Le passeport Covid-19 et le risque d’infection volontaire

par Gregory Verdugo

Le Covid-19 a
rendu risqués les emplois en contact avec le public qui ne peuvent s’exercer à
distance. Face au risque d’infection des travailleurs en première ligne, les
employeurs font face au risque d’être condamnés en cas de protections
insuffisantes. Ce nouveau risque pourrait changer les caractéristiques des
travailleurs embauchés car la menace de poursuites crée des incitations à
discriminer en choisissant les travailleurs les moins à risque pour ces postes.
Tant que le virus Covid-19 circulera, nous pourrions donc assister à la montée
d’une puissante nouvelle source de discrimination par le risque d’infection
grave sur le marché du travail. Or selon certains épidémiologistes, le virus
pourrait circuler et créer des flambées épisodiques durant 18 à 24 mois[1], ce qui
implique que le Covid-19 pourrait laisser une empreinte durable sur le marché
du travail.



Quels sont les
travailleurs les moins à risque ? Ce sont d’abord ceux sans co-morbités
visibles, ce qui implique que les individus victimes d’obésité pourraient voir
les discriminations à leur encontre sur le marché du travail se renforcer[2]. Mais le
principal groupe le moins à risque aisément identifiable est celui des plus
jeunes car le risque de développer une forme grave du Covid-19 est très faible
pour les moins de 30 ans[3]. Situation
inédite, cette discrimination par le risque pourrait nous faire connaître pour
la première fois une récession où les jeunes sont moins affectés que les plus âgés !

Mais si les plus
jeunes sont moins à risque, il existe un groupe d’individus pour lesquels le
risque serait encore plus faible. D’après l’expérience des autres virus, les
individus ayant déjà contracté le Covid-19 disposeraient d’une immunité au
moins temporaire les mettant à l’abri d’une infection future[4]. Même si
cette immunité reste incertaine et controversée[5], certains
employeurs pourraient vouloir tester leurs employés, en particulier ceux qui
occupent les postes à risque, afin d’écarter tout risque d’infection qui serait
attribué à leur activité professionnelle.

La valeur de l’information
sur le statut d’immunité d’un travailleur pour un employeur est donc élevée.
Elle est telle qu’elle pourrait entraîner le développement de tests privés à
faible qualité et le risque de circulation de faux certificats d’immunité. Afin
d’éviter ces risques, de nombreux pays envisagent de créer des passeports
d’immunité qui certifieraient qu’un travailleur a déjà contracté le Covid-19 et
se trouverait, au moins à court terme, à l’abri du risque d’infection[6]. Le
Chili a annoncé mettre en place une telle politique et des réflexions sont en
cours dans de nombreux pays européens.

Ce passeport
d’immunité devrait offrir un salaire élevé sur les marchés du travail malades
du Covid-19, en particulier dans les emplois à risque, notamment ceux en
contact rapproché avec des personnes infectées, comme dans les hôpitaux. Mais,
en retour, dans une économie en crise, un passeport d’immunité garantissant un
emploi bien rémunéré peut faire naître chez ceux les plus en difficulté une
demande pour de l’infection volontaire.

La possibilité
d’infection volontaire lorsque l’immunité est socialement valorisée ou
économiquement rentable n’est pas seulement théorique. Dans un article publié en
2019, l’historienne Kathryn Olivarius de l’Université Stanford montre qu’elle a
de nombreux précédents historiques[7]. Être
reconnu comme immunisé était notamment une condition indispensable
d’intégration économique lors de la colonisation des zones tropicales, où les
maladies infectieuses décimaient les colons. Dans la Nouvelle-Orléans au début
du 19e siècle, les
immigrants récemment arrivés, surnommés ‘non-acclimatés’, cherchaient ainsi à
rapidement subir et survivre à la fièvre jaune dont le taux de mortalité était
alors d’environ 50 %, ce qui est largement au-dessus de celui du Covid-19 actuellement
estimé entre 0,3 et 1 %. Pour s’intégrer, il fallait prouver avoir survécu
à l’infection et être ainsi devenu ‘acclimaté’. Seulement après être devenu ‘acclimaté’,
le risque de décès précoce étant écarté, il devenait possible d’accéder aux
meilleurs emplois sur le marché du travail local, de se marier et d’accéder au
crédit distribué par les banques locales.

