Pour une réforme de l’imposition des couples

par Guillaume Allègre, Hélène Périvier et Muriel Pucci, CES, Université Paris 1

Le passage à l’imposition à la source en janvier 2019 a modifié le mode de prélèvement de l’impôt sur le revenu (IR) en appliquant un paiement de l’impôt directement sur la fiche de paie individuelle. Mais, les couples mariés ou pacsés déclarent toujours leurs revenus conjointement et se voient attribuer deux parts fiscales (système de quotient conjugal, qui applique au barème de l’IR le revenu moyen du couple), alors que les couples vivant en union libre déclarent leurs revenus séparément avec une part fiscale chacun. Ainsi, le mode de prélèvement de l’IR a été individualisé alors que son calcul reste fondé sur les revenus du couple pour ceux qui sont mariés ou pacsés. Ce mode de prélèvement applique par défaut le taux moyen du couple aux deux salaires. Lorsque les revenus des deux époux ou pacsés sont très différents, cela ampute alors fortement le salaire net d’IR de celui, ou le plus souvent de celle, ayant le revenu le plus faible et réduit fortement l’IR de son conjoint mieux rémunéré. Les couples mariés ou pacsés peuvent réduire le taux d’imposition appliqué au revenu le plus faible en optant pour les taux d’imposition individualisés. Dans ce cas, celui qui a le revenu le plus faible se voit appliquer le taux d’imposition calculé sur ses seuls revenus et son conjoint bénéficie seul de l’avantage de l’imposition commune, le montant global d’impôt dû par le couple restant inchangé. Ce mode d’imposition commune est le plus souvent plus avantageux que l’imposition séparée lorsque les revenus des conjoints sont inégaux. Le prélèvement à la source aura peut-être la vertu de mettre au jour une partie des effets de l’imposition commune et du quotient conjugal.

Le quotient conjugal en vigueur depuis 1945 implique une redistribution importante de la charge fiscale en faveur des couples mariés/pacsés lorsque les revenus des conjoints sont inégaux. L’avantage fiscal qui en découle est d’autant plus important que les revenus du couple sont élevés. Or, contrairement au quotient familial (parts attribuées pour les personnes à charge), dont l’avantage ne peut dépasser 1 527 euros par an et par demi part, la réduction d’impôt associée au quotient conjugal n’est pas plafonnée et peut atteindre plus de 32 000 euros par an dans des cas extrêmes.

Alors que la justice fiscale est au cœur des débats actuels, cette redistribution des célibataires et des couples concubins vers les couples mariés ou pacsés mérite d’être évaluée et discutée. Revenir sur le quotient conjugal ou réduire l’avantage qui lui est associé peut prendre plusieurs formes selon les principes retenus et la façon dont ils sont appliqués. Le premier principe est celui du choix de l’unité fiscale de référence : le couple ou l’individu. Puis dans le cas où l’unité fiscale reste le couple, la question du statut marital se pose : souhaite-on imposer les couples mariés/pacsés et ceux vivant en union libre différemment ? Autrement dit accorde-t-on une reconnaissance fiscale aux couples vivant en union libre ou considère-t-on qu’il s’agit de deux personnes célibataires (donc deux foyers fiscaux distincts) ? Le nombre de parts attribuées aux couples peut être modifié conformément aux échelles d’équivalence utilisées pour le calcul des niveaux de vie (soit 1 part pour une personne seule, 1.5 pour un couple au lieu des 2 parts du quotient conjugal). Enfin, l’avantage associé au quotient conjugal peut être plafonné à l’instar de celui associé au quotient familial.

Pour enrichir le débat autour d’une réforme de l’imposition des couples, nous avons estimé la masse financière associée à l’avantage du quotient conjugal et simulé trois réformes possibles. Ces scénarios de réforme corrigent une ou plusieurs critiques faites au quotient conjugal. Dans chaque cas, les parts accordées aux enfants (quotient familial) restent inchangées. Les trois scénarios sont :

  1. L’individualisation de l’IR : l’unité fiscale devient l’individu et non plus couple marié/pacsé et à l’instar des couples concubins, les couples mariés/pacsés peuvent répartir les parts fiscales associées aux personnes dépendantes entre leurs deux foyers fiscaux respectifs de façon à limiter le montant d’impôt global dont le couple doit s’acquitter ;
  2. L’attribution de 1,5 part aux couples mariés/pacsés au lieu des 2 parts dans la législation actuelle, avec la possibilité pour ces couples d’opter pour une déclaration séparée si celle-ci est plus avantageuse ;
  3. Le plafonnement de l’avantage fiscal associé au quotient conjugal au même niveau que celui associé au quotient familial (soit 1 527 euros par demi-part, ou 3 054 euros pour la part entière du conjoint)

Nous avons mobilisé le modèle de microsimulation Ines, mis à disposition par l’Insee, la Drees et la Cnaf. Le modèle reproduit la législation socio-fiscale de 2016 et s’appuie sur l’enquête ERFS 2014 actualisée pour être représentative de l’année 2016.

Si on appliquait le principe de l’imposition séparée aux couples mariés ou pacsés en partageant égalitairement les demi-parts pour les personnes à charge, le gain en recettes fiscales qui en découlerait est estimé à environ 10 milliards d’euros. Mais cela ne tient pas compte de l’optimisation des parts fiscales associées aux personnes à charge à laquelle les couples mariés et pacsés auraient recours comme les concubins peuvent le faire actuellement. L’individualisation avec optimisation des parts impliquerait donc un surcroît de recettes fiscales plus faible, de 7 milliards environ. La réduction du nombre de parts à 1,5 pour les couples mariés/pacsés avec option d’individualisation conduirait à un gain fiscal de 4,8 milliards d’euros et le plafonnement du quotient conjugal augmenterait les recettes fiscales d’environ 3 milliards.

Pour chaque réforme, nous estimons le nombre de perdants et de gagnants par décile de niveau de vie, ainsi que la perte ou le gain moyen et médian. Pour les trois réformes, la proportion de couples perdants est plus importante dans le dernier décile de niveau de vie avec une perte moyenne plus élevée (voir les graphiques ci-dessous).

