Dispersion des marges des entreprises à l’international

Stéphane Auray
et Aurélien Eyquem

La forte mondialisation des économies a accru
l’intérêt que l’on se doit de porter à l’importance des marges bénéficiaires
des entreprises tournées vers l’international. Il sera entendu par marge
bénéficiaire le différentiel entre le coût marginal de production et le prix de
vente. Les évidences empiriques s’accumulent pour montrer que ces marges ont beaucoup
augmenté ces dernières années (Autor, Dorn, Katz, Patterson, et Reenen, 2017 ;
Loecker, Eeckhout, et Unger, 2020) et que les grandes entreprises représentent
une part croissante des fluctuations agrégées (Gabaix, 2011). Par ailleurs, la
dispersion des marges bénéficiaires est considérée dans la littérature comme
une source potentielle de mauvaise allocation des ressources – capital et
travail –, que ce soit au sein d’économies considérées fermées aux échanges
internationaux (voir Restuccia et Rogerson, 2008) ou encore, par exemple, Baqaee
et Farhi, 2020) mais également au sein des économies considérées ouvertes aux
échanges commerciaux (Holmes, Hsu et Lee, 2014 ou Edmond, Midrigan et Xu, 2015).
Enfin, il a été montré récemment par Gaubert et Itskhoki (2020) que ces marges sont
un déterminant essentiel de l’origine granulaire – liée à l’activité des
grandes firmes exportatrices – des avantages comparatifs, autrement dit un déterminant
de la compétitivité dans les échanges.



Dans un article récent (Auray et Eyquem, 2021) nous
introduisons une dispersion des marges bénéficiaires en supposant une
tarification stratégique via une concurrence
à la Bertrand dans un modèle à deux
pays avec effets de variété endogène et commerce international à la Ghironi et Melitz (2005). Notre but
est de comprendre l’interaction entre ces marges, la productivité des
entreprises et les phénomènes d’entrée et de sortie sur les marchés domestiques
comme étrangers. S’il existe des distorsions dans l’allocation des ressources,
comme c’est généralement le cas dans ces modèles, notre objectif corollaire est
d’étudier la mise en œuvre de politiques fiscales optimales.

Dans les modèles à firmes hétérogènes tels que celui
de Ghironi et Melitz (2005), les firmes sont supposées hétérogènes en termes de
productivité individuelle. Les firmes les plus productives sont plus
susceptibles d’entrer sur les marchés parce qu’elles sont plus à même de payer
les coûts fixes d’entrée, que ce soit sur les marchés locaux ou à
l’exportation. Par ailleurs ces firmes étant plus efficaces, elles produisent à
des coûts plus faibles, ce qui leur permet de s’arroger de plus grandes parts
de marché. Ces effets qui semblent relativement intuitifs ont déjà été
largement validés empiriquement. De manière générale, l’introduction de
comportements de tarification stratégique permet aux entreprises ayant les plus
grandes parts de marché de bénéficier d’un plus grand pouvoir de fixation des
prix qui les conduit à extraire des marges plus importantes – étant entendu que
les prix de vente qui en résultent peuvent quant à eux se révéler inférieurs à
ceux de leurs concurrents. Une littérature croissante sur le commerce
international souligne l’importance de ces comportements stratégiques et de la
dispersion des marges qui en résulte dans la détermination des schémas
d’ouverture au commerce ou de leur composition sectorielle (voir par exemple
Bernard, Eaton, Jensen et Kortum, 2003) ; Melitz et Ottaviano, 2008 ;
Atkeson et Burstein, 2008) mais dans l’ampleur des gains de bien-être liés au commerce
(Edmond, Midrigan et Xu, 2015). En effet, l’ouverture au commerce, au-delà de
ses effets habituels, pourrait réduire les effets néfastes de la dispersion des
marges via l’augmentation de la
concurrence qui en résulte et donc accroître ses effets positifs.

Tout d’abord et tel qu’anticipé, lorsque la politique fiscale est passive, la concurrence à la Bertrand génère une répartition des marges telle que les entreprises de plus grande taille – donc les productives – proposent des tarifications plus faibles, attirent des parts de marché plus importantes et obtiennent des marges bénéficiaires plus importantes. De plus, Le mécanisme de sélection des entreprises exportatrices décrit par Melitz (2003) implique que ces dernières sont plus productives et facturent donc des marges bénéficiaires plus élevées. Ces résultats sont intuitifs et correspondent à la distribution observée des marges (voir Holmes, Hsu,et Lee, 2014).

Deuxièmement, nous caractérisons l’allocation optimale des
ressources et montrons comment elle peut être mise en œuvre. Le meilleur
équilibre possible corrige intégralement les distorsions de prix, implique une
dispersion nulle des marges et un niveau quasi-nul de ces marges. Il est mis en
œuvre, comme souvent dans cette littérature, par de généreuses subventions qui
annulent les marges tout en préservant l’incitation des entreprises à entrer
sur les marchés nationaux et d’exportation, c’est-à-dire en leur permettant de
couvrir les coûts fixes d’entrée. Cet équilibre de premier rang peut être mis
en place en utilisant une combinaison de subventions des ventes spécifiques à chaque
entreprise, un régime d’imposition des bénéfices différencié entre entreprises
non-exportatrices et exportatrices et une fiscalité spécifique sur travail.

Dans un modèle similaire où les marges sont supposées
identiques à toutes les entreprises, le meilleur équilibre est identique mais,
en revanche, beaucoup plus facile à mettre en œuvre grâce à un seul instrument de
politique économique : une subvention uniforme et variable dans le temps pour
toutes les entreprises.

Dans les deux cas, les gains associés à de telles politiques
sont très importants par rapport au laisser-faire, représentant un
accroissement potentiel de la consommation des ménages de l’ordre de 15%. Cependant,
compte tenu de la complexité de la mise en œuvre d’un régime avec des marges hétérogènes
et au regard de son coût pour les finances publiques, supérieur à 20% du PIB –
la mise en œuvre nécessite d’importants montants de subventions, que les marges
soient hétérogènes ou homogènes – nous considérons les politiques alternatives
de second rang, où le nombre d’instruments de politique économique est limité
et où l’on impose que le budget du gouvernement soit équilibré. Nous constatons
que ces restrictions réduisent considérablement la capacité des décideurs à
réduire les pertes de bien-être associées à l’équilibre de laisser-faire, et
que seulement un tiers des gains potentiels de bien-être peuvent être mis en
œuvre dans ce cas.

Troisièmement, alors que les allocations de premier rang
sont indépendantes du degré du comportement de tarification, nous constatons
que les pertes de bien-être observées dans l’équilibre de laisser-faire sont
inférieures lorsque les marges sont hétérogènes et supérieures en moyennes aux
marges observées en l’absence de tarification stratégique. Même si cela peut
sembler surprenant, le résultat peut être rationalisé en considérant les effets
de la dispersion des marges à la fois sur la marge intensive – quantité produite
par entreprise – et sur la marge extensive – le nombre d’entreprises sur les
marchés. En effet, la concurrence à la
Bertrand implique que la dispersion et le niveau moyen des marges sont
positivement liés. La dispersion des marges augmente ainsi le niveau des marges
avec deux effets. D’une part, toutes choses égales par ailleurs, des marges plus
élevées réduisent la quantité produite par chaque entreprise – la marge
intensive – et induisent une mauvaise allocation des ressources qui génère des
pertes de bien-être. D’autre part, des marges bénéficiaires plus élevées
impliquent des bénéfices attendus plus élevés pour les entrants potentiels, ce
qui stimule l’entrée et augmente ainsi le nombre d’entreprises existantes – la
marge extensive. Selon notre modèle, les gains de bien-être associés au second
effet dominent les pertes de bien-être associées au premier effet. Le résultat
implique donc que la dispersion des marges bénéficiaires peut générer des gains
de bien-être, du moins lorsque aucune autre politique fiscale ou industrielle
n’est menée.

