Quelles sont les marges de manœuvre pour les finances publiques françaises dans un univers de taux d’intérêt durablement bas ?

Par Eric Heyer et Xavier Timbeau

En France, comme dans l’ensemble des pays de l’OCDE, les taux d’intérêt souverains baissent et sont maintenant inférieurs à la croissance potentielle nominale. Les raisons avancées de cette baisse sont multiples : politiques monétaires ultra-expansionnistes, insuffisance de l’offre d’actifs sûrs par rapport à la demande, excès d’épargne privée, anticipations de croissance économique à la baisse. Les conséquences économiques le sont également : ce que cela implique pour les anticipations, l’investissement, la soutenabilité des intermédiaires financiers ou encore l’allocation des capitaux sur les actifs risqués. Nous nous intéressons ici au point de vue budgétaire et aux marges de manœuvre pour les finances publiques françaises à l’horizon 2030, ouvertes par la perspective de taux durablement bas.



Partant de la situation anticipée
pour 2021 dans
la dernière prévision de l’OFCE
, deux cas polaires sont considérés pour
la période 2022-2030 :

  1. Dans le premier, celui du statu quo, les taux d’intérêt auxquels emprunte l’Etat français restent bas. Ainsi, l’écart entre le taux souverain français à 10 ans et la croissance nominale resterait constant autour de -2 points. Compte tenu de la maturité de la dette française (supérieure à 7 ans), le taux apparent continuerait de baisser jusqu’à 1% en 2030 (graphique 1).
  2. Le second cas est une situation de « normalisation » du taux souverain qui, dès 2022, se stabiliserait en moyenne à 2,7%. Le taux apparent augmenterait alors progressivement tout au long de la période d’analyse comme l’illustre le graphique 2, jusqu’à 2,7% en 2030. Dans chacun des cas, un aléa est simulé autour des scénarios de référence.

A l’intérieur de ces deux cas
polaires, nous simulons l’incidence de la stratégie budgétaire de la
France :

  1. La
    première stratégie consiste à respecter les règles budgétaires du PSC, en procédant
    à des ajustements structurels de 0,5 point de PIB jusqu’à ce que le déficit
    public structurel soit de 0,4 point de PIB. Partant d’un déficit structurel en
    2021 de 1,5 point de PIB, cette stratégie impose 2 années d’ajustement de 0,5
    point (2022 et 2023), une année à 0,1 point (2024) et neutre ensuite.
  2. La
    seconde stratégie, plus proche de celle du gouvernement présent, consiste à
    recycler la réduction de la charge d’intérêt dans le soutien à l’activité. Ainsi,
    l’ajustement structurel est nul et le déficit structurel reste à 1,5 point de
    PIB jusqu’en 2030.

Un résumé des simulations est
présenté dans le tableau 1.

Trois résultats principaux
ressortent :

  1. Dans tous les cas, la dette publique baisserait à l’horizon 2030. Cette baisse serait faible (-3,5 points de PIB entre 2021 et 2030) – proche de la stabilité – si les taux se normalisent rapidement et qu’il n’y a pas d’ajustement budgétaire. Elle serait de plus de 10 points de PIB (soit plus de 1 point de réduction par an) dans un contexte de taux durablement bas et de respect des règles budgétaires ;
  2. Le non-respect de règles budgétaires permet de dégager 1 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;
  3. Des taux d’intérêt bas (par rapport à leur normalisation) permettent 1,7 point de PIB de marges budgétaires primaires à l’horizon 2030 ;

Enfin, dans le cas qui nous apparaît le plus probable, à savoir le maintien de taux durablement bas et l’absence d’ajustement budgétaire, la baisse de la dette publique serait limitée (graphique 3). L’incertitude usuelle ne remettrait pas en cause ce scénario, mais une crise majeure le rendrait évidemment caduque. On pourrait également opposer que les taux souverains bas sont le symptôme d’une crise latente. Notre optique est que cette crise est de fait inclue dans le scénario de croissance et que c’est au contraire le scénario de normalisation des taux qui devrait intégrer un rebond de l’activité plus important.




Le montant des recettes publiques en 2018 réserve-t-il une surprise ?

par Raul Sampognaro

En 2017 le déficit public français s’est amélioré de 0,8 point de PIB pour atteindre 2,6 % du PIB et passer sous la barre des 3 %. La baisse du déficit s’explique en grande partie par la hausse de 0,7 point de PIB du taux de prélèvements obligatoires (PO). Cette hausse s’est opérée alors même que les mesures discrétionnaires augmentaient les PO à peine de 0,1 point de PIB[1]. Ainsi, ces prélèvements ont connu un dynamisme bien supérieur à celui du PIB. Ce différentiel explique 0,6 point de PIB de la hausse totale du taux de PO. La question se pose de savoir si ce dynamisme des assiettes fiscales peut se maintenir en 2018.

La sensibilité des recettes fiscales à la croissance dépend des conditions cycliques

À court terme, les élasticités des recettes fiscales au PIB peuvent fluctuer et s’éloigner de leur niveau de long terme[2]. Trois raisons peuvent modifier le lien entre niveau d’activité et recettes publiques :

– La composition de la croissance : toutes les composantes du PIB ne sont pas soumises à la même taxation. Ainsi, une croissance portée par la consommation des ménages aura plus d’impact sur les recettes publiques que si elle l’est par les exportations ;

– Le cycle du prix des actifs : certaines recettes sont liées aux prix des actifs (immobiliers ou financiers) qui ne sont pas toujours corrélés au cycle du PIB. Ceci est notamment vrai pour la fiscalité locale ou les impôts assis sur la valeur du patrimoine ;

– Un effet dynamique sur l’assiette fiscale : certains impôts sont encaissés sur la base d’une assiette correspondant à l’année antérieure. Ainsi, les recettes d’IS de l’année t sont dépendantes des profits déclarés pour l’année t-1. De même, l’IRPP dépend (avant l’instauration du prélèvement à la source) du revenu de l’année précédente. Le décalage entre la dynamique du PIB et de celle des profits ou du RDB peut casser le lien entre PIB et recettes.

Ces facteurs ont joué en 2017 et, en particulier, l’emploi est reparti à la hausse. Dans ce contexte, ce sont surtout les impôts assis sur les revenus et le patrimoine (+5,2 %) et les impôts sur les produits et la production (+4,6 %) qui ont crû plus fortement que le PIB nominal (+2,8 %).