L’accroissement des recettes fiscales pourrait être utilisé de plusieurs manières :

  1. Afin de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires sur les ménages, les reformes peuvent être réalisées à rendement d’impôt constant. Pour cela, les gains en recettes fiscales seraient redistribués :
    • soit à l’ensemble des contribuables (baisse des taux marginaux, relèvement des seuils des différentes tranches…) ;
    • soit aux couples uniquement (via différent mécanismes en calibrant les paramètres de prise en charge du conjoint, comme par exemple un abattement pour conjoint, ou un crédit d’impôt …) ;
    • soit aux couples mariés/pacsés uniquement.
  2. Les gains fiscaux issus de ces réformes pourraient être utilisés pour financer des politiques publiques liés à la famille et à l’égalité femmes-hommes (garde d’enfant, congés parentaux etc.).

Un mixte de ces deux options est également possible.

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Vous pouvez accéder à l’intégralité de l’article en cliquant ici :

Allègre G., H. Périvier et M. Pucci, 2019, « Imposition des couples en France et statut marital : simulation de trois réformes du quotient conjugal », Sciences Po, OFCE Working Paper n°05-2019.

 




« Pour un impôt juste, prélevé à la source », une note de lecture

par Henri Sterdyniak

Deux députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, ancien Premier ministre, et Pierre-Alain Muet, ancien conseiller de Lionel Jospin, viennent de publier un opuscule : « Pour un impôt juste, prélevé à la source ». Etonnamment, ils évoquent d’abord une grande réforme fiscale, puis proposent de prélever à la source l’impôt … tel qu’il est actuellement.

Faut-il une grande réforme fiscale ?

Selon les auteurs, notre système est devenu complexe et illisible. Notre imposition des revenus est devenue atypique dans le paysage européenL’impôt doit être progressif, alors qu’aujourd’hui la moitié la plus modeste de nos concitoyens n’est soumise qu’à un impôt proportionnel (la CSG).

Je ne partage pas ce diagnostic. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault en imposant les revenus du capital au barème de l’IR, en réduisant les niches fiscales, en portant le taux marginal supérieur à 45 %, en imposant à 75 % les salaires exorbitants (mesure qui malheureusement n’a pas été prolongée au-delà de deux ans) a déjà réalisé d’importantes réformes ; il est difficile de faire plus. Il reste certes quelques niches injustifiables (les PEA, l’assurance-vie, le plafonnement de l’ISF, etc.), mais cela demande des retouches et pas une refonte complète.

Le système français d’imposition a sa cohérence propre, qu’il faut comprendre et expliquer au lieu d’écrire, sans précision : nos concitoyens considèrent, parfois avec raison, que la contribution de chacun n’est pas ajustée à son revenu.  Ce système se compose de l’IR, de la CSG, des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, des cotisations sociales, des prestations familiales, des allocations logement, du RSA et maintenant, de la Prime d’activité (PA). C’est l’ensemble qu’il faut évaluer alors que les auteurs écrivent : la progressivité de notre imposition des revenus est bien plus faible que dans la plupart des pays développés, tout en reconnaissant dans une note de bas de page que la progressivité résulte aussi des cotisations employeurs et des prestations sociales.

En fait, le système français est très redistributif, cela par trois canaux[1]. Les familles les plus pauvres ne payent pas l’IR ; certes, elles paient la CSG, mais elles bénéficient en contrepartie du RSA ou de la PA, des allocations logements, des allocations familiales. Soit, pour une famille avec deux enfants au SMIC, une CSG de 112 euros par mois contre des prestations de 840 euros (voir tableau). Les allocations logement comme la PA sont des allocations progressives, de sorte qu’il est erroné d’écrire, comme Ayrault et Muet le font, que les familles modestes ne sont soumises qu’à des prélèvements  proportionnels ; en fait, elles bénéficient d’un impôt négatif fortement progressif.  Leur employeur paie 297 euros par mois de cotisations employeurs maladie et famille, qui sont plus que compensés par des exonérations bas-salaires de 372 euros. Certes, le système est compliqué, mais il n’en est pas moins très favorable pour les bas revenus.

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En ce qui concerne les hauts salaires, au taux marginal supérieur affiché de 45 %, s’ajoutent les 8 points de CSG plus 20 points de cotisations employeurs (maladie, famille, construction, …),  qui font que le taux marginal effectif est de 62,4 %, ce qui est nettement supérieur au niveau allemand ou anglais, où les cotisations sociales sont plafonnées.

Les revenus du capital supportent la CSG et les prélèvements sociaux et sont taxés au barème de l’IR, de sorte qu’ils financent autant les dépenses de protection sociale, maladie et famille, que les revenus salariaux, ce qui est une exception en Europe. Pour les ménages taxés marginalement au taux de 45 %, la taxation marginale des intérêts, des revenus fonciers, des dividendes est pour ces revenus aussi de l’ordre de 62 %.

Malgré cela, nos auteurs nous disent que la progressivité n’est pas optimale. Cependant, ils refusent d’augmenter le taux supérieur. Ils proposent d’augmenter le nombre de tranches (mais plus de tranches n’implique pas plus de progressivité) ; d’exprimer le barème en taux moyen, plutôt qu’en taux marginal (mais, ce n’est qu’une question de présentation). On ne voit guère comment ces propositions aboutiraient à un impôt plus juste.

Surtout, ils remettent en cause, une nouvelle fois, le caractère familial de l’imposition des revenus. Pourtant, les familles mettent en commun leurs ressources ;  la morale commune, veut que le revenu de la famille soit partagé équitablement entre ces membres ; c’est d’ailleurs la pratique habituelle. C’est sur cette base qu’est évalué le niveau de vie de la famille, qui sert de base au calcul de l’IR, mais aussi aux diverses allocations sociales, au RSA aux bourses scolaires. Faut-il la remettre en cause ? Faut-il baser notre système fiscal et social sur l’individualisme familial, chaque parent étant censé garder son salaire pour lui et les enfants vivre des seules allocations familiales ? Ayrault et Muet ne nous indiquent pas comment seraient alors calculés les allocations sociales, les pensions alimentaires, le RSA une fois individualisées les ressources de la famille.

