La nationalisation est-elle un leurre ou un outil de politique industrielle ?

par Jean-Luc Gaffard

La fermeture des hauts fourneaux du site de Florange en Moselle par Arcelor Mittal et la recherche d’un repreneur par le gouvernement français ont conduit ce dernier à envisager, un temps, la nationalisation du site, c’est-à-dire, non seulement la production d’acier brut, mais aussi la ligne de transformation à froid. La menace de nationalisation a été clairement brandie dans la perspective de forcer la main au groupe Mittal pour qu’il cède à un autre groupe privé cet ensemble. Une telle nationalisation, si elle avait dû intervenir, aurait été une nationalisation-sanction: la sanction du comportement, jugé contraire à l’intérêt général, du groupe Mittal. Outre cet aspect exceptionnel, elle aurait posé des problèmes de concurrence.

Le projet autour de Mittal trouve une certaine résonance avec la nationalisation de Renault en 1945. Chacun conviendra, cependant, que les reproches ne pouvaient pas être du même ordre. Mais surtout, il n’était, à l’évidence, pas question de faire du site nationalisé la vitrine d’une politique sociale propre à entraîner le pays sur la voie de la croissance. L’objectif était moins ambitieux. Il s’agissait, ni plus, ni moins, que d’un transfert de propriété d’un groupe privé vers un autre groupe privé. Convenons que c’eut été une première dans l’usage de l’arme des nationalisations. La comparaison avec le soutien du gouvernement français à Alstom en 2004 ne tenait pas : dans ce dernier cas, il s’agissait de sauver une entreprise risquant de faire faillite suite à des acquisitions hasardeuses et non de lui substituer une autre entreprise. Par ailleurs, la difficulté était circonscrite à l’entreprise concernée et n’avait aucun caractère global ou même sectoriel. La comparaison avec le soutien de l’administration Obama à l’industrie automobile en 2009 ne tenait pas davantage puisqu’il y était aussi question du sauvetage d’une entreprise poussée à la faillite dans un secteur industriel jugé stratégique.

La réalité, dans le cas de Florange, était et reste qu’aucun repreneur potentiel ne pensait pouvoir maintenir les hauts fourneaux en activité dans une conjoncture de chute de la demande d’acier consécutive notamment à la crise de l’automobile. C’est bien la raison pour laquelle, quel qu’il soit, le repreneur exigeait de pouvoir détenir aussi le train de laminoir. Cette exigence était dans son intérêt bien compris : les hauts fourneaux ne pouvaient être repris que sous la condition qu’ils puissent alimenter l’activité immédiatement en aval sur le même site. Si elle avait été satisfaite, nul doute qu’elle aurait posé problème au groupe Mittal qui, actuellement, fournit en acier le laminoir de Florange à partir de son site de Dunkerque, lequel aurait pu alors connaître des difficultés y compris en termes d’emplois. Autrement dit, la nationalisation temporaire en vue d’un transfert de propriété aurait interféré avec le jeu de la concurrence entre groupes privés. Il était loin d’être clair qu’elle allait dans le sens de l’intérêt général.

La thèse, parfois entendue, selon laquelle, la stratégie de Mittal serait le fait de dirigeants qui ne feraient qu’obéir aux actionnaires et seraient les défenseurs d’une économie sans usine et sans machine ne tient pas au regard de la nature même de l’activité et du degré d’intégration des différents sites de production. L’hypothèse pouvait, en revanche, être émise que la stratégie de Mittal, impliquant la fermeture des hauts fourneaux de Florange, était une stratégie de rationnement de l’offre, conçue pour empêcher la chute des prix de l’acier et préserver des taux de marge déjà affaiblis. Cette hypothèse serait crédible si la demande d’acier était principalement liée à son prix, alors que, visiblement, la chute observée est un effet de la crise globale et notamment de la chute des ventes dans les secteurs de l’automobile et du bâtiment. En d’autres termes, ce n’est pas la baisse des prix de l’acier qui peut aujourd’hui permettre d’en augmenter la demande, assurant ainsi le maintien en activité de tous les hauts fourneaux. Il est beaucoup plus vraisemblable de supposer que dans l’environnement macroéconomique actuel, le transfert de propriété envisagé aurait eu pour seul effet de modifier les parts de marché plutôt que d’en augmenter la taille.

De fait, on ne pouvait que douter de la légitimité et de la capacité des pouvoirs publics à établir la configuration de marché la plus appropriée, ne serait-ce que de la répartition des emplois préservés ou détruits. En outre, si le choix d’une nationalisation avait prévalu dans un tel contexte, la fixation d’une juste indemnisation se serait avérée délicate et source de contentieux.

En bref, la nationalisation ainsi conçue pouvait difficilement passer pour un outil efficace de politique industrielle. Il n’appartient pas aux pouvoirs publics d’arbitrer entre des intérêts privés pour fixer qui détient quoi, y compris en cas de fermeture de certains sites. Ce type d’arbitrage relève des autorités de la concurrence. La politique industrielle, quant à elle, doit interférer le moins possible avec la répartition des parts de marché entre les différents concurrents. Tout au plus peut-elle assurer la survie d’entreprises dont l’activité est jugée stratégique et qui traversent une passe difficile en raison de la conjoncture globale ou de choix industriels qui se sont avérés erronés ou simplement plus coûteux que prévu.

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que le gouvernement n’ait pas donné suite au projet de nationalisation et se soit rallié au compromis consistant simplement à exiger de Mittal qu’il s’engage à réaliser des investissements de modernisation du site et à maintenir en état de marche les hauts fourneaux dans la perspective, au reste aléatoire, de les doter d’une technologie fortement économe en émission de gaz carbonique les faisant gagner en compétitivité, dans le cadre du projet européen Ulcos (Ultra-Low Carbon Dioxide Steelmaking).

La nationalisation projetée était bel et bien un leurre dans tous les sens du terme. La bataille politique et médiatique autour du devenir du site de Florange a révélé, en réalité, une erreur d’analyse des pouvoirs publics. Les difficultés rencontrées par la sidérurgie française résultent d’une insuffisance de la demande, fruit du choix politique d’une austérité généralisée. Chercher à ce problème macroéconomique une solution microéconomique était pour le moins hasardeux et témoigne d’une incohérence des choix de politique économique de court et moyen terme.




