Le recouvrement des impayés de pensions alimentaires réduit les dépenses sociales mais réduit également le niveau de vie de certaines mères isolées

Par Hélène Périvier (OFCE) et Muriel Pucci (CES, Université Paris 1)

Lors de son allocution du 26 avril, Emmanuel Macron a annoncé le renforcement de l’aide au recouvrement des Contributions à l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE), communément appelées « pensions alimentaires » auprès des pères débiteurs : « on ne peut pas faire reposer sur des mères seules qui élèvent leurs enfants (…) l’incivisme de leurs anciens conjoints. ». Dans le système actuel, cet incivisme repose davantage sur la solidarité nationale que sur les mères elles-mêmes, si ces dernières font valoir leurs droits auprès de la CAF. En effet, la Loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a mis en place la Garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) qui assure le versement d’un montant minium de pension égal à l’Allocation de soutien familial (ASF, environ 115 euros par enfant par mois) lorsque l’ex-conjoint ne paie pas ce qu’il doit au titre de l’éducation et de l’entretien de ses enfants. Au-delà de ce dispositif spécifique, le RSA et la Prime d’activité garantissent un revenu minimum à toutes les personnes éligibles. Les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes, perçoivent des majorations permettant de tenir compte de leur situation familiale. La solidarité nationale prend donc le relai des ex-conjoints défaillants pour les parents isolés aux revenus  les plus faibles. Lorsque le parent débiteur verse la CEEE due, le montant de RSA ou de la prime d’activité que perçoit le parent créditeur sont réduits d’autant.

Au côté des prestations sociales, l’Etat a créé, en janvier 2017, l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) qui procède au recouvrement de celle-ci auprès des ex-conjoints débiteurs et facilite le versement par les CAF des aides sociales adaptées à chaque situation. L’annonce présidentielle ne vise donc pas à créer ce dispositif car il existe déjà, mais à renforcer son activité. L’objectif de l’ARIPA est de faire payer au parent débiteur les sommes dont il est redevable, ce qui a priori devrait améliorer le revenu disponible du parent créditeur et donc le niveau de vie des enfants. Un meilleur taux de recouvrement contribuerait également à la baisse des dépenses sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que le système social se substitue au parent débiteur si ce dernier est en mesure de payer la CEEE. Mais le recouvrement de la CEEE peut conduire à une baisse du revenu disponible de nombreuses mères isolées (le parent créditeur est le plus souvent la mère), en raison du traitement de cette catégorie de revenu dans le système fiscal et social. Ainsi, de façon contre-intuitive, un meilleur recouvrement des pensions réduit le niveau de vie de certaines mères isolées, celles qui sont dans les situations les plus précaires.

Pour améliorer le niveau de vie des enfants dont les parents sont séparés, il faut certes accroître l’injonction des pères à payer les CEEE dues, mais il faut également revoir le traitement de ces contributions dans les barèmes sociaux et fiscaux.

Le niveau de vie baisse à la suite d’une séparation

Le nombre de familles monoparentales n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui on compte plus 1.6 million de foyers monoparentaux, soit plus de 22% des familles comprenant des enfants mineurs : 3.4 millions d’enfants vivent avec un seul de leur parent. La cause la plus fréquente de cette configuration familiale est la rupture de couple. 85% des parents isolés sont des femmes.

Les parents séparés voient leur niveau de vie baisser après la rupture, notamment du fait de la perte d’économies d’échelles associées à la vie en couple. En particulier les dépenses de logement pèsent sur le revenu des deux ex-conjoints. Cette perte de niveau de vie est la plupart du temps plus importante pour les femmes que pour les hommes car, lorsqu’elles sont en couple, elles réduisent ou cessent plus souvent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants. Elles ont donc moins de ressources propres (Bonnet, Garbinti, & Solaz, 2016). Par ailleurs elles ont le plus souvent la garde principale des enfants. Les femmes sont donc particulièrement concernées par la situation de monoparentalité, bien que la proportion de pères isolés se soit accrue ces dernières années, passant de 11% en 1990 à 15% en 2011 (Acs & Lhommeau, 2012). Par ailleurs les pères n’ayant pas la garde de leur enfant après la séparation subissent également une perte de niveau de vie, car ils versent une CEEE et ont également des dépenses de logement plus élevées que s’ils étaient célibataires sans enfant à charge et ceci même quand ils n’accueillent leurs enfants qu’un week-end sur deux (Martin & Périvier, 2018)[1].

Le niveau de la pension alimentaire et insolvabilité du parent débiteur

Au moment de la séparation, la Contribution pour l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE) est fixée soit à l’amiable entre les deux parents, soit par un juge. Cette pension peut être monétaire ou en partie en nature (logement, loisir etc,… ). Le barème indicatif mis à disposition par la Chancellerie définit un montant de CEEE en pourcentage du revenu du parent débiteur, mais le juge arbitre en appréciant la situation dans son ensemble au cas par cas. La question du montant est d’autant plus complexe que les revenus des deux ex-conjoints sont faibles. Lorsque le parent débiteur ne peut pas payer une contribution d’un montant suffisant pour l’éducation des enfants, le système social prend le relais avec l’Allocation de soutien familial dite complémentaire. Il s’agit d’une prestation différentielle qui permet d’assurer une contribution minimale fixée à 115,64 euros par enfant et par mois. Par exemple si le juge fixe la CEEE à 50 euros, alors le parent ayant la garde de l’enfant recevra 65,64 euros en complément au titre de l’ASFC[2].

Comment lutter contre les impayés de pensions alimentaires ?

