Grèce : quand l’histoire bégaie

par Jacques Le Cacheux

La durée de la crise grecque et la dureté des plans d’austérité successifs qui lui ont été imposés pour tenter de redresser ses finances publiques et la remettre en position de faire face à ses obligations à l’égard de ses créanciers ont frappé les opinions publiques européennes et suscité de nombreux commentaires. L’accord obtenu à l’arraché le lundi 13 juillet au sein du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone euro comporte, en plus des exigences déjà formulées avant le référendum grec du 5 juillet, alors rejetées par une majorité des votants, des conditions si inhabituelles et si contraires à la souveraineté des Etats telle qu’on a l’habitude de la concevoir aujourd’hui qu’il a choqué bon nombre de citoyens européens et conforté les arguments des  eurosceptiques qui y voient la preuve que la gouvernance européenne s’exerce contre la démocratie.

En exigeant que les créanciers soient consultés sur tout projet de loi ayant une incidence sur les finances publiques et en imposant la gestion des privatisations, dont la longue liste a été dictée par les créanciers, par un fonds indépendant du gouvernement grec, les responsables de la zone euro ont effectivement mis les finances publiques grecques sous tutelle. En outre, les mesures contenues dans le nouveau plan d’austérité sont de nature à déprimer encore plus une demande intérieure déjà exsangue, aggravant ainsi la récession dans laquelle l’économie grecque a replongé en 2015, après une légère et brève rémission en 2014.

Appauvrissement sans ajustement

Déclencheur, en 2010, de la crise des dettes souveraines au sein de la zone euro, la crise grecque ressemble à une longue agonie, entrecoupée de psychodrames européens toujours conclus in extremis par un accord censé sauver la Grèce et la zone euro. Dès le début, il était clair que la méthode, fondée sur l’administration de doses massives d’austérité sans véritable soutien à la modernisation de l’économie grecque, était vouée à l’échec[1], pour des raisons désormais bien comprises[2] mais alors presque unanimement ignorées par les responsables, qu’il s’agisse des gouvernements européens, de la Commission européenne ou du FMI, principale caution et source d’inspiration des plans d’ajustement successifs.

Les résultats, à ce jour catastrophiques, sont bien connus : en dépit d’une longue cure d’austérité, faite de hausse d’impôts, de coupes dans les dépenses publiques, de baisse des salaires et des retraites, etc., l’économie grecque ne s’est pas redressée, au contraire, et la soutenabilité des finances publiques grecques n’a pas été rétablie, loin s’en faut ; malgré l’accord, en 2012, des gouvernements européens sur un défaut partiel, qui a allégé la dette envers les créanciers privés – allègement refusé par ces mêmes gouvernements deux ans auparavant –, la dette publique représente aujourd’hui une pourcentage plus important du PIB (près de 180%) qu’au début de la crise, et un nouvel allégement – cette fois sans doute par rééchelonnement – paraît incontournable. Le troisième plan d’aide – plus ou moins 85 milliards d’euros envisagés, après environ 250 milliards au cours des cinq dernières années – qui va être négocié dans les semaines qui viennent sera, pour une bonne part, consacré au seul paiement des échéances sur la dette.

Pendant ce temps, le niveau de vie moyen des citoyens grecs s’est littéralement effondré, et l’écart par rapport à la moyenne de la zone euro, qui avait eu tendance à se réduire au cours de la décennie précédant la crise, s’est creusé de façon dramatique (Graphique 1) : le PIB par tête grec  est aujourd’hui d’un peu moins de la moitié de celui de l’Allemagne. Encore le PIB par tête reflète-t-il très mal la réalité vécue dans une économie où les inégalités se sont creusées et les dépenses de protection sociale ont été drastiquement réduites.

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Le nouveau plan d’austérité ressemble aux précédents : combinant hausse de la fiscalité – notamment la TVA dont le taux normal, à 23%, est étendu aux îles et à de nombreux secteurs, dont le tourisme, jusqu’ici soumis au taux intermédiaire (13%) – et baisse des dépenses publiques, il aboutira à une économie budgétaire d’environ 6,5 milliards d’euros en année pleine,  ce qui amputera la demande intérieure grecque et accentuera la récession en cours.

Les plans d’ajustement précédents ont également comporté des réformes « structurelles », telles que la baisse du salaire minimum et des pensions de retraite, une déréglementation du marché du travail, etc. Mais force est de constater que le volet fiscal de ces plans n’a pas eu de résultats très visibles sur les recettes publiques : après avoir beaucoup baissé jusqu’en 2009, la pression fiscale grecque – mesurée par le ratio des recettes fiscales totales au PIB – s’est certes accrue, mais guère plus qu’en France (Graphique 2). Ce qui ne signifie pas, bien sûr, qu’une dose plus forte encore du même remède assurera mieux la guérison.

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L’histoire éclaire-t-elle l’avenir ?

Les maux dont souffre l’économie grecque sont bien connus : faiblesse de l’industrie et des secteurs exportateurs – en dehors du tourisme, qui pourrait sans doute faire mieux, mais affiche des performances honorables –, nombreux secteurs réglementés et situations rentières, administration et services fiscaux pléthoriques et peu efficaces, poids des dépenses militaires, etc.

Tout cela n’est pas nouveau et sans doute était-il de la responsabilité des autorités européennes de tirer plus tôt la sonnette d’alarme et d’aider la Grèce à une mise à niveau, comme cela a été fait pour les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) au début des années 2000, dans les années  précédant leur adhésion à l’Union européenne. La manière dont on décide à présent de le faire, à marche forcée et par la mise sous tutelle du gouvernement grec, sera-t-elle plus efficace ?

Si l’on pouvait se fier simplement à l’histoire, on serait tenté de répondre oui. L’épisode du défaut grec de 1893 présente en effet de nombreuses similitudes avec la crise actuelle. La Grèce était alors un Etat relativement neuf, n’ayant acquis son indépendance à l’égard de l’Empire ottoman qu’en 1830, au terme d’une longue lutte, et grâce au soutien des puissances européennes (Angleterre et France), qui lui imposèrent un roi bavarois. Elle était sensiblement plus pauvre que les pays d’Europe d’occidentale : malgré l’ébauche de modernisation entreprise, après l’indépendance, sous la conduite des fonctionnaires bavarois qui entouraient alors le roi de Grèce Othon 1er, son PIB par tête n’était, en 1890 selon les données assemblées par Angus Maddison[3], que d’environ 50% de celui de la France, et un peu moins d’un tiers de celui du Royaume-Uni. Et le diagnostic porté sur la Grèce alors n’était guère meilleur que celui d’aujourd’hui :

« … la Grèce se caractérise tout au long du XIXe siècle par des finances structurellement faibles, qui la conduisent à défaillir de façon récurrente sur sa dette publique. Selon le Statesman’s Yearbook, la Grèce ajoute à des dépenses militaires importantes, des frais élevés pour entretenir un nombre important de fonctionnaires, disproportionné pour un petit Etat peu développé. Par ailleurs, une partie des dettes grecques étant garantie par la France et la Grande-Bretagne, la Grèce pouvait suspendre le service sans que les créanciers aient à en subir les conséquences. Les budgets français et britannique se retrouvaient contraints de payer les coupons.

Dès 1890 cependant, la situation devient critique. A la fin de 1892, le gouvernement grec ne maintint le paiement des intérêts qu’avec l’aide de nouveaux emprunts. En 1893, il obtenait un vote du parlement lui permettant de négocier un rééchelonnement avec les créanciers internationaux (britanniques, allemands, français). Les discussions s’éternisèrent sans véritable solution jusqu’en 1898. Ce fut la défaite grecque dans sa guerre avec la Turquie qui servit de catalyseur à une résolution des problèmes de finances publiques. En effet, l’intervention des puissances étrangères ainsi que leur appui dans la collecte des fonds réclamés par la Turquie pour évacuer la Thessalie s’accompagna d’une mise sous tutelle des finances grecques. Une société privée sous contrôle international reçut la mission de collecter les impôts et de régler les dépenses grecques suivant une règle de séniorité aboutissant à assurer le versement d’un intérêt minimal. Les surplus budgétaires étaient alors affectés à raison de 60 % pour les créanciers et 40 % pour le gouvernement. »[4]

Entre 1890 et 1900, le revenu par tête grec a augmenté de 15%, et devait encore augmenter de 18% au cours de la décennie suivante, atteignant, en 1913, 46% du revenu par tête français et 30% du revenu par tête des Britanniques, alors au faîte de leur prospérité. Un succès, donc.

