France : ajustements graduels (prévisions)

Ce texte résume les prévisions 2014-2015 pour l’économie française

par Éric Heyer, Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Hervé Péléraux

 En 2013, l’économie française a connu une croissance de 0,3 % en moyenne annuelle, ce qui lui a permis de retrouver en fin d’année le niveau de production atteint six ans plus tôt, début 2008. Entre 2008 et le début de 2011, l’économie française a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. Au premier trimestre 2011, le PIB français avait même quasiment retrouvé son niveau d’avant-crise et n’accusait que très peu de retard vis-à-vis de l’Allemagne et des États-Unis. La donne a en revanche changé à partir du deuxième trimestre 2011 avec les premiers effets de la politique de rigueur, mise en place en 2010. La dynamique de reprise qui s’était enclenchée après la récession s’est donc interrompue : le PIB de la France a alors connu une croissance annuelle positive certes mais proche de zéro jusqu’en 2013. Au final, la France sort de cette période de six années avec des déficits accrus et qui restent au-delà de la norme de 3 % du PIB. La purge budgétaire s’est ainsi avérée peu efficace et d’un coût en termes d’activité, de situation financière pour les entreprises et de chômage, disproportionné par rapport aux résultats obtenus.

Depuis quelques mois, le paysage conjoncturel s’est notablement éclairci en Europe, avec un retour de la croissance et un raffermissement des indicateurs conjoncturels. Pour ce qui est de la France, les enquêtes de conjoncture témoignent également d’un retournement de la confiance dans les secteurs productifs.

Le relâchement de l’austérité permettra à l’économie française de prolonger ce mouvement positif : la croissance du PIB français devrait s’accélérait graduellement en 2014 et en 2015.

Pour 2014, si on ne tient compte que des mesures déjà votées, la croissance serait de 1,2 % en France, niveau insuffisant pour que le chômage baisse et pour atteindre la cible de déficit de 3,6 %. L’annonce, lors du Discours de Politique Général (DPG) de Manuel Valls le 8 avril 2014, d’un supplément d’austérité de 4 milliards d’euros dans le cadre d’un budget rectificatif avant cet été permettrait au gouvernement de respecter son engagement de déficit. Mais cela pèserait inévitablement sur l’activité et réduirait la croissance attendue pour l’économie française à 1 %, portant le taux de chômage à 10,2 % de la population active en fin d’année.

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Le DPG bouleverse également la dynamique attendue pour 2015 : avant le DPG, nous tablions sur une croissance de 1,6 % du PIB. Les entreprises profiteraient de ce regain de croissance pour restaurer progressivement leur situation financière. Cette stratégie repose prioritairement sur l’augmentation de la productivité qui permettrait de résorber les marges de capacité de production et de restaurer le taux de marge. Dans ce scénario, les finances publiques continueraient elle aussi à s’ajuster graduellement et le déficit des APU s’établirait à 3 % du PIB.  Corollaire à cet ajustement, le taux de chômage continuerait d’augmenter en 2015. L’accélération de la mise en place du Pacte de responsabilité et de solidarité promise lors du DPG et le flou autour de son financement peuvent remettre en cause le scénario présenté précédemment. Sans nouvelles mesures d’économies de dépenses publiques autres que les 12 milliards d’euros déjà intégrés dans notre scénario central, l’injection de 8,8 milliards d’euros de nouvelles mesures (tableau 1) permettrait à l’économie française d’atteindre 2 % de croissance en 2015, comme en 2011. Cette croissance, conjuguée aux effets des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, permettrait au taux de chômage de retrouver le niveau de fin 2013 à 9,8 % de la population active fin 2015. La baisse de l’impulsion budgétaire à -0,1 % du PIB, bien qu’en partie compensée par l’effet de la croissance sur les recettes fiscales, éloignerait cependant le scénario de la trajectoire de Bruxelles, avec un déficit public à -3,2 % du PIB. Si de nouvelles mesures d’économies devaient être adoptées pour financer ex ante ces nouvelles mesures en 2015, compte tenu des multiplicateurs budgétaires plus élevés sur la dépense publique, l’effet positif sur la croissance s’annulerait, le déficit public s’établirait au-delà des 3 % (3,1 % du PIB) et le taux de chômage à 10 % fin 2015. Ce scénario apparaît donc plus mauvais que le scénario central en termes de finances publiques et de croissance, la légère baisse du taux de chômage n’étant due qu’à l’effet des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires, et donc à une proportion d’emplois à bas salaires dans l’emploi total plus importante (tableau 2).

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Croissance au quatrième trimestre 2013, mais …

Par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE, l’économie française a dû progresser de +0,5 % au quatrième trimestre 2013. Ce résultat attendu traduit l’amélioration des enquêtes de conjoncture, notable depuis environ un an. Marque-t-il pour autant le retour du PIB sur un sentier de croissance durablement plus élevé ? Il est encore trop tôt pour le dire.

