Quelles suites prochaines à la réforme des retraites ?

par Mireille Elbaum

 

La réforme des retraites de 2010 a constitué une rupture par rapport aux orientations antérieures, l’emportant sur certaines considérations d’équité. Le choix de reculer de 60 à 62 ans l’âge d’ouverture des droits et de 65 à 67 ans celui de l’annulation de la décote a en effet été préféré au seul maniement des incitations financières, privilégié depuis la réforme de 2003  via l’accroissement de la durée d’assurance et l’augmentation de la surcote. Cette réforme, ciblée sur l’équilibre des comptes à l’horizon 2018, est toutefois présentée comme provisoire, une réflexion étant prévue  dès 2013 sur une réforme « systémique », pouvant déboucher sur un régime universel par points ou en « comptes notionnels ».
Âge de la retraite, pénibilité, système par points ou en comptes notionnels sont donc des sujets majeurs sur l’agenda social, mais les modalités d’éventuelles  réformes peuvent avoir une portée et des incidences très différentes.

Nous tentons de les éclairer dans une note de l’OFCE, tout en soulignant l’importance de sujets qui, comme les aléas de carrière, la situation des poly-pensionnés, les avantages familiaux ou les minima de pensions, nécessiteraient, réforme systémique ou non, d’être rapidement rediscutés.

La réouverture de possibilités de départ à partir de 60 ans pour les personnes qui auraient les durées de cotisation requises pour le taux plein pourrait emprunter deux voies.

– Un retour  à l’âge minimum de liquidation antérieur à la réforme de 2010 redéplacerait l’ensemble des bornes d’âge associées : déclenchement de la décote et de la surcote, possibilité de cumul emploi-retraite, retraite pour inaptitude. La principale interrogation porte sur le sort réservé à l’âge d’annulation de la décote, aujourd’hui progressivement porté de 65 à 67 ans : il affecte les assurés dont les carrières sont courtes et marquées par des interruptions d’activité, avec des effets problématiques en cas, par exemple, de longues périodes de chômage non indemnisé. A contrario, le maintien de limites d’âge décalées à 67 ans dans la fonction publique apparaît souhaitable pour laisser s’exercer librement les choix de prolongation d’activité, quitte à prévoir un plafonnement de la surcote.

– La seconde voie consisterait à revoir et élargir massivement le régime de la retraite anticipée, en ouvrant une possibilité de départ à 60 ans aux assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans et ayant le nombre de trimestres requis pour le taux plein, avec la question de l’application de cette mesure aux seules périodes de travail cotisées ou à l’ensemble des durées validées, y compris au titre des mécanismes de solidarité. Cette option modifierait complètement l’actuel dispositif en faveur des carrières longues, qui devrait être entièrement revu, mais ne rendrait en revanche pas possible les départs à 60 ans avec décote, et ne changerait pas les autres paramètres du système (y compris les 67 ans). Des problèmes de cohérence avec  l’âge d’accès au minimum vieillesse (demeuré à 65 ans) ou l’âge limite de maintien des prestations de chômage resteraient d’ailleurs posés.

Une inconnue importante porte enfin sur la répercussion  de ces décisions sur les régimes complémentaires de l’AGIRC-ARRCO, dont les gestionnaires paritaires ont conclu en 2011 un « compromis conservatoire », la question du rendement et des ressources de ces régimes étant reposée plus rapidement que prévu.

En matière de compensation individuelle de la pénibilité, la réforme de 2010  a prévu un dispositif très limité de départ anticipé à 60 ans, reposant sur la reconnaissance d’une incapacité individuelle, et qui a bénéficié jusqu’ici à moins de 1 500 personnes. Son avenir est donc en question, sachant que l’allongement des durées d’assurance ouvrant droit au taux plein, qui devrait se poursuivre à l’avenir, justifierait une prise en compte spécifique des périodes de travail pénible. Le lien établi entre pénibilité et accident du travail ou maladie professionnelle apparaît à cet égard problématique, et l’évaluation d’une  incapacité individuelle au moment du départ en retraite peut négliger des pathologies susceptibles d’apparaître des années plus tard. Si l’on désire éviter une reconnaissance liée, comme dans certains régimes spéciaux, à des catégories d’emploi déterminées, c’est donc vers la prise en compte des périodes d’exposition aux risques qu’il faudrait se diriger, en envisageant plutôt le recours à des bonifications de durée d’assurance pour éviter les effets de seuil.

Une éventuelle « réforme systémique » pourrait quant à elle déboucher sur la mise en place d’un système unifié de retraites par points ou en comptes notionnels. Analysée par le COR en 2010, elle présente sans conteste un intérêt en termes de transparence et de lisibilité, surtout si sa mise en place s’accompagne d’une harmonisation des règles entre régimes. Les comptes notionnels offrent en particulier des possibilités de choix plus continues et plus transparentes entre durée d’activité et montant des retraites perçues. Ils peuvent aussi  faciliter le pilotage du système et son adaptation aux évolutions économiques et démographiques (augmentation de l’espérance de vie). Ils ont toutefois une logique plus fortement contributive, avec un lien financier direct entre cotisations versées et pensions perçues ; celle-ci peut être amendée par des mécanismes de solidarité ou de redistribution, mais leur apport (abondement des cotisations et du « capital virtuel ») et leur mode de financement nécessitent d’être clairement identifiés.

Au-delà des problèmes techniques, une telle idée recouvre des choix politiques et sociaux, dont les implications peuvent être majeures en termes de solidarité. Le « pari » qui fonde cette piste de réforme est l’unification des régimes professionnels actuels, pour favoriser les mobilités et l’équité entre professions. Cela pose la question d’une fusion des régimes de base qui intégrerait  les régimes spéciaux et ceux de la fonction publique, mais aussi de l’ajout à ces derniers « d’étages » complémentaires. La portée de la réforme serait en revanche réduite si l’on se contentait d’unifier les étages « base + complémentaire » des régimes de salariés du privé (régime général et AGIRC-ARRCO), ce qui ne répondrait en rien aux problèmes d’opacité et d’équité liés à l’empilement des régimes. Les différents  systèmes de gestion « en répartition » sont par ailleurs confrontés aux mêmes problèmes d’équilibre à long terme et à la nécessité d’arbitrages collectifs entre augmentation des cotisations, niveau des prestations et prolongation de l’activité des travailleurs âgés. Le principal danger d’un système de comptes notionnels serait de donner l’illusion que le système peut s’équilibrer automatiquement sur la base de choix individuels, sans que l’évolution des taux de remplacement et du montant des pensions ne soit explicitée, débattue et mise en regard de ses ressources. Les dispositifs de redistribution et de solidarité associés au système ont enfin une importance majeure : une réforme qui rendrait le système plus « contributif » risquerait de pénaliser les assurés les plus « fragiles », mais aussi de se répercuter à terme sur les comptes des autres régimes sociaux.

D’autres sujets d’importance manifeste méritent par ailleurs d’être rapidement re-évoqués,  que l’on s’engage ou non dans  une « réforme systémique » :

– les « aléas de carrière » et la retraite des chômeurs : l’idée de « sécuriser les parcours professionnels » devrait conduire à y réfléchir rapidement, dans un contexte où la montée du temps partiel subi et d’un chômage de longue durée non indemnisé risquent de peser sur les droits de certains assurés ;

– le traitement des « polypensionnés », qui peuvent être tantôt avantagés tantôt désavantagés par les règles actuelles : la proratisation des périodes prises en compte pour le calcul du salaire des « 25 meilleures années » n’a en particulier pas été réalisée entre régime général et régimes « non alignés » (fonction publique, professions libérales ou exploitants agricoles), ce qui aboutit à des inégalités de pension (parfois de l’ordre de 15%) selon les parcours professionnels, et l’ordre dans lequel ils  ont été effectués.

