La zone euro écartelée

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro.

Après six trimestres de baisse, le PIB de la zone euro a renoué avec la croissance au deuxième trimestre 2013. Ce redémarrage de l’activité est un signal positif que corroborent également les enquêtes de conjoncture. Il montre que la zone euro a cessé de s’enfoncer dans les profondeurs de la dépression. Il serait cependant prématuré de conclure que la reprise est enclenchée, car ce niveau de croissance trimestriel (0,3 %) est insuffisant pour entraîner une décrue significative du chômage. En octobre 2013, le taux de chômage se stabilise à un niveau record de 12 % de la population active. Surtout, la crise laisse des stigmates et crée de nouveaux déséquilibres (chômage, précarité et déflation salariale) qui seront autant de freins à la croissance à venir, en particulier dans certains pays de la zone euro.

Plusieurs facteurs permettent d’anticiper un redémarrage de l’activité qui devrait perdurer au cours des prochains trimestres. Les taux d’intérêt souverains de long terme ont baissé, notamment en Espagne et en Italie. Cela témoigne de l’éloignement de la menace d’un éclatement de la zone euro et ce, en partie grâce au soutien conditionnel annoncé par la BCE il y a un peu plus d’un an (voir Amis des acronymes : voici l’OMT). Surtout, l’austérité budgétaire devrait s’atténuer parce que la Commission européenne a accordé des délais supplémentaires à plusieurs pays, dont la France, l’Espagne ou les Pays-Bas, pour résorber leur déficit budgétaire (voir ici pour un résumé des recommandations formulées par la Commission européenne). Par les mêmes mécanismes que nous avions décrits dans nos précédentes prévisions, il résulte de cette moindre austérité (-0,4 point de PIB d’effort budgétaire en 2013 contre -0,9 en 2013  et -1,8 en 2012) un peu plus de croissance. Après deux années de récession en 2012 et 2013, la croissance s’établirait à 1,1 % en 2014.

Cependant, cette croissance sera insuffisante pour effacer les traces laissées par l’austérité généralisée mise en œuvre depuis 2011 et qui a précipité la zone euro dans une nouvelle récession. En particulier, les perspectives d’emploi ne s’améliorent que très lentement car la croissance est trop faible. Depuis 2008, la zone euro a détruit 5,5 millions d’emplois et nous n’anticipons pas une franche reprise des créations nettes d’emploi. Le chômage pourrait diminuer dans certains pays mais cette baisse s’expliquera principalement par des retraits d’activité de chômeurs découragés. Dans le même temps, la réduction de l’austérité ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’austérité. A l’exception de l’Allemagne, les efforts de consolidation budgétaire se poursuivent dans tous les pays de la zone euro. Qu’elle passe par la réduction des dépenses publiques ou par une hausse de la pression fiscale, les ménages supporteront l’essentiel du fardeau de l’ajustement. Dans le même temps, la persistance d’un chômage de masse continuera à alimenter les pressions déflationnistes déjà à l’œuvre en Espagne ou en Grèce. Dans ces pays, l’amélioration de la compétitivité qui en résulte stimulera les exportations, mais au prix d’une demande interne de plus en plus affaiblie. La paupérisation des pays du sud de l’Europe va donc s’accentuer. En 2014, la croissance dans ces pays sera de nouveau inférieure à celle de l’Allemagne, l’Autriche, de la Finlande ou de la France (tableau).

Par conséquent, la zone euro deviendra de plus en plus hétérogène, ce qui pourrait cristalliser les opinions publiques des différents pays contre le projet européen et rendra la gouvernance de l’union monétaire encore plus difficile tant que les intérêts nationaux divergeront.

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Quand la jeunesse brésilienne rêve d’autre chose que de foot…

par Christine Rifflart

La hausse du prix des transports publics n’a pas été appliquée plus de deux semaines mais elle a allumé le feu de la révolte et amorcé un nouveau virage dans ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle de développement brésilien ». Aspirant à des services publics de qualité (éducation, santé, transports, …), la nouvelle classe moyenne qui s’est formée au cours de la dernière décennie revendique ses droits et rappelle au gouvernement que les sommes englouties pour l’accueil des grands événements sportifs (Coupe du Monde de 2014, Jeux Olympiques de 2016) ne doivent pas être dépensées au détriment des autres priorités, surtout quand la croissance n’est plus au rendez-vous et que la contrainte budgétaire appelle à réaliser des économies.

Depuis 10 ans, la croissance brésilienne s’est accélérée : elle est passée de 2,5 % en moyenne par an dans les décennies 1980 et 1990 à presque 4 % entre 2001 et 2011. Mais surtout, elle a, pour la première fois, bénéficié à une population traditionnellement exclue de ses bienfaits. Jusqu’alors, la faible progression du revenu par tête allait de pair avec le renforcement des inégalités (supérieur à 0,6 sur la période, le Coefficient de Gini est l’un des plus élevés au monde) et la hausse du taux de pauvreté – qui a dépassé 40 % pendant les années 1980. Avec la fin de l’hyperinflation vaincue par le « Plan Real » de 1994, la croissance a repris mais est restée fragile du fait de la succession de chocs externes qui sont venus frapper le pays (conséquences de la crise asiatique de 1997 et de la crise argentine de 2001).

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L’arrivée de Lula à la présidence le 1er janvier 2003 a marqué un véritable tournant dans cette dynamique de croissance (graphique 1). Poursuivant à la fois l’orthodoxie libérale en matière de gestion macro-économique et de stabilisation financière de son prédécesseur F. H. Cardoso (à la différence de l’Argentine par exemple), le nouveau gouvernement a mis à profit la reprise de la croissance pour mieux répartir les richesses du pays et tenter d’éradiquer la pauvreté. Selon les enquêtes réalisées auprès des ménages, le revenu réel par ménage a progressé en monnaie nationale de 2,7 % par an entre 2001 et 2009 et le taux de pauvreté a reculé de près de 15 points, pour atteindre 21,4 % de la population en fin de période. De plus, le revenu réel des huit premiers déciles, en particulier celui des 20 % de la population la plus pauvre, a augmenté beaucoup plus vite que le revenu moyen (graphique 2). Au final, 29 millions de Brésiliens ont rejoint les rangs de la nouvelle classe moyenne qui compte désormais 94,9 millions d’individus (soit 50,5 % de la population) tandis que la classe à revenu supérieur a accueilli 6,6 millions de Brésiliens supplémentaires (et représente désormais 10,6 % de la population). A l’inverse, la population pauvre a baissé de 23 millions, et représente 73,2 millions d’individus en 2009. En termes de revenu, cette nouvelle classe moyenne accapare désormais 46,2 % des revenus distribués, soit plus que la catégorie la plus riche qui a vu sa part diminuer à 44,1 %[1].