Bien entendu, le contexte était alors fort différent, et les conditions qui ont favorisé cette mise sous tutelle et ce redressement ne sont pas celles d’aujourd’hui : pas de véritable gouvernement démocratique en Grèce ; un régime monétaire (l’étalon-or) dans lequel les suspensions de convertibilité – l’équivalent d’un « Grexit temporaire » — étaient relativement courantes, et clairement perçues par les créanciers comme temporaires, et surtout un contexte de croissance économique forte dans toute l’Europe occidentale – la Belle époque –, grâce à la seconde révolution industrielle. On ne peut s’empêcher de penser, pourtant, que les conditions dictées alors à la Grèce ont inspiré les décisions actuelles des responsables européens[5].

Le nouveau plan produira-t-il enfin les effets escomptés ? Peut-être, s’il réunit d’autres conditions : allègement substantiel de la dette publique grecque, comme le réclame désormais le FMI, et soutien financier à la modernisation de l’économie grecque. Un plan Marshall pour la Grèce, un « green new deal » ? Tout cela ne pourra réussir que si le reste de la zone euro connaît également une croissance soutenue.

 


[1] Voir Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux, « Zone euro : no future ? », Lettre de l’OFCE, n°320, 14 juin 2010, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/lettres/320.pdf .

[2] Voir notamment les travaux de l’OFCE sur les effets récessifs des politiques d’austérité : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/si2014/si2014.pdf . Rappelons que le FMI lui-même a reconnu que les plans d’ajustement imposés aux économies européennes subissant des crises de dettes publiques avaient été excessifs et mal conçus, et que ceux imposés à la Grèce l’avaient été plus que les autres. Son mea culpa n’a, de toute évidence, pas ému les principaux responsables européens, plus que jamais enclins à persévérer dans l’erreur : Errare humanum est, perseverare diabolicum !

 [3] Voir les données sur le site du Maddison Project : http://www.ggdc.net/maddison/maddison-project/home.htm .

[4] Extrait de l’article de Marc Flandreau et Jacques Le Cacheux, « La convergence est-elle nécessaire à la création d’une zone monétaire ? Réflexions sur l’étalon-or 1880-1914 », Revue de l’OFCE, n°58, juillet 1996, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/1-58.pdf .

[5] Un indice supplémentaire : le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, insistait pour que la Grèce suspende temporairement sa participation à la zone euro ; dans les années 1890, elle avait dû suspendre la convertibilité en or de sa monnaie et recourir à plusieurs dévaluations.

 




La dette grecque, une histoire européenne…

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Fin 2014, la dette grecque représentait 317 milliards d’euros, soit 176 % du PIB, contre 103 % en 2007 et ce malgré un allègement de 107 milliards en 2012[1]. Cette dette résulte d’un triple aveuglement : celui des marchés financiers, qui ont prêté à la Grèce jusqu’en 2009, sans tenir compte du niveau insoutenable de ses déficits public (6,7 % du PIB en 2007) et extérieur (10,4 % du PIB en 2007) ; celui des gouvernements et des classes dirigeantes grecs qui ont, grâce au bas niveau des taux d’intérêt, par l’appartenance à la zone euro, laissé se développer une croissance déséquilibrée, basée sur les bulles financières et immobilières, la corruption, la mauvaise gouvernance, la fraude et l’évasion fiscale ; celui des institutions européennes qui, après le laxisme des années 2001-2007, ont imposé à la Grèce des programmes d’austérité, écrasants et humiliants, pilotés par la troïka, un étrange attelage comprenant le FMI, la BCE et la Commission européenne. Les programmes d’austérité étaient, selon la troïka, nécessaires pour réduire le déficit et la dette publics, et remettre l’économie grecque sur chemin de la croissance. Les programmes ont certes permis de réduire le déficit public (qui n’est plus que de l’ordre de 2,5 % du PIB en 2014, soit un excédent hors charges d’intérêt de l’ordre de 0,5 % du PIB), mais ils ont fait augmenter le ratio dette/PIB, en raison de la chute du PIB : le PIB grec est aujourd’hui 25 % en dessous de son niveau de 2008. L’austérité a surtout plongé la Grèce dans la détresse économique et sociale, dont le taux de chômage supérieur à 25% et le taux de pauvreté de 36 % sont de tristes illustrations.

L’arbre de la dette grecque ne doit cependant pas cacher la forêt : de 2007 à 2014, la dette publique de l’ensemble des pays de l’OCDE est passée de 73 à 112 % de leur PIB, ce qui témoigne d’un profond déséquilibre de l’économie mondiale. En raison de la victoire du capital sur le travail, de la globalisation financière, de la croissance des inégalités, les pays développés ont besoin de fortes dettes publiques ; ces dettes ne sont globalement pas remboursables puisque le remboursement supposerait que des agents excédentaires acceptent de devenir déficitaires.

Prenons l’exemple de l’Allemagne. Celle-ci veut maintenir un excédent extérieur important (7 % de son PIB), qui pèse sur ses partenaires européens et a contribué à un niveau excessif de l’euro. Pour que la Grèce, et les autres pays européens, puissent rembourser leurs dettes publiques, il faudrait qu’ils puissent exporter, notamment en Allemagne ; il faudrait que l’Allemagne accepte un déficit extérieur et donc augmente fortement ses dépenses publiques et ses salaires, ce qu’elle ne souhaite pas. Les exigences contradictoires des pays excédentaires (rester excédentaires, être remboursés) conduisent l’ensemble de la zone euro à la dépression. Heureusement, pour l’économie européenne, que ni la France, ni l’Italie ne tiennent guère leurs engagements européens et que le Royaume-Uni n’y est pas soumis.

Peut-on imposer à la Grèce de continuer à respecter ses engagements européens, qui l’ont mené à une dépression profonde ? De réduire sa dette à 60 % du PIB en 20 ans ?  L’effort à réaliser dépend de l’écart entre le taux d’intérêt payé sur la dette (1,9 % en 2014) et le taux de croissance nominal du PIB (-1,2 % en 2014).  Même si la Grèce parvenait à un surcroît de croissance tel que son taux de croissance soit égal au taux d’intérêt auquel elle s’endette, elle devrait verser chaque année 6 % de son PIB ; cette ponction déséquilibrerait son économie et briserait sa croissance. Tant sur le plan économique que sur le plan social, on ne peut demander au peuple grec un effort supplémentaire.

La Grèce serait-elle un pays émergent que la solution serait évidente : une forte dévaluation et un défaut sur la dette. A contrario, la zone euro ne peut se maintenir sans solidarité entre pays et sans un tournant dans ses politiques économiques. L’Europe ne peut demander au nouveau gouvernement grec de maintenir un programme d’austérité sans perspective, de renoncer à son programme électoral pour mettre en œuvre la politique négociée par le gouvernement précédent qui a échoué. Un refus de compromis conduirait au pire : une épreuve de force, le blocage financier de la Grèce, sa sortie de la zone euro et peut-être de l’UE. Les peuples auraient, à juste titre, le sentiment que l’Europe est un carcan, que les votes démocratiques ne comptent pas. En sens inverse, il sera difficile pour les pays du Nord et pour la Commission de renoncer à leurs exigences : un contrôle étroit des politiques budgétaires nationales, les objectifs de réduction des dettes et des déficits publics, la conditionnalité des aides, les politiques de privatisation et de réformes structurelles.

Le programme de Syriza comporte la reconstitution de la protection sociale, des services publics, d’un niveau de vie acceptable des retraités et salariés, mais aussi, très clairement, la réforme fiscale, la lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance, la recherche d’un nouveau mode de développement, basé sur un renouveau productif et la réindustrialisation, impulsés par l’Etat et par un secteur bancaire rénové, basés sur l’investissement public et privé. C’est un chemin ambitieux qui suppose de lutter contre l’avidité et l’inertie des classes dominantes et de mobiliser la société tout entière, mais c’est le seul porteur d’avenir.

La seule solution est un compromis, qui ouvre la porte à une nouvelle politique en Europe. Distinguons la question grecque de la question européenne. Les institutions européennes doivent accepter de négocier une restructuration de la dette grecque. Cette dette, de 317 milliards d’euros, est aujourd’hui détenue pour 32 milliards par le FMI, pour 223 milliards par la BCE, le Fonds européen de stabilité financière, les autres États membres, soit à 80 % par des institutions publiques. Ceci a permis au secteur privé de se délester des titres grecs, mais n’a guère aidé l’économie grecque. La Grèce bénéficie déjà de taux d’intérêt avantageux et de larges délais de remboursement[2]. Compte tenu du bas niveau des taux d’intérêt aujourd’hui et de l’appétence des investisseurs financiers pour la dette publique sans risque de la plupart des Etats membres, il n’est pas besoin de faire défaut sur la dette grecque ; il suffit de la restructurer et de la garantir. Il faut éviter que, chaque année, la Grèce soit dans la situation de devoir rembourser et refinancer un montant excessif de dettes, donc d’être à la merci des marchés financiers ou de nouvelles négociations avec la troïka. La Grèce a besoin d’un accord de long terme, basé sur la confiance réciproque.