– le cumul emploi-retraite, dont la libéralisation en 2009 entraîne un développement qui s’appuie notamment sur le statut d’auto-entrepreneur et qui mérite d’être questionné, d’autant que les salariés qui ont dû liquider leur pension sans atteindre le taux plein ne bénéficient pas, eux, de cet élargissement.

– les avantages familiaux de retraite, dont les logiques restent diverses et pas toujours cohérentes, en dépit des aménagements apportés par les  réformes. Les questions portent sur  l’harmonisation de ces droits dans les différents régimes ; le redéploiement des majorations de pension versées aux parents d’au moins trois enfants pour soutenir les familles non pas après, mais lorsque les enfants sont encore à charge, et en tout cas l’idée de les rendre forfaitaires et imposables ; la fusion éventuelle des majorations et bonifications de durée d’assurance (MDA et AVPF), tout en améliorant leur impact sur les salaires de référence, principale source dans l’avenir des écarts de pension entre les hommes et les femmes.

– les minima de pension des régimes, dont les évolutions vont plutôt dans le sens d’une contributivité accrue, mais dont une partie a été en même temps reportée sur la solidarité nationale (à hauteur de 3,5 milliards d’euros via le Fonds de solidarité vieillesse). Le minimum vieillesse qui, indexé sur les prix, s’était écarté du seuil de pauvreté, a de son côté été revalorisé de 25% entre 2009 et 2012, mais seulement pour les personnes seules (pas les couples), et la question  se pose aujourd’hui de la spécificité et de l’articulation des différents minima, ainsi que de leur capacité à garantir  le revenu des titulaires de faibles pensions.

La question de l’indexation s’étend d’ailleurs à l’ensemble des retraites, sachant qu’une « réforme systémique » serait l’occasion de réexaminer leurs modes de revalorisation et leur ajustement, de court et de moyen termes, à l’évolution des revenus. L’ensemble des sujets précédents mériterait néanmoins,  au même titre que les bornes d’âge et la pénibilité, d’être inscrit rapidement sur « l’agenda social », que l’on s’engage ou non dans une telle réforme.

 

 




Taxe carbone aux frontières européennes : attachons nos ceintures !

par Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux

Comment contourner l’impasse actuelle des négociations climatiques internationales ? Par un dosage optimal d’incitations et de contraintes. Dans l’affaire qui l’oppose actuellement aux compagnies aériennes mondiales, l’Union européenne applique de manière justifiée cette combinaison gagnante pour imposer ce qui s’apparente à une taxe carbone à ses frontières. Elle brandit la menace de la contrainte de sanctions financières pour encourager un accord sectoriel qui n’a que trop tardé entre les compagnies aériennes en vue de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le bras de fer engagé par les compagnies aériennes de plusieurs grands pays, avec l’appui plus ou moins ouvert de leurs gouvernements, contre l’application de cette nouvelle réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre des appareils desservant le territoire de l’Union européenne (UE) constitue, dans cette perspective, un test crucial et un enjeu symbolique considérable, car c’est une grande première : toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE sont assujetties à la nouvelle mesure, de quelque nationalité qu’elles soient. Les responsables européens ont, le 9 mars dernier, réaffirmé leur détermination à maintenir cette réglementation, aussi longtemps qu’une solution satisfaisante n’aura pas été proposée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ; or 26 des 36 Etats membres du Conseil de l’OACI, dont la Chine, les Etats-Unis et la Russie, se sont déclarés hostiles aux nouvelles contraintes européennes, enjoignant leurs compagnies aériennes de ne pas s’y soumettre. Et le gouvernement chinois menace à présent de bloquer, voire d’annuler, les commandes de 45 appareils Airbus, dont 10 gros porteurs A380, si la décision européenne n’est pas abrogée.

Des émissions aériennes en forte hausse

Les émissions de GES imputables au transport aérien ne représentent qu’environ 3 % des émissions mondiales et européennes (de l’ordre de 12 % des émissions totales issues des transports dans l’UE). Mais, en dépit des progrès accomplis par les avionneurs en matière d’intensité énergétique, ces émissions, qui sont encore modestes au regard du transport routier, connaissent une croissance explosive depuis 20 ans, beaucoup plus rapide que celle de tous les autres secteurs, y compris le transport maritime (graphique). Il faut donc les maîtriser.

En outre, les carburants utilisés par les compagnies aériennes ne sont, dans la plupart des pays et notamment dans l’UE, pas soumis à la taxation habituelle qui frappe les produits pétroliers, ce qui constitue une évidente distorsion de concurrence par rapport aux autres modes de transport.

Un cadre juridique robuste

Entrée en vigueur le 1er janvier 2012, la nouvelle réglementation européenne oblige toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE à acquérir des permis d’émission pour un montant correspondant à 15 % des émissions de CO2 engendrées par chaque trajet à destination ou en provenance de ces aéroports. Non discriminatoire, puisqu’elle concerne indistinctement toutes les compagnies desservant l’espace européen, quelle qu’en soit la nationalité ou la résidence, cette obligation fondée sur la protection de l’environnement est dès lors parfaitement conforme à la Charte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Elle est également bien entendu conforme aux traités européens mais aussi aux diverses dispositions du droit international en matière d’aviation civile, comme l’a rappelé, dans son arrêt du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne saisie par plusieurs compagnies aériennes américaines qui en contestaient la légalité. Le cadre juridique de cette nouvelle disposition est donc robuste.

Vers la mort du transport aérien ?

Les compagnies aériennes et les gouvernements des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre hostiles à cette mesure justifient leur opposition frontale par son inopportunité, dans la conjoncture actuelle de faiblesse de la croissance et de hausse du coût des carburants, et par son coût excessif : la hausse induite des tarifs aériens passagers serait de nature à déprimer davantage une industrie déjà fragilisée.

En réalité, la mesure est largement symbolique et son coût presque insignifiant. Que l’on en juge : selon le calculateur Air France agréé par l’ADEME, les émissions par passager pour un aller-retour sont d’un peu plus d’une tonne de gaz carbonique pour un Paris-New-York, et d’environ 1,4 tonne pour un Paris-Pékin. Le prix actuel de la tonne de carbone sur l’ETS – le marché européen du carbone sur lequel les compagnies doivent acquérir les permis d’émission – étant d’un peu moins de 8 euros, le surcoût par billet s’établit respectivement à 1,2 euro pour un Paris-New-York et 1,7 euro pour un Paris-Pékin ! (le calculateur de l’OACI donne des estimations encore inférieures).

Vers la guerre commerciale ?

Les menaces d’annulation de commandes d’Airbus ou d’autres représailles commerciales sont évidemment sans commune mesure avec l’incidence économique de la taxe sur le ciel européen en l’état actuel de la législation. Craindre que celle-ci ne déclenche une « guerre commerciale », c’est en outre oublier que cette guerre est déjà déclarée dans l’industrie, en particulier dans le secteur aérien (avec la multiplication des subventions publiques plus ou moins déguisées, y compris en Europe et l’usage du taux de change, véritable arme de politique industrielle). De plus, les accords ou les annulations de commande dans ce secteur sont de toute façon très souvent influencés par le contexte politique, parfois pour des motifs douteux (comme dans le cas de rapprochements diplomatiques avec des régimes peu fréquentables). Ici, le motif est légitime, puisqu’il s’agit de défendre l’intégrité de la politique climatique européenne.