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Cette nouvelle configuration de la société brésilienne modifie les modes de consommation et les aspirations, notamment en termes d’éducation, d’accès aux soins, d’infrastructures, … Mais si la consommation des ménages s’est accélérée depuis 10 ans (notamment en biens durables) et a stimulé l’investissement privé, ce vent de démocratisation pose un sérieux défi pour le gouvernement. Car si la hausse du tarif des transports publics a pu être rapidement annulée, l’offre de nouvelles infrastructures et l’amélioration de la qualité des services publics dans un pays grand comme 15 fois la France ne se fait pas en un jour. En 2012, sur 144 pays enquêtés, le World Economic Forum (pp 116-117) situait le Brésil à la 107e place pour la qualité de ses infrastructures et à la 116e place pour la qualité de son système éducatif. Les autorités doivent donc adroitement rebondir sur cette demande légitime de la population, notamment de la jeunesse[2].

Le pays dispose d’atouts importants pour y faire face et stimuler les investissements : un cadre politique et macroéconomique stable, des finances publiques saines, un endettement extérieur inférieur à 15 % du PIB, des réserves de changes abondantes, la confiance des marchés financiers ainsi que des investisseurs directs étrangers, et bien sûr des richesses naturelles variées et abondantes, tant agricoles (soja, café, …) que minières (minerai de fer, houille, zinc , bauxite, …) et énergétiques (hydroélectricité, pétrole).

Mais les difficultés à relever restent nombreuses. Actuellement, la croissance fait défaut alors même qu’elle bute sur les capacités de production. En 2012, elle n’a été que de 0,9 % (insuffisante pour accroître le revenu par tête) et, même si l’investissement repart, les prévisions pour 2013 sont régulièrement révisées à la baisse, autour de 3 %. Simultanément, l’inflation accélère, alimentée par de fortes tensions sur le marché du travail (à 5,5 %, le taux de chômage est très bas) et une productivité qui stagne depuis 2008. A 6,5 % en mai, l’inflation est sur le haut de la fourchette autorisée par les autorités monétaires. Pour respecter sa cible de 4,5 %, plus ou moins 2 points de moins, la banque centrale a remonté en avril dernier son taux directeur de 7,25 % à 8 %. La politique monétaire reste malgré tout très accommodante – l’écart du taux directeur avec le taux d’inflation n’a jamais été aussi bas – et la modération de la croissance devrait avoir raison des tensions inflationnistes. Par ailleurs, ce relatif soutien de la politique monétaire à l’économie est contrebalancé par une politique de consolidation budgétaire qui se poursuit. Après un excédent primaire de 2,4 % du PIB en 2012, l’objectif est de le maintenir à 2,3 % cette année. La dette nette du secteur public continue de baisser. De 60 % il y a dix ans, elle est passée à 43 % en 2008 et atteignait 35 % en avril dernier.

Cette quasi-stagnation de la croissance tient notamment à un grave problème de compétitivité qui ampute le potentiel de croissance du pays. Dans un contexte de conjoncture internationale morose, la hausse des coûts de production et une monnaie qui apparaît surévaluée se traduisent par une chute des performances à l’exportation, une frilosité de l’investissement et un recours accru aux importations. Le solde courant s’est dégradé de 1 point de PIB en un an pour atteindre 3 % en avril dernier.

Pour résorber ce problème d’offre, la banque centrale du Brésil intervient de plus en plus pour contrer les effets néfastes des entrées de capitaux – attirés par les taux d’intérêt élevés – sur le taux de change tandis que le gouvernement cherche à doper l’investissement. Inférieur à 20 % du PIB depuis plus de 20 ans et plutôt proche de 15 % entre 1996 et 2006, celui-ci est structurellement insuffisant pour entraîner l’économie sur une trajectoire de croissance vertueuse. Pour mémoire, le taux d’investissement a été au cours des 5 dernières années de 44 % en Chine, de 38 % en Inde et de 24 % en Russie. Pour amener le taux d’investissement autour d’une cible de 23-25 %, le gouvernement a mis en place en 2007 un Programme d’accélération de la croissance (PAC) basé sur la réalisation de grandes infrastructures. En 4 ans, les investissements publics sont passés de 1,6 % du PIB à 3,3 %. En 2011 a été lancée la deuxième phase du PAC qui prévoit d’y consacrer un budget d’1 % du PIB par an pendant 4 ans. A cela s’ajoutent d’autres programmes d’investissement dont les retombées, décevantes en 2012, devraient néanmoins aider à résoudre une partie des problèmes. Mais les efforts restent insuffisants. Selon une étude de Morgan Stanley de 2010[3], le Brésil aurait besoin d’investir dans les infrastructures 6 à 8 % du PIB chaque année pendant 20 ans pour rattraper le niveau des infrastructures de la Corée du Sud, et 4 % pour rattraper celui du Chili, référence en la matière en Amérique du Sud !

En améliorant l’offre productive et en stimulant la demande par la hausse de l’investissement public, l’objectif des autorités est donc bien de rattraper une partie du retard accumulé par le passé. Mais est-il possible de mener à bien des projets d’investissements de grande ampleur tout en poursuivant une politique de désendettement quand la dette publique nette est proche de 35 % du PIB ? Les autorités doivent accélérer le jeu des réformes pour mobiliser les investisseurs privés, notamment en favorisant le développement d’une épargne nationale de long terme (réforme des retraites, …) et, ce qui va de pair, en stimulant l’intermédiation financière. Le volume de crédits accordés par le secteur financier au secteur non financier ne représentait que 54,7 % du PIB en mai dernier. Un peu moins de la moitié sont des crédits fléchés (crédit rural, Banque nationale de développement, …) et à des taux d’intérêt largement subventionnés (0,5 % en terme réel contre 12 % pour les crédits non aidés aux entreprises, et 0,2 % contre 27,7 % respectivement pour les particuliers). Mais l’Etat doit également réformer une administration publique lourde et corrompue.