Quatrièmement, alors que les résultats précédents sont
principalement concentrés sur les implications de notre modèle et des
politiques optimales associées en moyenne au cours du temps, nous étudions
également les leurs propriétés dynamiques. Dans le cadre de politiques fiscales
passives (laisser-faire), lorsque l’économie subit des chocs de productivité
agrégés – technologiques par exemple – le modèle se comporte globalement comme
le modèle à la Ghironi et Melitz (2005). Une prédiction originale de notre
modèle est que les marges bénéficiaires sont globalement contracycliques tandis
que les marges bénéficiaires à l’exportation sont procycliques. La politique
optimale implique des ajustements des taux d’imposition afin de renverser cette
tendance, d’aligner toutes les marges au long du cycle économique et de rendre
toutes les marges procycliques. Ces résultats sont conformes aux conclusions des
études qui concentrent le comportement cyclique optimal des marges avec firmes
hétérogènes dans des modèles d’économies fermées (Bilbiie, Ghironi et Melitz,
2019) et ouvertes (Cacciatore et Ghironi, 2020). Pour autant, conditionnellement
à des chocs de productivité agrégés, la dispersion des marges bénéficiaires a
peu d’effets quantitativement en comparaison d’un modèle similaire avec marges
homogènes.

Enfin, dans l’esprit de Edmond, Midrigan et Xu (2015), nous
menons une expérience de libéralisation commerciale par laquelle les coûts du
commerce diminuent progressivement et définitivement à presque zéro. Nous
constatons que les gains de bien-être à long terme sont beaucoup plus
importants lorsque la politique conduite est optimale. D’autre part,
l’équilibre de laisser-faire indique que les gains de bien-être à court terme
sont affectés par la dispersion des marges. En effet, la dispersion des marges
affecte la dynamique de création des entreprises résultant d’une libéralisation
des échanges de manière critique. Comme dans Edmond, Midrigan et Xu (2015), la
dispersion des marges réduit les gains de bien-être à long terme du commerce,
mais pour une raison différente : elle affecte le dynamisme dans la création d’entreprises
et réduit le nombre d’entreprises à long terme. Cependant, puisque dans ce cas,
moins de ressources sont investies à court terme pour créer de nouvelles
entreprises, la consommation augmente davantage à la marge intensive à court et
moyen termes – moins de 10 ans. Alors que les gains de bien-être à long terme
de l’intégration commerciale varient de 12% à 14,5% selon les étalonnages, les
gains de bien-être à court terme avec marges hétérogènes peuvent être jusqu’à 3%
plus importants qu’avec marges homogènes.

Les conclusions de cette étude conduisent à une
approche plus nuancée des marges bénéficiaires des entreprises que celle
habituellement avancée par la littérature. En effet, si ces marges et leur
dispersion ont bien des effets négatifs sur l’économie, elles ont également un
rôle important à jouer dans les phénomènes d’entrée de firmes et de
participation aux marchés internationaux. Nos travaux viennent en complément
d’une approche strictement microéconomique des questions de politique
industrielle, qui conclurait de manière univoque quant à la nocivité des
pouvoirs de marchés à l’origine de ces marges. À ce titre, à la manière de
Schumpeter, ils convoquent une vision plus équilibrée du rôle des marges des
entreprises dans les économies modernes qui ferait état d’une tension entre
distorsions de concurrence et incitations à la création d’entreprises.

Références bibliographiques

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Autor
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Diego et Richard Rogerson, 2008, « Policy Distortions and Aggregate Productivity with
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, 11(4):707-720.




Réduire l’incertitude pour faciliter la reprise économique

par Elliot Aurissergues (Économiste à l’OFCE)

Alors que les contraintes sanitaires engendrées par la pandémie continuent de peser en 2021, l’enjeu est de faire revenir rapidement le PIB et l’emploi à leur niveau d’avant-crise. Cependant, l’incertitude des firmes sur leurs niveaux d’activité et leurs profits dans les années à venir pourrait ralentir la reprise. Pour faire face à de possibles effets négatifs durables de la crise, et alors qu’elles sont fragilisées par leurs pertes de 2020, les entreprises pourraient vouloir restaurer, voire accroître leurs marges, avec, à la clé, de nombreuses restructurations et destructions d’emploi. La reprise économique sera plus rapide si elles ont une réelle visibilité au-delà de 2021. Je propose un mécanisme qui donnerait aux entreprises qui le souhaitent, davantage de visibilité sur leur trésorerie et leur profitabilité à moyen terme, et qui serait peu coûteux à long terme pour les finances publiques.



L’incertitude sur l’après pandémie va peser sur la
reprise

Sur le plan économique, la pandémie
constitue une crise atypique. Elle combine des chocs d’approvisionnement,
d’offre de travail et une baisse largement contrainte de la consommation (Dauvin
et Sampognaro, 2021). Peu d’épisodes récents sont susceptibles de fournir des
points de comparaison utiles aux acteurs économiques. Certains éléments
pointent vers un retour rapide à la normale : le dynamisme de certaines
économies asiatiques, en particulier de l’économie chinoise, la résilience de
l’économie américaine, ou encore la politique budgétaire de l’administration
Biden. D’autres facteurs peuvent à l’inverse limiter la croissance économique dans
les années à venir. Les lourdes pertes de certaines entreprises risquent d’engendrer
une vague de faillites (Guerini et al.,
2020 ; Heyer, 2020), avec de possibles effets négatifs sur la productivité
ou l’emploi de certaines catégories de travailleurs.  Certaines habitudes de consommation
pourraient être durablement modifiées, impactant fortement certains secteurs
comme l’aéronautique ou le commerce de détail. Les trajectoires de certaines
économies émergentes représentent une autre inconnue car elles ne peuvent pas
se permettre le même niveau de soutien budgétaire que les économies américaines
ou européennes. Enfin, la concentration du choc sur des secteurs employant
surtout des travailleurs faiblement qualifiés risque d’accroître les inégalités
à l’intérieur des différents pays et, ainsi, engendrer une nouvelle hausse de
l’épargne au niveau mondial. Certains indicateurs traduisent cette incertitude
toujours forte. Le VIX qui représente la volatilité du prix des actions
américaines, telle qu’anticipée par les acteurs du marché, demeure deux fois
plus élevé qu’avant la crise et est comparable aux niveaux atteints lors de la
crise Dotcom (voir graphique 1). En
France, les climats des affaires et de l’emploi ont fortement rebondi depuis
leur plus bas historique de mars-avril 2020 mais restent au même niveau qu’au
plus bas de la crise de la zone euro en 2012-2013 (voir graphique 2).