L’amélioration des enquêtes de conjoncture a d’abord préfiguré l’interruption de la seconde récession intervenue au cours du premier semestre 2011. Les comptes nationaux ont ensuite validé le signal émis par les enquêtes, avec une reprise de la croissance au deuxième trimestre 2013 de +0,6 % (tableau). Le PIB s’est certes à nouveau replié au troisième trimestre (-0,1 %), mais en moyenne, sur les deux derniers trimestres, la croissance s’est établie à environ +0,2 % par trimestre, rythme de croissance encore très modéré mais positif.

Dans le même temps, l’indicateur avancé, qui vise à traduire, par une estimation de la croissance du PIB à très court terme, l’information conjoncturelle contenue dans les enquêtes, témoignait aussi d’un lent redressement de l’activité : en moyenne sur les deux derniers trimestres, la croissance est estimée à +0,1 %, chiffre un peu inférieur à l’évaluation des comptes nationaux.

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Depuis quelques mois, la progression non démentie de la confiance des agents privés a rehaussé les perspectives pour la fin de l’année 2013 : le débat s’oriente désormais vers la possibilité pour l’économie française de franchir un point de retournement à la hausse et pour la croissance de s’établir durablement à un rythme supérieur à son taux de croissance de long terme (+0,35 % par trimestre).

Conformément à l’expérience passée, lorsque l’indicateur a lancé des signaux avant-coureurs de retournement du cycle conjoncturel, le signal envoyé pour le quatrième trimestre 2013 pose le jalon d’un franchissement du taux de croissance de long terme de l’économie française (graphique). Ce signal est fragile : les informations encore très partielles sur le premier trimestre 2014, à savoir les enquêtes de conjoncture de janvier, laissent attendre une rechute du taux de croissance sous le potentiel. L’éventualité d’une vraie reprise, durable, à même de créer des emplois et d’inverser la courbe du chômage, est donc encore très incertaine.

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Note sur l’indicateur avancé :

L’indicateur avancé vise à prévoir le taux de croissance trimestriel du PIB français deux trimestres au-delà des dernières données disponibles. Les composantes de l’indicateur sont sélectionnées parmi les données d’enquêtes, séries rapidement disponibles et non révisées. La sélection des séries est menée sur une base économétrique en partant des enquêtes de conjoncture réalisées dans les différents secteurs productifs (industrie, construction, services, commerce de détail) et auprès des consommateurs. Deux séries liées à l’environnement international sont également significatives, le taux de croissance du taux de change réel de l’euro contre le dollar et le taux de croissance réel du prix du pétrole.

Certaines des composantes sont avancées d’au moins deux trimestres et peuvent être utilisées comme telles pour prévoir la croissance du PIB. Les autres sont coïncidentes, ou ne sont pas suffisamment avancées pour effectuer une prévision à deux trimestres. Ces séries doivent être prévues, mais sur un horizon de court terme qui n’excède jamais quatre mois.

L’indicateur avancé est calculé au début de chaque mois, peu après la publication des enquêtes auprès des entreprises et des ménages.

 




Révision du potentiel de croissance : l’impact sur les déficits

par Hervé Péléraux

Les finances publiques meurtries par la Grande Récession

Au sortir de la Grande Récession de 2008/09, le problème des finances publiques auquel allaient devoir face les gouvernements était en apparence simple, sa solution mise en avant aussi. Le jeu des stabilisateurs automatiques ainsi que les plans de relance mis en place pour contrer la récession de 2008/09 ont fortement creusé les déficits publics. Cette situation, dictée par l’urgence, était acceptable à court terme mais ne l’était pas à plus longue échéance. Elle appelait logiquement un redressement des comptes publics pour résorber les déficits et stopper la progression de l’endettement. La rigueur budgétaire à marche forcée, conduite sous les injonctions de la Commission européenne, a donc été l’instrument de politique économique activé par la quasi-totalité des pays de la zone euro.

L’opportunité de cette stratégie qui a été engagée pour résoudre le problème de départ, celui de déficits excessifs en zone euro, doit cependant être discutée. Elle dépendait du diagnostic macroéconomique fait au sortir de la récession de 2008/09 qui conditionnait l’évaluation de la capacité de rebond spontané des économies. Car de cette capacité de rebond dépendait la fraction du déficit public à même de pouvoir se résorber spontanément par la reprise de la croissance.

Une partie des déficits pouvait se résorber d’elle-même

Le déficit public hors charge d’intérêts, ou déficit primaire, peut être subdivisé en deux composantes, une composante conjoncturelle et une composante structurelle. La composante conjoncturelle résulte des déviations cycliques du PIB autour de son potentiel, c’est-à-dire le niveau de PIB réalisable sans tensions inflationnistes avec les facteurs de production disponibles : en phase de ralentissement du PIB par rapport à sa croissance potentielle, et donc de creusement de l’écart de production, les recettes fiscales ralentissent et les dépenses publiques, notamment sociales, accélèrent. Il s’en suit un creusement spontané du déficit. Ce mécanisme d’autocorrection est dénommé « stabilisateurs automatiques » dans la théorie économique. L’autre composante du déficit est déduite de la précédente comme complémentaire du déficit total : c’est la composante délibérée, celle qui résulte de l’action de la politique économique. Discrétionnaire, cette composante ne peut être éliminée qu’en mettant en œuvre une politique symétrique à celle qui l’a fait naître, c’est-à-dire en conduisant une politique de rigueur. Elle a naturellement pour effet de freiner la reprise, mais la politique expansionniste menée durant la phase précédente a eu pour conséquence de soutenir l’activité. La politique budgétaire est ainsi un instrument de lissage du cycle économique.