Le Brésil est un pays émergent depuis plus de quatre décennies. Avec un revenu de 11 500 dollars PPA par habitant, il est temps que ce grand pays passe à l’âge adulte en proposant les standards de qualité des services publics des pays développés et en recentrant son nouveau modèle de développement sur cette nouvelle classe moyenne dont les besoins restent à couvrir.


[1]Voir  The Agenda of the New Middle Class | Portal FGV sur le site de la Fondation Gétulio Vargas.

[2]http://www.oecd.org/eco/outlook/48930900.pdf

[3]Voir l’étude de Morgan Stanley Paving the way, 2010.

 




Quels ont été les freins à la croissance depuis 2010 ?

par Eric Heyer et Hervé Péléraux

A la fin de l’année 2012, cinq ans après le début de la crise, le PIB de la France n’est toujours pas revenu à son niveau antérieur (graphique 1). Dans le même temps, la population active en France a augmenté continûment et le progrès technique n’a pas cessé d’accroître la productivité des travailleurs. Nous sommes donc plus nombreux et plus productifs qu’il y a 5 ans alors que la production est moindre : l’explosion du chômage observé est le symptôme de ce désajustement. Pour quelles raisons la reprise entrevue en 2009 s’est-elle étouffée mi-2010 ?

Le principal facteur de l’étouffement de la reprise est la politique d’austérité mise en place en France et en Europe dès 2010, puis accentuée en 2011 et en 2012 (tableau 1). Les effets de cette politique de rigueur sont d’autant plus marqués qu’elle est générale dans l’ensemble des pays de la zone euro. Les effets restrictifs internes se cumulent avec ceux qui résultent du freinage de la demande adressée par les partenaires européens. Alors que 60 % des exportations de la France sont à destination de l’Union européenne, la stimulation extérieure s’est quasiment évanouie à la mi-2012, moins du fait du ralentissement de la croissance mondiale qui reste voisine de 3 %, mais en conséquence des mauvaises performances de la zone euro, au bord de la récession. Cette politique est à l’origine du déficit de croissance, avec un freinage apparent dès 2010 (-0,7 point), freinage qui s’est accentué en 2011 et en 2012 (respectivement -1,5 et -2,1 points) du fait de l’intensification de la rigueur et de l’existence de multiplicateurs budgétaires élevés. En effet, la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs). Le débat théorique sur la valeur du multiplicateur et le rôle des anticipations des agents doit s’effacer devant le constat empirique : les multiplicateurs sont positifs et supérieurs à 1.

Au frein budgétaire est venu s’ajouter l’effet de conditions monétaires restrictives : l’assouplissement de la politique monétaire – visible notamment dans la baisse des taux d’intérêt directeurs – est loin d’avoir compensé l’effet négatif sur l’économie du durcissement des conditions d’octroi de crédit ainsi que de l’élargissement du spread entre les investissements privés et les placements publics, sans risques.

Au total, en prenant aussi en compte l’effet de la remontée du prix du pétrole après la récession, la croissance spontanée de l’économie française aurait été de 2,6 % en moyenne au cours des trois dernières années. La réalisation de ce potentiel aurait conduit à la poursuite de la résorption des surcapacités de production et aurait finalement coupé court au scénario de retournement à la baisse de l’économie qui s’est effectivement réalisé.

 




Programme de stabilité : la ligne manquante

par Eric Heyer

Le 17 avril dernier, le gouvernement a présenté son Programme de stabilité à l’horizon 2017 pour l’économie française. Pour les deux prochaines années (2013-2014), le gouvernement s’est calé sur les prévisions de la Commission européenne en prévoyant une croissance de 0,1 % en 2013 et 1,2 % en 2014.  Notre propos ici n’est pas de revenir sur ces prévisions, qui nous semblent par ailleurs trop optimistes, mais de discuter de l’analyse et des perspectives explicites, mais aussi implicites, pour la France que recèle ce document pour la période 2015-2017.

D’après le document fourni à Bruxelles, le gouvernement s’engage à maintenir sa stratégie de consolidation budgétaire tout au long du quinquennat. L’effort structurel s’atténuerait au fil des années pour ne représenter plus que 0,2 point de PIB en 2017, soit neuf fois moins que l’effort imposé aux citoyens et aux entreprises en 2013. Selon cette hypothèse, le gouvernement table sur un retour de la croissance de 2 % chaque année au cours de la période 2015-2017. Le déficit public continuerait à se résorber et atteindrait 0,7 point de PIB en 2017. Cet effort permettrait même d’arriver, pour la première fois depuis plus de 30 ans, à un excédent public structurel dès 2016 et qui atteindrait 0,5 point de PIB en 2017. De son côté, la dette publique franchirait un pic en 2014 (94,3 points de PIB) mais commencerait sa décrue à partir de 2015 pour s’établir en fin de quinquennat à 88,2 points de PIB, soit un niveau inférieur à celui qui prévalait à l’arrivée des socialistes au pouvoir (tableau 1). Il est à noter cependant que dans ce document officiel, rien n’est dit sur l’évolution prévue par le gouvernement du chômage induit par cette politique d’ici à la fin du quinquennat. Telle est la raison de notre introduction d’une ligne manquante dans le tableau 1.

En retenant des hypothèses similaires à celles du gouvernement sur la politique budgétaire ainsi que sur le potentiel de croissance et en partant d’un court terme identique, nous avons tenté de vérifier l’analyse fournie par le gouvernement et de la compléter en y intégrant l’évolution du chômage sous-jacente à ce programme.

