Le bâtiment a fière allure …

par Pierre Madec

Les chiffres du premier trimestre 2017 publiés le 28 avril par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis maintenant plusieurs trimestres : le nombre de logements mis en chantier a atteint 379 000 unités, dépassant ainsi sa moyenne observée depuis 2000 (375 000). Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction frôle la barre symbolique des 450 000.

Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur poursuit également son redressement. Au premier trimestre 2017, les perspectives de mises en chantier et la demande de logements neufs sont proches de leur moyenne de long terme et les perspectives de mises en chantier de logements sociaux affichent, elles, des valeurs proches de celles observées en 2009 lors du plan de soutien au secteur social entrepris par Nicolas Sarkozy.

Si les premières estimations des comptes trimestriels publiées le 28 avril 2017 sont décevantes avec un taux de croissance du PIB de 0,3%  au premier trimestre 2017, l’amélioration de la situation conjoncturelle du secteur du bâtiment a contribué fortement à cette faible croissance. En effet, au premier trimestre 2017, l’investissement des ménages – pour grande partie (82%) en logement – a cru, comme au dernier trimestre 2016, de 0,9%, portant l’acquis de croissance de la FBCF ménages à 2,1% pour l’année 2017.

Compte tenu de l’évolution des facteurs structurels explicatifs de l’investissement des ménages, il est à prévoir que ce redressement du secteur du bâtiment devrait, sauf annonces post-présidentielle importantes, se poursuivre et se traduire par une amélioration significative de l’emploi salarié sectoriel, encore largement dégradé à l’heure actuelle.

 




Quand la construction va …

par Pierre Madec et Hervé Péléraux

Les chiffres du troisième trimestre 2016 publiés le 29 novembre par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis plusieurs trimestres : le nombre de logements neufs mis en vente sur un an a atteint 116 900, soit une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction ou mis en chantier a poursuivi sa progression. Ainsi, entre octobre 2015 et octobre 2016, 363 500 logements ont été commencés et 427 800 ont été autorisés à la construction, soit respectivement 15,4% et 11,3% de plus que l’année précédente (graphique 1).

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Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur s’est fortement améliorée ces derniers mois. Ainsi, au deuxième trimestre 2016, pour la première fois depuis la fin 2011, les perspectives de mises en chantier dépassaient leur moyenne de long terme, quel que soit le segment du parc observé (graphique 2). Notons que l’annonce du plan de relance pour la construction intervenue en août 2014 (nouveau PTZ, assouplissement du dispositif d’investissement locatif, …) a pu avoir un effet sur l’arrêt de la dégradation des perspectives des professionnels. Malgré tout, s’il est probable que ces annonces aient participé au redressement des perspectives des professionnels, il est important de rappeler que les déterminants de la construction de logements reposent pour la plupart sur des facteurs plus structurels : l’évolution du pouvoir d’achat des ménages, des taux d’intérêt mais aussi nombre de variables démographiques.

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Dans les comptes nationaux, l’investissement des ménages (hors entrepreneurs individuels) se décompose en construction (82 %) et en frais liés à l’immobilier (18 %). Les frais liés aux acquisitions immobilières dans le neuf ou dans l’ancien – frais de notaire, frais d’architecte, d’agence immobilière et TVA – sont ainsi considérés comme des dépenses d’investissement. La formation brute de capital fixe (FBCF) en logements des ménages recouvre à parts équivalentes la construction neuve et les travaux de rénovation et de gros entretien.  Il est à noter que ces chiffres, fortement révisés du fait notamment des délais de remontée d’informations locales, sont difficilement interprétables lors des premières estimations fournies par la statistique publique (voir encadré).

L’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française. Entre 2008 et 2015, l’investissement des ménages a amputé la croissance française de 0,2 point en moyenne par an, soit 1,2 point de PIB sur la période. Sous l’effet du redressement du pouvoir d’achat des ménages et du dynamisme retrouvé de l’emploi salarié et sous l’hypothèse d’une relative stabilité des prix et des taux immobilier, l’investissement des ménages devrait croître, malgré un deuxième trimestre négatif (-0,3%), de 0,3% en volume en 2016 et de 2% en 2017 (graphique 3). Malgré tout, ce dernier devrait se maintenir à un niveau très inférieur à celui d’avant-crise. Fin 2018, l’investissement des ménages en volume devrait être inférieur de près de 15% à son niveau de fin 2007…

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Encadré : Les difficultés d’estimer à court terme l’activité dans le secteur de la construction

 Nous avons étudié les révisions de compte de la branche « Construction » provenant de la comptabilité nationale et évalué sa contribution à la révision de la valeur ajoutée (VA) totale.

D’une manière générale, il apparaît une sous-estimation chronique du taux de croissance de la VA totale depuis 2010 entre la moyenne annuelle issue du compte trimestriel (une fois connu le quatrième trimestre de l’année fin janvier de l’année suivante) et la dernière version disponible des comptes (la seconde version du troisième trimestre 2016 publiée le 29 novembre). Au total, sur les 14 dernières années, 11 années ont fait l’objet de révisions positives. Les trois années où les révisions de la VA totale ont été négatives sont les années de récession, 2002, 2008 et 2009. Pour la construction proprement dite, les évaluations préliminaires sont très imprécises, en particulier depuis 2010 où l’on observe des révisions beaucoup plus fortes que par le passé, notamment en 2012.

Les révisions de la VA dans la construction, comprises depuis 2002 entre -6,2 et 3,1 points, sont moindres que dans l’agriculture (entre -7,6 et 12,4 points) mais bien plus marquées que dans l’industrie (entre -1,7 et +2,6 points) et dans les services marchands (entre -1,6 et +1,1 point, graphique 4).

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La construction a néanmoins un poids relativement faible dans la VA totale (5,8 % en 2014, contre 13,8 pour l’industrie et 56,6 pour les services marchands). Il est par conséquent utile de pondérer l’impact de ces fortes révisions par le poids du secteur dans la VA totale afin d’évaluer leur contribution à la révision de la VA d’ensemble. Malgré une volatilité moins prononcée que dans l’agriculture, les révisions de la VA dans la construction affectent significativement le calcul de la VA totale, avec une contribution à sa révision comprise entre -0,4 et + 0,2 point (graphique 5). En regard, la volatilité moins prononcée des estimations de la VA dans les services marchands impacte davantage la VA totale compte tenu de son poids 10 fois plus important que celui de la construction.

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Cette analyse rapide met en exergue les difficultés pour élaborer des estimations préliminaires robustes de l’activité du secteur de la construction. Ces difficultés, illustrées ici par la mesure de la VA par branche, se présentent également lorsqu’il s’agit d’estimer le niveau des mises en chantier, des permis de construire ou encore l’évolution de l’investissement en logement des ménages. De fait, les premières publications de ces nombreuses données quantitatives doivent être interprétées avec la plus grande prudence, tant pour mesurer leur impact sur le calcul des comptes nationaux que pour caractériser la conjoncture du secteur à court terme.

 




Très cher Pinel …

par Pierre Madec

Le vendredi 8 avril dernier, le Président de la République a annoncé la prolongation du dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Pinel ». « Puisque ça marche, il n’y a pas de raison de changer » a ainsi déclaré François Hollande. Accueillie très favorablement par les professionnels du secteur, en particulier les promoteurs immobiliers qui réalisent une grande part de leur activité sur l’investissement locatif privé (près de la moitié en 2015), cette annonce a le mérite d’apporter une certaine continuité à un secteur en proie à une grande instabilité. Du dispositif Méhaignerie instauré au milieu des années 1980 au dispositif Pinel mis en place à l’été 2014, plus d’une dizaine d’instruments différents ont été utilisés au cours des 30 dernières années pour doper le secteur de l’investissement locatif[1]. Il est clair que cette forte volatilité des dispositifs ne permet pas de les évaluer correctement dans un temps long. Malgré tout, certaines critiques semblent se dégager ces dernières années concernant l’utilité même de ce type de dispositifs de défiscalisation dont l’objectif initial était de développer, dans les zones les plus tendues, une offre de logement « intermédiaire » en direction des classes moyennes. Qu’en est-il ? Le Pinel est-il, comme l’a indiqué le Président de la république, un dispositif « qui marche » ? A-t-il permis, en remplaçant le décrié dispositif « Duflot », d’enclencher le redémarrage du marché de la construction en France ? Permet-il de remplir l’objectif affecté de développement d’un parc locatif intermédiaire ? Si oui à quel coût ?

Le « Pinel » qu’est-ce que c’est ?

Le dispositif Pinel est donc un dispositif d’incitation à l’investissement locatif. En contrepartie d’une défiscalisation plus ou moins importante, un investisseur s’engage à mettre son bien immobilier neuf en location, pour un durée allant de 6 à 12 ans, tout en respectant des plafonds de loyers et de revenus des locataires fixés par décret. Le logement doit se situer dans une zone dite « tendue » définie elle aussi par décret et respecter un certain nombre de critères de performance énergétique.