La littérature montre que l’incertitude sur la trajectoire de l’économie à moyen terme affecte le comportement des entreprises dès aujourd’hui. En l’identifiant à la volatilité du prix des actions, Bloom (2009) suggère qu’elle a un impact négatif significatif sur le PIB et l’emploi aux États-Unis. De nombreux autres travaux, utilisant des méthodologies différentes, sont venus confirmer cette idée[1]. Après une récession aussi grave que celle de 2020, l’incertitude pourrait avoir des répercussions encore plus importantes.  Des effets habituellement de second ordre peuvent suffire à faire dérailler la reprise économique.

Une proposition pour donner de la visibilité aux
entreprises

Les mesures du plan de relance actuel
portent essentiellement sur 2021 et 2022 et n’offrent pas une visibilité aux
entreprises sur leur activité ou leur trésorerie au-delà de 2022. Il est vrai
qu’il est difficile pour le gouvernement actuel d’engager des dépenses
importantes que devront assumer les futurs gouvernements. Il est cependant
possible d’envisager des mesures relativement fortes mais dont le coût
budgétaire sur les dix prochaines années (et donc l’impact sur la marge de
manœuvre budgétaire des futurs gouvernements) serait limité.

Proposition : Donner aux
entreprises l’option suivante :
une subvention de 10% de la masse salariale sous 3 SMIC entre 2022 et 2026 en
échange d’un impôt supplémentaire de 5% sur l’excédent brut d’exploitation (EBE)
sur la période 2022-2030.

Pour les entreprises demandant à en bénéficier,
ce dispositif est l’équivalent fiscal
d’une recapitalisation temporaire
. Elles échangent une subvention
aujourd’hui contre une fraction de leurs bénéfices demain. Le coût du capital implicite
serait particulièrement attractif. Le dispositif est calibré pour que son
« taux d’intérêt » (donné par le ratio entre la somme des taxes
supplémentaires sur 2022-2030 et la somme des subventions sur 2022-2026) soit proche
de 0% pour une entreprise française « moyenne ». Ce taux serait plus
faible a posteriori pour les entreprises qui auront moins bien performé que
prévu. Par rapport à d’autres méthodes de recapitalisation comme les
prises de participations directes de la puissance publique ou la transformation
des prêts en quasi fonds propres, il n’y a pas de risque de perte de contrôle
de l’entreprise pour les actionnaires actuels.

L’avantage du dispositif est qu’il cible
automatiquement les entreprises qui en ont le plus besoin. Les entreprises
anticipant de possibles difficultés économiques durant les prochaines années,
et les activités à forte intensité en emploi, vont s’auto-sélectionner, les
autres n’ayant pas intérêt à demander la subvention. Celle-ci étant décaissée
progressivement, les entreprises qui maintiennent durablement l’emploi sur la
période seront favorisées. Les entreprises à forte intensité de capital ou à
forte croissance ne seraient pas pénalisées puisque le dispositif resterait
optionnel. La taxe additionnelle sur l’EBE est temporaire et ne devrait pas
avoir d’effets négatifs sur l’investissement des entreprises demandeuses.

Le coût en terme de dette publique à
l’horizon 2030 serait faible. Sur les 8 ans, le dispositif coûterait environ 10
milliards[2]
d’euros, soit 0,4 point de PIB, si toutes les entreprises demandaient à en
bénéficier. L’effet d’auto-sélection des entreprises accroîtrait le coût moyen
par entreprise bénéficiaire mais en diminuerait aussi le nombre et aurait donc
un impact ambigu sur le coût total. Celui-ci ne prend pas en compte les effets
bénéfiques du dispositif sur les finances publiques s’il permet d’éviter des
destructions d’emploi ou le non remboursement de certains prêts garantis. L’impulsion
budgétaire sur 2022-2025 pourrait être en revanche assez forte, de l’ordre de 1
à 1,5 point de PIB par an (soit de 4 à 6 points de PIB sur les 4 ans) mais serait
contrebalancé par un surcroît automatique de recettes sur 2025-2030[3].

Bibliographie

Bachmann R, S. Elstner et E. Sims, 2013, « Uncertainty and Economic Activity: Evidence from
Business Survey Data », AEJ  macroeconomics,
https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/mac.5.2.217

Belianska A, A. Eyquem et C. Poilly, 2021, « The Transmission Channels of Government Spending Uncertainty », working paper, https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03160370

Bloom N., 2009, « The impact of uncertainty shocks », Econometrica, https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.3982/ECTA6248

Dauvin M et R. Sampognaro, 2021, « Dans Les Coulisses du Confinement: Modélisation de chocs simultanes d’offre et de demande », OFCE working papers, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/OFCEWP2021-05.pdf

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J. et P. Guerron-Quintana, 2011, « Risk Matters: The
Real Effects of Volatility Shocks », American Economic Review, https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.101.6.2530

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J. et P. Guerron-Quintana, 2015, « Fiscal volatility
shocks and economic activity », American Economic Review, https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20121236

Guerini M., L. Nesta, X. ragot et S.
Schiavo, 2020, « Firm liquidity and solvency under the
Covid-19 lockdown in France
 », OFCE
politcy brief
, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2020/OFCEpbrief76.pdf

Heyer E., 2020, « Défaillances d’entreprises et destructions d’emplois: une estimation de la relation sur données macro-sectorielles », Revue de l’OFCE, https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/7-168OFCE.pdf


[1] Fernandez-Villaverde,
Guerron-Quintana, Rubio-Ramirez et Uribe (2011) montrent qu’une volatilité
accrue des taux d’intérêt a des effets déstabilisants sur les économies
d’Amérique latine. Ces mêmes auteurs suggèrent, dans un article de 2015, qu’une
incertitude accrue sur la future politique budgétaire américaine conduit les
entreprises à accroître leurs marges, réduisant l’activité économique. Ce
résultat est confirmé par Belianska, Eyquem et Poilly (2021) pour la zone euro.
En utilisant les enquêtes sur la confiance des consommateurs, Bachmann et Sims
(2012) montrent que des consommateurs pessimistes réduisent l’efficacité de la
politique budgétaire en période de récession. Enfin, l’incertitude des chefs
d’entreprises a un impact négatif sur la production comme le montrent les
données allemandes mobilisées par Bachmann, Elstner et Sims (2013).

[2] La masse salariale sous 3 SMIC était en 2019 de
l’ordre de 480 mds d’euros (le total des salaires et traitements bruts
représentaient 640 mds d’euros pour les sociétés non financières et les
dernières données de l’INSEE suggèrent que les salaires sous 3 SMIC
représentent 75% de la masse salariale, montant qui par ailleurs semble
cohérent avec les données sur le coût du CICE). L’EBE des sociétés non
financières était de 420 mds d’euros. En se basant sur ces chiffres 2019 et si
toutes les entreprises demandaient à bénéficier du dispositif, la subvention
totale s’élèverait à 0,1*480*4 soit 196 mds d’euros. L’impôt sur l’EBE
rapporterait sous les mêmes hypothèses 0,05*420*8+0,05*196 (5% de la subvention
sera récupérée via le surcroît d’EBE)
soit 186 mds d’euros.

[3] Ce surcroît de recettes fiscales ne devrait pas
pénaliser l’activité sur cette période car (i) il concernera les revenus du
capital pour lesquels la propension marginale à consommer est plutôt faible et
(ii) il devrait être correctement anticipé par les entreprises bénéficiaires.