La partie spontanée du déficit apparue à la suite de la récession de 2008/09 était appelée à se résorber automatiquement une fois la croissance revenue. Seule l’élimination de la composante discrétionnaire justifiait une politique restrictive. L’ampleur de l’effort à engager pour y parvenir renvoyait alors à la mesure de l’amplitude de l’écart de production qui conditionnait l’estimation du déficit conjoncturel et par déduction, celle du déficit délibéré.

De l’effet de la conjoncture sur l’évaluation du potentiel

La mesure du potentiel de production, dont découle le calcul de l’écart de production, est évidemment centrale si l’on veut calibrer au plus juste la restriction budgétaire nécessaire à l’élimination de la fraction du déficit qui ne peut l’être spontanément par la croissance. Mais les décideurs se heurtent ici à une difficulté majeure, celle du caractère non observable du potentiel qui, par conséquent, doit être estimé. Ici, les estimations sont loin de faire l’unanimité entre les économistes. De surcroît, au sein d’une même institution, les révisions périodiques peuvent être importantes, ce qui modifie le diagnostic porté et les mesures à mettre en place si cette institution a en charge la définition de normes contraignantes de politique budgétaire, comme c’est le cas de la Commission européenne (CE).

L’examen des révisions de la croissance potentielle calculée par la CE montre l’incertitude de cette estimation (voir dernière partie ci-dessous). Elle paraît en outre dépendre de la croissance courante, ce qui est pour le moins paradoxal pour l’estimation d’une fonction d’offre qui dépend de paramètres de long terme de l’économie comme la croissance de la population active, de la productivité et du stock de capital. Que la trajectoire de ces paramètres d’offre s’infléchisse un peu au gré des à-coups conjoncturels est justifiable, notamment au travers de l’investissement qui véhicule le progrès technique et assure la croissance du capital ou des pertes de capital humain générées par le chômage de longue durée. Mais que l’incorporation dans les estimations d’un phénomène conjoncturel, certes hors normes comme la récession de 2008/09, conduise à des révisions de la croissance potentielle de l’ordre de celle constatée entre le printemps 2008 et le printemps 2009 pose question. D’autant que ces révisions ont aussi affecté les années antérieures à la récession qui n’étaient pas concernées par la modification des conditions de l’accumulation. Par la suite, le redémarrage de la croissance en 2010 a conduit à des révisions de la croissance potentielle dans l’autre sens, y compris pour les années antérieures à la récession. Enfin, le retournement conjoncturel de 2011 a entraîné une nouvelle séquence de révisions, à nouveau à la baisse.

La rigueur auto entretenue

De cet affaissement de la croissance potentielle a résulté d’amples révisions à la baisse de l’écart de production estimé (graphique). Elles ne sont pas neutres pour calibrer la politique de consolidation budgétaire. Car à déficit donné, l’estimation d’un écart de production de -2 % par exemple pour 2010, contre près de -6 % sous l’hypothèse d’une poursuite de la trajectoire du PIB potentiel estimé avant la récession, accroissait la part du déficit structurel perçu et appelait une rigueur accrue. C’est bien ce qui est advenu en 2010 quand les plans de relance ont fait place à des plans de restriction budgétaire drastiques. Généralisés à l’ensemble des pays membres, ils ont cassé net la reprise naissante et ont précipité la zone euro dans une nouvelle récession.

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La trop grande sensibilité de l’estimation de la croissance potentielle à la croissance courante a précipité l’engagement des politiques de rigueur en zone euro et a, par la suite, poussé à l’accentuation de la restriction budgétaire. Car cette dernière, en déprimant l’activité, a stimulé les facteurs d’affaissement de l’offre par la destruction de capital, par le freinage de l’investissement et par la déqualification de l’offre de travail. Les capacités de rebond spontané des économies s’en sont trouvées amputées, ce qui ne pouvait conduire qu’à une augmentation de la part du déficit structurel dans le déficit total, et, finalement, à la nécessité d’accentuer la rigueur.

La purge budgétaire a donc entraîné une deuxième récession qui a invalidé les objectifs de réduction des déficits fixés au départ car les stabilisateurs automatiques ont à nouveau creusé la composante conjoncturelle des déficits. La rigueur, mal calibrée, était contre-productive et ne pouvait donc pas aboutir à l’objectif initial d’une réduction rapide des déficits. Les résultats obtenus sont loin d’avoir été à la hauteur des sacrifices consentis par les économies européennes.