En 2016, les plafonds de loyers et de ressources sont les suivants :

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Selon l’engagement initial de location (6 ans ou 9 ans), le taux de la réduction d’impôt varie de 12% à 18% du montant de l’opération dans la limite d’un investissement de 300 000 euros et 5 500 euros par mètre carré habitable. Cet engagement initial peut être prolongé de 3 ans, une ou deux fois, dans la limite d’un engagement total de 12 ans. Chaque prolongation donnant droit à une réduction d’impôt supplémentaire de 3% du montant de l’investissement.

Enfin, contrairement à son prédécesseur, est offerte à l’investisseur Pinel la possibilité de louer à l’un de ses ascendants ou de ses descendants.

Le « Pinel » : pour quoi faire ?

Au travers la mise en place du dispositif Pinel en août 2014, le gouvernement souhaitait apporter des réponses à la fois au secteur de la construction, confronté à une crise importante, et à la crise du logement cher qui traverse la France depuis maintenant plus de trois décennies. En l’absence de données précises sur les investissements Pinel réalisés depuis la mise en place du dispositif, il paraît complexe de conclure positivement ou négativement sur l’impact de ce dispositif tant pour les investisseurs que pour les locataires. Certes, les ventes de logements par les promoteurs se sont bien rétablies en 2015 (100 200 unités soit +7% par rapport à l’année précédente), néanmoins elles restent très inférieures aux niveaux observés en 2013 (103 770) mais surtout entre 2010 et 2012 (117 400 en moyenne annuelle), temps des dispositifs Scellier (jusqu’en 2012) puis Duflot. Si le redémarrage du marché de la construction semble indéniable (hausse des mises en chantier et des permis de construire depuis la mi-2015), conclure à un impact des dispositifs d’investissement locatif semble très prématuré d’autant plus que ces derniers ne représentent qu’une faible part de l’ensemble de la production neuve. Si l’on parle ainsi de 50 000 « Pinel » produits en 2015, rappelons que cette année a vu se construire près de 400 000 logements.

Concernant l’impact de ce type de dispositif sur l’émergence d’un parc accessible aux classes moyennes éprouvant des difficultés à se loger dans le parc locatif privé « traditionnel » et trop « aisées » pour accéder au parc social, là aussi les conclusions ne peuvent être tirées définitivement compte-tenu du manque de données sur l’occupation des biens ainsi produits. Malgré tout, les plafonds de revenu et de loyer définis par la loi laissent à penser que l’objectif initial semble lointain. Concernant les plafonds de loyer, ils sont en réalité très proches des loyers pratiqués sur les marchés. Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, le loyer moyen acquitté par les locataires du parc privé de la petite couronne parisienne, en partie incluse dans la Zone A bis visée par le dispositif Pinel, était en 2015 de 16,5 euros le m². A titre de comparaison, le plafond défini pour pouvoir bénéficier du dispositif Pinel était, pour une zone relativement comparable, de 16,83 euros par m². Si les zones considérées ne sont pas parfaitement comparables, ces données permettent de relativiser le caractère « intermédiaire » des loyers proposés. Il paraît clair que l’objectif de proposer des loyers inférieurs de 20% aux loyers de marché ne semble pas rempli. Pour ce qui est des plafonds de revenu, ils ne semblent pas cibler prioritairement les ménages aux revenus proches de la  « moyenne ». A titre d’exemple, en 2012, les personnes seules déclaraient un revenu médian de 17 800 euros annuel. Le dernier décile de revenu déclaré était de 35 800 euros (ERFS, 2012). Clairement, les plafonds de revenu définis au sein du dispositif Pinel ne semblent pas le flécher vers les ménages aux revenus insuffisants pour se loger correctement dans le parc locatif privé traditionnel.

De même, le zonage afférent à la mesure, largement critiqué et déjà remanié lors de la mise en place du Duflot, reste encore largement perfectible. Bien que les caricatures observées lors de la mise en œuvre du Scellier aient en grande partie disparues, il demeure que certaines zones concernées ne correspondent pas tout à fait à la définition de zones « en tension », c’est-à-dire de zones où l’offre de logement est largement insuffisante.

Enfin, si la possibilité offerte de louer à ses ascendants ou descendants est pour le moins curieuse, la réduction de la durée minimale de mise en location, réclamée par les professionnels afin d’intégrer de la « flexibilité » dans l’investissement est quant à elle très critiquable. Rappelons que ce type de dispositif avait pour objectif initial de développer en France un parc de logements dits « intermédiaires ». Alors que la fixation de plafonds de loyers et de ressources élevées ne permet pas de cibler correctement les locataires pouvant correspondre aux critères initialement souhaités, les durées d’engagement posent question. Peut-on subventionner des logements dont la durée de mise en location est si courte alors même que la nécessité de développer durablement un parc de logements abordables semble faire consensus ?

Le « Pinel », combien ça coûte ?

Le coût des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif est l’une des principales critiques qui leur est adressé. Ainsi, malgré l’existence de plafonds d’investissement, excluant d’ailleurs de fait certaines zones très tendues telle que celle de Paris, le coût budgétaire par logement peut s’avérer très élevé. Par exemple, une personne seule au revenu déclaré de 77 000 euros par an et investissant dans un Pinel à hauteur du plafond (300 000 euros) pour une durée de 12 ans, serait amenée à déduire de ses impôts plus de 53 000 euros. A titre de comparaison, l’ensemble des aides publiques affectées à la production d’un logement social du type PLAI – dont les plafonds de loyers sont de 5,94 euros par m² pour la zone équivalente à la zone A bis du dispositif Pinel – s’élève à 59 000 euros alors même que la production de logements sociaux s’inscrit par définition dans un temps bien plus long.

Conscient du caractère « extrême » de ce cas de figure et afin d’évaluer le coût budgétaire potentiel du Pinel, nous nous sommes basés sur la méthodologie proposée par le Ministère du Logement en 2008. Nous considérons dans un premier temps la dépense fiscale moyenne par logement puis multiplions cette dépense par le nombre de « Pinel » produit pour l’année 2015. Cela nous fournit une estimation du coût budgétaire d’une génération de « Pinel ».

La dépense fiscale par logement est calculée à partir des paramètres micro-économiques moyens : le logement considéré est un logement standard, invariant sur la période, d’une surface habitable de 65 m² ; son prix est déterminé à partir du prix moyen au mètre carré de vente des appartements neufs par les promoteurs, tel que donné par l’enquête « Commercialisation des logements neufs » (ECLN) pour le quatrième trimestre 2015 (3 892€/m²) ; et enfin l’investisseur considéré est une personne mariée avec un enfant disposant d’un revenu de 60 000 € environ.

Les simulations n’intègrent ni les revenus émanant de l’investissement (les loyers perçus) ni le cumul possible avec d’autres niches fiscales. La durée de mise en location est la durée intermédiaire de 9 ans. In fine, pour cet investissement, le coût budgétaire est pour l’Etat de 20 077 euros. Sous l’hypothèse de 50 000 Pinel produit en 2015, le coût budgétaire d’une génération de Pinel dépasse donc le milliard d’euros.

Si cette estimation ne donne qu’un ordre de grandeur des coûts induits, elle livre tout de même un certains nombres d’enseignements. Un milliard d’euros d’aides de l’Etat adressé à la construction de logement type PLAI, en plus d’engendrer tout autant d’emplois que la construction de Pinel[2],  permettrait la création de près de 30 000 PLAI supplémentaires chaque année …

[1] Méhaignerie, Quilès-Méhaignerie, Périssol, Besson, Robien, Daubresse, Robien recentré, Borloo Populaire, Scellier, Scellier intermédiaire, Duflot et Pinel.

[2] François Hollande soulignait justement dans la même intervention que la production d’un logement générait la création de 2 emplois.




L’investissement en logements des ménages sur la voie du redressement

par Pierre Madec

La publication récente des derniers résultats trimestriels du secteur de la construction laisse à penser que la reprise enclenchée dans le secteur industriel et sur le marché de l’emploi est à même de se transmettre, dans les mois à venir, au secteur de la construction. Au troisième trimestre 2015, le nombre de permis de construire a augmenté de 4,3 % pour s’établir à 98 700, après une hausse de 3,8 % lors du trimestre précédent. Les mises en chantier se sont également redressées de 0,5 % après une baisse de 0,4 % au deuxième trimestre. L’amélioration des perspectives, tant en termes de demande de logements neufs que de mises en chantier (graphique 1), observée le mois dernier semble donc se traduire dans les faits et l’investissement logement, fortement dégradé depuis plusieurs semestres, devrait de nouveau croître dès la fin de l’année 2015.

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Rappelons que l’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française.

