Chocs, chômage et ajustement, les limites de l’union monétaire européenne

Par Christophe Blot

Dans un article paru en 2013 dans Open Economies Review[1], C. A. E. Goodhart et D. J. Lee comparent les mécanismes de sortie de crise aux Etats-Unis et en Europe. S’appuyant sur une comparaison de la situation de trois Etats (l’Arizona, l’Espagne et la Lettonie) confrontés à un krach immobilier et à une récession, les auteurs explorent les raisons de la divergence croissante observée entre les pays de la zone euro, divergence qui ne se retrouve pas aux Etats-Unis. Leur analyse s’appuie sur les critères de zones monétaires optimales permettant aux membres d’une union monétaire de s’ajuster en cas de choc négatif, et ainsi d’éviter une divergence pérenne de leur taux de chômage lors d’un ralentissement ou d’un recul de l’activité. Si la Lettonie ne fait pas formellement partie d’une union monétaire[2], sa monnaie est cependant restée solidement ancrée à l’euro pendant la crise. Ainsi, aucun des Etats étudiés par Goodhart et Lee n’a eu recours à une dévaluation nominale pour absorber les chocs financiers et réels auxquels ils ont été confrontés. Ils concluent que si l’Arizona a mieux absorbé les chocs que l’Espagne, c’est à la fois en raison de la plus grande solidarité fiscale qui existe entre les Etats des Etats-Unis et de la plus forte intégration du système bancaire américain qui contribue à amortir les chocs spécifiques à chaque Etat.

Outre l’appartenance de jure ou de facto à une union monétaire, l’Arizona, l’Espagne et la Lettonie ont en commun d’avoir enregistré un boom immobilier dans les années 2000 suivi d’une correction qui a débuté dès 2006 dans l’Arizona et en Lettonie, et un an plus tard en Espagne (graphique 1). La crise immobilière s’accompagne d’une récession et l’on retrouve le même décalage entre l’Espagne et les deux autres Etats. La Lettonie a enregistré la baisse d’activité la plus forte (-21 % entre 2007 et 2010). En revanche, les pertes d’activité enregistrées par l’Arizona (-5,5 % depuis 2007) et l’Espagne (-5 % depuis 2008) sont comparables. Tandis que l’ajustement à la baisse du marché immobilier a cessé en Arizona (la reprise est enclenchée dans l’Etat américain), la récession se poursuit en Espagne. Au total, cette différence dans l’ajustement se traduit par une hausse continue du chômage en Espagne alors qu’il a baissé de 2,8 points en Arizona depuis le pic atteint au premier trimestre 2010 (graphique 2).

L’enlisement de l’Espagne dans la récession et la divergence croissante des économies dans la zone euro pose la question de la capacité des pays de la zone euro à s’ajuster en cas de choc négatif. La théorie des zones monétaires optimales, initialement développée par Mundell en 1961[3], permet d’évaluer les conditions sous lesquelles un pays peut avoir intérêt à adhérer à une union monétaire. L’optimalité de ce choix dépend de la capacité du pays à absorber les chocs sans avoir recours à une dévaluation de la monnaie. Différents mécanismes d’ajustement sont mis en exergue. Il s’agit principalement[4] de la flexibilité des prix et en particulier des salaires, de la mobilité du facteur travail, de l’existence de transferts budgétaires entre les pays de l’union monétaire et de l’intégration financière. La flexibilité des prix correspond à un mécanisme de dévaluation interne. Comme pour la dépréciation de la monnaie, il s’agit de gagner en compétitivité – par une baisse du coût du travail relatif – pour stimuler les exportations et la croissance lorsque survient un choc négatif. Néanmoins, ce type d’ajustement est généralement bien plus long et coûteux comme le suggèrent les exemples récents de l’Islande et de l’Irlande[5]. La mobilité du travail permet l’ajustement dès lors que la récession conduit des personnes à migrer des Etats où le chômage est élevé vers celui où il est plus faible. La mise en œuvre de transferts budgétaires résulte de l’ensemble des mécanismes permettant aux Etats où la croissance ralentit de bénéficier de transferts stabilisateurs en provenance des autres Etats de l’union ou d’un échelon de gouvernement supérieur. Enfin, Goodhart et Lee considèrent également le rôle stabilisateur du système bancaire local. En l’occurrence, au sein de la zone euro, moins le système bancaire local est fragilisé par la crise immobilière ou celle des dettes publiques, meilleure est l’absorption des chocs.

Les auteurs analysent l’ajustement des économies considérées à l’aune de ces quatre critères. Ils étudient notamment le degré de flexibilité des prix et de mobilité du travail en fonction du chômage dans les trois Etats. Puis ils évaluent l’importance des transferts budgétaires et l’architecture du paysage bancaire. Leurs conclusions sont les suivantes :

  1.  La flexibilité des prix n’a joué que marginalement dans l’ajustement sauf en Lettonie où la hausse du chômage a entraîné une baisse du coût unitaire du travail. Ces coûts n’ont par contre pas réagi significativement à l’augmentation du chômage en Espagne et dans l’Arizona.
  2.  Si les migrations sont plus fortes au sein des Etats-Unis qu’en Europe, les différences ne permettent toutefois pas d’expliquer l’écart d’ajustement des taux de chômage. Il ressort cependant que le rôle des migrations en tant que mécanisme d’ajustement se serait renforcé en Europe. Il reste qu’elles sont insuffisantes pour assurer la convergence des taux de chômage.
  3. En 2009 et 2010, l’Arizona a bénéficié d’importants transferts du gouvernement fédéral alors qu’au niveau européen, il n’existe aucun mécanisme automatique de transferts entre Etats. Toutefois, la Lettonie a bénéficié de l’assistance du FMI en 2009 tandis que les pays de la zone euro sont venus au chevet des banques espagnoles. Il reste qu’en l’absence de budget européen conséquent, les pays européens ne peuvent bénéficier que de plans d’aide d’urgence qui, certes, permettent de répondre à un besoin de financement, mais sont insuffisants pour jouer le rôle de stabilisateur économique.
  4. Enfin, les auteurs soulignent que l’amplification financière des chocs a été moindre en Arizona dans la mesure où l’essentiel de l’activité bancaire y est réalisée par des banques nationales qui sont de fait moins sensibles aux conditions macroéconomiques et financières locales. Le risque de rationnement du crédit est alors atténué, ce qui permet de mieux absorber le choc initial. En Espagne, à l’exception de quelques banques ayant une activité internationale, qui leur permet de diversifier les risques, l’activité bancaire dépend de banques locales qui sont de fait plus vulnérables. Cette fragilité accrue pousse les banques à restreindre l’accès au crédit, ce qui renforce le choc initial. La Lettonie se trouve dans une position alternative dans la mesure où l’activité financière est essentiellement réalisée par des banques étrangères. La nature du risque est alors différente puisque l’activité financière locale est déconnectée des conditions macroéconomiques lettones mais dépend de celles du pays où ces banques – suédoises dans une forte proportion – exercent leur activité principale.

