La débâcle de l’austérité

par Xavier Timbeau

 

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 de l’OFCE

 

 

L’année 2012 s’achève et les espoirs d’une sortie de crise sont, cette fois, bien déçus. Après une année 2012 marquée par la récession, la zone euro connaîtra une nouvelle année catastrophique en 2013 (-0,1 % de croissance du PIB en 2013 après -0,5 % en 2012, selon nos prévisions, voir tableau). Le Royaume-Uni n’échappe pas à cette évolution et s’enfonce un peu plus dans la crise (-0,4 % en 2012, 0,3 % en 2013). Au-delà des chiffres de croissance de l’activité, ce sont les évolutions du chômage qui rappellent la gravité de la situation. A l’exception de l’Allemagne et quelques autres pays développés, aucune économie occidentale n’échappe à la persistance d’un chômage élevé, voire en progression comme en zone euro (le taux de chômage atteindrait 12 % en 2013 en zone euro au lieu de 11,2 % au deuxième trimestre 2012). Or, la persistance du chômage entraîne une dégradation de la situation de ceux qui ont perdu leur emploi, et qui, pour certains, basculant dans la catégorie des chômeurs de longue durée, doivent faire face à l’épuisement de leurs droits à indemnisation. Bien que connaissant une croissance de l’activité plus favorable que celle de la zone euro, le marché du travail aux Etats-Unis illustre bien une économie américaine engluée dans la Grande Récession.

Cette catastrophe, dont la zone euro est l’épicentre, est-elle du genre des événements imprévisibles ? Une fatalité qu’il nous faudrait accepter et dont il faudrait se préparer à supporter les conséquences ? Non, en réalité, le retour en récession découle d’un diagnostic erroné et de l’incapacité des institutions européennes à faire face rapidement à la logique de la crise. Cette nouvelle plongée est le résultat des politiques d’austérité massives, surdimensionnées, dont les impacts ont été sous-estimés. En voulant à tout prix et en urgence restaurer l’équilibre des finances publiques et la crédibilité de la gestion économique de la zone euro, on aboutit à  la démonstration inverse. Pour sortir de cette ornière, il faudra  un renversement de la politique économique en Europe.

La difficulté de la situation actuelle trouve sa source dans le creusement des déficits publics et le gonflement des dettes publiques qui atteignent en 2012 des niveaux record. Rappelons que ces déficits et ces dettes publics ne sont pas la cause de la crise de 2008-2009 mais une conséquence. Pour interrompre la spirale récessive de 2008-2009, les gouvernements ont laissé jouer les stabilisateurs automatiques, mis en œuvre des plans de relance et de soutien au secteur financier et socialisé une partie des dettes privées qui menaçaient de déstabiliser l’ensemble de la finance mondiale. C’est cela qui a provoqué des déficits publics. C’est pour mettre un terme à la chute libre que l’on s’est résolu à la socialisation du problème.

Le retour en récession découle ainsi de la difficulté à soutenir cette socialisation des dettes privées. En effet, en zone euro, chaque pays doit faire face au financement de son déficit sans le contrôle de sa monnaie. La conséquence est immédiate : un concours de beauté des finances publiques les plus rigoureuses s’instaure entre les pays de la zone euro. Chaque agent économique européen cherche légitimement le support le plus fiable pour ses actifs et trouve le plus grand attrait aux titres de dette publique allemande. Les autres pays se trouvent dès lors menacés à plus ou moins long terme, ou immédiatement, d’une sanction directe : l’assèchement du financement par le marché. Pour attirer les capitaux, ils doivent alors accepter une hausse des taux d’intérêt et entreprendre dans l’urgence une purge de leurs finances publiques. Mais ils courent après une soutenabilité qui disparaît avec la récession, quand ils cherchent à la trouver par la restriction.

Pour les pays qui ont la maîtrise de leur politique monétaire, comme les Etats Unis ou le Royaume Uni, la situation est différente. En effet, l’épargne nationale s’expose au risque de change si elle est tentée de fuir vers d’autres pays. En outre, la banque centrale apporte la garantie de dernier ressort. L’inflation pourrait s’ensuivre, mais, quoi qu’il en soit, un défaut de paiement sur la dette publique est inenvisageable. Au contraire, dans la zone euro, cette perspective devient possible et le seul refuge à court terme est l’Allemagne, puisqu‘elle sera le dernier pays à s’écrouler. Elle s’écroulera irrémédiablement elle aussi quand tous ses partenaires se seront écroulés.

La solution à la crise de 2008-2009 a donc consisté à socialiser des dettes privées devenues insoutenables après l’éclatement des bulles spéculatives. Pour la suite, la solution consiste à résorber ces dettes désormais publiques sans engendrer la panique que l’on était parvenu à contenir à l’été 2009. Deux conditions sont nécessaires. La première est d’apporter la garantie qu’il n’y aura de défaut sur aucune dette publique, ni partiel, ni complet. Cette garantie ne peut être donnée en zone euro que par une forme de mutualisation des dettes publiques. Le dispositif annoncé par la BCE en septembre 2012, l’OMT (Outright Monetary Transaction), permet d’envisager une telle mutualisation. Il se heurte cependant à une possible contradiction. Il conditionne en effet le rachat des titres de dettes (et donc leur mutualisation par le biais du bilan de la BCE) à l’acceptation d’un plan d’assainissement des finances publiques. Or l’Espagne, qui a besoin de ce dispositif pour échapper à la pression des marchés, ne veut pas entrer à n’importe quelles conditions dans l’OMT. Relâcher la pression des marchés ne vaut que si cela autorise à sortir du cercle vicieux de l’austérité.

Car à l’impréparation des institutions européennes à une crise financière s’est ajoutée une erreur d’appréciation quant au fonctionnement des économies. Le cœur de cette erreur est l’évaluation erronée de la valeur des multiplicateurs qui permet de mesurer l’impact des politiques d’assainissement des finances publiques sur l’activité. En sous-estimant les multiplicateurs budgétaires, les gouvernements européens ont cru pouvoir rétablir rapidement et sans dommage l’équilibre de leurs finances publiques par une restriction rapide et violente. Influencés par une abondante littérature économique qui pouvait même laisser croire qu’une austérité pouvait être source de croissance, ils se sont engagés dans un programme de restriction budgétaire sans précédent.