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L’estimation du PIB potentiel de la zone euro par la Commission européenne

La récession de 2008/09 a conduit la Commission européenne à réviser assez nettement son estimation du potentiel de croissance des pays membres. Pour la zone euro dans son ensemble, le processus de révision a débuté entre le printemps 2008 et le printemps 2009, quand les effets de la crise financière se sont matérialisés sur l’activité réelle : l’entrée en récession de la zone euro au quatrième trimestre 2008 est associée à de fortes révisions à la baisse de la croissance potentielle pour les années 2008 et 2009, de -0,7 et -1,2 point respectivement (tableau). On constatera aussi des révisions sensibles relativement aux années plus anciennes, de -0,3 à -0,5 point pour les années 2004 à 2007. En revanche, aucune révision majeure n’apparaît entre les estimations du printemps 2009 et du printemps 2010, malgré le creusement du glissement annuel du PIB, signe que la modification du paysage conjoncturel avait déjà été intégrée dans les estimations.

Les révisions de la croissance potentielle ne se sont pas effectuées seulement à la baisse, mais également à la hausse quand la croissance a redémarré après la récession. Ainsi, entre le printemps 2010 et le printemps 2011, les révisions se sont-elles étalées de +0,1 à +0,3 point et ont concerné également les années lointaines. Enfin, une nouvelle séquence de révisions en baisse est intervenue avec le deuxième retournement conjoncturel en 2011. Les années antérieures à 2008 ont été peu modifiées, mais elles s’inscrivent dans un intervalle plus large pour les années 2008 à 2013, de -0,2 à -0,8 point, ce qui pour l’année 2012 revient à une division par deux et demi du rythme de croissance potentielle.

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L’effet de la croissance courante sur l’estimation de la croissance potentielle par la Commission européenne est ainsi évident. Il en résulte une forte variabilité de la croissance potentielle et donc des révisions importantes de l’écart de production, ce qui affecte les décisions de politique économique puisque le solde structurel dépend de cette évaluation.




Quels ont été les freins à la croissance depuis 2010 ?

par Eric Heyer et Hervé Péléraux

A la fin de l’année 2012, cinq ans après le début de la crise, le PIB de la France n’est toujours pas revenu à son niveau antérieur (graphique 1). Dans le même temps, la population active en France a augmenté continûment et le progrès technique n’a pas cessé d’accroître la productivité des travailleurs. Nous sommes donc plus nombreux et plus productifs qu’il y a 5 ans alors que la production est moindre : l’explosion du chômage observé est le symptôme de ce désajustement. Pour quelles raisons la reprise entrevue en 2009 s’est-elle étouffée mi-2010 ?

Le principal facteur de l’étouffement de la reprise est la politique d’austérité mise en place en France et en Europe dès 2010, puis accentuée en 2011 et en 2012 (tableau 1). Les effets de cette politique de rigueur sont d’autant plus marqués qu’elle est générale dans l’ensemble des pays de la zone euro. Les effets restrictifs internes se cumulent avec ceux qui résultent du freinage de la demande adressée par les partenaires européens. Alors que 60 % des exportations de la France sont à destination de l’Union européenne, la stimulation extérieure s’est quasiment évanouie à la mi-2012, moins du fait du ralentissement de la croissance mondiale qui reste voisine de 3 %, mais en conséquence des mauvaises performances de la zone euro, au bord de la récession. Cette politique est à l’origine du déficit de croissance, avec un freinage apparent dès 2010 (-0,7 point), freinage qui s’est accentué en 2011 et en 2012 (respectivement -1,5 et -2,1 points) du fait de l’intensification de la rigueur et de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés. En effet, la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs). Le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique : les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Au frein budgétaire est venu s’ajouter l’effet de conditions monétaires restrictives : l’assouplissement de la politique monétaire – visible notamment dans la baisse des taux d’intérêt directeurs – est loin d’avoir compensé l’effet négatif sur l’économie du durcissement des conditions d’octroi de crédit ainsi que de l’élargissement du spread entre les investissements privés et les placements publics, sans risques.

Au total, en prenant aussi en compte l’effet de la remontée du prix du pétrole après la récession, la croissance spontanée de l’économie française aurait été de 2,6 % en moyenne au cours des trois dernières années. La réalisation de ce potentiel aurait conduit à la poursuite de la résorption des surcapacités de production et aurait finalement coupé court au scénario de retournement à la baisse de l’économie qui s’est effectivement réalisé.

 




Yes, the national accounts will be revised after the election

By Hervé Péléraux and Lionel Persyn[1]

In a Europe that is heading more and more clearly towards a recession, in mid-February the INSEE reported a 0.2% rise in France’s GDP. This fourth-quarter performance was surprising, as it contrasts sharply with the deterioration in the economic climate since summer 2011, which indicated that GDP growth would be less favourable than that announced.

The current figures from the national accounts are, however, not set in stone. A note from the OFCE describes the procedure since the release of the provisional results that marks the starting point in the process of revising the accounts. This revision is spread over several years, first involving the tuning of the quarterly accounts with the annual accounts, then the revision of the annual accounts (the final version for 2011 will be announced in May 2014). The final changes are to the database for the national accounts, which will provide an opportunity to introduce methodological innovations that aim at greater accuracy on past estimates.