Ainsi, l’Europe devrait-elle donner du temps au peuple grec, le temps que son économie se redresse. Il faut rendre soutenable la dette grecque en la transformant en dette garantie à très long terme, éventuellement cantonnée dans le Mécanisme européen de stabilité, de sorte qu’elle soit protégée de la spéculation. Cette dette pourrait être financée par des euro-obligations à des taux très faibles (0,5% à 10 ans ou même à des taux légèrement négatifs en émettant des titres indexés sur l’inflation). Ainsi, les contribuables européens ne seront pas mis à contribution et la charge de la dette grecque sera acceptable. C’est surtout la croissance de l’économie grecque qui doit permettre la baisse du ratio dette/PIB. Le remboursement doit être limité et, comme le propose la Grèce, dépendre de la croissance (par exemple être nul tant que la croissance en volume n’atteint pas 2%, puis 0,25 point de PIB par point de croissance supplémentaire). Les accords avec la Grèce doivent être revus pour permettre au nouveau gouvernement de mettre en œuvre son programme de redressement social puis productif. Deux axes doivent guider la négociation : la responsabilité de la situation étant partagée entre la Grèce et l’Europe, chacun doit assumer sa part du fardeau (les banques ayant déjà subi un défaut partiel) ; il faut permettre à la Grèce de sortir de sa profonde dépression, ce qui suppose à court terme de soutenir la consommation, à moyen terme d’impulser et de financer le renouveau productif.

La France devrait soutenir la proposition de Syriza d’une conférence européenne de la dette, car le problème n’est pas uniquement grec. L’expérience grecque ne fait qu’illustrer les dysfonctionnements structurels de la gouvernance économique de l’Europe et les défis auxquels sont confrontés tous les États membres. Une transformation de cette gouvernance s’impose pour sortir de la crise économique, sociale et politique dans laquelle est engluée la zone euro. Il faut résolument accentuer le tournant pris avec le plan Juncker (soutien à l’investissement de 315 milliards en 3 ans) et le programme d’assouplissement quantitatif de la BCE (1 140 milliards en 18 mois).

Les dettes publiques des pays de la zone euro doivent être garanties par la BCE et l’ensemble des Etats membres. Pour les résorber, la BCE doit maintenir durablement le taux long nettement en dessous du taux de croissance, ce qui nécessitera de taxer les activités financières et de contrôler l’orientation des crédits bancaires pour éviter le gonflement de bulles spéculatives. Au lieu de la baisse des dépenses publiques et sociales, l’Europe doit coordonner la lutte contre la concurrence fiscale et l’évasion fiscale des plus riches et des firmes multinationales. Le carcan budgétaire insoutenable imposé par le Pacte de stabilité ou le Traité budgétaire européen doit être remplacé par une coordination des politiques économiques visant le plein-emploi et la résorption des déséquilibres entre pays de la zone. Enfin, l’Europe doit proposer une stratégie de sortie de crise basée sur la hausse de la demande interne dans les pays excédentaires, la coordination des politiques salariales, le soutien aux investissements préparant la transition écologique et sociale. Le défi est là aussi important. Il faut repenser l’organisation des politiques économiques en Europe pour permettre aux pays de mener des politiques différentes et autonomes, mais coordonnées. Ce n’est qu’ainsi que la zone euro pourra survivre et prospérer.

 

 


[1] Dont près de la moitié ont été utilisés par l’Etat grec pour secourir le système bancaire grec.

[2] De plus, les Etats membres et la BCE lui remboursent les gains qu’ils réalisent sur leurs titres grecs.




Austérité et pouvoir d’achat en France

par Mathieu Plane

La France mène-t-elle une politique d’austérité ? Comment la mesurer ? Cette question qui alimente régulièrement le débat public ne semble pas avoir été tranchée. Pour de nombreux observateurs, la relative bonne tenue de la dynamique salariale révèlerait que la France n’a pas pratiqué une politique d’austérité, contrairement à certains voisins du Sud de l’Europe, notamment l’Espagne et la Grèce où les coûts salariaux nominaux ont reculé. Pour d’autres, la France ne peut avoir pratiqué de politique d’austérité puisque les dépenses publiques ont continué à augmenter depuis le début de la crise[1]. Les 50 milliards d’économies sur la période 2015-17 annoncées par le gouvernement seraient donc le début seulement du tournant de la rigueur.

Enfin, si l’on s’en tient aux règles budgétaires issues du Pacte de stabilité et de croissance, le degré de restriction ou d’expansion d’une politique budgétaire peut se mesurer à la variation du solde structurel primaire, appelée également impulsion budgétaire. Cette impulsion englobe d’un côté les efforts réalisés en matière de dépense publique primaire (c’est-à-dire hors charges d’intérêts) au regard de l’évolution du PIB potentiel, et de l’autre côté les variations de prélèvements obligatoires en points de PIB. Ainsi, sur la période 2011-13, le solde structurel primaire de la France s’est-il amélioré de 2,5 points de PIB selon l’OCDE, de 2,7 points selon la Commission européenne et de 3,5 points selon l’OFCE. S’il existe un écart significatif quant à la mesure de l’austérité budgétaire sur cette période, il n’en reste pas moins que celle-ci aurait représenté, selon la méthode de calcul, entre 55 et 75 milliards d’euros sur trois ans[2].

Une toute autre façon de mesurer l’ampleur de l’austérité budgétaire consiste à regarder l’évolution des composantes du pouvoir d’achat des ménages. En effet, le pouvoir d’achat permet d’identifier les canaux de transmission de l’austérité, que ce soit par le biais des revenus du travail ou du capital, des prestations sociales ou des prélèvements pesant sur les ménages[3]. Or, les évolutions des composantes du revenu montrent qu’il y a clairement un avant et un après crise en termes de dynamique du pouvoir d’achat par ménage.

Sur la période 2000-2007, le pouvoir d’achat a augmenté de plus de 4 000 euros par ménage…

Cela correspond à une hausse moyenne d’environ 500 euros par an par ménage[4] (tableau) sur les huit années précédant la crise des subprimes, soit un rythme de progression de 1,1 % par an. Du côté des ressources, soutenus par la création de plus de 2 millions d’emplois en équivalent temps plein sur la période 2000-2007, les revenus réels du travail par ménage (qui comprennent l’excédent brut d’exploitation des indépendants) ont augmenté de 0,9 % en moyenne par an. Mais ce sont surtout les revenus réels du capital par ménage (qui intègre les loyers « fictifs » des ménages occupant le logement dont ils sont propriétaires) qui ont connu une forte hausse sur cette période, augmentant deux fois plus vite (1,7 % en moyenne par an) que les revenus réels du travail. Quant aux prestations sociales en espèces, elles ont augmenté de 1 % en moyenne en réel sur cette période, soit un rythme équivalent à l’ensemble des ressources. Du côté des charges, les prélèvements fiscaux et sociaux de 2000 à 2007 ont contribué à réduire le pouvoir d’achat par ménage de 0,9 point par an, ce qui correspond à environ 100 euros en moyenne par an. La hausse des prélèvements s’explique à 85 % par les cotisations sociales (salariées et indépendants), notamment en raison des hausses des taux de cotisations liées à la réforme des retraites. Les impôts sur le revenu et le patrimoine n’ont en effet contribué qu’à diminuer de 14 euros par an le pouvoir d’achat par ménage, et ce malgré la forte augmentation des revenus du capital et des prix des actifs immobiliers sur la période 2000-2007. Sur cette période, les impôts sur les ménages déflatés des prix à la consommation ont augmenté de moins de 2 % alors que les ressources réelles des ménages ont cru de près de 9 % et les revenus réels du capital de 14 %.  La baisse de l’impôt sur le revenu, qui a débuté sous le gouvernement Jospin, puis a été poursuivie par Jacques Chirac lors de son second mandat, explique en grande partie le fait que les impôts aient très peu pesé sur le pouvoir d’achat au cours de cette période.

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…mais sur la période 2008-2015, le pouvoir d’achat par ménage baisserait de plus de 1 600 euros

La crise marque un tournant brutal par rapport aux tendances passées. En effet, sur la période 2008-2015, le pouvoir d’achat par ménage baisserait, en moyenne, de près de 1 630 euros, soit 230 euros par an.