Le tableau 2 résume ce travail : il indique que la croissance accélèrerait progressivement au cours de la période 2015-2017 pour dépasser les 2 % en 2017. Sur la période, la croissance serait en moyenne de 1,8 %, taux proche mais légèrement inférieur au 2 % prévu dans le programme de stabilité[1].

Fin 2017, le déficit public serait proche de la cible du gouvernement sans l’atteindre toutefois (1 point de PIB au lieu de 0,7 point de PIB). La dette publique baisserait également et reviendrait à un niveau comparable à celui de 2012.

Dans ce scénario, proche de celui du gouvernement, l’inversion de la courbe du chômage n’interviendrait pas avant 2016 et le taux de chômage s’établirait à la fin du quinquennat à 10,4 % de la population active, soit un niveau supérieur à celui qui prévalait au moment de l’arrivée de François Hollande au pouvoir.

Le scénario proposé par le gouvernement dans le Programme de stabilité apparaît optimiste à court terme et se trompe d’objectif à moyen terme. Sur ce dernier point, il paraît surprenant de vouloir maintenir une politique d’austérité après que l’économie soit revenue à l’équilibre structurel de ses finances publiques et alors que le taux de chômage grimpe au-dessus de son maximum historique.

Une stratégie plus équilibrée peut être envisagée : elle suppose que la zone euro adopte dès 2014 un plan d’austérité « raisonnable » visant à la fois un retour à l’équilibre structurel des finances publiques mais aussi la réduction du taux de chômage. Cette stratégie alternative consiste à revenir sur les impulsions budgétaires programmées et de les limiter, dans tous les pays de la zone euro, à 0,5 point de PIB[2]. Il s’agit-là d’un effort budgétaire qui pourrait s’inscrire dans la durée et permettre à la France, par exemple, d’annuler son déficit structurel en 2017. Par rapport aux plans actuels, il s’agit d’une marge de manœuvre plus importante qui permettrait de répartir le fardeau de l’ajustement de façon plus juste.

Le tableau 3 résume le résultat de la simulation de cette nouvelle stratégie. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays. Mais, notre simulation tient compte aussi des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. En 2017, dans le scénario « moins d’austérité », les finances publiques seraient dans la même situation que dans le scénario central, le supplément de croissance compensant la réduction de l’effort. En revanche, dans ce scénario, le chômage baisserait dès 2014 et se situerait en 2017 à un niveau comparable à celui de 2012.


[1] La différence de croissance peut provenir soit de la non prise en compte de l’impact via le commerce extérieur des plans d’austérité menés dans les autres pays partenaires, soit d’un multiplicateur budgétaire plus faible dans le Programme de Stabilité que dans notre simulation où il se situe aux alentours de 1. En effet, nous considérons que la mise en place dans une période de basse conjoncture, de politiques de restriction budgétaire appliquées simultanément dans l’ensemble des pays européens et alors que les marges de manœuvre de la politique monétaire sont très faibles (taux d’intérêt réel proche de zéro), concourt à élever la valeur du multiplicateur. Il existe d’ailleurs aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (voir Heyer (2012) pour une revue de la littérature sur les multiplicateurs).

[2] Cette stratégie a déjà été simulée dans des travaux antérieurs de l’OFCE comme celui de Heyer et Timbeau en mai 2012, de Heyer, Plane et Timbeau en juillet 2012 ou le rapport iAGS en novembre 2012.




Jusqu’ici tout va bien…

par Christophe Blot

La zone euro est toujours en récession. En effet, selon Eurostat, le PIB a de nouveau reculé au quatrième trimestre 2012 (-0,6 %). Ce chiffre, inférieur aux attentes, est la plus mauvaise performance trimestrielle pour la zone euro depuis le premier trimestre 2009, et c’est aussi le cinquième trimestre consécutif de baisse de l’activité. Sur l’ensemble de l’année 2012, le PIB baisse de 0,5 %. Ce chiffre annuel cache de fortes hétérogénéités (graphiques 1 et 2) au sein de la zone puisque l’Allemagne affiche une croissance annuelle de 0,9 % tandis que la Grèce devrait subir, pour la deuxième année consécutive, une récession de plus 6 %. Surtout, pour l’ensemble des pays, le taux de croissance sera plus faible en 2012 qu’il ne l’était en 2011 et certains pays (Espagne et Italie pour n’en citer que deux), s’enfonceront un peu plus dans la dépression. Cette performance est d’autant plus inquiétante que, depuis plusieurs mois un regain d’optimisme avait suscité l’espoir de voir la zone euro sortir de la crise. Cet espoir était-il fondé ?

Bien que très prudente sur la croissance pour l’année 2012, la Commission européenne, dans son rapport annuel sur la croissance, soulignait le retour de quelques bonnes nouvelles. En particulier, la baisse des taux d’intérêt publics à long terme en Espagne ou en Italie et la réussite des émissions de dettes publiques par l’Irlande ou le Portugal sur les marchés financiers témoignaient du retour de la confiance. Force est de constater que la confiance ne suffit pas. La demande intérieure est au point mort en France et en chute libre en Espagne. Le commerce intra-zone pâtit de cette situation puisque la baisse des importations des uns provoque la baisse des exportations des autres, ce qui amplifie la dynamique récessive de l’ensemble des pays de la zone euro. Comme nous le soulignions lors de notre précédent exercice de prévision ou à l’occasion de la publication de l’iAGS (independent Annual growth survey), la sortie de crise ne peut en aucun cas s’appuyer uniquement sur un retour de la confiance tant que des politiques budgétaires très restrictives sont menées de façon synchronisée en Europe.