La crise de la zone euro a donc bien une dimension institutionnelle. A partir du moment où les pays ont librement consenti à abandonner leur souveraineté monétaire, ils ont aussi refusé de recourir à la dévaluation de la monnaie pour amortir les récessions. Il est cependant indispensable que des mécanismes d’ajustement alternatifs opèrent afin de garantir la « soutenabilité » de l’unification monétaire. L’article écrit par Goodhart et Lee rappelle à cet égard que ces mécanismes font encore défaut dans la zone euro. Les négociations autour du budget européen n’ont ouvert aucune perspective pour la mise en œuvre de transferts fiscaux permettant de stabiliser les chocs au niveau européen. La discussion sur les Eurobonds est au point mort. Si le MES (Mécanisme européen de stabilité) est bien un outil de solidarité entre les Etats membres, il répond à une problématique différente puisqu’il s’agit uniquement d’une aide financière d’urgence et non d’un mécanisme de stabilisation automatique. L’intégration bancaire pourrait aussi permettre d’amortir les fluctuations. Cependant, la crise a entraîné une fragmentation accrue des marchés bancaires européens. Le dernier rapport sur l’intégration financière en Europe, publié par la BCE, révèle une baisse des flux bancaires transfrontaliers de 30 % au cours de la période récente. De même, malgré la politique monétaire commune, les taux appliqués aux crédits par les banques européennes ont divergé récemment[6] (graphique 3). Ainsi, malgré le passeport bancaire européen issu de la directive européenne du 15 décembre 1989 en matière de reconnaissance mutuelle des agréments délivrés aux établissements de crédit, l’activité bancaire transfrontalière reste peu développée à l’échelle européenne. Le modèle de banque de détail s’appuie sur l’existence de relations de long terme entre la banque et ses clients, ce qui explique sans doute pourquoi le processus d’intégration est beaucoup plus long que pour les marchés obligataires, monétaires ou d’actions. Il reste cependant que l’union bancaire pourrait constituer une étape supplémentaire dans ce difficile processus d’intégration. Cela favoriserait le développement d’une activité transnationale, ce qui permettrait aussi de déconnecter les problèmes de solvabilité et de liquidité des banques et ceux du financement de la dette publique.

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[1] « Adjustment mechanisms in a currency area », Open Economies Review, January 2013. Une version préliminaire de l’article peut être téléchargée ici : http://www.lse.ac.uk/fmg/workingPapers/specialPapers/PDF/SP212.pdf

[2] La Lettonie participe depuis 2005 au mécanisme de change européen et devrait adopter l’euro au 1er janvier 2014.

[3] « A theory of optimum currency areas », American Economic Review,  vol. 51, 1961.

[4] On peut aussi ajouter le taux d’ouverture de l’économie ou le degré de diversification de la production.  Mongelli (2002) propose une revue détaillée de ces différents critères. Voir : « New views on the optimum currency area theory : what is EMU telling us ? » ECB Working Paper, n° 138.

[5] Voir Blot et Antonin (2013) pour une analyse comparative des cas irlandais et islandais.

[6] C. Blot et F. Labondance (2013) proposent une analyse de la transmission de la politique monétaire aux taux appliqués par les banques aux sociétés non financières (voir ici) aux prêts immobiliers (voir ici).




Le solaire refroidit les relations sino-européennes

par Sarah Guillou

Début juillet 2013, c’est encore une entreprise de l’industrie du solaire, Conergy, qui est déclarée en faillite. La sortie de cette entreprise allemande, créée en 1998, illustre la fin d’un cycle pour l’industrie solaire. Cette faillite s’ajoute à une série de fermetures et de liquidations, tous pays confondus, qui ont ponctué la montée de la tension commerciale entre les Etats-Unis et l’Europe d’un côté et la Chine de l’autre au sujet des panneaux solaires (voir La Note de l’OFCE : « Le crépuscule de l’industrie solaire, idole des gouvernements », n° 32 du 6 septembre 2013). Au sommet de cette tension, en mai, la Commission européenne a décidé de menacer la Chine de droits de douanes de plus de 45 %. La guerre commerciale conclut une décennie d’engagements des gouvernements comme s’il s’agissait de sauver les deniers publics investis. Mais, elle signe surtout l’échec industriel d’une politique énergétique mondiale non coopérative.

Des débuts industriels prometteurs mais chaotiques

Amorcée au début des années 2000, l’idolâtrie gouvernementale en faveur du solaire, partagée des deux côtés de l’Atlantique, mais aussi dans les économies émergentes (et singulièrement la Chine) a certes propulsé l’énergie solaire au premier rang des énergies renouvelables, mais a aussi alimenté de nombreux déséquilibres de marché et de fortes turbulences industrielles. Alors que le prix du pétrole ne cessait d’augmenter de 2000 à 2010, la nécessité d’accélérer la transition énergétique et les engagements du protocole de Kyoto ont poussé les gouvernements à soutenir la production d’énergie renouvelable dont l’énergie solaire a été la grande bénéficiaire. De fait, l’industrie mondiale a connu une croissance gigantesque depuis 2004 : elle a crû de plus de 600 % de 2004 à 2011.

Le soutien public, accompagné d’investissements privés, a suscité des entrées massives sur le marché qui ont déstabilisé le prix de la ressource principale, le silicium, dont la quantité ne pouvait s’ajuster aussi rapidement. Les fluctuations du prix du silicium au gré des déséquilibres sur le marché des panneaux photovoltaïques ont créé une grande instabilité d’approvisionnement de la ressource principale s’ajoutant à l’incertitude technologique des entreprises qui cherchaient à innover dans le secteur (comme l’entreprise américaine Solyndra qui a finalement déposé le bilan en 2013).

La guerre commerciale pour une étoile

L’accélération de la domination chinoise sur l’industrie a pour sa part affecté  l’incertitude concurrentielle. La Chine est aujourd’hui le premier marché mondial et l’implication du gouvernement chinois dans le développement de l’industrie est sans égal. Aujourd’hui troisième pays au classement en termes de capacités installées (après l’Allemagne et l’Italie), la Chine est également le premier producteur mondial de panneaux solaires. Elle totalise aujourd’hui la moitié de la production mondiale de panneaux alors qu’elle en produisait seulement 6 % en 2005. Les producteurs chinois ont bénéficié d’un soutien massif des gouvernements central et locaux, ce qui a aussi participé à saturer le marché chinois.

La Chine, au-delà du soutien public, bénéficie d’un indéniable avantage de coût du travail qui rend l’activité de fabrication de panneaux solaires très compétitive – les étapes plus intenses en technologie se situent en amont dans cette industrie au niveau de la cristallisation du silicium et du découpage en tranches. Outre cet avantage compétitif, les producteurs chinois sont accusés de dumping, c’est-à-dire de vendre en dessous du coût de production. Leur compétitivité est donc sans égal mais … de plus en plus contestée. Les Etats-Unis ont décidé en octobre 2012 d’imposer des droits de douane sur les importations de cellules et de modules chinois faisant varier les taxes anti-dumping de 18,3 à 250% (pour les nouveaux entrants) selon les entreprises.

L’Europe, qui importe beaucoup plus d’éléments photovoltaïques de Chine que les Etats-Unis, a tout d’abord décidé de s’orienter vers l’imposition de droits anti-dumping et a ouvert une enquête en septembre 2012, déclenchée par une plainte d’EU ProSun – une association sectorielle de 25 fabricants européens de modules solaires – concernant les importations de panneaux et de modules en provenance de Chine. La Commission a finalement décidé en juin 2013 d’imposer un droit de douane de 11,2% sur les panneaux solaires tout en menaçant de le faire grimper à 47% si la Chine ne modifiait pas sa position en termes de prix d’ici le 6 août .

La contre-attaque de l’Empire

La contre-attaque n’a pas tardé : la Chine a décidé en juillet 2013 d’instaurer des droits anti-dumping sur les importations de silicium en provenance des Etats-Unis et de la Corée du Sud. La menace plane aussi sérieusement sur les acteurs européens : la Chine est un des plus gros marchés pour les exportateurs de silicium européen (870 millions de dollars en 2011).

Cette guerre commerciale révèle essentiellement une position défensive des concurrents industriels de la Chine face à une politique de soutien qu’ils jugent disproportionnée et déloyale et ceci alors que la Chine n’a cessé ces dix dernières années de grignoter les emplois industriels de ses concurrents. Mais on peut évidemment s’interroger sur la logique industrielle de cette politique commerciale.

Tout d’abord, elle contredit les précédentes politiques des gouvernements en matière de promotion de l’énergie solaire. L’arbitrage entre les objectifs du changement climatique (disposer des outils de transition énergétique à bas coût) et la rentabilité et pérennité de l’industrie semble avoir été tranché en faveur du second. Ensuite, elle soutient cette fois-ci les producteurs directement mais pourrait handicaper les installateurs, les cabinets d’études préalables à l’installation et les fabricants de panneaux à partir de composants chinois. Enfin, elle expose sérieusement à des représailles commerciales qui pourraient coûter cher, que ce soit aux exportateurs de silicium poly-cristallin, de machines servant à l’industrie solaire ou encore d’autres industries comme le vin ou les voitures de luxe.