Une estimation de la sensibilité des recettes à la croissance en fonction du cycle pour la France

Évaluer le lien entre l’évolution des recettes et celle du PIB requiert de tenir compte des changements législatifs introduits. Il est possible d’appréhender l’impact des nouvelles mesures à partir des évaluations réalisées dans chaque projet de loi de finances. Nous suivons la méthodologie de Lafféter et Pak (2015)[3] pour obtenir une série des recettes corrigées des changements législatifs sur la période 1998-2017 (notée ). Le lien existant entre l’évolution spontanée des PO et le cycle de l’activité économique est évalué sur la base du modèle suivant, qui sera estimé économétriquement :

EQN_post26-06Où représente le PIB nominal à la date et des variables cycliques qui peuvent modifier à court terme l’élasticité des recettes fiscales au PIB nominal.

La spécification (1), présentée dans le tableau 1, relie simplement les recettes fiscales au PIB nominal à législation constante, sans se soucier du contexte cyclique. Dans ce modèle de référence, l’élasticité estimée est bien unitaire, ce qui traduit bien l’idée que les recettes fiscales, corrigées des mesures fiscales, croient spontanément comme le PIB.

Tab_post26-06

L’ajout de variables cycliques modifie le diagnostic. En particulier, la spécification (3) couple la croissance du PIB nominal avec le niveau de l’output-gap. En bas de cycle, l’élasticité des recettes serait sensiblement supérieure à l’unité et serait de 1,21.

Les recettes peuvent rester dynamiques en 2018

En 2018, l’output gap resterait ouvert et la reprise devrait se poursuivre en France selon notre dernière prévision. Dans ce contexte, un aléa haussier sur les recettes ne peut pas être exclu. Dans notre scénario de base – prudent – où l’élasticité des PO serait unitaire, le déficit nominal s’établirait à 2,4 %. En revanche, si l’élasticité s’établit à 1,21, un surplus de recettes fiscales de 6 milliards peut être attendu (0,3 point) et le déficit serait de 2,1 % du PIB.

Une telle surprise donnerait de l’air au gouvernement et sécuriserait sa trajectoire de finances publiques. Or, la France affiche une stabilisation de son solde structurel pour 2018. Ceci constitue une déviation de plus de 0,5 point de PIB vis-à-vis de la convergence vers son Objectif de Moyen Terme (OMT) dans le cadre du volet préventif du Pacte de stabilité[4], ce qui pourrait aboutir au renforcement des procédures budgétaires européennes. Or, avec une surprise positive sur les recettes – que l’on peut évaluer à 0,3 point de PIB d’après l’estimation du tableau 1 – l’écart vis-à-vis des obligations en termes de convergence vers l’OMT serait plus faible et dans la marge des déviations annuelles autorisées par le Pacte de stabilité et de croissance (0,25 point de PIB). Ceci, permettrait à la France de préserver sa stratégie de finances publiques et cela sans même jouer la carte des flexibilités existantes dans la gouvernance européenne, comme celles de la clause de réformes structurelles et la clause d’investissement public.

 

[1] Ce chiffre inclut la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises – 0,2 point de PIB – destinée à financer la moitié du remboursement de la taxe sur les dividendes annulés par le Conseil constitutionnel. Cette contribution exceptionnelle constitue un one-off qui ne sera pas reconduit en 2018. Ainsi, les mesures discrétionnaires structurelles peuvent même être évaluées comme une baisse de la fiscalité de 0,1 point de PIB.

[2] Dans un premier temps on peut considérer cette élasticité de long terme comme étant unitaire. La DG Trésor l’évalue à 1,04.

[3] Lafféter Q. et M. Pak, 2015, « Élasticités des recettes fiscales au cycle économique : étude de trois impôts sur la période 1979-2013 en France », Document de travail, INSEE, G. 2015/08.

[4] Le 23 mai 2018 la Commission européenne a publié sa recommandation au Conseil pour acter la fin de la procédure de déficit excessif ouverte à l’encontre de la France en 2009. Cette recommandation sera validée par le Conseil avant la fin du mois de juin 2018.




Espagne : un budget 2018 dans les clous, n’en déplaise à la Commission

Par Christine Rifflart

Avec un déficit à 3,1 % du PIB en 2017, l’Espagne a réduit son déficit de 1,4 point par rapport à 2016 et satisfait ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne. Elle devrait franchir le seuil des 3 % en 2018 sans difficulté et serait donc le dernier pays à sortir de la Procédure pour déficit excessif (PDE), après la France en 2017. Après avoir été présenté à la Commission européenne le 30 avril, le budget 2018 a été voté au Congrès des députés espagnols le 23 mai dans un contexte politique extrêmement tendu qui a conduit le 1er juin à la destitution du président du gouvernement Mariano Rajoy (avec notamment le soutien des élus nationalistes basques du PNV qui avaient voté le budget 2018 quelques jours plus tôt). Il devrait être adopté au Sénat prochainement par une nouvelle majorité. L’orientation expansionniste du budget 2018, validée par le gouvernement du nouveau président socialiste Pedro Sanchez, ne satisfait pas la Commission qui juge l’ajustement des finances publiques insuffisant pour atteindre l’objectif de 2,2 % du PIB repris dans le Pacte de stabilité et de croissance 2018-2021. Selon les hypothèses du gouvernement précédent, non seulement le déficit reviendrait en dessous des 3 % mais la cible nominale serait respectée.

Certes, si, compte tenu de la vigueur de la croissance espagnole attendue en 2018, le déficit public sera facilement inférieur à 3 % en 2018 et répondra donc aux exigences fixées dans le cadre de la PDE, la nouvelle loi budgétaire ne va pas dans le sens de l’orthodoxie budgétaire attendue à Bruxelles. L’absence de majorité au Congrès des élus du Parti Populaire a conduit l’ex-président Mariano Rajoy à des alliances stratégiques avec Ciudadanos et le PNV pour faire adopter le budget 2018 (avec notamment l’espoir d’éviter des élections législatives anticipées), au prix d’importantes concessions :

  • Une hausse du salaire des fonctionnaires de 1,75 %[1] en 2018 et d’au moins 2,5 % en 2019, avec une hausse plus importante si la croissance du PIB est supérieure à 2,5 % (coût estimé à 2,7 milliards en 2018 et à 3,5 milliards en 2019 selon le gouvernement sortant) ;
  • Une baisse des impôts pour les ménages à bas revenus (via la hausse du seuil d’abattement fiscal de 12 000 à 14 000 euros de revenu par an, des crédits d’impôt pour les frais de garde, l’aide aux personnes handicapées et les familles nombreuses, baisse de l’impôt sur les revenus bruts salariaux compris entre 14 000 et 18 000 euros) (coût 835 millions en 2018 et 1,4 milliard en 2019) ;
  • La revalorisation des pensions et des retraites de 1,6 % en 2018 et 1,5 % en 2019 (coût de 1,5 et 2,2 milliards), en plus d’une hausse jusqu’à 3 % des pensions minimales et des non contribuables, et entre 1 et 1,5 % pour les pensions les plus basses (coût 1,1 milliard en 2018).