Cependant, aujourd’hui, comme l’illustrent les spectaculaires révisions du FMI ou de la Commission européenne, les multiplicateurs budgétaires seraient bien plus importants, parce que les économies connaissent des situations de chômage involontaire prolongées. Un faisceau d’éléments empiriques converge dans ce sens, de l’analyse des erreurs de prévisions au calcul des multiplicateurs à partir des performances constatées en 2011 ou estimées en 2012 (voir les textes complets de notre prévision d’octobre 2012). Aussi estimons-nous le multiplicateur pour l’ensemble de la zone euro en 2012 à 1,6, soit une évaluation comparable à celles établies pour les Etats Unis et le Royaume Uni.

Ainsi, la seconde condition au rétablissement des finances publiques réside dans une estimation réaliste de l’effet multiplicateur. Plus le multiplicateur est élevé,  plus une restriction budgétaire a un fort effet sur les finances publiques, et, en conséquence, un faible effet sur la réduction du déficit public. C’est de cette mauvaise combinaison que résulte la débâcle par l’austérité qui compromet la perspective du retour à l’équilibre des finances publiques. L’Espagne illustre à nouveau parfaitement cette implacable logique menée jusqu’à l’absurde d’une économie où un quart de la population active est sans emploi et qui risque la désintégration politique comme sociale.

Mais l’existence d’un multiplicateur élevé indique également la marche à suivre pour sortir du cercle vicieux de l’austérité. Il faut, au lieu de chercher à réduire à court terme à n’importe quel coût le déficit public, laisser l’économie revenir dans une zone de fonctionnement où les multiplicateurs sont plus faibles en retrouvant leur configuration usuelle. Il s’agit donc de reporter l’ajustement budgétaire à un moment où le chômage sera significativement réduit pour que la restriction budgétaire puisse produire son effet.

Reporter l’ajustement à plus tard suppose que la pression des marchés soit contenue par une banque centrale qui apporte la garantie nécessaire à la dette publique. Cela suppose également que les taux d’intérêt sur cette dette publique soient les plus bas possibles pour faire participer financièrement les parties prenantes qui bénéficieront in fine de la soutenabilité des finances publiques. Cela suppose également en zone euro que la mutualisation des dettes publiques soit associée à une forme de contrôle sur la soutenabilité dans le long terme des finances publiques de chacun des Etats membres, autrement dit, d’un abandon partiel d’une souveraineté nationale devenue inopérante, au profit  d’une souveraineté supranationale, seule à même de dégager des marges de manœuvre nouvelles qui permettent de sortir de la crise.

 




La stratégie européenne de réduction rapide des déficits publics est-elle la bonne ? *

Par Eric Heyer

Dans l’absolu et au regard de la situation conjoncturelle, la réponse est clairement non ! Pourquoi ? Parce que de la même manière qu’un Plan de relance doit être mis en place lorsque la conjoncture se dégrade, pour lui venir en aide, la soutenir, une politique d’austérité doit être mise en place au moment où l’économie est sortie de la crise.

Or, tout nous laisse à penser, au regard des derniers chiffres économiques (croissance nulle au cours des trois derniers trimestres en France, hausse du chômage, …) que nous ne sommes pas encore sortis de cette crise économique et que donc la politique d’austérité arrive trop tôt, qu’elle risque de rogner le peu de croissance qui reste et que donc elle retarde de quelques années la date de sortie de crise de notre économie.

Finalement cette politique d’austérité que beaucoup considèrent comme sérieuse serait également très partielle et partiale et conduirait à un déséquilibre, à un déficit encore plus grave que le déficit public en démocratie, je veux parler d’un déficit d’emploi qui induit un chômage de masse. Nous sommes donc en droit de nous demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les dépenses publiques au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Si cette politique n’est pas adaptée, pourquoi donc le gouvernement français s’obstine-t-il  dans cette voie ? Parce qu’il n’a malheureusement pas le choix et qu’il est pris au piège des marchés financiers et de l’orthodoxie de la Commission européenne.

La stratégie adoptée par Bruxelles en 2010 impose à l’ensemble des Etats membres de revenir coûte que coûte et très rapidement à l’équilibre budgétaire. Et la France s’est engagée à respecter cette forte contrainte.

Dans ces conditions, être le seul pays à ne pas respecter son engagement aurait des conséquences dramatiques pour l’économie française qui se traduiraient en autres choses par une hausse des taux d’intérêt sur la dette publique française et rendrait notre endettement encore moins soutenable.

D’où vient alors cette obsession de Bruxelles à réclamer des plans de rigueur ? Celle-ci est nourrie par l’idée que les dépenses publiques, quelle que soit la conjoncture, sont inefficaces et qu’il faut réduire à son stricte minimum le poids de l’Etat dans l’économie.

Elle vient aussi de ce que les dettes sont vues comme la conséquence d’un laxisme budgétaire, alors qu’elles sont en réalité la conséquence de la crise. Les caisses des Etats ont en effet été fortement mises à contribution depuis 2008 : il a d’abord fallu sauver le système financier en renflouant les banques, puis on lui a demandé de soutenir l’économie parce que les défaillances de la finance avaient sapé la croissance et réduit les rentrées fiscales à peau de chagrin.

Une solution existe, elle se situe au niveau européen et cela depuis le début du déclenchement de la crise financière : en tant que puissance politique et économique, l’Union dispose des outils pour contrer les attaques des spéculateurs et empêcher que ne s’enclenche cette spirale récessive.

Ces outils sont :

  • Premièrement, une action monétaire commune, qui permettrait à la Banque centrale européenne (BCE) de racheter la dette des Etats attaqués** ;
  • Deuxièmement, une action budgétaire commune, c’est-à-dire la capacité des Etats membres à emprunter ensemble, autrement dit à la création d’eurobonds

Mais malheureusement la Constitution européenne en interdit explicitement l’usage, rendant inefficaces à terme les différentes tentatives européennes pour sortir de cette crise.

La seule solution viable passera par une révision de la constitution européenne, avec la création d’un gouvernement européen, d’eurobonds et d’un budget européen conséquent dont les ressources seraient assurées notamment par une taxe sur les transactions financières.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture

** Depuis cette chronique, la BCE s’est engagée à racheter sans limite la dette à court terme des Etats fragiles de la zone euro. Pour plus de détails sur ce programme de rachat de dette (OMT), le  lecteur pourra se référer à ce post.




Les marchés financiers, épée de Damoclès de l’élection présidentielle

par Céline Antonin

Même si certains candidats s’en défendent, le risque financier lié à la crise budgétaire en zone euro est l’invité d’honneur de la campagne présidentielle. Preuve que la question est sensible, le lancement d’un nouveau produit financier sur la dette française, mi-avril, a cristallisé les tensions. Il faut dire que le contexte est particulier : le défaut grec a montré que la faillite d’un pays de la zone euro était devenue possible. Malgré les pare-feux budgétaires mis en place depuis mai 2010 (notamment le Fonds européen de stabilité financière), certains pays voisins de la France font face à une défiance des marchés financiers, fragilisant leur capacité à tenir leurs engagements budgétaires et à assurer la soutenabilité de leur dette publique, l’exemple le plus préoccupant en date étant l’Espagne. Quels sont les instruments dont disposent les spéculateurs pour attaquer un pays comme la France et que faut-il craindre au lendemain de l’élection présidentielle ?

