiels
dont 8 sont réalisés à l’étranger. Il suffira qu’un de ces intrants soit
réalisé en Chine pour que la chaîne de production soit interrompue. Plus
encore, il suffira qu’un seul des 8 fournisseurs soit lui-même dépendant de
manière essentielle d’un fournisseur chinois pour que la chaîne soit
interrompue. Et cela en abîme, car ne pas dépendre d’un input chinois au
premier ordre ne protège pas de la dépendance de son fournisseur, ou du
fournisseur de son fournisseur, ou encore du fournisseur, du fournisseur du
fournisseur… ! Le raisonnement est le même pour l’Italie, l’industrie
française peut dépendre d’un fournisseur allemand mais ce dernier peut lui-même
dépendre de l’Italie et ainsi de suite.

La dépendance indirecte de second ordre aux
intrants chinois et italiens

Afin
d’estimer la dépendance de second ordre, il faut connaître la dépendance des
fournisseurs des industries françaises aux inputs chinois ou italiens. Pour
cela on utilise également les tables input-output.

La
dépendance au premier ordre des industries précédentes est renforcée au
deuxième ordre (si on additionne les coefficients par industrie). Il s’agit
toujours principalement des secteurs manufacturiers, de la construction et du
secteur des télécommunications pour ce qui concerne la Chine.

Ce
qui est vrai pour le manufacturier est vrai pour des secteurs dont on peut
penser qu’ils sont plus immunes aux intrants étrangers, notamment les services.
S’ils dépendent peu de l’étranger au premier ordre, leur dépendance s’accroît si
on ajoute les dépendances aux ordres supérieurs dans la mesure où ils dépendent
toujours in fine d’inputs
manufacturiers dépendant au premier ordre fortement des intrants étrangers.
C’est le cas des services utilisant beaucoup d’intrants numériques. On peut en
effet calculer des coefficients de dépendance à l’ordre 3, 4, etc. Ils
révèleraient l’existence d’un arbre de dépendance à plusieurs niveaux et du
schéma fractal des chaînes de valeurs mondiales. Les coefficients en seraient
d’autant plus grands.

Les
tables input-output expriment la dépendance technique. La dépendance économique
dépend de la capacité qu’ont les entreprises de substituer un autre
fournisseur. Si cela est possible, cela prendra forcément du temps. Pour
certaines entreprises, la paralysie ne sera que temporaire, mais beaucoup
d’inputs ne sont produits qu’en Chine. Il est difficile de ne pas imaginer
qu’un fournisseur d’un ordre inférieur ne soit pas exclusivement dépendant d’un
input chinois. Il est envisageable que les inputs italiens trouvent plus de
substituts en Europe (la nature de la spécialisation y étant plus comparable
entre les pays), mais l’extension de l’épidémie aux autres pays va compliquer les
effets de substitution. L’extension du coronavirus aux autres pays ne fera
qu’augmenter les occasions de rupture de la chaîne de production. Ainsi l’Inde,
grande productrice de médicaments, dépend à 70 % des molécules de base
chinoises. Et bien entendu, la pharmacie française dépend des fournisseurs
indiens. Si l’Inde subit la même paralysie que la Chine, la rupture des chaînes
d’approvisionnement sera plus longue à se réparer.

Contagion des chocs et politique de
découplage

Certains
observateurs concluent à la nécessité du découplage des économies. Le
découplage signifie la disparition – ou au moins la réduction – des
interdépendances des économies. Le souhait politique est équivoque car il
sous-estime la dualité du processus : devenir moins dépendant des
importations étrangères est une chose, que les autres deviennent moins
dépendants de nos exportations en est une autre, mais en est assez rapidement
la contrepartie. Le motif économique répond à la volonté de protéger les entreprises
d’une trop forte dépendance aux chocs étrangers.

La
recherche de nouveaux fournisseurs, temporaires, pourrait changer les habitudes
et ouvrir de nouvelles routes de la fragmentation de la production. La Nikkei Asian Review (15 février 2020)
cite le cas du fabricant de vêtements de sport Asics qui envisage de
délocaliser sa production de Wuhan vers le Vietnam. Si l’adoption d’une
stratégie de diversification des fournisseurs peut avoir du sens à long terme,
la stratégie de court terme pour pallier la crise strictement chinoise a
rapidement tourné court dans la mesure où l‘épidémie s’est propagé au-delà de
la Chine.