Relayées par les groupes de pression ciblés – en l’occurrence les avionneurs –, les menaces et chantages de tous ordres sont destinés à faire fléchir les gouvernements pour obtenir des gains à courte vue. Ils visent notamment les pays, au premier rang desquels l’Allemagne et la Pologne, qui traînent aujourd’hui des pieds pour accepter la proposition de la Commission d’accélérer le rythme de réduction des émissions européennes, en passant de 20 % à 30 % l’objectif de réduction des émissions en 2020 (par rapport au niveau de 1990). L’Allemagne et la Pologne agissent, comme c’est au demeurant leur droit, sur le dossier climatique, respectivement, conformément à une stratégie de croissance fondée sur les exportations et une stratégie énergétique fondée sur le charbon. Dans les deux cas, il s’agit de choix nationaux qui ne doivent pas prévaloir sur les orientations européennes. Il n’y a donc, du point de vue de l’intérêt européen, aucune raison valable de céder à ces pressions, même relayées par certains Etats membres.

En confirmant sa détermination, l’UE peut administrer la preuve que son leadership par l’exemple sur le plan climatique dépasse l’enjeu de l’exemplarité morale pour aboutir à des changements effectifs de comportements économiques. L’UE peut donner à voir toute l’efficacité d’une stratégie climatique régionale dans un contexte global bloqué. S’il devait se confirmer, le succès de la stratégie européenne, consistant à inciter à des stratégies coopératives sous la menace crédible de sanctions, indiquerait la voie pour sortir de l’impasse des négociations climatiques.

L’Union européenne va, dans les prochaines semaines, traverser une zone de turbulences (une de plus) sur le dossier de sa taxe carbone aux frontières. Il serait juridiquement absurde et politiquement très coûteux de faire machine arrière maintenant : attachons plutôt nos ceintures et attendons tranquillement l’extinction du signal lumineux.

 

 




Les dépenses publiques en France : en fait-on trop ?

par Xavier Timbeau

Depuis 2005 la France dispute au Danemark la première place en matière de « dépenses publiques », telles qu’elles sont rapportées par l’OCDE. Comme le ratio dépense publique sur PIB a atteint 56,6% en 2010, il serait nécessaire, selon une opinion largement répandue, de « dégonfler » un Etat qui prendrait « trop » de place dans l’économie. Cette première place ne serait pas un titre de gloire mais le signe que nous avons atteint un niveau insoutenable de « dépenses publiques ». Puisque, par ailleurs, il est indispensable de réduire le déficit public, le chemin est clair : la réduction de la dépense publique serait la seule voie de maîtrise des finances publiques. Mais cette analyse simpliste est erronée.

Elle repose sur une mauvaise utilisation des statistiques des dépenses publiques diffusées par l’OCDE et elle découle d’une mauvaise compréhension de ce que le terme « dépenses publiques » signifie. Il faut reconnaître que ce vocable prête à confusion (on ne prête qu’aux riches !).

Ce que l’on appelle la « dépense publique » associe d’un côté des dépenses collectives (de l’entretien des forces de sécurité à l’administration du pays ou encore la lutte contre la pauvreté) et de l’autre des dépenses de transfert assurantiels. Ces dépenses de transfert recouvrent l’assurance retraite ou l’assurance maladie. Elles sont individualisables, au sens où l’on connaît le bénéficiaire direct de la dépense (ce qui n’est pas le cas pour les dépenses d’administration dont le bénéfice est diffus) et sont financées par des schémas contributifs : pour avoir droit à la prestation, il est nécessaire d’avoir cotisé. Dans la plupart des pays, l’assurance retraite est presque complètement contributive, dans le sens où les prestations relatives entre individus du même âge correspondent aux cotisations relatives. Le taux de rendement des cotisations (qui rapporte la valeur actualisée espérée du flux de prestations retraite à la valeur actualisée des cotisations) est comparable à celui qu’on peut obtenir sur longue période en capitalisant une épargne. Le minimum vieillesse, les avantages familiaux ou les pensions de réversion pourraient venir écorner ce principe contributif, mais en pratique, ces « avantages » compensent des carrières courtes, interrompues par des accidents de la vie et ne diffèrent pas beaucoup d’un schéma contributif. En ce qui concerne la santé, autre pilier des Etats sociaux modernes, l’aspect contributif est atténué par la redistribution opérée par une cotisation proportionnelle au salaire et une dépense qui dépend de l’âge et peu du revenu (à l’exception des indemnités journalières). Lorsque la dispense des soins est universelle, certains en bénéficient sans avoir contribué, mais ces cas restent marginaux et ne modifient pas le caractère quasi contributif de nos systèmes de santé.

Suivant les pays, la mutualisation des dépenses de transfert passe par des formes d’organisation diverses. Cela peut être à l’intérieur de l’entreprise, dans des organisations sectorielles, par des organismes paritaires (syndicats/patronat) ou intermédié par l’Etat central. La particularité de la France est d’avoir une intermédiation de la protection sociale principalement organisée par l’Etat. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays comme le Royaume Uni, les Etats-Unis ou encore l’Allemagne. Même l’assurance chômage, qui est pourtant paritaire, est considérée par la comptabilité nationale comme relevant du secteur public et les cotisations chômage sont considérées comme des prélèvements obligatoires (les cotisations d’assurance automobile, pourtant imposées à celui qui circule sur les routes, ne sont pas dans les prélèvements obligatoires).


La figure 1 illustre la position singulière de la France. En France, en 2010, les « dépenses publiques » au sens strict (c’est-à-dire non-individualisables comme la sécurité intérieure et extérieure, l’administration, des dépenses d’intervention diverses) représentent 18,2% du PIB. Pour cette « dépense publique stricte » la France était en 2009 au 10e rang des pays de l’OCDE (voir également la figure 2). Si le « concours de maigreur » ne concernait que les dépenses de ce champ strict, la France serait dans une bonne moyenne par rapport à d’autres pays décidément dépensiers comme les Etats-Unis, le Portugal ou encore l’Italie. Qui plus est, et contrairement au Royaume Uni, aux Etats-Unis ou à l’Irlande, la France a réduit au cours des 20 dernières années la part de la « dépense publique stricte » faisant-là preuve d’une rigueur de gestion inattendue.

La figure 1 montre également que le noyau dur des « dépenses publiques » est peu dispersé parmi les pays de l’OCDE. Un pays développé a besoin de sécurité, d’administration ou de dépenses d’intervention. Ces dépenses régaliennes sont difficilement compressibles, et entre l’Etat le plus dépensier (la Hongrie) et le plus économe (la Suisse) la différence est de 8 points de PIB. Si on se limite aux Etats de grande taille, l’écart est plus faible (une différence de 3,6 points de PIB entre le Japon et l’Italie). En revanche, concernant les « dépenses publiques sociales », les différences entre Etats sont majeures, l’écart étant de 27 points de PIB entre la Corée et le Danemark ou, parmi les grands pays, de 13 points de PIB entre les Etats-Unis et la France. Ceci fait de la France, avec le Danemark, la Suède, l’Autriche ou la Finlande, un pays où la « dépense publique sociale » en proportion du PIB est élevée.


