La France et la zone euro suspendues au-dessus de la récession

par Hervé Péléraux

L’actualisation des indicateurs avancés pour la France et la zone euro à la fin octobre révèle l’extrême fragilité de ces économies, en surplomb au-dessus de la récession. La stagnation du PIB attendue en France au troisième trimestre, suivie d’un possible recul de 0,2 % au quatrième, peut préfigurer la survenue d’une récession au tournant de 2011-2012, alors même que l’optimisme était encore de mise avant l’été. La situation n’est guère meilleure pour l’ensemble de la zone euro, avec une stagnation anticipée du PIB dans la seconde moitié de 2011. La crise des dettes souveraines, démarrée en mai 2010 avec la révélation de la crise grecque, aura finalement eu raison de la résistance, un peu surprenante, des économies dans la seconde moitié de 2010 et au premier trimestre 2011.

L’indicateur avancé pour la France :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateurfr.htm?current=five&sub=c

L’indicateur avancé pour la zone euro :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateureuro.htm?current=five&sub=c




Les banques centrales peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés ?

par Paul Hubert

Comment les prévisions d’une banque centrale peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés et quelles en sont les raisons ? A quelques heures des conférences de presse de Ben Bernanke et de Mario Draghi, voici quelques éléments d’explication. 

L’attribution du Prix Nobel d’Economie 2011 à Thomas Sargent et Chris Sims pour « leurs recherches empiriques sur les effets causaux en macroéconomie » met en lumière le rôle primordial des anticipations des agents privés dans les décisions de politique économique. Parce que les anticipations d’inflation et de croissance des entreprises et des ménages affectent leurs décisions d’investissements, de consommation, d’épargne, et les revendications salariales, elles sont au cœur de l’interaction entre les politiques économiques et leurs effets.

Depuis les années 1980, l’instrument principal de la politique monétaire est le taux d’intérêt directeur de la banque centrale. Les variations de celui-ci affectent l’économie et permettent à la banque centrale d’arbitrer entre croissance économique et inflation via différents canaux : le canal du taux d’intérêt, le canal du crédit, le canal du prix des actifs, le canal du taux de change et enfin le canal des anticipations. En effet, dans le cadre de leurs décisions quotidiennes, les entreprises et les ménages intègrent de nombreuses anticipations sur la consommation, l’investissement, les capacités de production futures, ainsi que les salaires et prix futurs, etc. Ces anticipations jouent ensuite un rôle central dans la détermination des variables économiques. Les variations du taux directeur envoient donc des signaux sur l’état futur de l’économie ainsi que la politique monétaire future, et modifient les anticipations que forment les agents privés.

Cependant, le canal des anticipations est incertain et les variations de taux directeur peuvent être comprises de différentes manières : les agents privés peuvent réagir à une baisse du taux directeur en consommant et investissant plus, ce qui peut signaler que la croissance sera plus forte dans le futur et ce qui accroît leur confiance et leur volonté de consommer et investir. A l’opposé, les mêmes agents peuvent interpréter que la croissance présente est plus faible que prévue, poussant la banque centrale à intervenir, ce qui réduit leur confiance, donc leur volonté de consommer et d’investir… Depuis les années 1990, les banques centrales utilisent donc en complément du taux d’intérêt des effets d’annonce pour clarifier leurs intentions futures. La communication semble ainsi être devenue un outil de la politique monétaire et deux types peuvent être distingués. La communication qualitative comprend les discours et interviews, tandis que la communication quantitative correspond à la publication des prévisions d’inflation et de croissance de la banque centrale.

Dans un récent document de travail, nous analysons l’effet des prévisions d’inflation et de croissance publiées trimestriellement par les banques centrales du Canada, de Suède, du Royaume-Uni, du Japon et de Suisse. A l’aide d’enquêtes réalisées par Consensus Forecasts auprès de prévisionnistes professionnels des secteurs financiers et non-financiers, nous montrons que les prévisions d’inflation des banques centrales de Suède, du Royaume-Uni et du Japon sont un déterminant significatif des prévisions d’inflation des agents privés. Autrement dit, la publication des prévisions d’inflation de ces banques centrales entraîne une révision des prévisions des agents privés. Il s’avère en outre que le contraire n’est pas vrai : les prévisions de la banque centrale ne réagissent pas aux prévisions des agents privés.

Deux raisons peuvent expliquer cette influence de la banque centrale : premièrement, les prévisions d’inflation de la banque centrale pourraient être de meilleure qualité et il est rationnel pour les agents privés d’être influencés par celles-ci afin d’améliorer leurs propres prévisions des variables macroéconomiques. Deuxièmement, les prévisions d’inflation de la banque centrale peuvent influencer les agents privés parce qu’elles transmettent des signaux, soit sur les futures décisions de politique monétaire, soit sur l’information privée dont dispose la banque centrale. Ce type d’influence est indépendant de la performance de prévision de la banque centrale.

Afin de déterminer les sources de cette influence, nous évaluons la performance de prévision relative des banques centrales et des agents privés et testons si l’influence des anticipations privées par la banque centrale dépend de la qualité de ses prévisions. Les estimations montrent que seule la banque centrale de Suède, au sein de notre échantillon de banques centrales, produit de façon significative, régulière et robuste des prévisions d’inflation de meilleure qualité que celles des agents privés. Nous trouvons en outre que le degré d’influence dépend de la qualité des prévisions d’inflation. Autrement dit, les prévisions d’inflation à un horizon court (1 ou 2 trimestres), dont une analyse historique des performances de prévisions nous apprend qu’elles sont de faible qualité, n’influencent pas les agents privés tandis que celles de meilleure qualité les influencent. De plus, les prévisions d’inflation à plus long terme de la banque centrale de Suède réussissent à influencer les anticipations privées même lorsque leur qualité est faible et les influence d’autant plus que leur qualité est meilleure.