Sur les huit années depuis le début de crise, nous pouvons distinguer trois sous-périodes :

–          La première de 2008 à 2010, qui fait suite à la crise des subprimes et la faillite de Lehman Brothers, se caractérise par une relativement forte résistance du pouvoir d’achat par ménage, qui a augmenté de près de 40 euros par an en moyenne, et ce malgré la perte de 250 000 emplois sur cette période et la forte baisse des revenus du capital (200 euros en moyenne par an par ménage). D’une part, la forte baisse des prix du pétrole à partir de la mi-2008 a eu pour effet de soutenir le revenu réel, notamment les salaires réels qui ont augmenté de 0,9 % en moyenne annuelle. D’autre part, le plan de relance et les amortisseurs sociaux du système social français ont joué leur rôle contra-cyclique en préservant le pouvoir d’achat moyen avec une forte hausse des prestations sociales en nature (+340 euros en moyenne par an par ménage) et une contribution légèrement positive des impôts au pouvoir d’achat.

–          La seconde période, de 2011 à 2013, est marquée par une très forte consolidation budgétaire, période durant laquelle les prélèvements obligatoires vont augmenter d’environ 70 milliards d’euros en trois ans avec un impact massif sur le pouvoir d’achat. En effet, la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux ont amputé le pouvoir d’achat de 930 euros par ménage, soit plus de 300 euros en moyenne par an. Par ailleurs, la très faible augmentation de l’emploi (+32 000) et la stagnation des salaires réels ont contribué, sous l’effet de la hausse du nombre de ménages (+0,9 % par an), à réduire les revenus réels du travail par ménage de près de 230 euros par an. De plus, les revenus réels du capital par ménage ont continué à contribuer négativement au pouvoir d’achat de 2011 à 2013 (-105 euros en moyenne par an par ménage). Enfin, bien qu’en ralentissement par rapport à la période précédente, seules les prestations sociales ont contribué positivement au pouvoir d’achat (environ 120 euros par an et par ménage). Au final, le pouvoir d’achat par ménage s’est contracté de 1 630 euros en trois ans.

–          La troisième période, 2014 et 2015, verrait encore une légère baisse du pouvoir d’achat par ménage, celui-ci diminuant d’environ 110 euros sur les deux années. La faiblesse de la dynamique de l’emploi et des salaires réels ne permettrait pas de compenser la hausse du nombre de ménages. Ainsi, les revenus réels du travail par ménage diminueraient légèrement sur les deux années (- 43 euros par an en moyenne). Les revenus réels du capital seraient, quant à eux, à peu près neutre sur la variation du pouvoir d’achat par ménage. Bien qu’en moindre augmentation, les prélèvements fiscaux et sociaux continueraient à peser sur le pouvoir d’achat sous l’effet de la montée en charge de certaines mesures fiscales décidées par le passé (fiscalité écologique, hausse taux de cotisation retraite, fiscalité locale, …). Au total, la hausse des taux de prélèvements pesant sur les ménages en 2014-15 réduirait de 170 euros le pouvoir d’achat par ménage. De plus, les économies attendues sur la dépense publique pèseraient sur la dynamique des prestations sociales par ménage, celles-ci n’augmentant que d’environ 60 euros par an en moyenne, soit un rythme deux fois moins élevé que sur la période pré-crise malgré une situation sociale plus dégradée.

Si cette analyse ne permet pas de connaître la distribution par quantile de la variation du pouvoir d’achat par ménage, elle permet néanmoins d’avoir une vision macroéconomique de l’impact de la politique d’austérité sur le pouvoir d’achat depuis 2011. En effet, sur les 1 750 euros de perte de pouvoir d’achat par ménage sur la période 2011-15 (graphique), 1 100 euros seraient directement liés à la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux. Aux effets directs de l’austérité s’ajoutent ceux plus indirects qui impactent les autres composantes du pouvoir d’achat. De fait, en amputant l’activité par le mécanisme du multiplicateur budgétaire, la politique d’austérité a eu un impact massif sur le marché du travail, que ce soit par la réduction de l’emploi ou le ralentissement des salaires réels. Si son ampleur est difficile à évaluer, il n’en reste pas moins que les revenus réels du travail par ménage ont baissé de 770 euros en cinq ans. Enfin, si jusqu’à présent les prestations sociales ont joué un rôle d’amortisseur majeur du pouvoir d’achat depuis le début de la crise, l’ampleur des économies sur la dépense publique prévues à partir de 2015 (sur les 21 milliards d’économies en 2015, 9,6 milliards sont attendus sur la protection sociale et 2,4 milliards sur les dépenses d’intervention de l’Etat) pèseront mécaniquement sur la dynamique du pouvoir d’achat.

Ainsi, avec un pouvoir d’achat par ménage retombé en 2015 à son niveau d’il y a treize ans et qui, de plus, a accusé un recul historique sur la période 2011-2013 correspondant à la période la plus marquée de la consolidation budgétaire, il semble difficile d’une part de soutenir que la France n’a pas pratiqué de politique d’austérité jusqu’à présent et d’autre part qu’elle n’est confrontée à aucun problème de demande à court terme.

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[1] Depuis 2011, le rythme de croissance de la dépense publique, en volume, est resté positif mais a été divisé par deux par rapport à celui de la décennie 2000-10 (1,1 % en volume sur la période 2011-14 contre 2,2 % sur la période 2000-10). De plus, depuis 4 ans, il a augmenté à un rythme légèrement inférieur à celui du PIB potentiel (1,4 %). D’un point de vue économique, cela correspond à une amélioration du solde structurel liée à l’ajustement sur la dépense publique de 0,5 point de PIB sur la période 2011-14.

[2] Ces différences dans la mesure de l’austérité proviennent d’écarts sur un certain nombre de facteurs d’évaluation comme, par exemple, le niveau et le taux de croissance du PIB potentiel qui sert de référence au calcul de l’ajustement budgétaire structurel.

[3] Il est important de noter que le revenu disponible brut intègre uniquement les revenus liés aux prestations sociales en espèces (pensions de retraite, indemnités chômage, allocations familiales, …) mais pas les transferts sociaux en nature (santé, éducation, …) ou les dépenses publiques collectives qui bénéficient aux ménages (police, justice, défense, …).

[4] Nous retenons ici le concept de pouvoir d’achat moyen par ménage et non celui de pouvoir d’achat par unité de consommation.




Pourquoi Bruxelles doit sanctionner la France et pourquoi la France doit désobéir

par Henri Sterdyniak

La France a signé le Pacte de Stabilité en 1997 et en 2005 puis le Traité budgétaire en 2012. Selon ces textes, le déficit public d’un pays de la zone euro ne doit pas dépasser les 3 points de PIB ; dès que le déficit public dépasse cette limite, le pays est soumis à la procédure de déficit excessif et doit revenir sous les 3% selon un calendrier accepté par la Commission.

La France s’était engagée à revenir en dessous des 3% en 2012, puis en 2013 ; elle a obtenu, en juin 2013, la possibilité de reporter à 2015 le passage sous les 3%. Mais, selon le budget présenté fin septembre 2014, le déficit public de la France sera toujours de 4,3% du PIB en 2015 ; le passage sous les 3% est reporté à 2017.

En décembre 2012, la France s’était engagée à faire un effort budgétaire de 3,2 points de PIB sur les trois années 2013-14-15 ; selon le nouveau budget, l’effort ne sera que de 1,4 point, soit de 1,1 point en 2013, 0,1 point en 2014, 0,2 point en 2015. Ainsi, la France ne fera même pas en 2014 et 2015 l’effort de 0,8 point de PIB auquel elle s’était engagée en juin 2013 ; elle ne fera pas non plus, durant ces 2 années, l’effort de 0,5 point de PIB, qui s’impose à tous les pays dont le déficit structurel est supérieur à 0,5 point de PIB.

Au lieu de prendre des mesures pour se rapprocher de la trajectoire de solde public annoncée  par la Loi de Programmation des Finances Publiques votée en 2012, le gouvernement va faire voter une nouvelle LPFP, ce qui est contraire à l’esprit du Traité budgétaire. Bref, soit Bruxelles sanctionne la  France, soit elle renonce à faire respecter les  principes du Pacte et du Traité.