Le dilemme de la compétitivité

Par Jean-Luc Gaffard

La compétitivité d’une nation est un sujet complexe. Certains s’insurgent contre le vocable lui-même qui ne saurait s’appliquer à une nation et n’aurait de sens que pour une entreprise. Il est vrai que si une entreprise gagne des parts de marché, elle le fait forcément au détriment de l’entreprise concurrente. Il est non moins vrai que lorsqu’un pays exporte davantage vers un autre, les revenus supplémentaires ainsi gagnés par le premier viendront, pour partie, alimenter une demande au bénéfice du second. Les bénéfices de l’un deviennent la condition des bénéfices de l’autre. Cet aller-retour justifie un commerce international dont la finalité est une meilleure utilisation des ressources de par le monde, dont les bénéfices sont partagés entre tous, voire équitablement partagés. Cette histoire a du sens. Elle signale effectivement que la compétitivité d’une nation n’est pas assimilable à celle d’une entreprise.
Pourtant, les déséquilibres globaux existent, qui se traduisent par des excédents ou des déficits commerciaux durables résultant d’écarts de compétitivité entre les entreprises des pays concernés. Ils exigent des réponses de politique économique appropriés dont l’enjeu est de rendre possible ce que d’aucuns ont appelé le voyage de retour, c’est-à-dire la mise en route de ce mécanisme qui veut que les revenus gagnés par l’un deviennent une demande pour l’autre.
C’est devant cette difficulté que la France se trouve aujourd’hui. Accumulant les déficits commerciaux depuis 2002, elle est bel et bien confrontée à un problème de compétitivité de ses entreprises sur des marchés mondiaux, sans plus avoir la possibilité de recourir à l’arme du taux de change. Clairement, le déficit commercial persistant est plus préoccupant que le déficit public et sa résorption devrait être une priorité. C’est bien pourquoi les appels se sont multipliés en faveur d’un choc de compétitivité, c’est-à-dire de mesures de politique économique susceptibles de rétablir la compétitivité des entreprises en diminuant leurs coûts de production.
Cela étant dit, un choc de compétitivité n’est pas simple à mettre en œuvre. Bien sûr, dans une économie développée, la compétitivité des entreprises est avant tout une compétitivité hors coût qui repose sur la capacité des entreprises à occuper des niches technologiques ou de marché. Mais retrouver cette forme de compétitivité exige des investissements et du temps. Aussi la compétitivité hors coût n’est elle pas indépendante de la compétitivité prix immédiate. Rétablir rapidement les taux de marge devient ainsi une condition nécessaire, sans doute non suffisante, d’un retour à la compétitivité hors coût. Une telle exigence est d’autant plus forte que l’obtention de marchés captifs par différenciation requiert des coûts de R&D et d’exploration de la clientèle souvent très importants.
La difficulté que doit affronter l’économie française vient de ce que le rétablissement nécessaire des taux de marge risque de se faire au détriment du pouvoir d’achat des ménages et donc de la demande intérieure. Les gains de compétitivité pourraient rester lettre morte si la demande finale devait s’effondrer. D’ailleurs, rien ne permet d’affirmer que le seul rétablissement des taux de marge se traduira par un regain d’investissement quand, précisément, les entreprises doivent faire face à un ralentissement sinon une chute de la demande.

Il semble bien, cependant, qu’il faille tenir les deux bouts de la chaîne : la compétitivité prix à court terme et la compétitivité hors prix à moyen terme. Rétablir rapidement les taux de marge requiert le transfert du financement de la protection sociale sur l’impôt payé par les ménages. Permettre aux entreprises de retrouver une compétitivité hors prix suppose d’améliorer encore le niveau des infrastructures et d’aider à la constitution d’écosystèmes de production alliant relations de proximité et internationalisation des processus de production. Dans l’un et l’autre cas, la question posée est celle de la stratégie fiscale et budgétaire à mettre en œuvre.
La difficulté vient de la hiérarchisation des objectifs. Si priorité est donnée à un rétablissement immédiat des comptes publics, ajouter aux ponctions fiscales déjà effectuées sur les ménages un alourdissement supplémentaire lié au transfert de charges fait effectivement courir le risque d’un effondrement de la demande. Dès lors, soit il faut admettre qu’un tel transfert n’est réellement possible qu’en situation de croissance relativement forte et le repousser à plus tard, soit il faut donner la priorité au redressement du déficit commercial sur celui des comptes publics et ne pas se lier les mains avec un objectif budgétaire trop abrupt.
Le gouvernement a décidé de maintenir le cap de la réduction du déficit public et a, de fait, reporté le choc de compétitivité en proposant, à terme d’un an ou plus, des crédits d’impôt aux entreprises notamment compensés par des hausses des taux de TVA. Le raisonnement sous-jacent est clair. La recherche de l’équilibre budgétaire est censée garantir le retour à la croissance, mais l’on se garde de peser un peu plus sur la demande en ajoutant à la ponction fiscale déjà effectuée pour tenir l’objectif des 3% de déficit public dès 2013. L’idée prévaut que, la sagesse budgétaire aidant, la reprise de l’activité sera au rendez-vous dans un délai de deux ans suivant un déroulement supposé classique du cycle conjoncturel qui aurait, en outre, l’avantage de coïncider avec le cycle électoral.
Le chemin choisi est étroit et, pour tout dire dangereux. La pression sur la demande intérieure du fait de l’austérité budgétaire reste forte. La restauration des taux de marge est retardée. N’aurait-il pas mieux fallu étaler davantage dans le temps le rétablissement des comptes publics et permettre des gains immédiats de compétitivité en choisissant les outils fiscaux adaptés ?
Bien sûr, le résultat que l’on peut attendre de l’une ou l’autre de ces stratégies est étroitement dépendant des choix effectués à l’échelle européenne. Que l’on persévère dans la voie d’une austérité généralisée et rien de bon ne pourra arriver pour personne.




L’insolente santé des industries du luxe : un faux paradoxe

par Jean-Luc Gaffard

Les industries du luxe échappent à une crise qui semble s’étendre, suscitant une interrogation des medias qui y voient un paradoxe. Pourtant, voilà un constat qui corrobore le diagnostic qui désigne le creusement des inégalités comme le véritable ferment de la crise.

LVMH, numéro un mondial du secteur du luxe, a vu ses ventes bondir de 26 % au premier semestre 2012. Richemont, numéro deux mondial et propriétaire des marques Cartier, Montblanc, Van Cleef & Arpels ou Jaeger-LeCoultre, devrait avoir un résultat opérationnel en hausse de 20 % au cours du deuxième semestre clôt le 30 septembre. L’italien Prada a annoncé une progression de son chiffre d’affaires de 36,5 % au premier semestre 2012 (37,3 % en Europe). Le pôle luxe de PPR, l’autre français du secteur, a vu ses ventes augmenter de 30,7 % au premier semestre.

Ces résultats contrastent évidemment avec ceux enregistrés dans les autres industries. Ils sont le fruit d’une hausse des prix qu’il faut bien qualifier de faramineuse. L’indice des prix des biens de luxe calculé depuis 1976 (le « Forbes Cost of Living Extremely Well » a grimpé de 800 % en 35 ans contre 300 % pour l’indice des prix des biens de consommation.

Le journal Le Monde, dans un article consacré au sujet (« Plus le produit est coûteux, plus il est désirable », édition du 8 août 2012) rapporte que le prix d’un imperméable gabardine Burberry a été multiplié par 5,6 ou encore que le prix d’une montre Rolex Yach-Master est passé de 5 488 à 39 100 euros. Cette hausse des prix pratiqués indique simplement la très forte et croissante disponibilité à payer des plus riches pour qui le prix n’est autre qu’un critère de différenciation et de désirabilité.

Il n’est pas étonnant dans ces circonstances d’observer le succès en Bourse de ces entreprises de l’industrie du luxe. Il n’est pas davantage étonnant d’observer, toujours en Bourse, le succès de ces entreprises, situées à l’autre bout du spectre, qui fabriquent des produits de bas de gamme, bon marché. Cet effet, qualifié d’effet sablier, sert de révélateur quant à la réalité de la crise, manifestement ancrée dans le creusement des inégalités de revenus et de patrimoine.