Selon l’ancien gouvernement, ces mesures coûteraient un peu plus de 6 milliards en 2018 (0,5 % du PIB) et près de 7 milliards en 2019 (0,6 % du PIB). La revalorisation des retraites devrait être en partie couverte par l’introduction d’une taxe sur les activités numériques (Google tax) en 2018 et 2019 dont les recettes sont attendues à 2,1 milliards d’euros. Au final, les dépenses qui devaient baisser de 0,9 point de PIB en 2018 selon les engagements inscrits dans le précédent PSC 2017-2020, ne baisseraient que de 0,5 point de PIB dans le PSC 2018-2021 (à 40,5 % du PIB) (tableau). Mais surtout, malgré les baisses d’impôts qui viennent d’être introduites, le surcroît de recettes attendu du supplément de croissance devrait représenter 0,1 point de PIB (à 38,3 % du PIB). De fait, le caractère redistributif du budget, combiné à la révision à la baisse de l’impact de la crise catalane sur l’économie (0,1 % du PIB selon l’AIReF[2]) ont conduit tous les instituts (Banque d’Espagne, gouvernement, Commission européenne) à relever leurs prévisions de croissance 2018 par rapport à celles de l’hiver dernier de 0,2 ou 0,3 point de PIB pour l’amener légèrement en dessous de 3 % (2,6 % pour l’OFCE selon nos prévisions d’avril[3]).

Table_post13-06Néanmoins, au-delà de l’optimisme partagé sur la croissance espagnole, le chiffrage diverge sur le coût des nouvelles mesures entre autorités espagnoles et Commission. Selon le gouvernement, le surcroît de croissance devrait comme on l’a dit, doper les recettes fiscales et neutraliser le coût attendu des nouvelles dépenses. En 2018, la réduction de 0,9 point du déficit (qui passerait de 3,1 % à 2,2 %) serait donc atteint par l’accroissement de 0,8 point de PIB du solde conjoncturel, combiné à la baisse de 0,2 point des charges de la dette, le solde structurel restant stable (la politique budgétaire deviendrait neutre au lieu d’être restrictive comme inscrit dans la version antérieure du Pacte). Mais ce scénario n’est pas partagé par Bruxelles[4], pour qui le coût des mesures, et notamment de la hausse du salaire des fonctionnaires est sous-évalué. Les dépenses devraient être plus importantes de 0,2 point de PIB et les recettes inférieures de 0,2 point de PIB que ce qui est annoncé par le gouvernement. Selon la Commission, le solde conjoncturel devrait certes s’améliorer de 0,9 point de PIB mais l’impulsion budgétaire dégraderait le solde structurel de 0,6 point de PIB. Dans ces conditions, le déficit franchirait bien la barre des 3 % mais la politique budgétaire deviendrait clairement expansionniste et l’objectif des 2,2 % ne serait pas atteint. Le déficit public se situerait à 2,6 % en 2018 (graphique 1).

IMG1_post13-06Cette orientation plus expansionniste du budget 2018 résulte avant tout de considérations politiciennes de l’ancien gouvernement Rajoy pour débloquer une impossibilité à gouverner (les faits ont d’ailleurs démontré la fragilité de cette posture). Néanmoins, le timing est idéal. Car le seul engagement budgétaire qui s’impose en 2018 est de franchir le seuil des 3 % de déficit afin de sortir du volet correctif du PSC. L’année 2018 rend donc encore possible de mener une politique budgétaire généreuse, tout en franchissant la barre des 3 %, sans s’exposer à des sanctions. La situation aurait été plus délicate en 2019, lorsque s’appliqueront les règles communautaires visant à réduire une dette encore très supérieure au 60 % du PIB, notamment par l’ajustement du solde structurel (graphique 2).

IMG2_post13-06

[1] https://www.boe.es/boe/dias/2018/03/26/pdfs/BOE-A-2018-4222.pdf

[2] https://elpais.com/economia/2018/04/17/actualidad/1523949570_477094.html?rel=str_articulo#1526464987471

[3] Voir la Partie Espagne du dossier :  https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/11-155OFCE.pdf , pp 137-141.

[4] Ni par l’AIReF d’ailleurs.