Alors que les banques centrales du Royaume-Uni, du Japon  et de Suède réussissent toutes les trois à influencer les anticipations privées via la publication de leurs prévisions macroéconomiques, il apparaît que les raisons de cette influence sont différentes. Les deux premières utilisent la transmission de signaux, tandis que la banque centrale de Suède utilise les deux sources possibles pour influencer les anticipations privées : à la fois sa meilleure capacité de prévisions et l’envoi de signaux. La conséquence de ces résultats est que la publication par la banque centrale de ses prévisions macroéconomiques pourrait faciliter et rendre plus efficace la mise en place de la politique monétaire désirée en guidant les anticipations privées. Ce canal de transmission, plus rapide car il ne repose que sur la diffusion de prévisions, pourrait permettre ainsi à la banque centrale d’affecter l’économie sans modification de son taux d’intérêt directeur et peut effectivement constituer un instrument supplémentaire.




Can the central banks influence the expectations of private agents?

By Paul Hubert

Can the forecasts of a central bank influence the expectations of private agents, and if so what are the reasons for this? A few hours after the press conferences of Ben Bernanke and Mario Draghi, here are some explanations.

The awarding of the 2011 Nobel Prize in Economics to Thomas Sargent and Chris Sims for “their empirical research on causal effects in macroeconomics” highlights the role of the expectations of private agents in economic policy decisions. Because the expectations of businesses and households about inflation and growth affect their decisions on investment, consumption, savings, and wage demands, these are at the heart of the interaction between economic policies and their effects.

Since the 1980s, the main instrument of monetary policy has been the interest rate set by the central bank. Changes in this affect the economy and allow the central bank to arbitrate between economic growth and inflation through several channels, and in particular interest rates, credit, asset prices, exchange rates and, finally, expectations. Indeed, in the course of their daily decision-making, businesses and households base themselves on numerous expectations about consumption, investment, future capacity and future wages and prices, etc. These expectations then play a central role in the determination of economic variables. Changes in the central bank rate thus send signals about the future state of the economy and future monetary policy, and alter the expectations formed by private agents.

However, the expectations channel is ambiguous, and changes in the base rates can be understood in different ways: private agents may respond to lower rates by consuming and investing more, which may indicate that growth will be stronger in the future, bolstering their confidence and their willingness to consume and invest. In contrast, the same agents may feel that current growth is lower than expected, prompting the central bank to intervene, which reduces their confidence, and hence their willingness to consume and invest…. Since the 1990s, the central banks have been complementing interest rates with the effect of announcements to clarify their future intentions. Communication seems to have become a tool of monetary policy, and two types can be distinguished. Qualitative communication includes interviews and speeches, while quantitative communication consists of the publication of the central bank’s forecasts of inflation and growth.

In a recent working paper, we analyze the effect of the forecasts of inflation and growth published quarterly by the central banks of Canada, Sweden, the UK, Japan and Switzerland. With the help of surveys conducted by Consensus Forecasts of professional forecasters from financial and non-financial sectors, we show that the inflation forecasts of the central banks of Sweden, the UK and Japan are a significant factor in the inflation forecasts of private agents. In other words, the publication of the central bank inflation forecasts leads to a revision of the forecasts of private agents. It also appears that the opposite is not true: the central bank forecasts do not respond to the forecasts of private agents.

Two factors could explain the central bank’s influence: first, the inflation forecasts of the central bank could be higher quality, making it rational for private agents to be influenced by them so as to improve their own forecasts of macroeconomic variables. Second, the inflation expectations of the central bank can influence private agents because they transmit signals, either about future decisions on monetary policy, or about the private information available to the central bank. This type of influence is independent of the forecasting performance of the central bank.

To determine the sources of this influence, we evaluated the relative forecasting performance of the central banks and private agents and tested whether the central bank’s influence on private expectations depends on the quality of its forecasts. Estimates showed that, in our sample of central banks, only the central bank of Sweden produced significant, regular and robust inflation forecasts that were better than those of private agents. We also found that the degree of influence depends on the quality of the inflation forecasts. In other words, the inflation forecast over a short horizon (1 or 2 quarters), which a historical analysis of forecast performance tells us are of low quality, do not influence private agents, whereas those of higher quality do influence them. Furthermore, the longer-term inflation forecasts of Sweden’s central bank managed to influence private expectations even when their quality was low, and the better the quality, the stronger the influence.

While the central banks in the United Kingdom, Japan and Sweden all succeed in influencing private expectations by publishing their macroeconomic forecasts, it appears that the reasons for this influence differ. The first two use the transmission of signals, while the Swedish central bank uses both possible sources for influencing private expectations: its greater forecasting capability and the sending of signals. The consequence of these results is that the publication by the central bank of its macroeconomic forecasts could facilitate and render more effective the establishment of the desired monetary policy by shaping private expectations. This transmission channel, which is faster because it relies only on the provision of forecasts, could thus allow the central bank to affect the economy without changing its key interest rate, in practice making it an additional policy instrument.




Politique monétaire : l’histoire sans fin

par Christophe Blot et Christine Rifflart

Les banques centrales disposent-elles encore de marges de manœuvre pour contrer les pressions déflationnistes aux Etats-Unis et éviter à la zone euro de sombrer dans une nouvelle crise financière comparable à celle de 2008 ?

Malgré la baisse des taux directeurs des banques centrales à des niveaux planchers compris entre 0 et 0,5 % (1 % pour la BCE avant les deux hausses de 0,25 % en avril et juillet dernier), les politiques monétaires sont restées sans effet sur les conditions de financement des agents privés. Pourtant, depuis le début de l’été, les mauvaises nouvelles s’enchaînent de part et d’autre de l’Atlantique et nourrissent un pessimisme accru. La crise de confiance dans la zone euro accroît le risque de blocage et l’absence de reprise du crédit aux Etats-Unis, du fait notamment de taux privés qui peinent à baisser, montre que la trappe à liquidité qui s’est mise en place à la suite de la crise financière de 2008 n’est toujours pas refermée. Cette situation alimente la crise de liquidité que l’on peut observer sur les marchés interbancaires à travers les spreads (graphique 1) et les enquêtes auprès des banques. Même si elles n’ont pas encore atteint les sommets observés lors de la faillite de Lehman Brothers aux Etats-Unis, de telles tensions illustrent les craintes sur la fragilité des banques européennes du fait de leur exposition aux dettes des Etats membres de la zone euro et montrent combien la situation en matière de dette souveraine pèse sur la stabilité du système bancaire européen.