La
stratégie de rapatriement est sans doute plus compliquée car les compétences ne
sont pas forcément toujours présentes sur le territoire domestique et la
comparaison du coût de production en situation normale et du coût de production
en situation de crise hypothétique ne se fera pas, car la crise est
imprévisible tout comme son coût.

Mais
cet épisode de crise sanitaire pourrait en premier lieu – et en lieu et place
du découplage entre économies – accélérer la digitalisation des échanges :
dans la gestion du conditionnement des marchandises, mais aussi des containers
par robot, dans la multiplication de l’automatisation de la production et de la
gestion à distance. La vision de l’économie mondiale de Richard Baldwin (The Globotics upheaval, 2019) pourrait
devenir plus rapidement une réalité généralisée à tous les secteurs. Le
découplage risque de se porter sur les hommes vis-à-vis des machines plutôt
qu’entre les économies. Le robot est insensible aux virus humains[3].

De la dépendance technique à la dépendance
politique

Pour
conclure, ce billet utilise beaucoup le terme de dépendance, il s’agit d’une
dépendance technologique au sens de la structure de la fonction de production,
au sens des coefficients techniques de la matrice input-output. Il ne s’agit
pas d’une dépendance politique ou stratégique. Pourtant, la remise en cause des
chaînes de valeurs mondiales dont on parle aujourd’hui, en ces temps de crise,
se fonde sur cette idée de dépendance qui met en danger et fragilise. Or ce que
révèlent d’abord les tables inputs-outputs, c’est la profondeur des
interdépendances et l’interconnexion des industries de tous les pays. Le
préfixe « inter » est fondamental. Certes un choc sur un maillon de
la chaîne a un impact en cascade et c’est un problème économique qui trouve
d’insuffisantes réponses politiques, faute d’acceptation d’interdépendances des
gouvernances nationales.

Mais
il faut se garder d’en conclure directement que cette fragmentation est un
problème politique ou qu’elle pose des questions d’indépendance souveraine pour
deux raisons.

La
première est que s’il apparaît politiquement correct de souhaiter disposer de
l’autonomie d’approvisionnement de certains produits jugés indispensables à la
sécurité, à la santé, à la souveraineté, c’est très souvent économiquement un
leurre. Aujourd’hui la plupart des biens et services échangés sont complexes et
donc l’autarcie (produire quelque chose sans recourir à un intrant étranger)
est une aporie au-delà de la production de composants primaires ou peu
transformés. L’autarcie européenne pourrait s’entendre sur certains produits et
ce n’est qu’à cette échelle qu’elle pourrait être pensée pour des produits
identifiés comme vitaux. Mais ce qui restera vital in fine sera le pouvoir d’achat plutôt que le pouvoir de produire.
Autrement dit – et pour éviter toute ambiguïté – il est préférable de conserver
le niveau de richesse (et de production donc) permettant d’acheter des
médicaments de base plutôt que de s’évertuer à être producteur de ces
médicaments de base, et allouer nos facteurs de production au mieux.

La
seconde tient en ce que la dépendance économique est plus souvent le problème
de celui qui vend et qui est dépendant de la demande. Ainsi la dépendance
économique qui est vraiment problématique est celle des pays producteurs de
ressources naturelles. C’est bien du côté de l’offreur que se situe la
dépendance et non du côté de l’acheteur. Ainsi, l’incidence du choc du
coronavirus sur le prix du pétrole, mais aussi sur le prix du cuivre par
exemple, deux matières premières très sensibles à la demande chinoise, va
mettre à mal les économies pétrolières comme l’Algérie, l’Iran et l’Arabie saoudite
puis la Russie, le Chili et le Pérou. Pour rappel, la Chine absorbe la moitié
de la production de métaux industriels et 10 % de la production de
pétrole. Le problème de ces économies n’est pas l’insertion dans les chaînes de
valeurs, mais leur propre spécialisation productive. Dans un autre registre, la
France est productrice de services de tourisme – 7 % de son PIB –
tout comme le Portugal et l’Espagne – 12 % de leur PIB – ces pays
souffriront de ce qu’ils sont dépendants de la capacité et volonté d’achats des
autres.

La
crise sanitaire a fait apparaître des pénuries de matériel médical voire de
médicaments. Par exemple, la pénurie de masques de chirurgie a conduit
l’Allemagne, la Russie, Taiwan et la Thaïlande à restreindre les exportations
de masques. La Chine, productrice de la moitié des masques, n’a pas mis en
place de restrictions[4].
Même si ses exportations ont ralenti de
facto
par la croissance de la demande domestique, sa production a fortement
augmenté pour répondre à la forte demande. Être acheteur de médicaments en
provenance de Chine n’est donc a priori pas un problème tant qu’on a les moyens
de les payer et eux de les vendre.

