Qui sème la restriction récolte la récession

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de X. Timbeau

Ce texte résume la note de l’OFCE n°16 donnant les perspectives de l’économie mondiale 2012-2013.

Le paroxysme de la crise des dettes souveraines est passé. La dette publique grecque est restructurée et diminuera, au prix d’un défaut, de 160 à 120 % du PIB. Cette restructuration autorise le déblocage du soutien financier de la troïka à la Grèce et résout pour l’instant le problème de financement du renouvellement de la dette publique grecque. La contagion qui avait frappé la plupart des pays de la zone euro, et qui s’était traduite par une hausse des taux souverains, est interrompue. La détente est sensible par rapport au début de l’année 2012 et le risque d’un éclatement de la zone euro est largement réduit, du moins dans le court terme. Pour autant le processus de transformation de la Grande Récession, amorcée en 2008, en très Grande Récession n’est pas interrompu par le soulagement temporaire apporté à la crise grecque.

D’une part, l’économie mondiale, et singulièrement la zone euro, restent dans une zone de risque où, à nouveau, une crise systémique menace et d’autre part, la stratégie choisie par l’Europe, à savoir la réduction rapide de la dette publique (qui suppose la réduction des déficits publics et leur maintien en deçà des déficits qui stabilisent la dette) compromet l’objectif annoncé. Or, puisque la crédibilité de cette stratégie est perçue, à tort ou à raison comme une étape indispensable en zone euro pour rassurer les marchés financiers et permettre le financement à un taux acceptable de la dette publique (entre 10 et 20 % de cette dette étant refinancés chaque année), la difficulté à atteindre l’objectif oblige à une rigueur toujours plus grande. La zone euro apparaît comme courant après une stratégie dont elle ne maîtrise pas les leviers, ce qui ne peut qu’alimenter la spéculation et l’incertitude.

Nos prévisions pour la zone euro concluent à une récession de 0,4 point en 2012 et une croissance de 0,3 point en 2013 (tableau 1). Le PIB par tête baisserait en 2012 pour la zone euro et serait stable en 2013. Le Royaume Uni échapperait à la récession en 2012, mais la croissance du PIB resterait en 2012 et en 2013 en deçà de 1% par an. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB accélèrerait à 2,3% par an en 2012 après une année 2011 à 1,7%. Bien qu’il soit supérieur à celui de la zone euro, ce taux de croissance peine à enclencher une hausse du PIB par tête et ne permet pas une décrue significative du chômage.

L’épicentre de la crise se déplace ainsi vers le Vieux continent et compromet la sortie de crise pour les pays développés. Confrontés plus encore que la zone euro à une situation budgétaire dégradée et donc à l’alourdissement de la dette, les Etats-Unis et le Royaume-Uni redoutent l’insoutenabilité de leur dette publique. Mais parce que la croissance compte tout autant pour assurer la stabilité de la dette, la restriction budgétaire en zone euro qui pèse sur leur activité ne fait qu’accroître leurs difficultés.

En privilégiant la réduction rapide des déficits et de la dette publique, les responsables politiques de la zone euro révèlent qu’ils croient que le futur sera celui du pire scénario. S’en remettre à la soi-disant discipline des marchés pour rappeler à l’ordre les pays dont les finances publiques sont dégradées ne fait qu’aggraver, par le renchérissement des taux d’intérêts, le problème de soutenabilité. Par le jeu du multiplicateur, toujours sous-estimé dans l’élaboration des stratégies ou des prévisions, les politiques d’ajustement budgétaire entraînent une réduction d’activité qui valide la croyance résignée dans un “new normal” dégradé. In fine, elle ne fait que s’auto-réaliser.




La relance budgétaire à l’honneur

par Jérôme Creel

« La taille de nombreux multiplicateurs est grande, particulièrement pour les dépenses publiques et les transferts ciblés. » Mais qui, encore de nos jours, ose écrire une chose pareille ?