Certes, il faut se réjouir de la santé des industries du luxe qui sont créatrices d’emplois dans un moment de hausse du taux de chômage. Mais s’arrêter à ce constat sectoriel risque fort de nous faire passer à côté de l’essentiel. D’abord, il faut bien reconnaître que les industries en question réagissent à la hausse de la demande bien davantage en augmentant les prix que les quantités produites pour la raison simple que le nombre de riches, même s’il augmente significativement avec l’arrivée des nouveaux fortunés de Chine ou d’ailleurs, reste limité. Nous restons bien loin de ce mécanisme fondamental de la croissance, quand la hausse des gains de productivité fait baisser les prix et déclenche des effets de revenu propres à stimuler la demande sur une échelle toujours plus grande. Il faut aussi reconnaître le revers de la médaille du creusement bien réel des inégalités, en l’occurrence la chute du revenu médian, l’affaiblissement corrélatif d’une classe moyenne nombreuse dont la demande pour des produits ou des services de moyenne gamme était le support de la croissance.

Sans doute faut-il évoquer l’évolution de l’industrie du luxe qui s’est essayée avec succès à la production de marques qui sont les versions à moindre prix de biens traditionnellement réservés aux riches. Il est possible, comme en attestent certaines études, que la diversification de l’industrie du luxe s’accompagne d’une évolution sociologique impliquant pour les ménages de la classe moyenne une préférence accrue pour ce type de biens (voir J. Hoffmann et I. Coste-Manière 2012, Luxury Strategy in Action, Palgrave Macmillan). Cette évolution est pérenne si l’on se souvient que les préférences ne sont pas homothétiques, autrement dit que la baisse des revenus n’induit pas de revenir à la carte des préférences telle qu’elle existait auparavant (avant que le revenu n’ait augmenté). Les ménages tentent bien de maintenir un certain type de consommations auquel ils s’étaient habitués, éventuellement au prix d’un endettement accru, si d’aventure celui-ci est permis par le système financier. Toutefois, le segment d’activité ainsi préservé pourrait s’avérer fragile et les performances de l’industrie du luxe pourraient continuer d’être tirées par la consommation ostentatoire des vrais objets de luxe. Il n’est pas étonnant, alors, d’observer qu’avec la persistance de la crise et de son impact sur la consommation des ménages de la classe moyenne, une entreprise comme PPR envisage de se séparer de certaines enseignes, en l’occurrence la FNAC, pour se concentrer sur le luxe.

La santé insolente des industries de luxe n’a rien de paradoxal. Elle va de pair avec les difficultés croissantes des industries et des entreprises dont les produits et services sont destinés aux bénéficiaires de revenus moyens. La divergence sans cesse accentuée des performances entre industries et entreprises suivant leur positionnement de gamme n’est rien d’autre que le signe d’une aggravation de la crise.

 




Crise de l’automobile: les défaillances stratégiques ne doivent pas occulter les conséquences de l’austérité budgétaire

Par Jean-Luc Gaffard

La crise de l’automobile, qu’illustre la fermeture du site PSA d’Aulnay, révèle des difficultés structurelles en même temps que des erreurs stratégiques commises en matière d’organisation industrielle et de positionnement de gamme de la part des constructeurs. La nécessité des restructurations à laquelle l’industrie est confrontée ne saurait, cependant, occulter la dimension proprement macroéconomique et à très court terme de cette crise.

Les immatriculations de voitures neuves en France ont chuté de 15,5% en juillet en données corrigées des jours ouvrables et en rythme annuel. Sur les sept premiers mois de l’année, la baisse du marché automobile s’établit à 13,5% en données brutes et à 14,1% en données corrigées. Le groupe PSA a perdu 9,9% en juillet en données brutes. Le groupe Renault a vu pour sa part ses immatriculations reculer de 11,2% avec une chute de 26,6% pour la marque au losange mais un quasi-doublement des immatriculations de la marque à bas coût Dacia. Toujours en juillet, les ventes de voitures neuves en Espagne ont accentué leur chute, avec un repli de 17,2 %. En Italie, les immatriculations de voitures neuves ont plongé de 21,4 %. Enfin, si la production allemande a augmenté de 5% grâce aux exportations, les immatriculations de voitures neuves en Allemagne ont reculé de 5%.

Ces chiffres catastrophiques sont en tout premier lieu la conséquence de l’affaissement de la demande globale dans les pays de l’Union européenne qui résulte de la chute des revenus combinée à un creusement des inégalités de répartition. La classe moyenne maintient ou accroît son taux d’épargne et reporte ses achats dans le temps ou sur des produits à moindres coûts au premier rang desquels les automobiles quand, dans le même temps le creusement des inégalités rend le marché des véhicules haut de gamme particulièrement porteur en Europe comme en Chine.

Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que PSA positionné en milieu de gamme enregistre une chute de ses ventes et que Renault ne limite la casse que grâce aux ventes de sa marque à bas coût. Il n’est pas davantage étonnant de constater la nette progression des marques asiatiques, notamment coréennes, également positionnées sur ce segment du marché. Il n’est pas étonnant, enfin, que les groupes allemands enregistrent des résultats exceptionnels en étant fortement positionnés sur le haut de gamme : BMW, Audi et Porsche ont enregistré une augmentation de leurs ventes au premier semestre respectivement de 8%, 22,5% et 12,3%.

Cet état de fait ne saurait naturellement exonérer les constructeurs de leurs responsabilités stratégiques, mais il devrait conduire le gouvernement à hiérarchiser les causes et, plus encore, à prendre la mesure de ce qui est nécessaire à court terme en même temps qu’il s’engage dans un soutien à long terme de la filière.

Personne ne peut douter de la pertinence et de l’efficacité de la stratégie des entreprises allemandes basée sur la fragmentation internationale de leur production, la conservation et le développement sur le territoire national de leur capacité technologique et une meilleure analyse des attentes du marché dans les pays émergents au premier rang desquels la Chine. Cette stratégie s’est avérée d’autant plus gagnante que les dévaluations compétitives étaient devenues impossibles avec l’avènement de la monnaie unique et que cette impossibilité a fini par mettre à nu les erreurs de positionnement de leurs concurrents français, notamment de PSA, face à la réalité des marchés mondiaux. La rivalité accrue entre entreprises, du fait de l’affaiblissement progressif et récemment accéléré de la demande intérieure européenne, ne pouvait que conduire à creuser les écarts de performance en termes de volumes vendus, de parts de marché et finalement de marges bénéficiaires.

Il n’est certes pas discutable que l’avenir de l’industrie automobile française passe par un effort substantiel d’innovation organisationnelle et technologique couplant internationalisation de l’activité de production et renforcement des relations productives locales, ainsi que par la recherche de niches rendant la concurrence moins sensible aux prix. Les mesures publiques destinées à renforcer le tissu productif grâce à une politique de site et un soutien de la sous-traitance répondent à ce défi stratégique. L’accent mis sur le développement des véhicules électriques et hybrides est, en revanche, discutable. Le marché des véhicules électriques pourrait bien rester marginal et ce n’est pas un prix fortement subventionné permettant de doper les ventes auprès d’un public urbain spécifique qui changera la donne. Quant au marché des véhicules hybrides, encore limité en volume, c’est un marché où la concurrence étrangère (japonaise) existe déjà fortement. Ne faudrait-il pas s’interroger sur le devenir des véhicules de gamme moyenne, qui subissent à l’évidence le contrecoup de la crise en Europe, mais dont le marché pourrait redevenir florissant au sortir de la crise en Europe et se développer dans les pays émergents à mesure que s’y constitue une véritable classe moyenne. En d’autres termes, le redressement productif dans le secteur de l’automobile, s’il doit passer par des améliorations de qualité, reste une affaire de demande, une demande qui doit se concevoir à l’échelle du monde et commander en conséquence les choix stratégiques d’implantation et de segmentation des activités de production.