La
crise du coronavirus perturbe toutes les lois du commerce, tout comme les
interactions sociales. Et donc, on pourrait manquer de médicaments, non pas que
les Chinois ne veuillent les vendre ou les produire, mais du fait de
l’incapacité de commercer[5].

Historiquement,
la dépendance économique a plutôt été du côté de ceux qui produisent plutôt que
de ceux qui achètent. La crise du coronavirus renverse les perspectives en
faisant apparaître les difficultés d’approvisionnement et donc des acheteurs,
mais elle fait surtout apparaître la dualité du marché : celui qui offre
est toujours, aussi, le demandeur d’un autre.


[1] Je remercie Raphaël
Chiappini et Cyrielle Gaglio pour leurs remarques et réflexions autour de ce
post.

[2] J’utilise les tables WIOT
car elles couvrent un grand nombre de pays (44 dont l’UE) et désagrègent
l’économie en 56 secteurs. Le calcul se concentre sur les 50 secteurs de
l’économie marchande. Voir pour la méthode des calculs, Guillou (2020), French Input-output Tables and foreign
inputs dependency
. Les données ne sont pas des plus récentes (2014), mais
c’est moins la valeur des coefficients qui importe que la structure de la
dépendance que les tables révèlent.

[3] Il vient à l’esprit
immédiatement que la cybersécurité sera le pendant de la sécurité sanitaire.

[4] The Economist, 7 mars 2020, page 19, « New world curriculum ».

[5] Cela est le cas tant que la
production n’est pas elle-même rationnée par la disponibilité des facteurs de
production ou des contraintes d’exportation.

[5] Cela est le cas tant que la production n’est pas elle-même rationnée par la disponibilité des facteurs de production ou des contraintes d’exportation.




Généalogie des 12 milliards d’euros de déficit du système de retraite à combler en 2027

Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Jusqu’à présent la
réforme des retraites avait plutôt bien résisté aux mouvements de contestation,
mais crise sanitaire oblige, le président Macron a décidé de la suspendre. Le
projet de loi adopté à l’Assemblée nationale devait être présenté prochainement
au Sénat. Fin avril, la conférence de financement devait aussi fournir les
conclusions de ses travaux pour trouver des solutions afin de combler le manque
de financement de 12 milliards en 2027. Cet article propose de revenir sur la
généalogie de ce chiffrage.



Comme annoncé dans
son programme présidentiel de 2017, le Président Macron a décidé de refonder le
contrat social en instaurant dès 2025 un nouveau système de retraite universel (SUR)
dont la règle simple « chaque
euro cotisé doit donner les mêmes droits » serait garante d’une plus
grande justice. Avec un système actuel très complexe, composé de 42
régimes et autant de règles de calcul des droits, cette proposition de réforme
systémique a d’abord reçu un accueil plutôt favorable, et notamment le soutien des
syndicats réformistes comme la CFDT et son leader Laurent Berger. Même si l’on sait
qu’une réforme des retraites est toujours difficile à faire accepter en France,
l’instauration du SUR se présentait sous les meilleurs auspices, comme semblaient
le présager les consultations menées pour le gouvernement par le
Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye. En parallèle à ces consultations, le président
de la République et le gouvernement ont rappelé à plusieurs reprises qu’une
telle réforme nécessitait que le système soit à l’équilibre financier lors de
la mise en place du SUR, c’est-à-dire en 2025.

Compte
tenu des nombreuses réformes passées, on aurait pu croire que le problème de
solvabilité du système de retraite avait été résolu à moyen terme. Le graphique
1 reproduit la prédiction pour l’année 2025 telle qu’elle a pu être estimée par
le COR entre novembre 2007 et novembre 2019. En 2007, la perspective d’un
équilibre financier semblait éloignée avec un déficit anticipé de 2,3 % du
PIB. À la suite des réformes Woerth en 2010 (recul de l’âge de la retraite de
60 à 62 ans, rapprochement des régimes de la fonction publique et les régimes
spéciaux du Régime général) et Touraine en 2014 (augmentation de la durée de
cotisation requise), ce déficit anticipé a été considérablement réduit, puisqu’en
juin 2016, le COR prédisait l’équilibre financier pour 2025. Pourtant dès juin
2017, la révision des hypothèses démographiques, macro-économiques et de
croissance de la masse salariale publique – certainement trop optimistes – ont
fait réapparaître un déficit structurel de moyen terme pour l’année 2025.