The enigma of the fourth quarter of 2011 may be resolved in the future as the revisions are worked out. It is useful to refer to past experience to try to identify the profile of the coming adjustments and to draw the likely implications for the current period. Since 1987, the revisions to the accounts seem to have been pro-cyclical, that is to say, the preliminary figures are mostly revised upwards in periods of recovery or rapid growth, and downwards in periods of downswings in the economic cycle. In some major cyclical episodes, the average revisions are significant and could affect the economic diagnosis.

This was what happened in 2008. After the INSEE announced a negative result for the second quarter of -0.3%, the initial estimate for the third quarter was a positive 0.1%, which for a while put off the prospect that the French economy was entering a recession. The subsequent assessments gave a more dramatic turn to the GDP’s trajectory, with the current respective estimates for the two quarters being -0.7% and -0.3%. Had these been known at the time, this would probably have pushed forecasts downwards by fully revealing the severity of the impact of the financial crisis on the real economy.

 


[1] At the time this note was written, Lionel Persyn was an intern at OFCE and a doctoral candidate at the University of Nice at Sophia Antipolis.

 

 




Oui, les comptes nationaux seront révisés après l’élection

par Hervé Péléraux et Lionel Persyn[1]

Au sein d’une Europe qui penche de plus en plus ouvertement vers la récession, la performance de l’économie française au quatrième trimestre a étonné, alors que l’INSEE publiait à la mi-février une hausse du PIB de 0,2 %. Ces résultats contrastent singulièrement avec la dégradation du climat conjoncturel depuis l’été 2011, qui laissait attendre une évolution du PIB moins favorable que celle annoncée.

Toutefois, les chiffres actuels de la comptabilité nationale sont loin d’être figés. Une note de l’OFCE décrit la procédure de révision depuis la publication des résultats provisoires jusqu’à la publication des comptes définitifs. Cette révision s’étale sur plusieurs années, d’abord avec le calage des comptes trimestriels sur les comptes annuels, ensuite avec la révision des comptes annuels, qui, dans leur version définitive pour 2011 seront connus en mai 2014, et enfin avec les changements de base de la comptabilité nationale qui sont l’occasion d’introduire des innovations méthodologiques visant à une plus grande précision des estimations passées.

L’énigme du quatrième trimestre 2011 sera peut-être résolue dans le futur par le jeu des révisions. C’est pourquoi, il est utile de se référer à l’expérience passée pour tenter de cerner le profil des rectifications et d’en tirer les implications probables pour la période actuelle. Depuis 1987, les révisions de comptes apparaissent pro-cycliques, c’est-à-dire que les chiffres provisoires sont majoritairement révisés en hausse en période de reprise ou de croissance rapide, et en baisse en phase de retournement à la baisse du cycle économique. Lors de certains épisodes conjoncturels majeurs les révisions moyennes ont été importantes et ont pu altérer le diagnostic conjoncturel.

Ce fut le cas en 2008, quand après un premier chiffre négatif annoncé par l’INSEE pour le deuxième trimestre, -0,3 %, la première estimation pour le troisième trimestre s’établissait à +0,1 %, écartant pour un temps la perspective d’une entrée en récession de l’économie française. Les évaluations ultérieures ont donné un tour plus dramatique à la trajectoire du PIB, avec actuellement des estimations respectives pour chacun des deux trimestres à -0,7 et -0,3 %, qui si elles avaient été connues à l’époque, auraient probablement infléchi les prévisions à la baisse en révélant pleinement la gravité des répercussions de la crise financière sur la sphère réelle.


[1] Au moment de la rédaction de cette note, Lionel Persyn était stagiaire à l’OFCE et doctorant à l’Université de Nice Sophia Antipolis.

 




The irresistible attraction to recession

By Hervé Péléraux

Here is the leading indicator for the French economy, updated to 30 January 2011.

The February forecasts of the leading indicator significantly worsened the outlook for the French economy at the turn of 2011 and 2012.

On the one hand, GDP is expected to have fallen more than expected in the fourth quarter of 2011, by -0.3% instead of the -0.2% estimated last month. On the other hand, the pick-up in growth in the first quarter of 2012 observed in January is fast disappearing, with GDP rising by 0.1% and not 0.3% as in the previous estimates. In total, GDP will contract by 0.2% over the two quarters. The uncertainty hanging over a forecast of GDP over two quarters, which we have pointed out earlier, is gradually being lifted in an unfavourable sense as the negative information builds up. In particular, the climate in industry continued to worsen in January at a higher rate than expected last month.

The deteriorating business environment is taking precedence over the more positive elements that up to now blunted the impact of the sovereign debt crisis on growth, namely, the decline in the euro against the dollar in the third quarter of 2011 and the interruption of the dive by the CAC40 stock market index in the fourth quarter. If this same dynamic repeats in February and March, France would be unlikely to escape a recession in the usually accepted meaning of the term, i.e. the occurrence of two consecutive quarters of falling GDP.