Dans  notre exercice de prévision d’automne, nous avons modélisé l’investissement logements des ménages à court terme en nous appuyant sur un modèle à correction d’erreurs (MCE) faisant dépendre le taux d’investissement en logements (l’investissement rapporté au revenu disponible brut des ménages) de variables retardées que sont les mises en chantier (-1 trimestre), les permis de construire (-4), l’opinion des promoteurs immobiliers à la fois sur la demande de logements neufs (-3) et sur les mises en chantiers futures (-1). La simulation dynamique de cette équation retrace de manière satisfaisante l’investissement des ménages sur la période d’estimation qui commence en 1995. Le jeu des variables retardées laisse à penser que l’investissement en logements serait à même de se redresser significativement à partir du second semestre de l’année 2015.

Sous l’hypothèse, retenue dans notre prévision, d’une stabilité des dernières valeurs connues  des variables exogènes introduites dans la modélisation (permis, mises en chantier, enquêtes), l’investissement en logement des ménages, après une baisse de 2 % en 2015, progresserait de 5 % en 2016 et 2017 (graphique 2), retrouvant ainsi à la fin de l’année 2017 son niveau du milieu d’année 2013.

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Enquête « Logement 2013 » : quels premiers enseignements ?

Par Pierre Madec et Morgane Richard

Il y a quelques semaines, l’INSEE publiait les premiers résultats de la nouvelle Enquête Nationale Logement (ENL). A la fin de l’année 2013, la France métropolitaine comptait 28 millions de résidences principales, soit 1,7 millions de plus qu’en 2006 (date de la précédente ENL). Ces premiers résultats, encore préliminaires du fait de l’absence des données financières, semblent confirmer les évolutions déjà mises en exergue en 2006 : l’augmentation du nombre de propriétaires, notamment sans remboursement d’emprunt, l’érosion du parc locatif privé et la dégradation de la situation des ménages locataires.

La structure du parc de logements en transformation…

Depuis 2001, la part des propriétaires occupants, accédants[1] ou non, a augmenté de 2 points pour atteindre 58% du parc des résidences principales en 2013 (graphique 1). Cette hausse est expliquée à la fois par une nette diminution de la proportion de ménages locataires (-1,2 points entre 2001 et 2013) mais également par la baisse du nombre de ménages logés à titre gratuit dont la part dans la population totale a baissé de 2 points au cours des 12 dernières années. Plus précisément, au sein des propriétaires occupants, on observe un accroissement important du nombre de propriétaires non-accédants entre 2001 et 2006, accroissement qui ne s’est pas démenti par la suite. En 2013, les propriétaires non-accédants représentaient ainsi 38,4 % des ménages, soit 0,6 points de plus qu’en 2006 et 3,4 points de plus qu’en 2001.

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A l’opposé, l’ensemble des autres statuts d’occupation a vu sa part décroître. Les accédants à la propriété, soit 19,5 % des ménages, ont vu leur part diminuer depuis 2001 (-1,5 pts), mais aussi leur nombre fortement se réduire notamment du côté des primo-accédants. Entre 2001 et 2013, ce sont ainsi 140 000 ménages primo-accédants qui ont quitté le marché de la propriété occupante, alors même que le nombre (et la part) des bénéficiaires de prêts aidés parmi les primo-accédants s’est plutôt bien maintenu aux alentours de 80 000 en 2013 (graphique 2). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution : les modifications du dispositif d’incitation à la primo-accession dans le neuf du type PTZ (Madec, 2013), une génération de trentenaires (souvent primo-accédants) moins nombreuse en 2013 qu’en 2000 ou encore un prix de l’immobilier élevé à l’acquisition.

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Concernant le secteur de la location, la part des locataires du secteur privé comme celle du secteur social a continué à s’éroder. L’érosion du parc locatif privé est d’un point de pourcentage entre 2001 et 2013, pour s’établir à un niveau légèrement inférieur à 20% en 2013. La part du parc social (HLM ou non) s’élevait, quant à elle, à 16,8% en 2013, soit une baisse de 0,5 point depuis 2001.

Malgré tout, des différences notables existent selon la taille des unités urbaines considérée. Les propriétaires, accédants ou non, sont ainsi largement surreprésentés en zones peu denses où ils représentaient, en 2013, plus de 73 % du parc de résidences principales dans les zones urbaines de moins de 20 000 habitants contre 46% dans l’agglomération parisienne. De même, si l’augmentation des propriétaires accédants semble comparable en zones peu denses et à Paris, les parcs locatifs montrent des évolutions différenciées. L’érosion du parc locatif privé, si elle est observée sur la France entière, est cependant d’une ampleur plus importante dans l’unité urbaine de Paris[2] où le parc locatif privé a diminué de près de 3 points entre 2001 et 2013 (graphique 3). Le parc social, dont la part dans le parc de logements est de 5 points supérieure dans l’agglomération parisienne, n’évolue quant à elle quasiment pas (+0,1 point entre 2001 et 2006 et -0,5 points entre 2006 et 2013).

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Ces modifications dans la structure du parc de logements s’accompagnent d’importantes évolutions dans les profils des ménages qui les occupent ; évolutions qui confirment les divergences socio-économiques observées depuis plusieurs années entre les propriétaires et les locataires.

Des inégalités qui se creusent …

Bien que l’exploitation des données financières sera à même de nous fournir des informations plus complètes, les premiers résultats de l’ENL permettent de mettre en lumière une augmentation des inégalités entre les statuts d’occupation.

Les propriétaires affichaient, en 2013, un taux de chômage inférieur à 5 %, contrastant nettement avec les taux de chômage de 12,5% des locataires du secteur privé et de 17,5 % des locataires du secteur social la même année.

Si ces disparités étaient déjà observées avant 2006, elles se sont fortement creusées depuis lors. Ainsi, depuis 2006, le taux de chômage des propriétaires a stagné alors que celui des locataires du secteur social augmentait de 4 points, soit une hausse 10 fois plus importante que celle observée pour le taux de chômage de l’ensemble de la population active qui, en 2013, s’établissait à 8,8% (en hausse de 0,4 point).

Evidemment, ces divergences sont en partie expliquées par la relative sur-représentation des classes d’âges les plus jeunes et des catégories socio-professionnelles les plus exposées au chômage (ouvriers, employés, …) chez les locataires, notamment sociaux, mais cela n’enlève rien au caractère préoccupant de ce constat.

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Les mêmes différences selon le statut d’occupation se retrouvent aussi en termes de conditions de logement. Les propriétaires non-accédants sont ainsi très peu exposés aux situations de mal logement, entendues ici comme la sur-occupation et la précarité énergétique ; et leur situation, comme celle des accédants, n’a que peu évolué depuis le début des années 2000[3]. A contrario en 2013, parmi les locataires du secteur privé, plus d’un ménage sur cinq était en situation de sur-occupation et plus d’un ménage sur trois était concerné par la précarité énergétique, soit une augmentation de 16 points par rapport à 2001. En 2013, près d’un locataire du secteur social sur six rapportait une situation de sur-occupation, et un ménage locataire du secteur social sur 5 déclarait avoir des difficultés à se chauffer, soit 6 points de plus qu’en 2001. Il y a donc, au sein même du parc locatif, des conditions de logement très différentes.

Ces données soulignent la précarisation massive des locataires des parcs privés et sociaux, déjà mise en exergue dans de nombreux articles de recherche[4]. Par ailleurs, un autre élément fourni par l’ENL nous renseigne sur la dégradation des conditions de logement des ménages. En 2013, 1,4 million de ménages avait effectué au cours de l’année une demande de logement HLM. Cette demande a augmenté de 17 % par rapport à 2006 et de 37 % par rapport à 2001. Rapporté au parc social, le nombre de demandes a cru de 5 points depuis 2001 passant ainsi de 25 à 30 %. Pour la seule unité urbaine de Paris, ce sont plus de 400 000 demandes qui ont été déclarées pour la seule année 2013.

Ces premiers résultats laissent donc entrevoir une dégradation des conditions de logement des ménages les plus modestes. L’érosion relative des parcs locatifs et l’accentuation de la divergence des profils, tant socio-économiques que vis-à-vis des conditions de logement, entre ménages locataires et propriétaires, sont autant de signes laissant penser que les disparités de vont pas s’améliorer à court terme.

 


[1] Un ménage accédant à la propriété est un ménage propriétaire ayant encore des emprunts à rembourser au titre de l’achat de sa résidence principale.

[2] L’unité urbaine de Paris définit l’aire urbaine communément nommée « agglomération parisienne ». Elle regroupe Paris, l’ensemble des communes de la petite couronne et une partie des communes de la grande couronne parisienne.

[3] Moins de 5% des propriétaires étaient exposés au surpeuplement en 2013 et moins de 10% déclaraient avoir des difficultés à se chauffer.

[4] Voir notamment Le Bayon, Madec et Rifflart, Revue de l’OFCE n°128, Ville et Logement, 2013.