Le casse-tête potentiel de la mesure des économies en dépenses publiques

par Raul Sampognaro

Depuis 2009, le déficit budgétaire français s’est réduit de 3,3 points de PIB, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques. Cette amélioration s’explique par la politique de restriction budgétaire mise en œuvre. Entre 2010 et 2013, l’essentiel de l’effort de consolidation s’expliquait par la hausse de la fiscalité, mais depuis 2014, l’effort passe essentiellement par les économies en dépenses publiques. En 2014 la dépense publique hors crédits d’impôts[1] a connu sa progression la plus faible depuis 1959 − année du début des comptes nationaux publiés par l’Insee : en valeur, la dépense hors crédits d’impôts a augmenté de 0,9 % et de seulement 0,3 % en volume (déflatée par les prix du PIB). A première vue, il peut apparaître contre-intuitif de parler d’économies en dépenses, alors que celles-ci sont en hausse croissante. Toutefois, leur progression est bien inférieure à la croissance potentielle, ce qui marque un vrai effort de réduction à long terme du ratio des dépenses sur le PIB. En effet, la formule usuellement utilisée pour calculer l’effort en dépenses dépend de l’hypothèse retenue sur la croissance potentielle :Formule_post09-11_500 Pour comprendre pourquoi la mesure de l’effort en dépenses publiques est dépendante de la croissance potentielle, il faut comprendre la notion de soutenabilité de la dette qui lui est sous-jacente. La définition théorique de la soutenabilité de la dette est consensuelle : la dette publique serait soutenable si le stock de dette actuel pouvait être remboursé par le flux futur anticipé des revenus nets de l’Etat[2]. Si ce concept est clair, son application concrète est plus difficile. Dans la pratique, la politique budgétaire est jugée soutenable si elle permet de stabiliser le ratio de la dette publique par rapport au PIB, à un niveau jugé conforme au  maintien du refinancement de marché. Ainsi, l’évolution de la dépense publique conforme à cet objectif devrait permettre de stabiliser la part de la dépense publique dans le PIB à long terme. Toutefois, comme la dépense publique répond essentiellement à des besoins sociaux indépendants de la conjoncture (en dehors de certaines prestations sociales comme l’assurance chômage), il ne peut pas être assuré, ni souhaitable, de stabiliser sa part dans le PIB à tout moment (ce qui impliquerait une évolution égale à celle de PIB). Pour éviter cet écueil, l’évolution en valeur des dépenses publiques est comparée au taux de croissance nominal du PIB potentiel[3] (dépendant du taux de croissance potentiel et de l’évolution annuelle du déflateur du PIB). Une croissance de la dépense publique supérieure (respectivement inférieure) au potentiel implique une impulsion positive (négative) car cela induit à long terme une hausse (baisse) du ratio des dépenses publiques sur le PIB. Si l’application de ce concept semble aisée, la croissance potentielle est par essence non observable et incertaine car très dépendante des hypothèses réalisées sur les variables démographiques et l’évolution future de la productivité. Dans le PLF 2016, le gouvernement a revu à la hausse ses hypothèses de croissance potentielle pour les années 2016 et 2017 (qui serait de +1,5 % au lieu de +1,3 % comme retenu lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques en décembre 2014). Cette révision est justifiée par la prise en compte des réformes structurelles mises en place, notamment lors du vote de la Loi Macron. Celle-ci serait la deuxième révision du potentiel depuis avril 2014 quand il l’estimait à +1,6 % (Programme de stabilité 2014-2017). Le gouvernement n’est pas le seul à revoir de façon répétée son évaluation du potentiel de croissance. Lors de la publication de ses dernières prévisions[4], la Commission a revu son évaluation de la croissance potentielle alors que sa dernière évaluation datait du mois de mai[5]. Il semble difficile de voir quelle nouvelle information a pu modifier son évaluation. Ces révisions récurrentes rendent difficile le débat économique en général[6] et brouillent le débat budgétaire. Ainsi à partir d’un jeu d’hypothèses de finances publiques identique, la mesure des économies en dépenses, et a fortiori de l’ajustement structurel, dépendra de la croissance potentielle retenue (tableau). Sous une hypothèse de croissance de la dépense publique (hors crédits d’impôts) en valeur de +1,3 % en 2016 et en 2017, l’ampleur de l’effort en dépenses aurait été évalué à 0,7 point en octobre 2015 (avec les hypothèses de potentiel du PLF 2016) ou à 0,6 point en décembre 2014 (LPFP 2014-2019). tabpost0911 Si les écarts identifiés ci-dessus semblent faibles, ils peuvent avoir des conséquences non négligeables sur l’application des règles budgétaires, ce qui peut amener les différents acteurs à agir sur leurs hypothèses dans le but de modifier l’effort affiché[7]. Alors que cette notion devrait orienter la vision de la trajectoire future des économies européennes, le débat est détourné. Les révisions récurrentes de la croissance potentielle focalisent les débats sur les aspects les plus techniques alors même que la méthode d’estimation de la croissance potentielle est incertaine par définition et n’est même pas consensuelle parmi les économistes. Ainsi, le semestre européen, qui devrait être le cadre de discussion et de coordination entre les Etats membres pour déterminer la politique économique qui s’adapte le mieux au contexte macroéconomique, pour la France ou pour l’ensemble de la zone euro, s’est perdu dans des débats techniques sans intérêt particulier.

 


[1] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques sur la base 2010 des comptes nationaux. Afin de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ils seront pris en compte comme une composante de la fiscalité.
[2] Cette définition est acceptée tant par la littérature académique (voir par exemple D’Erasmo P., Mendoza E. et Zhang J., 2015, “What is a Sustainable Public Debt?”, NBER WP, n° 21574, septembre 2015, ou par les organisations internationales (voir FMI, 2012, « Assessing Sustainability »).
[3] Il peut aussi être comparé à une évolution tendancielle de la dépense publique qui, elle, peut tenir compte des évolutions des besoins auxquels la dépense répond.
[4] La Commission européenne table sur une croissance de 1,1 % en 2015, de 1,4 % en 2016 et de 1,7 % en 2017 en France.
[5] L’évaluation a changé à la deuxième décimale.
[6] Pour ce débat voir H. Sterdyniak, 2015, « Faut-il encore utiliser le concept de croissance potentielle ? », Revue de l’OFCE, n° 142, octobre 2015.
[7] Les révisions de la croissance potentielle peuvent avoir un impact sur la montée en charge des procédures. Ces révisions ne peuvent pas entraîner des sanctions. Au stade des sanctions seulement, l’hypothèse de croissance potentielle de la Commission, réalisée au moment de la recommandation du Conseil, est utilisée dans les débats. Toutefois, il est probable qu’une divergence d’appréciation sur une variable non observable puisse générer du frottement dans la procédure, réduire la probabilité de sanctions et rendre les règles moins crédibles.



France : retour sur désinvestissement. Prévisions 2015-2017 pour l’économie française

par  Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Ce texte résume les perspectives économiques 2015-2017 de l’OFCE pour l’économie française

 

Après un mouvement de reprise hésitant au premier semestre 2015 (avec des taux de croissance respectivement de 0,7 % et 0 % au premier et au deuxième trimestre), l’économie française enregistrerait une faible croissance au second semestre, affichant au final une hausse du PIB de 1,1 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. Avec un taux de croissance du PIB de +0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015, rythmes équivalents à ceux de la croissance potentielle, le taux de chômage se stabiliserait à 10 % jusqu’à la fin de l’année. La consommation des ménages (+1,7 % en 2015), favorisée par le redressement du pouvoir d’achat lié en particulier à la baisse du prix du pétrole, soutiendrait la croissance en 2015 mais l’investissement des ménages (-3,6 %) et celui des administrations publiques (-2,6 %) continueraient de freiner l’activité. Dans un contexte de croissance molle et de consolidation budgétaire modérée, le déficit public continuerait sa lente décrue, pour atteindre 3,7 % du PIB en 2015.

Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait celle de la reprise, marquée par la hausse du taux d’investissement des entreprises. En effet, tous les facteurs d’une reprise de l’investissement sont réunis : d’abord le redressement spectaculaire du taux de marge depuis la mi-2014 grâce à la baisse des coûts d’approvisionnement en énergie et à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité ; ensuite le niveau historiquement bas du coût du capital, favorisé par la politique monétaire non conventionnelle de la BCE ; enfin l’amélioration des perspectives d’activité. Ces facteurs permettraient une accélération de l’investissement des entreprises en 2016, qui  augmenterait de 4 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. La consommation des ménages resterait soutenue en 2016 (+1,6 %), tirée par les créations d’emplois dans le secteur marchand et par une légère baisse du taux d’épargne. Alimenté par la remontée des mises en chantier et des permis de construire, l’investissement en logement repartirait (+3 %), après quatre années successives de contraction. Sous l’effet de la dépréciation passée de l’euro et des politiques de compétitivité poursuivies par le gouvernement, le commerce extérieur contribuerait positivement à la croissance (+0,2 point de PIB en 2016, soit une contribution identique à celle de 2015). Une fois les effets du contrechoc pétrolier épuisés, l’inflation reviendrait à un rythme positif mais toujours faible en 2016 (+1 % en moyenne annuelle après deux année de quasi-stagnation), soit un rythme proche de l’inflation sous-jacente. Le rythme de croissance trimestriel du PIB en 2016 serait compris entre 0,5 et 0,6 %, déclenchant la fermeture progressive de l’écart de production et la lente baisse du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 %. Le déficit public se réduirait de 0,5 point de PIB, sous l’effet des économies réalisées sur la dépense publique, au travers notamment de la contraction de l’investissement public (-2,6 %), de la faible croissance de la consommation des administrations publiques (+0,9 %), et sous l’effet de la remontée des recettes fiscales avec la reprise de l’activité.