La trappe à liquidité renvoie à une situation où le taux d’intérêt atteint un niveau plancher et où la politique monétaire ne parvient plus à stimuler l’économie par le recours aux instruments conventionnels. L’image de la trappe correspond à l’idée que toute monnaie supplémentaire émise par la banque centrale est immédiatement absorbée – comme si elle tombait dans une trappe – par une demande de monnaie qui devient infiniment élastique au taux d’intérêt. Monnaie et titres deviennent parfaitement substituables. Pour contrer cet effet, les banques centrales peuvent recourir aux mesures dites non conventionnelles. Par des programmes d’achats de créances publiques ou privées, elles tentent d’avoir une prise directe sur la structure par terme des taux d’intérêt. Elles fournissent en quantité abondante de liquidités au système bancaire afin d’encourager le crédit. Elles peuvent également chercher à influencer les anticipations d’inflation et de taux d’intérêt futurs. Une hausse de l’inflation anticipée permet de réduire le taux d’intérêt réel ex-ante. De même, l’engagement sur une politique de taux faibles à un horizon long peut redonner confiance aux agents privés et les inciter à consommer et investir.

Consciente des risques encourues, la BCE a décidé, à l’issue du Conseil des Gouverneurs qui s’est tenu le 6 octobre 2011, de reconduire des opérations exceptionnelles de refinancement à long terme et de lancer un second programme d’achats d’obligations sécurisées. Ces annonces rejoignent celle de la Banque d’Angleterre le même jour (voir le compte rendu de la réunion du 6 octobre 2011) prévoyant une nouvelle vague d’achats d’obligations publiques pour un montant de 75 milliards de livres sterling. De son côté, la Banque du Japon continue également de relever régulièrement son plafond d’achats de titres qui atteint désormais 15 000 milliards de yens (soit 3,1 % du PIB).

Pour autant, ces mesures sont loin des actions menées par la Réserve fédérale pour faire pression sur les marchés financiers. Première à avoir rassuré les marchés sur le maintien du taux des Fonds fédéraux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que nécessaire, elle a complété son action sur les anticipations de taux courts futurs en annonçant le 9 août qu’elle maintiendrait à ce niveau au moins jusqu’à la mi 2013. Mais surtout, un nouveau programme d’achat de titres a été lancé le 21 septembre 2011 (dit QE3) (voir le compte rendu). Le plan prévoit l’achat, d’ici juin 2012, de 400 milliards de dollars de titres du Trésor ayant une durée de vie restante entre 6 et 30 ans contre des titres ayant une durée de vie restante inférieure à 3 ans.

Cette action, destinée à peser sur les taux des marchés financiers, s’inscrit dans une politique initiée dés le début de l’année 2009, et visant d’abord les taux hypothécaires (via les MBS), puis l’ensemble de la chaîne de taux privés. En achetant des titres publics de différentes maturités sur le marché secondaire, la Réserve fédérale espère peser suffisamment sur les volumes pour réduire les rendements offerts et conduire les investisseurs à reporter leurs achats vers des titres plus longs, et plus risqués. Pour être efficaces, ces achats doivent être de grande ampleur. C’est pourquoi la Fed n’a pas hésité à accroître son bilan et acheter depuis 2008, l’équivalent de 7,4 % du PIB en titres publics. La Banque du Japon et la Banque d’Angleterre, qui détenaient un portefeuille de titres publics déjà élevé en 2008, ont acquis, malgré tout, pendant la crise l’équivalent de 4,6 % et 2,2 % du PIB de titres publics supplémentaires. La BCE ne s’est pas mise dans cette position. En intervenant sur les marchés pour acheter des titres grecs ou italiens, la BCE a avant tout cherché à préserver la stabilité financière eu égard à la forte exposition du système bancaire européen sur les titres de dette souveraine et à assurer, dans l’attente d’une solution pérenne, la viabilité de la zone euro. Cette position prudente, voire trop prudente, lui donne donc l’opportunité d’amplifier, à l’image des autres banques centrales, sa politique d’achat de titres afin de peser plus largement sur les taux d’intérêt publics à long terme de l’ensemble de la zone euro (graphique 2).

Si tel était le cas, cette stratégie permettrait également une meilleure coordination des politiques économiques. L’évolution des taux d’intérêt à long terme conditionne l’efficacité de la politique budgétaire, en réduisant d’une part les effets d’éviction financière et en assurant la soutenabilité des trajectoires de dette publique qui dépend crucialement de l’écart entre le taux de croissance du PIB et le taux d’intérêt. De fait, ces mesures d’assouplissement quantitatives aux Etats-Unis et au Japon accompagnent la mise en œuvre de nouveaux plans de relance budgétaire. Si le gouvernement britannique a fait le choix d’une forte restriction budgétaire, il bénéficie malgré tout des actions entreprises par la Banque d’Angleterre pour atténuer l’impact récessif des plans d’austérité. Comparativement à ses homologues, la zone euro dispose donc de marges de manœuvre à la fois en termes de baisses des taux d’intérêt (après les deux hausses à contre-pied d’avril et juillet derniers) mais également afin d’améliorer la coordination entre politiques monétaire et budgétaire.

Ce texte fait référence à une étude sur la politique monétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE.




Retrouver la confiance dans l’euro : trois urgences

par Jérôme Creel

Dans une communication devant la Commission ECON du Parlement européen, lundi 17 octobre 2011, à propos de la gouvernance économique européenne, trois urgences sont recensées pour sauver l’euro et améliorer sa gestion.