Coup de froid sur la construction : le gouvernement fait dans le réchauffé

par Pierre Madec

C’est dans un contexte d’atonie du marché de l’immobilier que le gouvernement a annoncé à la fin du mois d’août dernier un « plan de relance de la construction ». Alors qu’en 2013, 318 748 logements sont sortis de terre et 381 609 permis de construire ont été délivrés (des réalisations très éloignées de l’objectif affiché de 500 000 logements construits par an entre 2012 et 2017) et que la baisse de l’investissement-logement pèse sur les performances économiques de la France (INSEE, 2014), quels sont les effets à attendre de ces « mesures d’urgence » ?

Refonte du dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Duflot » (renommé pour l’occasion « Pinel »), nouvelle modification du prêt à taux zéro, mesures fiscales visant à favoriser la libération du foncier privé et développer le parc de logements sociaux, ou encore quasi abandon de la promesse de campagne du Président de la République visant à encadrer les loyers à la relocation (seule une « expérimentation » sera menée à Paris) sont autant de mesures annoncées par le gouvernement pour dynamiser le marché de la construction. Nous revenons ici sur les principales mesures de ce plan de relance.

Un marché du neuf déprimé

Entre 2004 et 2007, le rythme annuel moyen d’autorisations de construction s’établissait à 488 000 logements (voir figure 1). Après une baisse importante au début de la crise financière en 2008 et une chute à 329 790 permis de construire délivrés en 2009, le marché s’est quelque peu rétabli en 2010 et 2011, avant de fléchir à nouveau. En moyenne, sur la période 2010-2013, 422 000 permis de construire de logements ont été octroyés par an.

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En 2013, on comptait 100 000 autorisations de construction de moins qu’en 2007 et les données disponibles pour le début de l’année 2014 ne poussent guère à l’optimisme. En effet, entre janvier et juillet 2014, 214 380 permis de construire ont été délivrés, soit 40 000 de moins que sur la même période en 2013 et 65 000 de moins qu’entre les mois de janvier et juillet de 2012.

L’origine de la baisse des opérations immobilières observée en 2012-2013 est complexe. Bien que la durée moyenne des prêts et les taux d’effort observés aient eu tendance à diminuer entre 2012 et 2013, l’importante baisse des taux d’intérêt hypothécaires et l’assouplissement des conditions d’apport sont autant de signes laissant penser que l’érosion des transactions observée sur le marché immobilier neuf trouve en partie son explication ailleurs que dans le durcissement des conditions d’octroi de crédit (Banque de France, 2014).

Tandis qu’en 2013 le financement du logement social se maintenait à des niveaux élevés (117 000 logements financés en 2013[1]) (DGUHC, 2014), les primo-accédants et les investisseurs-bailleurs se faisaient quant à eux plus rares sur le marché immobilier en général. En 2013, les premiers n’ont ainsi représenté que 12% des crédits à l’habitat octroyés contre 19% en 2012. De même, les opérations d’investissement locatif (dans le neuf comme dans l’ancien) ont représenté moins de 20% de la distribution de crédits immobiliers contre plus de 30% au début de l’année 2012 (Banque de France, 2014).

Sur le marché du neuf, les ménages semblent avoir souffert d’une part des restrictions opérées dans la distribution des prêts à taux zéro (PTZ) et d’autre part de la modification de la législation en faveur de l’investissement locatif.

Pour mémoire, le 1er janvier 2013 est entrée en vigueur une nouvelle version du prêt à taux zéro (PTZ). Cette dernière, plus restrictive que les précédentes, abaissait notamment les plafonds d’éligibilité (Madec, 2013). Résultat, en 2013, seuls 42 327 PTZ ont été accordés dans le neuf contre 51 732 en 2012 et près de 93 000 en 2011.

Dans le même temps, le dispositif d’incitation à l’investissement locatif « Duflot », bien qu’à priori plus avantageux pour les investisseurs (Le Bayon, Madec, Rifflart 2013), n’a pas rencontré le succès de ses prédécesseurs ; les bailleurs ayant semble-t-il été « effrayés » par l’introduction de plafonds de loyers. En 2013, les promoteurs immobiliers, qui représentent historiquement environ 30% des ventes dans le neuf mais la grande majorité des investissements locatifs (plus de 80%), déclaraient avoir écoulé 35 300 « Duflot », soit 40% du total des ventes réalisées. C’est la part la plus faible observée depuis 2001. Si le dispositif précédent, le « Scellier », n’avait pas rencontré un grand succès en 2012 (37 900 logements vendus sous ce statut) rappelons qu’en 2011 près de 60 000 « Scellier » avaient abondé le marché du neuf.

La baisse importante du nombre de primo-accédants et d’investisseurs-bailleurs engendrée par la refonte simultanée de ces deux dispositifs de soutien au marché immobilier neuf semble être l’une des explications de l’écroulement du marché immobilier neuf observé ces derniers mois.

Les mesures prises par le gouvernement, conscient à la fois du problème mais aussi, semble-t-il, de ses causes, suffiront-elles à doper la production ?

Un « Duflot » plus souple est-il une bonne chose ?

A la fin du mois d’août dernier, l’annonce par le Premier ministre de l’entrée en vigueur au 1er septembre du dispositif d’incitation à l’investissement locatif « Pinel », et donc par conséquent la mort de son prédécesseur, le « Duflot », a été (très) favorablement accueillie par les professionnels du secteur immobilier. En effet, et ce bien que le « Pinel » ne diffère du « Duflot » qu’à la marge (plafonds de loyers, de ressources, d’investissement et de défiscalisation inchangés), son arrivée a, semble-t-il, comblé les promoteurs immobiliers et les investisseurs et ce, alors même que les rendements attendus ne devraient pas être supérieurs à ceux de son prédécesseur (voir Le Bayon, Madec, Rifflart, 2013).

En introduisant plus de flexibilité dans la fixation notamment des durées de mises en location (6, 9 ou 12 ans contre 9 ou 12 ans auparavant) et en permettant aux bailleurs de louer, sous les mêmes conditions de ressources et de loyers (voir Madec, 2013), leur logement à leurs ascendants ou descendants, le gouvernement a satisfait une demande ancienne des investisseurs. En contrepartie, le gouvernement réduit la déduction fiscale à 12 % du prix d’achat contre 18 % auparavant. Pour autant, ces aménagements rendent ce « Duflot revisité » assez critiquable. L’objectif de développer un parc de logements intermédiaires, suffisant pour loger des classes moyennes incapables d’assumer dans les zones les plus tendues les loyers du marché locatif privé mais non prioritaires dans le parc social classique, est remis en cause par ces ajustements puisque le propriétaire peut désormais retrouver la pleine possession de son bien après 6 ans, soit l’équivalent de deux baux.

Le PTZ : le marronnier gouvernemental !

Un mois après l’entrée en vigueur du « Pinel », le 1er octobre 2014, le prêt à taux zéro a (de nouveau) fait peau neuve[2]. Alors qu’il a été démontré que les versions antérieures du PTZ étaient sujettes à des effets d’aubaine importants (Gobillon et Le Blanc 2005 ou Madec, 2013) et qu’il était nécessaire de recentrer le dispositif sur les ménages les plus modestes, le gouvernement a décidé de relever les plafonds de ressources nécessaires à l’obtention du prêt, plafonds qu’il avait lui-même abaissé le 1er janvier 2013, afin d’étendre sa diffusion aux classes moyennes.

De même, si la réintroduction du différé de paiement (permettant de commencer le remboursement de son PTZ au bout d’un certain nombre d’années) pouvait déjà apparaître critiquable en 2013, l’allongement de la durée de ce différé l’est tout autant puisqu’il peut contribuer à rendre insolvables une partie des ménages en réduisant la durée de leurs remboursements (Bosvieux et Vorms, 2003).

Bien que l’objectif d’accroître les aides de l’Etat en faveur de l’accès au logement est louable, les mesures prises en faveur de l’augmentation de la distribution du PTZ vont surtout accroître artificiellement la production de prêts au lieu de solvabiliser un plus grand nombre de ménages.

Il en est d’ailleurs de même de la création des multiples abattements fiscaux annoncés par le gouvernement (abattements de 100 000 euros pour les donations, réalisées jusqu’à fin 2016, aux enfants et petits-enfants de logements neufs ou de terrains à bâtir réalisées jusqu’à 2015). Notons aussi qu’en plus d’être prises dans l’urgence et donc n’avoir que peu d’impacts durables, ces mesures vont accroitre les inégalités patrimoniales, mécanisme déjà à l’œuvre depuis plusieurs années sur le marché de l’accession (voir notamment Le Bayon, Levasseur et Madec 2013).

Comment libérer du foncier privé ?