Les auteurs ne jugent pas utile d’expliquer la logique du quotient familial[2].  Ils continuent à soutenir la thèse que la demi-part attribuée aux enfants serait une aide fiscale, équivalente à une prestation mais ne profitant qu’aux plus riches, alors qu’il ne s’agit que de la prise en compte obligée de la présence d’enfants dans une famille, pour évaluer son niveau de vie et donc les impôts qu’elle doit payer.  Qui peut penser qu’une femme avec 3 enfants et 2 000 euros de salaire par mois à le même niveau de vie, la même capacité contributive que sa collègue, de même salaire, mais sans enfants à charge ? Ils proposent vaguement de  remplacer le quotient familial par un crédit d’impôt par enfant mais sans préciser s’il s’agit d’un crédit remboursable (donc faisant double emploi avec les allocations familiales), sans préciser ses justificatifs et son montant. Le quotient familial, lui, n’est pas arbitraire puisqu’il repose sur deux principes : les parents doivent partager leurs revenus avec leurs enfants ; deux familles de même niveau de vie doivent payer le même taux d’imposition.

En ce qui concerne le quotient conjugal, les auteurs prétendent qu’il décourage l’emploi des femmes (alors que la France a un des taux d’activité des femmes de 25-55 ans le plus élevé d’Europe). Ils veulent surtaxer les foyers mono-actifs, compte-tenu du fait qu’ils ne travaillent pas assez. Mais, alors, pourquoi ne pas surtaxer les retraités, les rentiers, qui travaillent encore moins ? Pourquoi surtaxer les couples à salaires inégaux, qui eux fournissent bien le montant de travail requis ? Comment traiter les couples où l’un des conjoints ne travaille pas car il est malade, chômeur, handicapé ou élève une famille nombreuse ? Ayrault et Muet sachant que l’individualisation de l’IR aboutirait à pénaliser les familles mono-actives qui sont obligatoirement les plus pauvres bottent en touche : L’importance des transferts des revenus résultant de l’individualisation implique des marges de manœuvre pour baisser les impôts. Un débat approfondi est donc nécessaire et bien des étapes préalables doivent être franchies avant d’arriver à cette question. Bref, c’est une injustice, mais la corriger suppose des transferts de revenus inacceptables.  Les auteurs ont signalé que l’IR avait un poids insuffisant en France, mais il faudrait le baisser pour l’individualiser. Comprenne qui peut !

La grande injustice du système français est-il vraiment le fait qu’il tienne compte de la solidarité familiale ?

Le prélèvement à la source

Ceci dit, les auteurs proposent ensuite de prélever à la source l’impôt tel qu’il existe actuellement, alors que, dans la plupart des pays, le prélèvement à la source s’accompagne de l’individualisation de l’IR sur les salaires et d’un prélèvement libératoire à taux fixe sur les revenus du capital. Peut-on prélever à la source un impôt compliqué comme l’impôt français[3] ?

Les auteurs s’inspirent du projet de Romain Perez et Marc Wolf[4]. Grâce à la Déclaration Social Nominative, le fisc connaîtra bientôt, en temps réel, le salaire mensuel de chaque contribuable. Selon le projet des auteurs, le fisc ferait alors la somme des revenus du ménage (en prolongeant jusqu’à la fin de l’année les derniers revenus salariaux ou sociaux mensuels connus) ; il calculerait l’impôt dû par le couple, puis les impôts que devraient payer chacun des conjoints s’il était imposé séparément sur son seul salaire ; le rapport entre l’impôt dû et la somme des impôts dus sur une base individuelle donnerait un coefficient de réduction familial, qui serait envoyé à chacun des employeurs du couple. Celui-ci, pour le mois suivant, calculerait l’impôt dû sur la base du seul salaire de son salarié, lui appliquerait le coefficient de réduction familial et prélèverait à la source l’impôt ainsi calculé.

Cette usine à gaz a peu de crédibilité. Elle repose sur un système informatique d’une lourde complexité qui risque fort de ne pas fonctionner de façon satisfaisante (comme le système Louvois ou le dossier médical individuel). L’extrapolation des revenus par le fisc n’a pas de base légale et pourra toujours être contestée (comment faire l’extrapolation en cas de prime exceptionnelle, d’emploi temporaire ?). Les auteurs oublient d’expliquer comment seraient extrapolés et imposés les revenus financiers.

Surtout, l’entreprise se verrait imposer un important surcroît de tâches administratives : gérer pour chaque salarié des coefficients de réduction familiaux variables chaque mois, calculer deux fois l’impôt dû par son salarié. Elle devrait prélever chaque mois sur la paie de chacun de ses salariés un montant d’IR différent, résultat d’un calcul compliqué et contestable, que ni elle ni le salarié ne maîtriseraient. Comment seraient gérés les différends entre le salarié et le fisc ? L’entreprise serait-elle partie prenante ? Bref, la perception de l’impôt deviendrait d’une complexité accrue.

Les auteurs ne résolvent pas la question de l’année de transition, étant paralysés par la décision annoncée par le gouvernement : la mesure s’appliquera en 2018, ce qui oblige à une transition brutale sans guère de préparation.

Le fait que le paiement de l’impôt devienne contemporain à la perception du revenu contribuerait certes à augmenter le jeu de l’IR comme stabilisateur automatique. Par contre,  la progressivité de l’impôt impose que son calcul soit fait sur une base annuelle (et pas mensuelle), ce qui complique obligatoirement l’opération. En fait, quand le fisc disposera effectivement des revenus mensuels de chaque ménage, il pourra effectuer un prélèvement automatique de l’impôt prévu sur le compte bancaire du ménage, sans avoir besoin de passer par les entreprises employeuses des conjoints, le ménage pouvant modifier lui-même, sous sa responsabilité propre, les prévisions de revenus faites par le fisc. Ainsi, l’impôt pourrait être payé par le ménage, de façon plus proche de la perception des revenus, sans que soit nécessaire d’intercaler l’employeur entre le ménage et le fisc.

Une réforme du versement de la prime d’activité.

Les auteurs proposent aussi que la Prime d’activité soit versée sous la forme d’une  réduction automatique et dégressive de la CSG jusqu’à 1,3 fois le SMIC, ceci permettant de la faire apparaître sur la fiche de paye.  C’est une proposition peu réaliste. Ce serait une nouvelle complication dans l’établissement de la fiche de paye, une nouvelle charge administrative pour l’employeur. Certains travailleurs payés au SMIC n’auront pas droit à la PA car leur conjoint a un revenu satisfaisant : ils ne sont pas tenus actuellement d’en aviser leur employeur. Devront-ils le faire ? Certains travailleurs peuvent avoir deux emplois à mi-temps au SMIC : ils auront droit à une PA de 132 euros et non de deux fois 246 euros ; c’est la CAF qui le sait, pas obligatoirement les deux employeurs. Un travailleur célibataire qui travaille pour un demi-SMIC a droit à une PA de 246 euros alors qu’il ne paye que 58 euros de CSG. On ne peut utiliser la CSG comme acompte d’une PA, alors que les deux obéissent à des logiques bien différentes.