Afin
de clarifier la situation financière, le premier ministre Edouard Philippe a commandé
au COR une étude prospective spécifique sur la période 2020-2030. Publiée en
novembre 2019, cette dernière présente une évaluation des besoins financiers du
système de retraite selon quatre contextes d’évolution de la productivité (taux
de croissance compris entre 1 et 1,8 %) et selon trois « conventions
comptables ». Dans tous les cas de figure, l’équilibre financier n’est pas
garanti. À l’aune de ce déficit prévisible, le gouvernement avait initialement
décidé d’instaurer, dans son projet de loi, un âge minimum de taux plein (ou âge
pivot) dès 2022 qui basculerait progressivement de 62 à 64 ans en 2027 et en deçà
duquel un individu ne pouvait pas obtenir une pension à taux plein (article
56bis). Face à la montée de bouclier contre cet âge pivot et le risque de
perdre ses principaux soutiens, le gouvernement a accepté la proposition de
Laurent Berger de mettre en place une « conférence de financement »
dont la mission est de proposer des financements alternatifs à la condition que
ces derniers permettent d’atteindre un montant de 12 milliards d’euros en 2027
(et 10 milliards en 2025).

Mais d’où proviennent ces 12
milliards ?

La
dernière étude du COR ne donne pas une mesure unique du déficit en 2027 mais
douze mesures comprises entre 8,9 et 21,5 milliards d’euros. L’évaluation du
COR est assez peu sensible à l’hypothèse de croissance de la productivité en
raison de la faiblesse de l’horizon de simulation. De ce fait, pour ne pas
accumuler les chiffres redondants, est présentée, dans le graphique 2, la valeur
moyenne des quatre scénarios de productivité pour chaque année pendant la
période 2020-2030. En revanche, le déficit estimé se montre très variable selon
la convention comptable employée.

Mais
pourquoi donc utiliser trois conventions ? Le COR a pour mission de
réaliser un exercice de prospective à législation inchangée. Si pour certains
régimes de retraite, la notion de législation inchangée est simple (règles
de calcul et taux de cotisation inchangés), pour l’État, cette notion peut
présenter deux acceptions en ce qui concerne le taux de cotisation. Une première
acception du concept de législation constante est celle d’obligation pour l’État
d’équilibrer ses régimes de retraite en sa qualité d’employeur. Dans ce cas, la
contribution employeur doit toujours garantir un « Equilibre permanent des
régimes » (EPR) gérés par l’État (fonction publique d’État et régimes
spéciaux). Selon cette convention, le déficit serait alors d’environ 13,6
milliards en 2027. La seconde convention suppose un taux de cotisation constant
(TCC). Une telle mesure permet alors d’évaluer l’importance du déficit financier
du système de retraite lorsque l’État ne recourt pas à une hausse systématique
de sa contribution en tant qu’employeur, ce que ne peuvent pas faire les
autres régimes de retraite. Selon cette convention, le déficit serait d’environ
20,5 milliards en 2027.

Le
COR propose également une troisième convention comptable : l’Effort de l’État
constant (EEC). Cette mesure est intéressante car elle fournit une notion de
taux de financement macroéconomique de l’État constant. Par le passé, les
différentes mesures prises par les gouvernements pour contenir la dépense
publique ont notamment visé à ralentir la hausse du nombre d’emplois publics
ainsi qu’à geler la valeur du point d’indice du traitement des fonctionnaires, politique
salariale qui a aussi pour effet de baisser le montant de leur pension. Il en
découle que sur la période 2020-2030, la masse des pensions versées par l’État
progresse moins vite que le PIB. Cette convention donne ainsi une évaluation
élargie d’une disponibilité budgétaire potentielle à taux de dépense constant
de l’État. Selon cette convention, le déficit pourrait être réduit à environ 10
milliards d’euros.