Sauver l’euro sans délai supplémentaire est la priorité : pour cela, il faut doter suffisamment le FESF et requérir de la BCE qu’elle poursuive ses interventions sur les marchés d’obligations publiques, afin que se résorbe l’écart entre les taux longs des pays périphériques et ceux des pays du coeur de la zone euro (Allemagne, France, Pays-Bas), où les seconds baissent, au bénéfice donc de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas, tandis que les premiers augmentent et font peser un lourd fardeau sur les finances publiques de la Grèce, certes, mais aussi du Portugal et de l’Espagne.

Deuxièmement, il faut appliquer au plus vite les nouvelles dispositions législatives  modifiant le Pacte de Stabilité et de Croissance et créant un dispositif symétrique de surveillance des déséquilibres macroéconomiques. Cette seconde priorité est urgente, elle aussi : elle doit permettre à la zone euro d’échapper à l’avenir à une nouvelle crise, du moins de s’en prémunir par des instruments et une surveillance adéquats. Dans ce cadre, le Parlement européen est invité à “contrôler les contrôleurs” afin que la confiance des Européens dans leurs institutions s’améliore sensiblement.

Enfin, il faut s’assurer du bon fonctionnement de la gouvernance européenne. Rien n’est perdu, des règles intelligentes existent : elles  doivent être appliquées après concertation. Le ciblage d’inflation pour le versant monétaire et l’authentique règle d’or des finances publiques pour le versant budgétaire doivent émerger.

Communication devant la Commission ECON, Parlement européen, 17 octobre 2011

Without trust, no thrust: some reflections on the new EU agenda for policy reforms (first version here)

Dear Madame Chair,

Dear Honorable Members,

After almost two years of European turmoil related to the bad management of public finances in a few Eurozone countries, and more than four years after a deep worldwide crisis, time is certainly ripe for reaching European solutions to cure the crisis. Two emergencies are at stake: first, stopping distrust’s contagion vis-à-vis Eurozone members; second, stopping misbehaviors’ contagion among Eurozone members in the future. By the way, this second emergency certainly necessitates a separation between two periods: the short run and the longer run.

1. Short run emergency 1: improving trust in the Euro

In order to cope with the first emergency, Eurozone countries need a more automatic solidarity mechanism. There have been different options discussed and implemented so far at the Eurozone level, from the EFSF (then future ESM) to Eurobonds, or the intervention of the ECB on secondary markets. They all need to be enforced and implemented as soon as possible without limitations, otherwise discrepancies in long-term yields on public bonds will continue to grow across Eurozone members, at the expense of countries with twin deficits and at the benefit of countries which are closer to twin balance. Without strong automatic interventions, Eurozone countries take the risk of feeding distrust in their ability to support the Euro. The consequence might be distrust in the future of the Euro, distrust in the future of the EU project.

2. Short run emergency 2: enforcing the “6-pack” with improvement in its democratic content

In order to cope with the second emergency, the European Commission, the President H. van Rompuy and the European Parliament have dealt with the EU governance of the near future through a “6-pack” of legislative amendments which were adopted on 25 September 2011.

A major step has been made in the good direction: macro imbalances are no longer automatically related to deficits as they may also refer to surpluses; and a macro imbalance can be considered “excessive” only to the extent that it “jeopardizes or risks jeopardizing the proper functioning of the EMU”. This is clear understanding that provided Eurozone countries are primarily partners rather than competitors, their trade links shall not be automatically confounded with risky imbalances for they do not impinge on the common currency, the Euro.

The “6-pack” also deals with the better enforcement of the Stability and Growth Pact, introducing earlier sanctions, and a more comprehensive fiscal surveillance framework. This is certainly necessary to make sure that the risk of moral hazard in the Eurozone is reduced to a minimum. However, the overall ‘6-pack’ must pass beforehand criteria for the effectiveness of a fiscal rule.

There have been different ways to assess reform proposals for economic policies. A well-known and convenient one is a set of criteria first developed by George Kopits and Steven Symansky at a time when both were working at the IMF. According to them, a fiscal rule is effective if it is well-defined, transparent, simple, flexible, adequate relative to goal, enforceable, consistent and efficient. In an amendment by the European Parliament related to macro imbalances, one can read that the indicators in the scoreboard must be relevant, practical, simple, measurable and available; moreover, flexibility is advocated in the assessment of macro imbalances. The Kopits-Symansky criteria are thus still relevant, and only their seventh criterion, consistency, seems to have been forgotten from the list. Does it reveal that through the current reform proposals, no one wishes to deal with monetary policy, which consistency with fiscal policies might well be assessed, and the other way round?

I have written elsewhere my own views on Kopits and Symansky’s set of criteria (Creel, 2003; Creel and Saraceno, 2010), but I think I need to insist on the simplicity one. I fear the existence of a so-called “simplicity” criterion when complex problems are arising. For instance, a strong public deficit may be due to ‘bad times’ (recession, slow GDP growth), interest rates hikes, wrong policies, a non-existing tax system, etc. A simple rule cannot handle the multiplicity of the causes for a deficit. I also fear that such a criterion is simply disrespectful towards the people: well-informed people can certainly approve complex rules if they believe that those who implement them target the common interest.

It leads me to propose that the “simplicity” criterion is changed into a “democratic” criterion. That change would not be substantial as regards Kopits and Symansky’s justification of their criterion: simplicity is required, they say, to enhance the appeal of the rule to the legislature and to the public. Changing “simplicity” into “democratic” would thus be consistent with their view. It would add two advantages. First, there would be no need to target simple or simplistic rules, if more complex ones are required. Second, to enhance their appeal to the public, these rules should be endorsed and monitored by a Parliament: as their members are the representatives of the public, the latter would be fully informed of the nature and properties of the rule.

What would be the main consequences of assessing reform proposals through the lens of democratic content in the current context? First, the now-complex setting of fiscal rules in the EU, under the amendments of 25 September 2011, is well-defined but it is no longer simple. That should not lead us to assume that these rules will not be efficient. Second, if all European authorities, including the European Parliament, approved a stricter surveillance mechanism for fiscal policies, macro imbalances, and employment guidelines, control over the misbehaving countries should be shared with all these authorities, hence also including the European Parliament. The implication of the latter, with that of the European Council, would enhance the appropriation of rules by the public, and the trust of the public in their institutions. Third, another consequence would be that automaticity in sanctions should not be an option for automaticity is contradictory with the essence of a democracy: contradictory debates.