La réponse est : 17 économistes issus de la Banque centrale européenne, de la Réserve fédérale américaine, de la Banque du Canada, de la Commission européenne, du Fonds monétaire international, et de l’Organisation pour la coopération et le développement économique, dans un article publié en janvier 2012 dans American Economic Journal: Macroeconomics.

Ils poursuivent, dans leur résumé, en écrivant : « La politique budgétaire est d’autant plus efficace qu’elle est temporaire et que la politique monétaire est accommodante. Les hausses permanentes de dépenses et de déficits publics réduisent significativement les effets multiplicateurs initiaux. »

Quelles sont les valeurs de ces effets multiplicateurs et qu’en est-il de la réduction significative desdits effets si la politique budgétaire est en permanence expansionniste ? Selon ces 17 économistes, et sur la base de 8 modèles macroéconométriques différents pour les Etats-Unis, et de 4 modèles macroéconométriques différents pour la zone euro, la conclusion est claire : une relance budgétaire effective pendant 2 ans, accompagnée d’une politique monétaire accommodante (le taux d’intérêt est maintenu bas par la banque centrale) produit des effets multiplicateurs largement supérieurs à l’unité aux Etats-Unis comme dans la zone euro (entre 1,12 et 1,59) si le plan de relance porte sur la consommation publique, l’investissement public ou les transferts ciblés. Pour les autres instruments à la disposition des gouvernements, comme la TVA, les effets sont moindres, de l’ordre de 0,6, mais bel et bien positifs.

Qu’en est-il si la relance persiste ? Les effets multiplicateurs d’une hausse permanente dans les consommations publiques s’amenuisent, certes, mais ils restent toujours positifs dans la zone euro, quel que soit le modèle utilisé et quelle que soit l’hypothèse faite sur la politique monétaire poursuivie. De rares cas d’effets multiplicateurs négatifs sont reportés pour les Etats-Unis, mais ils dépendent du modèle utilisé ou de l’hypothèse portant sur la politique monétaire.

Pour conclure, une remarque et une question soulevées par cet article paru récemment.

La remarque : le choix de la stratégie budgétaire optimale de la zone euro vaut bien quelques instants de réflexion, de lecture et d’analyse des travaux existants plutôt qu’une vision tronquée et déformée de la politique budgétaire jugée, sans procès équitable, nocive pour l’activité économique.

La question : la politique budgétaire expansionniste a des effets… expansionnistes sur le produit intérieur brut ; faut-il donc se priver d’un instrument somme toute efficace ?

 

 




L’irrésistible attraction vers la récession

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française, mise à jour au 30 janvier 2011

Les prévisions de février de l’indicateur avancé ont sensiblement dégradé les perspectives de l’économie française au tournant de 2011 et de 2012.

D’un côté, le PIB devrait reculer davantage qu’escompté au quatrième trimestre de 2011, -0,3 contre -0,2 % estimé le mois précédent. De l’autre, la reprise de la croissance au premier trimestre 2012, entrevue en janvier, est en passe de disparaître, avec une hausse du PIB ramenée à 0,1 %, contre 0,3 dans les estimations précédentes. Au total, le PIB se contracterait donc de 0,2 % sur les deux trimestres. L’aléa qui pèse sur la prévision du PIB à deux trimestres, et que nous avons déjà souligné antérieurement, se lève progressivement dans un sens défavorable au fur et à mesure que les informations négatives s’accumulent. En particulier, le climat des affaires dans l’industrie a poursuivi sa chute en janvier à un rythme supérieur à celui escompté le mois précédent.

La dégradation du climat des affaires prend le pas sur les éléments plus positifs qui jusqu’à présent amortissaient l’effet de la crise des dettes souveraines sur la croissance, à savoir la baisse de l’euro contre le dollar au troisième trimestre 2011 et l’interruption de la plongée du CAC40 au quatrième trimestre. Si cette même dynamique se reproduisait en février et en mars, la France n’aurait plus guère de chances d’échapper à la récession au sens habituellement admis, c’est-à-dire la survenue de deux trimestres consécutifs de recul du PIB.