Peut-on conclure de ces données que le système français de protection sociale est plus généreux que dans les autres pays ? Que c’est là la cause d’une dette publique insoutenable (figure 3) ? Peut-on dire qu’il est trop généreux et qu’il faut inverser la tendance des 20 dernières années en réduisant la part de la dépense sociale dans le PIB ? Non, cela n’indique qu’une seule chose, c’est que la protection sociale, la santé ou l’éducation sont dispensées en France directement par l’Etat qui en assure le financement par des prélèvements obligatoires. Dans les autres pays, l’intervention de l’Etat (ou des collectivités territoriales) peut être aussi massive (en définissant par exemple le cahier des charges de l’éducation, le prix des soins ou des médicaments, l’obligation de souscrire à une assurance retraite ou santé) mais la production du service ou la distribution de la prestation peut être confiée à un organisme non public. Dans certains pays, seule une partie de la couverture maladie ou retraite est obligatoire, les individus étant ensuite « libres » de choisir le niveau de dépense qu’ils souhaitent. Cette liberté est relative, puisqu’elle peut être guidée par des incitations fiscales (au lieu d’une « dépense publique », on parle de « dépense fiscale », puisque cela implique un manque à gagner en termes de recettes fiscales pour l’Etat) ou par la nécessité.

Ainsi, la dépense totale de santé ou d’éducation est plus élevée aux Etats-Unis qu’elle ne l’est en France, une fois rapportée au PIB, bien que la part directement distribuée par l’Etat y soit plus faible.  Pourquoi ces dépenses réputées caractéristiques d’un Etat social sont plus développée dans une société plus individualiste ? Prend-on correctement en compte les incitations fiscales ou les normes sociales ? Autre exemple : la mise en place de la surcote ou de la décote dans le système de retraite français a modifié les incitations individuelles et donc les rendements individuels (vers une plus grande « neutralité actuarielle »). Mais cela n’a pas pour autant modifié la part des « dépenses publiques » de retraite dans le PIB. Demain, la mise en place d’une assurance dépendance pourra augmenter la « dépense publique sociale » de quelques points de PIB. La bonne question n’est pas la personnalité juridique de l’organisme distributeur, mais plutôt de savoir quelles sont les incitations que les individus perçoivent et quelle solidarité inter- ou intra-générationnelle cette assurance dépendance impliquera.

Un système social doit donc se juger sur les droits qu’il ouvre, sur les  devoirs qu’il implique et donc sur son aspect plutôt contributif ou plutôt solidaire et redistributif. Pour cela il faut regarder à la fois les prestations, les prélèvements et les garanties implicites ou explicites apportées en cas de choc aux institutions privées ou publiques qui dispensent ces prestations. Un système privé peut être très redistributif (lorsque la tarification de certains risques est interdite, lorsque la garantie publique est intégrale) et un système public peut être très contributif et plus neutre du point de vue  intergénérationnel qu’un système privé, comme nous le montre par exemple le système suédois des retraites.

Un simple examen des données agrégées ne peut permettre de trancher le débat et c’est pourquoi tenter de convaincre de l’utilité de réduire les « dépenses publiques sociales » au motif qu’elles seraient plus élevées que dans tous les autres pays n’a tout simplement aucun sens.

Ci-dessous les trois graphiques en format pdf

Figures Depenses publiques en France XT





Oui, les comptes nationaux seront révisés après l’élection

par Hervé Péléraux et Lionel Persyn[1]

Au sein d’une Europe qui penche de plus en plus ouvertement vers la récession, la performance de l’économie française au quatrième trimestre a étonné, alors que l’INSEE publiait à la mi-février une hausse du PIB de 0,2 %. Ces résultats contrastent singulièrement avec la dégradation du climat conjoncturel depuis l’été 2011, qui laissait attendre une évolution du PIB moins favorable que celle annoncée.

Toutefois, les chiffres actuels de la comptabilité nationale sont loin d’être figés. Une note de l’OFCE décrit la procédure de révision depuis la publication des résultats provisoires jusqu’à la publication des comptes définitifs. Cette révision s’étale sur plusieurs années, d’abord avec le calage des comptes trimestriels sur les comptes annuels, ensuite avec la révision des comptes annuels, qui, dans leur version définitive pour 2011 seront connus en mai 2014, et enfin avec les changements de base de la comptabilité nationale qui sont l’occasion d’introduire des innovations méthodologiques visant à une plus grande précision des estimations passées.

L’énigme du quatrième trimestre 2011 sera peut-être résolue dans le futur par le jeu des révisions. C’est pourquoi, il est utile de se référer à l’expérience passée pour tenter de cerner le profil des rectifications et d’en tirer les implications probables pour la période actuelle. Depuis 1987, les révisions de comptes apparaissent pro-cycliques, c’est-à-dire que les chiffres provisoires sont majoritairement révisés en hausse en période de reprise ou de croissance rapide, et en baisse en phase de retournement à la baisse du cycle économique. Lors de certains épisodes conjoncturels majeurs les révisions moyennes ont été importantes et ont pu altérer le diagnostic conjoncturel.

Ce fut le cas en 2008, quand après un premier chiffre négatif annoncé par l’INSEE pour le deuxième trimestre, -0,3 %, la première estimation pour le troisième trimestre s’établissait à +0,1 %, écartant pour un temps la perspective d’une entrée en récession de l’économie française. Les évaluations ultérieures ont donné un tour plus dramatique à la trajectoire du PIB, avec actuellement des estimations respectives pour chacun des deux trimestres à -0,7 et -0,3 %, qui si elles avaient été connues à l’époque, auraient probablement infléchi les prévisions à la baisse en révélant pleinement la gravité des répercussions de la crise financière sur la sphère réelle.


[1] Au moment de la rédaction de cette note, Lionel Persyn était stagiaire à l’OFCE et doctorant à l’Université de Nice Sophia Antipolis.

 




De l’imposition des revenus et du capital des ménages

par Henri Sterdyniak

L’idée qu’en France les revenus du patrimoine bénéficieraient d’une fiscalité particulièrement faible de sorte qu’il serait possible de rendre le système français plus équitable en augmentant leur imposition est très répandue. Dans une note de l’OFCE, nous comparons la fiscalité portant sur les revenus du travail et celle portant sur les revenus du capital. Nous montrons que la plupart des revenus du capital sont autant imposés que les revenus du travail. Les réformes décidées pour 2012 augmentent encore la taxation des revenus du capital. Les marges de manœuvre sont faibles. Il existe cependant des niches fiscales et quelques exceptions, la plus notable aujourd’hui étant la non-imposition des loyers implicites (ceux dont bénéficie le ménage qui possède son logement).

Le tableau compare les taux d’imposition marginaux des différents types de revenus. Les taux économiques (intégrant IS, cotisations non contributives, CSG, prélèvements sociaux) sont nettement supérieurs aux taux affichés. Les intérêts, les revenus fonciers, les dividendes et les plus-values taxées sont approximativement imposés comme les salaires les plus élevés. Il est donc erroné de prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement taxés, ils le sont à des taux élevés.