La grande majorité des contributions (82 %) sont payées systématiquement, 8 % le sont irrégulièrement, et 12 % ne sont pas payées (Insee, 2015). Ces statistiques ne concernent que les couples divorcés et ne tiennent pas compte des situations de séparation de parents non mariés pour lesquels les impayés existent aussi. Le Ministère des solidarités et de la santé avance un chiffre de 30 à 40% de pensions totalement ou partiellement impayées.

Pour aider les mères isolées dont l’ex-conjoint ne paie pas la CEEE, une garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) a été instaurée en 2014 de façon expérimentale puis généralisée en 2016 sur l’ensemble du territoire. La GIPA garantit à hauteur de l’ASF toute pension impayée par le parent débiteur et cette ASF recouvrable est versée par la CAF qui réalise les démarches juridiques pour recouvrer les sommes dues. Pour une CEEE dont le montant excède le niveau de l’ASF (115,64 euros par enfant), le parent créditeur recevra le solde si la CAF réussit à recouvrer les sommes dues. Ce nouveau dispositif s’est accompagné de la création de l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) en janvier 2017. Ce dispositif devrait être renforcé afin d’accroître le nombre de pensions impayées recouvrées.

L’incohérence du traitement des pensions alimentaires dans le système social

La façon dont les CEEE sont prises en compte dans les barèmes sociaux et fiscaux pour les deux parents n’est pas toujours cohérente.

L’impôt sur le revenu traite le versement de la CEEE comme un transfert de revenu. Ainsi, le parent débiteur déduit la pension versée de son revenu imposable et le parent créditeur l’ajoute à son revenu imposable. Lorsque les deux parents sont imposables et ne sont pas éligibles aux revenus sociaux (du type RSA ou Prime d’activité), le versement de la contribution améliore alors la situation de la mère et son impact sur le niveau de vie de père est atténué par la déduction fiscale.

En revanche, le calcul du RSA et de la Prime d’activité revient à compter deux fois les CEEE dans les revenus des parents. La mère qui a la garde des enfants doit déclarer les CEEE reçues, ce qui réduit d’autant le montant de la prestation (par un mécanisme différentiel), mais en contrepartie elle bénéficie de suppléments pour enfants à charge au titre du RSA et de la Prime d’activité[3]. En revanche, le père ne peut pas déduire les contributions qu’il verse à son ex-conjointe de ses ressources dans le calcul du RSA ou de la Prime d’activité et il ne bénéficie d’aucun supplément de ces prestations au titre de la charge que représente cette contribution sur son niveau de vie.

Le traitement des CEEE dans l’impôt sur le revenu, le RSA et la Prime d’activité implique que leur versement ne modifie pas le revenu disponible des mères isolées ayant de faibles ressources (substitution de la solidarité familiale à la solidarité collective) et qu’il améliore la situation des mères isolées qui ne sont pas éligibles aux prestations sociales. Du côté des pères, ceux qui sont imposables bénéficient d’une prise en compte de la charge que constitue la CEEE sur leur niveau de vie, ce qui n’est pas le cas de ceux potentiellement éligibles au RSA.

Mais au-delà de ces deux transferts sociaux (RSA et Prime d’activité), les contributions sont également prises en compte pour le calcul des aides au logement, des prestations familiales dégressives et/ou sous condition de ressources et de l’ensemble des tarifs sociaux basés sur un quotient familial (tarifs préférentiels de la cantine et des activités périscolaires par exemple). Pour ces aides, comme pour l’impôt sur le revenu, les CEEE sont considérées comme un transfert de revenu : le parent créditeur intègre les contributions reçues dans son revenu ce qui réduit les montant auxquels il a droit, et le parent débiteur les déduit de ses ressources ce qui accroît son degré d’éligibilité à ces prestations. In fine pour les mères élevant seules leurs enfants, la baisse de l’ensemble des prestations sociales peut être supérieure au montant de la contribution reçue ce qui induit une baisse de son revenu disponible. Autrement dit le taux marginal effectif d’imposition des contributions pour l’entretien et l’éducation des enfants est supérieur à 100%.

Prenons le cas d’ex-conjoints ayant deux enfants, le père débiteur gagne 1,5 fois le Smic (1 760 € par mois) et la mère isolée n’a pas de revenus d’activité. Si le père paie la contribution (122 € par enfant selon le barème indicatif, soit 244 €), le revenu disponible de la mère est alors de 1 347€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche, si le père ne paie pas la contribution due, la mère isolée peut percevoir l’ASF (soit 115,64 € par enfant, soit 231,28 €) grâce à la GIPA. Pour cela elle doit en faire la demande et cette demande doit être validée (ce qui requiert que la mère ait effectivement engagé des démarches pour le recouvrement de la pension ou que le père ne soit pas solvable). Si la mère perçoit l’ASF en l’absence de contribution versée par le parent débiteur, son revenu disponible est de 1 392€ par mois, soit 45 € de plus que si le père verse la contribution due. En effet, la contribution est certes supérieure au montant de l’ASF de 13€, mais son versement implique une baisse du RSA de 59€ [4]. Si la mère ne perçoit ni l’ASF ni la CEEE, son revenu disponible est de 1 347 € et le recouvrement ne modifie pas son niveau de vie : la baisse du RSA compense exactement l’augmentation du revenu lié à la perception de la pension.