En toute hypothèse, un redressement productif dans une direction ou dans une autre demandera du temps, et ce temps risque fort de manquer si, à court terme, il n’y a pas de redressement de la demande. En d’autres termes, le problème immédiat est autant, sinon plus, macroéconomique que microéconomique. Le plus sûr moyen d’enterrer l’industrie automobile française, de perdre ainsi un important capital humain accumulé, est de poursuivre une austérité budgétaire qui ne fait que déprimer la demande sans pour autant résoudre la question des dettes souveraines.

 




Compétitivité et développement industriel : les difficultés du couple franco-allemand

Jean-Luc Gaffard

L’obsession de la compétitivité revient sur le devant de la scène avec la campagne électorale. Elle traduit une réalité : les entreprises françaises souffrent effectivement d’une perte de compétitivité qui explique la dégradation du commerce extérieur depuis presque une décennie. Cette perte est manifeste vis-à-vis des pays émergents et explique les délocalisations. Elle est également effective vis-à-vis d’entreprises appartenant à d’autres pays développés, principalement au sein de la zone euro et, singulièrement, vis-à-vis des entreprises allemandes. Cette dernière est d’autant plus grave qu’elle met en cause la cohérence de la construction européenne (cf. OFCE, note n°19  : Compétitivité et développement industriel : un défi européen).

L’écart de compétitivité qui s’est créé avec l’Allemagne est, à l’évidence, un écart de compétitivité-hors prix dont l’une des raisons d’être est la supériorité de son modèle industriel caractérisé par le maintien d’un tissu local fait d’entreprises de toutes tailles centrées sur leur cœur de métier et la fragmentation internationale de la production. Ce modèle est particulièrement adapté au développement d’entreprises s’adressant à des marchés mondiaux et prémunit largement le pays d’origine de ces entreprises du risque de désindustrialisation.

Ce serait, cependant, une erreur que d’ignorer qu’il s’est également produit une évolution défavorable de la compétitivité-prix du fait, à la fois, des réformes du marché du travail en Allemagne, qui ont abaissé relativement le coût salarial, et des stratégies de segmentation de leur production et de délocalisation des segments intermédiaires qui ont également permis une baisse des coûts de production.

Ainsi l’Allemagne est parvenue à la quasi stabilisation de ses parts de marché à l’exportation au niveau mondial grâce à leur augmentation réalisée dans l’Union européenne (+1,7% au cours des années 2000) et plus encore dans la zone euro (+2,3%), quand la France a perdu des parts de marché dans ces mêmes zones (respectivement 3,1% et 3,4%).

La France a subi deux évolutions peu favorables à son industrie. Le tissu des PME industrielles s’est délité. Celles-ci ont souffert moins de barrières à l’entrée que de barrières à la croissance.  Leurs managers ont trop souvent été enclins ou incités à les céder à de grands groupes plutôt que d’en assurer la croissance. L’absence de partenariat véritable avec ces groupes en est l’une des causes en même temps que les difficultés rencontrées auprès des banques et des marchés pour obtenir un financement pérenne. De leur côté, les grandes entreprises industrielles, qu’elles soient présentes sur une multitude de marchés locaux ou sur des marchés internationaux, ont fait le choix de la croissance externe et d’un éparpillement territorial de leur implantation ainsi que de celle de leurs fournisseurs d’équipements ou de services. Cette stratégie, conçue pour répondre au déplacement géographique de la demande, mais aussi pour faire droit à des impératifs de rentabilité immédiate exigée par un actionnariat volatile, s’est faite, en partie, au détriment du développement de tissus productifs locaux. Elle a été réalisée grâce un vaste mouvement de fusions et acquisitions mobilisant des compétences avant tout financières. Les institutions financières se sont, de leur côté, converties au modèle de banque universelle, délaissant en partie leurs métiers traditionnels de banque de crédit mais aussi de banque d’affaires. Ces évolutions concomitantes  se sont révélées désastreuses pour la compétitivité de l’ensemble, d’autant que dans le même temps les coûts salariaux horaires dans l’industrie augmentaient.

Rétablir la compétitivité des entreprises françaises et favoriser, ainsi, une ré-industrialisation du territoire repose alors sur une double exigence. La première est de permettre une maîtrise immédiate des coûts salariaux et le rétablissement des taux de marge, notamment au moyen de mesures fiscales impliquant de réviser le mode de financement d’une partie de la protection sociale. La deuxième exigence est de peser en faveur d’une réorganisation industrielle impliquant la constitution d’un tissu de relations stables entre les différents acteurs du processus industriel, notamment au moyen d’aides conditionnées à la coopération entre grandes et petites entreprises au sein des pôles de compétitivité.

Cet effort à moyen terme restera largement vain si des politiques coopératives ne sont pas mises en œuvre à l’échelle de l’Europe, qui relèvent aussi bien de la stimulation de l’offre grâce à la mise en œuvre de programmes de développement technologique que du soutien des demandes internes là où elles sont manifestement insuffisantes au regard des capacités de production.




Plaidoyer pour un pacte de croissance : beaucoup de bruit pour cacher un désaccord persistant

par Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno

L’insistance mise sur la nécessité de compléter la rigueur budgétaire par des mesures susceptibles de relancer la croissance, pour une part induite par le débat électoral en France, est une bonne nouvelle, entre autre parce qu’elle représente la tardive reconnaissance que l’austérité est en train d’imposer un prix trop élevé aux pays du sud de l’Europe.

Cependant, invoquer la croissance n’a rien de nouveau et peut rester sans contenu réel. Déjà à la suite d’une intervention du gouvernement français, le pacte de stabilité était devenu en 1997 le pacte de stabilité et de croissance. Sans véritable conséquence sur la nature d’une stratégie tout entière tournée vers l’application de règles strictes en matière monétaire et budgétaire et la recherche de davantage de flexibilité dans le fonctionnement des marchés.

La semaine dernière, Mario Draghi, ou encore Manuel Barroso et Mario Monti se sont montrés inquiets par la récession enregistrée notamment en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, mais aussi soucieux de répondre formellement à la demande qui pourrait venir du nouveau gouvernement français. Aussi plaident-ils pour que soit négocié un pacte de croissance, mais en prenant soin de rappeler qu’il doit consister dans un engagement commun à effectuer les réformes structurelles là où elles n’ont pas encore été faites. Cette position rappelle la lettre de onze premiers ministres, aux autorités européennes  en février dernier. Autrement dit, rien ne change dans la doctrine qui commande les choix de politique économique en Europe : la croissance ne peut être obtenue que par des reformes structurelles notamment des marchés du travail.

Cette position est pourtant doublement critiquable. Il n’est pas sûr, en premier lieu, que ces réformes structurelles soient efficaces, à moins d’être utilisées dans un esprit non coopératif pour améliorer la compétitivité du pays qui s’y livre au détriment de ses partenaires commerciaux, comme a pu le faire l’Allemagne avec les réformes Hartz. En second lieu, des réformes généralisées, y compris lorsqu’elles sont justifiées en termes de croissance de long terme, auraient dans un premier temps un impact récessif sur la demande[1], et donc sur l’activité. Elles ne peuvent donc répondre à ce qui est une exigence immédiate et prioritaire, à savoir enrayer la récession en train de se généraliser.