Are the current reform proposals respecting the “democratic” criterion? The implication of the EP in these reforms already calls for a positive answer. Nevertheless, the implication of the EP in “checking the checkers” is necessary to achieve a definite positive answer. This implication might be very productive in reassessing the effectiveness of the policies which are undertaken in a country where suspicion of misbehavior is developing. The implication of the Economic Dialogue and the European Semester should also be used to improve trust in the EU institutions and the Eurozone governments, with due respect to the subsidiarity principle. Sharing information, analyses, data should be viewed by all partners as a way to achieve cooperation, keeping in mind that John Nash showed through his solutions that cooperative equilibria always lead to a win-win situation.

“Checking the checkers”, as I mentioned above, involves an informed assessment of the effectiveness of fiscal policies. Such an assessment is not dealt with in the current Stability and Growth Pact. During the procedure of fiscal surveillance, and before sanctioning a country, it is of the highest priority to gauge the effectiveness of a fiscal policy which has led to higher deficits and debts.

Discussions about fiscal policies are usually very pessimistic nowadays, as far as their effectiveness is concerned, but those endorsing these discussions take the risk that the people have finally no trust in their governments, for they are said to follow the wrong policies, and in the European institutions that are not able to stop these policies.

It may be useful to recall (once again?) that a consensus exists in the economic literature about the sign of the fiscal multiplier: it is positive. And because of that, the Chinese, US, German, French, etc. governments decided to increase their deficits through discretionary policies during the worldwide crisis: these governments were conscious that their policies were helpful. Why shouldn’t they during other ‘bad times’? Why should we all think that a contagion of fiscal restrictions in the EU will help us thrust again? Good policymaking requires that policies are contingent to the economic situation (GDP growth, inflation rate, level of unemployment, etc.).

In my view, at this stage, there are two important prerequisites to a rapid improvement in the EU governance, and I do not think they require a new Treaty. We all know that at the ECB and beyond, some argue that political pressures led this institution to buy public bonds, in contrast, they add, with the EU Treaty. Its independence would have been at stake. For this reason, the first prerequisite is in recalling the independence and mission of the ECB. The ECB is a young institution and it needs confidence in itself, as a teenager does. Once definitely adult, after full confidence is reached, the ECB will not fear coordination or cooperation with governments and the EP that fully respect its independence but may wish to improve the consistency of their policies with its.

The second prerequisite is in recalling the objectives of the EU, growth and stability, and in admitting that there is not a single way to achieve these objectives, for countries are still so different within the EU, even within the Eurozone. The ‘one size fits all’ is no longer an option, hence the necessity to complement fiscal rules with an assessment of macro imbalances and with regular, transparent, and democratically-controlled assessments of the relevance of the underlying analyses by governments on the one hand, and controllers on the other. There is a strong role for the EP in acknowledging and managing this no ‘one size fits all’ way of dealing with fiscal rules.

3. Longer run emergency 2: more intelligent rules?

In the longer run, if improvements by the ECB in cooperating with governments have not materialized, a binding commitment to follow a cooperative behavior could be included in the statutes of the ECB. A change in its statutes might also be considered, with a view to adopting, for instance, a dual mandate similar to that of the Fed. That way, it would be clear that “if 5% inflation would have (Central bankers’) hair on fire, so should 9% unemployment” (Ch. Evans, 2011). Another possibility would be to urge the ECB to implement full inflation targeting. That would require the ECB to make public its forecasts and minutes of decisions, thus enhancing information and potentially influencing the private sector.

Lastly, the most important debate on fiscal policymaking is in wondering what governments are doing with tax and spending, and how they finance them. The European Semester and the monitoring of indicators of macro imbalances certainly go in the good direction, but rather than a global view on the evolution of deficits and debts, Eurozone countries should think about circumscribing the good and bad parts of taxes and spending and make sure they all target the good policy, at their benefit and at the benefit of others. Of course, this is not an easy task, but it is a task that would make the EU fiscal rules ever more “intelligent”.

Having common objectives within Europe 2020, it could be thought of having common tools to reach them: a higher EU budget? Or an authentic but modified golden rule of public finance where some expenditures proved to be productive, with the agreement of all EU member states, would be left out of the scope of binding rules? That is not the hot topic of the day, but had it been before the SGP reform of 2005 that the stability of the Eurozone might not have been at stake the way it has been since the worldwide crisis.

I thank you for your attention.

 




Quelle politique industrielle dans la mondialisation ?

par Sarah Guillou et Lionel Nesta

Dans des économies nécessairement mondialisées et face aux contraintes budgétaires qu’impose la crise économique, y a-t-il encore une place pour la politique industrielle ? Les développements qui suivent (et la note associée) permettent de répondre par l’affirmative, soulignant le besoin pour l’économie française et au-delà, pour l’économie européenne, d’intensifier la valeur ajoutée en services de la production et plus généralement la valeur en savoir des activités économiques.

Les contraintes structurelles nées de la mondialisation économique et les contraintes conjoncturelles imposées par la crise économique créent une situation paradoxale pour la politique industrielle. Ces contraintes motivent la mise en place de politiques industrielles volontaristes en raison des menaces qui pèsent sur l’industrie et du déclin de l’emploi industriel ; mais elles créent aussi de fortes limites à son exercice en termes de faisabilité légale, technique et budgétaire. La marge de manœuvre est donc très étroite. Ce constat impose une redéfinition des objectifs et des moyens de la politique industrielle. Quel est son rôle et quels investissements doit-elle favoriser ? Doit-elle s’orienter vers la modération salariale, gage de compétitivité-coût, comme le suggère l’exemple allemand ? Doit-elle soutenir des secteurs en déclin ou s’orienter vers des secteurs d’avenir ?