Depuis le troisième trimestre 2011, tous les signaux ont confirmé notre scénario et montré que la zone euro s’enfonçait progressivement dans une nouvelle récession. Le chômage n’a pas cessé d’augmenter battant chaque mois un nouveau record. En décembre 2012, il a atteint 11,7 % de la population active de la zone euro selon Eurostat. Pourtant, ni la Commission européenne, ni les gouvernements européens n’ont infléchi leur stratégie budgétaire, arguant que les efforts budgétaires consentis étaient nécessaires pour restaurer la crédibilité et la confiance, qui à leur tour permettraient la baisse des taux d’intérêt et créeraient des conditions saines pour la croissance future. Ce faisant, la Commission européenne a systématiquement sous-estimé l’impact récessif des mesures de consolidation budgétaire, négligeant ainsi une littérature de plus en plus abondante qui montre que les multiplicateurs augmentent en temps de crise et qu’ils peuvent être nettement supérieurs à l’unité (voir le post d’Eric Heyer sur le sujet). Les partisans de l’austérité budgétaire considèrent par ailleurs que les coûts d’une telle stratégie sont inévitables et temporaires. Ils jugent que l’assainissement des finances publiques est un préalable indispensable au retour de la croissance et négligent le coût social durable d’une telle stratégie.

Cet aveuglement dogmatique rappelle la réplique finale du film La Haine (réalisé par Mathieu Kassovitz) « C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». Il serait temps de reconnaître que la politique économique menée depuis 2011 est une erreur. Elle ne permet pas de créer les conditions d’une sortie de crise. Pire, elle est directement responsable du retour de la récession et de la catastrophe sociale qui ne cesse de s’amplifier en Europe. Comme nous l’avons montré, d’autres stratégies sont possibles. Elles ne négligent pas l’importance de restaurer à terme la soutenabilité des finances publiques. En reportant et en atténuant l’austérité (voir le billet de Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth), il est possible de retrouver la croissance plus rapidement et de permettre une décrue plus rapide du chômage.

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Quelle politique monétaire pour la BCE en 2013 ?

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE), après sa réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs du 7 février 2013, a décidé de maintenir son principal taux directeur à 0,75%. L’analyse de la situation économique faite par Mario Draghi lors de la conférence de presse qui a suivi révèle des développements contrastés qui justifient ce statu quo. Dans une récente étude, nous montrons que les projections d’inflation de la BCE permettent d’apporter un autre éclairage sur les évolutions futures du taux directeur.

Le statu quo actuel s’explique par plusieurs facteurs qui se compensent mutuellement. Les banques ont commencé à rembourser une partie des liquidités obtenues à travers le mécanisme du LTRO (140 milliards d’euros sur 489), ce qui reflète une amélioration de leur situation financière, mais dans le même temps les prêts accordés aux entreprises non financières continuent de se contracter (-1,3% en décembre 2012) tandis que les prêts aux ménages restent à des niveaux très faibles.

D’un point de vue macroéconomique, la situation au sein de la zone euro ne donne pas de signaux clairs sur la politique monétaire à venir : après une contraction de 0,2% au deuxième trimestre 2012, le PIB réel de la zone euro a encore baissé de 0,1% au troisième trimestre, tandis que l’inflation, mesurée en rythme annuel, est passée de 2,6% en août 2012 à 2% en janvier 2013 et devrait repasser sous la barre des 2% dans les mois à venir sur la base des chiffres de croissance du PIB et des prix du pétrole actuels et anticipés.

De plus, les anticipations d’inflation des agents privés, mesurées par le Survey of Professional Forecasters, restent solidement ancrées autour de la cible d’inflation de la BCE. Au quatrième trimestre 2012, elles étaient de 1,9% pour les années 2013 et 2014. Avec un objectif d’inflation « inférieur à, mais proche de 2% » atteint en l’état actuel, une zone euro en récession et un chômage à des niveaux records, la BCE pourrait porter soutien à l’activité réelle. Cependant, la BCE anticipe que l’activité économique devrait reprendre graduellement au second semestre 2013, en partie grâce au caractère accommodant de la politique monétaire actuelle.

De cette anticipation, et compte tenu du niveau historiquement bas auxquels sont les taux directeurs aujourd’hui et des délais de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle[1], la probabilité d’une future baisse des taux paraît bien faible. Un dernier élément vient finir de brouiller les pistes: la hausse récente de l’euro  – même si on est encore bien loin des niveaux records – pourrait tuer dans l’œuf la faible reprise économique qui s’annonce et justifierait, selon certains, un soutien aux secteurs exportateurs[2].

Dans un récent document de travail de l’OFCE (n°2013-04), nous discutons de l’utilisation que peut faire la BCE de ses prévisions d’inflation pour améliorer la mise en œuvre de sa politique monétaire. Nous proposons un nouvel élément d’éclairage sur les évolutions futures du taux directeur basé sur les projections macroéconomiques que publie la BCE trimestriellement. Dans cette étude consacrée aux effets de la publication des projections d’inflation de la BCE sur les anticipations d’inflation des agents privés, nous montrons qu’une baisse des projections d’inflation de la BCE de 1 point de pourcentage est associée à une baisse du taux directeur de la BCE de 1,2 point de pourcentage dans les deux trimestres suivants. Nous concluons que les projections d’inflation de la BCE sont un outil qui permet de mieux comprendre les décisions de politique monétaire courantes ainsi que de mieux anticiper les décisions futures.

Les dernières projections d’inflation pour les années 2013 et 2014, publiées en décembre 2012, s’établissent respectivement à 1,6% et 1,4%. La publication, le 7 mars prochain, des nouvelles projections pourrait donner une indication complémentaire sur l’orientation de la politique monétaire à attendre en 2013.


[1] En moyenne, une variation des taux directeurs est estimée produire ses effets sur l’inflation après 12 mois et sur le PIB après 18 mois.

[2] Rappelons tout de même qu’environ 64% du commerce de la zone euro se fait avec des partenaires de la zone euro et est donc indépendant des variations de change.




2013 : quel impact des mesures budgétaires (nationales) sur la croissance ?

par Mathieu Plane

Ce texte complète les prévisions pour l’économie française d’octobre 2012 de l’OFCE

Après avoir détaillé les effets multiplicateurs attendus pour les différents instruments de la politique budgétaire, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9. Cette politique amputerait le PIB de 1,7 % pour cette seule année.Après un effort budgétaire cumulé de 66 milliards d’euros en 2011 et 2012, les économies structurelles attendues pour 2013 représentent environ 36 milliards d’euros (1,8 point de PIB) si l’on intègre à la fois les mesures prises dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2013 et les différentes mesures décidées précédemment (tableau). Le choc budgétaire résultant du PLF pour 2013 serait de 28 milliards d’euros, dont 20 uniquement sur les taux de prélèvements obligatoires (PO). Parmi les 8 milliards d’euros restant, près de 5 milliards de hausse de PO sont issus de la seconde Loi de finances rectificative de l’été 2012, le reste étant principalement dû à la première Loi de finances rectificative pour 2012 et à la hausse des cotisations qui résulte de la révision de la réforme des retraites de l’été 2012.