Sous l’hypothèse d’un environnement macroéconomique durablement favorable, la fermeture de l’écart de production devrait se poursuivre en 2017. Avec une croissance du PIB de 2 %, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB et repasserait sous la barre des 3 % pour la première fois depuis 10 ans. Grâce aux politiques de l’emploi et la résorption des sureffectifs effectuée dans les entreprises, le taux de chômage continuerait à baisser pour atteindre 9,4 % de la population active à la fin de l’année 2017.




Pourquoi Bruxelles doit sanctionner la France et pourquoi la France doit désobéir

par Henri Sterdyniak

La France a signé le Pacte de Stabilité en 1997 et en 2005 puis le Traité budgétaire en 2012. Selon ces textes, le déficit public d’un pays de la zone euro ne doit pas dépasser les 3 points de PIB ; dès que le déficit public dépasse cette limite, le pays est soumis à la procédure de déficit excessif et doit revenir sous les 3% selon un calendrier accepté par la Commission.

La France s’était engagée à revenir en dessous des 3% en 2012, puis en 2013 ; elle a obtenu, en juin 2013, la possibilité de reporter à 2015 le passage sous les 3%. Mais, selon le budget présenté fin septembre 2014, le déficit public de la France sera toujours de 4,3% du PIB en 2015 ; le passage sous les 3% est reporté à 2017.

En décembre 2012, la France s’était engagée à faire un effort budgétaire de 3,2 points de PIB sur les trois années 2013-14-15 ; selon le nouveau budget, l’effort ne sera que de 1,4 point, soit de 1,1 point en 2013, 0,1 point en 2014, 0,2 point en 2015. Ainsi, la France ne fera même pas en 2014 et 2015 l’effort de 0,8 point de PIB auquel elle s’était engagée en juin 2013 ; elle ne fera pas non plus, durant ces 2 années, l’effort de 0,5 point de PIB, qui s’impose à tous les pays dont le déficit structurel est supérieur à 0,5 point de PIB.

Au lieu de prendre des mesures pour se rapprocher de la trajectoire de solde public annoncée  par la Loi de Programmation des Finances Publiques votée en 2012, le gouvernement va faire voter une nouvelle LPFP, ce qui est contraire à l’esprit du Traité budgétaire. Bref, soit Bruxelles sanctionne la  France, soit elle renonce à faire respecter les  principes du Pacte et du Traité.

Certes, sur le plan technique, une partie de l’écart s’explique par le fait que le gouvernement français a accepté l’estimation de la Commission d’une croissance potentielle de la France limitée à 1% par an en 2013-2015 ; avec une croissance potentielle estimée de 1,6%, l’effort estimé serait plus élevé de 0,3 point par an. Mais le Traité budgétaire précise bien que ce sont les estimations de la Commission qui s’imposent. Sur le plan économique, compte tenu de la situation conjoncturelle, le gouvernement a choisi de privilégier le soutien de la croissance par les baisses d’impôts et de cotisations figurant dans le Pacte de Responsabilité et de Croissance, par rapport au respect des règles européennes. Mais cela n’est pas autorisé par les traités : un pays ne peut décider seul de s’affranchir des règles.

Pour rentrer dans les clous, la France devrait faire en 2015 un effort supplémentaire de baisse des dépenses publiques de l’ordre de 1,4% du PIB, soit de 28 milliards. En même temps, cet effort aurait un impact récessif sur le PIB : au lieu de la  croissance de 1,0% en 2015, que  prévoit le gouvernement, la France connaîtrait une baisse du PIB de l’ordre de 0,4%[1], de sorte que les rentrées fiscales diminueraient et que l’objectif de 3%  de déficit ne serait pas atteint non plus et nous replongerions en récession. Bref, la France a raison de désobéir.

Ainsi, la Commission pourrait-elle infliger à la France une amende de 0,2% de son PIB, soit de 4 milliards d’euros chaque année. Elle pourrait lui imposer de rendre compte tous les 3 mois de l’exécution de son budget. Elle pourrait lui demander de s’engager fermement sur des réformes structurelles (réforme des retraites, baisse des indemnités chômage, réduction des allocations familiales, diminution du nombre de fonctionnaires). Mais cela rendrait l’Europe encore plus impopulaire pour les Français.

La France n’a aucune difficulté à trouver des financements pour sa dette publique. Elle s’endette à des taux d’intérêt nuls à 1 an, de 1,3% à 10 ans. Elle contribue à garantir les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Elle fait un important effort militaire en Afrique et au Moyen-Orient dont beaucoup de pays de l’UE s’exemptent. La France contribue pour 22 milliards au budget de l’UE et sa contribution nette est de l’ordre de 6 milliards. Son déficit public n’a aucune conséquence néfaste pour ses partenaires européens ; au contraire, il soutient leur activité. De sorte que la sanction apparaîtrait comme absurde : on pénaliserait un pays pour ne pas respecter une limite arbitraire de 3%. Non pour des motifs économiques, mais pour faire un exemple, pour renforcer la crédibilité des traités en vigueur.

La France n’est pas le seul pays à ne pas respecter les critères européens de finances publiques. En 2014, par exemple, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, mais aussi, en dehors de la zone euro, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont des déficits publics supérieurs à 3 % du PIB. La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont des dettes publiques supérieures à 60% du PIB. De toute évidence, ces critères sont mal pensés.

La France a fait des efforts budgétaires importants depuis 2009, de l’ordre de 4,5 points de PIB[2], soit un peu plus que la moyenne des pays de la zone euro. Les pays qui ont fait des efforts plus importants (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont dans des situations économiques préoccupantes en termes de chômage et d’écart de production. Il est légitime que la France, où les investissements publics sont particulièrement importants (4 points de PIB) conserve un certain déficit public.

Lorsque tous les pays de la zone font en même temps des politiques d’austérité, le PIB de la zone est lourdement affecté et les objectifs de finances publiques ne peuvent être atteints. C’est ce que l’on voit en Europe depuis 2012, mais la Commission refuse de renoncer à sa politique d’austérité, malgré ses résultats désastreux, qui avaient d’ailleurs été annoncés dès 2011[3].