Quels sont les facteurs de la hausse des dettes publiques en zone euro de 1999 à 2019 ?

par Pierre Aldama

Entre 1999 et 2019, à la veille de la pandémie de la Covid-19, les dettes
publiques avaient augmenté en moyenne de 20 points de PIB dans les 11 plus
anciens membres de la zone euro. Cette hausse des dettes publiques est
communément attribuée aux déficits budgétaires structurels, en particulier ceux
d’avant-crise et dans les pays du « Sud ». Cependant, quelle est
vraiment la part du stock de dette publique en 2019 que l’on peut attribuer aux
déficits structurels, et celles qui sont attribuables à la croissance du PIB, à
la charge d’intérêts ou aux déficits conjoncturels ? Dans ce billet, on décompose
les variations de dette publique à partir de l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.



À la veille de la crise
engendrée par la pandémie de Covid-19, le niveau moyen de la dette publique (au
sens de Maastricht) des 11 pays les plus anciens de la zone euro était de 92%
du PIB. Entre 1999 et 2019, la hausse moyenne de la dette publique dans ces 11
pays a été de 20 points de PIB, avec cependant une forte hétérogénéité (Figure
1). D’un côté, un premier groupe de pays dits « vertueux » − Allemagne,
Pays-Bas, Autriche, Finlande et Irlande − ont ramené leurs ratios d’endettement
à leur niveau de 1999, à 60% du PIB, voire à un niveau inférieur. De l’autre,
des pays dont la dette publique s’est accrue − France, Espagne, Grèce et Portugal

ou maintenue à un niveau élevé − Belgique, Italie. Peut-on en déduire
simplement qu’il y a d’un côté des pays-fourmis et de l’autre des
pays-cigales ? Sans doute pas.

En effet, tous les pays ne sont
pas entrés dans l’UEM avec les mêmes niveaux d’endettement : leur point de
départ biaise donc le constat dans la mesure où il n’informe pas de la nature
structurelle, cyclique ou liée à la dynamique des charges d’intérêt de la
politique budgétaire effectivement menée de 1999 à 2019. La hausse des dettes
publiques dans les pays cigales est-elle largement attribuable à l’accumulation
des déficits structurels, ou au contraire, à des facteurs conjoncturels et aux
conséquences des récessions en zone euro (2008-2010 et 2011-2013) ?

Dans ce billet, on décompose les variations de dette publique à partir de
l’édition de décembre 2020 de l’Economic
Outlook
de l’OCDE, selon ses principaux facteurs : soldes primaires
structurel et conjoncturel, charge d’intérêt, croissance du PIB nominal et
ajustements flux-stock. On montre que la contribution des déficits structurels
est généralement moins forte que communément admise et que la hausse des
dettes publiques sur la période est largement le résultat des conséquences
directes et indirectes de la double récession en zone euro.

La décomposition comptable de la dynamique de la dette publique

La variation de la dette publique
(en pourcentage du PIB) entre l’année t
et l’année t-1 peut se décomposer
selon 5 grands facteurs, à partir de l’équation suivante :

rt / (1+yt) dt-1 est l’effet de la charge d’intérêts, –yt / (1+yt)dt-1 est l’effet de la croissance du PIB nominal (et la somme des deux termes est le fameux effet boule-de-neige[1] de la dette publique), sptcyc est la composante cyclique du solde budgétaire primaire (hors-charge d’intérêts), sptstruc est le solde primaire structurel (ou ajusté de l’écart de production) et afst sont les ajustements flux-stock, c’est-à-dire les opérations sur l’actif et le passif des APU (Administrations publiques) qui ne sont pas comptabilisées dans le solde primaire.

Finalement, en cumulant
chacun de ces termes, on calcule les contributions à la variation totale de la
dette publique entre 1999 et 2019 (Figure 2) et année après année (Figure 3).
Enfin, les Figures 4A et 4B présentent des décompositions de la dette publique
analogues à la Figure 2 mais sur deux sous-périodes : 1999-2008 et
2008-2019.

Les cicatrices de la double récession de 2008-2010 et de
2011-2013 en zone euro

La hausse des dettes
publiques en UEM est largement expliquée par les effets conjoncturels de la
double récession de 2008-2010 et de 2011-2013 (Figure 3). Entre 2008 et 2019,
parmi les trois pays qui enregistrent les plus fortes hausses de dette publique
(Grèce, Espagne, Portugal), la hausse de l’endettement s’explique
majoritairement par des déficits primaires conjoncturels et par l’effet
boule-de-neige. La Grèce est un exemple frappant à cet égard dans la mesure où
l’effet boule-de-neige représente près des 3/5 de la hausse de la dette
publique entre 1999 et 2019, et cet effet est principalement concentré entre
2008 et 2019, avec l’effondrement du PIB en niveau. À
l’inverse, l’apparent « miracle » irlandais s’explique en réalité par
un effet massif de la croissance nominale en 2015, qui s’explique quant à lui
par la
relocalisation d’actifs immatériels existants en Irlande par des
multinationales
.

Par ailleurs, l’éventuelle contribution positive des déficits structurels à la croissance de la dette pendant la crise de 2008-2010 constitue en réalité une réponse contracyclique optimale de la politique budgétaire pendant la récession, et ne peut être interprétée en soi comme un manque de sérieux budgétaire. Ce n’est cependant le cas que dans moins de la moitié des pays étudiés : Espagne, Pays-Bas, France, Autriche, Irlande, et cela reflète en large partie pour les autres pays la pro-cyclicité des politiques budgétaires discrétionnaires en zone euro sur la période (Aldama et Creel, 2020).

Enfin, d’une façon générale,
la contribution des Ajustements Flux-Stocks s’accroît fortement après la crise
de 2008, principalement en raison au plan de sauvetage du secteur bancaire.
Dans le cas de la Grèce, la contribution négative des AFS correspond largement
au défaut de 2012.

Excédents du Nord vs. déficits
structurels du Sud de la zone euro ?

Sur la période 1999-2019, il apparaît que seulement trois pays (France, Irlande et Portugal) ont une contribution positive des déficits primaires structurels à la croissance de leur dette publique. Remarquablement, la Grèce aussi bien que l’Italie se distinguent de ces pays par une contribution négative du fait de leurs excédents structurels primaires, et on le verra par la suite, notamment du fait de l’ajustement budgétaire structurel réalisé depuis 2010 dans le cas de la Grèce. La Belgique, fortement endettée à son entrée dans l’UEM (114% du PIB) se caractérise également par une forte contribution négative de son solde primaire structurel à la croissance de la dette.

Dans le cas de la
Grèce, on observe notamment la forte baisse de la contribution du solde
structurel primaire, qui devient même négative en 2019 : en d’autres
termes, après 2010 la Grèce a plus que compensé l’effet de ses déficits
primaires structurels antérieurs. De façon encore plus remarquable, l’Italie a
mené sur l’ensemble de la période une
politique budgétaire très rigoureuse, dans la mesure où la contribution
(négative) de son excédent structurel primaire n’a cessé de s’accroître en
valeur absolue. Dans une situation intermédiaire, le Portugal a commencé à
dégager des excédents primaires structurels, sans pour autant annuler l’effet
des déficits antérieurs à 2010. L’Irlande, parfois présentée comme la
« bonne élève » de la zone euro à la suite de la crise de 2010, n’a
pas compensé les déficits structurels enregistrés pendant la crise par des
excédents structurels post-crise (la contribution à la variation de la dette
étant stable).