Le
secrétaire d’État aux retraites Laurent Pietraszewski (voir https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/retraite-a-point-le-point-sur-les-chiffres) a expliqué, le 18 janvier dernier, que le
gouvernement a fixé un objectif financier intermédiaire entre les scénarios EEC
et EPR. Le Premier ministre a ainsi exigé que la « conférence de
financement » aboutisse à une solution permettant un financement à hauteur
de 12 milliards d’euros en 2027 (et 10 milliards en 2025), montant qui
correspond également à ce que rapporterait un âge minimum de taux plein de 64
ans. L’État s’engage donc à aller au-delà de ses seules obligations d’équilibrer
ses régimes publics. Implicitement, cela signifie aussi qu’il apporte un
soutien financier, partiel et de l’ordre de 2 milliards d’euros, à des régimes
déficitaires des travailleurs du secteur privé, en l’occurrence principalement
le Fonds de solidarité vieillesse (5 milliards de déficit), la CNAV (1,5
milliard) ainsi qu’au régime des agents territoriaux et de la fonction publique
hospitalière (CNRACL) déficitaire d’environ 5,4 milliards d’euros en 2027.

Lors de son allocution du lundi 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé que la crise induite par l’épidémie de coronavirus nécessitait de suspendre la réforme des retraites. Ce texte devait être prochainement discuté devant la Sénat tandis que la conférence de financement devait faire connaître ses conclusions fin avril. Dans la foulée de la déclaration présidentielle, la conférence de financement a annoncé qu’elle suspendait dès-à-présent ses travaux. Une question centrale est désormais posée : quel pourrait être l’impact économique, social et financier à moyen terme de la crise sanitaire et de la mise à l’arrêt d’une partie du secteur productif ? Même si les estimations du COR soulignent l’impact limité des hypothèses de productivité sur le déficit à moyen terme, on peut se demander si l’estimation de 12 milliards à combler en 2027 reste pertinente dans ces conditions.




Pourquoi la Fed n’a-t-elle pas réussi à rassurer les marchés ?

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Face au risque croissant d’un fort coût économique de l’épidémie de coronavirus, la Réserve fédérale a décidé, le 3 mars, de baisser son taux directeur d’un demi-point. Cette décision a été prise lors d’une réunion extraordinaire du Comité de politique monétaire (FOMC). Au-delà de l’effet escompté sur les conditions de financement, la décision de la banque centrale envoie aux marchés le signal de sa détermination à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour amortir la baisse prévisible de la croissance américaine. La Réserve fédérale espérait également sans doute calmer la tempête boursière ; l’indice Dow Jones ayant baissé de 13 % la semaine précédant la décision. Sous l’hypothèse que le prix des actifs financiers cotés reflète toute l’information disponible, la variation de l’indice Dow Jones, à la suite de l’annonce de la Réserve fédérale, nous renseigne sur l’interprétation que les marchés ont faite de cette annonce de baisse des taux.



En théorie, une baisse non anticipée par les marchés des taux d’intérêts devrait se traduire par une hausse des cours boursiers. En effet, des taux plus bas augmentent la valeur actualisée des flux de revenus futurs – dividendes – , ce qui accroît la valeur fondamentale des actions. Puisque la réunion du 3 mars n’était pas inscrite au planning des réunions de 2020, la décision prise par le FOMC était forcément non anticipée par les marchés[1].

De nombreuses analyses – qualifiées d’études d’événement – s’appuient sur l’information contenue dans l’évolution des prix de différents actifs après les annonces des banques centrales pour en déduire l’impact de la politique monétaire. L’information que l’on peut tirer de ces variations de prix est d’autant plus pertinente qu’il n’y a pas d’autres annonces économiques simultanément aux décisions de politique monétaire. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que la fenêtre dans laquelle sont observées les fluctuations de prix est étroite[2]. Ainsi, sur la base d’une fenêtre de 30 minutes (allant de 10 minutes avant l’annonce à 20 minutes après) autour de l’annonce du 3 mars, on observe que l’indice Dow Jones a progressé de 0,4 % (graphique). Cette hausse fut néanmoins temporaire et l’indice est ensuite rapidement reparti à la baisse, si bien qu’en fin de séance le Dow Jones clôturait à un niveau inférieur à son cours d’ouverture (-3,2%). Bien que l’on ne puisse pas observer quelle aurait été l’évolution de l’indice sans cette décision, force est de constater que la Réserve fédérale n’est pas parvenue à atténuer la panique boursière.