Le taux d’imposition affiché des revenus du capital a augmenté de 29 % en 2008 à 31,3 % en 2011 du fait de la hausse de 1,1 point du taux des prélèvements sociaux pour financer le RSA, de 1 point du taux de prélèvement libératoire et de 0,2 point du taux de prélèvement sociaux pour financer les retraites. Le gouvernement a financé l’extension de la politique sociale en taxant les revenus du capital. Ce taux passera à 39,5 % (pour les intérêts), à 36,5% pour les dividendes sur les revenus de 2012.

Faut-il préconiser une réforme radicale : la soumission de tous les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu ? Ceci peut être justifié pour des raisons d’affichage (bien montrer que tous les revenus sont pareillement imposés), mais pas sur le plan purement économique.

En ce qui concerne les revenus d’intérêts, ce serait oublier le taux d’inflation. La tranche de 41 % correspondrait à un prélèvement de 108 % sur le revenu réel d’un placement rémunéré à 4 % pour un taux d’inflation de 2 %. Pour les dividendes, ce serait oublier que les revenus concernés ont déjà payé l’IS ; la tranche de 41 % (en supprimant l’abattement de 40%) correspondrait ainsi à une imposition total de 70 %. Il faut effectuer un choix politique entre deux principes : un même taux de taxation économique pour tous les revenus (qui amènerait paradoxalement à conserver une fiscalité spécifique pour les revenus du capital) et une taxation plus forte des revenus du capital puisque ceux-ci sont surtout reçus par les plus aisés et ne sont pas les fruits de l’effort (qui amènerait paradoxalement à les traiter selon le même barème que les revenus du travail, en oubliant IS et inflation).

Le problème réside surtout dans les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation.  Pendant de longues années, les banques et les sociétés d’assurances avaient réussi à convaincre les pouvoirs publics qu’il fallait détaxer les revenus du capital financier des ménages. Deux arguments étaient utilisés : éviter que les plus riches placent leurs capitaux à l’étranger ; favoriser l’épargne longue et l’épargne à risque. C’est ainsi qu’avaient été exonérés les PEA, le PEP, les OPCVM de capitalisation. Les gouvernements sont progressivement revenus sur la plupart de ces dispositifs. Deux principes devraient  être réaffirmés : d’une part, tous les revenus du capital doivent être soumis à taxation, l’évasion fiscale devant être combattue par les accords européens d’harmonisation de la fiscalité ; d’autre part, c’est aux émetteurs de convaincre les épargnants de l’intérêt des placements qu’ils proposent, l’Etat n’a pas à favoriser fiscalement telle ou telle forme de placement.

Reste la possibilité qu’utilisent les familles aisées d’échapper à la taxation des plus-values par la donation aux enfants (en vie ou au moment du décès) ou par le départ à l’étranger avant leur réalisation. Ainsi, un riche actionnaire peut loger ses titres dans une société ad hoc qui reçoit ses dividendes, utiliser les titres de cette société comme caution pour obtenir des prêts de sa banque qui lui fournissent les sommes dont il a besoin pour vivre et ainsi ne pas déclarer de revenu ; puis léguer les titres de cette société à ses enfants, de sorte que les dividendes et les plus-values dont il a bénéficié ne sont jamais imposées à l’IR.

L’autre trou noir de la fiscalité réside dans la non-imposition des loyers implicites. Il n’est pas juste que deux familles de même revenu payent le même impôt si l’une a hérité d’un appartement et l’autre doit payer un loyer : leur capacité contributive est très différente

Deux mesures apparaissent donc souhaitables. La première consisterait à supprimer tous les dispositifs qui permettent d’échapper à la taxation des plus-values, en particulier faire payer l’impôt sur les plus-values latentes en cas de transmission par donation et héritage ou de départ à l’étranger. La deuxième serait d’introduire progressivement une taxation des loyers implicites, par exemple en faisant payer la CRDS-CSG et les prélèvements sociaux aux propriétaires de leur logement.

Ceci fait, il faudra faire un choix politique :

–         Soit supprimer l’ISF, puisque tous les revenus du capital financier et foncier seraient bien taxés à  60 %.

–         Soit considérer qu’il est normal que les patrimoines élevés contribuent en tant que tels aux frais de fonctionnement de la société, indépendamment des revenus qu’ils procurent. Dans cette optique, il faut maintenir l’ISF et ne pas comparer le montant de l’ISF au revenu du patrimoine dans la mesure où le but de l’ISF est précisément de mettre à contribution les patrimoines eux-mêmes.

 




Journée des droits de la femme

À l’occasion de la journée du 8 mars, nous rappelons à nos lecteurs que l’OFCE développe avec Sciences Po le Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le GEnre (PRESAGE).

Dans ce blog nous avons, à plusieurs reprises, abordé le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.




Notre système de santé est-il en péril ? Réorienter la réforme de la gestion hospitalière (4/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le dernier sujet de préoccupation important à propos du système de santé concerne le financement de l’hôpital. Celui-ci a été fortement perturbé par la mise en place de la T2A depuis 2005. Cette dernière a réintroduit un lien financier direct entre l’activité des hôpitaux et leurs ressources financières. Cette réforme a  renforcé l’importance et le pouvoir des « gestionnaires », ce qui a pu donner le sentiment que les hôpitaux étaient dorénavant assimilés à des entreprises soumises à un impératif de rentabilité.
La réalité est plus complexe car la T2A vise moins la « rentabilisation » des hôpitaux que la rationalisation de la répartition des dépenses entre eux en établissant un lien entre leurs recettes et leur activité mesurée par le nombre de patients pris en charge pondéré par le coût moyen des traitements de chacun d’entre eux. Le risque de ce mode de financement est paradoxalement d’inciter à la dépense en contribuant à privilégier la multiplication des traitements et des actes. De fait le rapport du HCAAM pour 2011 (op.cit.) note que la croissance de 2,8 % des dépenses hospitalières tarifées à l’activité en 2010 se décompose en une hausse de 1,7 % imputable à l’augmentation du nombre de séjours et une hausse de 1,1 % imputable à un « effet structure » lié au déplacement de l’activité vers des prises en charge mieux rémunérées[1].

Cette évolution est inquiétante et pourrait conduire à une remontée des dépenses hospitalières sans autre justification que la nécessité budgétaire. La convergence des tarifs appliqués aux cliniques privées et aux hôpitaux publics et non lucratifs n’est pas une garantie contre cette dérive car les cliniques privées ne sont pas soumises à des incitations différentes. On touche là aux limites de la gestion par la concurrence, fut-elle fictive, dont les imperfections sont trop nombreuses pour qu’elle soit le seul moyen de régulation et de gestion.

Les hôpitaux publics reçoivent aussi des crédits forfaitaires destinés à assurer les missions d’intérêt général et de formation qui leur sont confiées. Cette enveloppe de crédit représente environ 14 % de leur budget exécuté en 2010[2]. Elle permet de financer les activités d’enseignement et de recherche des hôpitaux, la participation aux actions de santé publique, ou la prise en charge de populations spécifiques comme les patients en situation de précarité. Contrairement aux remboursements liés à l’application de la tarification, les montants des budgets correspondants sont limitatifs et faciles à modifier.

En conséquence la régulation budgétaire s’appuie souvent  sur la mise en réserve d’une partie de ces crédits et la révision des montants attribués en fonction de l’évolution de l’ensemble de la dépense hospitalière. Ainsi en 2010 le dépassement en cours d’année de l’objectif de dépenses assigné aux hôpitaux, évalué à 567 millions d’euros, s’est traduit par une réduction de 343 millions d’euros du budget affecté aux missions d’intérêt général, soit un ajustement de l’ordre de – 4,2 % par rapport au budget initial (HCAAM, 2011).