Si on se focalise sur
la période pré-2008 (Figure 4A) et sur les pays dits du « Sud », là
encore, seuls la Grèce et le Portugal ont vu une contribution positive de leurs
déficits structurels à la croissance de la dette, tandis que l’Irlande,
l’Italie et l’Espagne enregistraient une contribution négative de leurs
excédents structurels primaires.

Du côté du couple
franco-allemand, la divergence est nette. La rigueur budgétaire allemande
apparaît presque extrême : même à la suite de la crise de 2008-2010, le
solde structurel primaire de l’État fédéral n’a pas
contribué positivement à la croissance de la dette, traduisant une très faible
politique discrétionnaire contracyclique (le solde structurel allemand s’est
creusé de 1 point de PIB en 2010). À l’inverse dans le cas
de la France, une bonne partie de la variation de la dette publique
s’expliquerait par les déficits structurels enregistrés aussi bien avant qu’après 2008 (Figures 4A et 4B), avec cependant
un ralentissement dans la seconde moitié des années 2010 (Figure 3). Ainsi sur
les 37 points de PIB de dette publique accumulés depuis 1999, près de 26 points
proviendraient des déficits structurels accumulés sur la période.

Bien entendu, la distinction
entre solde structurel et solde conjoncturel repose de manière critique sur
l’estimation du niveau de PIB « potentiel », c’est-à-dire de pleine
utilisation des facteurs de production, sans pressions inflationnistes. Cette
mesure est sujette à une forte incertitude et à de nombreuses critiques, comme
par exemple une trop grande sensibilité au cycle macroéconomique et à des
chocs de demande (Coibion
et al. 2018
, Fatas et Summers 2018).
Certains de ces travaux suggèrent que le niveau potentiel de l’activité
pourrait être sous-estimé. Ainsi, le biais vraisemblable dans les estimations
de PIB potentiel doit nous prévenir contre toute interprétation définitive sur
la nature structurelle vs.
conjoncturelle des déficits ou des excédents budgétaires.[2]

***

Si les dettes publiques
ont globalement augmenté en zone euro depuis 1999, ce sont les conséquences
directes et indirectes de la crise de 2008, à travers les déficits
conjoncturels, l’aggravation de l’effet boule de neige et de la faiblesse structurelle de la croissance dans
certains pays du Sud, qui en explique une large partie.

Au contraire, parmi les
pays les plus endettés aujourd’hui, la plupart ont dégagé de forts excédents
structurels primaires sur la période, tels que l’Italie ou la Belgique. La
Grèce a même plus que compensé la contribution positive de ses déficits
structurels passés. De quoi torde le coup à une grille de lecture encore trop
souvent mobilisée, celle du Nord contre le Sud, ou de la rigueur contre le
laxisme budgétaire : elle ne survit pas à une analyse simplement comptable
de la dynamique de la dette publique.


[1] L’effet
boule-de-neige de la dette publique est l’effet du différentiel  entre le taux d’intérêt payé sur le stock de
dette accumulé  et le taux de croissance de l’économie. Si ce
différentiel est positif, la dette publique tend alors à s’accroître
mécaniquement, pour un solde budgétaire primaire donné ; inversement, s’il est
négatif, la dette publique tend à se réduire mécaniquement.

[2]
Cependant en se basant sur l’Economic
Outlook
de l’OCDE, on bénéficie d’une approche homogène selon les pays, et
donc avec un biais relativement uniforme entre eux. Par ailleurs, la mesure du
PIB potentiel utilisée par l’OCDE serait vraisemblablement moins
cyclique que celles du FMI et de la Commission européenne
.




La politique monétaire européenne a-t-elle rempli ses objectifs ?

Christophe
Blot
, Caroline Bozou and Jérôme
Creel

Dans un document récent
en vue de la préparation du Dialogue monétaire entre le
Parlement européen et la BCE
,
nous passons en revue et évaluons les différentes mesures introduites par la
BCE depuis le début de la crise COVID-19 en Europe, principalement l’extension
des mesures du programme d’achat d’actifs (APP) et le développement des mesures
du programme d’achat d’urgence pandémique (PEPP).

Les programmes APP et
PEPP se sont vu attribuer des objectifs distincts par rapport aux politiques
précédentes. Le programme APP a été orienté vers la stabilité des prix tandis
que le programme PEPP a été orienté vers l’atténuation de la fragmentation
financière.

Nous commençons par
analyser les effets des annonces du programme APP (y compris les flux d’achat
d’actifs) sur les anticipations d’inflation par une approche d’étude
d’événements. Nous montrons qu’elles ont contribué à augmenter les anticipations
d’inflation.

Ensuite, nous analysons
l’impact du programme PEPP sur les écarts de taux (spreads) souverains et
montrons que le programme a eu des effets hétérogènes qui ont atténué le risque
de fragmentation : le programme PEPP a eu un impact sur les spreads souverains
des économies les plus fragiles pendant la pandémie (par exemple, l’Italie) et
aucun impact sur les moins fragiles (par exemple, les Pays-Bas). Cependant, les
spreads souverains n’ont pas complètement disparu, ce qui fait que la
transmission de la politique monétaire n’est pas totalement homogène entre les
pays.

Dans une perspective
plus large, nous montrons également que les effets macroéconomiques globaux ont
été conformes aux résultats attendus depuis le milieu des années 2000 : les
mesures de politique monétaire de la BCE ont eu des effets réels sur les taux
de chômage de la zone euro, des effets nominaux sur les taux d’inflation et des
effets financiers sur la stabilité bancaire. Ces résultats sont en accord avec
les estimations récentes de la Banque de France (Lhuissier and Nguyen, 2021).

En conclusion, une augmentation
de la taille du programme PEPP, ainsi que l’a annoncé la BCE en décembre, est utile
pour pallier le risque de réapparition des risques financiers. En attendant,
nous soutenons l’idée qu’une décision de la BCE de plafonner les spreads
souverains pendant la crise COVID-19 permettrait d’alléger le fardeau de la
crise sur les économies les plus fragiles de la zone euro, où les spreads
souverains restent les plus élevés.




Crise sanitaire, emploi, chômage : l’Ile de France en première ligne

Par Bruno Coquet

Les conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi et
le chômage s’aggravent et deviennent de plus en plus hétérogènes d’une région à
l’autre, comme nous avons récemment illustré (Blog de l’OFCE du 4 mars 2021).



L’un des faits les plus remarquables réside dans le prix
particulièrement lourd que paie l’Ile de France à cette crise : en 2019, la
région rassemblait 23,4% de l’emploi salarié et 16,9% des chômeurs inscrits à
Pôle Emploi, mais depuis le début de la crise sanitaire elle concentre 30,6% de
la baisse de l’emploi, 40,2% de la chute des embauches, et 32,3% à la hausse
des DEFMabc dans l’ensemble du pays en 2020.C’est donc pour le moment le marché
du travail francilien qui subit l’essentiel des difficultés consécutives à la
situation sanitaire.

Le choc est aussi rude qu’inhabituel, car l’Ile de
France est depuis de nombreuses années une région parmi les plus dynamiques de
métropole, comme l’illustre l’accroissement continu de +1,5% son poids dans l’emploi
salarié du pays au cours des années 2010 (graphique 1). Mais sous l’effet de la
crise sanitaire, deux trimestres ont suffi à effacer les gains des 18 derniers
mois : la région ne pesait plus que 23,3% de l’emploi du pays au 3ème
trimestre 2020, soit son niveau de fin 2018.