En fait, les objectifs européens  n’ont aucun fondement économique : les limites de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette sont arbitraires. Il est légitime qu’un pays qui investit beaucoup et qui est en récession ait un déficit public relativement important. Il serait suicidaire d’ajouter une politique trop restrictive à une situation déjà déprimée par la crise financière, puis par la crise des dettes des pays du sud de la zone euro, puis par les politiques d’austérité mises en œuvre.

Le  problème est que les gouvernements français successifs ont eu tort d’accepter de signer le Pacte de Stabilité puis le Traité Budgétaire, ont eu tort de prendre des engagements stupides sur le plan économique, impossibles à tenir. La France apparaît aujourd’hui comme un partenaire non digne de confiance, incapable de tenir ses engagements. Il aurait été plus courageux et plus honnête de refuser de signer.

Sur le plan du droit européen, la France n’aurait pas le droit de ne pas tenir compte des sanctions de l’UE. Le refus de la France de modifier son budget ouvrirait une grave crise en Europe. Il mettrait en cause les fondements de la coordination budgétaire que l’UE a mis en place : la norme de 3%, la procédure de déficit excessif, l’objectif de solde équilibré, le pilotage par le semestre européen, etc. Cette coordination a été imposée par l’Allemagne et les pays du Nord en échange de leur acceptation de la monnaie unique.

En sens inverse, cette pseudo-coordination par des règles arbitraires se révèle totalement contreproductive ; la politique d’austérité pilotée par la Commission a tué la reprise qui s’esquissait en 2010-11 ; la zone euro reste une zone de faible croissance, de chômage de masse et de déséquilibres entre les Etats membres. A l’évidence, la priorité aujourd’hui est de mettre un terme aux politiques d’austérité et de coordonner des politiques de relance en adoptant des mesures spécifiques pour les pays en déséquilibre (plus de salaires et de protection sociale en Allemagne, des investissements productifs dans les pays du Sud).

De sorte que la question se posera : ne faudrait-il pas que la France ait le courage de dire clairement qu’elle refuse de se plier à des règles budgétaires contre-productives  et qu’elle  demande une rupture franche dans les politiques de l’UE ?

 

 


[1] En prenant un multiplicateur de dépenses publiques égal à 1.

[2] Selon les estimations de l’OCDE, Economic Outlook data base, table 30, ou de l’OFCE (Voir, « France, ajustements graduels », Revue de l’OFCE, avril 2014, page 91)

[3] Voir dans la Revue de l’OFCE, janvier 2011, n°116, les articles : Mathieu C. et H. Sterdyniak : « Finances publiques,  sorties de crise » ; J. Creel, E.  Heyer E. et M. Plane : « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps ».




France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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L’obligation de résultat du pacte de responsabilité

Par Xavier Timbeau, @XTimbeau, OFCE

Ce texte a été publié dans la rubrique “Rebonds” de Libération du 28 février 2014.

Politique d’offre ou de demande ? Ce débat nous renvoie des décennies en arrière lorsque les tenants de la politique de l’offre, Ronald Reagan et Margaret Thatcher, voulaient mettre au placard les pratiques keynésiennes. A propos du pacte de responsabilité, le débat est sans objet. Le diagnostic est bien que les entreprises souffrent d’un taux de marge si faible qu’il en compromet leur survie. Que les pertes depuis les années 2000 de parts de marché ne peuvent pas s’expliquer par le seul passage à une société post-industrielle. Vouloir par n’importe quel moyen rehausser les marges des entreprises est donc une priorité. Mais la restauration des marges des entreprises ne sera pas la condition suffisante pour qu’elles se remettent sur une trajectoire de productivité croissante, garantissant leur compétitivité dans le moyen terme. Se remettre sur cette trajectoire passe par de nombreuses réformes allant d’un meilleur système éducatif à une fiscalité stable et la plus neutre possible en passant sur le jeu des effets d’agglomération et de spécialisation. Coordonner les projets de chacun autour d’une stratégie globale, réalisant la transition énergétique est aussi un instrument puissant. Mais sur tout cela, le pacte de responsabilité restera silencieux.

Pour être clair, le pacte de responsabilité vise une amélioration de la situation des entreprises, qui permet de compenser en partie la chute de l’activité qui résulte de la crise de 2008 et des pertes de compétitivité que l’économie française enregistre face à ses partenaires en déflation (dont l’Espagne) ou par la hausse de l’euro. S’il est financé par des impôts ou des baisses de dépenses, ce sera une dévaluation fiscale, qui fera payer aux consommateurs, aux salariés ou aux bénéficiaires des prestations sociales la baisse des coûts des entreprises. Lorsque la baisse de coût des entreprises est plutôt ciblée sur les bas salaires on peut attendre de l’ordre de 130 000 emplois créés à 5 ans en prenant en compte le financement (voir par exemple l’article d’Heyer et Plane dans la revue de l’OFCE n°126).  Les contreparties, l’adhésion des syndicats ou du Medef, la mobilisation de tous autour d’un diagnostic sombre et commun ne feront pas la révolution que certains attendent, mais participent à la solution.

Bien sûr, une dévaluation fiscale alors que les pays d’Europe du Sud flirtent avec la déflation et où chacun court après l’équilibre de sa balance courante, y compris en freinant la demande interne, ne conduira pas la zone euro vers la sortie de la crise mais l’enfermera dans la stagnation longue. La dévaluation fiscale n’est pas la bonne politique pour l’Europe. Mais pour la France, tant que l’Europe n’a pas d’autre voie que le suicide collectif, la dévaluation fiscale est la réponse logique.

130 000 emplois, ce n’est pas suffisant pour inverser la courbe du chômage. C’est même dérisoire face à plus d’un million de chômeurs supplémentaires depuis 2008. Mais le pacte de responsabilité peut être autre chose qu’une dévaluation fiscale. L’obligation de résultat, à savoir réduire le chômage, ne laisse pas beaucoup de choix. Pour que le pacte de responsabilité s’accompagne d’une réduction significative du chômage, la clef est de ne pas le financer. Le marché à proposer à nos partenaires est celui d’un laxisme relatif sur notre trajectoire de déficit public en échange de réformes qui semblent structurelles à tout le monde. Réduction de la dépense publique, fiscalité favorable aux entreprises, priorité aux enjeux de compétitivité sont autant de gages qui libèrent une marge de manœuvre.