Le véritable défi auquel sont confrontés les Européens est bien de concilier le court et le long terme. La solution proposée jusqu’ici, une austérité budgétaire généralisée qui rétablirait la confiance des acteurs privés, et que viendraient compléter ces réformes structurelles censées augmenter le taux de croissance potentiel, ne marche simplement pas. Le prouvent les évolutions observées en Grèce, mais aussi au Portugal et en Irlande, élèves modèles des plans de sauvetage européens, ainsi qu’en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne. Les multiplicateurs budgétaires restent fermement keynésiens (voir Christina Romer, et Creel, Heyer et Plane), et les effets dits « non-keynésiens » sur les anticipations sont limités ou inexistants.

La croissance ni ne se décrète ni ne s’établit instantanément, contrairement à la spirale déflation-austérité dans laquelle s’enlisent aujourd’hui de plus en plus de pays européens.

Elle n’a de chances de se concrétiser que si la consolidation budgétaire n’est ni immédiate ni drastique. En fait, si la consolidation imposée aux pays en difficulté est étalée dans le temps (au delà de l’horizon 2013 qui sera en tout état de cause impossible à atteindre) et si une  politique budgétaire plus expansionniste est conduite dans les pays en mesure de le faire de manière à ce que, au niveau européen, l’effet global soit au moins neutre ou mieux expansionniste. Cette stratégie  ne serait pas forcément sanctionnée par les marchés qui ont montré dans un passé récent qu’ils étaient sensibles à l’exigence de croissance. Dans le cas contraire, des mesures devraient être prises par la BCE pour échapper à la contrainte qu’ils exercent. Ce soutien à court terme doit s’accompagner d’un effort substantiel à moyen terme d’investissement réalisé dans le cadre de programmes industriels européens financés par l’émission d’euro-obligations, et donc par un budget européen enfin de taille appropriée aux tâches de l’Union. Cette façon d’articuler et coordonner les choix à court et moyen terme serait un pas important vers la mise en place d’une structure fédérale seule à même de permettre la résolution de la question européenne.

 


[1] R.M. Solow, Introduction à Solow R.M. Ed. (2004) Réformes structurelles et politique macroéconomique, Paris : Economica (Traduction de Structural Reforms and Macroeconomic Policy, London : Macmillan).

 

 




The economic crisis is a crisis of economic policy

By Jean-Luc Gaffard

The simultaneous increase of inflation and unemployment in the 1970s indicated that Keynesian theory and policy had run into a wall. No longer was it simply possible to arbitrate between the two evils and fine-tune economic activity by acting solely on aggregate demand through the budget channel. This failure together with the persistence of high inflation eventually convinced policymakers of the need and urgency of prioritising the fight against inflation.

The economic theory devised by the new classical school came in support of this policy decision with the claim that inflation and unemployment were distinct phenomena that should be handled with distinct methods. If inflation takes off, it is because of a lack of monetary discipline. If unemployment rises, it is due to increased rigidities in the functioning of the markets. The famous Phillips curve, the basis for arbitrating between the two, theoretically becomes vertical, at least in the long run. Macroeconomic policies thus become dissociated from structural policies: the first are intended to stem inflation, the second to curb unemployment. The only relationship that they have with each other is that cyclical policy does not allow the economy to escape for long from the position determined by structural policy, a position that reflects the so-called natural unemployment rate. One attraction of this theory is the simplicity of its recommendations to government. Policymakers can (and should) meet a single target, inflation, by using a single instrument wielded by a central bank that is now independent, especially as hitting this target also ensures that the natural employment level will be achieved at the lowest cost in terms of inflation. If by chance the unemployment rate is considered too high, policymakers should take the view that this reflects dysfunctions in the markets for goods and labour, and they can then decide to introduce a well-organised set of structural reforms designed for market liberalisation. In this wonderful world, reducing the budget deficit is always profitable. The basic model teaches that, after such a reduction, income and employment decrease initially, but then, thanks to a reduction in interest rates, private investment quickly increases and with it income and employment. The new medium-term equilibrium may even correspond to a higher level of income and employment, as private investment expenditure is considered to be more efficient than government expenditure. An independent central bank and financial markets that are deemed efficient play the role of disciplining the government by punishing any inappropriate budget deficits.

Europe has been a prime testing ground for this theory. Monetary policy is in the hands of a central bank, and its governing treaties ensure that it is independent and that its sole objective is price stability. Structural policies and reforms are a matter for the states, which are responsible for choosing the natural unemployment rate that they consider acceptable or, if they consider unemployment to be too high, they can impose reforms. If unemployment is higher in one country than in another, in the medium term, this can only be due to structural differences, in other words, to the existence of greater rigidities in the way the markets in this country operate. Once the recommended reforms are implemented, things will get back to normal. The theory thus formulated is expected to survive the crisis: for Europe to regain its lost coherence is a simple matter of policy choices. Excessively indebted countries need to reduce their budget deficits and make the structural reforms that they have put off for too long in order to restore growth, full employment and price stability. At most, some are proposing that debts be pooled in return for a commitment to implement structural reform. Germany, which has preceded the others down this particular path to virtue, has nothing to fear from this scenario, since the renewed growth of its partners will ensure the long-term viability of its commercial outlets. Furthermore, the European Central Bank does not need to concern itself with financial stability, as markets punish impecunious States and force them into fiscal austerity by driving up the interest rates paid on their borrowings.

This entire beautiful structure rests on assumptions that are not very robust, in particular that any increase in market rigidities, particularly on the labour market, e.g. due to an increase in unemployment benefits, redundancy costs or employee bargaining power, shifts the long-term equilibrium position of the economy and inevitably produces an increase in the “natural” unemployment rate. It is, of course, always possible to compare long-run equilibria that are distinguished only by the value of certain structural data. It is riskier to deduce the path that leads from one to another. We should have learned from the experience of the 1930s that rigidities in prices and wages are a way to stem rising unemployment in a depressed economy, that is to say, when it becomes important to block reductions in prices and wages that are increasing the burden of private debt and putting downward pressure on aggregate demand. It should also be clear that structural reforms intended to reduce the natural rate of unemployment often lead immediately to a redistribution and reduction in income, which leads in turn to higher unemployment. But nothing says that this increase will only be temporary and will not trigger a chain reaction through the channel of aggregate demand. Rigidities remain a factor in reducing the risk of instability inherent in any structural change, whether this involves reforms in market organisation, the emergence of new competitors on the market or technological breakthroughs. A better allocation of resources may justify calling these rigidities into question, but care must be taken to avoid the inherent risk of instability. Certainly, when structural reforms aimed at introducing more flexibility undermine domestic demand, the latter can then be boosted by stimulating external demand with lower prices. The unemployment rate may then fall. But it is actually exported to countries that might well not yet have undertaken such reforms, where unemployment thus inevitably exceeds the level deemed natural. “Every man for himself” begins to prevail over solidarity.

Europe is currently going through this scenario. Germany, in particular, carried out the structural reforms required by the prevailing theory, but at the cost of the segmentation of its labour market and the growth of low-paid insecure jobs, which resulted in turn in a slowdown in domestic demand. The improvement in Germany’s export performance, based on the quality of its goods as well as on the international fragmentation of the production process, has been offsetting the slowdown and helping to contain or even reduce the budget deficit. The unemployment rate has been rising in many other European countries in parallel to their budget deficits. The correction required by the experts (and in fact imposed by the financial markets), which involves simultaneously reducing public spending, raising taxes and making structural reforms, will very likely further reduce domestic demand in these countries, increase their budget deficits and ultimately hit German exports. Recession, if not a general depression, lies at the end of this path. The cause is a series of internal and external imbalances. And things could get even more complicated if performance gaps in the countries concerned widen even further and lead to divergences in their goals and interests.