 

L’outil le plus utilisé pour spéculer contre la dette publique d’un pays est le swap de défaut (ou CDS, Credit Default Swap). Ce contrat procure une assurance contre un événement de crédit et notamment le défaut d’un Etat (voir en annexe “Fonctionnement technique des CDS” in fine). Seuls les investisseurs institutionnels, principalement les banques, assurances et hedge funds, ont accès directement au marché des CDS sur les Etats souverains[1].

 

Les CDS n’ont pas seulement un rôle de couverture, ils sont également un moyen privilégié de spéculation. L’une des critiques vis-à-vis des CDS vient du fait que l’acheteur de protection n’a aucune obligation de détenir une exposition crédit à l’entité de référence, autrement dit on peut acheter des CDS sans détenir l’obligation sous-jacente (achat/vente à nu). En juin 2011, le marché des CDS représentait 32 400 milliards de dollars d’encours notionnel. Devant l’ampleur de ces chiffres, l’Union européenne a finalement adopté un règlement portant sur l’encadrement des ventes à découvert : il interdit notamment les CDS à nu sur la dette souveraine des Etats européens, mais ne sera applicable qu’à partir du 1er novembre 2012.

 

Le FOAT, nouvel instrument de spéculation sur la dette française ?

Ce nouvel instrument financier, mis en place le 16 avril par Eurex[2], est un contrat futures, c’est-à-dire un accord entre deux parties pour acheter ou vendre un actif spécifique à une date future et à un prix fixé à l’avance. L’actif spécifique est en l’occurrence une obligation assimilable du Trésor français (OAT), de maturité restante longue (comprise entre 8,5 et 10,5 années), avec un coupon de 6 % et pour un montant nominal de 100 000 euros. Doit-on s’inquiéter du lancement de ce nouveau contrat, à la veille de l’élection présidentielle ? Non si l’on considère que le lancement du FOAT répond au décrochage entre taux obligataires allemands et français, intervenu depuis la récente dégradation de la note souveraine française : auparavant, les taux obligataires allemands et français étant étroitement corrélés, le FOAT sur les obligations allemandes permettait une couverture du risque sur les obligations allemandes et françaises. A la suite du creusement de l’écart de taux entre les deux pays, Eurex a décidé de créer un contrat futures spécifique pour les obligations françaises. Le même phénomène s’est produit pour l’Italie : depuis septembre 2009, l’Eurex a également lancé trois contrats futures sur les titres de dette obligataire italienne[3]. En outre, l’Eurex est un marché organisé privé de droit allemand, beaucoup plus transparent que le marché de gré à gré sur lequel s’échangent les CDS. Notons que le lancement du FOAT n’a pas connu beaucoup de succès : le jour de son lancement, il s’est échangé seulement 2 581 contrats futures sur les obligations françaises, contre 1 242 000 sur les obligations allemandes et 13 671 sur les obligations italiennes[4].

Même si, comme pour les CDS, la fonction première du FOAT est la couverture contre le risque, il peut également devenir un instrument de spéculation, notamment via les ventes à découvert. Alors que la spéculation sur la dette française était réservée aux gros investisseurs, avec un montant notionnel moyen de 15 milliards d’euros par CDS[5], le montant notionnel du nouveau contrat FOAT est de 100 000 euros, ce qui drainera davantage d’investisseurs sur le marché de la dette française. Si les spéculateurs parient sur une dégradation de la soutenabilité des finances publiques, alors le prix des contrats futures sur les OAT baissera, ce qui amplifiera les mouvements de marché et provoquera la hausse des taux sur les contrats OAT.

Des lendemains qui déchantent ?

Il est difficile de prévoir l’attitude des marchés financiers au lendemain des résultats des élections présidentielles françaises. L’étude de ce qui se passe dans d’autres pays de la zone euro nous renseigne peu, en raison des situations spécifiques dans chacun d’entre eux. Le pays le plus « comparable » à la France serait sans doute l’Italie. Or, la nomination de Mario Monti en novembre 2011 s’inscrivait dans un contexte particulier, où la constitution d’un gouvernement technique avait précisément pour but de restaurer la confiance des marchés en réduisant le déficit à marches forcées, l’Italie bénéficiant également de la politique accommodante de la BCE. La configuration budgétaire française est différente, l’impératif financier n’apparaissant qu’au second plan. Les candidats des deux grands partis mettent néanmoins en avant la nécessité de revenir à l’équilibre budgétaire. Le calendrier diffère (2016 pour l’UMP, 2017 pour le PS), ainsi que les moyens d’y parvenir : pour Nicolas Sarkozy, les efforts budgétaires porteront davantage sur une modération des dépenses publiques (0,4 % par an entre 2013 et 2016, contre 1,1 % pour le PS), alors que François Hollande met l’accent sur la hausse des recettes, avec une augmentation du taux de prélèvements obligatoires de 1,8 % entre 2012 et 2017 (contre 1 % pour l’UMP).

Mais l’essentiel n’est pas là. Ce qui frappe, au-delà de l’impératif de réduction des déficits publics dans les pays de la zone euro, c’est le fait que nos destins soient inextricablement liés. Comme le montre le graphique d’évolution des taux d’intérêt obligataires en zone euro (graphique 2), lorsque la zone euro est affaiblie, c’est l’ensemble des pays qui en subissent les conséquences sur leur prime de risque par rapport aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, bien qu’à des degrés divers. Il est donc irréaliste de penser la stratégie budgétaire et la stratégie de croissance française en dehors du cadre européen. Ce qui empêchera les marchés financiers de spéculer sur la dette d’un pays, c’est la constitution d’une Europe budgétaire forte et dotée de règles strictes, assistée d’une politique monétaire active. Cette construction est en marche mais elle est loin d’être aboutie : le FESF n’a pas une force de frappe suffisante pour aider les pays en difficulté, la stratégie de croissance à l’échelle européenne, décidée au sommet du 2 mars 2012, demande à être approfondie, et la BCE doit mener une politique active, à l’instar de la Fed, ce qui exige notamment une révision de ses statuts. Comme l’a rappelé l’agence Standard and Poor’s lorsqu’elle a annoncé la dégradation de la note française en décembre dernier, c’est avant tout la cohésion budgétaire en zone euro qui sera regardée de près par les marchés financiers. Le 6 mai 2012, ce sera donc davantage l’attitude du prochain Président vis-à-vis de cette construction budgétaire et sa capacité à faire valoir sa position au sein de la zone euro qui détermineront l’attitude future des marchés financiers, non seulement vis-à-vis de la France, mais également vis-à-vis de chacun des pays de la zone euro.