Les engagements budgétaires de la France auprès de Bruxelles sont de réduire le déficit structurel de 50 milliards. Si l’on applique cet effort budgétaire jusqu’en 2017, nous amputerons de presque 1 point la croissance chaque année et le chômage ne baissera pratiquement pas d’ici à 2017. En fait, seul le déficit public serait réduit, à 1,2 point de PIB, ouvrant une dynamique très favorable après 2017, puisque la dette publique baissera sans restriction budgétaire supplémentaire et donc sans entraver la baisse du chômage. Situation confortable s’il en est pour le successeur de François Hollande qui pourra même en profiter pour baisser les impôts des plus riches. En associant baisse des impôts, baisse du chômage et baisse de la dette publique, ce qui restera est que le ou la «  magicienne » aura succédé au « malhabile ».

En revanche, en utilisant la marge de manœuvre de 50 milliards d’euros, c’est-à-dire en renonçant à réduire de 50 milliards le déficit structurel, le résultat serait tout autre. A partir de simulations réalisées à l’OFCE, il apparaît que la baisse du chômage pourrait être d’ici à 2017 de presque 2 points. Certes, le déficit structurel serait inchangé, mais le déficit public, celui que l’on voit, serait sur une trajectoire de baisse : il arriverait en 2017 à un peu plus de 2 points de PIB (contre 4,2% à la fin de l’année 2013), mettant la dette publique dans la zone de diminution du ratio dette sur PIB. Le bilan à la veille de l’élection présidentielle serait plus avantageux et le scrutin plus ouvert.

Pour mobiliser cette marge de manœuvre, il faut convaincre nos partenaires (et la Commission européenne) de la radicalité de la situation. Les résultats des élections européennes seront probablement là pour le rappeler et rendre claire à tous l’obligation de résultat.

Reagan a eu la grande habilité de chercher du côté de la politique budgétaire le moteur de sa politique de l’offre. Il a créé ainsi une mythologie selon laquelle baisser l’impôt des plus riches est bon pour la croissance, avec les conséquences que l’on connaît aujourd’hui sur les inégalités. Thatcher a cru jusqu’au bout que la réduction de la dette publique était la bonne politique. Elle n’a fait que préparer le terrain à Tony Blair quelques années plus tard. C’est ainsi que les cycles politiques se font, sur les résultats. C’est ainsi aussi que les responsabilités s’engagent, sur les conséquences longues des choix que l’on fait.




Révision du potentiel de croissance : l’impact sur les déficits

par Hervé Péléraux

Les finances publiques meurtries par la Grande Récession

Au sortir de la Grande Récession de 2008/09, le problème des finances publiques auquel allaient devoir face les gouvernements était en apparence simple, sa solution mise en avant aussi. Le jeu des stabilisateurs automatiques ainsi que les plans de relance mis en place pour contrer la récession de 2008/09 ont fortement creusé les déficits publics. Cette situation, dictée par l’urgence, était acceptable à court terme mais ne l’était pas à plus longue échéance. Elle appelait logiquement un redressement des comptes publics pour résorber les déficits et stopper la progression de l’endettement. La rigueur budgétaire à marche forcée, conduite sous les injonctions de la Commission européenne, a donc été l’instrument de politique économique activé par la quasi-totalité des pays de la zone euro.

L’opportunité de cette stratégie qui a été engagée pour résoudre le problème de départ, celui de déficits excessifs en zone euro, doit cependant être discutée. Elle dépendait du diagnostic macroéconomique fait au sortir de la récession de 2008/09 qui conditionnait l’évaluation de la capacité de rebond spontané des économies. Car de cette capacité de rebond dépendait la fraction du déficit public à même de pouvoir se résorber spontanément par la reprise de la croissance.

Une partie des déficits pouvait se résorber d’elle-même

Le déficit public hors charge d’intérêts, ou déficit primaire, peut être subdivisé en deux composantes, une composante conjoncturelle et une composante structurelle. La composante conjoncturelle résulte des déviations cycliques du PIB autour de son potentiel, c’est-à-dire le niveau de PIB réalisable sans tensions inflationnistes avec les facteurs de production disponibles : en phase de ralentissement du PIB par rapport à sa croissance potentielle, et donc de creusement de l’écart de production, les recettes fiscales ralentissent et les dépenses publiques, notamment sociales, accélèrent. Il s’en suit un creusement spontané du déficit. Ce mécanisme d’autocorrection est dénommé « stabilisateurs automatiques » dans la théorie économique. L’autre composante du déficit est déduite de la précédente comme complémentaire du déficit total : c’est la composante délibérée, celle qui résulte de l’action de la politique économique. Discrétionnaire, cette composante ne peut être éliminée qu’en mettant en œuvre une politique symétrique à celle qui l’a fait naître, c’est-à-dire en conduisant une politique de rigueur. Elle a naturellement pour effet de freiner la reprise, mais la politique expansionniste menée durant la phase précédente a eu pour conséquence de soutenir l’activité. La politique budgétaire est ainsi un instrument de lissage du cycle économique.

La partie spontanée du déficit apparue à la suite de la récession de 2008/09 était appelée à se résorber automatiquement une fois la croissance revenue. Seule l’élimination de la composante discrétionnaire justifiait une politique restrictive. L’ampleur de l’effort à engager pour y parvenir renvoyait alors à la mesure de l’amplitude de l’écart de production qui conditionnait l’estimation du déficit conjoncturel et par déduction, celle du déficit délibéré.

De l’effet de la conjoncture sur l’évaluation du potentiel

La mesure du potentiel de production, dont découle le calcul de l’écart de production, est évidemment centrale si l’on veut calibrer au plus juste la restriction budgétaire nécessaire à l’élimination de la fraction du déficit qui ne peut l’être spontanément par la croissance. Mais les décideurs se heurtent ici à une difficulté majeure, celle du caractère non observable du potentiel qui, par conséquent, doit être estimé. Ici, les estimations sont loin de faire l’unanimité entre les économistes. De surcroît, au sein d’une même institution, les révisions périodiques peuvent être importantes, ce qui modifie le diagnostic porté et les mesures à mettre en place si cette institution a en charge la définition de normes contraignantes de politique budgétaire, comme c’est le cas de la Commission européenne (CE).

L’examen des révisions de la croissance potentielle calculée par la CE montre l’incertitude de cette estimation (voir dernière partie ci-dessous). Elle paraît en outre dépendre de la croissance courante, ce qui est pour le moins paradoxal pour l’estimation d’une fonction d’offre qui dépend de paramètres de long terme de l’économie comme la croissance de la population active, de la productivité et du stock de capital. Que la trajectoire de ces paramètres d’offre s’infléchisse un peu au gré des à-coups conjoncturels est justifiable, notamment au travers de l’investissement qui véhicule le progrès technique et assure la croissance du capital ou des pertes de capital humain générées par le chômage de longue durée. Mais que l’incorporation dans les estimations d’un phénomène conjoncturel, certes hors normes comme la récession de 2008/09, conduise à des révisions de la croissance potentielle de l’ordre de celle constatée entre le printemps 2008 et le printemps 2009 pose question. D’autant que ces révisions ont aussi affecté les années antérieures à la récession qui n’étaient pas concernées par la modification des conditions de l’accumulation. Par la suite, le redémarrage de la croissance en 2010 a conduit à des révisions de la croissance potentielle dans l’autre sens, y compris pour les années antérieures à la récession. Enfin, le retournement conjoncturel de 2011 a entraîné une nouvelle séquence de révisions, à nouveau à la baisse.