Certes, sur le plan technique, une partie de l’écart s’explique par le fait que le gouvernement français a accepté l’estimation de la Commission d’une croissance potentielle de la France limitée à 1% par an en 2013-2015 ; avec une croissance potentielle estimée de 1,6%, l’effort estimé serait plus élevé de 0,3 point par an. Mais le Traité budgétaire précise bien que ce sont les estimations de la Commission qui s’imposent. Sur le plan économique, compte tenu de la situation conjoncturelle, le gouvernement a choisi de privilégier le soutien de la croissance par les baisses d’impôts et de cotisations figurant dans le Pacte de Responsabilité et de Croissance, par rapport au respect des règles européennes. Mais cela n’est pas autorisé par les traités : un pays ne peut décider seul de s’affranchir des règles.

Pour rentrer dans les clous, la France devrait faire en 2015 un effort supplémentaire de baisse des dépenses publiques de l’ordre de 1,4% du PIB, soit de 28 milliards. En même temps, cet effort aurait un impact récessif sur le PIB : au lieu de la  croissance de 1,0% en 2015, que  prévoit le gouvernement, la France connaîtrait une baisse du PIB de l’ordre de 0,4%[1], de sorte que les rentrées fiscales diminueraient et que l’objectif de 3%  de déficit ne serait pas atteint non plus et nous replongerions en récession. Bref, la France a raison de désobéir.

Ainsi, la Commission pourrait-elle infliger à la France une amende de 0,2% de son PIB, soit de 4 milliards d’euros chaque année. Elle pourrait lui imposer de rendre compte tous les 3 mois de l’exécution de son budget. Elle pourrait lui demander de s’engager fermement sur des réformes structurelles (réforme des retraites, baisse des indemnités chômage, réduction des allocations familiales, diminution du nombre de fonctionnaires). Mais cela rendrait l’Europe encore plus impopulaire pour les Français.

La France n’a aucune difficulté à trouver des financements pour sa dette publique. Elle s’endette à des taux d’intérêt nuls à 1 an, de 1,3% à 10 ans. Elle contribue à garantir les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Elle fait un important effort militaire en Afrique et au Moyen-Orient dont beaucoup de pays de l’UE s’exemptent. La France contribue pour 22 milliards au budget de l’UE et sa contribution nette est de l’ordre de 6 milliards. Son déficit public n’a aucune conséquence néfaste pour ses partenaires européens ; au contraire, il soutient leur activité. De sorte que la sanction apparaîtrait comme absurde : on pénaliserait un pays pour ne pas respecter une limite arbitraire de 3%. Non pour des motifs économiques, mais pour faire un exemple, pour renforcer la crédibilité des traités en vigueur.

La France n’est pas le seul pays à ne pas respecter les critères européens de finances publiques. En 2014, par exemple, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, mais aussi, en dehors de la zone euro, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont des déficits publics supérieurs à 3 % du PIB. La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont des dettes publiques supérieures à 60% du PIB. De toute évidence, ces critères sont mal pensés.

La France a fait des efforts budgétaires importants depuis 2009, de l’ordre de 4,5 points de PIB[2], soit un peu plus que la moyenne des pays de la zone euro. Les pays qui ont fait des efforts plus importants (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont dans des situations économiques préoccupantes en termes de chômage et d’écart de production. Il est légitime que la France, où les investissements publics sont particulièrement importants (4 points de PIB) conserve un certain déficit public.

Lorsque tous les pays de la zone font en même temps des politiques d’austérité, le PIB de la zone est lourdement affecté et les objectifs de finances publiques ne peuvent être atteints. C’est ce que l’on voit en Europe depuis 2012, mais la Commission refuse de renoncer à sa politique d’austérité, malgré ses résultats désastreux, qui avaient d’ailleurs été annoncés dès 2011[3].

En fait, les objectifs européens  n’ont aucun fondement économique : les limites de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette sont arbitraires. Il est légitime qu’un pays qui investit beaucoup et qui est en récession ait un déficit public relativement important. Il serait suicidaire d’ajouter une politique trop restrictive à une situation déjà déprimée par la crise financière, puis par la crise des dettes des pays du sud de la zone euro, puis par les politiques d’austérité mises en œuvre.

Le  problème est que les gouvernements français successifs ont eu tort d’accepter de signer le Pacte de Stabilité puis le Traité Budgétaire, ont eu tort de prendre des engagements stupides sur le plan économique, impossibles à tenir. La France apparaît aujourd’hui comme un partenaire non digne de confiance, incapable de tenir ses engagements. Il aurait été plus courageux et plus honnête de refuser de signer.

Sur le plan du droit européen, la France n’aurait pas le droit de ne pas tenir compte des sanctions de l’UE. Le refus de la France de modifier son budget ouvrirait une grave crise en Europe. Il mettrait en cause les fondements de la coordination budgétaire que l’UE a mis en place : la norme de 3%, la procédure de déficit excessif, l’objectif de solde équilibré, le pilotage par le semestre européen, etc. Cette coordination a été imposée par l’Allemagne et les pays du Nord en échange de leur acceptation de la monnaie unique.

En sens inverse, cette pseudo-coordination par des règles arbitraires se révèle totalement contreproductive ; la politique d’austérité pilotée par la Commission a tué la reprise qui s’esquissait en 2010-11 ; la zone euro reste une zone de faible croissance, de chômage de masse et de déséquilibres entre les Etats membres. A l’évidence, la priorité aujourd’hui est de mettre un terme aux politiques d’austérité et de coordonner des politiques de relance en adoptant des mesures spécifiques pour les pays en déséquilibre (plus de salaires et de protection sociale en Allemagne, des investissements productifs dans les pays du Sud).

De sorte que la question se posera : ne faudrait-il pas que la France ait le courage de dire clairement qu’elle refuse de se plier à des règles budgétaires contre-productives  et qu’elle  demande une rupture franche dans les politiques de l’UE ?

 

 


[1] En prenant un multiplicateur de dépenses publiques égal à 1.

[2] Selon les estimations de l’OCDE, Economic Outlook data base, table 30, ou de l’OFCE (Voir, « France, ajustements graduels », Revue de l’OFCE, avril 2014, page 91)

[3] Voir dans la Revue de l’OFCE, janvier 2011, n°116, les articles : Mathieu C. et H. Sterdyniak : « Finances publiques,  sorties de crise » ; J. Creel, E.  Heyer E. et M. Plane : « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps ».




L’austérité maniaco-dépressive, parlons-en !

Par Christophe Blot, Jérôme Creel, Xavier Timbeau

A la suite d’échanges avec nos collègues de la Commission européenne[1], nous revenons sur les causes de la longue période de récession que traverse la zone euro depuis 2009. Nous persistons à penser que l’austérité budgétaire précoce a été une erreur majeure de politique économique et qu’une politique alternative aurait été possible. Les économistes de la Commission européenne continuent pour leur part de soutenir qu’il n’existait pas d’alternative à cette stratégie qu’ils ont préconisée. Ces avis divergents méritent qu’on s’y arrête.

Dans le rapport iAGS 2014 (mais aussi dans le rapport iAGS 2013 ou dans différentes publications de l’OFCE), nous avons développé l’analyse selon laquelle la forte austérité budgétaire entreprise depuis 2010 a prolongé la récession, contribué à la hausse du chômage dans les pays de la zone euro et  nous expose désormais au risque de déflation et à une augmentation de la pauvreté.

Amorcée en 2010 (principalement en Espagne, en Grèce, en Irlande ou au Portugal, l’impulsion budgétaire[2] a été pour la zone euro de -0,3 point de PIB cette année-là), puis accentuée et généralisée en 2011 (impulsion budgétaire de -1,2 point de PIB à l’échelle de la zone euro, voir tableau), renforcée en 2012 (-1,8 point de PIB) et poursuivie en 2013 (-0,9 point de PIB), l’austérité budgétaire devrait persister en 2014 (-0,4 point de PIB). A l’échelle de la zone euro, depuis le début de la crise financière internationale de 2008, et en comptabilisant les plans de relance de l’activité de 2008 et 2009, le cumul des impulsions budgétaires se résume à une politique restrictive de 2,6 points de PIB. Parce que les multiplicateurs budgétaires sont élevés, une telle politique explique en (grande) partie la prolongation de la récession en zone euro.