La régulation de la dépense hospitalière a donc tendance à porter sur la part du budget la plus faible qui est aussi la plus facile à maîtriser par les autorités centrales. Il est certes possible de réviser les tarifs de remboursement de la T2A, mais l’impact budgétaire est nécessairement retardé et les objectifs visés plus difficiles à atteindre.  Le système de gestion budgétaire des hôpitaux est donc imparfait et il fait courir le double risque d’un dérapage mal contrôlé des dépenses régies par la T2A et d’un assèchement des enveloppes budgétaires qui servent au financement des dépenses qui ne peuvent pas donner lieu à facturation. Il n’y a pas de solution simple à cette difficulté : revenir au système antérieur de budget global pour le financement de la totalité de la dépense ne serait évidemment pas satisfaisant alors que la T2A a permis d’améliorer le lien entre l’activité des hôpitaux et leur financement ; faire peser tous les ajustements budgétaires sur les seules enveloppes de missions générales et d’investissement, surtout dans une période de rigueur, n’est pas plus acceptable. La tendance générale est de limiter le plus possible le champ de l’enveloppe de financement forfaitaire (Jégou, 2011) et d’étendre au maximum celui de la tarification à l’activité.

Mais la tarification n’est pas toujours parfaitement adaptée à la prise en charge de pathologies complexes et chroniques.  On peut donc se demander si, à l’inverse, la mise en place d’un tarif de remboursement mixte comprenant une part fixe et proportionnelle ne serait pas plus efficace tout en facilitant la régulation d’ensemble du système du fait d’une enveloppe forfaitaire plus large. La partie fixe pourrait par exemple être déterminée sur la base de la population couverte (comme c’était le cas dans la modalité ancienne de budget global). Cette évolution aurait aussi l’avantage de faire reculer l’obsession gestionnaire qui semble avoir fortement contribué à dégrader le climat social au sein des hôpitaux.


[1] Les malades pris en charge par l’hôpital sont classés dans un Groupe Homogène de Malade (GHM) sur la base du diagnostic. Pour chaque séjour d’un malade donné l’hôpital est rémunéré sur la base d’un tarif établi en Groupe Homogène de Séjours (GHS) qui renvoie au GHM auquel appartient le malade et au traitement qu’il reçoit. En théorie ce système permet d’associer un tarif « objectif », en fonction du malade pris en charge. En pratique, le classement en GHM et GHS est très complexe, notamment du fait des pathologies multiples, et le classement est « manipulable ». Il en résulte que l’on ne peut pas savoir précisément si le glissement vers des GHS plus coûteux correspond à une aggravation des cas, à une manipulation du codage ou à une sélection des patients les plus « rentables ».

[2] Ces crédits dit MIGAC (pour Missions d’intérêt général et aides à la contractualisation) atteignaient 7,8 milliards d’euros en 2010 sur un total de dépenses hospitalières du champ MCO (Médecine, Chirurgie, Obstétrique et Odontologie) de 52,7 milliards, Cf. HCAAM, 2011.




Notre système de santé est-il en péril ? Réformer le remboursement des soins (3/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le troisième, ici présenté, le problème du remboursement des soins, des soins de longue durée et de la hausse des dépassements d’honoraires.

Actuellement le remboursement des soins par la Sécurité sociale varie en fonction de la gravité de la maladie : les soins de longue durée, qui correspondent à des affections de gravité élevée, sont pris en charge à 100 % alors que les remboursements des soins courants ont tendance à diminuer du fait de  l’existence et de la hausse de forfaits divers non remboursés. S’ajoute à cette évolution structurelle la hausse des dépassements d’honoraires non remboursés qui réduisent la part des dépenses financée par la Sécurité sociale.  Il en résulte que la prise en charge des soins courants par l’assurance maladie est limitée à 56,2 % alors que le taux de remboursement des malades atteints d’affections de longue durée (ALD) est de 84,8 % pour les soins de ville[1]. Cette situation a de multiples conséquences fâcheuses : elle peut entraîner un renoncement à certains soins courants avec des conséquences négatives sur la prévention des affections plus graves ; elle renchérit le coût des assurances complémentaires qui paradoxalement sont taxées pour alimenter l’assurance obligatoire au motif de la forte prise en charge publique des ALD. Enfin elle donne à la définition du champ des ALD un rôle central alors qu’il n’est pas très facile à délimiter puisqu’il faut mêler la mesure du « degré » de gravité et celle du coût des traitements pour définir la liste des affections ouvrant droit à un remboursement complet. La question des affections multiples et de leur prise en charge simultanée par l’assurance maladie au titre des soins courants ou des ALD constitue d’autre part un casse-tête bureaucratique  générateur d’incertitude et de dépenses de gestion et de contrôle peu utiles.

C’est pourquoi certains proposent de remplacer le système des ALD par la mise en place d’un bouclier sanitaire qui permettrait la prise en charge à 100 % de l’ensemble des dépenses dépassant un certain seuil annuel. Au-delà d’un certain seuil de dépenses non remboursées (correspondant par exemple au niveau actuel  du « reste à charge » moyen après remboursement de l’assurance maladie obligatoire, soit environ 500 euros par an en 2008[2]) la prise en charge par la Sécurité sociale deviendrait intégrale. Un tel système assurerait mécaniquement la prise en charge des dépenses les plus importantes associées aux maladies graves sans nécessiter le détour actuel par les ALD.

On peut aussi imaginer moduler le seuil de dépenses non remboursées en fonction du revenu (Briet et Fragonard, 2007) ou le taux de remboursement ou les deux. Cette possibilité est généralement évoquée pour limiter la hausse des dépenses remboursées. Elle pose la question habituelle du soutien des plus favorisés aux assurances sociales alors qu’ils auraient intérêt à se rallier à la mutualisation du risque santé dans le cadre d’assurances privées à cotisations proportionnelles aux risques plutôt qu’aux revenus.

La mise en place d’un système de bouclier sanitaire pose aussi la question du rôle des assurances complémentaires. Historiquement ces assurances « complétaient » la couverture publique par la prise en charge de dépenses écartées totalement ou quasi intégralement du panier de soins remboursées par l’assurance de base (appareils dentaires, montures de lunettes, optique sophistiquée, chambres « seul » à l’hôpital, etc.). Elles interviennent aujourd’hui de plus en plus comme des assurances « supplémentaires » qui viennent compléter l’assurance publique pour le remboursement de l’ensemble des dépenses de santé (prise en charge du ticket modérateur, remboursement partiel des dépassements d’honoraires).  Le passage à un système de bouclier sanitaire limiterait leur champ d’action au remboursement des dépenses en deçà du seuil. On imagine souvent que les assurances complémentaires, si elles sortaient de leur rôle actuel de co-payeur aveugle des dépenses de soins, pourraient jouer un rôle actif de promotion de la prévention en proposant par exemple une modulation des cotisations en fonction des comportements des assurés[3]. Mais quel serait leur intérêt si le bouclier venait limiter leur engagement au-delà du seuil non pris en charge par l’assurance publique ? Même dans le cas du maintien d’un « reste à charge » non négligeable au-delà du seuil du fait des dépassements d’honoraires par exemple, elles resteraient certainement relativement passives et la situation serait peu modifiée par rapport à celle d’aujourd’hui  qui les écarte de l’essentiel de la prise en charge des maladies graves et coûteuses.