Supposons maintenant que la mère créditrice gagne le Smic. Si le père paie la contribution de 244 €, le revenu disponible de la mère est de 1 999€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche si le père ne paie pas la contribution, le revenu disponible de la mère isolée est de 2 116 € par mois si elle perçoit l’ASF et de 2 070 € sinon. Dans les deux cas, le recouvrement de la contribution due par le père réduirait le niveau de vie de la mère et des enfants dont elle a la garde et ceci en raison de la baisse de la Prime d’activité (baisse de 60€ avec ASF et de 244€ dans le cas où elle ne perçoit pas l’AFS) mais aussi d’une baisse de l’aide au logement (de 71€ pour une aide en zone 2 avec un loyer égal au loyer plafond).

Certes pour toutes les femmes qui, du fait de ressources propres suffisantes, ne sont pas éligibles aux prestations sociales du type RSA, Prime d’activité ou allocations logement, le paiement effectif de la contribution implique une augmentation de leur revenu disponible. Mais pour toutes celles qui bénéficient de prestations sociales et de tarifs sociaux, le recouvrement réduit le niveau de vie. Or il s’agit de celles qui sont dans les situations les plus précaires. Reste le cas des mères qui ne recourent pas au RSA ou à la Prime d’activité et pour lesquelles le versement de la contribution accroît le niveau de vie, mais le non-recours aux prestations sociales constitue un dysfonctionnement du système social.

Pour éviter que le niveau de vie de certains parents baisse suite au paiement de la CEEE par leur ex-conjoint, il convient donc d’adopter une approche globale. Il est légitime de mettre en place les procédures facilitant le recouvrement des impayés de pensions alimentaires, car il n’y a aucune raison que l’Etat se substitue au parent débiteur lorsque celui-ci est en mesure de contribuer à l’entretien et à l’éducation de ses enfants. Mais lorsque la CEEE est effectivement payée, non seulement l’Etat ne verse plus l’ASF, mais il verse moins d’aides sociales diverses (allocations logement, RSA, prime d’activité) ce qui réduit la voilure des dépenses sociales, mais grève d’autant le revenu disponible des mères isolées et le niveau de vie de leurs enfants. Pour améliorer la situation des mères isolées, il ne suffira donc pas de recouvrer les pensions dues, mais il faudra revoir l’articulation du paiement des CEEE avec le système social et fiscal. Des travaux sont en cours au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et des propositions allant de ce sens seront formulées avant l’été. Parallèlement, l’OFCE travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur la situation des socio-économiques des parents isolés dans le cadre d’un contrat de recherche réalisé pour la Direction générale de la cohésion sociale.

 

[1] Les gardes alternées ne représentent que 16% des organisations familiales fixées par le juge à la suite à une séparation.

[2] Notons que l’allocation n’est pas payée pour des montants inférieurs à 15 euros par parent bénéficiaire.

[3] Le RSA et la Prime d’activité peuvent être majorés dans certains cas : si le benjamin a moins de 3 ans ou durant la première année qui suit la séparation.

[4] L’ASF n’est pas intégralement déduite du RSA, mais seulement à hauteur de 80 % de son montant.




Pouvoir d’achat : une prime pour l’activité … à temps plein

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

Dans son allocution du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Cet engagement a conduit le gouvernement à augmenter la prime d’activité[1] de 90 euros pour un salarié percevant un revenu d’activité équivalent à un SMIC à temps plein, la différence avec l’annonce présidentielle étant couverte par la hausse légale annuelle du SMIC.

Les bénéficiaires de la prime d’activité devraient percevoir dès le début du mois de février les premiers effets de cette mesure. Selon nos estimations, celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre de ménages éligibles à la prestation, celui-ci passant de 3,9 à 5,1 millions. Si le taux de non recours des nouveaux éligibles est identique au taux observé avant la revalorisation, c’est-à-dire (21%), le coût budgétaire de la mesure serait de 2,3 milliards d’euros, une estimation inférieure à celle du gouvernement qui est de 2,6 milliards.

Afin de cibler la hausse de la prime d’activité autour des actifs gagnant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la mesure augmente le montant de la bonification individuelle et étend le nombre de bénéficiaires. Désormais, la bonification individuelle sera perçue à partir de la perception de revenus individuels équivalant à 0,5 SMIC mensuel et atteindra un montant maximal à 1 SMIC (alors qu’avant elle atteignait son niveau maximal à 0,8 SMIC). Par ailleurs, le montant maximal de la bonification est augmenté de 90 euros par mois. Ainsi, la décision de revaloriser la bonification individuelle et non le montant forfaitaire réduit, voire élimine, les gains pour les salariés aux durées de travail faibles au cours du mois. Le graphique 1 montre l’évolution de la prime d’activité à la suite des décisions du mois de décembre pour un individu célibataire, sans enfant et sans forfait logement.

Graphe1_postMP-RS

Notons également qu’avant ces annonces, au cours de l’année 2018, la prime d’activité a été l’objet d’évolutions impactant le pouvoir d’achat des bénéficiaires et pour certaines d’entre elles à contresens des mesures annoncées dans le cadre de la Loi de mesures d’urgence économiques et sociales. Si, au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois, des modifications techniques sont intervenues pour réduire l’impact budgétaire de cette revalorisation : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité. En cumulant l’ensemble des mesures, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient voir le montant de leur prime s’accroître d’en moyenne de 60 euros par mois en 2019 par rapport à 2018 (tableau).