Au total, l’effort budgétaire pour 2013 se décompose entre une hausse de prélèvements obligatoires pour environ 28 milliards d’euros (1,4 point de PIB)  et une économie structurelle sur la dépense publique primaire de 8 milliards (0,4 point de PIB). La hausse de la pression fiscale et sociale représenterait près de 16 milliards pour les ménages et plus de 12 milliards pour les entreprises. Cette répartition ne tient pas compte des mesures de compétitivité annoncées le 6 novembre par le premier ministre. Les crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) n’auraient pas d’effet budgétaire en 2013 à l’exception près de la possible mise en place dès 2013 d’une avance, pour certaines entreprises en mal de trésorerie, sur leur futur crédit d’impôt.

A partir des variantes de multiplicateur budgétaire, réalisées avec e-mod.fr selon la position de l’économie dans le cycle, pour les principaux prélèvements fiscaux et sociaux ainsi que les principales composantes de la dépense publique[1] et des différentes évaluations que nous avons pu mener, notamment dans le cadre de l’évaluation du programme économique du quinquennat, nous avons appliqué un multiplicateur budgétaire spécifique à chaque mesure  pour 2013 (tableau). Les multiplicateurs à court terme ne prennent en compte que les effets directs des mesures sur l’activité domestique, indépendamment des politiques budgétaires de nos partenaires commerciaux qui amplifient l’impact de la politique nationale. On suppose par ailleurs que la politique monétaire n’est pas modifiée. Les valeurs à long terme des multiplicateurs sont différentes de celles de court terme et moins élevées sauf à conserver durablement un écart de production négatif.

Sur les 16 milliards d’augmentation de PO sur les ménages en 2013, la hausse discrétionnaire de l’IRPP serait de 6,4 milliards dont 3,2 issus de la Loi de finances pour 2013 (contre 4 dans le PLF car la proposition d’imposition au barème des plus-values mobilières sera largement amendée et le rendement de la mesure pourrait baisser d’environ 0,8 milliard, le manque à gagner pouvant être compensé par le prolongement de la contribution exceptionnelle de 5 % d’IS pour les très grandes entreprises), le reste provenant de la Loi de finances rectificative pour 2012 (dont 1,7 milliard uniquement avec la désindexation du barème de l’IRPP). Si la hausse de l’IRPP liée au PLF 2013 est ciblée sur les hauts revenus, sa contribution (3,2 milliards) représente seulement 11 % de la hausse des PO (20 % si l’on se limite aux seuls ménages) en 2013 et moins de 9 % de l’effort budgétaire total.  Selon nos calculs, le multiplicateur budgétaire moyen lié aux différentes mesures de hausse de l’IRPP serait de 0,7 en 2013.

L’augmentation des PO des ménages proviendrait principalement de la hausse des prélèvements sociaux et des cotisations sociales (8,7 milliards d’euros) prévue dans le Projet loi de finances de la Sécurité sociale pour 2013 (2,9 milliards) et les mesures de la Loi de finances rectificative pour 2013 (5,3 milliards qui incluent la remise en cause de la défiscalisation des heures supplémentaires, la limitation des niches sociales, de l’épargne salariale, la hausse de la CSG sur les revenus du capital, …) et la réforme des retraites avec une hausse du taux de cotisation (0,5 milliard). Le multiplicateur budgétaire moyen lié à ces différentes mesures serait de 0,9. Enfin la réforme des droits de succession augmenterait les PO de 1,1 milliard. En revanche, les recettes de l’ISF, en 2013, seraient inférieures de 1,3 milliard par rapport à celles de 2012. En effet, la contribution exceptionnelle sur la fortune qui avait été mise en place dans le cadre de la Loi de finances rectificative pour 2012 a un  rendement supérieur à celui issu de la nouvelle réforme pour 2013. Le multiplicateur budgétaire pour ces deux mesures est de 0,3.

Au total, selon nos calculs, la hausse des prélèvements sur les ménages en 2013 aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et amputerait la croissance de 0,6 point de PIB.

Pour les entreprises, les mesures prises passent principalement par la hausse de l’impôt sur les sociétés prévue dans le PLF 2013 (8 milliards d’euros dont 4 milliards liés à la réforme de la déductibilité des charges financières). Le multiplicateur moyen de la hausse de l’IS est estimé à 0,7 en 2013. 2,3 milliards d’euros proviennent d’une hausse des cotisations sociales et des prélèvements sociaux avec un multiplicateur budgétaire unitaire. Enfin d’autres mesures, comme les mesures sectorielles sur la fiscalité des assurances ou la contribution exceptionnelle du secteur pétrolier, viendront augmenter la pression fiscale des entreprises de 1,9 milliard en 2013 et le multiplicateur budgétaire moyen est évalué à 0,5.

Selon notre évaluation, la hausse des PO sur les entreprises aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et réduirait le PIB de 0,5 point de PIB en 2013.

Par ailleurs, le multiplicateur budgétaire à court terme associé à la dépense publique, dans une phase de bas de cycle, est, selon notre modèle, de 1,3 ; il est donc supérieur à celui qui est associé aux prélèvements. Ce résultat est conforme aux résultats de la littérature empirique la plus récente (pour plus de détails, voir encadré « Multiplicateurs budgétaires : la taille compte ! ». La perte d’activité estimée résultant de la restriction sur la dépense publique serait de 0,5 point de PIB en 2013.

Au total, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9 et cette politique amputerait le PIB de 1,7 %. Ce résultat est dans la fourchette basse des derniers travaux du FMI qui estime, à partir des données récentes sur 28 pays, que les multiplicateurs réels pourraient s’échelonner de 0,9 à 1,7 depuis le début de la Grande Récession.