Next update on 29 February 2012

 




L’irrésistible attraction vers la récession

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française, mise à jour au 30 janvier 2011

Les prévisions de février de l’indicateur avancé ont sensiblement dégradé les perspectives de l’économie française au tournant de 2011 et de 2012.

D’un côté, le PIB devrait reculer davantage qu’escompté au quatrième trimestre de 2011, -0,3 contre -0,2 % estimé le mois précédent. De l’autre, la reprise de la croissance au premier trimestre 2012, entrevue en janvier, est en passe de disparaître, avec une hausse du PIB ramenée à 0,1 %, contre 0,3 dans les estimations précédentes. Au total, le PIB se contracterait donc de 0,2 % sur les deux trimestres. L’aléa qui pèse sur la prévision du PIB à deux trimestres, et que nous avons déjà souligné antérieurement, se lève progressivement dans un sens défavorable au fur et à mesure que les informations négatives s’accumulent. En particulier, le climat des affaires dans l’industrie a poursuivi sa chute en janvier à un rythme supérieur à celui escompté le mois précédent.

La dégradation du climat des affaires prend le pas sur les éléments plus positifs qui jusqu’à présent amortissaient l’effet de la crise des dettes souveraines sur la croissance, à savoir la baisse de l’euro contre le dollar au troisième trimestre 2011 et l’interruption de la plongée du CAC40 au quatrième trimestre. Si cette même dynamique se reproduisait en février et en mars, la France n’aurait plus guère de chances d’échapper à la récession au sens habituellement admis, c’est-à-dire la survenue de deux trimestres consécutifs de recul du PIB.

Prochaine mise à jour le 29 février 2012




L’économie française sur le fil du rasoir

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française

Le climat général des affaires s’est fortement dégradé en septembre en France, plombé par la détérioration des indices de confiance dans tous les secteurs productifs sans exception. L’indice de confiance des ménages étant lui aussi en recul en septembre, il ne reste guère d’espoir pour un rebond de la croissance, après le chiffre déjà mauvais du deuxième trimestre au cours duquel le PIB a stagné. C’est ce que suggère l’indicateur avancé de l’OFCE qui exploite l’information contenue dans les enquêtes de conjoncture réalisées par l’INSEE. Au troisième trimestre, le PIB français devrait de nouveau stagner, et se replier de 0,2 % au quatrième trimestre.

L’anticipation d’un recul du PIB au quatrième trimestre est inquiétante, car elle préfigure une entrée en récession de l’économie française. Mais elle n’est pas acquise car la prévision est tributaire de l’extrapolation de certaines composantes qui interviennent sans décalage dans l’indicateur et pour lesquelles aucune information n’est à l’heure actuelle disponible (les données d’enquêtes ne le sont que jusqu’en septembre). Cette extrapolation repose sur la prolongation de leur dynamique passée, négative ces derniers mois, ce qui conduit à anticiper un nouveau recul des climats de confiance, et corrélativement, la formation d’un taux de croissance négatif au quatrième trimestre.

Cette méthode a fait ses preuves : elle table sur la persistance, à un horizon court, des mouvements passés des climats de confiance et permet d’alimenter les prévisions de manière vraisemblable quand l’information est incomplète à l’horizon d’un trimestre. Mais l’expérience montre aussi que cette procédure tend à sous-estimer l’ampleur des mouvements conjoncturels du PIB. Si tel est présentement le cas, l’indicateur envoie un signal pertinent de récession, mais en sous-estime l’ampleur comme ce fut le cas lors de la récession de 2008/09. La baisse de 0,2 % du PIB attendue pour le quatrième trimestre pourrait alors être en dessous de la réalité.

Seul un rebond des climats de confiance pourrait amener à revoir cette prévision. Mais étant donné l’aggravation de la crise des dettes souveraines cet été, la mise en place de politiques budgétaires restrictives en Europe comme à l’extérieur, et l’effondrement des bourses (le CAC40, qui est une composante de l’indicateur, a une contribution à la prévision du quatrième trimestre plus négative qu’au plus fort de la récession de 2008/09), cette embellie paraît peu probable.

Entre les deux cas polaires précédents, une hypothèse intermédiaire consisterait à supposer que les climats de confiance cessent simplement de se dégrader, c’est-à-dire qu’ils soient prolongés jusqu’en décembre en leur attribuant chaque mois la valeur de septembre. Dans ce cas, la prévision de croissance du PIB ne serait pour autant positive, puisque ce dernier stagnerait à nouveau. Force est de constater que l’économie française est bien sur le fil du rasoir…

Archives et séries historiques




Fin de la prime à la casse : les effets négatifs sont à venir

par Hervé Péléraux et Mathieu Plane

Dans une note parue au début de l’été 2011, nous expliquions pourquoi le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendrait au deuxième trimestre 2011. Nous estimions à -0,4 % sa contribution au PIB français durant ce trimestre. L’épisode de la prime “Fillon” ne se démarque guère des expériences passées : en créant des effets d’aubaine temporaires, les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période.