Par crainte d’une probable non approbation d’une majorité des pays membres ou pour « fouetter d’autres dragons » plus librement (le conflit des télécoms à venir), l’accord obtenu fin juillet par le Commissaire Karel De Gucht et validé par la Commission européenne le 2 août, ne devrait pas entraîner de représailles commerciales ni perturber trop fortement l’approvisionnement du marché. Il engage près de 90 producteurs chinois à ne pas vendre en dessous de 56 centimes d’euro par watt de puissance. Ce prix est un compromis entre ce qui est jugé cohérent avec le coût de production chinois et le prix moyen actuel sur le marché d’un côté et ce qui est acceptable par les concurrents européens de l’autre.

Au final, au cours de cette décennie (2002-2012), l’industrie du solaire photovoltaïque est indéniablement devenue globale et fortement concurrentielle, et ceci en dépit d’un net  interventionnisme des gouvernements. En réalité, même les gouvernements se sont fait concurrence. A présent, ils règlent leurs conflits en jouant avec les règles du commerce international. Le soutien coûteux de l’Etat aura propulsé le développement de la filière de manière inespérée : en créant un excès d’offre, le prix du panneau solaire a fortement chuté et a accéléré l’incroyable boom du solaire. Le solaire représente en 2013 plus de 2 % de l’électricité consommée dans l’Union européenne. Cette percée du solaire s’est accompagnée de nombreuses sorties du marché mais aussi d’entrées, sans qu’une concentration significative des acteurs ne se soit pour le moment produite. Le choix du retrait public en faveur de la politique commerciale est une nouvelle page de l’histoire de cette industrie dont les motivations ne relèvent plus de la politique énergétique et guère davantage de la politique industrielle. Evidemment il n’y a pas de crépuscule sans une prochaine aube. Mais l’aube de demain sera certainement faite d’un autre « solaire ». L’avenir européen de la fabrication de panneaux solaires passera par l’innovation technologique non pour en réduire le coût mais pour en augmenter les performances.




In memoriam. Ronald H. Coase (1910-2013)

par Vincent Touzé

Décédé à l’âge de 102 ans le 2 septembre 2013, l’économiste américain Ronald Coase nous laisse une œuvre exceptionnelle du fait de sa simplicité et sa pertinence.

Précurseur de la théorie de la firme, il voit dans cette ce type de structure une capacité indéniable à réduire les coûts de transaction et organiser ainsi efficacement l’activité économique en dehors des marchés (« The Nature of the firm », Economica, 1937). Le dilemme de la firme est le suivant : faire (c.à.d. produire soi-même) ou faire faire (recourir au marché). En l’absence de coûts de transaction sur les marchés, il n’y aurait pas de firme mais seulement des petites unités autonomes de production. Les coûts de transaction résultent de l’ensemble des dépenses associées à l’acquisition ou à la vente d’un produit : rémunération d’intermédiaires, acquisition d’information, recherche du meilleur prix, etc. Ainsi, lorsque ces coûts sont trop élevés, il est opportun de produire soi-même le bien ou le service. Toutefois, les firmes font également face à des coûts pour s’organiser. La théorie des organisations est née.

Défenseur de la libre concurrence, il attribue aux défaillances des marchés une mauvaise définition des droits de propriété (« The Problem of social cost », 1960, Journal of Law and Economics, 3: 1-44). Il se méfie des réglementations coûteuses. Il s’oppose à Pigou (The Economics of Welfare, 1932, Macmillan and Co. Ed.) qui recommande l’intervention publique pour gérer les externalités négatives. Au contraire, il préconise une meilleure identification des droits de propriété, le rôle de l’Etat devant se limiter à être garant du respect de ces droits. Cette idée a été synthétisée sous la forme du « théorème de Coase » en 1966 par George Stigler dans son ouvrage The Theory of Price (MacMillan Ed.). En s’intéressant précisément aux interactions entre droit (définition de la propriété, fondements et conséquences des décisions de justice, etc.) et économie, Coase apparaît comme un des pères-fondateurs d’une discipline nouvelle, celle de l’analyse économique du droit.

Dans les années 1990, le protocole de Kyoto a popularisé le « théorème de Coase » en  proposant la mise en place d’un commerce de droits d’émissions pour réguler la quantité de gaz à effet de serre, les fameux « droits à polluer ». Pour contrôler les émissions de gaz à effets de serre, deux approches sont possibles : la vente de droits à polluer ou la taxation à la Pigou. La première approche consiste à attribuer des droits à émettre du gaz en quantité limitée. Pour produire, il faut détenir des droits. Ces droits s’échangent sur un marché où le prix des émissions de gaz résulte de la confrontation de l’offre à la demande. La seconde approche consiste à attribuer un prix ad hoc (taxe pigouvienne) au coût social marginal de l’externalité. Cette taxe est payée par les entreprises émettrices des gaz. Le principe des droits à polluer est souvent considéré comme plus exigeant (et donc contraignant pour les entreprises) car le prix de l’émission de gaz est endogène et la quantité totale limitée. Avec une taxe pigouvienne, c’est l’inverse. Le prix est fixe (ou faiblement endogène en cas de taxation progressive) et la quantité potentiellement illimitée.

Attaché à la simplicité de l’exposé, Coase n’hésite pas à dénoncer le recours à un formalisme mathématique trop excessif. Dans un portrait publié par l’Université de Chicago en 2012, il regrette ainsi que l’économie soit « devenue un sujet axé sur la théorie et les mathématiques ». Selon lui, « l’approche devrait être empirique. Vous étudiez le système comme il est, comprenez pourquoi il fonctionne de cette façon et considérez quels changements pourraient faire en sorte de l’améliorer ». Modeste, il confie : « Je n’ai jamais fait quelque chose qui n’était pas évident, et je ne sais pas pourquoi d’autres personnes ne le font pas » et aussi « Je n’ai jamais pensé que les choses que j’ai faites étaient si extraordinaires ».

Son œuvre a été couronnée par un prix Nobel en 1991.




Retraites 2013 : une (petite) réforme…

par Henri Sterdyniak

Les mesures annoncées par le gouvernement le 27 août ne constituent pas une grande réforme  des retraites. Comme le montre la Note de l’OFCE (n°31 du 4 septembre 2013), ce sont essentiellement des mesures de financement d’ampleur limitée. Les retraités sont plus frappés que les actifs. Les entreprises ont obtenu la promesse de ne pas être mises à contribution.  L’équilibre financier n’est pas vraiment assuré, étant conditionné à une forte reprise économique (à horizon 2020), à une croissance soutenue et à une nette baisse du niveau relatif des retraites d’ici 2040. Les mesures de justice en faveur des femmes et des travailleurs soumis à des travaux pénibles  sont annoncées, mais leur mise en place est reportée ; elles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Le pire est certes évité (la désindexation des retraites, un recul rapide de l’âge ouvrant le droit à la retraite, une réforme dite structurelle) ; la pérennité du système est proclamée, mais la (petite) réforme de 2013 ne se donne guère les moyens d’assurer sa fiabilité économique et sociale.




Trop de finance tue-t-il la croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Existe-t-il un niveau optimal de financiarisation de l’économie ? Un document de travail du FMI écrit par Arcand, Berkes et Panizza (2012) s’intéresse à cette question et tente d’évaluer empiriquement ce niveau. Il met en avant les effets négatifs engendrés par une financiarisation trop approfondie.