Peut-on en déduire que la baisse du Dow Jones suggère que la politique monétaire serait inefficace pour enrayer le ralentissement ? Une interprétation est que les investisseurs ont fait une autre lecture de la décision de la Réserve fédérale. En convoquant une réunion d’urgence et en précipitant la décision de baisser son taux directeur, le FOMC envoie le signal que la situation économique est plus préoccupante que ce qu’anticipaient les marchés. Nakamura et Steinsson (2018) ont récemment mis en évidence ce canal de transmission à propos des décisions de politique monétaire de la Réserve fédérale[3]. Ainsi, les annonces des banques centrales informent les investisseurs sur l’orientation future de la politique monétaire et révèle aussi des signaux sur l’état de l’économie tel que perçu par la banque centrale[4]. Or si la baisse des taux conduit bien à faire monter le prix des actions, la dégradation de la situation macroéconomique réduit les perspectives de revenus futurs et donc leur prix. A la suite de la réunion du 3 mars, il semble donc que ce soit le deuxième effet qui ait finalement dominé. Il ne faut cependant pas en conclure que la baisse des taux est inutile car quelle que soit la réaction des marchés, les conditions de financement de l’économie ont bien été assouplies.

Les regards se portent maintenant sur l’annonce de la BCE qui aura lieu ce jeudi 12 mars. Cette réunion étant prévue de longue date et les conséquences économiques du coronavirus apparaissant de plus en plus évidentes, la réaction des marchés financiers devrait cette fois être davantage liée aux mesures qui seront prises.

Graphique. Évolution du Dow Jones durant la journée du mardi 3 mars 2020

[1] Notons cependant que les marchés avaient sans doute anticipé que la Réserve fédérale allait baisser son taux directeur lors de la réunion planifiée du 18-19 mars.

[2] Voir Gürkaynak, R. et J. Wright (2013). “Identification and inference using event studies”, The Manchester School, 81, 48-65.

[3] “High-frequency
identification of monetary non-neutrality: the information effect.” The Quarterly Journal of Economics,
133(3), 1283-1330.

[4]
Précisons qu’il ne s’agit pas ici de faire l’hypothèse que la Fed dispose de
plus d’information ou d’une meilleure information, mais seulement que ses
actions et annonces révèlent ou confirment quelles informations entrent dans sa
fonction de réaction.




L’économie au temps du COVID-19

par Xavier Timbeau

Peut-on faire du calcul économique face à une crise
sanitaire ? Poser la question semble obliger à répondre non. Pourtant, nous
allons nous livrer à cet exercice morbide, espérant y trouver quelques éléments
utiles à la réflexion pour les décisions difficiles à prendre dans les
prochains jours.



Les épisodes passés analysés
après le SARS-Cov de 2003

La première question est de savoir quelles peuvent être les
conséquences économiques d’un scénario de pandémie grave (c’est-à-dire comparable
à la grippe espagnole de 1918). Quelques études nous renseignent sur ce point. McKibbin
et Fernando ont mis à jour des travaux de simulations macroéconomiques réalisés
après l’épisode du SARS-Cov en 2003
, repris dans un ebook publié par VoxEU
très récemment et étoffé d’autres analyses économiques.

L’objectif de ces travaux était de quantifier l’impact
économique d’une pandémie. Les résultats sont impressionnants. Appliqué au
COVID-19, l’impact dépend des scénarios de morbidité (nombre de personnes en incapacité
pendant quelques semaines à la suite de la maladie), de mortalité (nombre de
décès) et d’extension de la pandémie. Il pourrait atteindre jusqu’à presque –10
points de PIB mondial suivant les scénarios.

Le scénario le pire est celui d’une pandémie globale
d’ampleur comparable à la grippe espagnole de 1918 induisant le décès de 22
millions de personnes. Aucun pays n’y échappe, même si l’effet n’est pas le
même suivant le niveau de développement ou suivant l’efficacité du système de
soins. Ces chiffres rejoignent d’autres études, suscitées par les craintes au
moment de l’épidémie de SARS-Cov en 2003, qui analysaient l’impact possible
d’un scénario « grippe espagnole » et qui le transposaient de 1918 à
nos jours. Là encore, dans le pire des cas, c’est-à-dire ceux dans lesquels une
grande part de la population mondiale est infectée conduisent à des effets de
cet ordre de grandeur. Le
Congress Budget Office avait ainsi estimé en 2005 une perte d’activité annuelle
de l’ordre de 5 points de PIB
, la Banque
mondiale avait un diagnostic proche
, publié en 2006. D’autres études
peuvent conclure à des conséquences moins graves (en particulier le travail de James
et Sargent de 2007
). Les différences principales tiennent aux scénarios
sanitaires retenus et en particulier la morbidité et la mortalité. Ces
scénarios eux-mêmes reposent sur des appréciations différentes selon les modes
de transmission des pandémies entre 1918 et aujourd’hui. On peut retenir que
dans le cas d’une pandémie globale grave, les impacts sur le PIB la première
année se situent dans une fourchette allant de –1 point de PIB à près de –10
points de PIB, puis nuls à moyen terme. L’analyse d’autres scénarios de
pandémies comme la grippe dite asiatique de 1957 ou celle dite de Hong Kong de
1968, d’extension et de gravité moindres entre dans ce cadre.