A la fin du troisième trimestre 2020 ce sont au total
90 000 emplois qui ont été détruits en 3 trimestres depuis la fin 2019 en
Ile de France. Une légère progression dans les services non-marchands
(+7 000 emplois) dans l’agriculture ou la construction (+6 000, soit
près du tiers des emplois créés par ce secteur dans le pays), compensent un peu
la baisse de -97 000 emplois dans le tertiaire marchand. Ces secteurs de
services marchands subissent en effet fortement la crise du fait des mesures de
confinement sévères dont nombre d’entre eux sont l’objet, directement ou
indirectement (restaurants, tourisme, culture, événementiel, etc.). L’Ile de
France est plus spécialisée dans ces secteurs, puisqu’elle concentrait 29,8%
des emplois tertiaires marchands fin 2019, et que ceux-ci y représentait 63% de
l’emploi en 2019 contre 45% dans le reste de la France. Néanmoins l’intensité
de la crise va encore au-delà de cette forte exposition, puisque l’Ile de
France contribue à 33,6% de la baisse de -289 000 emplois enregistrée en
France dans les services marchands à la fin du 3° trimestre 2020. (A l’image de
la baisse du tourisme, plus marquée en IDF ?)

L’évolution de l’emploi intérimaire confirme ce
diagnostic. La reprise qui a succédé à l’effondrement généralisé d’avril 2020, coïncide
avec une forte disparité des situations régionales et un recul très marqué en
Ile de France. Au niveau national le nombre de contrats a diminué de 4,1
millions (-21%) sur les onze premiers mois de l’année : on comptait
711 000 intérimaires employés fin novembre 2020, soit 83 000 de moins
qu’un an auparavant. L’Ile de France qui représentait 16,8% de l’emploi
intérimaire en 2019, enregistre une baisse de 19,1% l’emploi dans l’intérim, contre
-8,7% pour l’ensemble des dans le reste du pays, si bien qu’elle concentre près
du tiers (31,1%) des pertes d’emploi dans ce secteur.

En amont de cette contraction de l’emploi on observe un tarissement des flux d’embauches : les offres d’emploi collectées chaque trimestre par Pôle Emploi ont été 40% moins nombreuses en 2020 que les années précédentes (graphique 2). Les déclarations d’embauches recensées par l’Acoss ont chuté du même ordre de grandeur entre 2019 et 2020 (graphique 3). La dépression des embauches affecte plus fortement les contrats courts que les contrats longs, mais quel soit le type de contrat le recul est toujours été nettement plus prononcé en Ile de France que dans le reste du pays : au total l’Acoss a recensé 19,2 millions d’embauches hors intérim en 2020 soit 7 millions de moins qu’en 2019, et la part de l’Ile de France est passée de 31,1% à 27,1% de ces déclarations embauches soit une baisse de 8,2 à 5,3 millions de contrats en 2020, soit une chute de -2,9 millions d’embauches dont 80% de contrats de moins de 1 mois. Ces évolutions reflètent la spécialisation de la région Ile de France dans les activités de services marchands à la fois fortement utilisatrices de contrats courts et très impactées par les mesures prophylactiques.

Du côté du chômage, on sait que la mesure du taux de chômage est fortement affectée par la crise (cf. Insee). Néanmoins dans tous les départements de la région le taux de chômage augmentait de 1 à 1,5 point, significativement plus qu’en moyenne en France (+0,9 point), et ce qu’il ait été faible avant la crise, comme à Paris (6,2%) ou élevé comme en Seine Saint-Denis (10,5%) (graphique 4).

La contribution de l’Ile de France à la hausse des inscriptions en DEFMabc à Pôle Emploi est particulièrement forte (32,3%). Dans six des huit départements de la région la contribution à la hausse des DEFMabc observée en France est deux fois plus importantes que leur part dans les DEFMabc fin 2019. Plus en détails on observe également une forte contribution de l’Ile de France à la hausse nationale des DEFMa (37,8%) alors que la région ne pesait que pour 18,4% de cette catégorie en France en 2019. On note aussi que les DEFMc diminuent dans tous les départements franciliens, alors même qu’elles augmentent dans le reste du pays. On note également que le nombre de DEFMc (activité réduite longue) baisse de -7,2% quand il augmente de +1,6% hors Ile de France, tandis que les DEFMb (activité réduite courte) baissent de -5,6 mais de seulement -1,4% dans le reste de la France.

Les évolutions comparées des inscriptions en DEFMabc et celles du taux de chômage, peuvent refléter des comportements d’activité et des réponses aux enquêtes différents d’un département à l’autre. Ces écarts peuvent également être le fruit de la combinaison de répartition sectorielle des emplois, des contrats qui leur sont associés et des mesures d’urgence telle que l’activité partielle pour les salariés en emploi stable et l’éligibilité élargie à l’assurance chômage (accès, prolongation des droits, etc.). Par exemple, si l’on considère que les actifs vivant en Seine Saint-Denis sont fortement exposés aux contrats courts et disponibles pour travailler, on pourrait s’expliquer que le nombre de DEFMabc habituellement élevé dans ce département augmente relativement peu, et qu’à l’opposé le taux de chômage au sens du BIT augmente beaucoup en raison d’un nombre relativement faible d’actifs en CDI susceptibles de bénéficier de l’activité partielle. D’autre part 20,8% des nouveaux inscrits sur les listes de Pôle Emploi a moins de 25 ans, alors que la part des jeunes DEFMabc était de 9,3% avant le déclenchement de la crise sanitaire (ce ratio étant même supérieur à 3 dans les hauts de Seine), ce qui apparaît cohérent avec la forte proportion de jeunes habituellement constatée en contrats courts dans les services marchands. Une analyse détaillée des comportements d’activité est toutefois nécessaire pour asseoir ces hypothèses.

*

Au total la situation de l’Ile de France est
inhabituellement dégradée dans cette crise. Ces constats soulèvent des questions :
ces évolutions présagent-elles ce qui pourrait advenir dans les autres ? Ne
sont-elles que transitoires en attendant un fort rebond de l’emploi dans les
secteurs confinés du tertiaire marchand dès lors que la situation sanitaire
s’améliorera ? Des éléments complémentaires sont nécessaires pour le dire.
A ce stade il est néanmoins sûr que la répartition régionale des moyens
consacrés aux mesures d’urgence, de relance, de soutien aux individus et aux
entreprises, peut d’ores et déjà tenir compte de la situation extrêmement
dégradée de l’Ile de France, d’autant que l’activité a souvent été un moteur essentiel
de la croissance pour l’économie française dans son ensemble.




Crise sanitaire, chômage, inégalités territoriales

par Bruno Coquet

Au printemps 2020, l’activité économique et le marché
du travail se sont figés dans l’ensemble du pays. Dans ce premier temps de la
crise, les nuances entre secteurs, et surtout entre territoires ont été
reléguées au second plan. Puis, tout au long de l’année 2020, le déconfinement,
les restrictions ciblées, les couvre-feux, le deuxième confinement, les
activités partiellement ou totalement mises à l’arrêt selon qu’elles étaient considérées
plus ou moins « essentielles », le tout parfois combiné à la
saisonnalité de l’offre ou de la demande, ont introduit de la complexité et une
grande hétérogénéité des effets de la crise sanitaire.