La financiarisation renvoie à la place prise par les services financiers dans une économie et par conséquent au niveau d’endettement des agents économiques. Traditionnellement, l’indicateur du niveau de financiarisation se mesure en calculant le ratio entre les crédits au secteur privé et le PIB. Jusqu’au début des années 2000, cet indicateur ne prenait en compte que les crédits octroyés par les banques de dépôt, mais le développement du shadow banking (Bakk-Simon et al., 2012) incite dorénavant à prendre également en compte les prêts accordés par l’ensemble des institutions financières. Cet indicateur nous permet d’appréhender l’intermédiation financière (Beck et al., 1999)[1]. Le graphique ci-dessous présente l’évolution de la financiarisation dans la zone euro, en France et aux Etats-Unis depuis les années 1960. Cette dernière a plus que doublé dans les trois économies. Avant le déclenchement de la crise des subprime à l’été 2007, les crédits accordés au secteur privé dépassaient 100% du PIB dans la zone euro et 200% aux Etats-Unis.

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Arcand, Berkes et Panizza (2012) se demandent dans quelle mesure la place de plus en plus prépondérante prise par la finance a un impact sur la croissance économique. Pour comprendre l’intérêt de ce papier, il est utile de rappeler les divergences existantes dans les conclusions de la littérature empirique. Une partie, la plus prolixe, mettait en évidence jusqu’à récemment une causalité positive entre développement financier et croissance économique (Rajan et Zingales, 1998, ou Levine, 2005) : le secteur financier est un lubrifiant de l’économie qui permet une meilleure allocation des ressources et l’émergence de firmes innovantes. Ces enseignements tirés de modèles de croissance (endogène notamment) sont confirmés par des comparaisons internationales incluant des pays en développement dotés de petits secteurs financiers.

Certains auteurs, plus sceptiques, estiment que le lien finance-croissance économique est surestimé (Rodrik et Subramanian, 2009). De Gregorio et Guidotti (1995) mettent notamment en avant que ce lien est ténu, voire inexistant, dans les pays développés et suggèrent qu’à partir d’une certaine richesse économique, le secteur financier ne contribue plus que marginalement à améliorer l’efficacité des investissements. Il abandonne son rôle de facilitateur de la croissance économique pour se concentrer sur sa propre croissance (Beck, 2012). Cela génère de grands groupes bancaires et financiers de type « too big to fail » permettant à ces entités de prendre des risques exagérés tout en se sachant couverts par les autorités publiques. Leur fragilité se transmet rapidement à l’ensemble des autres groupes et à l’économie dans son ensemble. La crise des subprime a bien montré la puissance et l’ampleur de ces effets de corrélation et de contagion.

Pour tenter de réconcilier ces deux courants, plusieurs travaux supposent une relation non linéaire entre financiarisation et croissance économique. C’est le cas de l’étude d’Arcand, Berkes et Panizza (2012). Ils expliquent, dans le cadre d’une méthodologie en panel dynamique, la croissance du PIB par tête par l’intermédiaire des variables usuelles de la théorie de la croissance endogène (à savoir le PIB par tête initial, l’accumulation du capital humain à travers la moyenne des années d’enseignement, les dépenses publiques, l’ouverture commerciale et l’inflation) et ajoutent à leur modèle les crédits au secteur privé et cette même variable élevée au carré, afin de tenir compte d’une potentielle non-linéarité. Ils parviennent ainsi à montrer que :

  1. la relation entre la croissance économique et les crédits au secteur privé est positive ;
  2. la relation entre la croissance économique et les crédits au secteur privé élevés au carré (c’est-à-dire l’effet des crédits au secteur privé lorsqu’ils sont à un niveau élevé) est négative ;
  3. pris ensemble, ces deux éléments indiquent une relation concave – une courbe en cloche –  entre la croissance économique et les crédits au secteur privé.

La relation entre croissance et finance est donc positive jusqu’à un certain niveau de financiarisation, et au-delà de ce seuil, les effets de la financiarisation commencent progressivement à devenir négatifs. Suivant les différentes spécifications estimées par Arcand, Berkes et Panizza (2012), ce seuil (en part de PIB) est compris entre 80% et 100% de crédits accordés au secteur privé[2].

Alors que le niveau de financiarisation des économies développées se situe au-dessus de ces seuils, ces conclusions incitent à contrôler le développement de la financiarisation et l’efficacité marginale que celui-ci peut avoir sur l’économie. De plus, l’argument des lobbys bancaires, selon lequel réguler la taille et la croissance du secteur financier aurait un impact négatif sur la croissance des économies concernées, n’est pas corroboré par les données dans le cas des pays développés.

 


[1] S’il peut sembler succint, car ne rendant pas compte de la désintermédiation, l’utilisation de cet indicateur se justifie par sa disponibilité au niveau international qui permet des comparaisons. Par ailleurs, les enseignements qu’il nous apporte seraient certainement amplifiés avec un indicateur protéiforme de la financiarisation.

[2] Cecchetti et Kharroubi (2012) précisent que ces seuils ne doivent pas être perçus comme des cibles mais davantage comme des « extrema » à n’atteindre qu’en période de crise. En période « normale », il conviendrait dès lors que les niveaux d’endettement soient plus faibles afin de laisser une certaine marge de manœuvre aux économies en cas de crise.




Trêve estivale

Durant le mois d’août, le blog de l’OFCE cessera de publier ses billets et notes. Nous vous retrouverons début septembre pour de nouvelles lectures. Beau mois d’août à vous !




Pour qui travaillons-nous ? Variations sur un thème de Milton Friedman

par Henri Sterdyniak

Ainsi, donc, comme chaque année en juillet, certains instituts libéraux et certains journalistes reprennent-ils le thème du « jour de la libération fiscale ».

Le calcul de l’association Contribuables associés est simple : la part des dépenses publiques dans le PIB devant être de 57,1 % en 2013, nous travaillons 57,1 %*365 = 208 jours par an pour l’Etat, donc jusqu’au 28 juillet. Ce n’est qu’à partir du 29 juillet que nous travaillons pour nous. Contribuables associés écrit ainsi : « Plus de la moitié du revenu moyen des Français est donc dépensé par des élus bien souvent clientélistes et une bureaucratie de plus en plus inefficace… Le 29 juillet marque le jour à partir duquel les Français deviennent, en moyenne, enfin libres du joug de la bureaucratie ».

L’Institut Molinari fait un calcul légèrement différent : il rapporte le poids des cotisations sociales, de l’impôt sur le revenu et de la TVA au salaire super-brut  du salarié moyen. Aboutissant à 56,3%, il fixe le jour de libération fiscale et sociale des salariés français au 26 juillet.

Reprenant ces deux études, Yves de Kerdel écrit dans le Figaro du 30 juillet : « chacun d’entre nous passe en moyenne sept mois à ne travailler que pour remplir les poches de l’Etat ».

Déjà, en 1974, Milton Friedman, Prix Nobel d’économie, avait proposé d’instaurer « une nouvelle fête nationale, le Jour de l’Indépendance personnelle, le jour de l’année où nous cessons de travailler pour payer les dépenses du gouvernement et où nous commençons à travailler pour les biens que nous choisissons (individuellement ou à plusieurs) selon nos besoins et nos désirs »[1].

Ces points de vue souffrent malheureusement de trois défauts. Ils oublient d’abord que l’Etat est aussi un producteur. En 2012, 18 % du PIB français est produit par les administrations.  L’enseignante, l’infirmier, l’aide-soignante, les gardes maternelles, l’éboueur… fournissent des services aux ménages. Si ceux-ci n’étaient pas fournis par l’Etat, les collectivités locales ou les hôpitaux, les ménages devraient les payer. Les parents devraient rémunérer les enseignants de leurs enfants. Chacun devrait souscrire une assurance privée pour la maladie, d’autant plus coûteuse qu’il est en mauvaise santé ou qu’il a des enfants.  Toutes les routes devraient être payantes.