Le système français est actuellement fortement redistributif et globalement juste (bien qu’il faille encore supprimer certaines niches fiscales). Sa familialisation est un élément de justice et marque le souci de notre société pour l’élevage des enfants. La DSN permettra sans doute dans quelques années de verser le RSA, les allocations logements, la Prime d’activité en temps réel et de passer à un prélèvement de l’IR contemporain au revenu, sans qu’il soit besoin d’intercaler l’employeur entre le ménage et le fisc.

 


[1] Voir Henri Sterdyniak (2015), « La grande réforme fiscale, un mythe français », Revue de l’OFCE, n°139.

[2] Voir Henri Sterdyniak (2011), « Faut-il remettre en cause la politique familiale française », Revue de l’OFCE, n°116.

[3] Sur ce sujet, voir aussi Sterdyniak (http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelevement-la-source-une-reforme-compliquee-un-gain-tres-limite) et Touzé (http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/prelever-limpot-sur-le-revenu-la-source-une-reforme-compliquee-et-couteuse/)

[4] Romain Perez et Marc Wolf, 2015, Retenue à la source : le choc de simplification à l’épreuve du conservatisme administratif, Terra Nova, mai.




Vers une grande réforme fiscale, enfin ?

par Guillaume Allègre,  @g_allegre

En début de semaine, Jean-Marc Ayrault a annoncé une remise à plat de la fiscalité qui pourrait, entre autre, passer par un rapprochement entre impôt sur le revenu et CSG. L’OFCE participera certainement à ce débat qu’il a déjà essayé d’éclairer à de nombreuses reprises, notamment à l’occasion d’un numéro spécial « Réforme fiscale » de la Revue de l’OFCE, dirigé par Mathieu Plane et moi-même, et sorti en avril 2012.

Mentionnons quelques contributions. Jacques Le Cacheux y discutait des finalités et moyens d’une réforme fiscale (« Soutenabilité et justice économique »), rappelant ainsi quels sont les fondamentaux de la politique fiscale. Nicolas Delalande effectuait une analyse historique des résistances aux réformes fiscales et évaluait les contraintes qui pèsent sur l’élaboration et l’application des réformes (« L’économie politique des réformes fiscales »), autant de sujets qui semblent avoir été rattrapés par l’actualité. Il souligne que : « En effet, il peut se révéler plus compliqué d’agréger des soutiens positifs à une mesure que de rallier temporairement des oppositions hétéroclites aux motivations parfois antagonistes, surtout s’il s’agit de créer un nouvel outil de prélèvement ou de toucher à des situations acquises». Mathieu Plane posait la question des conséquences d’une hausse de la fiscalité (qui a bien eu lieu en 2012-2013): « Dans un contexte de hausse du chômage, sera-t-il possible de générer un nouveau choc fiscal d’ampleur sans faire plonger la France dans une nouvelle crise ? La volonté de réduire les déficits publics uniquement par des ajustements structurels pèse sur la dynamique de croissance et de chômage» (« Finances publiques : vers une nouvelle hausse de la fiscalité? »). Si le gouvernement annonce aujourd’hui vouloir réformer la fiscalité à prélèvement constant, la question de l’impact des ajustements budgétaires (cette fois, à travers la baisse des dépenses publiques) sur la croissance et, in fine,  l’acceptabilité sociale d’une réforme structurelle de la fiscalité se pose toujours pour la période 2014-2017. Le gouvernement parviendra-t-il à mettre en place une réforme structurelle dans un contexte où le chômage est élevé et ne baisse pas ?

La fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu pose de nombreuses questions, déjà abordées dans un article de la Revue de l’OFCE en 2007 (« Vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG ? »). Le législateur devra trancher la question de la conjugalisation (imposition commune des conjoints) ou de l’individualisation de l’impôt fusionné ainsi que la prise en compte des enfants (« Faut-il défendre le quotient familial ? »). Ce sujet, qui touche à la représentation de la famille et aux relations entre l’Etat et la famille est particulièrement sensible. Il a fait l’objet de débats au sein même de l’OFCE (« Réformer le quotient conjugal », « Pour défendre le quotient familial »).

En entremêlant intérêts privés (quelles charges pour quels ménages?) et sociaux (quels instruments pour quels objectifs?), la question fiscale a toujours été au centre du débat démocratique. Le rôle de l’OFCE est d’alimenter ce débat par des argumentations solides et quantifiées. Les chercheurs de l’OFCE continueront de proposer leur propre vision de la « bonne » réforme fiscale, en discutant des objectifs, des conséquences et de la soutenabilité de façon transparente et rigoureuse.




Réformer le quotient conjugal

par Guillaume Allègre et Hélène Périvier

Dans le cadre d’un réexamen des dispositifs d’aide aux familles, dont les motivations sont discutables par ailleurs, le gouvernement a annoncé vouloir réduire en 2014 le plafonnement du bénéfice du quotient familial dans le calcul de l’impôt sur le revenu (IR). L’avantage fiscal lié à la présence d’enfants à charge dans le foyer sera réduit de 2 000 à 1 500 euros par demi-part. La réflexion ouverte sur le quotient familial aurait dû être l’occasion de repenser plus globalement la prise en compte de la famille dans le calcul de l’impôt sur le revenu et notamment l’imposition des couples.

Comment les couples sont-ils imposés aujourd’hui ?

En France, l’imposition conjointe est obligatoire pour les couples mariés ou pacsés (et leurs enfants à charge) qui ne forment ainsi qu’un seul et même foyer fiscal. On suppose que les membres d’un même foyer mettent intégralement en commun leurs ressources, peu importe qui apporte ces ressources. En attribuant deux parts fiscales à ces couples, on applique la progressivité du barème à la moyenne des revenus du couple [(R1 +R2) /2]. Lorsque les deux conjoints gagnent des revenus proches, le quotient conjugal ne procure pas d’avantage particulier. En revanche, dès lors que les deux revenus sont inégaux, l’imposition conjointe apporte un avantage fiscal par rapport à l’imposition séparée.