Annexe : Fonctionnement technique des CDS

L’acheteur du contrat acquiert le droit de vendre une obligation de référence à sa valeur nominale (qualifiée de « principal ») en cas d’événement de crédit. L’acheteur du CDS paie au vendeur des montants convenus, à intervalles réguliers, jusqu’à l’échéance du CDS, ou à la survenance de l’événement de crédit. Le swap est alors dénoué, soit par livraison du sous-jacent, soit en cash. Si les termes du contrat prévoient un règlement physique, l’acheteur du CDS livre les obligations au vendeur en échange de leur valeur nominale. Si le CDS est dénoué en cash, le vendeur du CDS rembourse à l’acheteur la différence entre le montant nominal des obligations de l’acheteur et le montant des obligations cotées à la suite de l’événement de crédit (valeur de recouvrement), sachant que dans ce cas, l’acheteur du CDS conserve ses obligations décotées. Dans la plupart des cas, la valeur de recouvrement est déterminée officiellement par un processus d’enchère organisé par l’ISDA (International Swaps and Derivatives Association). La prime annuelle que versera la banque à la compagnie d’assurance pour avoir le droit à une couverture s’appelle le spread du CDS et constitue la valeur cotée sur le marché : plus le risque de défaut est élevé, plus le spread des CDS augmente (graphique 1). En réalité, les banques étant à la fois des acheteurs et des vendeurs de protection, le spread est généralement présenté comme une fourchette : une banque peut proposer une fourchette 90-100 points de base sur le risque de défaut de la France. Elle est donc prête à acheter une protection contre le risque de défaut en payant 90 points de base sur le principal, mais elle en exige 100 pour fournir cette protection.

A titre d’illustration, on peut considérer l’exemple suivant. Le 7 mai 2012, une banque (acheteuse) signe un CDS sur un principal de 10 millions d’euros pour 5 ans avec une compagnie d’assurance (vendeuse). La banque s’engage à payer 90 points de base (spread) pour se protéger contre le défaut de l’Etat français. Si la France ne fait pas défaut, la banque ne recevra rien à l’échéance, mais paiera chaque année 90 000 euros chaque 7 mai des années 2012 à 2017. Supposons qu’un événement de crédit survienne le 1er octobre 2015. Si le contrat spécifie la livraison du sous-jacent, l’acheteur a le droit de livrer ses 10 millions d’euros de nominal d’obligations françaises et recevra en échange 10 millions d’euros en cash. S’il est prévu un dénouement en cash, et si les obligations françaises ne sont plus cotées qu’à 40 euros, alors la compagnie d’assurance versera 10 000 000-4 000 000 = 6 millions d’euros à la banque.



[1] Les particuliers pouvent jouer sur les marchés de CDS d’entreprise via les trackers (placements collectifs en valeurs mobilières qui répliquent la performance d’un indice boursier).

[2] L’Eurex a été créé en 1997 par la fusion du marché à terme allemand, la Deutsche Termin-Börse (DTB), et le marché à terme de Zurich, le Swiss Options and Financial Futures Exchange (SOFFEX), entre autres pour concurrencer le LIFFE. Il appartient à Deutsche Börse et domine le marché des contrats de taux à long terme.

[3] En septembre 2009 pour les obligations à maturité restante longue (8,5 à 11 ans), octobre 2010 pour les obligations à maturité restante courte (2 à 3,25 ans) et juillet 2011 pour les obligations à maturité restante moyenne (4,5 à 6 ans).

[4] Notons que cette comparaison est biaisée du fait qu’il existe 4 contrats futures sur la dette allemande, 3 sur la dette italienne, et seulement 1 sur la dette française.

[5] Données hebdomadaires fournies par la DTCC pour la semaine du  9 au 13 avril 2012 sur les CDS souverains sur la dette française : le notionnel brut atteint 1 435 milliards de dollars et 6822 contrats ont été échangés.

 




Banques européennes : vers une sortie de la zone de turbulences ?

par Vincent Touzé

La crise de 2008 a failli mettre en péril le système financier mondial. Grâce au soutien des gouvernements et des banques centrales, le secteur bancaire s’est rétabli et affiche de nouveau une apparente solidité financière. Contrecoup de la crise, les finances publiques des pays du Sud de la zone euro – Portugal, Italie, Espagne et Grèce – et de l’Irlande (PSZEI) sont, à leur tour, lourdement fragilisées. La Grèce a été contrainte à la cessation de paiement et un risque de défaut pèse toujours sur les autres. Depuis début 2011, les engagements bancaires dans ces économies sont devenus une source importante d’inquiétude pour les marchés financiers. Malgré de bons stress-tests, cette crainte s’est intensifiée en août 2011. Les banques européennes sont alors entrées dans une nouvelle phase de tourmente et la banque centrale européenne a été contrainte de leurs prêter plus de 1000 milliards d’euros pendant 3 ans au taux de 1% afin d’éviter un credit crunch majeur.

Les banques européennes sont engagées, au titre de leurs investissements à l’étranger et via leurs succursales étrangères, auprès des PSZEI à travers des prêts accordés au secteur bancaire, au secteur public (dettes souveraines et crédits) ainsi qu’aux ménages et aux entreprises privées non bancaires. La France est l’un des pays les plus exposés aux PSZEI (secteurs public et privé confondus) avec un engagement total de son système bancaire d’environ 437 milliards d’euros (voir tableau), soit 21,9% de son PIB, au troisième trimestre 2011. Avec environ 322 milliards d’euros (12,5% du PIB), l’engagement de l’Allemagne est moindre. L’exposition du système bancaire du Royaume-Uni est comparable et elle est évaluée à 230 milliards d’euros, soit 13,3% du PIB. En comparaison, les banques japonaises et américaines détiennent peu de créances : 59 milliards d’euros (1,4% du PIB) pour le Japon et 96 milliards d’euros (0,9% du PIB) pour les Etats-Unis. Avec la crise financière, les banques européennes se sont désengagées de ces  économies (1). D’après les statistiques de la Banque des règlements internationaux (graphique 1), la réduction des expositions est la plus marquée en Grèce (-55% depuis le 1er trimestre 2007) et la plus faible au Portugal (-15%). Les désengagements des économies espagnole (-29%), italienne (-33%) et irlandaise (-39%) sont comparables et se situent à un niveau intermédiaire par rapport aux deux précédents.