Ils oublient, aussi et surtout, qu’une partie importante des dépenses publiques sont des transferts aux ménages, que les bénéficiaires dépensent à leur guise, qu’ils s’agissent des retraites, des prestations familiales, des indemnités maladie-maternité-chômage, du revenu de solidarité active, etc. Quand bien même un salarié travaille deux mois par an pour payer ses cotisations retraites, celles-ci ne vont pas nourrir une quelconque bureaucratie ou remplir de prétendues poches publiques : elles sont immédiatement reversées à ses parents ou grands-parents. Dans le même temps, elles lui ouvrent un droit à une retraite future. Le salarié moyen d’aujourd’hui va travailler de 21 à 65 ans (soit 44 années). Il jouira, en moyenne, de 22 années de retraite. Quel que soit le système, il doit travailler durant sa période d’activité pour financer ses années de retraite. Durant ces deux mois, il ne travaille pas pour l’Etat, mais pour les générations précédentes et pour lui-même. Similairement, il va travailler 24 jours par an pour payer l’éducation de ses enfants (ou, selon un autre point de vue, pour rembourser la sienne).

Ainsi, en 2011 (dernière année pour laquelle les chiffres détaillés sont disponibles), les dépenses publiques représentaient en moyenne 211 jours de travail (tableau 1), mais 90 étaient immédiatement reversés aux ménages sous forme de prestations sociales, 77 leur profitaient directement (éducation, santé, culture, logement, environnement, police et justice). Restent 44 jours de travail pour le fonctionnement des administrations, la dette publique, la défense et le soutien à l’économie (12 % du PIB).

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Certes, les dépenses publiques doivent être gérées avec rigueur, mais elles sont indispensables. Si la France a plus de dépenses publiques que la plupart des pays de l’OCDE, ce n’est pas que le fonctionnement de son administration soit plus coûteux mais qu’elle a choisi d’avoir un système de protection sociale relativement généreux en matière de retraites publiques, de prestations familiales et d’allocations chômage[2]. C’est aussi que les Français ont beaucoup d’enfants, que l’école est gratuite, que la garde des jeunes enfants est subventionnée.

Enfin, cet indicateur oublie la disparité entre les Français. Cet indicateur n’a, bien sûr, aucun sens pour les retraités. Heureusement pour eux qu’ils ne sont pas libérés des dépenses publiques : ils n’auraient plus de retraite. Cet indicateur n’a pas de sens non plus pour les fonctionnaires.  Comparons enfin trois familles de salariés en utilisant la même méthode que l’Institut Molinari, mais en tenant compte des prestations sociales (tableau 2). La première famille perçoit le  SMIC et touche d’importantes prestations (RSA activité, allocations logement) ; l’employeur bénéficie d’exonérations de cotisations sociales. Le revenu disponible de cette famille est pratiquement égal à son salaire super-brut. Son taux d’imposition nette n’est que 0,6 % et il est même négatif si on considère que les cotisations retraites et chômage ne sont pas des impôts mais constituent des salaires différés. A l’autre extrême, la troisième famille, la plus riche, a un taux d’imposition nette (salaires différés compris) de 34,6 % tandis que celui de la famille intermédiaire est de 27,6 %. Le système français est très redistributif.  La fête nationale, proposée par Friedman, n’aura pas lieu le même jour pour tout le monde.

De nombreux pays européens ont des taux de dépenses publiques supérieurs à 50 % tout en connaissant une croissance satisfaisante : Autriche, Danemark, Finlande, Suède. Leur point commun est que le taux de pauvreté et d’inégalités sociales y sont particulièrement bas.

Ainsi, prétendre que nous travaillons sept mois pour l’Etat n’a-t-il aucun sens. La France a choisi d’être une société mixte, le marché y a sa place, mais une partie importante des dépenses des ménages est socialement assurée, sur la base des besoins de chacun, et non de ses ressources.

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[1] Repris en 1980 dans « La liberté du choix » (p.83), ouvrage de Milton et Rose Friedman, édition Belfond.

[2] Ceci a aussi été mis en évidence par Xavier Timbeau : « Les dépenses publiques en France : en fait-on trop ? »,  blog de l’OFCE n°1542.




Collecte sur Livrets A : ô les beaux jours sont finis …

par Sandrine Levasseur

A chaque annonce de modification du taux de rémunération du Livret A, se pose la question de son impact sur les montants collectés. Répondre à cette question – en fournissant une évaluation quantifiée – n’est pas chose facile car l’impact dépend d’un grand nombre de facteurs dont certains sont difficiles à mesurer (e.g. la « valeur-refuge » que constitue le Livret A) ou difficile à anticiper (e.g la politique plus ou moins agressive menée par les banques pour favoriser leur propre support d’épargne). Pour autant, ces difficultés ne doivent pas nous priver d’une évaluation dont les enjeux sont importants pour le financement du logement social, les banques et les deniers de l’Etat.

La dernière note de l’OFCE (n°30, 30 juillet 2013) propose une évaluation quantifiée de l’impact d’une baisse du taux d’intérêt rémunérateur du Livret A (le taux passe de 1,75 % à 1,25 % à compter du 1er août 2013) sur les montants collectés. Si la prudence s’impose tant l’exercice de quantification a ses limites, celui-ci nous montre cependant que les beaux jours en matière de collecte sur les Livrets A sont vraisemblablement derrière nous. Certes, les montants recueillis sur l’année 2013 resteront à un niveau très élevé, entre 14,5 et 18,5 milliards d’euros (hors intérêts capitalisés). Mais ils sont imputables pour moitié aux montants collectés au cours du mois de Janvier (8,21 milliards d’euros) après le relèvement du plafond du Livret A intervenu le 1er janvier 2013. En 2014, l’effet « boosteur » de relèvement du plafond disparaîtra, et la collecte sur les Livrets A devrait chuter dans un contexte de rémunération plus faible du Livret A.

Selon nos estimations, pour que les montants collectés restent aux alentours des 16 milliards d’euros en 2014, il faudrait soit que le taux de chômage retombe sous la barre des 10,5 % de façon à redonner du pouvoir d’épargne aux ménages, soit que le rendement sur l’assurance-vie (net de la fiscalité) baisse à 1 % de façon à réorienter l’épargne disponible vers le Livret A[1]. Alternativement, il faudrait que la Bourse chute. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de raison d’anticiper une baisse du chômage en France. Le rendement des produits d’assurance-vie est, certes, orienté à la baisse pour l’année à venir. Mais cette baisse viendrait seulement amoindrir le différentiel de rendement qui apparaîtra entre les deux produits d’épargne (assez fortement substituables) suite à la baisse du taux du Livret A à partir du 1er août. La Bourse, fortement malmenée depuis le début de la crise, est cependant engagée dans une perspective haussière depuis un an, tendance qui a priori devrait se poursuivre. Evidemment, le scénario du pire ou du mieux – tout dépend le point de vue adopté – ne peut être exclu : la Bourse peut s’effondrer mais alors le chômage risque d’augmenter et les actifs sous-jacents de l’assurance-vie risquent de baisser car cela signifiera soit qu’il y a une nouvelle crise dans la zone euro, soit que la sortie de crise est beaucoup plus difficile que prévue.

L’un dans l’autre, on le voit, des perspectives de collectes sur les Livrets A du niveau de celles observées lors des précédentes années sont plutôt obscurcies[2]. A très court terme, une moindre collecte sur les Livrets A ne devrait pas poser de problème pour le financement du logement social, la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) disposant d’un surplus de fonds d’épargne qui n’est pas encore alloué aux bailleurs sociaux[3]. Pour autant, dès lors que le surplus du fond d’épargne sera utilisé, le financement du logement social deviendra tributaire des montants collectés sur Livrets A. Une moindre collecte sur les Livrets A se traduirait alors par l’incapacité de construire des logements sociaux. Si ce scénario du pire venait à se réaliser, on ne pourra pas faire l’économie – dans les deux à trois ans à venir – d’une réforme du mode de financement du logement social de façon à le rendre moins dépend de la collecte sur les Livrets A.


[1] La modification du système de prélèvement libératoire forfaitaire (PLF), à compter de 2013, rend cependant difficile une évaluation du rendement de l’assurance-vie, et des autres produits financiers, net de toute imposition. En effet, les revenus financiers (intérêts, dividendes, plus-values mobilières, etc.) supérieurs à 2 000 € par an seront soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu du ménage.