La situation de différents publics, en particulier les
jeunes, et l’arrêt de l’activité et des embauches dans des secteurs les plus
impactés focalisent l’attention et les craintes. Les déclinaisons territoriales
de la crise suscitent nettement moins d’intérêt[1].
Pourtant de fortes inégalités territoriales commencent à prendre forme sur le
marché du travail : d’un côté la mesure biaisée du chômage BIT tend à
niveler les différences entre régions, et celles-ci apparaissent ni plus ni
moins différenciées que dans un cycle conjoncturel ordinaire ; d’un autre
côté, les déclarations d’embauches à l’Acoss et les inscriptions à Pôle Emploi dessinent
un tableau beaucoup plus hétérogène entre régions et entre départements. La
situation la plus préoccupante est celle de l’Île-de-France qui représentait 23% de l’emploi salarié
et 17% des chômeurs en 2019, mais concentre 30% de la baisse de l’emploi et 40%
de la chute des embauches, et 32% à la hausse des DEFM en France en 2020.

Les données disponibles ne permettent pas encore
d’expliquer précisément ces différences. Notamment il n’y a pas de régularité
directement évidente, ni avec la situation sanitaire ou ni avec la
spécialisation des territoires. L’approche simplement descriptive retenue ici
permet cependant déjà d’identifier des problèmes, et fournit des éléments pertinents
pour prioriser et orienter les interventions publiques en adéquation avec la situation
spécifique du marché du travail au niveau territorial.

Taux de chômage :
biaisé et peu différencié

Le taux de chômage au sens du BIT est connu jusqu’au quatrième
trimestre 2020, où il atteignait 8,0%, légèrement inférieur à son niveau de fin
2019 (8,1%). Mais l’Insee explique parfaitement les perturbations techniques et
comportementales de tous ordres que subit cet indicateur[2],
qui font apparaître son évolution en contrepoint de la chute d’activité
observée.

Les séries complémentaires au sens du BIT (halo, sous-emploi)
donnent une vision plus précise de la complexité contemporaine des situations
d’emplois. Mais, même en incluant ces populations (hors activité partielle) les
différents concepts issus de l’enquête emploi fin 2020 à sont un niveau
équivalent à celui de la fin 2019, avant la crise (graphique 1), cependant que
l’emploi est en baisse et les DEFM en hausse donnent une image plus contrastée
de la réalité.

Au niveau régional les taux de chômage ne sont pour le
moment connus que jusqu’au troisième trimestre 2020, période durant laquelle
une partie des difficultés de mesure étaient moindres en raison de l’important
relâchement des restrictions pesant sur l’activité. En outre les séries
complémentaires que publie l’Insee (halo, sous-emploi) ne sont pas encore
disponibles au niveau régional.

Si l’on met de côté les départements d’outre-mer qui
connaissent une baisse très significative de leur taux de chômage, les régions
métropolitaines enregistrent une hausse plutôt modérée de celui-ci : en
effet, au-delà de la chute observée au niveau national en T2 et du rebond en
T3, les évolutions régionales ne sont pas inhabituelles, et même relativement
homogènes entre régions compte tenu de l’aspect difficilement lisible, de la
situation sanitaire et de ses conséquences. Autour de la moyenne nationale de
+0,9 point (révisée à +1,0 pt en février 2021), l’augmentation dépasse 1 point
en Corse (+1,4 pt), Île-de-France (+1,3 pt), Pays de Loire et Provence Alpes Côte -d’Azur
(+1,1 pt) ; à l’opposé, la hausse est inférieure à 0,8 point dans les
régions Centre Val de Loire (+0,5 pt) et Bourgogne Franche-Comté (+0,7 pt).

Les informations disponibles sont cependant encore
insuffisantes pour déterminer si les écarts observés entre régions proviennent
de biais plus ou moins importants de l’indicateur ou d’une réalité
effectivement différente.

Emploi : recul
modéré, concentré sur quelques régions

Si on se réfère aux destructions d’emplois qui
devraient suivre une contraction de l’activité telle que celle observée en
2020, la situation de l’emploi apparaît presque figée par les mesures de
soutien, puisque la chute de l’emploi salarié marchand n’a été que de
-360 000 emplois à la fin 2020 par rapport à la fin 2019. En miroir, le
recours à l’activité partielle dans les régions est conforme à ce que peut laisser
attendre le poids de chaque région dans l’emploi salarié total (graphique 3).

Les données régionales ne sont disponibles que pour
les trois premiers trimestres 2020. Trois régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est), qui représentaient
43% de l’emploi total fin 2019 expliquent à elles seules la moitié de la baisse
de l’emploi jusqu’en octobre 2020 ; si on leur ajoute la région Provence
Alpes-Côte-d’Azur, ces 4 régions qui pèsent la moitié de l’emploi expliquent
60% de sa baisse. Même si elles ont un poids plus modeste, les régions Bourgogne-Franche-Comté
et Corse ont à leur échelle une forte contribution à la baisse de l’emploi (respectivement-5,5%
et -0,9%), soit environ 1,5 fois leur poids dans l’emploi salarié du pays (3,8%
et 0,5%). À
l’opposé les régions de la Bretagne et des Hauts de France pèsent à elles deux
12,8% de l’emploi salarié mais seulement 7,3% de la baisse observée en 2020 (graphiques
3 et 4).

Les dynamiques d’emploi sont donc très hétérogènes au
niveau régional, malgré l’inertie relative du marché du travail national. Il est
cependant difficile, en première approche, de faire un lien direct entre l’incidence
de l’épidémie et ces résultats dans chaque territoire, comme le montrent par
exemple la Bretagne peu touchée et les Hauts-de-France très touchés par les
contaminations. Il est possible que cette différenciation entre régions puisse
résulter de la combinaison de mesures sanitaires homogènes au niveau national
et de spécialisations sectorielles de chaque territoire.

La dynamique de l’emploi intérimaire est assez
analogue à celle de l’emploi total : après l’effondrement généralisé
d’avril 2020, la reprise coïncide avec une dispersion régionale significative.
Proportionnellement, l’Île-de-France est ici encore la région la plus affectée : à
fin novembre 2020, l’emploi intérimaire est 18% inférieur à son niveau moyen de
2019. À
l’opposé en Martinique les emplois en intérim sont 20% plus nombreux que
l’année précédente. L’emploi intérimaire a retrouvé une bonne dynamique en
Corse, contrastant avec l’évolution de l’emploi salarié en général (graphique
5).

La mise sous cloche de l’économie a évidemment une
incidence très différenciée sur les stocks (emploi, chômage) et les flux
(embauches, fins de contrats et licenciements) : si le stock d’emplois
présente une chute modérée relativement à la baisse d’activité, les flux
d’embauches atteignent quant à eux un étiage du fait de la mise à l’arrêt de
certains secteurs fortement utilisateurs de contrats courts, des  effets de l’activité partielle, et par
l’affaiblissement des flux de sorties (démissions, licenciements, etc.) et donc
d’entrées en contrats longs. Les emplois courts, directement soumis aux
fluctuations d’offre et de demande sans que les mesures anti-crise ne les
protègent sont en effet beaucoup plus volatils que l’emploi salarié total.