Si un passeport
d’immunité au Covid-19 voit le jour, il devrait nourrir de la même manière de dangereuses
tentations à s’infecter afin de pouvoir accéder aux emplois où le risque
d’infection est élevé mais le salaire est élevé. La tentation de l’auto-infection
est d’autant plus forte que les conséquences de l’infection au Covid-19 sont le
plus souvent bégnines. Mais l’infection volontaire peut entraîner des
comportements à risque : on peut imaginer des individus tentant de
s’infecter et répandant en ce faisant la maladie autour d’eux, en particulier
s’ils restent asymptomatiques.

Selon
l’économiste Alex Tabarok, professeur à l’Université George Mason, une des implications
de la mise en place de passeports d’immunité par les pouvoir publics serait de
devoir en même temps encadrer la demande d’infection volontaire qu’ils font
naître. Les pouvoirs publics devraient offrir une possibilité d’infection par
des doses modérées, dans un cadre médicalisé et en assurant un suivi médical lors
d’une quarantaine suivant l’infection volontaire[8].

L’encadrement d’une
infection volontaire motivée par l’obtention d’un passeport d’immunité pose évidemment
des problèmes éthiques. D’abord, ce sont les individus dans les situations les
plus précaires, notamment ceux les plus mis en difficulté par la récession, qui
se porteront volontaires. De plus, il n’est pas certain que la supervision
médicale réduise les risques de mortalité ou de séquelles graves. Surtout,
l’infection volontaire contredit l’objectif politique actuel apparent qui est
de freiner le plus possible l’épidémie, la possibilité d’atteindre l’immunité
collective apparaissant lointaine et donc pour l’instant dangereuse.

Pour être
cohérent avec l’objectif de suppression de l’épidémie, il apparaît donc
nécessaire d’écarter les politiques de passeport d’immunité qui valorisent
l’infection. Comme le prévoit le protocole français de déconfinement[9], il faut
également éviter que le marché privé ne supplée à cette demande et que les
entreprises ne créent leur propre passeport d’immunité ou n’essayent d’acquérir
l’information d’une autre manière. Même si une telle règle peut paraître
paradoxale, on ne peut supprimer le risque d’auto-infection que si l’on impose
une règle de non-discrimination qui interdit aux employeurs d’utiliser ou de
demander les résultats des tests sérologiques pour occuper les postes à risque
et qui interdit également aux employés de révéler leur statut d’immunité.


[1] Moore
Kristine, Marc Lipsitch, John M. Barry et Michael T. Osterholm, 2020, « The
Future of the COVID-19 Pandemic: Lessons Learned from Pandemic Influenza »,
COVID-19: The CIDRAP Viewpoint, avril.
https://www.cidrap.umn.edu/sites/default/files/public/downloads/cidrap-covid19-viewpoint-part1.pdf

[2] Greve
J., 2008, « Obesity and labor market outcomes in Denmark », Economics & Human Biology, 6(3),
350-362. https://doi.org/10.1016/j.ehb.2008.09.001

[3] Verity
Robert et al., 2020, « Estimates
of the severity of coronavirus disease 2019: a model-based analysis », The Lancet infectious diseases. https://doi.org/10.1016/S1473-3099(20)30243-7

[4] Altman
Daniel M., Daniel C. Douek et Rosemary J. Boyton, 2020, « What policy
makers need to know about COVID-19 protective immunity », The Lancet. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)30985-5

[5] Voir l’avis
du 24 avril 2020 de l’Organisation Mondiale de la Santé, Les «passeports d’immunité» dans le cadre du COVID-19. https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/331904/WHO-2019-nCoV-Sci_Brief-Immunity_passport-2020.1-fre.pdf?sequence=1&isAllowed=y

[6]  The
Guardian
, 2020, « ‘Immunity passports’ could speed up return to work
after Covid-19 », 30 mars. https://www.theguardian.com/world/2020/mar/30/immunity-passports-could-speed-up-return-to-work-after-covid-19

[7]
Olivarius K., 2019, « Immunity, Capital, and Power in Antebellum New
Orleans », The American Historical
Review
, 124(2), 425-455. https://doi.org/10.1093/ahr/rhz176

[8] Tabarrok
A., 2020, « Immunity Passes Must Be Combined With Variolation », Marginal Revolution, post de blog, 5
avril, https://marginalrevolution.com/marginalrevolution/2020/04/immunity-certificates-must-be-combined-with-variolation.html

[9] https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/protocole-national-de-deconfinement.pdf