 

Tabe_post07-02_MP-RS

L’augmentation de la prime d’activité devrait augmenter le niveau de vie de nombreux ménages de la première moitié de la distribution. Rapportés aux niveaux de vie des ménages, les gains à attendre ne devraient pas dépasser 1,2% par vingtile. Entre les 2e et 6e vingtile (soit le tiers des ménages les plus modestes hors 5% les plus pauvres), plus d’un quart des ménages devrait être concernés par l’augmentation de la prime d’activité pour un gain moyen compris entre 1% et 1,2% de leur niveau de vie. A contrario, au sein des 30% de ménages les plus modestes, deux ménages sur trois ne devraient pas bénéficier des mesures touchant à la prime d’activité.

Graphe2_postMP-RS

[1] La prime d’activité est un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes.




Prime d’activité : une ambition varlopée

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

La prime d’activité est un complément de revenu s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes[1]. Au cours des derniers mois, cette prime a été l’objet de nombreuses évolutions, pour certaines inscrites dans le programme présidentiel[2] d’E. Macron. Celles-ci visaient explicitement à inciter à la reprise d’emploi et à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, sans conséquence directe sur le coût du travail pour les entreprises.

Au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois. À partir d’octobre 2019, une deuxième bonification individuelle sera introduite, concentrée sur les salaires proches d’un SMIC à temps plein. Par ailleurs, des modifications techniques se sont ajoutées aux mesures du programme présidentiel : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité (Tableau 1). Le cumul de ces mesures rend peu clairs les effets à attendre pour les ménages bénéficiaires. Une fois explicité l’impact des mesures pour un salarié célibataire, nous tenterons d’élargir l’analyse à l’ensemble des bénéficiaires.

Tab1_post30-10

Entre 2018 et 2019, 42 euros de revenu mensuel supplémentaire pour un salarié au SMIC

Globalement, les réformes de la prime d’activité augmentent le montant de l’allocation pour les bénéficiaires percevant des revenus d’activité supérieurs au montant forfaitaire. Le profil de gains tirés des réformes diffère en 2018 et en 2019 (graphique 1). En 2018, les gains associés aux relèvements du montant forfaitaire, intervenus en avril et octobre, sont homogènes parmi les bénéficiaires tandis que la baisse du taux de cumul des revenus pénalise plus fortement les bénéficiaires percevant des revenus plus élevés. En 2019, la nouvelle bonification individuelle est croissante à partir de 0,5 SMIC et atteint son niveau maximum au niveau du SMIC mensuel.

Ainsi, les mesures de revalorisation de 2019, contrairement à celles de 2018, ont un impact plus fort pour les bénéficiaires aux revenus les plus importants (graphique 2).

Graphe1_post30-10

Graphe2_post30-10

Si on se concentre sur les salariés percevant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la prime d’activité était proche de 155 euros fin 2017. La revalorisation du montant forfaitaire de 20 euros, mise en place en octobre 2018, augmente d’autant son revenu mensuel. Parallèlement, la baisse du taux de cumul, entrée en application au même moment, ampute une part de la hausse et porte la prime d’activité pour un salarié travaillant au SMIC à taux plein à 170 euros. Au total, le salarié au SMIC aura vu augmenter sa prime d’activité de 15 euros en 2018. La création de la deuxième bonification individuelle en octobre 2019 augmentera, quant à elle, ses revenus de 20 euros supplémentaires.

Par ailleurs, le montant de la prime d’activité perçu par un salarié rémunéré au SMIC sera aussi affecté par les effets induits par la bascule CSG/cotisations sociales : en augmentant son salaire net, les ressources servant au calcul de la prime d’activité sont modifiées. Cumulé avec l’effet de la plus forte dégressivité de la prime d’activité, un gain de 20 euros de salaire net ampute la prime d’activité de 8 euros. Au final, la prime d’activité de ce salarié s’établirait fin-2019 à un niveau proche de 180 euros. Par rapport au mois de décembre 2017, le gain total de revenu net à attendre des mesures devrait être de 42 euros.

Dans les faits, ce gain dépendra en grande partie de la structure des revenus d’activité des ménages bénéficiaires. A titre d’exemple, les ménages percevant un revenu d’activité inférieur à 0,5 SMIC ne bénéficient ni des revalorisations, qu’elles soient « exceptionnelles » ou non, ni de la création de la seconde bonification individuelle. A contrario, ils sont impactés négativement par la baisse du taux de cumul.

En ne tenant compte ni de la baisse des cotisations salariés ni des effets négatifs sur le montant perçu de prime d’activité, environ 10 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité – soit environ 300 000 ménages – devraient perdre à la mise en place des mesures étudiées. Si ces ménages sont largement minoritaires, l’existence de ces situations interrogent ; bien que celles-ci disparaissent si l’on intègre à l’analyse les effets de la baisse des cotisations salariés.

En moyenne, les gains par ménage resteront modestes à horizon 2019

L’existence d’hétérogénéités importantes dans les situations des salariés bénéficiaires rend nécessaire l’utilisation d’un modèle de micro simulation afin d’évaluer l’impact des différentes mesures sur le revenu disponible des ménages. Pour ce faire, nous utilisons le modèle Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, et nous concentrons notre analyse sur les quelques 3 millions de ménages bénéficiaires de la prime d’activité.

Les résultats de nos simulations font apparaître des gains réels moyens relativement faibles (Tableau 2). Si les revalorisations décidées en 2018 (indexation à l’inflation en avril et revalorisation de 20 euros en octobre) devraient accroître le revenu disponible des bénéficiaires de la prime d’activité d’en moyenne 15 euros par mois en 2018 et 20 euros en 2019, celui-ci devrait être amputé respectivement de 5 euros et 10 euros du fait de la baisse du taux de cumul. L’absence de revalorisation en avril 2019 et la création d’une seconde bonification à l’automne 2019 devraient quant à elles avoir un impact quasi nul sur le revenu disponible des allocataires.