[1] Pour plus de détails, voir Creel, Heyer, Plane, 2011, « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.

 




Pourquoi la croissance française est-elle révisée à la baisse ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Dans ses prévisions d’octobre 2012, l’OFCE a révisé ses prévisions de croissance pour 2012 et 2013. De la même façon, les grands instituts internationaux, l’OCDE, le FMI et la Commission européenne, révisent régulièrement leurs prévisions de croissance pour intégrer l’information nouvellement disponible. L’analyse de ces révisions de prévisions est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle révèle l’utilisation par ces institutions de multiplicateurs budgétaires faibles lors de l’élaboration des prévisions. Dit autrement, l’impact récessif des politiques budgétaires serait sous-estimé par l’OCDE, le FMI et la Commission européenne, conduisant à des révisions importantes des prévisions de croissance, comme en attestent les revirements spectaculaires du FMI et de la Commission européenne sur la taille des multiplicateurs.

Le graphique 1 montre ainsi qu’entre la prévision réalisée en avril 2011 et la dernière prévision disponible, le gouvernement, comme l’ensemble des instituts, ont révisé très fortement à la baisse leur prévision de croissance pour la France.

C’est que dans le même temps les politiques d’austérité ont été renforcées, particulièrement en zone euro. Les pays européens se sont en effet engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques équilibrées. Contrairement aux années précédant la crise, le respect de ces engagements est considéré comme la condition nécessaire, voire suffisante, à la sortie de crise. Par ailleurs, dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par les marchés (hausse des taux souverains, dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains). Mais en tentant de réduire leurs déficits brutalement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens induisent de nouveaux ralentissements de l’activité.

Un cercle vicieux s’installe : à chaque révision à la baisse de leurs prévisions de croissance pour 2012, les gouvernements européens mettent en place de nouveaux plans d’austérité pour tenir leurs engagements de déficit public. Cela a été le cas en France, mais surtout en Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et en Espagne qui est désormais engagée dans la plus forte cure d’austérité des grands pays européens.

Selon nos évaluations (c’est-à-dire en utilisant un multiplicateur de 1), pour l’économie française, la succession de plans d’économie budgétaire au niveau national a conduit à une révision de -1,1 point de la croissance entre avril 2011 et octobre 2012 (passage d’un impact de -0,5 à -1,6 point de PIB). Au cours de la même période, ce mécanisme étant à l’œuvre chez nos partenaires commerciaux, cela a induit une révision de 0,9 point à la croissance française via le commerce extérieur (passage de -0,5 à -1,4 point de PIB) (graphique 2).

Au total, pour l’année 2012, les révisions de l’OFCE pour l’économie française s’expliquent par la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 12 derniers mois, qu’elle soit nationale ou appliquée chez nos pays partenaires (tableau 1).

En dehors de cette surenchère d’austérité, notre diagnostic sur l’économie française n’a que très peu évolué au cours des 18 derniers mois : sans elle, nous aurions même revu légèrement à la hausse notre prévision de croissance (0,4 %).




France : la guerre de 3% aura-t-elle lieu ?

par Eric Heyer

Ce texte résume les prévisions pour l’économie française d’octobre 2012 de l’OFCE

L’économie française devrait croître de 0,1 % en 2012 et de 0,0 % en 2013 en moyenne annuelle. Cette performance est particulièrement médiocre et très éloignée du chemin que devrait normalement emprunter une économie en sortie de crise.

Quatre ans après le début de la crise, le potentiel de rebond de l’économie française est important : il aurait dû conduire à une croissance spontanée moyenne de près de 3,0 % l’an au cours des années 2012 et 2013, permettant de rattraper une partie de l’écart de production accumulé depuis le début de la crise. Mais cette reprise spontanée est freinée, principalement, par la mise en place de plans d’économies budgétaires en France et dans l’ensemble des pays européens. La stratégie de consolidation budgétaire, imposée par la Commission européenne, devrait amputer de près de 6 points de PIB l’activité en France au cours des années 2012 et 2013.

 

 

En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation sur le marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement pour s’établir à  11 % fin 2013.

Par ailleurs, la réduction du déficit budgétaire attendue par le gouvernement de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 3 % de PIB en 2013 – sera en partie rognée par le manque à gagner en  recettes fiscales dû à la faiblesse de la croissance. Le déficit public devrait s’établir à 3,5 % en 2013.

 

Dans ces conditions, le gouvernement doit-il tout mettre en œuvre pour tenir son engagement de 3% du déficit public en 2013 ?

Dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire comporte un risque, celui d’être sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette. Ce risque est réel mais limité. La situation actuelle est celle d’une « trappe à liquidité » et d’une épargne abondante. Il en résulte un comportement de « fuite vers la qualité » de la part des épargnants qui recherche des placements sans risques. Or parmi ces derniers figurent les obligations d’Etats Allemands mais aussi Français. Dans ces conditions, la réduction de 1 point au lieu de 1,5 point de PIB du déficit public n’aurait que très peu d’impact sur les taux d’intérêt obligataires français.

En revanche, le maintien d’une cible à 3% du déficit public en 2013 pourrait avoir des conséquences dramatiques sur l’activité et l’emploi en France. Nous avons simulé un scénario dans lequel le gouvernement français tient coûte que coûte à respecter son engagement budgétaire quelle que soit la conjoncture. Si tel était le cas, cela nécessiterait l’adoption d’un nouveau plan de restrictions budgétaires dans les mois à venir d’un montant de 22 milliards d’euros.

Cette stratégie amputerait l’activité économique dans l’hexagone de 1,2 % en 2013. Elle engendrerait une hausse supplémentaire du taux de chômage qui frôlerait la barre des 12 % en s’établissant à 11,7 % en fin d’année. En ce qui concerne l’emploi, cette obstination amplifierait les destructions d’emplois : au total, elle coûterait près de 200 000 emplois.