[2] La collecte sur Livrets A (hors intérêts) a atteint 17,38 milliards en 2011 et 28,16 milliards en 2012. Comparativement, l’année 2010 a été une année de piètre collecte, avec à peine 7,8 milliards d’euros.

[3] 65 % des sommes déposées sur les Livrets A servent, en effet, à alimenter le fond d’épargne dans lequel la CDC puise pour financer les logements sociaux (Levasseur, 2011). C’est d’ailleurs une partie (30 milliards d’euros) de ce surplus d’épargne non utilisé pour financer le logement social qui a été « rétrocédé » momentanément aux banques. Le décret, entré en application le 31 Juillet 2013, prévoit que dès que les prêts de la CDC aux bailleurs sociaux atteindront une certain niveau, les banques devront reverser ces 30 milliards au fond d’épargne.




France : pourquoi tant de zèle ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans le cadre de celles-ci, la Commission accorde deux années supplémentaires à la France pour atteindre la cible de 3% de déficit public. L’objectif de déficit de 3 % est désormais fixé à 2015 et la Commission européenne préconise pour y arriver des impulsions budgétaires de -1,3 point de PIB en 2013 et -0,8 en 2014 (voir la note « Austérité en Europe: changement de cap? »). Cela allègerait l’effort structurel à fournir, puisque le respect des engagements antérieurs aurait nécessité des impulsions de -2,1 et -1,3 points de PIB pour 2013 et 2014 respectivement.

Pour autant, le gouvernement français a choisi de ne pas relâcher sa politique d’austérité, en maintenant l’ensemble des mesures annoncées lors du projet de loi de finances de l’automne 2012. Cette politique reste restrictive et va bien au-delà des préconisations de la Commission : -1,8 point de PIB d’impulsion budgétaire, dont 1,4 point de hausse des taux de prélèvement obligatoire sur la seule année 2013. Pire, les grandes orientations pour le budget 2014 présentées par le gouvernement au Parlement le 2 juillet 2013 impliquent un effort structurel de 20 milliards d’euros pour 2014, soit 1 point de PIB, là où la Commission n’en exigeait que 0,8. Le gouvernement durcit par ailleurs l’impulsion budgétaire de 0,6 point de PIB qu’il avait lui-même affiché dans le programme pluriannuel de la Loi de finances pour 2013.

Le tableau ci-dessous permet de prendre la mesure de l’effort engagé et de ses conséquences sur l’économie française. On y lit l’évolution de la croissance, du taux de chômage et du solde public en 2013 et 2014, selon trois stratégies budgétaires :

  1. celle retenant l’assouplissement préconisé par la Commission en mai 2013 ;
  2. celle reposant sur le budget voté par le gouvernement pour 2013 et, a priori, 2014 ;
  3. celle reposant sur un scénario alternatif qui prend acte de l’impulsion de -1.8 point de PIB engagée pour l’année 2013, et calcule l’impulsion budgétaire suffisante en 2014 pour respecter l’objectif de déficit public de -3,6 % de la Commission européenne.

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Selon nos estimations réalisées à partir du modèle IAGS[1], le déficit public serait réduit à 3,1 % du PIB en 2014 dans le scénario (2), là où la Commission n’exigeait que 3,6 %. Conséquence de cet excès de zèle, la croissance cumulée pour 2013 et 2014 si le budget voté est appliqué serait de 0,7 point inférieure à celle des deux autres scenarii (0,8 point contre 1,5 point). Le corollaire est une hausse du chômage en 2013 et en 2014 : le taux de chômage, de l’ordre de 9,9 % en 2012, passe ainsi à 11,1 % en 2014, soit une hausse de plus de 350 000 chômeurs sur la période. A l’inverse, le scénario assoupli de la Commission européenne permettrait une quasi-stabilisation du chômage dès 2013, tandis que le scénario alternatif permet une inversion de la courbe du chômage en 2014.

Alors que l’échec de la politique d’austérité des dernières années semble infléchir progressivement la position de la Commission européenne, le gouvernement français persiste dans cette voie. A rebours de l’urgence sociale à laquelle le pays fait face et du changement de paradigme qui semble gagner la plupart des institutions internationales, le gouvernement français choisit d’en rester au fétichisme des 3 %.


[1] IAGS est l’acronyme de “Independent Annual Growth Survey”. Ce modèle propose une modélisation simplifiée des onze principales économies de la zone euro (Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Espagne). Voir plus de détails, voir le document de travail Model for euro area medium term projections.




Logement social : peut mieux faire

Par Sabine Le Bayon

Les organismes HLM et l’Etat ont signé le 8 juillet dernier un pacte pour assurer la mise en œuvre des objectifs de construction de logements sociaux. Lors de la campagne électorale de 2012, François Hollande avait fait de la question du logement l’une de ses priorités et visait la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Depuis son élection, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens. Concernant le logement social, il s’agit essentiellement de la mobilisation du foncier public, de la hausse du plafond du livret A, du renforcement de la loi SRU de 2000, de la fin du prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux et de l’accord avec Action logement (ex-1% logement) pour augmenter sa participation à l’effort de construction de logements sociaux. Dans le cadre du pacte du 8 juillet, l’Etat a aussi rappelé la baisse prévue du taux de TVA sur la construction sociale de 7 à 5 % dès 2014 tandis que les organismes HLM se sont engagés à construire 120 000 logements sociaux par an[1] d’ici 2015 et à mutualiser une partie de leurs fonds (280 millions d’euros) pour soutenir les organismes les plus sollicités. L’objectif de 150 000 logements sociaux financés ne sera donc pas atteint dès 2013[2], comme l’avait déjà reconnu en mai dernier la Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot. En effet, dans un contexte budgétaire tendu, l’objectif du gouvernement relève de la quadrature du cercle. Certes les mesures prises par le gouvernement ne sont pas neutres pour les finances publiques : la réduction du taux de TVA représente un manque à gagner et la hausse du nombre de prêts accordés par la Caisse des dépôts va entraîner une augmentation des avantages de taux, à la charge de l’Etat. Il n’en reste pas moins que les aides directes de l’Etat ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et qu’il apparaît paradoxal de renforcer les contraintes de construction de logements sociaux pour les communes sans y consacrer les ressources nécessaires et en laissant aux autres acteurs du secteur le soin de boucler les opérations de financement.

Un objectif ambitieux au regard de la construction récente

L’objectif gouvernemental paraît bien ambitieux au regard de la construction sociale de ces dernières années (graphique). En 2012, alors que 120 000 logements sociaux devaient être financés, seuls 102 000 l’ont été effectivement (hors logements issus de la rénovation urbaine dits logements « ANRU »[3], soit le champ couvert par l’objectif gouvernemental). Pour mémoire, un pic avait été atteint en 2010 avec le financement de 146 000 logements sociaux (131 500 hors ANRU), dans le cadre du plan de relance, soit déjà un niveau important au regard de la moyenne des années 2000 (87 500).

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Des contraintes réglementaires accrues

Dans le cadre de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, la pression sur les collectivités locales est renforcée, avec la révision de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Alors que jusqu’à présent les objectifs en termes de logements sociaux devaient être atteints en 2020, le gouvernement a repoussé cette échéance à 2025 en même temps qu’il augmentait les objectifs. Dorénavant :

  • – le taux de logements sociaux à atteindre passe de 20 à 25 %[4]. Seules les communes en décroissance démographique ou pour lesquelles ne se justifie pas d’effort de construction supplémentaire conserveront un objectif de 20 %;
  • – l’obligation des 20 % est élargie à un certain nombre de communes, hors périmètre SRU jusque-là, et qui sont en forte progression démographique.

Selon les évaluations gouvernementales, le nombre de communes ne respectant pas les taux de logements sociaux à atteindre passerait de 980 à 1086 avec l’entrée en vigueur de la loi.