Prochaine mise à jour le 29 février 2012




La France et la zone euro suspendues au-dessus de la récession

par Hervé Péléraux

L’actualisation des indicateurs avancés pour la France et la zone euro à la fin octobre révèle l’extrême fragilité de ces économies, en surplomb au-dessus de la récession. La stagnation du PIB attendue en France au troisième trimestre, suivie d’un possible recul de 0,2 % au quatrième, peut préfigurer la survenue d’une récession au tournant de 2011-2012, alors même que l’optimisme était encore de mise avant l’été. La situation n’est guère meilleure pour l’ensemble de la zone euro, avec une stagnation anticipée du PIB dans la seconde moitié de 2011. La crise des dettes souveraines, démarrée en mai 2010 avec la révélation de la crise grecque, aura finalement eu raison de la résistance, un peu surprenante, des économies dans la seconde moitié de 2010 et au premier trimestre 2011.

L’indicateur avancé pour la France :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateurfr.htm?current=five&sub=c

L’indicateur avancé pour la zone euro :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateureuro.htm?current=five&sub=c




L’économie française sur le fil du rasoir

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française

Le climat général des affaires s’est fortement dégradé en septembre en France, plombé par la détérioration des indices de confiance dans tous les secteurs productifs sans exception. L’indice de confiance des ménages étant lui aussi en recul en septembre, il ne reste guère d’espoir pour un rebond de la croissance, après le chiffre déjà mauvais du deuxième trimestre au cours duquel le PIB a stagné. C’est ce que suggère l’indicateur avancé de l’OFCE qui exploite l’information contenue dans les enquêtes de conjoncture réalisées par l’INSEE. Au troisième trimestre, le PIB français devrait de nouveau stagner, et se replier de 0,2 % au quatrième trimestre.

L’anticipation d’un recul du PIB au quatrième trimestre est inquiétante, car elle préfigure une entrée en récession de l’économie française. Mais elle n’est pas acquise car la prévision est tributaire de l’extrapolation de certaines composantes qui interviennent sans décalage dans l’indicateur et pour lesquelles aucune information n’est à l’heure actuelle disponible (les données d’enquêtes ne le sont que jusqu’en septembre). Cette extrapolation repose sur la prolongation de leur dynamique passée, négative ces derniers mois, ce qui conduit à anticiper un nouveau recul des climats de confiance, et corrélativement, la formation d’un taux de croissance négatif au quatrième trimestre.

Cette méthode a fait ses preuves : elle table sur la persistance, à un horizon court, des mouvements passés des climats de confiance et permet d’alimenter les prévisions de manière vraisemblable quand l’information est incomplète à l’horizon d’un trimestre. Mais l’expérience montre aussi que cette procédure tend à sous-estimer l’ampleur des mouvements conjoncturels du PIB. Si tel est présentement le cas, l’indicateur envoie un signal pertinent de récession, mais en sous-estime l’ampleur comme ce fut le cas lors de la récession de 2008/09. La baisse de 0,2 % du PIB attendue pour le quatrième trimestre pourrait alors être en dessous de la réalité.

Seul un rebond des climats de confiance pourrait amener à revoir cette prévision. Mais étant donné l’aggravation de la crise des dettes souveraines cet été, la mise en place de politiques budgétaires restrictives en Europe comme à l’extérieur, et l’effondrement des bourses (le CAC40, qui est une composante de l’indicateur, a une contribution à la prévision du quatrième trimestre plus négative qu’au plus fort de la récession de 2008/09), cette embellie paraît peu probable.

Entre les deux cas polaires précédents, une hypothèse intermédiaire consisterait à supposer que les climats de confiance cessent simplement de se dégrader, c’est-à-dire qu’ils soient prolongés jusqu’en décembre en leur attribuant chaque mois la valeur de septembre. Dans ce cas, la prévision de croissance du PIB ne serait pour autant positive, puisque ce dernier stagnerait à nouveau. Force est de constater que l’économie française est bien sur le fil du rasoir…

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