Les multiplicateurs budgétaires synthétisent l’impact d’une politique budgétaire sur l’activité[3]. Ils dépendent de la nature de la politique budgétaire (selon qu’elle porte sur des hausses d’impôts, des baisses de dépenses, en distinguant les dépenses de transfert, de fonctionnement ou d’investissement), des politiques d’accompagnement (principalement de la capacité de la politique monétaire à baisser ses taux directeurs pendant les cures d’austérité), et de l’environnement macroéconomique et financier (notamment du taux de chômage, des politiques budgétaires menées par les partenaires commerciaux, de l’évolution du taux de change et de l’état du système financier).  En temps de crise, les multiplicateurs budgétaires sont beaucoup plus élevés, au moins 1,5 pour le multiplicateur de dépenses de transfert, contre presque 0 à long terme en temps normal. La raison en est assez simple : en temps de crise, la paralysie du secteur bancaire et son incapacité à fournir le crédit nécessaire aux agents économiques pour faire face à la chute de leurs revenus ou à la dégradation de leurs bilans oblige ces derniers à respecter leur contrainte budgétaire, non plus intertemporelle, mais instantanée. L’impossibilité de généraliser des taux d’intérêt nominaux négatifs (la fameuse « Zero Lower Bound ») empêche les banques centrales de stimuler les économies par des baisses supplémentaires de taux d’intérêt, ce qui renforce l’effet multiplicateur pendant une cure d’austérité.
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Si les multiplicateurs budgétaires sont plus élevés en temps de crise, la réduction raisonnée de la dette publique implique le report des politiques budgétaires restrictives. Il faut d’abord sortir de la situation qui provoque la hausse du multiplicateur, et dès que l’on est à nouveau dans une situation « normale », réduire la dette publique par une politique budgétaire restrictive. Ceci est d’autant plus important que la réduction d’activité induite par la politique budgétaire restrictive peut l’emporter sur l’effort budgétaire. Pour une valeur du multiplicateur supérieure à 2, le déficit budgétaire et la dette publique, au lieu de baisser, peuvent continuer de croître malgré l’austérité. Le cas de la Grèce est à ce titre édifiant : malgré des hausses effectives d’impôts et des baisses effectives de dépenses, et malgré une restructuration partielle de sa dette publique, l’Etat grec est confronté à un endettement public qui ne décroît pas, loin de là, au rythme des restrictions budgétaires imposées. La « faute » en revient à la chute abyssale du PIB.

Le débat sur la valeur des multiplicateurs est ancien et a été réactivé dès le début de la crise[4].  Il a connu à la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013 une grande publicité puisque le FMI (par la voix d’O. Blanchard et D. Leigh) a interpellé la Commission européenne en montrant que ces deux institutions avaient, depuis 2008, systématiquement sous-estimé l’impact des politiques d’austérité sur les pays de la zone euro. La Commission européenne a recommandé des remèdes qui n’ont pas fonctionné et a appelé à les renforcer à chaque échec. C’est la raison pour laquelle les politiques budgétaires poursuivies en zone euro ont été une erreur d’appréciation considérable et sont la cause principale de la récession prolongée que nous traversons. L’ampleur de cette erreur peut être estimée à presque 3 points de PIB d’activité pour l’année 2013 (ou presque 3 points de chômage) : si l’austérité avait été reportée à des temps plus favorables, on aurait atteint le même ratio de dette par rapport au PIB à l’horizon imposé par les traités (en 2032), mais en bénéficiant d’un surcroît d’activité. Le coût de l’austérité depuis 2011 est ainsi de presque 500 milliards d’euros (le cumul de ce qui a été perdu en 2011, 2012 et 2013). Les presque 3 points de chômage supplémentaires en zone euro sont aujourd’hui ce qui nous expose au risque d’une déflation dont il sera très difficile de sortir.

Bien qu’elle suive ces débats sur la valeur du multiplicateur, la Commission européenne (et dans une certaine mesure le FMI) a développé une autre analyse pour justifier le choix de politique économique de la zone euro. Cette analyse conclut que les multiplicateurs budgétaires sont pour la zone euro et pour la zone euro seulement, négatifs en temps de crise. Suivant cette analyse, l’austérité aurait réduit le chômage. Pour aboutir à ce qui nous semble être un paradoxe, il faut accepter un contrefactuel particulier (ce qui se serait passé si l’on n’avait pas mené des politiques d’austérité). Par exemple, dans le cas de l’Espagne, sans efforts budgétaires précoces, les marchés financiers auraient menacé de ne plus prêter pour financer la dette publique espagnole. La hausse des taux d’intérêt exigés par les marchés financiers à l’Espagne aurait alors obligé son gouvernement à une restriction budgétaire brutale ; le secteur bancaire n’aurait pas résisté à l’effondrement de la valeur des actifs obligataires de l’Etat espagnol et le renchérissement du coût du crédit, dû à une fragmentation des marchés financiers en Europe, aurait provoqué en Espagne une crise sans commune mesure avec celle qu’elle a connue. Dans ce schéma d’analyse, l’austérité préconisée n’est pas le fruit d’un aveuglement dogmatique mais l’aveu d’une absence de choix. Il n’y aurait pas d’autre solution, et dans tous les cas, le report de l’austérité n’était pas une option crédible.

Accepter ce contrefactuel de la Commission européenne revient à accepter l’idée selon laquelle les multiplicateurs budgétaires sont négatifs. Cela revient aussi à accepter l’idée d’une domination de la finance sur l’économie ou, du moins, que le jugement sur la soutenabilité de la dette publique doit être confié aux marchés financiers. Toujours selon ce contrefactuel, une austérité précoce et franche permettrait de regagner la confiance des marchés et, en conséquence, éviterait la dépression profonde. En comparaison d’une situation de report de l’austérité, la récession induite par la restriction budgétaire précoce et franche donnerait lieu à moins de chômage et à plus d’activité. Cette thèse du contrefactuel nous a été ainsi opposée dans un séminaire de discussion du rapport iAGS 2014 organisé par la Commission européenne (DGECFIN), le 23 janvier 2014. Des simulations présentées à cette occasion illustraient le propos et concluaient que la politique d’austérité menée avait été profitable pour la zone euro, justifiant a posteriori la politique suivie. L’effort accompli a permis de mettre un terme à la crise des dettes souveraines en zone euro, condition préalable pour espérer sortir un jour de la dépression amorcée en 2008.

Dans le rapport iAGS 2014, rendu public en novembre 2013, nous répondions (par anticipation) à cette objection à partir d’une analyse très différente : l’austérité massive n’a pas permis de sortir de la récession, contrairement à ce qui avait été anticipé par la Commission européenne à l’issue de ses différents exercices de prévision. L’annonce des plans d’austérité en 2009, leur mise en place en 2010 ou leur renforcement en 2011 n’ont jamais convaincu les marchés financiers et n’ont pas empêché l’Espagne ou l’Italie d’avoir à faire face à des taux souverains de plus en plus élevés. La Grèce, qui a effectué une restriction budgétaire sans précédent, a projeté son économie dans une dépression bien plus profonde que la Grande Dépression, sans rassurer qui que ce soit. Les acteurs des marchés financiers comme tous les autres observateurs avisés ont bien compris que le remède de cheval ne pouvait que tuer le malade avant de le guérir. La poursuite de déficits publics élevés est en grande partie due à un effondrement de l’activité. La panique des marchés financiers face à une dette incontrôlée accentue la spirale de l’effondrement en augmentant la charge d’intérêt.

La solution ne consiste pas à préconiser plus d’austérité, mais à briser le lien entre la dégradation de la situation budgétaire et la hausse des taux d’intérêt souverains. Il faut rassurer les épargnants sur le fait que le défaut de paiement n’aura pas lieu et que l’Etat est crédible quant au remboursement de sa dette. S’il faut pour cela reporter le remboursement de la dette à plus tard, et si l’Etat est crédible dans ce report, alors, le report est la meilleure solution.

Pour assurer cette crédibilité, l’intervention de la Banque centrale européenne durant l’été 2012, la mise en marche du projet d’union bancaire, l’annonce du dispositif d’intervention illimitée de la BCE sous l’appellation d’OMT (Creel et Timbeau (2012)), conditionnelle à un programme de stabilisation budgétaire, ont été cruciales. Ces éléments ont convaincu les marchés, presque immédiatement, malgré leur flou institutionnel (notamment sur l’union bancaire et la situation des banques espagnoles, ou sur le jugement de la Cour constitutionnelle allemande à propos du montage européen), et bien que l’OMT ne soit qu’une option n’ayant jamais été mise en œuvre (en particulier, on ne sait pas ce que serait un programme de stabilisation des finances publiques conditionnant l’intervention de la BCE). En outre, au cours de l’année 2013, la Commission européenne a négocié avec certains Etats membres (Cochard et Schweisguth (2013)) des reports de l’ajustement budgétaire. Ce premier pas timide vers les solutions proposées dans les deux rapports iAGS a rencontré l’assentiment des marchés financiers sous la forme d’une détente des écarts de taux souverains en zone euro.