En cas de faillite d’une banque, des fonds de garantie peuvent être mobilisés mais généralement leurs provisions sont insuffisantes pour soutenir une « grosse » banque en difficulté. Selon le principe « too big to fail », l’Etat doit intervenir pour éviter une faillite. Ses modalités d’action consistent à entrer dans le capital de la banque, à la nationaliser en la renflouant ou à faciliter son refinancement à long terme en achetant des obligations. Une faillite bancaire doit être évitée à tout prix car elle est souvent accompagnée d’effets de panique dont les dommages collatéraux sont difficiles à anticiper et à contenir. Souvent, le simple fait qu’un Etat annonce un soutien crédible à une banque ou au système bancaire suffit à éviter la panique. Si les Etats devaient venir à la rescousse des banques en cas de défaut grec, l’enjeu macroéconomique d’un défaut de 50% de l’ensemble des créances privées et publiques semble assez faible puisque cela nécessiterait, pour le cas de la France par exemple, une prise en charge d’environ 17 milliards d’euros, soit un montant bien inférieur à 1% du PIB (voir tableau). Par contre, un défaut de l’ensemble des PSZEI de 50% nécessiterait un soutien français de 220 milliards (11% du PIB français). Ex ante, le coût macroéconomique paraît élevé mais il n’est pas insurmontable. Malencontreusement, un défaut non maîtrisé d’un ou plusieurs PSZEI entrainerait un mécanisme en chaîne incontrôlable dont le coût macroéconomique global pourrait être considérable.

Cette crise financière frappe également les compagnies d’assurance-vie et elle intervient dans une période de réforme de la réglementation prudentielle. Le secteur bancaire achève de satisfaire à Bâle II et va devoir adopter progressivement (jusqu’en 2019) Bâle III (2) tandis que le secteur de l’assurance est en pleine mutation vers Solvency II (3). Ces deux réformes de la réglementation conduisent à un besoin accru de fonds propres alors que la crise financière fragilise les bilans et accroît les tensions sur les ratios de solvabilité. Les fonds propres permettent de résister aux crises financières mais en même temps la réglementation peut contraindre à des recapitalisations dans des conditions de refinancement très tendues. C’est un effet pro-cyclique indésirable de la réglementation prudentielle.

Le risque d’un défaut de paiement de certains PSZEI a rendu les analystes financiers particulièrement vigilants sur la solvabilité et la rentabilité des banques européennes. Pourtant, le bilan des tests de résistance(4)  (stress tests) sur les banques européennes publié mi-juillet 2011 a été jugé bon. Les hypothèses utilisées sont loin d’être optimistes. Dans la zone euro (resp. dans les autres pays), elles envisagent une baisse du taux de croissance de 2 points (resp. 2,4 points) en 2011 et 2 points (resp. 1,9 points) en 2012 par rapport à un scénario de référence. Dans la zone euro, cette entrée dans la récession (-0.5% en 2011 puis -0.2% en 2012) s’accompagne d’une hausse du taux de chômage (+0,3 point en 2011 et +1,2 point en 2012), d’une baisse du taux d’inflation (-0,5 point en 2011 puis -1,1 point en 2012), d’une forte baisse des prix de l’immobilier, d’une hausse des taux à long terme ainsi que des décotes sur les dettes souveraines (5) pouvant aller jusqu’à 30%. L’objectif de ce scénario « stressé » est de tester la capacité de résistance des banques pour maintenir un ratio « Core Tier 1 » supérieur à 5% (6). Sous ces hypothèses extrêmes, seulement 8,9% des 90 banques testées obtiennent un ratio inférieur au seuil de 5%, ce qui nécessite de facto une recapitalisation pour respecter cette cible (7). Les quatre banques françaises ont réussi sans difficulté les stress tests puisqu’elles conservent un ratio élevé : 6,6% pour la Société Générale, 6,8% pour le groupe Banque populaire-Caisse d’épargne, 7,9% pour BNP Paribas et 8,5% pour le Crédit Agricole. Les pays où des échecs sont observés sont : l’Autriche (1 banque), l’Espagne (5 échecs) et la Grèce (2 échecs). Au regard des stress tests, le système bancaire européen peut donc être jugé comme apte à résister à une crise économique d’envergure.

A la suite du deuxième plan d’aide à la Grèce du 21 juillet 2011, aux tensions persistantes sur les autres dettes souveraines, une inquiétude s’est emparée des marchés boursiers et les valeurs bancaires européennes ont fortement chuté d’août à décembre 2011 (graphique 2). Ces évolutions boursières observées ont été en complète contradiction avec les bons résultats des stress tests. Il y a trois interprétations possibles pour expliquer la réaction des marchés financiers :
–    La crise réelle serait plus forte que les hypothèses des stress tests ;
–    Les méthodes de stress tests seraient insuffisantes pour estimer les conséquences d’une crise ;
–    Les marchés s’emballeraient aux moindres rumeurs et seraient déconnectés des fondamentaux.
Pour l’instant au regard des prévisions les plus pessimistes, il ne semble pas que les hypothèses de stress test soient particulièrement favorables. Cependant, les ceux-ci ont des faiblesses pour évaluer les crises financières systémiques dans la mesure où chaque banque n’intègre pas dans son évaluation les dégradations induites par l’application de ce scénario aux autres banques et les conséquences sur le marché du crédit. Il n’y a pas de bouclage des interconnections financières. De plus, la crise économique peut augmenter fortement les taux de défaut des entreprises privées. Ce point pourrait avoir été sous-estimé par les tests de résistance. Il faut également noter que les tests sont réalisés à un niveau interne, ce qui peut aussi conduire à des appréciations différentes des conséquences de certains scénarios. Par ailleurs, les stress tests évaluent la solidité financière des banques, mais de facto, une banque, bien que solvable, peut voir son cours chuter en période de crise pour la simple raison que sa rentabilité anticipée baisse. Enfin et surtout, l’emballement des marchés financiers est attribuable au manque de consensus dans les décisions dans l’Union européenne pour trouver une solution définitive à la crise des dettes souveraines mais également au fait que les statuts de la Banque centrale européenne lui interdisent de participer aux émissions de dette publique. Ces incertitudes renforcent la volatilité du cours boursier des banques particulièrement exposées aux PSZEI, comme en témoigne la forte corrélation entre les CDS sur les banques privées et sur les dettes souveraines dans la zone euro (8).