Après les nombreuses mesures en faveur de la libération de foncier public prises depuis 2012 et afin d’accroître significativement l’offre foncière et donc immobilière, le gouvernement a mis en place des mesures fiscales visant à faciliter la libération de foncier privé : alignement de la fiscalité sur les plus-values sur les terrains à bâtir avec celle des immeubles bâtis (exonération totale au bout de 22 ans), abattement exceptionnel de 30% de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux sur les plus-values réalisées en cas de cession de terrains à bâtir pour toute promesse de vente conclue avant le 31 décembre 2015, ou encore abattement exceptionnel de 100 000 euros pour les donations de terrains réalisées jusqu’à fin 2015 à condition qu’ils soient ultérieurement construits.

Que faut-il penser de ces mesures ? Tout d’abord, elles n’ont pas vocation à perdurer, et ce alors même que l’incertitude fiscale qui pèse sur les investisseurs est avancée par ces derniers comme la raison principale du moindre attrait du marché immobilier neuf.

Elles ont pour la plupart été prises afin de créer un choc d’offre sur le marché du foncier privé. Or le foncier, et sa pénurie, dans les zones les plus tendues est un problème de fond, durable et ancien qui ne peut se résoudre par des solutions court-termistes.

La fiscalité des plus-values sur les immeubles bâtis est une fiscalité incitant les propriétaires à détenir leur bien durant une longue période afin de profiter de l’exonération totale de taxation. L’alignement de la fiscalité des terrains à bâtir sur cette mauvaise fiscalité ne peut donc être une solution. Pour favoriser la mobilité résidentielle et libérer à la fois du foncier mais aussi des logements, c’est bien la détention qu’il faut taxer et non les transactions comme c’est actuellement le cas. Le gouvernement en est d’ailleurs conscient puisque c’est lui qui a, en septembre 2013, réduit de 30 ans à 22 ans la durée nécessaire pour bénéficier de l’exonération de taxation des plus-values sur les immeubles bâtis afin de créer (déjà) un choc d’offre. Une solution pérenne pourrait résider en une refonte du système actuel de taxation (mise en place d’une fiscalité progressive et dissociée de toute durée de détention ouvrant droit à exonération) ou en une réforme profonde des taxes de détention actuellement en vigueur telle que la taxe foncière, par exemple.

Un encadrement abandonné, un PLUI (presque) retrouvé

Enfin, de nombreuses autres dispositions ont été prises dans le plan de « relance de la construction » afin de « redonner confiance aux acteurs du marché ». L’abandon programmé de l’encadrement des loyers en fait partie. Sous prétexte des difficultés rencontrées dans la mise en place des observatoires des loyers, le gouvernement a argué l’impossibilité technique de mettre en application l’une des mesures phare de la loi ALUR. Sans mentionner les impacts probablement positifs de la mesure d’encadrement (impacts détaillés dans Le Bayon, Madec, Rifflart 2013 et Madec, Sterdyniak 2013), il est intéressant  de noter que lors de leur mise en place, les observatoires des loyers avaient vocation à se nourrir des informations recueillies auprès des acteurs locaux du marché locatif (professionnels, agents immobiliers, …) ; or ces derniers s’obstinaient à dénoncer le manque de données présentes au sein de ces observatoires.

Enfin, en matière de logement social, qui rappelons-le n’est que peu touché par l’érosion de la construction neuve, le gouvernement a aussi annoncé plusieurs mesures. Parmi elles, le renforcement des pénalités prévues par la loi SRU et surtout la mise en œuvre dès le 1er janvier 2015 de la possibilité pour les préfets de délivrer des permis de construire dans les communes ne remplissant pas leurs obligations de construction de logement sociaux. Cette dernière mesure, visant à dé-municipaliser (et donc dépolitiser) la problématique du logement semble aller dans le bon sens. Rappelons tout de même qu’il existait déjà dans la version initiale de la loi ALUR une disposition allant dans ce sens et qui visait à la mise en place du plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI). Ce dernier avait vocation à transférer le pouvoir de décision des maires en matière d’urbanisme, et donc de construction, au niveau de l’intercommunalité. Ce PLUI n’a pu voir le jour dans sa version initiale puisqu’après discussion au Parlement, un amendement offrant un droit de véto aux maires a été intégré, vidant par là même, la mesure de son sens.

 


[1] A titre de comparaison, en 2012, 101 542 logements sociaux avaient été financés, 114 008 en 2011, 128 721 en 2010 et 116 066 en 2009.

[2] Pour rappel, nous en sommes donc à la 5e « version » du PTZ depuis 2011…




Logement locatif : une Clameur inquiétante …

par Pierre Madec

Comme chaque semestre, l’observatoire des loyers Clameur a publié début mars ses chiffres de conjoncture du marché de l’immobilier locatif[1]. Loyers de marché qui ralentissent, demandes de logement et offres locatives en baisse, mobilité résidentielle au plus bas, voici quelques-uns des constats dressés par l’observatoire. Des conclusions qui, selon leurs auteurs, « n’engagent guère à l’optimisme ». Ces résultats sont-ils si « préoccupants »? Pourquoi est-il important de les relativiser ?

Selon Clameur, dont les résultats diffèrent souvent sensiblement de ceux fournis par l’OLAP[2], les loyers de marché ont augmenté en 2013 de 0,6% et de de 0,2% en ce début d’année 2014. L’observatoire pointe du doigt le risque important de baisse généralisée à l’ensemble du marché locatif privé. Pour appuyer leurs propos, les auteurs insistent sur le fait qu’en 2013, les loyers de marché ont augmenté moins vite que l’inflation qui s’établissait selon l’INSEE à 0,7%.

Certes les loyers ont cru moins rapidement que l’ensemble des prix à la consommation, ce qui a conduit à une baisse relative du rendement immobilier de certains propriétaires, mais à contrario leur évolution a été plus rapide que celle par exemple du pouvoir d’achat des ménages qui n’a augmenté par unité de consommation que de 0,5% en 2013 selon l’INSEE…

De même, nous sommes tentés d’opposer aux inquiétudes des auteurs, concernant l’érosion des loyers de marché, nos inquiétudes (anciennes) portant sur l’explosion des taux d’effort des ménages[3]. Entre 2005 et 2011, la dépense nette de logement des ménages locataires du parc privé a augmenté de 18,4% quand le revenu avant impôt n’évoluait que de 7,5%. Sur la période, le taux d’effort des locataires du secteur s’accroissait de 2,5 points pour atteindre 27% (INSEE, 2014).

Au grand dam des professionnels de la location immobilière qui s’alarment du caractère « préoccupant »  de l’érosion apparente des loyers, cette dernière serait a contrario une relativement bonne nouvelle pour les locataires …

De manière plus générale, l’argumentaire tendant à démontrer à quel point le marché locatif privé se trouve dans une spirale récessive inquiétante en étudiant exclusivement le « loyer de marché » et son évolution peut sembler déroutant. Pour étudier les loyers du parc locatif privé, différents indicateurs sont à disposition : l’évolution du loyer de marché certes, mais aussi celle du loyer moyen, des loyers en cours ou au renouvellement de bail, des loyers des premiers baux, ou encore l’évolution des loyers lors de la relocation. Chacun de ces indicateurs apporte des informations différentes et complémentaires sur les mécanismes à l’œuvre sur le marché locatif.

Le loyer de marché représente la valeur moyenne des logements mis en location à une date T. Une hausse (baisse) des loyers de marché ne signifie donc pas que les loyers ont augmenté (baissé) mais que les loyers du stock disponible à la location à la date T ont augmenté (baissé) par rapport à ceux du stock disponible en T-1. Cette précision, bien que pouvant paraître triviale, est importante.

En effet, l’évolution qui conditionne en grande partie à la fois l’augmentation du rendement locatif du propriétaire bailleur et la perte de pouvoir d’achat induite par un déménagement pour le locataire, est en réalité l’évolution des loyers à la relocation. Celle-ci renseigne sur les augmentations de loyers opérés lors d’un changement de locataire. A titre d’exemple, selon l’OLAP, au 1er Janvier 2013 en agglomération parisienne, le loyer avant relocation s’établissait en moyenne à 16,3€/m² et les loyers après relocation était en moyenne de 18,6€/m². A la relocation, les loyers ont donc augmenté de 14%.

De même, les auteurs s’inquiètent de la baisse historique des taux de mobilité résidentielle[4]. Bien que cette baisse tendancielle dans le parc locatif privé pose problème, elle est probablement explicable en partie, et comme le souligne l’observatoire, par une dégradation significative d’un certain nombre d’indicateurs économiques nationaux (augmentation du chômage, dégradation de la confiance des ménages, …) mais aussi par la hausse (excessive) des prix de l’immobilier et des loyers depuis maintenant une décennie.

Une fois l’ajustement des loyers (à la stabilité ou à la baisse) opéré, les locataires retrouveront leur mobilité d’antan … De plus, en encadrant les loyers à la relocation, la loi ALUR (étudiée de nombreuse fois par l’OFCE – ici ou encore ) a justement pour objectif d’augmenter la mobilité des résidents ; les locataires devant quitter leur logement ayant un saut de loyer à la relocation moindre à franchir.