Contrairement à notre analyse, le contrefactuel envisagé par la Commission européenne, qui nie la possibilité d’une alternative, s’inscrit dans un cadre institutionnel[5] inchangé. Pourquoi prétendre que la stratégie macroéconomique doit être strictement conditionnée aux contraintes institutionnelles ? S’il faut faire des compromis institutionnels pour permettre une meilleure orientation des politiques économiques et parvenir in fine à une meilleure solution en termes d’emploi et de croissance, alors il faut suivre cette stratégie. Parce qu’elle n’interroge pas les règles du jeu en termes politiques, la Commission ne peut que se soumettre aux impératifs de rigueur. Cette forme d’entêtement apolitique aura été une erreur et, sans le moment « politique » de la BCE, la Commission nous conduisait dans une impasse. La mutualisation implicite des dettes publiques, concrétisée par l’engagement de la BCE à prendre toutes les mesures nécessaires pour soutenir l’euro (le « Draghi put »), ont modifié le lien entre dette publique et taux d’intérêt souverains pour chaque pays de la zone euro. Il est toujours possible d’affirmer que la BCE n’aurait jamais pris cet engagement si les pays n’avaient pas engagé la consolidation à marche forcée. Mais un tel argument n’empêche pas de discuter du prix à payer pour que le compromis institutionnel soit mis en place. Les multiplicateurs budgétaires sont bien positifs (et largement) et la bonne politique était bien le report de l’austérité. Il y avait une alternative et la politique poursuivie a été une erreur. C’est peut-être l’ampleur de cette erreur qui la rend difficile à reconnaître.

 


[1] Nous tenons à remercier Marco Buti pour son invitation à présenter le rapport iAGS 2014, ainsi que pour ses suggestions, et Emmanuelle Maincent, Alessandro Turrini et Jan in’t Veld pour leurs commentaires.

[2] L’impulsion budgétaire mesure l’orientation restrictive ou expansionniste de la politique budgétaire. Elle est calculée comme la variation du solde structurel primaire.

[3] Ainsi, pour un multiplicateur de 1,5, une restriction budgétaire de 1 milliard d’euros réduit l’activité de 1,5 milliard d’euros.

[4] Voir Heyer (2012) pour une revue récente de la littérature.

[5] Le cadre institutionnel est ici entendu au sens-large. Il ne s’agit pas seulement des institutions en charge des décisions de politique économique mais également des règles adoptées par ces institutions. L’OMT est un exemple de changement de règle adopté par une institution. Le renforcement des règles budgétaires est un autre facteur de changement de cadre institutionnel.




De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.




Retour de la croissance au Royaume-Uni en 2013 : effets en trompe-l’oeil

Par Catherine Mathieu

La dernière estimation des comptes nationaux britanniques, publiée le 27 novembre, a confirmé une croissance du PIB de 0,8 % au troisième trimestre 2013, après 0,7 % au deuxième trimestre et 0,4 % au premier trimestre. C’est une belle performance pour l’économie britannique, notamment en comparaison de la zone euro. Ainsi, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre 2013 au Royaume-Uni, contre -0,4% dans la zone euro, 0,2 % en France et 0,6 % en Allemagne. Le retour de la croissance au Royaume-Uni serait la preuve, selon certains, que l’austérité budgétaire ne nuit pas à la croissance…au contraire. Mais l’argument nous semble pour le moins discutable.

Regardons les chiffres d’un peu plus près. Certes, le PIB est en hausse de 1,5 % sur un an au troisième trimestre, mais il n’avait augmenté que de 0,1 % en 2012 et reste encore 2,5 points en dessous de son niveau d’avant-crise : tout cela ne constitue pas un grand succès. Plus frappant encore est l’évolution du PIB depuis le début de la crise : le PIB a initialement chuté de 7 points, entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009 ; puis la reprise s’est amorcée, permettant au PIB de regagner 2 points au troisième trimestre 2010, avant de baisser à nouveau. Le profil du PIB depuis le troisième trimestre 2010 est tout à fait inhabituel au regard des sorties de crise précédentes (graphique 1).

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En 2008, le Royaume-Uni été l’un des premiers pays industrialisés à mettre en place un plan de relance. Gordon Brown, chancelier de l’Echiquier du gouvernement de Tony Blair, a fait baisser le taux normal de TVA de 2,5 points en décembre 2008, afin de soutenir la consommation des ménages. La mesure était annoncée comme temporaire et s’est arrêtée fin 2009. En 2009, la politique budgétaire a ainsi été fortement expansionniste, soit une impulsion budgétaire de 2,8 points de PIB après 0,6 point en 2008 (tableau 1). Le déficit public s’est creusé sous le double effet de la récession et de la politique budgétaire, la dette publique a augmenté.

En mai 2010, les Conservateurs ont remporté les élections sur un programme axé sur la réduction de la dette et des déficits publics. Celui-ci était supposé garantir la confiance des marchés, conserver le triple A de la dette publique britannique et ainsi maintenir le taux d’intérêt sur la dette à un niveau faible. A cela s’est ajoutée une politique monétaire extrêmement active, la Banque d’Angleterre maintenant son taux directeur à 0,5 %, achetant des titres publics et déployant de grands efforts pour faciliter le refinancement des banques et relancer le crédit aux entreprises et aux ménages. Le redémarrage de la croissance était supposé venir de l’investissement des entreprises et des exportations.

La politique budgétaire mise en place par le gouvernement de David Cameron a donc été fortement restrictive. Dans un premier temps, les mesures ont porté principalement sur la hausse des recettes, via un relèvement des taux de TVA, puis sur la baisse des dépenses, notamment des prestations sociales. La reprise de la croissance s’est interrompue. La politique budgétaire est aussi devenue restrictive ailleurs en Europe, l’activité a ralenti chez les principaux partenaires commerciaux du Royaume-Uni. En 2012, l’austérité budgétaire a été fortement atténuée (tableau 1). Les chiffres de croissance dans la période récente sont loin de montrer un succès de l’austérité.

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Il est aussi important de noter que David Cameron a dès le départ exclu les dépenses de santé du plan de réduction des dépenses. Les Britanniques sont attachés à leur système public de santé et, pour les Conservateurs nouvellement élus, il s’agissait de ne pas répéter en 2010 l’erreur commise dans les années 1980 lorsque Margaret Thatcher était à la tête du gouvernement. Ainsi, l’austérité budgétaire ne frappe pas le secteur de la santé. Le résultat est clair en termes d’activité : la valeur ajoutée (en volume) du secteur de la santé est aujourd’hui 15 points au-dessus de son niveau d’avant-crise, autrement dit, elle a continué à croître à un rythme annuel moyen de près de 3 % (graphique 2). Le deuxième secteur où l’activité est restée soutenue depuis 2008, et accélère depuis la fin de 2012, est celui de l’immobilier. Au Royaume-Uni, les prix de l’immobilier avaient fortement augmenté avant la crise, conduisant à un endettement record des ménages, et n’ont que peu baissé ensuite. Ils sont restés historiquement élevés et ont même recommencé à augmenter à partir de 2012 (à un rythme annuel d’environ 5 %). Mais les autres secteurs d’activité restent à la traîne. Ainsi, la plupart des services ont seulement rejoint leur niveau de production d’avant-crise, et pour certains d’entre eux restent très en deçà de ce niveau : – 9 % pour les services financiers et d’assurance, soit un chiffre comparable à celui de l’industrie manufacturière, alors que la perte de production reste de 13 % dans le bâtiment.

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Depuis 2008, la croissance britannique est donc impulsée en partie par un service public épargné par l’austérité budgétaire et par des services immobiliers soutenus par la politique monétaire ultra-active… Aussi la reprise britannique pourrait-elle donner naissance à une nouvelle bulle immobilière. La consommation des ménages est aujourd’hui le principal moteur de la croissance (tableau 2). L’absence de reprise de l’investissement est l’un des principaux échecs de la politique d’offre mise en place depuis 2010 par le gouvernement. Ce dernier souhaite que le système fiscal britannique devienne le plus compétitif du G20 et, dans ce but, a diminué le taux d’imposition des sociétés pour en faire le plus faible du G20 (le taux, abaissé à 23 % cette année, serait de seulement 20 % en 2015). Mais l’investissement des entreprises ne redémarre pas pour autant. Le gouvernement compte aussi sur les exportations pour tirer la croissance, mais ceci est peu réaliste vu la situation conjoncturelle sur les principaux marchés extérieurs britanniques, avant tout dans la zone euro. Après avoir soutenu la croissance au cours des trimestres précédents, grâce au dynamisme des ventes hors Union européenne jusqu’à l’été, les exportations ont contribué à faire baisser fortement la croissance au troisième trimestre (-0,8 point de PIB). Alors que le gouvernement britannique s’apprête à présenter son budget le 5 décembre, un soutien de la politique budgétaire serait bienvenu pour maintenir l’économie britannique sur le chemin de la reprise au cours des prochains mois…

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France : pourquoi tant de zèle ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans le cadre de celles-ci, la Commission accorde deux années supplémentaires à la France pour atteindre la cible de 3% de déficit public. L’objectif de déficit de 3 % est désormais fixé à 2015 et la Commission européenne préconise pour y arriver des impulsions budgétaires de -1,3 point de PIB en 2013 et -0,8 en 2014 (voir la note « Austérité en Europe: changement de cap? »). Cela allègerait l’effort structurel à fournir, puisque le respect des engagements antérieurs aurait nécessité des impulsions de -2,1 et -1,3 points de PIB pour 2013 et 2014 respectivement.