Economic policy is unfortunately more complex than modern macroeconomics would have it. The long term is not independent of the short term; and the goals pursued are not independent of each other, and not always inter-compatible. Policies that are categorised as cyclical and structural are not really independent of each other, nor can they be targeted exclusively at a single goal. If there must be structural reforms, they need to be accompanied by expansionary cyclical policies to counteract the immediate recessionary effects that they may amplify. Even so, cyclical policies are not sufficient in themselves to ensure strong, steady growth.

It is unrealistic and dangerous to expect to break free of the current impasse through generalised fiscal austerity in Europe. Compromises are needed that involve the acceptance of some disequilibria in order to alleviate others. The only way out is to accept budget deficits for a while longer. Without a recovery in the balance sheets of both firms and households, there will be no positive outcome from the rebalancing of public accounts, if indeed that even occurs.

There is of course no doubt that we must achieve greater harmony in the fiscal positions of countries belonging to the same monetary zone. Fiscal federalism is necessary to deal with monetary federalism. But federalism does not stop with the actions of a central bank that has been stripped of its basic functions and is unable to carry out common national fiscal contractions. It demands genuine budget solidarity, including to intervene to prevent the insolvency of States that are facing exorbitant interest rates. It also involves structural policies that not only refrain from reforms that could exacerbate fiscal and social competition, but also promote industrial and technological projects funded by a common European budget that has been strengthened through the establishment of a federal tax. State budget deficits will not be contained and the objectives and interests of states will not converge without the implementation of the cyclical and structural policies needed for a general recovery of growth.

 

 




La crise économique est une crise de la politique économique

par Jean-Luc Gaffard

Quand, dans les années 1970, l’inflation et le chômage augmentent simultanément, la théorie et la politique keynésiennes sont mises en échec. Il n’est plus question de pouvoir arbitrer entre les deux maux et de réguler finement l’activité économique en agissant sur la seule demande globale par le canal du budget. Cet échec et la persistance d’un taux d’inflation élevé finissent par convaincre les décideurs de la nécessité et de l’urgence de combattre prioritairement l’inflation.

La théorie économique imaginée par la nouvelle école classique est venue en support de ce choix politique  en prétendant que l’inflation et le chômage étaient des phénomènes distincts qui devaient faire l’objet de traitements séparés. Si l’inflation dérape, ce sera faute de discipline monétaire. Si le chômage augmente ce sera en raison de rigidités accrues qui affectent le fonctionnement des marchés. La fameuse courbe de Phillips, qui servait de base à l’arbitrage entre les deux, devient théoriquement verticale au moins à long terme. De cette façon, les politiques macroéconomiques sont dissociées des politiques structurelles : les premières sont dédiées à endiguer l’inflation, les secondes à endiguer le chômage. Elles n’ont aucune relation entre elles sinon que les politiques conjoncturelles ne permettent pas à l’économie d’échapper longtemps à la position que déterminent les politiques structurelles et qu’incarne un taux de chômage qualifié de naturel. La faveur de cette théorie tient à la simplicité des recommandations faites aux pouvoirs publics. Ils peuvent (et doivent) se satisfaire de la poursuite du seul objectif d’inflation au moyen d’un seul instrument manié par une Banque centrale devenue indépendante, d’autant que le respect de cet objectif garantit aussi d’atteindre le niveau naturel d’emploi au moindre coût en termes d’inflation. Si d’aventure le taux de chômage est jugé trop élevé, ces mêmes pouvoirs publics ne doivent s’en prendre qu’aux dysfonctionnements des marchés de biens et du travail et décider d’introduire des réformes structurelles parfaitement répertoriées puisqu’elles consistent à libéraliser ces marchés. Dans ce monde merveilleux, la réduction du déficit budgétaire est toujours profitable. Le modèle élémentaire enseigne que, à la suite de cette réduction, le revenu et l’emploi diminuent dans un premier temps, mais que, rapidement, grâce à la baisse du taux d’intérêt, l’investissement privé augmente et avec lui le revenu et l’emploi. Le nouvel équilibre de moyen terme peut même correspondre à un niveau plus élevé du revenu et de l’emploi dès lors que les dépenses privées d’investissement sont réputées plus efficaces que les dépenses publiques. Une banque centrale indépendante et des marchés financiers réputés efficients remplissent la fonction de discipliner les pouvoirs publics en sanctionnant des déficits budgétaires forcément inappropriés.

L’Europe a constitué un champ d’expérimentation privilégié de cette théorie. La politique monétaire y est entre les mains d’une Banque centrale dont les traités garantissent qu’elle est indépendante et imposent qu’elle ait pour seul objectif la stabilité des prix. Les politiques ou les réformes structurelles sont l’affaire des Etats, à charge pour eux de choisir le taux de chômage naturel qu’ils jugent acceptable ou de prendre argument d’un taux de chômage trop élevé pour imposer ces réformes. S’il y a plus de chômage dans un pays que dans un autre, à moyen terme, ce ne peut être qu’en raison de différences structurelles, en l’occurrence de plus fortes rigidités dans le fonctionnement des marchés de ce pays. Qu’il fasse les réformes préconisées et tout rentrera dans l’ordre. La théorie ainsi formulée est censée survivre à la crise : il ne tiendrait qu’à des choix politiques simples que cette Europe retrouve une cohérence perdue. Les pays excessivement endettés n’ont qu’à réduire leurs déficits budgétaires et faire des réformes structurelles trop longtemps retardées pour retrouver croissance, plein emploi et stabilité des prix. Tout au plus, certains proposent-ils de conditionner une forme de mutualisation des dettes à l’engagement de réaliser les réformes structurelles. L’Allemagne, qui les a précédés sur le chemin de cette vertu particulière, n’a rien à craindre de ce scénario, puisque la croissance retrouvée de ses partenaires garantira la pérennité de ses débouchés commerciaux. En outre, il n’est pas nécessaire que la Banque centrale européenne se préoccupe de stabilité financière puisque les marchés punissent les Etats impécunieux et les contraignent à l’austérité budgétaire en poussant à la hausse des taux d’intérêt payés sur leurs dettes.