En réalité, le seul risque soulevé par Clameur qui mérite vraiment l’attention est celui concernant l’offre locative. En effet, une baisse durable de l’offre locative (-120 000 logements entre 2011 et 2013) est problématique et ce surtout en zone tendue. Si la loi ALUR a vocation à engendrer un cercle vertueux d’érosion des loyers et des prix de l’immobilier et de maintien des rendements locatifs, cet ajustement sera long et peut entraîner à moyen terme une baisse de l’offre locative compte tenu de la diminution possible, au cours de la période, des rendements locatifs.

Pour soutenir cette offre locative privée, le gouvernement ne peut pas, à l’heure actuelle, compter sur l’investissement locatif neuf qui, malgré l’instauration du dispositif Duflot, est atone. De même, l’augmentation de la vacance locative (+12% depuis 2008) laisse penser que les tensions sur le marché locatif privé sont à même de durer.

Les pouvoirs publics peuvent agir pour enrayer ces phénomènes. Le durcissement récent de la taxation des logements vacants (allongement de la durée d’habitation ouvrant droit à exonération, …) va dans la bonne direction. En parallèle, des actions en faveur du logement social doivent être engagées. Bien que le temps de la construction diffère sensiblement du temps politique, le développement d’une offre locative sociale crédible ne peut que servir un parc privé en proie au blocage et où les déséquilibres entre offre et demande semblent insolubles.

 


 

[1] CLAMEUR, pour Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux, est un observatoire des loyers associant l’ensemble des acteurs professionnels de la location (Crédit Mutuel, Bouygues Immobilier, Century 21, Crédit Foncier, FONCIA, SeLoger.com, …).

[2] L’OLAP pour Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne est une association « loi 1901 » regroupant à parts égales locataires et propriétaires qui publie chaque année un rapport annuel complet de l’évolution des loyers en agglomération parisienne et dans certaines villes de province. Ses méthodes d’évaluation des loyers tendent à être généralisées dans le cadre de la mise en place de la loi ALUR.

[3] Défini comme le rapport entre dépenses de logement (loyer + charges) et revenu.

[4] Défini comme la part de ménages changeant de logement au cours de l’année.




Encadrement des loyers : l’ALUR suffit-elle ?

par Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart

Le 10 septembre 2013, a débuté au Parlement la discussion du projet de loi “Accès au Logement et un Urbanisme Rénové” (ALUR). Cette loi va se traduire par un interventionnisme plus prononcé sur le marché du logement locatif privé et vient compléter le décret, entré en vigueur à l’été 2012, sur l’encadrement des loyers en zones tendues et qui avait marqué une première étape dans la volonté du gouvernement d’enrayer la hausse des dépenses de logement des locataires[1].

La volonté du gouvernement d’encadrer les dérives du marché locatif privé devrait avoir rapidement un impact pour les ménages qui s’installent dans un nouveau logement. Pour les locataires en place, le processus devrait être plus long. Au final, dans une agglomération comme Paris, on peut s’attendre, si les loyers les plus élevés diminuent au niveau du plafond défini par la loi, à une baisse de 4 à 6% du loyer moyen. Si, par un effet d’entraînement, cela se répercute ensuite sur l’ensemble des loyers, l’impact désinflationniste sera plus fort. En revanche, le risque d’une dérive haussière sur les plus bas loyers n’est pas à écarter, même si le gouvernement s’en défend. Enfin, l’impact de la loi dépendra en grande partie du zonage défini par les observatoires des loyers dont la mise en place est en cours.

Le décret d’encadrement : un effet visible … mais minime

Le dernier rapport annuel de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (OLAP)[2] nous donne un premier éclairage de l’impact du décret sur l’encadrement des loyers. Pour rappel, le décret contraint les loyers à la relocation à augmenter au maximum au rythme de l’indice légal de référence (IRL), sauf si des travaux importants ont été réalisés (dans ce cas, la hausse est libre). Ainsi, entre le 1er janvier 2012 et le 1er janvier 2013, 51 % des logements parisiens proposés à la relocation ont vu leur loyer augmenter plus vite que l’IRL, et ce sans réalisation de travaux importants. Cette part a été moins élevée qu’en 2011 (58,3 %) et 2010 (59,4 %), mais elle demeure à un niveau proche de ceux observés entre 2005 et 2009 (50%), avant l’existence du décret.

L’impact semble un peu plus concluant à partir des données mensuelles. Ainsi, sur la période d’application du décret d’août à décembre 2012, la part des loyers proposés à la relocation et ayant augmenté plus vite que l’IRL a baissé de 25 % en moyenne sur un an, contre seulement 8 % sur les mois de janvier à juillet 2012, comparés à la même période de 2011.

Un « effet décret » a donc bien eu lieu.  Celui-ci aurait permis de faire baisser la part des hausses de loyers à la relocation supérieures à l’IRL d’environ 18%. Pour autant, si l’on considère, qu’en cas de respect total du décret, aucune hausse supérieure à l’IRL n’aurait dû persister, l’impact reste insuffisant. Plusieurs facteurs déjà identifiés dans un document de travail, peuvent expliquer cela : loyers de référence inexistants, manque d’information tant du propriétaire que du locataire, insuffisance des possibilités de recours, etc. Un an après, il s’avère que ces manquements ont joué négativement sur l’application de la mesure.

Une loi à l’envergure plus large

La grande nouveauté du projet de loi ALUR porte sur l’encadrement des niveaux de loyers dans les zones tendues alors que les précédents décrets ne portaient que sur leur évolution. Désormais, une fourchette de niveaux de loyers autorisés sera fixée par la loi et le décret viendra encadrer les évolutions maximales autorisées[3]. Pour cela, le gouvernement fixe chaque année par arrêté préfectoral un loyer médian de référence au m2, par secteur géographique (quartier, arrondissement, …) et par type de logement (1 pièce, 2 pièces,..). Ainsi,

  • – pour les nouvelles locations ou les relocations, le loyer ne pourra excéder le loyer médian de référence majoré au plus de 20%, sauf à justifier d’un complément de loyer exceptionnel (prestations particulières,…). Ensuite, l’augmentation ne pourra excéder l’IRL conformément au décret d’encadrement dans les zones tendues (sauf travaux) ;
  • – lors du renouvellement de bail, le loyer pourra être réajusté à la hausse ou à la baisse en fonction du loyer médian de référence majoré ou minoré[4]. Ainsi, un locataire (respectivement un bailleur) pourra engager un recours en diminution (resp. en augmentation) de loyer si ce dernier est supérieur (resp. inférieur) au loyer médian majoré (resp. minoré). En cas de hausse de loyer, un mécanisme d’étalement de cette hausse dans le temps est prévu. S’il y a un désaccord entre locataires et bailleurs, un règlement à l’amiable pourra être engagé, préalablement à la saisine d’un juge dans des délais strictement déterminés. A l’intérieur de la fourchette, la hausse est limitée à l’IRL ;
  • – en cours de bail, la révision annuelle du loyer se fait comme actuellement sur la base de l’IRL ;
  • – les locations meublées seront désormais concernées par l’encadrement : le préfet fixera un loyer de référence majoré et la révision sera limitée à l’IRL.

L’introduction de ces loyers médians de référence présente trois avancées majeures. D’une part, ils seront calculés à partir des informations recueillies par les observatoires des loyers sur l’ensemble du stock du parc locatif, et non à partir des seuls logements vacants et disponibles à la location, c’est-à-dire des loyers dits « de marché ». Or, ces loyers de marché sont supérieurs de près de 10 % à la moyenne de l’ensemble des loyers, elle-même supérieure à la médiane des loyers. Ce mode de calcul entraînera donc inéluctablement une baisse des loyers (de marché et moyens).

De même, le choix opéré de la médiane et non de la moyenne comme loyer de référence va dans le sens d’une plus grande stabilité de la mesure. Dans l’hypothèse où l’ensemble des loyers supérieurs de 20% à la médiane (donc au loyer de référence majoré) vient à baisser et où les autres loyers restent inchangés, la médiane reste identique. Dans le cas d’un ajustement de l’ensemble des loyers, la médiane viendrait à baisser mais dans des proportions moindres que la moyenne, par définition plus sensible à l’évolution des valeurs extrêmes.

Enfin, l’obligation d’inscrire dans le bail les loyers médian et médian majoré de référence, le dernier loyer pratiqué et si nécessaire, le montant et la nature des travaux effectués depuis la signature du dernier contrat, accroît la transparence et établit un cadre réglementaire plus strict qui devrait entraîner un plus grand respect de la mesure.

Quelles évolutions sont à attendre ?