Un secteur automobile sinistré

Le secteur automobile a traversé une crise sans précédent lors de la récession de 2008/09. La production de la branche « matériels de transport » a reculé de plus de 20 % entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009. A titre de comparaison, au cours de la crise de la  première moitié des années 1990, la production avait reculé de 17 % entre le premier trimestre 1990 et le quatrième trimestre 1993, soit moins en quatre années à l’époque qu’en un an en 2008/09.

La baisse de la production n’a été que la réponse des constructeurs à l’effondrement des marchés intérieurs et extérieurs. Au plus fort de la récession, la consommation de matériels de transport par les ménages a reculé de 11 % sur un an en 2008, les achats des entreprises de 28,5 % et les exportations de 27 %, soit au total une contraction des débouchés du secteur de 18,5 % (contre 14 % en quatre ans lors de la crise de la première moitié des années 1990). C’est dire l’ampleur du choc auquel a été confronté le secteur automobile.

La crise financière, qui a démarré à l’été 2007, s’est dangereusement aggravée avant la mise en place, dans le dernier trimestre de 2008, de plans de sauvetage visant à soutenir les établissements de crédit en difficulté et à restaurer la confiance au sein du système financier. Cette crise a paralysé l’activité de crédit des banques aux entreprises et aux particuliers. L’investissement productif, mais aussi les segments de la consommation des ménages qui dépendent du crédit, comme les achats d’automobiles majoritairement financés par emprunt, ont été les vecteurs de transmission de la crise de la sphère financière vers la sphère réelle.

Des mesures de soutien efficaces…

Pour tenter de relancer l’activité du marché, le gouvernement a institué en décembre 2008 un système de « primes à la casse » visant à stimuler les achats d’automobiles et calqué sur celui déjà mis en place dans le passé (primes Balladur en 1994, Juppé en 1996 ((Ce système avait déjà été expérimenté lors du creux conjoncturel des années 90. Pour soutenir la consommation, le gouvernement Balladur avait mis en place entre février 1994 et juin 1995 une subvention de 762 euros (5000 francs) pour la mise au rebut de véhicules vieillissants contre l’achat d’un véhicule neuf. Ce dispositif a été institué à nouveau peu de temps après entre octobre 1995 et octobre 1996, avec les primes Juppé comprises entre 5000 francs (762 euros) et 7000 francs (1067 euros) selon la catégorie du véhicule. )). Ce système consistait à offrir une prime, 1000 euros jusqu’au 31 décembre 2009 (prime « Fillon 1 ») ramenée à 700 euros jusqu’au 1er juillet 2010 (prime « Fillon 2 ») et enfin à 500 euros jusqu’au 31 décembre 2010 (prime « Fillon 3 »), pour l’achat d’une automobile neuve en remplacement d’un véhicule de plus de 10 ans. Ce mécanisme vise à inciter les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Il a pour effet de concentrer, sur un intervalle de temps limité à sa durée d’application, des achats qui autrement auraient été étalés dans le temps. La vague de ventes qui en résulte pour les constructeurs permet ainsi de soutenir ponctuellement le secteur automobile quand il traverse des difficultés temporaires. Une partie des ventes supplémentaires suscite un courant d’importations de voitures qui profite bien sûr aux constructeurs étrangers et pas aux constructeurs nationaux, mais la plupart des partenaires commerciaux de la France ont aussi mis en place simultanément de tels dispositifs qui ont en retour bénéficié aux exportations françaises d’automobiles.

L’effet de la mesure s’est développé tout au long de 2009 (graphique 1), avec, comme en 1994 et 1996, une montée en charge progressive qui a culminé à la veille de la diminution du bonus de 1000 à 700 euros au 1er janvier 2010. Beaucoup d’acheteurs, c’est en tout cas ce que l’expérience suggère, ont en effet tendance à « attendre la dernière minute » pour profiter de l’avantage. Il en a résulté une poussée des immatriculations en fin d’année 2009, qui s’est d’ailleurs reproduite à l’identique en fin d’année 2010 avant la disparition complète de l’avantage au 1er janvier 2011 ((Le passage de la prime de 700 à 500 euros au 1er juillet 2010 n’a par contre pas provoqué la même ruée en juin, probablement parce que le marché « digérait » encore la poussée des achats de 2009. )).

Le secteur automobile a rapidement profité de ce dispositif de soutien, avec une reprise de la production de la branche « matériels de transport » de 15 % en quatre trimestres depuis le point bas du premier trimestre 2009, une hausse de la consommation des ménages en matériels de transport de 13 % et, grâce au même type de mesure mis en place chez les partenaires, un regain d’exportations de 22 %. Même si les niveaux d’avant-crise ne sont pas dépassés, – et le retour à la croissance ne doit pas faire oublier que sur trois ans l’activité du secteur est encore en recul au début 2011 – au moins la spirale baissière a-t-elle été enrayée.

1. Immatriculation de véhicules de tourisme neufs

 

En milliers, cvs

Source : INSEE.