2 canaux : l’absentéisme
et la rupture des interactions sociales

Il y a deux canaux principaux. Le premier est un choc
d’offre, déclenché par les absences au travail et la perturbation des chaînes
de production. Tous les secteurs ne connaissent pas les mêmes impacts mais les
interdépendances entre secteurs diffusent les effets à toute l’économie, soit
par des ruptures de quantité ou par des effets de prix à la suite des pénuries.
Le second est un canal de demande, touchant les secteurs économiques où les
interactions sociales sont déterminantes. Les mesures de confinement délibérées
et décidées par les pouvoir public : comme en Chine au début de l’épidémie
ou en Italie très récemment) se combinent avec des mesures d’auto-confinement
(on ne va plus faire du tourisme dans des zones infectées, on ne va plus dans
des lieux publics – cinéma, théâtre, restaurant, transport. Les secteurs les
plus touchés sont ainsi tous ceux qui procèdent du tourisme (qu’il soit privé
ou professionnel, interne à un pays ou de clients étrangers), des services à la
personne ou encore de certains achats qui seront reportés, particulièrement
dans le secteur manufacturier. Les impacts à court terme peuvent être différents
selon les secteurs : les baisses d’activité de certains secteurs pourront
être compensées demain (les achats de biens durables) alors que certaines
pertes d’activité sont irrécupérables (les spectacles annulés ne feront pas
plus d’entrées après la crise sanitaire). De nombreuses entreprises, y compris
de grande taille, peuvent être acculées à la faillite, ce qui supposerait de
longues années pour reconstruire les capacités, surtout si des politiques
différentes selon les pays conduisent à des relocalisations d’activité.

On peut imaginer également des effets cliquets, l’expérience
de la privation pouvant se prolonger au-delà de la crise sanitaire ; mais
généralement, on estime que les effets de la pandémie s’estompent assez
rapidement une fois passée la crise sanitaire, c’est-à-dire au bout d’une
dizaine de semaines.

On ajoute parfois des effets d’incertitude ou liés aux
paniques financières. Cependant, une crise sanitaire a une date de fin assez
prévisible. Son ampleur peut être plus ou moins grande, mais ce n’est pas tant
l’incertitude que les réponses de politiques publiques qui comptent.

Les réponses
sanitaires sont déterminantes quant à la gravité de la pandémie

La réponse de politique sanitaire est déterminante pour
limiter la gravité de la pandémie. Seule une fraction des cas donne lieu à des
situations critiques (estimé autour de 20% dans le cas du COVID-19 par l’OMS) qui
nécessitent des soins particuliers. Une fraction de cette fraction nécessite
des soins critiques (ou soins intensifs). Le renforcement des hôpitaux, en
concentrant les centres de soins intensifs sur les cas les plus graves et en
reportant les demandes de soins plus ordinaires sur d’autres structures, la
concentration des moyens sur les infrastructures de soins, le report des
activités sanitaires non urgentes, le renforcement des moyens des hôpitaux, y
compris la rémunération des personnels soignants sont autant d’éléments
essentiels.

Mais, parce qu’il contribue à limiter l’engorgement des
centres de soins en brisant les chaînes de contamination et en ralentissant la
cinétique de la pandémie, le confinement de la population est déterminant dans
le bilan sanitaire. Ainsi, deux
analyses conduites en comparant les différentes villes américaines pendant la
grippe espagnole de 1918
montrent que les stratégies de confinement ont un
rôle essentiel pour limiter la mortalité pendant la pandémie. Ayant adopté des
politiques de confinement plus ou moins restrictives et surtout plus ou moins
précoces, les villes ont eu des conséquences très différentes en termes de
mortalité. Les politiques de confinement les plus restrictives auraient diminué
de moitié la mortalité. D’autres analyses corroborent ces éléments. Par exemple
cette analyse
de la fermeture des écoles en cas d’épidémie aux États-Unis
estime une
réduction de 40% du flux de malades au pic. Sur la base d’un modèle à agents, calibré
sur des scénarios de pandémie observés, Laura
Fumanelli et ses co-auteurs
concluent qu’une politique de fermeture des
écoles pendant deux semaines peut réduire jusqu’à 50% l’engorgement du système
de santé au pic. Une conséquence de ce confinement est l’absentéisme du
personnel de santé, mais cet effet ne suffit pas à contrebalancer le
soulagement apporté en cas de pandémie étendue.