Dans certaines configurations, l’imposition séparée est plus avantageuse que l’imposition conjointe, ceci est dû notamment au fonctionnement particulier de la prime pour l’emploi et de la décote[1], ou encore  au fait que l’imposition séparée permet d’optimiser l’affectation des enfants entre les deux foyers fiscaux, ce que ne permet pas l’imposition conjointe par construction. L’optimisation fiscale est complexe car peu lisible pour le contribuable lambda. Quoiqu’il en soit, dans la grande majorité des cas, le mariage (ou le pacs) procure un avantage fiscal : 60 % des couples mariés ou pacsés payent moins d’impôts que s’ils étaient imposés séparément, avec un gain annuel moyen de 1 840 euros, tandis que 21 % bénéficieraient d’une imposition séparée qui leur ferait gagner 370 euros en moyenne (Eidelman, 2013).

Pourquoi  accorder cet avantage aux seuls  mariés ou pascés ?

Le quotient conjugal repose sur le principe de mise en commun totale des ressources dans le couple. Le contrat privé passé entre deux personnes via le mariage ou encore le pacs constituerait  une « garantie »  de cette mise en commun. En outre, le contrat de mariage est assorti d’une obligation alimentaire entre époux, ce qui les lie au-delà du mariage à mettre en commun une partie de leurs ressources.  Toutefois, le Code civil n’associe pas « mariage » et  « mise en commun intégrale » des ressources entre conjoints. L’article 214 du Code civil prévoit que les époux contribuent aux charges du mariage « à proportion de leurs facultés respectives », ce qui revient à reconnaître que les facultés contributives des époux peuvent être inégales. Depuis 1985, l’article 223 pose le principe de libre jouissance des revenus professionnels, ce qui renforce l’idée que le mariage n’implique pas que les conjoints partagent le même niveau de vie : « chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage ». L’autonomie professionnelle des conjoints et le droit de disposer de ses gains et salaires sont pleinement reconnus dans le Code civil, alors le Code fiscal reste cantonné à une vision globale des ressources et des dépenses du couple.

Par ailleurs, il existe une dissonance dans le traitement social et fiscal des couples. Le montant du RSA versé à un couple est le même qu’il soit marié, pascé ou en union libre. S’agissant du RSA majoré versé aux mères isolées ayant un enfant, l’isolement s’entend comme la vie sans conjoint y compris en union libre. L’union libre est donc reconnue comme une situation de mise en commun des ressources par le système social mais pas par le système fiscal.

Les couples mettent-ils effectivement en commun leurs ressources ?

Les études empiriques montrent que si les couples mariés ont tendance à pratiquer davantage la mise en commun totale des revenus que ceux vivant en union libre, ce n’est pas le cas de tous : en 2010, 74 % des couples mariés déclaraient mettre totalement en commun leurs ressources, mais seulement 30 % des couples pacsés contre 37 % des couples en union libre. La pratique dépend beaucoup de ce qu’il y a à partager : si 72 % des couples du premier quartile de revenu déclarent mettre en commun intégralement leurs ressources, ce n’est le cas que de 58 % des couples du dernier quartile (Ponthieux, 2012). Plus les ressources sont élevées moins les membres du couple mettent en commun leurs ressources. La mise en commun totale n’est donc pas aussi répandue que supposée : les conjoints ne partagent pas nécessairement exactement le même niveau de vie.

Capacité contributive et nombre de parts accordées

Le système fiscal reconnaît une mise en commun des ressources chez les couples mariés ou pascés, et leur attribue deux parts fiscales. L’attribution de ces parts fiscales repose sur le principe de capacité contributive dont on doit tenir compte pour être conforme au principe d’égalité devant l’impôt : autrement dit, on cherche à imposer le niveau de vie plus que le revenu en tant que tel. A revenu identique, une personne vivant seule a un niveau de vie plus élevé qu’un couple, mais du fait des avantages liés à la vie en couple, il n’est pas deux fois plus élevé. Pour comparer les niveaux de vie de ménages de tailles différentes, des échelles d’équivalence ont été estimées (Hourriez et Olier, 1997). L’INSEE attribue 1,5 part (ou unité de consommation) aux couples et 1 part aux célibataires : selon cette échelle, un couple ayant 3 000 euros de revenu disponible a ainsi le même niveau de vie qu’un célibataire dont le revenu s’élève à 2 000 euros. Or le quotient conjugal attribue 2 parts aux couples mariés quand il en donne une seule au célibataire. On sous-estime donc de 33 % le niveau de vie des couples relativement aux personnes vivant seules, et donc on ne les impose pas à hauteur de leur capacité contributive réelle.

En outre, on note encore une fois une incohérence entre le traitement des couples par les politiques sociale et fiscale : les minima sociaux tiennent compte des économies d’échelle liées à la vie en couple conformément aux échelles d’équivalence. Le RSA-socle perçu par un couple (725€) est 1,5 fois plus élevé que celui perçu par un célibataire (483€). Il y a une asymétrie dans le traitement des conjoints selon qu’ils font partie du haut de l’échelle des revenus et sont soumis à l’impôt sur le revenu, ou du bas de l’échelle des revenus et perçoivent des prestations sociales sous conditions de ressources.

Quelle norme familiale portée par le quotient conjugal ?

Le quotient conjugal a été pensé en 1945 en cohérence avec une certaine norme familiale, celle de Monsieur Gagnepain et Madame Aufoyer. Il contribuait aux côtés d’autres dispositifs à encourager cette forme d’organisation familiale, jugée comme celle souhaitable. Jusqu’en 1982, l’imposition reposait sur les seules épaules du chef de famille, à savoir l’homme ; la femme était perçue comme à la charge de l’homme. Or, loin de constituer une charge pour son conjoint, elle produit un service gratuit, via le travail domestique qu’elle fournit. Cette production domestique (garde et éducation des enfants, ménage, cuisine, …) a une valeur économique qui n’est ainsi pas imposée. Ainsi, les couples mono-actifs sont-ils les grands gagnants du système qui leur donne un avantage par rapport aux couples bi-actifs, qui doivent payer pour externaliser une partie des tâches domestiques et familiales.

En résumé, le système d’imposition conjointe actuel conduit à pénaliser les célibataires ou les couples en union libre par rapport aux couples mariés ou pascés, et à pénaliser les couples biactifs par rapport aux couples mono-actifs. Il est dans ses fondements défavorables à l’émancipation économique des femmes.