En 2012, sur les 390 000 logements mis en location à Paris, 94 000 ont un loyer supérieur au loyer médian majoré (3,7 euros/m² de plus en moyenne) et 32 000 ont un loyer inférieur de plus de 30% au loyer médian de référence (2,4 euros/m² de moins en moyenne). En considérant que seuls les loyers supérieurs au loyer médian majoré seront corrigés, la baisse du loyer moyen pourrait être de 4% à 6% selon les zones et le type de logement. Cette diminution, bien que non négligeable, permettrait au mieux de revenir aux niveaux de loyers observés en 2010, avant la forte inflation des années 2011 et 2012 (+7,5% entre 2010 et 2012). Cet ajustement des loyers pourrait néanmoins prendre du temps. Propriétaires et locataires pourront facilement faire valoir leurs droits au moment d’une relocation[5] , mais les réévaluations lors du renouvellement de bail pourraient être plus lentes à mettre en place. Malgré un accès à l’information et un cadre réglementaire plus favorables au locataire, le risque d’un conflit avec le propriétaire et la concurrence exacerbée sur le marché locatif dans les zones où s’applique la loi, peuvent encore dissuader certains locataires de faire valoir leurs droits.

La question est beaucoup plus complexe pour les 32 000 logements dont les loyers sont inférieurs au loyer de référence minoré. Si la qualité de certains logements peut justifier cet écart (insalubrité, localisation,…), on sait également que la sédentarité des locataires est le principal facteur explicatif de la faiblesse de certains loyers. Ainsi, selon l’OLAP, à Paris, un logement occupé depuis plus de 10 ans par le même locataire a en moyenne un loyer inférieur de 20 % au loyer moyen de l’ensemble des locations. Dès lors, la question de la réévaluation de ces loyers se pose. En effet, la loi permet au propriétaire, en contradiction d’ailleurs avec le décret[6], de réévaluer, lors d’une relocation ou d’un renouvellement de bail, à hauteur du loyer médian minoré. Une fois ce dernier atteint, l’évolution ne pourra excéder l’IRL. A terme, certains logements aux caractéristiques équivalentes seront donc sur le marché à des loyers très disparates, pénalisant ainsi les bailleurs de locataires sédentaires. A contrario, les locataires présents depuis longtemps dans leur logement ont le risque de voir leur loyer fortement réévalué (supérieur à 10%). Les taux d’effort[7] de ces ménages risquent alors d’augmenter, poussant ainsi ceux à la contrainte budgétaire trop forte à émigrer vers des zones moins tendues.

Néanmoins, la possibilité de réajuster le loyer au niveau du loyer de marché, dans le cas d’une sous-évaluation manifeste, existe déjà dans le cadre de la loi actuelle du 6 juillet 1989 (article 17c) au moment du renouvellement de bail. En 2012, à Paris, 3,2 % des propriétaires ont eu recours à cet article. Avec la nouvelle loi, si les réajustements devraient être plus nombreux, l’impact inflationniste devrait être plus faible puisque la référence (le loyer médian minoré) est largement inférieure au loyer de marché.

Dès lors, la question du zonage est centrale. Plus le découpage sera fin, plus les loyers de référence correspondront aux caractéristiques réelles du marché local. Dans l’hypothèse d’un large découpage du territoire, les loyers médians de référence risquent d’être trop élevés pour les quartiers les moins chers et trop bas pour les quartiers les plus chers. Parallèlement, les faibles loyers seraient peu revalorisés dans les quartiers chers et plus franchement dans les quartiers qui le sont moins. Cela pourrait entraîner alors un rapprochement des loyers « inter quartiers » – indépendamment des caractéristiques locales – et non « intra quartiers ». Conséquences néfastes tant pour le propriétaire bailleur que pour le locataire.

La loi en discussion actuellement pourrait avoir d’autant plus d’impact sur les loyers que les prix immobiliers ont entamé une baisse en France en 2012 et que la conjoncture actuelle morose freine déjà les hausses de loyer. Mais, faut-il encore le rappeler, seule la construction de logements dans les zones tendues (y compris via une densification[8]) résoudra les problèmes structurels de ce marché. Les mesures d’encadrement des loyers ne sont qu’un moyen temporaire de limiter la hausse des taux d’effort mais elles ne sont pas à elles seules suffisantes.

 


[1] Pour plus de détails, voir le post “L’encadrement des loyers : quels effets en attendre?“.

[2] Le territoire couvert par ce rapport est composé de Paris, la petite couronne et la grande couronne parisienne.

[3] Le décret d’encadrement des loyers n’ayant pas le même champ d’action que la loi (38 agglomérations contre 28), certains territoires ne seront soumis qu’à l’encadrement des évolutions et non des niveaux.

[4] Si le projet de loi restait flou sur le calcul du loyer de référence minoré, un amendement adopté en juillet par la Commission de l’Assemblée propose que le loyer médian minoré soit inférieur d’au moins 30 % au loyer médian de référence. Un autre amendement précise qu’en cas de réajustement à la hausse, le nouveau loyer ne pourra excéder ce loyer médian minoré.

[5] En 2012, seul 18% des logements du parc locatif privé ont été l’objet d’une relocation.

[6] Lors du renouvellement de bail et de la relocation, le décret d’encadrement permet au propriétaire de réévaluer son loyer de la moitié de l’écart qui le sépare du loyer de marché.

[7] Il s’agit de la part du revenu du ménage consacré au logement.

[8] Sur ce sujet, voir l’article de Xavier Timbeau, “Comment construire (au moins) un million de logements en région parisienne”, Revue de l’OFCE n°128.




Des toits ou des plafonds ?

par Philippe Weil

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové prévoit d’encadrer les loyers «principalement dans les agglomérations où existe un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements et où les loyers ont connu la progression la plus forte au cours des dernières années ».  Les loyers dépassant de plus de 20 % un loyer médian, fixé par quartier et type de logement,  « auront vocation à être abaissés ». L’objectif de ce plafonnement est certes louable puisqu’il « vise à combattre la crise du logement, marquée depuis de nombreuses années par une forte augmentation des prix, une pénurie de logements et une baisse du pouvoir d’achat des ménages ». L’enfer est hélas pavé de bonnes intentions car les plafonds d’aujourd’hui détruisent bien souvent les toits de demain :

  • Le plafonnement des loyers […] entraîne une répartition aléatoire et arbitraire des logements et rend leur utilisation inefficace. Il retarde la construction de nouveaux logements et prolonge indéfiniment le plafonnement des loyers, ou déprime la construction future en subventionnant aujourd’hui la construction résidentielle. Un rationnement formel des logements par les autorités publiques aurait des effets sans doute pire encore.

S’opposer au plafonnement des loyers ne signifie pas cependant se résoudre aux inégalités qui se manifestent en matière de logement :

  • Le constat que, dans des conditions de marché, ceux qui ont des revenus ou patrimoines plus élevés occupent de meilleurs logements est plutôt une raison de prendre des mesures de long terme pour réduire les inégalités de revenus et de richesse. Pour ceux qui, comme nous, voudraient encore plus d’égalité qu’aujourd’hui – en matière de logement comme pour tous les produits –, il est certainement préférable d’attaquer directement à leur source les inégalités existantes de revenu et de richesse plutôt que de rationner chacun des centaines des produits et services qui déterminent notre niveau de vie. Permettre aux individus de recevoir des revenus monétaires inégaux puis prendre des mesures complexes et coûteuses afin de les empêcher d’en bénéficier est le comble de la folie.

Les auteurs de ces deux citations, qui nous enjoignent de laisser le système de prix libre d’allouer aux locataires les logements disponibles tout en préconisant d’attaquer à leur source les inégalités de revenu et de richesse, ne sont autres que Milton Friedman et George Stigler – les deux fondateurs de l’école de Chicago. Le titre de ce billet est emprunté – qu’ils me le pardonnent – à leur article de 1946 « Roofs or Ceilings : the Current Housing Problem ».[1]

Le projet de loi Duflot envisage un mécanisme d’encadrement des loyers bien plus sophistiqué que celui que dénonçaient Friedman et Stigler il y a près de soixante-dix ans. Ses effets sur le parc immobilier français pourront être évalués dans quelques années mais la littérature économique récente nous prévient que les mécanismes de contrôle des loyers dits de « seconde génération » ont des effets souvent ambigus[2] – pas toujours négatifs mais pas obligatoirement positifs[3]. On peut regretter, dans ces conditions, qu’une expérimentation préalable, que la prudence exigerait, ne soit pas envisagée dans certaines villes choisies aléatoirement. L’urgence politique plaide certes contre les retards qu’elle entraînerait mais, en économie comme en médecine, il convient de s’assurer qu’on ne tue pas le patient en tentant de le guérir.

Reste, pour finir, l’avertissement de Friedman et Stigler : les inégalités de revenus et de patrimoine doivent être attaquées à leur source et pas dans leurs manifestations.