Dès lors un système dans lequel l’assurance publique assure seule la prise en charge d’un panier de soins clairement délimité est sans doute préférable : il faudrait pour cela que le bouclier sanitaire soit croissant avec le revenu, les ménages les plus pauvres étant pris en charge à 100 % au premier euro. Si les ménages aisés décidaient de s’auto-assurer pour les dépenses en deçà du seuil (ce qui est vraisemblable si celui-ci est inférieur à 1000 € par an), les complémentaires pourraient se retirer pratiquement intégralement du champ des remboursements des dépenses de soins courants. Par contre, elles pourraient se consacrer à la prise en charge des dépenses hors champ de l’assurance maladie publique, soit en pratique les dépenses de prothèses dentaire et d’optique correctrice. Dans ces domaines elles pourraient intervenir plus activement qu’aujourd’hui pour structurer l’offre de soins et d’appareillage. Leur rôle de payeur principal dans ces secteurs justifierait qu’on leur délègue la responsabilité de traiter avec les professions concernées.  Cette solution impliquerait toutefois qu’un système de prise en charge publique vienne aider les plus pauvres à accéder aux soins non pris en charge par l’assurance publique (sous une forme proche de l’actuelle CMU qui devrait toutefois être étendue et rendue plus progressive). Il n’existe donc pas de solution simple à la question de l’articulation entre assurance publique et assurance privée complémentaire.

Il faut aussi évoquer la fusion des deux systèmes, en pratique l’absorption du privé par le public, qui aurait l’avantage de simplifier l’ensemble du dispositif mais laisserait partiellement irrésolue la question de la définition du panier de soins pris en charge. Il est fort probable qu’à la marge du système des assurances complémentaires se réinstallent pour prendre en charge les dépenses annexes non couvertes par le système public du fait de leur caractère jugé non indispensable et de confort. Le remboursement des dépenses de santé doit donc certainement rester mixte, mais il est urgent de reconsidérer la frontière entre privé et public sinon la tendance à privilégier la baisse de la prise en charge publique se renforcera au détriment de la rationalisation du système et de  l’équité dans la prise en charge des dépenses de santé.


 


[1] En 2008. Il s’agit d’un taux de prise en charge hors optique. Avec l’optique le taux de prise en charge par l’assurance maladie tombe à 51.3 % (Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, décembre 2011).

[2] HCAAM, 2011 (op.cit.)

[3] La prise en compte des comportements des assurés n’est pas aisée. Au-delà du recours aux examens préventifs qui peut être relativement facilement mesuré, les autres comportements de prévention sont difficilement vérifiables. Il existe d’autre part un risque, inhérent à l’assurance privée, d’écrémage de la population par les assureurs : pour attirer les « bonnes » clientèles on assure la prise en charge de dépenses caractéristiques des populations à plus faible risque (par exemple le recours aux médecines « douces »), et on rejette celles qui présentent le plus de risque sur la base de questionnaires médicaux détaillés.

 




Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

 

La crise budgétaire européenne et l’exigence de réduire les niveaux de dette publique qui a suivie ont accéléré l’adoption d’une série de réformes des règles budgétaires européennes à la fin de l’année 2011. Deux règles ont été introduites afin de renforcer le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Etant donné que de nombreux Etats membres de la zone euro ont des déficits structurels et des dettes publiques supérieurs aux seuils considérés, il nous a semblé intéressant d’évaluer les conséquences macroéconomiques du respect de ces règles budgétaires par 4 pays, dont la France. 

La limite actuelle de déficit public à 3% du PIB a été complétée par une limite sur le déficit structurel équivalant à 0,5% du PIB, et par une règle de réduction de la dette imposant aux pays fortement endettés de réduire chaque année leur taux d’endettement public d’1/20e de la différence vis-à-vis du niveau de référence de 60% du PIB. De plus, la limite de déficit structurel va au-delà de la règle des 3% car elle est associée à l’obligation d’incorporer une règle de budget équilibré et des mécanismes automatiques de retour à l’équilibre budgétaire dans la Constitution de chaque Etat membre de la zone euro. Par un malheureux abus de langage, elle est désormais souvent qualifiée de « règle d’or » [1]. Afin de distinguer la « règle d’or des finances publiques » appliquée par les régions françaises, les Länder allemands et, de 1997 à 2009, par le Royaume-Uni, nous qualifierons par la suite cette « règle de budget équilibré » de  « nouvelle règle d’or ».

Du fait de la crise financière internationale qui sévit depuis 2007, les Etats de la zone euro sont souvent loin de satisfaire aux exigences des nouvelles règles en vigueur. Cela pose donc la question des conséquences que le respect de ces règles imposerait à ces Etats.  Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les trajectoires de convergence aux différentes règles de quatre pays, représentatifs de la zone euro, à l’aide d’un modèle théorique standard.

Nous avons choisi un grand pays avec un niveau moyen d’endettement public (France), un petit pays avec une dette un peu plus élevée (Belgique), un grand pays avec une dette élevée (Italie) et un petit pays avec une dette comparativement assez faible (Pays-Bas). La taille des pays, grande ou petite, est associée à la taille de leur multiplicateur budgétaire, l’effet des dépenses publiques sur la croissance : les grands pays moins ouverts que les petits pays au commerce international ont un effet multiplicateur plus important que les petits pays. Les quatre pays diffèrent également en fonction de la taille et du signe de leur solde primaire structurel en 2010 : la France et les Pays-Bas ont un déficit, alors que la Belgique et l’Italie dégagent un excédent.

Dans le modèle, l’évolution du déficit public est contracyclique et l’impact d’une hausse du déficit public sur le PIB est positif, mais un endettement excessif augmente la prime de risque sur les taux d’intérêt de long terme payés pour financer cette dette, ce qui nuit in fine à l’efficacité de la politique budgétaire.

Les règles que nous simulons sont : (a) l’équilibre (à 0,5% du PIB) du budget ou «nouvelle règle d’or» ; (b) la règle de 5% par an de réduction de la dette ; (c) le plafond de 3% de déficit total (statu quo). Nous évaluons également : (d) l’effet de l’adoption d’une règle d’investissement dans la veine de la règle d’or des finances publiques qui, de façon générale, impose l’équilibre budgétaire au cours du cycle pour les dépenses courantes, tout en permettant de financer l’investissement public par la dette.

Nous simulons sur 20 ans, i.e. l’horizon de réalisation de la règle du 1/20e, l’effet des règles sur la croissance, le taux d’inflation et le déficit public structurel, ainsi que sur le niveau de la dette publique. Premièrement, nous analysons le chemin suivi par les quatre économies après l’adoption de chaque règle budgétaire à partir de 2010. Nous demandons, en d’autres termes, comment les règles fonctionnent dans un scénario de consolidation budgétaire que l’Europe connaît d’ores et déjà aujourd’hui. Deuxièmement, nous simulons la dynamique de l’économie après un choc de demande et un choc d’offre, partant de la situation de base du Traité de Maastricht, avec l’économie à un taux de croissance nominal de 5% (une croissance potentielle à 3% et un taux d’inflation de 2%), et un niveau d’endettement de 60%. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la croissance potentielle réelle dans les pays de la zone euro a été constamment inférieure à 3% depuis 1992, ce qui a contribué à rendre encore plus contraignante qu’initialement prévu la règle coercitive pesant sur les finances publiques.