Au regard des flux d’embauches, les régions les plus
affectées sont celles dont l’emploi chute le plus fortement. L’Île-de-France connaît l’évolution la plus défavorable, et c’est
même la seule région qui enregistre une baisse des flux d’embauches au-delà de
la moyenne nationale, tant pour les CDD de moins de 1 mois (-39,2%) que pour
les contrats plus longs (-23,5%) (graphique 6). La spécialisation productive
des régions explique certainement une partie de ces différences : par
exemple, en Île-de-France 63% des emplois sont dans les secteurs du « tertiaire
marchand » (49% pour l’ensemble du pays), qui comprend des activités très
impactées par la crise (restaurants, tourisme, activités culturelles,
événementiel… où la baisse des embauches dépasse parfois 30% au niveau
national, voire 40% pour les contrats de moins de 1 mois) ; en revanche, la
région Auvergne-Rhône-Alpes où le tertiaire marchand est également important
(49% de l’emploi) subit aussi très fortement la crise alors que sa
spécialisation plutôt industrielle (16% de l’emploi salarié pour 12,4% au
niveau national) aurait pu mieux la prémunir si on la compare par exemple aux
Hauts de France. Toujours au titre d’effets de composition on peut également
supputer que les départements d’outre-mer ont bénéficié de la forte proportion
d’emploi non-marchand dans leurs économies, comprise entre 40 et 45% et dépasse
même 51% pour la Guyane, contre une moyenne nationale de 32%.

On pourrait multiplier les exemples contradictoires,
qui montrent surtout qu’il est prématuré sur la base de ces seules données
d’expliquer les différences territoriales d’évolution des flux de main-d’œuvre
et d’emploi durant la crise. Pour ce faire, une analyse économétrique plus
poussée doit être conduite.

La chute des offres d’emploi collectées par Pôle
Emploi est plus marquée que celle des DUE mais elle confirme une hétérogénéité
régionale dont l’ampleur et la distribution sont pratiquement similaires
(graphique 7).

Inscriptions à Pôle
Emploi : forte hétérogénéité territoriale

La ventilation régionale des inscriptions à Pôle
Emploi est connue jusqu’au quatrième trimestre 2020, donc plus récente que les
données d’emploi et de chômage observées ci-dessus.

Ces inscriptions auprès de Pôle Emploi donnent une
image encore bien plus contrastée que les précédents de l’impact territorial de
la crise. L’Île-de-France connaît la plus forte progression des DEFMabc (+84 000, soit +8,6%
en 1 an), devant Rhône-Alpes-Auvergne (+38 000, +6,1%) (graphique 8). La
contribution de ces deux régions à la hausse totale des DEFMabc (respectivement
+ 32,3% et +14,7%) est près de deux fois plus forte que leur poids dans le
total des DEFMabc fin 2019. Enfin, quatre régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Grand-Est) qui
représentaient 43% du total des DEFMabc à la fin 2019 expliquent deux tiers de
la hausse des inscriptions à Pôle Emploi.

Toutes les autres régions ont une contribution à la croissance
des DEFMabc moins que proportionnelle à leur poids dans cet indicateur fin
2019. La Corse et les départements ultramarins enregistrent une diminution des
DEFMabc, cohérente avec l’évolution du taux de chômage outre-mer, bien que cette
évolution soit plutôt surprenante pour la Corse. L’évolution des DEFMabc dans
les Hauts-de-France, région où le chômage est historiquement à un niveau élevé
et qui a durement subi la crise sanitaire, est particulièrement modérée, et
même la plus faible après la Corse et l’outre-mer.

Au niveau départemental l’hétérogénéité des territoires
en est encore plus marquée. On note que Paris concentrait en 2019 3,5% des
DEFMabc mais contribue à 5,5% de leur hausse en 2020, alors que le département
des Bouches du Rhône, dont le poids dans les DEFMabc était identique à celui de
Paris, contribue pour seulement 1,9% à la hausse de 2020. Le contraste est
encore plus fort avec le département du Nord qui comptait 4,5% des DEFMabc en
2019 mais ne contribue que pour 1,6% à la hausse de ces catégories de demandeurs
d’emploi en 2020 (graphique 9). Les départements d’Île-de-France ont tous une contribution deux fois plus élevée à la
hausse des DEFMabc en 2020 que ne l’était leur poids dans cet indicateur
l’année précédente. D’une dimension moindre, le Tarn-et-Garonne a une
contribution plus de 3 fois plus élevée (1,7%) à la hausse de 2020 que son
poids dans les DEFMabc en 2019 (0,5%). Enfin on note que les départements
limitrophes de la Suisse (Haute-Savoie, Ain, Doubs) ont une contribution très
forte à la hausse des DEFMabc consécutive à la crise sanitaire.

Si l’on détaille les évolutions du chômage des jeunes
au niveau départemental, on observe également une très forte hétérogénéité, et
si la situation est très problématique dans certaines régions du pays, elle s’est
aussi très peu dégradée dans d’autres, y compris dans des territoires
habituellement fragiles (Pas-de-Calais, Nord) sans que le lien avec la
situation sanitaire soit clair (graphique 10).

De manière générale les départements pour lesquels la
contribution à la hausse des DEFMabc était la plus forte sont tout de même
aussi ceux qui contribuent le plus à la hausse des DEFMabc des moins de 25 ans
en 2020. Quelques départements apparaissent cependant ici avec une situation
plus dégradée : Haute-Garonne, Loire-Atlantique, Gironde, et à un degré
moindre Alpes-Maritimes et Bas-Rhin qui ont en commun d’avoir une très grosse
agglomération pour préfecture. Le Nord, et dans une moindre mesure les Bouches-du-Rhône
sont dans la situation opposée, ainsi que des territoires traditionnellement
industriels comme la Seine-Maritime ou le Pas-de-Calais.

La situation des seniors de plus de 50 ans ne s’est
pas moins dégradée que celle des jeunes, mais elle est beaucoup plus homogène
au niveau régional et départemental.

***

Le rapprochement de ces différentes sources montre que
les marchés du travail des régions et des départements subissent très
diversement les conséquences de la crise sanitaire qui frappe la France. Cette
situation est en partie liée à la spécialisation sectorielle, à la structure
d’âge de la population, à l’intensité de l’épidémie dans chaque territoire,
mais pas seulement. En outre les régions habituellement les plus touchées dans
les cycles d’activité usuels, ceux où le taux de chômage est élevé (en
particulier celui des publics fragiles) ne sont pas cette fois-ci les plus
affectées, comme le montre le cas de l’Île-de-France, territoire le plus affecté par la crise en 2020,
quel que soit l’indicateur retenu.

Ces données donnent déjà des informations très utiles
pour cibler et calibrer au mieux les dispositifs d’urgence et de relance. Mais
il est nécessaire d’approfondir l’analyse, notamment pour comprendre les
raisons de cette différenciation inhabituelle, et éventuellement anticiper si
des mesures de soutien complémentaires – et lesquelles – seront nécessaires
lorsque l’économie reprendra son cours, une fois les restrictions sanitaires
levées.


[1]
Un travail en ce sens a été réalisé en juin 2020, juste après le premier
confinement, par Bouvart C., Dherbécourt C., Le Hir B. (2020) « Vulnérabilité
économique des zones d’emploi face à la crise », France Stratégie.
Le rapport du Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux
entreprises a également publié en février 2021 un rapport « Statistiques
sur le recours aux dispositifs de mars à septembre 2020 », qui analyse
certains aspects, notamment l’utilisation de l’activité partielle durant le
premier confinement.

[2]
Cf. Note d’éclairage jointe à la publication (https://www.insee.fr/fr/statistiques/5044459)