Que faire ?

La réalité des familles est aujourd’hui multiple (mariage, union libre, …) et mouvante (divorce, remariage, ou remise en couple, recomposition familiale), l’activité des femmes a changé profondément la donne en la matière. Si tous les couples ne mettent pas en commun leur ressources, certains le font, totalement ou partiellement, qu’ils soient en union libre ou mariés. Doit-on en tenir compte ? Si oui, comment en tenir compte face à cette multiplicité des formes d’union et leur mouvance ? Tel est le défi qu’il nous faut relever en réformant les principes et les normes familiales qui sous-tendent l’Etat social. En attendant, des modifications et rééquilibrages pourraient être réalisés.

Aujourd’hui, le bénéfice de l’imposition commune n’est pas plafonné par loi. Il peut s’élever à 19 000 euros par an (pour des revenus supérieurs à 300 000 euros,  niveau de revenus qui atteignent la dernière tranche d’imposition) et même à presque 32 000 euros (pour des revenus supérieurs à 1 000 000 d’euros) si on inclut le bénéfice de l’imposition commune à la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus. A titre de comparaison, on note que le montant maximal de la majoration du RSA pour un couple par rapport à une personne vivant seule est de 2 900 euros par an. Le plafond du quotient familial (QF), qui lui est explicite, est de 1 500 euros par demi-part. Un plafonnement du quotient conjugal à 3 000 euros (soit deux fois le plafonnement du QF) ne toucherait que les 20 % des ménages les plus aisés (à partir de 55 000 euros annuels pour un couple mono-actif avec deux enfants). A ce niveau de revenu il est probable que l’avantage de l’imposition commune soit lié à une inégalité de revenus qui est la conséquence d’une spécialisation (complète ou non) entre les conjoints dans la production marchande et non-marchande ou que les ressources ne sont pas intégralement mises en commun entre les conjoints.

Une autre solution, complémentaire, consisterait à laisser le choix à tous les couples, entre la déclaration conjointe et la déclaration séparée et conformément aux échelles de consommation couramment utilisées, à n’accorder à la déclaration conjointe qu’une part et demie, au lieu de deux aujourd’hui. L’administration fiscale pourrait calculer la solution la plus avantageuse, les ménages ne choisissant pas systématiquement la bonne option pour eux.

Une véritable réforme exige d’ouvrir un débat plus large sur la prise en compte des solidarités familiales dans le système socio-fiscal. En attendant, ces solutions rééquilibrent le système et reviennent sur une norme de couple contraire à l’égalité femmes-hommes. A l’heure où le gouvernement cherche des marges manœuvre budgétaires, pourquoi s’interdire de modifier la fiscalité des couples ?


[1] Une décote est appliquée à l’impôt pour les foyers fiscaux dont le montant de l’impôt brut est peu élevé (moins de 960€). Comme la décote est calculée par foyer fiscal et qu’elle ne dépend pas du nombre de personnes inclues dans le foyer, elle est relativement plus favorable pour les célibataires que pour les couples.  Elle permet d’éviter que les personnes seules rémunérées au SMIC travaillant à temps plein soient imposables. La décote vient ainsi compenser pour les bas revenus le fait que les célibataires sont pénalisés par les parts de quotient conjugal. Aucun mécanisme similaire n’est prévu pour les hauts revenus.

 




Politique familiale : les enfants d’abord !

Par Henri Sterdyniak

Alors que la politique familiale française représente une réussite incontestable, le gouvernement Ayrault s’est donné comme objectif d’en réduire le coût, comme si l’investissement en faveur des enfants ne devait pas être la première des priorités du pays. Il fallait donc économiser 1,7 milliard. Ce devait être la contribution de la politique familiale à l’engagement de la France de réduire de 70 milliards les dépenses publiques.

1)      Le document publié le 3 juin 2013 s’intitule « Pour une rénovation de la politique familiale », mais rénover cette politique aurait nécessité de s’interroger sur ses objectifs et ses résultats. La politique familiale a trois objectifs complémentaires :

–          Sortir tous les enfants de la pauvreté. Or, le taux de pauvreté des enfants[1] est de 19,8 % en France en 2010 contre 14,2 % pour l’ensemble de la population. Il faudrait donc repenser le dispositif d’aide aux familles pauvres : soit revaloriser fortement la composante familiale du RSA, l’attribuer aux enfants de chômeurs, soit créer un complément familial pour les enfants de travailleurs pauvres avec un ou deux enfants.

–          Assurer un niveau de vie relatif satisfaisant aux familles avec enfants. Comme le montre le tableau, les familles avec enfants ont un niveau de vie plus faible que les couples sans enfant. Cette distorsion nécessiterait d’augmenter nettement les prestations familiales, de les indexer sur l’évolution des revenus (et non sur les prix), de traiter les familles de façon équitable en matière d’impôt sur le revenu (donc maintenir le quotient familial).

–          Favoriser la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Ceci passe par l’instauration d’un service de garde des jeunes enfants gratuit et universel.

On le voit, atteindre pleinement les objectifs de la politique familiale nécessiterait plus de moyens (et pas moins).

2)      Le document du gouvernement prétend que la branche famille a un déficit de 2,5 milliards. Mais ce déficit ne peut provenir d’une explosion du nombre d’enfants, du nombre de familles nombreuses ou d’une hausse des prestations. Au contraire, la baisse tendancielle du nombre de familles nombreuses, la stagnation du pouvoir d’achat des prestations, la stagnation des plafonds des prestations sous conditions de ressources fait que la branche dégage structurellement des excédents croissants. Le déficit vient du fait que, ces dernières années, l’Etat a progressivement prélevé 9 milliards sur la branche famille pour financer la branche retraite (lui mettant à sa charge l’Assurance Vieillesse des Personnes au Foyer et les majorations familiales de retraites, qui ne profitent pas aux enfants). Le déficit vient aussi du fait que la crise a fait perdre 2 milliards de ressources à la CNAF. Spontanément, le déficit aurait été comblé en 2019.