La rigueur auto entretenue

De cet affaissement de la croissance potentielle a résulté d’amples révisions à la baisse de l’écart de production estimé (graphique). Elles ne sont pas neutres pour calibrer la politique de consolidation budgétaire. Car à déficit donné, l’estimation d’un écart de production de -2 % par exemple pour 2010, contre près de -6 % sous l’hypothèse d’une poursuite de la trajectoire du PIB potentiel estimé avant la récession, accroissait la part du déficit structurel perçu et appelait une rigueur accrue. C’est bien ce qui est advenu en 2010 quand les plans de relance ont fait place à des plans de restriction budgétaire drastiques. Généralisés à l’ensemble des pays membres, ils ont cassé net la reprise naissante et ont précipité la zone euro dans une nouvelle récession.

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La trop grande sensibilité de l’estimation de la croissance potentielle à la croissance courante a précipité l’engagement des politiques de rigueur en zone euro et a, par la suite, poussé à l’accentuation de la restriction budgétaire. Car cette dernière, en déprimant l’activité, a stimulé les facteurs d’affaissement de l’offre par la destruction de capital, par le freinage de l’investissement et par la déqualification de l’offre de travail. Les capacités de rebond spontané des économies s’en sont trouvées amputées, ce qui ne pouvait conduire qu’à une augmentation de la part du déficit structurel dans le déficit total, et, finalement, à la nécessité d’accentuer la rigueur.

La purge budgétaire a donc entraîné une deuxième récession qui a invalidé les objectifs de réduction des déficits fixés au départ car les stabilisateurs automatiques ont à nouveau creusé la composante conjoncturelle des déficits. La rigueur, mal calibrée, était contre-productive et ne pouvait donc pas aboutir à l’objectif initial d’une réduction rapide des déficits. Les résultats obtenus sont loin d’avoir été à la hauteur des sacrifices consentis par les économies européennes.

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L’estimation du PIB potentiel de la zone euro par la Commission européenne

La récession de 2008/09 a conduit la Commission européenne à réviser assez nettement son estimation du potentiel de croissance des pays membres. Pour la zone euro dans son ensemble, le processus de révision a débuté entre le printemps 2008 et le printemps 2009, quand les effets de la crise financière se sont matérialisés sur l’activité réelle : l’entrée en récession de la zone euro au quatrième trimestre 2008 est associée à de fortes révisions à la baisse de la croissance potentielle pour les années 2008 et 2009, de -0,7 et -1,2 point respectivement (tableau). On constatera aussi des révisions sensibles relativement aux années plus anciennes, de -0,3 à -0,5 point pour les années 2004 à 2007. En revanche, aucune révision majeure n’apparaît entre les estimations du printemps 2009 et du printemps 2010, malgré le creusement du glissement annuel du PIB, signe que la modification du paysage conjoncturel avait déjà été intégrée dans les estimations.

Les révisions de la croissance potentielle ne se sont pas effectuées seulement à la baisse, mais également à la hausse quand la croissance a redémarré après la récession. Ainsi, entre le printemps 2010 et le printemps 2011, les révisions se sont-elles étalées de +0,1 à +0,3 point et ont concerné également les années lointaines. Enfin, une nouvelle séquence de révisions en baisse est intervenue avec le deuxième retournement conjoncturel en 2011. Les années antérieures à 2008 ont été peu modifiées, mais elles s’inscrivent dans un intervalle plus large pour les années 2008 à 2013, de -0,2 à -0,8 point, ce qui pour l’année 2012 revient à une division par deux et demi du rythme de croissance potentielle.

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L’effet de la croissance courante sur l’estimation de la croissance potentielle par la Commission européenne est ainsi évident. Il en résulte une forte variabilité de la croissance potentielle et donc des révisions importantes de l’écart de production, ce qui affecte les décisions de politique économique puisque le solde structurel dépend de cette évaluation.




France : moins d’austérité, plus de croissance

par Eric Heyer

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française.

En 2013, l’économie française devrait croître de 0,2 % en moyenne annuelle, ce qui lui permettrait de retrouver en fin d’année son niveau de production atteint six ans plus tôt, soit celui de fin d’année 2007. Cette performance médiocre est très éloignée du chemin qu’aurait dû normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Le potentiel de rebond de l’économie française était pourtant important : une croissance spontanée moyenne de près de 2,6 % l’an sur  la période 2010-2013 était possible et aurait permis à la France d’annuler la perte de production accumulée au cours des années 2008-2009. Mais cette « reprise » a été freinée, principalement par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. Pour la seule année 2013, cette stratégie budgétaire aura amputé l’activité en France de 2,4 points de PIB.

La prise de conscience de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés a été tardive : elle a eu lieu une fois que les plans d’austérité eurent produit leurs effets négatifs sur la croissance. A la fin mai 2013, elle a poussé les autorités européennes à offrir un délai supplémentaire à six pays de l’Union, dont la France, en vue de corriger leur déficit excessif. L’allègement des exigences de la Commission constitue un ballon d’oxygène et permet au gouvernement d’amoindrir les mesures d’austérité pour 2014. Selon le budget présenté à l’automne 2013, l’effet interne de l’austérité serait ainsi atténué de 0,5 point entre 2013 et 2014, et puisque nos partenaires mènent eux aussi des politiques moins restrictives, un supplément de demande externe est anticipé. Au total, c’est donc près d’un point de croissance qui serait regagné en 2014 par rapport à 2013, grâce à l’allègement de la rigueur et ce, malgré des multiplicateurs budgétaires toujours élevés.

Dans ces conditions, la croissance devrait être de 1,3 % en 2014 en moyenne annuelle. En s’établissant à un rythme toujours inférieur à son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader le marché du travail. Le taux de chômage en France métropolitaine augmenterait légèrement pour s’établir à 10,9 % fin 2014.

La contrepartie à l’allègement de la rigueur est un déficit public plus élevé que ce qui avait été initialement programmé. Le déficit public s’établirait à 3,5 % du PIB en 2014, après avoir atteint 4,1 % en 2013 et la dette brute des administrations publiques frôlerait 95 % du PIB l’année prochaine.