Au final, le gain réel moyen à attendre des mesures impactant directement la prime d’activité devrait s’élever en 2018 et en 2019 à environ 10 euros par mois et par ménage allocataire, soit 20 euros par mois par rapport à 2017. Ce gain viendrait s’ajouter au gain moyen (net de l’effet sur la prime d’activité) à attendre de la baisse des cotisations salariés (20 euros à l’horizon 2019).

En 2019, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient donc voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 40 euros par mois par rapport à 2017 sous l’effet conjugué des mesures étudiées, soit une hausse de 1,4 % de leur revenu disponible.

Tab2_post30-10Tab3_post30-10

 

[1] Pour plus de détails, voir « Prime d’activité : quelle efficacité redistributive et incitative ? », Allègre et Ducoudré, Policy Brief de l’OFCE, octobre 2018.

[2] « Tous les smicards qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire, soit 100 € nets de plus chaque mois. »




Quel impact direct des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat en 2019 ?

par Mathieu Plane

Une amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts

A l’instar de 2018, année durant laquelle la chronique trimestrielle du pouvoir d’achat est marquée par les différentes mesures socio-fiscales, l’année 2019 devrait également se caractériser par des effets importants des mesures prises sur l’évolution infra annuelle du pouvoir d’achat des ménages. Dans le cadre de cette étude, nous nous concentrons uniquement sur les mesures ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat[1] en tenant compte du calendrier fiscal de chacune des mesures et nous évaluons leurs effets en moyenne sur l’année. Nous ne tenons donc pas compte des mesures qui pourraient avoir un impact indirect sur le pouvoir d’achat[2], comme par exemple la réduction des contrats aidés ou l’accroissement des formations, ou encore les économies sur certaines dépenses publiques hors prestations (gel de l’indice fonction publique, économies sur les dépenses de fonctionnement dans les collectivités locales, …) ou enfin les mesures fiscales sur les entreprises. Par ailleurs, nous mesurons ici les effets macroéconomiques directs des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat et nous ne rentrons pas dans le détail de leurs effets selon les déciles de revenus comme nous l’avions réalisé pour le budget 2018[3].

Les principales mesures impactant le pouvoir d’achat en 2018 et 2019 sont documentées par la Loi de finances pour 2018 : baisse de la taxe d’habitation, bascule cotisations salariés/CSG, réforme de l’ISF, mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), hausse de la fiscalité écologique et le tabac, revalorisation de la Prime d’activité, de l’Allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse (ASPA). Des mesures nouvelles ont été prises dans le Projet de loi de finance 2019 : du côté des prélèvements obligatoires, les principales mesures en direction des ménages sont la « désocialisation »[4] des heures supplémentaires et la baisse de la CSG pour 300 000 retraités ; du côté des prestations sociales, les pensions de retraite du régime général, les prestations familiales et les allocations logement seront désindexées de l’évolution de l’inflation (pensions de retraites, prestations familiales, allocations logement, …) et le calcul des allocations logement se fera dorénavant en fonction du revenu courant et non du revenu deux années précédentes. Contrairement à l’année 2018, en 2019 peu de mesures votées lors de la législature précédente ont un impact sur le revenu des ménages. A cela s’ajoute une mesure spécifique qui aura un impact sur le pouvoir d’achat en 2019 mais qui découle d’une décision des partenaires sociaux concernant la gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco.

Notre analyse évalue l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat en moyenne sur l’année (et non pas en fin d’année) en tenant compte du calendrier de mise en place et de la montée en charge des différentes mesures. Ainsi, une mesure de hausse ou de baisse de la fiscalité n’a pas le même impact sur le pouvoir d’achat en moyenne sur une année suivant le moment où elle devient effective[5].

Selon nos évaluations, et à partir de l’information disponible sur la base des documents budgétaires et des déclarations des ministres du Gouvernement Philippe, l’ensemble des mesures socio-fiscales engendrerait un gain de pouvoir d’achat de 3,5 milliards en 2019 (0,3 point de revenu disponible brut (RDB)), après 0,1 milliard en 2018 (0,0 point de RDB) (tableau). La hausse des taux d’appel et de cotisation Agirc-Arrco décidée par les partenaires sociaux devrait amputer le pouvoir d’achat en 2019 de 1,8 milliard d’euros, réduisant l’effet total à +1,7 milliard (0,1 point de RDB).

En 2019, le pouvoir d’achat sera augmenté par les mesures de baisse de la fiscalité directe (9,4 milliards, soit 0,7 point de RDB), dont la bascule cotisations salariés / CSG complète en 2019 (4,5 milliards, 0,3 point de RDB) et la seconde tranche de la réduction de taxe d’habitation en novembre 2019 (3,5 milliards, 0,2 point de RDB), après une première tranche effective en novembre 2018. Le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital induirait un gain de 0,6 milliard en 2019 du revenu des ménages (concentré sur le dernier décile). Enfin, la mise en place de la « désocialisation » des heures supplémentaires en septembre 2019 dans le cadre de la Loi de finance pour 2019 augmenterait le pouvoir d’achat de 0,7 milliard en 2019 (2 milliards en année pleine) et la baisse de CSG pour 300 000 retraités améliorerait le revenu des ménages de 0,3 milliard.