3)      Le document du gouvernement prétend que « les ménages les plus aisés sont favorisés car ils cumulent des allocations familiales et d’importantes réductions d’impôt ». Nous ne savions pas qu’avoir des enfants était maintenant une niche fiscale à combattre. Non, les allocations familiales sont très faibles par rapport au coût effectif des enfants ; le quotient familial ne fait que tenir compte de la taille de la famille pour le calcul de l’impôt. Comme le montre le tableau 1, une famille nombreuse aisée a toujours un niveau de vie nettement inférieur à celui d’un couple sans enfant de même revenu : elle n’est pas favorisée, bien au contraire.

4)      Le gouvernement prétend que la saisine du Haut Conseil de la Famille (HCF) a permis d’associer partenaires sociaux, experts et associations familiales à la réflexion, en omettant de préciser que « la plupart des membres du HCF » ont contesté l’objectif même de la réforme.

5)      Heureusement, le gouvernement s’est rendu compte qu’il était impossible de faire baisser le niveau des allocations familiales selon le revenu de la famille car cela aurait imposer un surcroît de travail important aux agents de la CNAF (de suivre en temps réel le revenu de toutes les familles), avec des questions insolubles pour les familles recomposées, tout ceci pour distribuer des sommes ridiculement faibles aux familles des classes moyennes (32 euros par mois pour 2 enfants, 73 euros pour trois enfants). Rajoutons que cela mettait en cause le principe républicain fondateur de la protection sociale : « Chacun contribue selon ses moyens, chacun reçoit selon ses besoins ». Le système de cotisations à la française est déjà très redistributif puisque les plus bas salaires bénéficient d’exonérations de cotisations sociales tandis que les cotisations maladie et famille ne sont pas plafonnées et que des prélèvements sociaux portent sur les revenus du capital. Il faut éviter de faire évoluer le système français basé sur l’universalité vers un système à l’anglo-saxonne, basé sur l’assistance, où ceux qui payent ne sont jamais ceux qui reçoivent, ce qui prive le système de l’adhésion des classes moyennes et favorise la baisse continuelle du niveau des prestations.

6)      Le document du gouvernement assimile le quotient familial (QF) à un avantage fiscal croissant avec le niveau du revenu. C’est une erreur. Le QF n’est pas une aide financière arbitraire aux familles qui augmenterait avec le revenu, ce qui serait évidemment scandaleux. Le quotient familial ne fournit aucun avantage spécifique aux familles ; il garantit seulement que le poids de l’impôt est le même pour des familles de taille différente, mais de même niveau de vie. La réduction d’impôt induite par la présence d’enfants correspond uniquement à la baisse du niveau de vie induite par cette présence.

7)      Le gouvernement réduirait donc une première fois le niveau du plafond du QF, d’abord de 2 336 euros à 2 000 euros en 2013, puis de 2 000 euros à 1 500 euros, en 2014. Les familles avec deux enfants seront perdantes à partir de 5 850 euros de revenus par mois, la perte atteignant 139 euros par mois au-delà de 6 430 euros (2,4 % du revenu). Pour celles avec 3 enfants, la perte atteint 278 euros par mois (3,9 % du revenu). Pour celles avec 4 enfants, 417 euros (4,9 % du revenu).

8)      Autant il est légitime d’améliorer la redistributivité du système fiscal en luttant contre les niches fiscales injustifiées, contre l’optimisation ou la fraude fiscale, en modifiant le barème, autant il ne l’est pas en surtaxant les familles nombreuses bi-actives où les parents subissent de lourdes contraintes (horaires ou financières) pour élever leurs enfants relativement à leurs collègues sans enfants. La France a besoin d’enfants à tous les niveaux de revenus. Pénaliser ces familles de cadres biactifs n’est ni justifié, ni souhaitable.

9)       Le quotient conjugal n’est pas plafonné. Est-il légitime qu’une veuve avec un étudiant de 22 ans à sa charge paie, du fait du plafonnement du QF, plus d’impôt qu’un homme de 50 ans qui aurait épousé une jeune femme de 22 ans ?

10)  Le plafond du QF ne devrait pas être arbitraire. Il devrait reposer sur une évaluation du coût de l’enfant. Le revenu médian annuel en 2013 devrait être de l’ordre de 20 430 euros par unité de consommation. Comme un enfant représente en moyenne 0,35 unité de consommation, son coût médian est de l’ordre de 7 150 euros par an, dont 768 sont pris en charge par les allocations familiales (pour une famille de deux enfants). Pour un taux d’imposition de 41 %, ceci justifie un plafond de 2 600 euros (41 %* (7 150-768)). Il n’était pas légitime de baisser le niveau du plafond. En tout état de cause, plafond devrait être indexé sur le revenu moyen.

11)   Certes seulement 12 % des ménages sont touchés par cette baisse du plafond, mais le plafond ne sera pas indexé sur l’évolution des revenus, de sorte que progressivement, la part des ménages touchés augmentera.

12)   Compte-tenu de la suppression des réductions d’impôt pour frais de scolarité, les impôts des familles augmenteront de 1,3 milliard. Ceci est peu compatible avec l’engagement du gouvernement de ne plus augmenter les impôts.

13)  La PAJE sera réduite de 17 euros par mois pour toutes les familles et de 100 euros par mois pour 12 % des familles. Certes, le complément familial sera augmenté de 50 % en cinq ans pour les allocataires les plus pauvres (moins de 2 109 euros avec 3 enfants), soit 90 euros de plus par mois. Certes, l’allocation de soutien familial sera augmentée de 25 % en cinq ans, soit 22,5 euros de plus par mois. Ceci va dans le bon sens. Mais le gouvernement ne généralise pas le complément familial aux familles de travailleurs pauvres avec 1 ou 2 enfants (qui sont quelque peu les oubliés du système, voir tableau).

14)  Le gouvernement n’annonce pas que toutes les prestations familiales et le RSA seront désormais indexés sur le revenu médian, ce qui éviterait la dégradation tendancielle du niveau de vie relatif des familles.

15)  Le gouvernement prétend, page 15, que seront dégagés, à l’horizon 2 017, 2 milliards supplémentaires pour les services aux familles (100 000 places de crèches, 100 000 enfants de plus accueillis par des assistantes maternelles, 75 000 enfants de 2-3 ans en maternelle, activités péri- et extra-scolaires). Le bilan de la rénovation devrait donc être une hausse de 300 millions des dépenses pour les familles. Mais ces 2 milliards sont bizarrement oubliés dans le tableau récapitulatif, page 19, où ne figurent que le 1,3 milliard d’impôt supplémentaire et la baisse nette de 0,4 milliard des prestations, soit les 1,7 milliard d’économies. En fait, ces 2 milliards étaient déjà prévus dans les projections de la CNAF. Ils étaient déjà financés par la baisse tendancielle du montant des prestations familiales.