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[1] Foundation for Economic Education, Irvington-on-Hudson, NY.

[2] Cf., par exemple, The Economics and Law of Rent Control, par Kaushik Basu et Patrick Emerson, Banque mondiale, 1998.

[3] Le lecteur pourra consulter Le Bayon, Madec et Rifflart (2013) pour une évaluation de la régulation du marché locatif français.

 




Donations financières : quand les inégalités se transmettent aussi …

par Sabine Le Bayon, Sandrine Levasseur et Pierre Madec

En France, les transmissions intergénérationnelles, qu’elles soient sous forme d’héritages ou de donations, sont au cœur d’un débat idéologique ancien. Les défenseurs du droit à transmettre et des solidarités intergénérationnelles se voient opposer les critiques dénonçant là un vecteur important de reproduction des inégalités sociales et patrimoniales. Alors que la part des ménages français percevant un héritage a diminué au cours de la dernière décennie, le nombre de ménages  percevant des donations, notamment sous forme financière[1] a augmenté durant la même période. Ainsi, en 2010, près d’un ménage sur cinq déclarait avoir reçu une donation au cours de sa vie, soit 30 % de plus qu’en 2004. Quels rôles jouent réellement ces transferts financiers dans la transmission des inégalités ? Quels impacts ont-ils sur la constitution du patrimoine ?

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Donations versus aides financières

Les donations (financières) ne doivent pas être confondues avec les aides (financières).Tous deux transferts entre vifs, les donations s’entendent comme un transfert de patrimoine tandis que les aides constituent davantage un transfert de ressources. De ce fait, le montant des aides doit rester modéré et proportionnel soit à l’état de fortune du ménage apportant l’aide, soit à l’état de besoin du ménage la recevant. Les donations quant à elles concernent des montants plus importants, et peuvent être soumises à la fiscalité relative aux successions. Ainsi, bien que les donations en ligne directe (de parents à enfants) inférieures à 100 000 euros ne soient pas fiscalisées, les donations d’un montant supérieur, contrairement aux aides, le sont. Ce « droit  à abattement » est depuis la mi-2012 renouvelable tous les 15 ans contre 10 ans et  un montant de 150 000€ auparavant.

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Pour mesurer le rôle de ces transferts, notamment en termes de transmission des inégalités, de nombreuses études ont analysé le profil des ménages donateurs (voir par exemple : Cordier, Houdré et Ruiz, 2007 ; Arrondel et Masson, 2010, Garbinti, Lamarche et Salambier, 2012). Ainsi, Cordier et al. (2007) montrent que les ménages possédant un patrimoine important (supérieur à 200 000€) et ceux ayant eux-mêmes bénéficié d’un transfert (héritage et/ou donation) de leurs ascendants ont une probabilité plus élevée de transmettre que les autres catégories de ménages.

Ces résultats semblent assez logiques. Avant de transmettre, il faut avoir accumulé assez de patrimoine et c’est le cas des ménages décrits ci-dessus. Pour autant, ces études, si elles répondent à la question « Qui aide ? », ne répondent que très rarement à la question « Qui est aidé ? ». Or, pour conclure à un impact positif des transferts intergénérationnels sur la transmission des inégalités sociales ou patrimoniales, il est important de connaître le profil des « aidants» mais aussi des « aidés ».

Dans un article de la Revue de l’OFCE n° 129, « Ville et Logement » (Le Bayon, Levasseur et Madec, 2013), nous étudions non pas les ménages donateurs mais donataires, c’est-à-dire les ménages qui ont perçu des donations, en nous focalisant spécialement sur ceux ayant reçu une donation financière « récemment » (i.e. entre 2006 et 2009).

Le graphiques 1 présente une partie de nos résultats[2].

Sans surprise, il apparaît tout d’abord une corrélation très négative entre l’âge et la probabilité d’avoir perçu une donation financière ; cette probabilité étant au minimum divisée par deux entre les ménages ayant moins de 30 ans et les autres.

Concernant les catégories socio-professionnelles, une forte inégalité se dessine. Ainsi, en écartant de l’analyse les artisans et commerçants dont les caractéristiques sont assez hétérogènes, il ressort que les ouvriers (respectivement les inactifs[3]) ont deux fois (resp. dix fois) moins de chance d’avoir perçu une donation que les autres catégories étudiées.

L’analyse du niveau de vie des donataires ne fait qu’étayer ce résultat. En effet, il apparaît que les 10 % les plus riches ont deux fois plus de chances d’avoir reçu une donation financière au cours des 5 dernières années que les 25 % les plus pauvres. Le montant des donations reçues est aussi très différent selon que le ménage donataire appartient aux 25 % les plus pauvres ou aux 10 % les plus riches (voir tableau ci-dessous). En moyenne, le quart le plus riche des ménages perçoit des donations financières d’un montant 40 % supérieur à celui reçu par les autres ménages. De même, si l’on s’intéresse à la distribution des montants perçus, les ménages modestes les « mieux lotis », c’est-à-dire ceux percevant les donations les plus importantes, reçoivent en réalité autant (environ 12 000€) que les ménages très aisés (9e décile) les moins bien lotis.

Les donations financières sont donc principalement versées et reçues par des ménages au niveau de vie élevé. Elles constituent de ce fait un vecteur important de transmission des inégalités sociales.

 

Enfin, au vu des résultats fournis dans le graphique sur le statut d’occupation, il semble que celui-ci joue un rôle important sur la probabilité d’avoir perçu une donation financière : un locataire a 9 % de chance d’avoir perçu une donation lorsqu’un acquéreur récent[4] en a 23 %. La causalité entre les deux variables est délicate à établir. En effet, la donation peut soit déclencher l’achat d’un logement soit résulter d’une décision d’achat. Pour autant, indépendamment de toute causalité, ces résultats nous renseignent sur la corrélation positive qui existe, intrinsèquement, entre acquisition et perception d’une donation. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’avoir acquis récemment sa résidence principale multiplie par plus de deux la probabilité d’avoir perçu récemment une donation financière.

A l’inverse, le graphique 2 nous renseigne sur l’impact de la perception d’une donation sur la probabilité d’acquisition. C’est-à-dire qu’une fois établi le fait que les acquéreurs récents ont plus de chance d’avoir reçu une donation que les autres catégories de ménages, on s’interroge ici pour savoir si indépendamment des autres caractéristiques du ménage (âge, type de ménages, localisation, revenu, …) un ménage ayant perçu une donation voit augmenter ses chances d’acquérir sa résidence principale, et si oui, dans quelles proportions .

Clairement, la perception récente, par un ménage, d’une donation financière augmente significativement ses chances d’avoir acquis sa résidence principale, et ce quel que soit le montant de ladite donation. Ainsi, lorsqu’un ménage n’ayant pas perçu de donation a 40 % de chance d’être acquéreur récent, le même ménage voit son pourcentage de chance atteindre au moins 70 % s’il est donataire. Les transmissions intergénérationnelles, financières, par la liquidité immédiate qu’elles procurent à leurs bénéficiaires et parce qu’elles sont mobilisables à la discrétion du donateur et en fonction des besoins du donataire, exercent un impact positif sur l’achat de la résidence principale du donataire.

En outre, notons que les donations financières ne sont pas nécessairement d’un montant très élevé puisque la médiane s’élève à 12 000 euros[5]. Ainsi on devine que, dans certains cas, la donation financière, plutôt que de financer l’achat stricto sensu, permet de constituer un (petit) apport personnel ou, plus simplement, de payer les frais afférents à l’acquisition (frais de notaire ou frais d’agence par exemple). Toujours est-il que même ce « petit coup de pouce » augmente fortement la probabilité d’être acquéreur de sa résidence principale. Ces « petits coups de pouce », et a fortiori les « gros coups de pouce », constituent donc un double vecteur de transmission et de reproduction des inégalités patrimoniales, en facilitant aussi l’acquisition de la résidence principale.


[1] Voir l’encadré pour la définition d’une donation financière.

[2] Les probabilités ci-dessous résultent d’une régression logistique et sont donc à interpréter « toutes choses égales par ailleurs ». Le type de ménage (célibataire, en couple avec/sans enfants …) y est également contrôlé.

[3] Les inactifs sont les ménages dont la personne de référence n’est ni en emploi (au sens du BIT) ni au chômage ni étudiant : retraités, hommes et femmes au foyer, personnes en incapacité de travailler,…

[4] Un ménage est dit acquéreur « récent » lorsqu’il a acheté sa résidence principale entre 2006 et 2009, dernière année de données disponibles dans l’enquête Patrimoine que nous utilisons.

[5] C’est-à-dire que 50 % des ménages ayant reçu une donation financière ont reçu une donation inférieure à 12 000 euros, et les 50 % restants ont reçu une donation supérieure à 12 000 euros. Voir aussi le tableau (dans le corps du texte) pour davantage de données chiffrées sur les donations financières.