En revanche, l’augmentation de la fiscalité indirecte[6] amputerait le pouvoir d’achat des ménages de 3,5 milliards en 2019 (-0,3 point de RDB), principalement sous l’effet de la hausse en janvier 2019 de la fiscalité écologique (augmentation de la TICPE et Taxe carbone, ce qui correspond à une hausse de 6,5 centimes par litre de diesel et 2,9 centimes par litre d’essence) pour 2,8 milliards. La hausse de la fiscalité sur le tabac (50 centimes de plus par parquet de cigarettes en avril, puis 50 centimes en novembre 2019) pèserait à hauteur de 0,8 milliard[7] sur le pouvoir d’achat global.

Les mesures concernant les prestations sociales devraient amputer le pouvoir d’achat des ménages de 2,5 milliards sous l’effet principalement de la désindexation des pensions de retraite, des prestations familiales et des allocations logement. Sous l’hypothèse d’une inflation à 1,6 % pour l’année 2019, indexer ces prestations à 0,3 % réduirait le pouvoir d’achat moyen des ménages de 3,2 milliards (-0,2 point de RDB) en 2019, dont près de 90 % provient de la sous-indexation des pensions de retraite. De plus, la réforme du mode de calcul des allocations logement réduirait le pouvoir d’achat de 1 milliard en 2019. En revanche, certaines prestations seront significativement revalorisées et soutiendront le pouvoir d’achat en 2019. C’est le cas de la Prime d’activité pour 1 milliard supplémentaire, de l’Allocation adulte handicapé pour 0,5 milliard et du minimum vieillesse pour 0,2 milliard.

Les mesures socio-fiscales décidées par le gouvernement Philippe soutiendront le pouvoir d’achat des ménages en 2019 (3,5 milliards si l’on exclut les mesures Agirc-Arrco), surtout au regard de 2018 où l’impact global moyen des mesures était quasiment nul. En revanche, aussi bien en 2018 qu’en 2019, les politiques menées génèrent de multiples transferts qui peuvent être masqués par les agrégats macroéconomiques. L’exemple de 2018 en est une parfaite illustration avec des impacts sociaux-fiscaux nuls en moyenne sur le pouvoir d’achat mais générant des gagnants et des perdants comme nous l’avions montré dans une étude publiée en janvier 2018. Ainsi, pour une meilleure compréhension de la mise en place des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat des ménages, l’analyse macroéconomique doit être complétée par une analyse d’impact par décile de revenu qui permet de mieux analyser les enjeux de la politique économique menée. Ce travail devrait prochainement faire l’objet d’une publication.

Tabe_post20-09

[1] Les mesures socio-fiscales sont évaluées sur la base de leur impact budgétaire pour les finances publiques et nous n’évaluons pas l’incidence fiscale finale de ces mesures.

[2] Dans un travail à paraître prochainement, nous élaborons une analyse visant à prendre en compte certains effets indirects sur le pouvoir d’achat qui viennent compléter l’impact des mesures socio-fiscales.

[3] P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier. Ce travail sera réalisé à nouveau pour le Projet de loi de finance 2019.

[4] Au sens de l’exonération de cotisations sociales salariés des heures supplémentaires.

[5] Pour plus de détails, voir P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier.

[6] Nous faisons l’hypothèse que les hausses des taxes indirectes sont intégralement supportées par les ménages.

[7] Nous avons retenu ici une élasticité de la consommation de tabac à son prix de -0,5%.




Restructurer la CSG et la Prime d’activité ? Commentaires sur la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2015, le Conseil constitutionnel a censuré l’article 77 de la Loi de finances 2015. Issu d’un amendement présenté par deux députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, et Pierre-Alain Muet, cet article instaurait le versement d’une fraction de la prime d’activité (PA) sous la forme d’une réduction dégressive de la CSG.

Cette censure était souhaitée et prévue par le gouvernement et la plupart des fiscalistes.  L’amendement rendait encore plus inextricable notre système fiscalo-social.  Une prestation sociale (la prime d’activité, PA), calculée sur une base familiale, devait être versée en partie par l’entreprise sous la forme d’une réduction de la CSG (le montant de la réduction n’ayant aucun lien avec le montant de la PA due), réduction qui devait s’imputer sur la PA versée par la CAF, mais devait être récupérée sous forme de hausse de l’IR l’année suivante pour ceux qui n’auraient pas droit à la PA.  Ainsi, les députés avaient-ils voté en décembre 2015 une réforme de la PA votée en juillet, avant même que cette prime ne soit encore versée. De toute évidence, c’est au moment du vote de la PA que les modalités de versement auraient dues être pensées.

Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré l’amendement sur un premier grief (la différence de traitement entre les salariés et les non-salariés) sans examiner les autres, de sorte que certains commentateurs (comme Thomas Piketty, « Retour sur la censure de l’amendement Ayrault-Muet », Libération, 31 décembre 2015) ont cru qu’il suffirait d’étendre les bénéfices de l’amendement aux non-salariés. Certains se sont indignés d’une décision qui « empêchait  les parlementaires d’améliorer les conditions de vie des travailleurs modestes ». Nous voudrions ici expliquer pourquoi l’amendement en question n’était pas bien pensé et, plus généralement, pourquoi l’aide aux familles de travailleurs pauvres ne peut pas prendre la forme d’une réduction de la CSG.

Un amendement malvenu

Le système fiscalo-social français est basé sur un principe fondamental, qui est la reconnaissance de la famille, en tant qu’unité de base. Les parents sont censés partager l’ensemble des ressources de la famille entre tous ses membres. La fiscalité comme les prestations sociales évaluent le niveau de vie de la famille en considérant sa composition et l’ensemble de ses revenus. Selon ce principe, tout impôt progressif, toute prestation à visée redistributive doit être familialisée. C’est le cas de l’IR, du RSA, des allocations logement.