Tout ce bel édifice repose, entre autres, sur un résultat bâti sur des hypothèses peu robustes : tout accroissement des rigidités notamment sur le marché du travail du fait d’indemnités de chômage, de coûts des licenciements ou de pouvoirs de négociation des salariés plus élevés, déplace la position d’équilibre de long terme de l’économie et produit inéluctablement une hausse du taux de chômage dit naturel. Il est, certes, toujours possible de comparer des équilibres de long terme uniquement distingués par la valeur de certaines données structurelles. Il est osé d’en déduire le chemin qui conduirait de l’un à l’autre. On devrait savoir, depuis l’expérience des années 1930, que les rigidités de prix et de salaires sont un moyen d’enrayer la progression du chômage dans une économie en dépression, c’est-à-dire quand il devient important de bloquer les baisses de prix et de salaires porteuses d’augmentation du poids des dettes privées, et de pression à la baisse sur la demande agrégée. On devrait aussi reconnaître que les réformes structurelles, censées réduire le taux de chômage naturel, ont souvent un impact immédiat de redistribution et de réduction du revenu qui conduit à une hausse du chômage. Or rien ne dit que cette hausse sera transitoire et ne déclenchera pas une réaction en chaîne via la demande globale. Les rigidités restent un facteur de réduction des risques d’instabilité inhérents à tout changement structurel, qu’il s’agisse de réformes dans l’organisation des marchés, d’irruption de nouveaux concurrents sur les marchés ou de ruptures technologiques. Les remettre en cause peut se justifier dans la perspective d’une meilleure affectation des ressources, mais il faut prendre garde au risque d’instabilité qui est encouru. Certes, quand des réformes structurelles tendant à introduire plus de flexibilité affaiblissent la demande interne, le relai de celle-ci pourra être pris par une demande externe stimulée par les baisses de prix. Le taux de chômage peut alors baisser. Mais il est, de fait, exporté vers des pays qui, éventuellement, n’ont pas procédé aux mêmes réformes et dont le chômage ne peut qu’excéder le niveau réputé naturel. Le chacun pour soi commence à l’emporter sur la solidarité.

L’Europe est en train de vivre ce scénario. L’Allemagne, notamment, a réalisé les réformes structurelles requises par la théorie dominante, mais au prix d’une segmentation de son marché du travail, du développement des emplois précaires faiblement rémunérés et, par suite, d’un ralentissement de sa demande interne. Les performances accrues à l’exportation, dues à la qualité des biens, mais aussi à la fragmentation internationale de leur production, compensent ce ralentissement et permettent de contenir sinon de réduire le déficit budgétaire. Le taux de chômage augmente parallèlement dans nombre d’autres pays européens en même temps que leurs déficits budgétaires. La correction exigée par les experts (en fait imposée par les marchés financiers) impliquant simultanément la réduction des dépenses publiques, l’augmentation des impôts et des réformes structurelles a toutes chances de réduire un peu plus la demande domestique de ces pays, d’accroître le déficit de leurs budgets et finalement de peser sur les exportations allemandes. La récession sinon la dépression généralisée est au bout de la route. Sont en cause, non pas les propriétés des équilibres perdus ou recherchés, mais l’enchaînement des déséquilibres internes et externes. Les choses pourraient bien se compliquer encore si les pays concernés voient se creuser les écarts de performance et par suite la divergence de leurs objectifs et de leurs intérêts.

La politique économique est malheureusement plus complexe que ne le voudrait la macroéconomie moderne. Le long terme n’est pas indépendant du court terme. Les objectifs poursuivis ne sont pas indépendants les uns des autres, ni toujours compatibles entre eux. Les politiques qualifiées respectivement de conjoncturelles et de structurelles ne peuvent pas davantage être indépendantes les unes des autres ni dédiées chacune à un objectif unique. Si réformes structurelles il doit y avoir, elles doivent s’accompagner de politiques conjoncturelles expansionnistes afin de contrarier les effets récessifs immédiats susceptibles de s‘amplifier. Pour autant, les politiques conjoncturelles ne suffisent pas à retrouver une croissance forte et régulière

En Europe, il est illusoire et dangereux de penser pouvoir sortir de l’impasse actuelle en généralisant l’austérité budgétaire. Des compromis deviennent nécessaires consistant à accepter certains déséquilibres pour en atténuer d’autres. La seule sortie possible passe par l’acceptation,  pour un temps encore, de déficits budgétaires. Sans rétablissement des bilans des entreprises et des ménages, il n’y a pas d’issue positive à attendre du rétablissement des comptes publics si tant est que l’on y parvienne.

Il n’y a, certes, aucun doute qu’il faut arriver à une plus grande harmonie des situations budgétaires de pays appartenant à une même zone monétaire. Du fédéralisme budgétaire est nécessaire pour faire face au fédéralisme monétaire. Mais le fédéralisme ne s’arrête pas à l’action d’une banque centrale privée de l’essentiel des attributs de sa fonction et ne saurait procéder de contractions budgétaires nationales partagées. Il suppose une réelle solidarité budgétaire impliquant d’intervenir pour éviter l’insolvabilité des Etats qui auraient à supporter des taux d’intérêt extravagants. Il concerne, en outre, les politiques structurelles impliquant, non seulement de s’abstenir de ces réformes qui consistent à exacerber la concurrence fiscale et sociale, mais aussi à promouvoir des projets industriels et technologiques communs financés par un budget européen renforcé grâce à l’instauration d’une taxe fédérale. Les déficits budgétaires des Etats ne seront pas contenus, les objectifs et les intérêts des Etats ne convergeront pas si les moyens conjoncturels et structurels d’une reprise générale de la croissance ne sont pas mis en œuvre.




“Buy French”: From the slogan to the reality

By Jean-Luc Gaffard, Sarah Guillou, Lionel Nesta

The current election campaign is lending weight to simplistic proposals like the slogan “buy French”, which evokes the need for France to re-industrialize. And to accomplish this, what could be simpler than to convince the population to buy native products designated with a special label? This is also more politically correct than advocating a straightforward return to protectionism. Employment is expected to benefit, along with the balance of trade. But if we look more closely, not only is it difficult to identify the geographical origin of products, but even if that were possible, any preference that these products might enjoy could well wind up in job losses. This solution for dealing with the need for re-industrialization ultimately reflects a refusal to get to the bottom of the problem.

Can we really define what it means to “buy French”? Does it mean buying the products of French companies? What about buying products made ​​in France by foreign companies instead of buying products made abroad by French companies? These simple questions show that it is not so easy to pin down what is “Made in France”. One major difficulty is that the final goods produced in a country usually incorporate intermediate goods manufactured abroad. It may even happen that the components of a final product are manufactured by a competitor in another country. The iPhone is emblematic of this fragmentation. Should we refrain from purchasing intermediate goods from low-wage countries even though this makes it possible to produce final goods at a lower cost and boost exports by being more competitive on price? Those who think so should no longer be touting German industry as an example, since everyone knows about the growing share of imported inputs in the production of the final goods Germany exports (OECD, Measuring Globalisation: OECD Economic Globalisation Indicators 2010, p. 212).

Imagine, nevertheless, domestic consumers who are able to identify products with a high labour content and are ready to make sacrifices out of a spirit of economic patriotism. Don’t the polls tell us that over two-thirds of consumers would be willing to pay more for French goods? While there are doubts about whether they would actually do this, it would be risky to ignore the opportunity cost of such a choice. Buying more expensive products simply because they are French reduces purchasing power. Other goods and services would not be purchased or would be bought for less abroad. The balance sheet for employment is far from certain.

Should this exercise in economic patriotism actually materialize, it would be a way that consumers form attachments to certain types of products, in this case based on their place of manufacture, which would in turn reduce the intensity of competition. This could lead the companies concerned to cut back on their efforts to become more competitive on price and other factors. Why, indeed, should they shell out for expensive and risky investments when have a guaranteed customer base? It’s a safe bet that they will not do this much, if at all. The national economy would then be locked in a low technology trap, doomed to slower growth, obviously with damaging consequences for employment in the medium and long term. This would also deprive the economy of the means to innovate and improve the competitiveness of its products.

Finally, it is likely that the willingness to buy French products would benefit products that replace goods made elsewhere in Europe rather than goods made in developing countries, either because the latter are no longer manufactured at all in France or because the price differences with French products would still be prohibitive. Ultimately it would not be possible to avoid further shifts in production to low-wage countries, with the consequent job losses. Furthermore, from a European perspective the non-cooperative character of this kind of measure could lead our European partners to adopt reciprocal measures, which would be detrimental to exports and employment.