La loi prévoit aussi de renforcer le prélèvement versé par les communes ne respectant pas le taux de logements sociaux prévu[5]. Enfin, les intercommunalités ou agglomérations ne pourront plus reverser une partie des pénalités aux communes prélevées, ce qui permettait précédemment de contourner la loi. Désormais, les prélèvements seront versés aux agglomérations bénéficiant de la délégation des aides à la pierre ou à un établissement public foncier, pour l’achat de foncier en vue de la réalisation de logements sociaux. Le gouvernement prévoit que le prélèvement qui s’élevait à 24 millions d’euros en 2012 pourrait atteindre 63 millions en 2014, du fait de la majoration prévue. Mais son niveau resterait relativement faible, du fait des diverses exemptions prévues et de la possibilité de déduire les montants dépensés pour la réalisation de logement sociaux[6].

Le faible montant prélevé est aussi dû au fait que de plus en plus de communes respectent leurs engagements triennaux (63 % entre 2008 et 2010, contre 49 % entre 2002 et 2004). Au final, durant la dernière période triennale (2008-2010), 43 000 logements sociaux par an ont été financés dans les communes soumises à la loi SRU, soit environ 38 % du total des logements sociaux financés en France. Pour répondre aux objectifs de la nouvelle loi, l’effort de construction demandé aux communes à court terme va augmenter. En effet, sur la période 2014-2016, il leur faudra réaliser 25 % des logements sociaux manquants pour atteindre 25 % de logements sociaux. Le gouvernement estime que la construction de logements sociaux dans ces communes devrait atteindre 187 000 sur la période 2014-2016, soit 62 000 par an. La loi va donc nettement accroître la pression sur les communes à partir de 2014.

Une action sur les coûts de production

Face à l’explosion des coûts de production (+85 % entre 2000 et 2011)[7], plusieurs mesures ont été prises. Parmi celles-ci, figure l’autre grand volet de la loi du 18 janvier dernier sur la cession de terrains publics aux collectivités territoriales et EPCI[8]. La décote autorisée peut désormais aller jusqu’à 100 % de la valeur vénale dans les zones les plus tendues si les terrains sont affectés à la construction de logements locatifs très sociaux (contre seulement 35 % précédemment). Le taux de décote est d’autant plus important que le territoire est « tendu » et que le programme intègre des logements très sociaux. Le coût pour l’Etat pourrait atteindre au maximum 370 millions d’euros sur 5 ans selon les évaluations du gouvernement. Le foncier représentant environ 20 % du prix de revient d’un logement social, l’impact pour les organismes HLM sera non négligeable, même en tenant compte du coût de viabilisation de ces terrains, mais il ne sera pas visible avant plusieurs trimestres voire plusieurs années (Caisse des Dépôts, 2012). Selon une première évaluation du Ministère, environ 900 sites, couvrant 2000 hectares, seraient disponibles, ce qui permettrait la construction de 110 000 logements d’ici 5 ans (dont la moitié pourrait être du logement social), soit près de 7 % de l’objectif du gouvernement sur 5 ans en matière de logements sociaux. Cependant, plusieurs réserves doivent être apportées aux ambitions gouvernementales. D’une part, le programme précédent (2008-2012) n’a vu la réalisation que de 60 % des objectifs fixés. D’autre part, les négociations de cession prennent du temps. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, peu de cessions ont ainsi été réalisées.

Par ailleurs, pour limiter la hausse des coûts, le taux de TVA pour la construction et la réhabilitation de logements sociaux, qui devait augmenter pour atteindre 10 % en 2014 (après 5,5 % en 2011), sera finalement réduit à 5 % à compter du 1er janvier 2014. Le gain pour les bailleurs sociaux est estimé à 800 millions par rapport à un taux à 10 % (Caisse des Dépôts, 2013). Il devrait nettement alléger la facture pour les organismes HLM, puisque la baisse s’appliquera pour les logements livrés à partir de 2014, c’est-à-dire ayant reçu des agréments à partir de 2011 ou 2012, étant donné les délais de construction.

Outre l’accent mis sur les coûts de production, le financement des logements sociaux serait facilité grâce à l’augmentation du plafond du livret A et à une mobilisation plus importante des subventions des employeurs.

Un accent mis sur le livret A et les subventions patronales

Une des spécificités du modèle français de financement du logement social repose sur le non recours aux marchés financiers. Les organismes HLM ne se financent pas sur les marchés obligataires mais contractent des prêts auprès de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) sur des horizons de long terme (30 à 50 ans) et à des taux préférentiels (Hoorens, 2013). Les prêts sont assis sur une partie de l’épargne déposée par les ménages sur leurs livrets A. In fine environ 52 % des sommes déposées sur les livrets A sont effectivement disponibles pour financer des HLM[9] (Levasseur, 2011). Pour gonfler ces liquidités et donc faciliter le financement du logement social, le plafond du livret A a été relevé en octobre 2012 puis en janvier 2013, pour atteindre 22 950€, soit 50 % de plus que début 2012. Ceci s’est traduit par une collecte record (8,2 milliards en janvier 2013, contre 2,3 milliards en moyenne chaque mois en 2012) et la baisse récente du taux rémunérateur (de 2,25 % à 1,75% en février 2013) n’a pas eu pour le moment de répercussions négatives. Pour le moment, la liquidité semble plus que suffisante pour couvrir les besoins de financement.

Enfin, il faut rappeler qu’en plus des 73 % de prêts de la Caisse des dépôts en 2012, le reste du financement du logement social provient de subventions de l’Etat (3 %), des collectivités locales (8 %) et des employeurs[10] (3 %), ainsi que des fonds propres des bailleurs sociaux (12 %)(tableau). Cette répartition reflète un désengagement progressif de l’Etat durant les années 2000 en termes d’aide par unité produite. La subvention (directe) du gouvernement par unité a ainsi baissé de 54 % entre 2000 et 2011 pour un logement social moyen, pour s’établir à 2500 euros en 2011. Cependant, le gouvernement en a financé davantage, l’enveloppe globale ayant été multipliée par trois entre 2000 et 2009 avant de baisser ces dernières années. Simultanément, on a observé une montée en puissance des subventions des collectivités locales (9 700 euros en 2011, soit une hausse de 170 % par rapport à 2000) tandis que les bailleurs ont dû accroître leur financement sur fonds propres (+375 %, à 19 000 euros). Il faut tout de même souligner qu’en complément de ces subventions directes, les organismes HLM bénéficient d’avantages de taux sur les prêts et d’avantages fiscaux (TVA réduite et exonération de taxe foncière pendant 25 ans)[11].

Malgré les mesures gouvernementales, l’objectif de 150 000 logements sociaux financés en 2013 paraît difficile à atteindre. Le nombre de financements devrait être proche de celui de 2012, c’est-à-dire légèrement supérieur à 100 000. Plusieurs raisons expliquent pourquoi l’objectif est hors de portée dès 2013. D’une part, la difficulté de mobiliser rapidement du foncier, notamment en zones tendues, allonge les délais pour monter des opérations de logement social. Ensuite, pour boucler le financement d’un logement social, ce sont tous les acteurs qui doivent être mobilisés. Or, l’accord entre l’Etat et Action logement est intervenu tardivement et le déblocage des aides d’Action logement nécessite du temps. De plus, les collectivités locales, qui fournissent une part croissante des subventions, sont aussi soumises à un contexte budgétaire tendu qui limite leurs moyens d’action.