… qui n’ont qu’un caractère temporaire

La contrepartie de ces vagues d’achat a été un reflux massif du marché une fois minoré, ou éteint, le dispositif. Les primes ne permettent pas, et c’est ce que montre aussi l’expérience passée, d’accroître durablement les ventes. Le passage en creux des immatriculations sous la moyenne de longue période après les primes « Balladur » et « Juppé » en témoigne. Les primes créent un effet d’aubaine temporaire qui pousse les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Mais il ne s’agit bien ici que d’accélérer la prise de décision d’un renouvellement. L’épuisement du stock de véhicules pouvant prétendre au bénéfice de la mesure, ou l’arrivée à échéance du dispositif, provoque par la suite un contrecoup à la baisse à la mesure de l’engouement précédent. Par exemple, durant l’intervalle de trois mois qui a séparé les primes « Balladur » des primes « Juppé », les immatriculations mensuelles moyennes ont reculé de 13 % par rapport à la moyenne mensuelle observée pendant la période d’application du dispositif. De même, dans les trois mois qui ont suivi la fin de la prime « Juppé », la moyenne mensuelle des immatriculations a chuté de 24 % par rapport à la moyenne de la période pendant laquelle la mesure a été effective.

L’année 2010 ne se démarque pas des expériences passées en montrant que les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période. Simplement le recul des immatriculations en 2010, à la suite du passage de la prime « Fillon 1 » à la prime « Fillon 2 » pendant les six premiers mois de l’année, a-t-il été moins prononcé que dans les années 90 du fait du maintien d’un bonus.

La disparition complète de l’avantage, laissait attendre, après une dernière ruée chez les concessionnaires à la fin de 2010, un repli massif des ventes au premier trimestre. De fait, après s’être accrues de respectivement 18 et 11 % en novembre et en décembre 2010, les immatriculations se sont repliées de 13,7 % en janvier. Mais elles ont rebondi en février, 8,5 %, avant de rendre le terrain regagné en mars, -8,9 %. Au total, la moyenne des immatriculations sur les trois mois qui ont suivi la date de fin de la prime « Fillon 3» est supérieure de 6,6 % à la moyenne qui prévalait pendant la période d’application des dispositifs « Fillon » (2009 et 2010), ce qui n’avait été le cas ni dans l’intervalle entre les dispositifs « Balladur » et « Juppé », ni à la fin des primes « Juppé », ni même à la fin de la prime « Fillon 1» en janvier 2010.

Un reflux différé… mais qui se dessine

Contrairement à ce que l’expérience pouvait laisser augurer, l’ajustement attendu semble donc cette fois avoir tardé. Selon les comptes nationaux, la croissance de la consommation des ménages en matériel de transport s’est maintenue au 1er trimestre (+2,3 %), alors qu’elle avait chuté de 6 % au 1er trimestre 2010 à la fin du dispositif « Fillon 1 », de 16 % à la fin de la prime Balladur au troisième trimestre 1995, et de 18 % au quatrième trimestre 1996 à la fin des primes « Juppé » (tableau 1). Il semble donc bien y avoir une spécificité dans le cas présent, qui peut tenir à deux raisons majeures. D’abord le délai entre la prise de commande et l’immatriculation ou la livraison du véhicule introduit un retard dans la comptabilisation de l’achat effectif. Si davantage de commandes supplémentaires que dans les exemples antérieurs ont été passées dans les tous derniers jours d’existence de la mesure, davantage d’immatriculations et de livraisons qu’à l’accoutumé ont été reportées au premier trimestre, ce qui a maintenu la croissance de la consommation d’automobiles. Ensuite, il semble que les constructeurs se soient dans une certaine mesure substitués aux pouvoirs publics pour prolonger les bonus afin d’éviter un choc négatif trop violent.

Mais cette stratégie à finalité commerciale n’aurait, quoi qu’il en soit, qu’un caractère temporaire. De même, le stock de commandes hérité de la fin du dispositif « Fillon », probablement épuisé à l’heure actuelle, ne pourra plus s’opposer au reflux des ventes effectives. Tout laisse à penser donc que le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendra au deuxième trimestre 2011. Premièrement les chiffres du mois d’avril 2011 montrent une chute brutale de la consommation en automobiles, celle-ci reculant de plus de 10 % en l’espace d’un mois et renouant avec les niveaux de juin 2010 ou de décembre 2008. Deuxièmement, les immatriculations de véhicules neufs, qui ont chuté de près de 14 % au mois d’avril 2011 ont très faiblement rebondi au mois de mai 2011 (0,9 %). Au final, si la consommation en automobiles se stabilisait en mai et juin à son niveau d’avril 2011, celle-ci baisserait de 11 % au deuxième trimestre 2011, contribuant pour -0,7 % à la croissance de la consommation des ménages et pour -0,4 % à la croissance du PIB (voir tableau). Au moins pour sa composante consommation des ménages, la forte croissance du PIB enregistrée au 1er trimestre 2011, n’est donc pas reproductible au deuxième.