Avec l’amorce d’une solution sur la dette grecque, une remontée des cours des banques européennes s’observe à partir janvier 2012. On peut espérer que l’accord sur la dette souveraine grecque du 21 février 2012 calmera la tempête qui frappe les marchés obligataires. L’opération vise à ce que les investisseurs privés acceptent de renoncer à 107 des 206 milliards d’euros de dette publique qu’ils détiennent et que les Etats de la zone euro consentent un nouveau prêt de 130 milliards. L’accord conclu est une opération d’échange de dette. Les anciennes obligations sont échangées contre des nouvelles avec une décote de 53,5% de la valeur faciale (9) et un nouveau taux d’intérêt contractuel. Cette décote n’est pas une surprise pour les banques qui ont déjà provisionné les pertes. L’opération est un franc succès (10) puisque 83% des titres ont été volontairement proposés à l’échange le 9 mars (11). La participation est portée à plus de 95% en procédant à un échange obligatoire auprès des créanciers n’ayant pas répondu positivement à l’opération (clauses d’action collective engagées pour les créances de droit grec). A l’issue de cet échange, les Etats européens, le FMI, la BCE détiendront « plus des trois-quarts de la dette grecque »(12), ce qui signifie qu’une nouvelle crise de la dette souveraine grecque impactera peu les investisseurs privés. Une nouvelle source d’incertitude provient des CDS qui ont été souscrits à des fins de couverture ou de spéculation (achat à nu). Dans un premier temps, l’International Swaps and Derivatives Association(ISDA) (13)  avait annoncé, le 1er mars, que cet échange n’était pas « un événement de crédit ». Le 9 mars, elle a révisé son jugement (14). Désormais, l’ISDA considère que les clauses d’action collective forcent les détenteurs à accepter l’échange, ce qui constitue un évènement de crédit. Le défaut de paiement de la Grèce est reconnu sur un plan juridique et les CDS sont donc activés. D’après l’ISDA, l’exposition nette des CDS sur la Grèce s’élèverait à seulement 3,2 milliards de dollars. Pour estimer le coût global des CDS pour le secteur financier, il faut soustraire à ce montant la valeur résiduelle des obligations. Compte-tenu de l’incapacité de la Grèce à renouer avec la croissance, la soutenabilité de sa dette restante n’est pas assurée et les risques de contagion persistent. En tout état de cause, les dettes publiques des pays du Sud de la zone euro et de l’Irlande sont dorénavant considérées comme des actifs à risque, ce qui constitue un facteur de fragilisation du secteur bancaire européen. A ce titre, la récente remontée des taux sur les dettes publiques italienne et espagnole a provoqué, depuis fin mars, une baisse des valeurs boursières des banques européennes (graphique 2).

Cette crise financière fragilise le secteur bancaire de la zone euro qui peut être enclin à réduire ses expositions aux risques : un crédit crunch majeur est donc à craindre. La dernière enquête réalisée par la BCE, du 9 décembre 2011 au 9 janvier 2012, auprès des banques (15) sur les conditions d’attribution de crédit n’est pas très rassurante. Un durcissement des conditions est envisagé par 35% (contre 16% le trimestre précédent) des banques pour les crédits aux entreprises et par 29% (contre 18% le trimestre précédent) des banques pour les crédits immobiliers aux ménages. Face à une telle perspective, la BCE a procédé, le 21 décembre 2011, à une opération de refinancement à long terme (long term refinancing operation). Cette opération a remporté un large succès puisque 489 milliards d’euros de crédits ont été accordés au secteur bancaire. L’argent est prêté à 1% pour une durée de 3 ans. Même si les effets de cette mesure sont encore difficiles à apprécier, le président de la BCE, Mario Draghi a annoncé, en février, que cet apport de liquidité avait, de toute évidence, évité un credit crunch majeur. Le 29 février 2012, la BCE a lancé un deuxième plan de refinancement à long terme (16). La souscription a été très importante puisque 530 milliards d’euros ont été prêtés. Il est donc permis de penser que le credit crunch sera évité.

En conclusion, la sortie du secteur bancaire de la zone de turbulence repose sur quatre éléments clés :
i)    Seul un retour durable de la croissance dans l’ensemble de la zone euro est en mesure de consolider les finances publiques et réduire le nombre de faillites d’entreprises (17), ce qui diminuera de facto l’exposition des banques au risque de défaut, à charge pour les gouvernements européens et la BCE d’identifier et de mettre en place le « bon » policy-mix ainsi que les mesures structurelles adéquates.
ii)    L’Etat grec est en cessation de paiement, il ne faut pas que cette faillite des finances publiques s’étendent aux autres économies, car la crise bancaire est aussi un test de la solidité de la solidarité financière dans la zone euro, et il reste notamment à savoir si les Allemands seront plus enclins à soutenir l’Espagne ou l’Italie en cas de risque de défaut qu’ils ne l’ont été avec la Grèce.
iii)    La crise bancaire met vraisemblablement en avant des effets pro-cycliques de la réglementation prudentielle qui mériteraient d’être corrigés.
iv)    Les marges de manœuvre des gouvernements comme soutien de premier secours sont devenues très limitées en raison de leur endettement massif. En cas de nouveau choc majeur, la BCE pourrait n’avoir d’autre choix que d’être le prêteur en dernier ressort.

__________

[1] Il est à noter que la dépréciation financière (moins-value) de la valeur au bilan des actifs détenus dans les PSZEI implique une réduction automatique de l’exposition dans ces économies.

[2] http://www.bis.org/speeches/sp100921_fr.pdf

[3] http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/background_fr.htm.

[4] European Banking Authority, 2011, http://stress-test.eba.europa.eu/pdf/EBA_ST_2011_Summary_Report_v6.pdf.

[5] European Banking Authority (2011), Methodogical Note – Additional guidance, June 2011.

[6] Le niveau minimal prudentiel exigé par Bâle II concernant le ratio « Core Tier 1 » est de seulement 2% et il augmente à 4,5% avec Bâle III (application en 2013). Ce ratio mesure la proportion des actifs pondérés du risque couverts par les fonds propres.

[7] Pour une banque dont le ratio tombe à x%, les besoins en recapitalisation correspondent à (5%-x)/x % des fonds propres après choc. Ainsi si x=4%, le besoin de recapitalisation correspond à 25% des fonds propres.

[8] « La corrélation entre taux d’intérêt sur les dettes publiques et sur les dettes privées va rendre difficile la résolution des crises des dettes souveraines dans la zone euro », Flash marchés, Natixis, 14 mars 2011 – N° 195, http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=57160.

[9] Par exemple, chaque ancienne obligation de valeur faciale 100 euros est échangée contre une nouvelle de 46,5 euros. Le FESF se porte garant sur 15 euros et l’Etat grec sur 31,5 euros.