Pour autant, le gouvernement français a choisi de ne pas relâcher sa politique d’austérité, en maintenant l’ensemble des mesures annoncées lors du projet de loi de finances de l’automne 2012. Cette politique reste restrictive et va bien au-delà des préconisations de la Commission : -1,8 point de PIB d’impulsion budgétaire, dont 1,4 point de hausse des taux de prélèvement obligatoire sur la seule année 2013. Pire, les grandes orientations pour le budget 2014 présentées par le gouvernement au Parlement le 2 juillet 2013 impliquent un effort structurel de 20 milliards d’euros pour 2014, soit 1 point de PIB, là où la Commission n’en exigeait que 0,8. Le gouvernement durcit par ailleurs l’impulsion budgétaire de 0,6 point de PIB qu’il avait lui-même affiché dans le programme pluriannuel de la Loi de finances pour 2013.

Le tableau ci-dessous permet de prendre la mesure de l’effort engagé et de ses conséquences sur l’économie française. On y lit l’évolution de la croissance, du taux de chômage et du solde public en 2013 et 2014, selon trois stratégies budgétaires :

  1. celle retenant l’assouplissement préconisé par la Commission en mai 2013 ;
  2. celle reposant sur le budget voté par le gouvernement pour 2013 et, a priori, 2014 ;
  3. celle reposant sur un scénario alternatif qui prend acte de l’impulsion de -1.8 point de PIB engagée pour l’année 2013, et calcule l’impulsion budgétaire suffisante en 2014 pour respecter l’objectif de déficit public de -3,6 % de la Commission européenne.

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Selon nos estimations réalisées à partir du modèle IAGS[1], le déficit public serait réduit à 3,1 % du PIB en 2014 dans le scénario (2), là où la Commission n’exigeait que 3,6 %. Conséquence de cet excès de zèle, la croissance cumulée pour 2013 et 2014 si le budget voté est appliqué serait de 0,7 point inférieure à celle des deux autres scenarii (0,8 point contre 1,5 point). Le corollaire est une hausse du chômage en 2013 et en 2014 : le taux de chômage, de l’ordre de 9,9 % en 2012, passe ainsi à 11,1 % en 2014, soit une hausse de plus de 350 000 chômeurs sur la période. A l’inverse, le scénario assoupli de la Commission européenne permettrait une quasi-stabilisation du chômage dès 2013, tandis que le scénario alternatif permet une inversion de la courbe du chômage en 2014.

Alors que l’échec de la politique d’austérité des dernières années semble infléchir progressivement la position de la Commission européenne, le gouvernement français persiste dans cette voie. A rebours de l’urgence sociale à laquelle le pays fait face et du changement de paradigme qui semble gagner la plupart des institutions internationales, le gouvernement français choisit d’en rester au fétichisme des 3 %.


[1] IAGS est l’acronyme de “Independent Annual Growth Survey”. Ce modèle propose une modélisation simplifiée des onze principales économies de la zone euro (Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Espagne). Voir plus de détails, voir le document de travail Model for euro area medium term projections.




Austérité en Europe: changement de cap ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union européenne ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans ces recommandations, la Commission préconise un report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro (Espagne, France, Pays-Bas, Portugal), leur laissant davantage de temps pour atteindre la cible de 3 % de déficit public. L’Italie n’est plus en procédure de déficit excessif. Seule la Belgique est sommée d’intensifier ses efforts. Cette nouvelle feuille de route peut-elle être interprétée comme un changement de cap annonçant un assouplissement des politiques d’austérité en Europe ? Peut-on en attendre un retour de la croissance sur le vieux continent ?

Ces questions ne sont pas triviales. La Note de l’OFCE (n°29, 18 juillet 2013) tente d’y répondre en simulant trois scénarii de politique budgétaire à l’aide du modèle iAGS. Il ressort de cette étude que le report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro ne traduit pas un véritable changement de cap de la politique budgétaire en Europe. Certes, le scénario du pire, dans lequel l’Espagne et le Portugal se seraient vu imposer les mêmes recettes que la Grèce, a été évité. La Commission accepte implicitement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques quand la conjoncture se dégrade. Cependant, pour de nombreux pays, les préconisations en termes d’efforts budgétaires vont toujours au-delà de ce qui est imposé par les traités (0,5 point de PIB de réduction annuelle du déficit structurel), avec pour corollaire une hausse de 0,3 point du taux de chômage en zone euro entre 2012 et 2017.

Pourtant, une troisième voie nous semble possible. Il s’agit d’adopter dès 2014 une position de « sérieux budgétaire » qui ne remettrait pas en cause la soutenabilité de la dette publique. Cette stratégie consiste à maintenir constant le taux de prélèvements obligatoires et à laisser les dépenses publiques évoluer au même rythme que la croissance potentielle. Cela revient à une impulsion budgétaire neutre entre 2014 et 2017. Dans ce scénario, le solde public de la zone euro s’améliorerait de 2,4 points de PIB entre 2012 et 2017 et la trajectoire de dette publique s’inverserait dès 2014. A l’horizon 2030, le solde public serait excédentaire (+0,7 %) et la dette approcherait les 60 % du PIB. Surtout, ce scénario permettrait de faire baisser significativement le taux de chômage à l’horizon 2017. Les pays européens devraient peut-être s’inspirer de la sagesse de Jean de La Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »…




Quels ont été les freins à la croissance depuis 2010 ?

par Eric Heyer et Hervé Péléraux

A la fin de l’année 2012, cinq ans après le début de la crise, le PIB de la France n’est toujours pas revenu à son niveau antérieur (graphique 1). Dans le même temps, la population active en France a augmenté continûment et le progrès technique n’a pas cessé d’accroître la productivité des travailleurs. Nous sommes donc plus nombreux et plus productifs qu’il y a 5 ans alors que la production est moindre : l’explosion du chômage observé est le symptôme de ce désajustement. Pour quelles raisons la reprise entrevue en 2009 s’est-elle étouffée mi-2010 ?

Le principal facteur de l’étouffement de la reprise est la politique d’austérité mise en place en France et en Europe dès 2010, puis accentuée en 2011 et en 2012 (tableau 1). Les effets de cette politique de rigueur sont d’autant plus marqués qu’elle est générale dans l’ensemble des pays de la zone euro. Les effets restrictifs internes se cumulent avec ceux qui résultent du freinage de la demande adressée par les partenaires européens. Alors que 60 % des exportations de la France sont à destination de l’Union européenne, la stimulation extérieure s’est quasiment évanouie à la mi-2012, moins du fait du ralentissement de la croissance mondiale qui reste voisine de 3 %, mais en conséquence des mauvaises performances de la zone euro, au bord de la récession. Cette politique est à l’origine du déficit de croissance, avec un freinage apparent dès 2010 (-0,7 point), freinage qui s’est accentué en 2011 et en 2012 (respectivement -1,5 et -2,1 points) du fait de l’intensification de la rigueur et de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés. En effet, la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs). Le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique : les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Au frein budgétaire est venu s’ajouter l’effet de conditions monétaires restrictives : l’assouplissement de la politique monétaire – visible notamment dans la baisse des taux d’intérêt directeurs – est loin d’avoir compensé l’effet négatif sur l’économie du durcissement des conditions d’octroi de crédit ainsi que de l’élargissement du spread entre les investissements privés et les placements publics, sans risques.

Au total, en prenant aussi en compte l’effet de la remontée du prix du pétrole après la récession, la croissance spontanée de l’économie française aurait été de 2,6 % en moyenne au cours des trois dernières années. La réalisation de ce potentiel aurait conduit à la poursuite de la résorption des surcapacités de production et aurait finalement coupé court au scénario de retournement à la baisse de l’économie qui s’est effectivement réalisé.