Ce principe peut certes être remis en cause ; certains souhaitent que la France passe à un système individuel, qui ne reconnaîtrait pas la famille comme élément de base de la société. Mais, ce choix doit être publiquement posé et démocratiquement décidé. Il doit être pensé de façon cohérente pour les prestations comme pour les impôts comme pour le droit du divorce et de l’héritage. Il suppose, en particulier, que soit clairement établi qui supporte la charge financière des enfants. Il ne peut être introduit en contrebande, par des amendements qui affaiblissent la cohérence du système actuel sans proposer un système alternatif cohérent. Or, l’amendement Ayrault-Muet stipulait que l’imposition des revenus avait deux composantes, l’IR et la CSG, et aboutissait à ce que la progressivité de la seconde se fasse sur une base individuelle, ne tenant pas compte, de plus, des revenus du capital[1].  Aussi, certains économistes comme Piketty, Liem-Hoang-Ngoc (« La réforme fiscale manquée », Libération du 6 janvier 2016), Bargain, Lehmann et  Trannoy (« L’amendement Ayrault sur la fiscalité ne doit pas être repoussé », Le Monde, 9 décembre 2015) soutenaient l’amendement, mais comme une étape vers une réforme fiscale, dont le contenu n’a pas fait l’objet jusqu’à présent d’un débat et d’une décision démocratique. Ce n’est pas une bonne méthode.

Le système français aide fortement les travailleurs à bas-salaires et leurs familles (tableau 1). Le choix fait a été d’instaurer un salaire minimum relativement élevé en en réduisant le coût pour les employeurs par de fortes exonérations de cotisations sociales patronales. Ainsi, la valeur du travail est reconnue ; ainsi, les travailleurs dits non-qualifiés sont incités à travailler. Par ailleurs, les familles de travailleurs pauvres sont aidées par les prestations familiales, les allocations logement,  naguère par le RSA activité, maintenant par la PA.  Ainsi, un célibataire au SMIC supporte un prélèvement négatif (-45 euros) si on fait le solde entre les cotisations sociales non-contributives (maladie, famille, etc.) que verse son employeur (314 euros), sa CSG-CRDS (115 euros), ses impôts indirects (218 euros) d’un côté, sa prime d’activité (94 euros), son allocation logement (67 euros) et les exonérations de cotisations employeurs (531 euros) de l’autre. De même, le prélèvement est négatif (-81 euros) pour une famille de deux adultes payés au SMIC, ayant deux enfants à charge.

Le choix fait en juillet 2015 a été de renforcer la progressivité du système en remplaçant le RSA activité et la PPE par la Prime d’activité.  Comme l’aide aux familles pauvres doit être familialisée et tenir compte de l’ensemble de leurs revenus, elle ne peut pas figurer sur la fiche de paye puisque l’employeur ne connaît pas la situation familiale de ses salariés, leurs autres revenus et que le barème de l’aide souhaitable ne correspond pas à celui de la CSG (tableau 2). Le dispositif mis en place par la PA est beaucoup plus ciblé sur les familles les plus pauvres que ne l’eût été la dégressivité de la CSG.  Il est impossible d’aider fortement les familles les plus pauvres par la dégressivité de la CSG car elles en paient très peu. Cette dégressivité ne peut être familialisée et donc elle diminuerait le niveau de vie relatif des familles avec enfants.

tab1_HS2101_post

En contrepartie, le risque est grand que la PA souffre d’un taux de non-recours élevé, puisque c’est une prestation quérable, dont le montant découle d’un calcul compliqué, intégrant le revenu de la famille et les salaires de chacun, difficilement compréhensible par les bénéficiaires potentiels. Le taux de non-recours du RSA activité était certes de 62%, mais celui des allocations logement (une prestation quérable et compliquée) est lui de l’ordre de 10%[2].  Les conditions d’obtention de la PA sont allégées et simplifiées par rapport à celles du RSA activité, de sorte que les 50% de taux de recours prévu pourraient progressivement être augmentés. L’amendement Ayrault-Muet aurait risqué de démobiliser les CAF sur ce que doit dorénavant  être leur objectif: la hausse du taux de recours de la PA.

tab2_HS2101_post

L’amendement proposé par Ayrault et Muet souffrait de son ambiguïté. Les entreprises auraient distribué à leurs salariés un acompte à la PA qui aurait pris la forme d’une réduction dégressive de la CSG, soit 90% du montant de la CSG pour les travailleurs au SMIC, pourcentage qui aurait diminué linéairement pour s’annuler à 1,34 fois le SMIC. Les auteurs de l’amendement le défendaient, parfois en soutenant qu’il s’agissait d’un simple acompte à la PA (et donc qu’il n’était pas  gênant qu’il soit réservé aux salariés et qu’il ne tienne pas compte des charges familiales), parfois en soutenant qu’il s’agissait de rendre la CSG progressive, et donc de réduire la charge fiscale des travailleurs à bas-salaires.

Il est trompeur d’écrire comme les auteurs de l’amendement que le taux d’imposition est immédiatement de 9,7% pour le salarié qui perçoit juste le SMIC, puisque c’est ne tenir compte que de la CSG-CRDS en oubliant, dans le cas du célibataire, la PA,  les allocations logement, les cotisations employeurs et leurs exonérations et, dans le cas des familles, les prestations familiales, qui font que le taux d’imposition net est négatif à ce niveau de salaire. Il est trompeur de prétendre que grâce à l’amendement, le taux d’imposition du travailleur au SMIC passait à  1,4%, en confondant un acompte sur prestation avec une baisse d’impôt.