Aujourd’hui, les avantages comparatifs des pays occidentaux – et donc de la France – se situent dans la valeur en services de leur production industrielle, qu’il s’agisse de services privés (R&D, marketing, organisation, réseaux d’approvisionnement, réseaux de distribution) ou de services issus des biens publics (infrastructures, sécurité des approvisionnements, coût de transport, homogénéité des normes, durabilité environnementale des processus, sécurité sanitaire, etc.). Plutôt que de maintenir les emplois industriels traditionnels, voués à être délocalisés de toute façon vers des pays aux salaires plus faibles, il faut accentuer la spécialisation dans les emplois industriels du futur qui reposent sur ces services à haute valeur ajoutée.

La prescription de politique est immanquablement l’investissement dans le capital humain et l’éducation, contradictoire avec une politique de modération salariale. Cette politique se justifie prioritairement parce qu’elle inscrit durablement la spécialisation productive vers ces services à haute valeur ajoutée, donc vers une économie du savoir aux déclinaisons multiples : savoir-inventer, savoir-innover, savoir-faire, savoir-vendre, savoir-distribuer. Par ailleurs, l’avantage comparatif des économies européennes se caractérise par un contenu élevé en bien public. La diversité et la qualité du réseau des transports en Europe est indéniablement un atout qu’il faut absolument consolider et renforcer dans certaines régions d’Europe. La qualité de l’accès aux ressources énergétiques sera également un élément clé de l’attractivité des territoires et de l’implantation des entreprises. Concernant la cohérence et la stabilité réglementaire, elles permettent de lever l’incertitude qui freine les décisions d’investissement des entreprises. Les normes font ainsi œuvre de signal institutionnel qui lève une partie du risque accompagnant les investissements dans de nouvelles technologies (exemples : voitures électriques, énergies solaires, éoliennes). De plus, les normes créent un cadre d’exigence qualitative qui répond à la demande citoyenne en termes de respect environnemental et de sécurité et qui renforce la compétitivité hors-prix des entreprises. Le développement de ces services est également un plaidoyer pour une politique industrielle définie à l’échelle européenne.




France : austérité consolidée

par Eric Heyer

Les pays européens se sont engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques plus équilibrées (déficit des APU en dessous de 3 points de PIB). Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît plus probable : dans un contexte financier incertain, être le seul Etat à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières (dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains, prime de risque). Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité.

Après avoir revu à la baisse, en août dernier, sa prévision de croissance pour 2012, passant de 2,25 % à 1,75 %, le gouvernement français a décidé de mettre en place un nouveau plan d’austérité afin de pouvoir respecter son engagement d’un déficit de 4,5 points de PIB en 2012. Ce plan de 11 milliards d’euros d’économie vient s’ajouter au plan initial voté il y a un an et devrait amputer directement la croissance de 1 point de PIB l’année prochaine. D’autres pays ont également réajusté à la hausse leur plan de rigueur : c’est le cas notamment de l’Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et de l’Espagne qui s’impose maintenant la plus forte cure d’austérité des grands pays européens (tableau).

 

La prise en compte de ces nouvelles mesures restrictives, qu’elles soient nationales ou appliquées chez nos pays partenaires, nous a conduits à revoir significativement nos prévisions de croissance pour l’économie française en 2012. En se cantonnant aux seuls pays européens, qui sont par ailleurs nos principaux partenaires commerciaux, la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 6 derniers mois nous a conduits à rabaisser de 0,7 point notre prévision de croissance pour 2012 réalisée en avril dernier pour l’économie française.

Cette stratégie de fort désendettement public nécessiterait un relais puissant de la part de la demande privée afin de ne pas briser l’élan de la reprise intervenu en 2010. Mais cet espoir apparaît fragile face aux nombreuses incertitudes pesant sur la dynamique interne.

Au total, l’économie française devrait croître, en moyenne annuelle, de 1,6 % en 2011 et de 0,8 % en 2012. En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation du marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement au cours des six prochains trimestres,  pour s’établir à  9,3 % fin 2011 et à 9,7 % fin 2012, après 9,1 % au deuxième trimestre 2010.

Par ailleurs, le gain budgétaire, attendu par le gouvernement, de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 4,5 % de PIB en 2012 – sera en partie rogné par le manque à gagner du côté des recettes fiscales en lien avec cette faible croissance. Le déficit des administrations publiques devrait s’établir respectivement à 5,8 % du PIB et 5,2 % en 2011 et 2012, après 7,1 % en 2010, portant la dette publique à 85,6 % du PIB en 2011 et à 89 % en 2012, contre 82,3 % en 2010.




Retour en enfer ?

par Xavier Timbeau

A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012

Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.

La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).

Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer.  Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.

Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions  budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.

Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.

Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.




La jeunesse, génération sacrifiée ?

par Guillaume Allègre

La jeunesse serait-elle sacrifiée par la génération des baby-boomers ? Dans cette note de l’OFCE, nous faisons le point sur les inégalités entre âges et générations et montrons comment la thèse du conflit de génération s’appuie sur une analyse partiale de la situation des jeunes qui occulte les avantages dont bénéficie au moins une partie de la jeunesse. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

La jeunesse fait face à des conditions d’insertion dans la vie active dégradées : le taux de chômage des 16-25 ans est passé de 9,7 % en 1976 à 17,9 % en 2007 pour atteindre 22,1 % en 2009. Cette montée du chômage s’est accompagnée d’un développement important de l’emploi temporaire, entraînant des écarts de salaires entre les jeunes et les moins jeunes nettement plus importants que dans les années 1970. La forte augmentation du prix des logements depuis 1998 s’est faite au détriment des non-propriétaires et donc des générations les plus jeunes. Alors que la montée en charge du système de retraites a permis la forte diminution du taux de pauvreté des plus de 60 ans, la pauvreté a rajeuni : en 2008 le taux de pauvreté des 18-29 ans s’élevait à 16,7 % contre 13 % pour l’ensemble de la population et 8 % pour les 60 à 74 ans.

