L’homme qui valait au mieux 35 milliards

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par Henri Sterdyniak

Sarkozy a coûté 500 milliards à la France. Tel est le point central du livre : « Un quinquennat de 500 milliards d’euros » de Mélanie Delattre et Emmanuel Levy. Selon ces auteurs, l’accroissement de la dette de la France de 632 milliards d’euros entre fin 2006 et fin 2011 ne s’expliquerait que pour 109 milliards par la crise ; 523 milliards seraient le prix du quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont 370 milliards viendraient d’une mauvaise gestion passée non corrigée et 153 milliards de décisions dispendieuses prises durant le quinquennat. Faut-il prendre ces chiffres au sérieux ?

Commençons par une comparaison internationale. De fin 2006 à fin 2011, la dette de la France a augmenté de 21,4 points de PIB ; celle de la zone euro de 21,5 points, celle du Royaume-Uni de 40,6 points, celle des Etats-Unis de 29,2 points. Il n’y a aucune spécificité française, aucun effet Sarkozy ; la dette de la France a augmenté comme la moyenne de celle de la zone euro, c’est-à-dire de 500 milliards d’euros qui représentent 20 points de PIB. Peut-on soutenir que sans Sarkozy la dette publique de la France aurait été stable en pourcentage du PIB alors qu’elle augmente sans lui partout ailleurs ?

En fait, selon le dernier rapport économique du gouvernement, de fin 2006 à fin 2012, la dette publique française augmenterait de 620 milliards d’euros. Cette hausse peut être décomposée  ainsi : 275 milliards proviennent des intérêts versés, 310 milliards proviennent de la crise économique, 30 milliards des politiques de relance mises en œuvre en 2009-2010, 60 milliards des politiques de baisse d’impôts; mais en sens inverse les politiques de restriction des dépenses publiques (baisse du nombre de fonctionnaires, non-revalorisation de leur salaire, gestion rigoureuse des prestations sociales, etc.) ont permis d’économiser 55 milliards. La responsabilité de Sarkozy est donc fortement réduite, au mieux de 35 milliards d’euros.

Le point délicat est la mesure de l’impact de la crise. Pour l’évaluer, il faut mesurer l’écart entre le PIB tel qu’il a évolué et le PIB tel qu’il aurait évolué sans la crise. Pour nous, sans la crise, le PIB aurait continué sa croissance à un taux de l’ordre de 2 % par an. Avec cette estimation, la perte de production due à la crise était en 2009 de 6,8 %, ce qui aurait provoqué une perte de recettes fiscales de 4,4 % du PIB.  Les auteurs reprennent une estimation de la Cour des comptes, qui elle-même, provient d’une évaluation de la Commission européenne : la perte de production due à la crise n’aurait été en 2009 que de 2,8 % et la perte de recettes fiscales n’aurait été que de 1,4 %. Selon ce calcul, la part du déficit causé par la crise est  relativement faible. Mais celui-ci suppose que le PIB structurel a subi en 2007-2009 un recul de 4% par rapport à sa tendance. Pourquoi cela ? Comment ne serait-ce pas lié à la crise ? Selon le calcul de la Cour des comptes, ce recul du PIB structurel a provoqué une forte hausse de notre déficit structurel que les auteurs mettent sur le compte de Nicolas Sarkozy. Est-ce légitime ?  Selon la logique de la Commission, ces 4 % sont perdus à jamais ; il faut s’y résigner et s’ajuster en baissant le déficit public. A notre avis, il vaut mieux les récupérer en menant des politiques expansionnistes.

En 2006, l’année précédant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, le déficit public était de 2,3 %, entièrement structurel. Ce déficit était normal puisqu’il permettait la stabilité de la dette à 60 % du PIB et correspondait au montant des investissements publics. En 2012, le déficit devrait être de 4,5 % du PIB, mais le déficit conjoncturel est de 4,3 % du PIB, le déficit structurel n’est plus que de 0,2 % du PIB. Au total, de 2006 à 2012, Nicolas Sarkozy aura augmenté le taux des prélèvements obligatoires de 0,7 point (car les fortes hausses de 2011-12 font plus que compenser les baisses de début de période) et baissé la part des dépenses publiques dans le PIB potentiel de 1,2 point.

Surtout, durant toute cette période, la France était en crise, en déficit de demande. Une politique budgétaire expansionniste était nécessaire pour éviter l’effondrement économique. Peut-on reprocher à Nicolas Sarkozy les 30 milliards d’euros qu’a coûtés le plan de relance ? Peut-on lui reprocher de n’avoir pas fait une politique budgétaire restrictive pour « corriger la mauvaise gestion du passé » ?  Non, ce que l’on peut mettre en cause, ce sont des baisses d’impôts peu utiles pour la croissance (droits de succession, bouclier fiscal, heures supplémentaires) et des baisses de certaines dépenses publiques (diminution des effectifs dans les écoles et les hôpitaux, par exemple), dépenses sans doute nécessaires.