Le mécanisme proposé par l’amendement Ayrault-Muet ne bénéficiait pas aux familles qui reçoivent le plus de PA (tableau 2). Certes, le taux de recours aurait mécaniquement augmenté, mais pas pour les familles les plus pauvres.  La CAF pour verser la PA aux familles de salariés aurait dû connaître la ristourne de CSG dont elles avaient effectivement bénéficié, ce qui aurait encore compliqué le dispositif. L’amendement ne prévoyait pas comment ce transfert d’information se serait effectué, ni comment les pertes de CSG seraient compensées à la Sécurité sociale. Par ailleurs, des salariés auraient bénéficié de la ristourne de la CSG sans avoir droit à la PA, en raison des revenus de leur conjoint ou de revenus du capital ; cette ristourne aurait dû être récupérée par le fisc au moment du versement de l’IR. Encore une nouvelle complication puisque le fisc aurait dû vérifier pour chaque ménage ayant bénéficié de la ristourne CSG sans demander la PA s’il y avait droit.  Mélangeant la CSG, la PA et l’IR, l’amendement accentuait encore la mise en cause de l’autonomie des ressources de la Sécurité sociale. On ne peut  utiliser la CSG comme acompte d’une PA, alors que les deux obéissent à des logiques bien différentes.

Le mieux est l’ennemi du bien. Du moment où le système français comporte des transferts fortement redistributifs (comme l’IR, l’ISF, les cotisations employeurs, la PA, les AL), il n’est pas nécessaire que tous les prélèvements le soient, d’autant qu’un prélèvement progressif obligatoirement familialisé est obligatoirement difficile à gérer. Le choix fait d’aider les travailleurs pauvres par la PA plutôt que par la dégressivité de la CSG (mesure déjà censurée par le Conseil constitutionnel le 19 décembre 2000) est légitime. Il est bizarre de la remettre en cause cinq mois après son vote.

Il est trompeur d’écrire, comme Laurent Mauduit (Médiapart du 30 décembre 2015, « Le Conseil constitutionnel plombe toute réforme fiscale »), « cette disposition contribuait à rétablir un peu d’équité dans un système français très inégalitaire »  ou la décision du Conseil constitutionnel « conforte le conservatisme néo-libéral ambiant au terme duquel les riches ne doivent surtout pas payer plus d’impôt que les pauvres ». Il est erroné de prétendre que cette décision remet en cause le principe de progressivité de l’impôt ; au contraire, elle conforte la jurisprudence de la Cour : l’impôt progressif  doit être familial.

Le système mis en place est-il pour autant parfait ?  Non, sans doute et pour deux raisons, au moins. La prime d’activité aide les familles de travailleurs pauvres, mais n’est plus versée en cas de chômage, ce qui  augmente fortement la perte de revenus de ces familles en cas de  chômage. Pourquoi ne pas considérer les allocations chômage comme un revenu d’activité et ouvrir aux chômeurs le droit à la PA ?

Il eut été préférable de bien séparer l’objectif d’aide aux familles les plus pauvres (qui nécessite obligatoirement un suivi en temps réel de la composition des familles et de leurs revenus) et l’objectif d’aide à l’emploi non-qualifié (qui dispose déjà d’un instrument spécifique : le couplage SMIC/exonération des cotisations employeurs).  Augmenter le SMIC de 10%, en compensant cette hausse par des exonérations de cotisations employeurs ; créer un complément familial pour les familles à 1 ou 2 enfants sous le seuil de pauvreté aurait permis de limiter fortement le nombre de bénéficiaires potentiels de la PA et de réduire le non-recours puisque le recours aux prestations familiales est nettement plus élevé que celui prévu pour la PA.

L’objectif doit être maintenant d’augmenter le taux de recours à la PA, ce qui suppose une forte volonté politique et une mobilisation des CAF pour que le taux prévu (50 %) soit dépassé.

____________________________________________________________________________________________

Prime d’activité et réduction de la CSG

La prime d’activité est calculée pour un ménage par la formule :

 PA = (montant forfaitaire + bonifications individuelles) – (38% des revenus d’activité + autres ressources + prestations familiales + forfait logement).

Le montant forfaitaire est le montant du RSA et dépend de la composition de la famille ; le forfait logement est soustrait si la famille perçoit les allocations logement ou est propriétaire de son logement ; la bonification individuelle est versée pour les actifs dont les revenus d’activité sont d’au moins 0,5 Smic ; elle atteint 67 euros pour un actif dont les revenus d’activité dépassent 0,8 SMIC.

Soit, pour une famille de deux enfants et un actif au SMIC :

PA=1001+67-(0,38*1142+0+129+67+129)= 449 € par mois.

La CSG est actuellement de 7,5% sur les 98,75% du salaire brut. L’amendement Ayrault-Muet prévoyait une réduction de 90% pour les salariés au SMIC, soit de 6,67% du salaire brut, soit 98 €. Le taux de réduction baissait linéairement jusqu’à 1,34 SMIC.

_______________________________________________________________________________________

 

[1] Certes, la CSG est déjà quelque peu progressive pour les  retraités, pour des raisons historiques (quand la CSG a été introduite, les pouvoirs publics n’ont pas voulu diminuer le pouvoir d’achat des plus faibles retraites), mais cette progressivité est entièrement calquée sur celle de l’IR, de sorte qu’elle tient compte de l’ensemble des revenus du retraité et de sa situation familiale.

[2] Selon : CAF (2014) : L’Accès aux droits et le non-recours dans la branche Famille des Prestations familiales, Novembre.