Un scénario plus noir est également envisageable : selon nos prévisions, en tenant compte des projets de Lois de finances connus et votés, aucun grand pays européen ne respecterait ses engagements de réduction de déficit en 2013. En sous-estimant la difficulté à atteindre des cibles inaccessibles, le risque est fort de voir les pays de la zone euro s’enfermer dans une spirale où la nervosité des marchés financiers serait le moteur d’une austérité toujours renforcée. Pour illustrer ce risque, nous avons simulé un scénario dans lequel les grands pays de la zone euro (Allemagne, France, Italie et Espagne) mettent en place de nouvelles mesures d’austérité afin d’atteindre leurs engagements de déficits publics en 2013. L’adoption d’une telle stratégie se traduirait par un choc négatif puissant sur l’activité dans ces pays. Pour l’économie française, elle induirait un supplément de rigueur qui, soit au niveau national soit en provenance des pays partenaires de la zone euro, provoquerait en 2013 une violente récession. Le PIB dans l’hexagone baisserait de plus de 4,0 % engendrant une hausse supplémentaire du taux de chômage qui frôlerait la barre des 14 %.

 




France-Allemagne : le grand écart démographique

par Gérard Cornilleau

Les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France vont avoir des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin. Le « one-size-fits-all » n’est pas encore pour demain.

Les trajectoires  démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres européennes et de l’Histoire. La superposition des pyramides des âges (graphique 1) est à cet égard instructive : en Allemagne les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées au cours de la période nazi, jusqu’en  1946 ; ensuite viennent les générations nées au milieu des années soixante (les enfants des générations nées pendant le nazisme).  En France les générations des années trente sont à l’inverse peu nombreuses. En conséquence le baby-boom qui, comme on peut  facilement le comprendre, démarre avant celui de l’Allemagne (dès 1945 au moment où l’on observe un baby krach en Allemagne qui ne prendra fin qu’au début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant tardivement au cours des années soixante) est d’une ampleur limitée car les générations en âge d’avoir des enfants sont peu nombreuses. En revanche le ralentissement de la natalité est nettement plus faible en France après la crise des années soixante-dix et surtout la fécondité augmente de  nouveau depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si bien qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, les générations sont de taille pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui.  En Allemagne la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ex-RDA qui converge vers le taux de l’Ouest  au milieu des années 2000 (graphique 2). Au total, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse. Si bien que le nombre de naissances en France excède aujourd’hui  de beaucoup celui qui est observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000 soit 22 % de naissances en plus en France.

 

Du point de vue démographique, la France et l’Allemagne sont donc dans des situations radicalement différentes. Alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne[1], l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

Dans les deux pays les migrations contribuent à la croissance de la population mais de manière modérée. Les migrations nettes ont été faibles en Allemagne au cours de la période la plus récente avec un taux de 1,87 ‰ entre 2000 et 2005 et 1,34‰ entre 2005 et 2010 contre respectivement 2,55 ‰ et 1,62‰ en France[2]. La Commission européenne retient pour l’avenir  des taux de migration nets proches pour la France et l’Allemagne, contribuant à l’horizon de 2060 à augmenter la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays[3]. L’ONU[4] envisage une hypothèse similaire, la contribution des migrations étant de plus en plus faible dans l’ensemble des pays du fait du ralentissement général des migrations internationales dues à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un réservoir important de main-d’œuvre externe alors qu’elle a peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.

L’inversion des poids démographiques semble donc inéluctable et elle s’accompagnera d’une divergence de l’âge moyen de la population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (graphique 4). En 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne contre un peu moins de  27 % en France.

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne (op. cit.) elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de  2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement  62 ans.

La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail qui vont être soumis à des contraintes différentes. Entre 2000 et 2011, les populations actives française et allemande ont augmenté du même ordre de grandeur –  +7,1 % en Allemagne et + 10,2 % en France –,  mais alors qu’en Allemagne les deux tiers de cette hausse résulte de celle des taux d’activité, en France la démographie en explique 85 %. Dans un avenir proche, l’Allemagne va buter sur la difficulté d’accroître davantage ses taux d’activité. Sa politique familiale comprend aujourd’hui des dispositions, comme le congé parental, qui visent à inciter le travail féminin par une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, mais les taux d’activité féminins sont déjà élevés et la question est plutôt celle de l’augmentation de la fécondité que de l’offre de travail. La France qui part d’un niveau plus faible de taux d’activité, surtout à cause des seniors qui sortent du marché du travail nettement plus tôt qu’en Allemagne, dispose de plus de réserves de hausse. Depuis quelques années la disparition des préretraites et l’allongement des durées de travail requises pour obtenir une retraite à taux plein ont commencé à produire leurs effets et le taux d’emploi des seniors progresse nettement, même pendant la crise[5]. Dans le même temps l’emploi des seniors progresse également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter fortement indéfiniment et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est la plus vraisemblable. Au total, selon les projections de la Commission européenne[6], le taux d’activité allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (passant de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). A l’horizon de 2060 le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand (+4,2 points contre +2,2). Mais le taux français serait encore inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) si bien que la France disposerait encore d’une réserve de hausse.

La conséquence de cette divergence démographique  entre les deux pays est lourde  en termes de croissance potentielle à moyen long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse de la convergence de la productivité du travail en Europe autour d’un rythme de croissance annuelle de 1,5 %), la croissance potentielle française sera à long terme le double de la croissance potentielle allemande : +1,7 % par an d’ici 2060 contre +0,8. La différence resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais elle se creusera ensuite rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.

Il en résultera que, comme pour la population, la hiérarchie des PIB français et allemand devrait s’inverser aux alentours de 2040 (graphique 5).

Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.


[1] Cf. “The 2012 ageing report”, European Economy 2/1012.

[2] Cf. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World Population Prospects: The 2010 Revision, CD-ROM Edition.

[3] Le solde migratoire net serait un peu plus élevé en Allemagne qu’en France atteignant 130 000 par an aux alentours de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais au total la différence serait très faible : en 2060 le cumul des migrations nettes entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et 6 % en France (en pourcentage de la population de 2010)

[4] Op. cit.

[5] Voir le bilan de l’évolution de la population active en 2011 par l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

[6] Op. cit.