[10] http://www.minfin.gr/portal/en/resource/contentObject/id/baba4f3e-da88-491c-9c61-ce1fd030edf6.

[11] En raison de détenteurs de dettes publiques non soumises au droit grec qui refusent de participer à l’opération, l’échéance du 9 mars (voir http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL6E8F54OO20120405) a été repoussée au 4 avril puis au 20 avril. L’Etat grec considère que ces refus d’échange ne sont pas en mesure de faire échouer l’opération car avec les clauses d’action collective, la participation volontaire ou contrainte passe à 95,7%. Face à ces investisseurs, l’Etat grec a le choix entre attendre encore un peu, respecter ses engagements contractuels (maintien du remboursement du nominal et des échéances d’intérêt initialement prévus), faire une nouvelle offre d’échange (mais il faut qu’elle soit équitable vis-à-vis de ceux qui ont déjà accepté la précédente) ou faire défaut avec d’éventuels risques de poursuite devant la justice internationale.

[12] Olivier Garnier, « Comprendre l’échange de dette publique grecque », Le Webzine de l’actionnaire – Analyses, Société Générale, 13 mars 2012, http://www.societegenerale.com/actiorama/comprendre-l%E2%80%99echange-de-dette-publique-grecque.

[13] http://www.isda.org/dc/docs/EMEA_Determinations_Committee_Decision_01032012Q2.pdf.

[14] http://www2.isda.org/greek-sovereign-cds/

[15] The Euro Area Bank Lending Survey, 1er février 2012, http://www.ecb.int/stats/pdf/blssurvey_201201.pdf.

[16] http://www.ecb.int/press/pr/date/2011/html/pr111208_1.en.html.

[17] « Les entreprises après la crise », Colloque Banque de France, 28 juin 2011, http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de%20la-Banque-de-France/Bulletin-de-la-Banque-de-France-etude-185-2.pdf

 




A quels nouveaux plans de rigueur européens doit-on s’attendre en 2012 ?

par Eric Heyer

Afin de respecter les engagements français vis-à-vis de Bruxelles d’un déficit des APU de 4,5 % du PIB en 2012, le Premier ministre français, François Fillon, vient d’annoncer un nouveau plan de restriction budgétaire de 7 milliards d’euros. Ce plan, annoncé le 7 novembre, sera-t-il suffisant ? Certainement pas ! Alors à quels nouveaux plans de rigueur doit-on s’attendre dans les mois à venir et quelle incidence auront-ils sur la croissance en 2012 ?

Début octobre 2011, nous indiquions dans notre dossier de prévisions , entre autres choses, qu’à projets de lois de finance connus et votés, aucun grands pays européens ne respecterait ses engagements de réduction de déficit.

Cela sera notamment le cas pour l’Italie et le Royaume-Uni qui pourraient être confrontés à un écart compris entre 1,5 et 2 points entre le déficit public final et leur engagement. Dans le cas de la France et de l’Espagne, l’écart serait respectivement de 0,6 et 0,7 point. Seule l’Allemagne serait très proche de ses engagements (tableau 2).

Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît probable : dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette.

Cela nécessitera alors l’adoption de nouveaux plans d’austérité dans les mois à venir. Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité. En effet, comme nous l’avons signalé dans une étude récente , la mise en place dans un contexte de basse conjoncture de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » concourt à la formation d’un multiplicateur fort, proche de l’unité.

A combien de milliards d’euros s’élèveront les prochains plans d’économies budgétaires ? Quelles incidences auront-ils sur la croissance économique ? Plusieurs cas de figure ont été étudiés.

Cas n°1 : Chacun des pays respecte seul son engagement
De manière à isoler l’impact sur la croissance du plan d’économies national et de ceux des partenaires, nous avons supposé que chaque pays respecte, seul, son engagement. Sous cette hypothèse, l’effort serait considérable en Italie et au Royaume-Uni qui présenteraient de nouveaux plans de rigueur de respectivement 3,5 et 2,8 points de leur PIB (soit 56 et 48,7 milliards d’euros). La France et l’Espagne devraient mettre en œuvre un plan de rigueur deux à trois fois inférieur, d’environ 1,2 point de PIB, représentant respectivement 27 et 12,1 milliards d’euros. Enfin le plan d’économies allemand serait le plus faible, avec 0,3 point de PIB (7 milliards d’euros) (tableau 1).

Ces différents plans de rigueur nationaux, pris isolément, auraient un impact non négligeable sur la croissance des pays étudiés. A l’exception de l’Allemagne qui continuerait à avoir une croissance positive en 2012 (0,9 %), une telle stratégie plongerait les autres économies dans une nouvelle récession en 2012, avec un recul de leur PIB allant de -0,1 % pour l’Espagne à -2,9 % pour l’Italie. La France connaîtrait une baisse de son activité de -0,5 % et l’économie britannique de -1,9 %( tableau 2).

Cas n°2 : Tous les pays de l’Union européenne respectent leur engagement

Bien entendu, si l’ensemble des grands pays européens venaient à adopter la même stratégie en même temps, alors l’effort d’économie serait supérieur. Il s’élèverait à près de 64 milliards d’euros en Italie et de 55 milliards d’euros au Royaume-Uni, représentant respectivement 4 et 3,2 points de PIB. Cet effort supplémentaire serait d’environ 2,0 points de PIB pour la France et l’Espagne (respectivement 39,8 et 19,6 milliards d’euros) et de 0,9 point de PIB pour l’Allemagne (22,3 milliards d’euros). Au total sur ces 5 pays étudiés, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 200 milliards d’euros en 2012.

Le choc sur l’activité de ces pays serait alors puissant : il provoquerait en 2012 une récession violente pour certains pays avec une baisse du PIB de 3,9 % en Italie (contre -5,1 % en 2009), de 2,6 % au Royaume-Uni (contre -4,9 % en 2009). La récession serait proche en France (-1,7 %) et en Espagne (-1,5 %) alors que le PIB allemand baisserait légèrement (-0,3 %).

Cas n°3 : Seuls les pays de la zone euro respectent leur engagement

Le Royaume-Uni ayant déjà mis en place un plan de rigueur important, et compte tenu du fait que leur contrainte en termes de déficit est plus souple que celle des pays de la zone euro, nous avons supposé que seuls les grands pays de la zone euro respectaient leurs engagements de déficit public. Dans ces conditions, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 130 milliards d’euros en 2012 dont près de la moitié serait du seul fait de l’Italie (61,7 milliards).