Les résultats de nos simulations sont multiples. Premièrement, l’adoption des règles produit dans tous les cas une récession à court terme, même dans les petits pays avec un multiplicateur budgétaire faible et une faible dette publique initiale comme aux Pays-Bas. Cela complète le diagnostic selon lequel la rigueur généralisée en Europe nuit immanquablement à la croissance (cf. La très grande récession, 2011) en montrant qu’il n’existe pas de règle budgétaire qui, appliquée scrupuleusement à court terme, permet d’échapper à une récession. Cette constatation révèle une incitation, de la part des gouvernants, à dissocier les usages de jure et de facto des règles budgétaires : les annonces ont tout intérêt à ne pas être suivies d’effets, si l’objectif final de la politique économique est la préservation et la stabilité de la croissance économique.

Deuxièmement, les récessions peuvent engendrer la déflation. En vertu de la contrainte à zéro pesant sur les taux d’intérêt nominaux, une déflation est très difficile à inverser avec une contrainte budgétaire.

Troisièmement, la règle d’investissement aboutit à de meilleures performances macroéconomiques que les trois autres règles : les récessions sont plus courtes, moins prononcées et aussi moins inflationnistes sur l’horizon considéré. In fine, les niveaux de dette publique diminuent certes moins qu’avec la règle du 1/20e mais, sous l’effet de la croissance engendrée, la dette publique française perd 10 points de PIB par rapport à son niveau de 2010, tandis que les dettes belges et italiennes diminuent respectivement de 30 et 50 points de PIB. Seul le pays initialement le moins endetté, les Pays-Bas, voit sa dette stagner.

Quatrièmement, en faisant abstraction de la règle d’investissement qui ne figure pas dans les projets européens, il apparaît que le statu quo est plus favorable que la « nouvelle règle d’or » ou que la règle de réduction de la dette en termes de croissance ; il s’avère cependant plus inflationniste pour les grands pays. En termes de croissance, cela semble signifier que le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, appliqué brutalement, serait préjudiciable aux 4 économies considérées.

Cinquièmement, lorsque l’économie à l’équilibre est frappée par des chocs de demande et d’offre, le statu quo semble approprié. Ceci confirme l’idée que le PSC actuel donne des marges de manœuvre budgétaire. Les simulations montrent néanmoins que le statu quo reste coûteux en comparaison avec la règle de l’investissement.

Pour conclure, il est difficile de ne pas remarquer un paradoxe : des règles visant à empêcher les gouvernements d’intervenir dans l’économie sont discutées précisément après la crise financière mondiale qui a requis des gouvernements qu’ils interviennent afin de contribuer à amortir les chocs découlant de défaillances de marché. Ce travail vise ainsi à réorienter le débat de l’objectif de  stabilisation budgétaire à celui de stabilisation macroéconomique. Les autorités européennes – les gouvernements, la BCE, ou la Commission – semblent considérer la dette et le déficit publics comme des objectifs politiques en soi, plutôt que comme des instruments pour atteindre les objectifs finaux de croissance et d’inflation. Ce renversement des objectifs et des instruments équivaut à nier a priori tout rôle à la politique macroéconomique. De nombreux travaux [2], dont celui que nous avons mené, adoptent plutôt la position opposée : la politique économique joue certainement un rôle dans la stabilisation des économies.

 

 

[1] Cet abus de langage a notamment été dénoncé par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak en 2011, ou par Bernard Schwengler en 2012.

[2] Voir par exemple, en anglais, l’étude transversale parue en 2012 dans American Economic Journal, Macroeconomics, et la bibliographie qu’elle contient, ou, en français, l’étude parue en 2011 de Creel, Heyer et Plane, sur les effets multiplicateurs de politiques temporaires de relance budgétaire.

 

 




Remplacer la PPE par un allègement de cotisations sociales salariales sur les bas salaires

Guillaume Allègre

Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remplacer la Prime pour l’emploi (PPE) par un allègement de cotisations sociales salariales sur les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic. L’allègement de cotisations pèserait 4 milliards d’euros et bénéficierait à 7 millions de travailleurs modestes. Le gain annoncé (un peu moins de 1 000 euros par an) serait nécessairement dégressif. La suppression de la PPE (2,8 milliards d’euros selon le Projet de loi de finances 2012, p. 76) serait complétée par une hausse des prélèvements sur les revenus financiers.

Cette proposition ressemble fort à la proposition initiale du gouvernement Jospin en 2000 prévoyant un abattement sur la Cotisation sociale généralisée (CSG) des revenus du travail en dessous de 1,4 Smic. Cette réforme, adoptée par le Parlement, avait été censurée par le Conseil constitutionnel car la baisse de la CSG accordée aux revenus modestes ne dépendait que des salaires individuels et non pas de la situation familiale. La CSG étant assimilé à un impôt, le Conseil avait jugé que sa progressivité devait tenir compte de la faculté contributive du contribuable et donc de ses charges familiales. Afin de répondre à cette censure, le gouvernement Jospin a créé un nouvel instrument, la Prime pour l’emploi, ayant les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais dont le calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle pour enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Par conséquent, la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La Prime pour l’emploi, votée sous le gouvernement Jospin, a été augmentée sous les gouvernements Raffarin et Villepin. En 2008, son poids était de 4,5 milliards d’euros (PLF 2010, p. 53). Un salarié à temps plein au Smic touchait alors 1 040 euros par an. Elle a ensuite été gelée par le gouvernement Fillon et son poids est passé de 4,4 à 2,8 milliards d’euros entre 2008 et 2012, soit une baisse d’1,7 milliards d’euros sous l’effet à la fois du gel et de la déductibilité du RSA-activité des primes versées de PPE. En 2012, un salarié à temps plein au Smic ne touche plus que 825 euros annuels. De plus, l’absence de coup de pouce au Smic a fortement réduit le nombre de foyers éligibles au taux plein (ainsi que le nombre de salariés éligibles au taux plein des allègements de cotisations patronales). Cet effet s’ajoute à l’effet de la hausse du chômage qui réduit le nombre de salariés éligibles. Un dispositif de 4 milliards, dont le gain maximal serait d’un peu moins de 1 000 euros, pèserait un peu moins que la PPE en 2008. Si l’on rajoute le coût du RSA-activité (1,6 milliards en 2012) et que l’on tient compte du coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions), on conclut que ces divers dispositifs de soutien aux salariés modestes pèseraient 5,6 milliards en 2012 contre 5,1 milliards en 2008, soit une augmentation à peine supérieure à l’inflation : les nouvelles politiques proposées depuis 2008 sont essentiellement financées par redéploiement d’instruments bénéficiant aux mêmes publics.

Le remplacement de la Prime pour l’emploi par un allègement de cotisations serait une avancée en termes administratifs puisque les pouvoirs publics cesseraient de prélever une cotisation pour reverser un crédit d’impôt plus faible aux mêmes personnes 6 à 12 mois plus tard. Le bénéfice de l’allègement de cotisations serait immédiat et fortement lié à l’emploi. Le fait que les salariés modestes sont des contributeurs et non des bénéficiaires de l’aide sociale serait clarifié. Les propositions de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu (dont la PPE est un élément) poursuivent exactement le même objectif. Cette réforme pose tout de même plusieurs questions. Comment réagirait le Conseil constitutionnel s’il était saisi ? Les salariés travaillant à temps partiel bénéficient aujourd’hui d’une majoration de Prime pour l’emploi ; serait-elle reconduite ?