Le coût économique du confinement est important. La
fermeture des écoles par exemple accroît l’absentéisme des parents. Pour les États-Unis
ou le Royaume-Uni (d’après cette
étude par exemple
) 4 semaines de fermeture des écoles coûtent entre 0,1 et
0,3 point de PIB. Mais on peut ajouter à ces chiffres, le signal envoyé à la
population et aux touristes étrangers qui aura un impact sur l’absentéisme des
non parents et sur la demande des secteurs à interaction sociale. Dans un scénario
de confinement généralisé, proche de celui imposé en Chine au début de
l’épidémie de COVID-19 ou encore récemment mis en place en Italie, dont les
effets se feraient sentir sur 12 semaines, on aurait un impact comparable à
celui d’une pandémie à forte morbidité – bien qu’avec une morbidité plus
faible. La conséquence économique pourrait être jusqu’à 5 points de PIB perdus
sur une année.

Quels coûts du
confinement pour quels bénéfices ?

Les incertitudes qui entourent les scénarios indiquent la
difficulté des choix de politique publique. Il est presque impossible
d’anticiper l’ampleur de la pandémie. Il est encore possible que la pandémie
s’arrête rapidement comme l’épidémie de SARS en 2003. Elle peut aussi s’étendre
et être particulièrement létale. Les analyses des épidémiologistes sont
cruciales pour réduire les possibles et donner des probabilités aux différents scénarios,
mais en l’état les fourchettes d’évaluation sont considérables.

Le gouvernement britannique est un des rares à avoir
communiqué un « scénario du pire », qui n’est pas une prévision mais sert à
qualifier l’urgence de la situation. Il estime que dans le pire des cas (par la
voix de son governement’s
chief Medical Adviser
) 80% de la population pourrait être infectée, que 20%
de la population britannique pourrait être absente de son travail à un moment
ou un autre, ce qui suggère une pandémie à large échelle, en se basant sur 1%
de taux de mortalité sur les cas graves et jusqu’à 100 000 victimes (voir
aussi cette
évaluation citée dans le guide du gouvernement britannique à propos du COVID-19
).
Ce scénario du pire raisonnable (le gouvernement britannique parle de Reasonable
Worst Case –
RWC) n’est pas le pire que l’on puisse imaginer.

Or si le confinement strict et précoce aurait des
conséquences économiques presque sûres, il pourrait largement réduire la
mortalité liée à la pandémie. Dans un scénario à mortalité élevée, disons
200 000 décès pour la France et donc au-delà du raisonnable selon le
gouvernement britannique, en se basant sur une réduction de la mortalité de 50%
grâce aux mesures de confinement, de l’ordre d’un mois de fermeture des écoles
et une réduction pendant 12 semaines de nombreuses interactions sociales, ce
sont 100 000 décès qui pourraient être évités en France.

D’après le
rapport « Eléments pour une révision de la vie humaine » d’E. Quinet
de 2013
, la valeur statistique de la vie humaine à utiliser dans les analyses
coûts-bénéfices conduite par l’administration française est de 3 millions
d’euros. S’il évite 100 000 morts, le confinement aurait une valeur
implicite de 300 milliards d’euros, soit 12,5% du PIB. Le coût de ces mesures
de confinement, 5% du PIB pour un confinement strict, serait donc inférieur. Le
pire n’est pas sûr, mais dans ce scénario extrême, la perte économique,
facilement socialisable, serait inférieure aux coûts humains.

Le rapport Quinet de 2013 ne recommande pas un chiffrage en années de vie parce que la notion de valeur statistique de la vie ne se réduit pas à la somme des années de vie espérées et elle ne doit pas se différencier selon les individus – c’est le sens du mot statistique et cela garantit une égalité des citoyens face aux analyses coûts-bénéfices et aux décisions qui en découlent. Cependant, dans certains cas – en particulier si les effets sont très différenciés selon les âges – le rapport Quinet évoque la possibilité de retenir une valeur de l’année-vie statistique de 150 000 euros. En se risquant sur le terrain glissant qui appliquerait cette valeur au profil des morts par cas par âge (estimé par exemple ici), on diviserait par environ 3 l’estimation de coût en valeur statistique des vies humaines.