The slogan “buy French” masks a refusal to see that the downturn is a global phenomenon which calls for a comprehensive response at the European level, and a refusal to consider a proactive industrial policy that takes into account the realities of supply as well as demand.

This is not just a matter of looking the other way. France is undergoing a deindustrialization process that threatens its capacity for growth. But who can deny that this phenomenon has accelerated with the crisis and that this acceleration is set to increase as the general austerity measures and restrictions on bank credit further undermine domestic and European demand for consumer durables? Unless we are willing to accept that an entire segment of industry in France and elsewhere in Europe is destroyed, with no hope of ever returning, and with as a consequence still greater disparities between countries and sharper conflicts of interest, it is clearly urgent to support this kind of demand.

Is this kind of support “the solution”? Of course not: propping up demand will not be enough, as an industrial policy aimed at strengthening the supply side is also needed. The point is not to protect domestic production nor to promote the conquest of foreign markets through competition on taxation or social charges, but to stimulate investments designed to produce new goods and services, which is the only way to create stable jobs. Rather than try to rely on dubious slogans, the goal should be to consolidate production that has the advantage of being high quality in terms of design, safety and reliability, and which corresponds to what French and European consumers genuinely want.

 

 




“Acheter français” : du slogan à la réalité

par Jean-Luc Gaffard, Sarah Guillou, Lionel Nesta

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

La campagne électorale donne du poids aux propositions simplistes. Il en est ainsi du slogan  « acheter français » qui fait écho à la nécessité de réindustrialiser la France. Quoi de plus simple, en effet, pour y parvenir que de convaincre les résidents d’acheter les produits de leur propre pays en proposant de mettre à leur disposition un label reconnu. C’est, en outre, davantage politiquement correct que de prôner d’entrée de jeu le retour au protectionnisme. L’emploi est censé y gagner en même temps que la balance du commerce extérieur. A y regarder de plus près, non seulement il est difficile d’identifier l’origine géographique des productions, mais même si cela était possible, la préférence dont elles seraient l’objet pourrait bien se conclure en pertes d’emplois.  La solution ainsi préconisée pour répondre à l’exigence de ré-industrialisation ne fait que marquer le refus d’envisager le fond du problème.

Peut-on vraiment définir ce que signifie « acheter français » ? Est-ce acheter les produits d’entreprises françaises ? Ou bien n’est-ce pas plutôt acheter des produits fabriqués en France par une entreprise étrangère au lieu d’acheter des produits fabriqués à l’étranger par des entreprises françaises. A cette seule observation, on voit bien qu’il n’est pas si facile de détecter le  « made in France ». La vraie difficulté tient au fait que les biens finals fabriqués sur le territoire national incorporent le plus souvent des biens intermédiaires fabriqués à l’étranger. Il peut même arriver que les composants d’un produit final soient fabriqués par un concurrent d’un autre pays. L’exemple de l’iphone est emblématique de cette fragmentation. Faut-il alors s’interdire d’acheter des biens intermédiaires dans des pays à bas salaires alors qu’ils permettent de produire des biens finals à meilleur coût et de mieux les exporter en devenant plus compétitifs en termes de prix ? Ceux qui en arriveraient à le penser ne devraient plus donner l’industrie allemande en exemple quand on sait le poids croissant des biens intermédiaires importés dans la fabrication des biens finals qu’elle exporte (OCDE, Measuring Globalisation: OECD Economic Globalisation Indicators 2010 p. 212).

Imaginons, cependant, des consommateurs nationaux capables de détecter les produits à fort contenu en emplois et prêts à se sacrifier dans un élan de patriotisme économique. Les sondages ne nous disent-ils pas que plus des deux tiers des ménages seraient prêts à débourser plus pour acheter des produits français ? Outre que l’on peut douter du passage à l’acte, il serait hasardeux d’ignorer le coût d’opportunité d’un tel choix. Acheter plus cher des produits parce qu’ils sont français réduit le pouvoir d’achat. D’autres biens et services ne seront pas achetés ou le seront à moindre prix à l’étranger. Le bilan pour l’emploi est pour le moins incertain.

Ce même effort de patriotisme économique, s’il devait se concrétiser, constituerait une forme d’attachement de la clientèle à certains types de produits, en l’occurrence désignés par leur lieu de fabrication, qui aurait pour effet de réduire l’intensité de la concurrence. Il pourrait conduire les entreprises concernées à s’exonérer des efforts nécessaires pour améliorer leur compétitivité-prix ou hors-prix. Pourquoi, en effet, devraient-elles investir dans des projets d’investissements coûteux et risqués, alors qu’elles auraient une clientèle assurée ? Il y a fort à parier qu’elles ne le feront pas ou peu. L’économie nationale pourrait alors se trouver enfermée dans une trappe à faible niveau technologique et donc à faible croissance aux conséquences évidemment dommageables pour l’emploi à moyen et long terme. Elle se serait privée des moyens d’innover et d’accroître la compétitivité de ses produits.

Enfin, il est vraisemblable que la volonté d’acheter français bénéficierait à des produits qui viendraient se substituer à des produits fabriqués ailleurs en Europe plutôt qu’à des produits fabriqués dans les pays émergents, soit parce que ces derniers ne sont plus fabriqués en France, soit parce que les différences de prix à l’ avantage de ces derniers restent rédhibitoires. Au final, les délocalisations vers les pays à bas salaires et les pertes d’emplois correspondantes ne seraient pas évitées. De plus, le caractère non coopératif du point de vue européen de cette mesure pourrait entraîner un comportement réciproque des partenaires européens dommageable aux exportations et à l’emploi.

Le slogan « acheter français » masque le refus de voir dans la récession un phénomène global qui appelle une réponse globale à l’échelle européenne, mais aussi le refus d’envisager une politique industrielle volontariste impliquant d’être au fait des réalités de l’offre comme de celles de la demande.

Il n’est pas question ici de se voiler la face. La France subit une désindustrialisation qui menace sa capacité de croissance. Mais qui peut nier que le phénomène s’est accéléré avec la crise et que cette accélération va s’amplifier quand l’austérité budgétaire généralisée et les restrictions de crédit bancaire affaibliront un peu plus la demande intérieure et plus largement européenne pour les biens de consommation durables ? Il y a clairement urgence à soutenir cette demande sauf à accepter que tout un pan de l’industrie en France comme ailleurs en Europe soit détruit sans espoir de retour, avec à la clé des disparités encore accrues entre pays et une exacerbation des conflits d’intérêts.

Est-ce à dire que l’on tiendrait là la solution ? Certes non ; il ne suffit pas de soutenir la demande et une politique industrielle, visant à renforcer l’offre, est également nécessaire. Il s’agit ni de protéger les productions nationales, ni de favoriser la conquête des marchés extérieurs à coups de concurrence fiscale ou sociale, mais de stimuler des investissements visant à la maîtrise de la production de nouveaux biens et services, les seuls à même de créer des emplois stables. Plutôt que de tenter de s’appuyer sur des slogans improbables, l’objectif devrait être de consolider une offre dont l’avantage tient à la qualité des services fournis en matière de conception, de sécurité, de fiabilité, et qui soit en adéquation avec ce que sont réellement les préférences des consommateurs français et européens.