Pour financer les 150 000 logements sociaux souhaités par le gouvernement, ce sont en effet environ 19,2 milliards d’euros qui doivent être mobilisés, soit 6 milliards de plus qu’en 2012 (tableau), en se basant sur le prix moyen d’un logement social en 2012. Ce dernier était en effet de 128 000 euros, soit moins que le coût d’un logement social « ordinaire »  (compris entre 130 000 et 140 000 euros), du fait de la prise en compte dans nos calculs du prix d’un logement en foyer ou en résidence sociale et étudiante. Les logements « ordinaires » ne représentent en effet qu’un peu plus de 70% du total des logements sociaux financés. En conservant la répartition du financement de 2012 entre les différents acteurs, cela signifie 4,4 milliards de prêts supplémentaires de la CDC. Il faut donc que la CDC prête au total 14 milliards, ce qui paraît possible au regard des montants collectés sur les livrets A en 2012 et sur la première moitié de l’année 2013 et des fonds excédentaires dont la CDC dispose. Mais au-delà de ces prêts, il faut aussi que les autres financements soient suffisants. Or, il reste 1,6 milliard à répartir entre les autres financeurs. La contribution de l’Etat devrait peu varier (500 millions prévus dans la loi de finances pour 2013, contre 430 millions dépensés en 2012), avec une poursuite de la baisse de la subvention par logement. En revanche, Action logement sera davantage mise à contribution, avec une aide effective de 950 millions d’euros (sous forme de prêts et de subventions)[12], soit une hausse de 500 millions par rapport à 2012. Cet effort accru d’Action logement –alors que sa situation financière est fragile- a d’ailleurs été critiqué par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, mais elle permettra de limiter l’effort supplémentaire pour les collectivités locales et les bailleurs dans un contexte là-aussi déjà tendu. Un supplément de 600 millions de fonds propres des bailleurs et de 400 millions de subventions des collectivités locales sera toutefois nécessaire.

Les bailleurs pourront compter sur quatre mesures d’économies importantes. D’abord, on l’a vu, la baisse de la TVA leur permet d’économiser environ 300 millions d’euros. Ensuite, le gouvernement met fin au prélèvement de 175 millions d’euros sur leur potentiel financier qui avait été instauré en 2011. Ce dernier visait à financer le PNRU (Programme national de rénovation urbaine) et à pénaliser les organismes n’investissant pas assez. De plus, la baisse du taux du livret A de 0,5 point en février 2013 et 0,5 point en août prochain (Madec, 2013) va permettre aux bailleurs sociaux des économies importantes sur les intérêts versés à la Caisse des dépôts. L’USH estimait ainsi qu’une baisse de 0,2 point du taux du livret A permettait d’économiser l’équivalent de 400 millions d’euros de subventions. Enfin, le foncier libéré par l’Etat devrait à partir de 2014 ou 2015 diminuer les dépenses des bailleurs de l’ordre de 70 millions d’euros par an. Par ailleurs, un mécanisme de mutualisation a été acté dans le cadre du pacte du 8 juillet dernier : il prévoit des aides pour les années 2013 à 2015 aux organismes produisant des logements sociaux. Pour 2013, le montant sera de 3 300 euros en zone tendue et 1 300 euros dans les autres zones. Une enveloppe de 280 millions d’euros est prévue. Cette aide sera financée via une contribution des différents organismes en fonction notamment des loyers perçus et du patrimoine locatif. Le but est de mieux utiliser la trésorerie disponible au niveau national en aidant les organismes les plus sollicités. Toutes ces mesures sont positives pour les bailleurs et augmenteront leurs capacités de production. Il n’en reste pas moins que l’effort demandé aux collectivités locales et à Action logement est lourd et que les objectifs ne seront pas atteint dès cette année.

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L’accent mis sur le logement social par le nouveau gouvernement s’inscrit dans la tendance initiée au milieu des années 2000 avec le Plan de cohésion sociale de 2005. La conjonction d’une hausse de la production de logements sociaux depuis le milieu des années 2000 et de la baisse de la construction de logements privés a ainsi entrainé une augmentation de la part des logements sociaux dans la construction (comprise entre 25 % et 30 % depuis 2009). Ce mouvement devrait se poursuivre, même si les objectifs ne sont pas atteints, du fait du ralentissement important du rythme de construction par les agents privés. Entre mai 2012 et mai 2013, ce sont en effet seulement 300 000 logements neufs (privés et sociaux) qui ont été mis en chantier. Cependant, les ambitions gouvernementales sont élevées par rapport aux moyens financiers. Certes, l’Etat va contribuer à l’effort via les aides indirectes (aides de taux et aides fiscales), la fin du prélèvement sur les bailleurs et la mobilisation du foncier, mais peu via les aides à la pierre alors que François Hollande s’était engagé à les doubler pendant la campagne électorale de 2012. De plus, la situation financière d’Action Logement est fragile et cette dernière ne pourra pas supporter sur le long terme un tel effort. Surtout, la réalisation des objectifs repose largement sur les collectivités locales, qui sont contraintes via la révision de la loi SRU à accroître encore leur participation sans moyens supplémentaires fournis par l’Etat. Les mesures prises devraient permettre d’ici la fin du quinquennat d’augmenter nettement le nombre de logements sociaux, mais l’objectif de 150 000 logements sociaux par an semble difficile à atteindre. De plus, le gouvernement ne pourra faire l’économie de revoir à moyen terme le mode de financement du logement social, soumis à une forte hausse du coût de production et à une stagnation du pouvoir d’achat de ces locataires.


[1] Pour mémoire, les organismes HLM représentent 80% du parc social, le reste étant aux mains de sociétés d’économie mixte (SEM). Les 30 000 logements restants par an doivent être construits par ces dernières.

[2] Il faut rappeler que plusieurs années sont ensuite nécessaires pour que ces logements financés soient achevés et donc disponibles pour des locataires (un peu plus de 3 ans en moyenne).

[3]ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine. Nous parlons ici de l’offre brute de logements sociaux, puisque dans le cadre du programme ANRU, la construction d’un logement donne souvent lieu simultanément à la destruction d’un autre.

[4] Cette obligation concerne les communes de plus de 3500 habitants (1500 en Ile de France) appartenant à une agglomération de plus de 50 000 habitants (avec au moins une commune de plus de 15 000 habitants).

[5] Jusqu’à maintenant, pour les communes ne respectant pas les objectifs de constructions sociales fixés dans le cadre des plans triennaux de rattrapage, le préfet pouvait engager une procédure de constat de carence, lui permettant par la suite de majorer le prélèvement à hauteur du taux de non réalisation des objectifs. Ce prélèvement majoré pouvait ensuite être doublé jusqu’à une certaine limite. Dorénavant, le prélèvement majoré pourra être quintuplé et la limite augmente pour les communes les plus riches. Les prélèvements sont calculés via la formule suivante : nombre de logements sociaux manquants * 20% du potentiel fiscal par habitant.

[6] En 2012, sur les 1004 communes ayant moins de 20% de logements sociaux, étant donné les autres motifs d’exemption (communes en décroissance démographique ou bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ou dont le prélèvement est inférieur à 3811,23 euros), seules 354 ont effectivement versé une pénalité et 190 ont été reconnues en état de carence (c’est-à-dire ne respectant pas leurs objectifs triennaux de production de logements sociaux). En plus de la majoration du prélèvement, l’état de carence conduit à un transfert du droit de préemption vers le préfet. Dorénavant, dans les communes en état de carence, tous les projets de construction de plus de 12 logements ou de plus de 800 m2 de surface devront comporter au moins 30% de logements sociaux.

[7] Cette augmentation est due à la hausse des prix fonciers et à celle du coût de production, incluant des normes plus contraignantes en termes de consommation énergétique ou d’accessibilité aux handicapés.

[8] Pour plus de détails, voir le décret n° 2013-315 du 15 avril 2013.

[9] En effet, 65 % des dépôts des livrets A doivent normalement être centralisés à la Caisse des dépôts. Comme les prêts pour le logement social et la politique de la ville doivent être couverts à 125 % par les dépôts centralisés du livret A, du LDD et du LEP, les prêts au secteur social ne peuvent excéder un peu plus de la moitié des dépôts des livrets A.

[10] Il s’agit de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), instaurée en 1953 et désignée sous le terme de “1% logement”, avant d’être renommée en 2009 “Action logement”.

[11] D’après les comptes du logement, l’ensemble des avantages pour le logement social (aides à la pierre, avantages de taux, avantages fiscaux) a ainsi représenté près de 8 milliards d’euros en 2011 pour les finances publiques (Etat et collectivités locales).

[12] Action logement va pour cela emprunter 1 milliard d’euros par an à la Caisse des dépôts pendant trois ans (gagé sur son patrimoine).