Pourtant, si le constat d’une ‘génération sacrifiée’ part de faits avérés, l’approche consistant à évaluer ces phénomènes exclusivement sous le prisme de l’âge ou de la génération est trompeuse. En effet, l’approche générationnelle masque les inégalités au sein des générations. Les difficultés liées à l’entrée dans la vie active ne sont en effet pas partagées par l’ensemble des jeunes. Clerc et al. (2011) montrent que les non-diplômés sont particulièrement exposés à la conjoncture lors de leur entrée sur le marché du travail, alors que les diplômés accèdent toujours rapidement à l’emploi stable. Ce constat corrobore celui fait par le Cereq. Or, diplôme et origine sociale restent liés. Le logement constitue une autre voie de la transmission intergénérationnelle des inégalités : à terme, les gains liés à l’augmentation des prix de l’immobilier seront transmis aux enfants. Dès aujourd’hui, on peut constater une forte augmentation de l’écart d’accès à la propriété entre catégories sociales. Outre les aides liées à l’accès au logement, les jeunes issus des familles les plus aisées bénéficient de fortes solidarités familiales. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est bien à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

Les politiques s’appuyant sur un diagnostic purement générationnel risquent de rater leur cible. Une CSG allégée pour les jeunes bénéficierait à ceux qui s’en sortent déjà alors que l’alourdissement de la CSG sur les pensions de retraite toucherait les petits retraités et les locataires autant que les bénéficiaires de retraites-chapeau et les propriétaires. Les retraités sont plus aisés que les jeunes actifs : la taxation progressive des revenus réduirait cette inégalité sans en créer une autre. Ils sont plus souvent propriétaires que les plus jeunes : il faut alors imposer les revenus du patrimoine qui échappent à l’impôt, les plus-values immobilières réelles et la valeur locative des logements occupés par leurs propriétaires (ou, à l’inverse, permettre aux locataires de déduire leur loyer de leur  revenu imposable et augmenter pour tous le barème de l’impôt sur le revenu). Les non-diplômés s’insèrent difficilement sur le marché du travail : c’est aux sorties sans diplôme du système scolaire et au chômage des non-diplômés qu’il faut prioritairement s’attaquer.




Quelle place pour le développement soutenable dans la campagne présidentielle et législative ?

par Eloi Laurent

Comment relancer l’activité économique et l’emploi sans dégrader les conditions environnementales et consommer encore plus de ressources naturelles ? Peut-on concilier lutte contre les inégalités sociales et préoccupation écologique ? Où en sommes-nous de la conception et de la mise en œuvre des nouveaux indicateurs de bien-être, de progrès social et de soutenabilité, deux ans après la publication du Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi ? Voici des questions cruciales pour les prochaines échéances électorales.

D’autres enjeux se font jour à plus ou moins brève échéance : quelle politique climatique française et européenne en prévision du sommet de Durban (novembre-décembre 2011) ? Sur quelles analyses s’appuyer pour comprendre les grands enjeux du prochain sommet de Rio+20 (juin 2012) – la gouvernance environnementale et l’économie verte ? Comment concilier les contraintes alimentaire et écologique ? Ce sont certaines des interrogations qui animent le premier ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE consacré au développement soutenable, contribution à 14 voix au débat écologique des campagnes présidentielle et législative qui s’annoncent, et bien au-delà.

Cet ouvrage s’ouvre par une introduction qui s’efforce de définir la place de l’économie dans la science de la soutenabilité. Il peut ensuite se lire de deux manières. Les douze contributions qu’il contient s’organisent en trois parties (Gouvernance écologique et justice environnementale, Economie du climat, Economie de la soutenabilité) mais aussi selon trois axes correspondant aux trois contributions majeures de l’économie à la résolution des grandes crises écologiques contemporaines : l’économie comme science de la dynamique, l’économie comme science des incitations et de la répartition, l’économie comme science de la mesure de ce qui compte.

L’économie comme science de la dynamique

L’économie se révèle en effet capable d’élaborer des modèles de prévision, de simulation et d’actualisation utiles à la décision publique, mais l’évaluation des indicateurs existants de soutenabilité environnementale montre l’insuffisance des dispositifs actuels. L’article de Didier Blanchet est sur ce point éloquent. Synthèse de la méthodologie et des enseignements du rapport de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi et évocation de ses premières mises en œuvre, il lève très utilement les malentendus qui ont pu entourer ses travaux pour préciser le cadre et les enjeux des instruments de pilotage de la soutenabilité dont nous disposons et de ceux qui sont en cours de construction, pour mieux en percevoir les orientations et en évaluer la portée. C’est sur ces mêmes insuffisances qu’insistent Céline Antonin, Thomas Mélonio et Xavier Timbeau, qui, après en avoir rappelé les conditions de validité théorique et la méthodologie, pointent les limites de l’épargne nette ajustée telle qu’elle est aujourd’hui calculée par la Banque mondiale, dès lors que sont prises en compte la dépréciation du capital éducatif et des émissions de carbone plus conformes à la réalité. Jacques Le Cacheux se livre pour sa part à un exercice de prospective sur une question stratégique étrangement délaissée dans le débat public actuel : l’avenir des systèmes agricoles, notamment européens, pris entre les dynamiques démographique, alimentaire et écologique. Un article de ce numéro revient précisément sur le concept de découplage, qui, malgré toutes ses limites, ne devrait pas être caricaturé et encore moins abandonné : il se révèle très utile pour penser et favoriser la transition que doivent accomplir nos économies. L’économie, science de la dynamique, éclaire donc la question des coûts et des bénéfices des politiques de soutenabilité, et cette dimension renvoie à la capacité des systèmes économiques de façonner les incitations qui influencent les comportements mais aussi à celle de la discipline économique de mettre en lumière les enjeux de répartition qui se trouvent au cœur de la transition écologique.