Le choc récessif serait alors concentré sur la zone euro avec une récession dans tous les pays étudiés à l’exception de l’Allemagne (0,1 %). L’économie britannique éviterait un nouvel épisode récessif (0,5 %) mais elle ne remplirait pas son objectif de déficit public fixé à 6,5 points de PIB, puisque ce dernier s’établirait à 8,2 points de PIB.




Le Sommet du G20 de Cannes : chronique d’une déception annoncée ?

par Jérôme Creel et Francesco Saraceno

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Trop longue, trop technique, la déclaration finale d’action collective du Sommet du G20 à Cannes montre qu’aucune vision claire et partagée des turbulences économiques et financières qui secouent l’économie mondiale ne s’est dégagée lors du Sommet. Et Sénèque de nous rappeler que la déception aurait été moins pénible si l’on ne s’était pas d’avance promis le succès.

Après les annonces officielles, la déception était palpable à l’issue d’un sommet du G20 au cours duquel aucune avancée significative n’a été réalisée pour les dossiers les plus importants du moment, la relance de la croissance notamment. Les questions agricoles et financières, cruciales elles aussi, n’ont donné lieu qu’à des déclarations d’intention, avec le rappel pour ces dernières des engagements pris… en 2008 ! Cette déception doit être cependant relativisée car le G20 est principalement une instance de discussion plutôt que de décision. Que reste-t-il en effet des engagements pris par le G20 de Londres d’avril 2009 en pleine récession mondiale ? Les politiques budgétaires expansionnistes ? Oubliées, sous l’effet de l’endettement public qu’elles ont produit, endettement qui, soit dit en passant, était parfaitement prévisible. La régulation financière renforcée ? Ressassée, mais point encore mise en œuvre, malgré la détermination affichée à Paris les 14 et 15 octobre 2011. La volonté d’échapper au protectionnisme ? A peine mentionnée, elle n’aura d’ailleurs pas empêché la constitution de 36 cas de différends commerciaux portés auprès de l’OMC, dont 14 impliquant la Chine, l’UE et/ou les Etats-Unis. Il ne reste plus que les politiques monétaires, « expansionnistes aussi longtemps que nécessaire » dans les déclarations préalables au Sommet. Le sort du système monétaire international ne dépend-il que du bon vouloir des banquiers centraux, indépendants de surcroît ?

La réunion a en outre été perturbée par la crise qui secoue la zone euro, qui a quasiment effacé de l’agenda des dossiers importants comme cette réapparition du protectionnisme, reléguée aux paragraphes 65 à 68 d’un document en comportant 95. A Cannes les pays émergents et les Etats-Unis ont été spectateurs d’un drame qui se déroulait entre Paris, Berlin, Rome et Athènes.

Cette crise qui secoue la zone euro découle de l’hétérogénéité des pays qui la constituent, comme la crise financière déclenchée en 2007 fut causée, outre l’absence de réglementation financière, par l’hétérogénéité croissante entre pays mercantiles et pays supposés être les eldorados de l’investissement, d’un côté la Chine et l’Allemagne, de l’autre, les Etats-Unis et l’Irlande. L’hétérogénéité européenne, l’une des quatre déficiences de la zone euro, a conduit les pays disposant d’un excédent de leur balance des comptes courants à financer les pays en situation de déficit. Seule et avec la priorité donnée à la lutte contre l’inflation que le Traité de l’UE lui a imposée, la BCE est impuissante à renforcer la convergence au sein de la zone euro. Cependant, à court terme elle peut mettre fin à la crise de l’euro en acceptant d’apporter une garantie intégrale sur les dettes publiques de la zone euro (voir [1], [2] ou [3]), et en augmentant sensiblement ses acquisitions de titres de dette publique européenne. Ceci préserverait la stabilité financière européenne et engendrerait peut-être des anticipations inflationnistes, contribuant ainsi à sortir l’économie européenne de la trappe à liquidité dans laquelle elle se trouve depuis le début de la crise financière. Notons que malgré son activisme, la Réserve fédérale américaine n’a pas jusque-là réussi à engendrer de telles anticipations et reste engluée dans une même trappe à liquidités.

A plus longue échéance, il convient de revoir la gouvernance économique européenne. L’usage actif des politiques économiques aux Etats-Unis et en Chine contraste avec la prudence affichée par la BCE et avec les réticences européennes à mener des politiques budgétaires expansionnistes, et plus généralement avec le choix de bâtir la gouvernance économique européenne sur le refus des politiques discrétionnaires. Ainsi serait-il souhaitable que, tout en préservant son indépendance, la BCE puisse poursuivre un double mandat d’inflation et de croissance, et que les règles qui disciplinent la politique budgétaire soient plus « intelligentes » et flexibles.

Donner aux autorités de politique économique la possibilité de mener des politiques discrétionnaires ne doit pas faire oublier le risque de manque de concertation, qui peut amener le Congrès américain à menacer unilatéralement de taxes compensatoires les marchandises importées de pays dont la monnaie serait sous-évaluée. Une telle volonté fait resurgir le spectre du protectionnisme, et les pays du G20 devraient envisager un mécanisme pour coordonner les politiques, et éviter ainsi des guerres commerciales plus ou moins explicitement déclarées.

En outre, une guerre des monnaies ne semble pas une façon efficace de protéger nos économies : la sous- ou surévaluation d’une monnaie est un concept complexe à appliquer, et l’incidence de la valeur d’une devise sur les exportations et importations est rendue très incertaine par la fragmentation internationale de la production de marchandises et de services. A une politique défensive, il vaut donc sans aucun doute mieux substituer une politique industrielle active, permettant de tirer profit de nouvelles niches technologiques créatrices d’activités et d’emplois.

Au final, pour que les mots aient un sens concret – pour « engendrer la confiance et la croissance » dans les économies avancées et « soutenir la croissance en contenant les pressions inflationnistes » dans les économies émergentes (Communiqué du G20, Paris, 14-15 octobre 2011) -, il faut remettre en cause la « contagion des contractions budgétaires » qui secoue aujourd’hui la zone euro et, plutôt qu’une phase supplémentaire de rigueur, mettre à l’ordre du jour des plans de relance dans les économies avancées pendant que les taux d’intérêt sont encore bas. Ces plans doivent être ciblés pour engendrer de la croissance et ne pas mettre en péril la solvabilité des finances publiques : il faut donc favoriser les investissements publics. Ils doivent être coordonnés entre eux pour en maximiser l’impact global, mais aussi avec l’action des banques centrales, afin que celles-ci les accompagnent par le maintien de taux d’intérêt bas. Le Sommet de novembre 2011 arrivait à point nommé pour qu’une telle concertation émerge. Il n’en fut malheureusement rien.