L’économie comme science des incitations et de la répartition

Il est difficile d’imaginer meilleures cartographie et feuille de route que la conférence Nobel d’Elinor Ostrom pour se repérer sur le chemin restant à parcourir en matière de science de la gouvernance écologique et plus précisément de théorie des incitations appliquée à la gestion des ressources communes. Depuis le monde conceptuel de l’après-guerre, où deux types de biens s’offraient à un type d’individu selon deux formes optimales d’organisation, Lin Ostrom a considérablement enrichi l’économie de l’environnement par une approche social-écologique et polycentrique qui a complètement renouvelé le cadre des interactions entre systèmes humains et naturels et la conception des politiques environnementales. Dans cette contribution majeure, elle s’efforce d’être aussi pédagogue qu’elle est savante. Ses travaux, dont elle retrace ici le cheminement, seront au cœur du sommet Rio + 20 en juin prochain, dont l’ambition est de progresser sur les questions connexes de « l’économie verte dans le cadre du développement durable et de l’élimination de la pauvreté » et du « cadre institutionnel du développement soutenable ».

L’économie comme science des incitations fournit ainsi aux décideurs publics une palette d’instruments qui ne sont pas des panacées prêtes à l’emploi mais au contraire des mécanismes de précision dont les conditions d’efficacité, si elles sont de mieux en mieux connues, n’en demeurent pas moins déterminantes. L’économie du climat offre une illustration de la richesse de cet arsenal et de sa nécessaire intégration à différents niveaux de gouvernance. Gaël Callonnec, Frédéric Reynès et Yasser Yeddir-Tamsamani reviennent sur l’évaluation des effets économiques et sociaux de la taxe carbone en France pour mettre en évidence, à l’aide d’un modèle unique en son genre, la possibilité d’un double dividende économique et environnemental autant à court terme qu’à long terme. Christian de Perthuis explore les pistes de réforme de la surveillance et de la supervision des marchés européens du carbone et conclut à la nécessité de mettre en place une « banque centrale européenne du carbone » capable d’aider l’autorité publique et la société à découvrir graduellement le « bon » prix du carbone. Olivier Godard s’attache enfin à évaluer la pertinence, les modalités et la faisabilité de l’institution d’un ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, visant à restaurer l’intégrité économique et environnementale de la politique climatique européenne. Il montre que sous certaines conditions un tel mécanisme contribuerait à renforcer la cohérence et la crédibilité de l’engagement européen. Ces contributions, prises ensemble, tracent les contours d’une politique française et européenne intégrée, cohérente et efficace en matière d’atténuation du changement climatique. Elles sont rien moins qu’essentielles pour les décideurs français et européens dans la perspective du sommet de Durban (novembre-décembre 2011), qui ne verra  pas d’avancées sur le front de l’adoption de cibles contraignantes de réduction de gaz à effet de serre et qui laissera donc la France et l’Union européenne face à leurs engagements et leurs responsabilités.

Il serait illusoire et même contre-productif d’isoler cette question des incitations économiques de celle des enjeux de justice et de répartition, omniprésents dans ce qu’il est convenu d’appeler l’économie politique de l’environnement. Ce sont ces enjeux que mettent en évidence Michael Ash et James Boyce qui rappellent le parcours de l’idée de justice environnementale aux États-Unis depuis les années 1980 avant de montrer comment celle-ci peut s’incarner dans des instruments quantitatifs susceptibles de modifier les comportements des entreprises et les pratiques des secteurs industriels les plus polluants. Ces avancées empiriques sont riches d’enseignements pour l’Union européenne, où l’idée de justice environnementale commence tout juste à trouver une traduction dans les politiques publiques. Il faut là aussi progresser et d’abord, comme le montre le dernier article de la première partie, sur le front de la précarité et des inégalités énergétiques, qui touchent durement la population française. Si les enjeux de répartition jouent un rôle dans les incitations, celle qui se révèle peut-être la plus puissante pour modifier les comportements et les attitudes des citoyens dépend de l’action des pouvoirs publics non pas seulement sur le prix mais sur la valeur. C’est l’économie comme science de la mesure de ce qui compte qui s’avère ici décisive.

L’économie comme science de la mesure de ce qui compte

« Il ne se passe pas une année sans que nos systèmes de mesure ne soient remis en question ». Dans la foulée du Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, Jean-Paul Fitoussi et Joe Stiglitz reviennent en clôture de ce numéro sur la nécessité de dépasser les mesures actuelles de l’activité économique pour concevoir et surtout mettre en application de véritables mesures du progrès social et du bien-être. De la catastrophe de Fukushima à la crise financière, de la révolution dans le monde arabe aux causes et aux conséquences du chômage de masse et à la crise européenne, ils livrent ici de nouvelles réflexions qui annoncent de nouveaux travaux et de nouvelles avancées. Leur article illustre parfaitement l’idée qui fonde le rôle essentiel de l’économie comme science de la mesure de ce qui compte vraiment dans les sociétés humaines : mesurer, c’est gouverner.

Contributions théoriques et empiriques s’inscrivant au cœur des débats scientifiques les plus intenses du moment sur les grand enjeux écologiques (climat, biodiversité, ressources agricoles, pollutions chimiques, soutenabilité, bien-être), les articles rassemblés ici sont également des appels à l’action, c’est-à-dire à la réforme des politiques publiques françaises et européennes. On trouvera dans les pages de ce numéro des propositions explicites ou seulement suggérées de réforme de la politique agricole commune européenne, de création de nouveaux instruments européens de mesure d’exposition au risque environnemental et industriel, de mise en place d’une politique européenne de lutte contre la précarité énergétique, de réforme et d’évaluation des politiques de gestion des ressources écologiques communes, d’institution d’une taxe carbone en France, de création d’une Banque centrale européenne du carbone, de mise en place d’un tarif carbone aux frontières de l’UE, de conception et de mise en œuvre de nouveaux indicateurs de progrès social et de bien-être au sein d’une institution permanente. Ces propositions méritent toutes d’être entendues et débattues dans la période politique capitale qui s’ouvre. Ce numéro aura alors réalisé ses ambitions.