16)  Oui, malgré ses réussites (un taux de fécondité satisfaisant et un fort taux d’activité des femmes de 18-50 ans), la politique familiale française reste à rénover. La ponction sur les ressources de la banche « Famille » doit cesser pour permettre de financer une importante revalorisation des prestations familiales, en particulier celle du complément familial pour toutes les familles et celle de la composante « enfant » du RSA, l’attribution de celle-ci aux enfants de chômeurs. Les prestations familiales et le RSA devraient être indexés sur les salaires. La France a besoin d’un grand service public gratuit et universel de garde de la petite enfance. Il est préférable d’aider les enfants et les adolescents en difficulté scolaire ou sociale, faire un effort massif (en matière d’éducation, mais aussi d’équipements collectifs et sociaux) dans les zones où le pourcentage d’enfants issus de l’immigration est important. La France doit se donner des objectifs ambitieux de réduction du taux de pauvreté des enfants et d’augmentation des places en crèches afin de donner à chaque enfant le maximum de chance d’épanouissement. Opposer la nécessité d’équipements collectifs à celle d’un niveau de vie satisfaisant des familles n’est pas pertinent. Cet effort doit être payé par l’ensemble des contribuables (et pas seulement par les familles). Il est contraire à l’équité et à la cohésion sociale de prétendre le financer soit par la mise en cause de l’universalité des prestations sociales soit par la baisse du plafond du quotient familial.


[1] La part de la population en dessous du seuil de 60 % du revenu médian par unité de consommation.

 




Les choix du gouvernement sur la politique familiale

Le gouvernement a décidé ce matin de ne pas toucher aux allocations familiales, et d’abaisser le plafond du quotient familial de 2 000 euros à 1 500 euros par demi-part fiscale.

Dans un passé récent, l’OFCE s’est penché à plusieurs reprises sur le sujet : Henri Sterdyniak et Guillaume Allègre en 2012; et plus récemment Hélène Périvier et encore Henri Sterdyniak.

La politique familiale est aussi traitée dans « Réforme fiscale », un ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane en avril 2012.




Réactions aux décisions du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012

par Henri Sterdyniak

Le 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité à la Constitution de la Loi de finances 2013 ainsi que sur celle de la troisième Loi de finances rectificative pour 2012. Il en a censuré plusieurs dispositions.

La Constitution française est pratiquement silencieuse en matière de fiscalité, de sorte que le seul texte auquel le Conseil peut se référer est l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui stipule : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cependant, depuis 1789, la fiscalité s’est vue attribuer d’autres rôles que celui de financer équitablement les dépenses publiques ; la fiscalité a des objectifs incitatifs (décourager certaines pratiques socialement néfastes, comme le tabac, l’alcool, la pollution ; encourager des pratiques socialement utiles comme la culture) ; elle a aussi des objectifs redistributifs : taxer fortement les gains injustifiés ainsi que les plus hauts revenus, dans la mesure où ceux-ci ne proviennent pas uniquement de l’effort de leurs bénéficiaires, mais de l’ensemble de l’organisation sociale et de l’héritage institutionnel et technologique de la société. Le Conseil constitutionnel doit donc largement interpréter l’article 13, qui ne correspond plus à la conception actuelle de la fiscalité. Il se réfère souvent à sa décision du 16 août 2007, selon laquelle : « l’exigence résultant de l’article 13 de la Déclaration de 1789 ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives ».

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel invoque fréquemment l’article 34 de la Constitution, qui attribue au législateur le pouvoir de fixer le taux et l’assiette de chaque impôt. Il considère que lui-même « n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » ; il n’intervient qu’en cas de « rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques ».

Avec ces limites en tête, les décisions du Conseil peuvent être critiquées du point de vue économique et fiscal ; c’est ce que nous nous proposons de faire ici.

La taxation doit elle être familiale ?

Conformément aux intentions annoncées par François Hollande durant sa campagne électorale, la loi de finances 2013 instaurait une contribution exceptionnelle de 18 % sur les revenus d’activité des années 2012 et 2013 supérieurs à 1 million d’euros, soit une tranche dite à 75 % (la tranche supérieure de l’IR à 45 plus 4 % de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus plus 8 % de CRDS-CSG plus ces 18 %).

Le Conseil a estimé que cette imposition n’était pas conforme à la Constitution car cette contribution était individuelle alors que l’impôt sur le revenu doit porter sur le foyer fiscal. On ne peut que se réjouir de voir ainsi réaffirmé le caractère familial de la fiscalité française, conforme au principe selon lequel les membres d’une famille doivent se partager équitablement les revenus du foyer. Pourtant, en même temps, le Conseil accepte la baisse de 2 336  à 2 000 euros du plafond du quotient familial par enfant ; il proclame certes que l’impôt sur le revenu doit tenir compte du nombre d’enfants du foyer, mais que cette prise en compte pourrait se faire autrement que par le quotient familial ; il accepte que l’ISF ne tienne plus compte de la taille du foyer. Ces décisions manquent de cohérence.

Selon le Conseil, l’imposition du foyer doit être globale, dépendre du total de ses revenus, et non du revenu de chacun de ses membres. Le quotient conjugal est ainsi sacralisé ; ce n’est pas le cas du quotient familial. On aboutit ainsi à un système où le plafond du quotient familial est de 2 000 euros par enfant (4 000 euros à partir du troisième enfant) tandis que le plafond conjugal n’a pas de plafond explicite. Toutefois, le barème de l’IR fait que le plafond implicite du plafond conjugal est aujourd’hui de 32 829 euros. Considérons un homme de 50 ans qui gagne 1 million d’euros par an ; son impôt sur le revenu est de 458 171 euros ; il épouse une jeune femme de 23 ans qui n’a pas de revenu propre ; leur impôt diminue à 426 342 euros (soit une réduction de 32 829 euros). Soit maintenant une veuve de 50 ans de même revenu ; son fils de 23 ans poursuit ses études ; leur impôt est de 456 171 euros ; soit 30 829 euros de plus que le couple précédent. Pourtant, leur capacité contributive est la même. On comprend mal pourquoi le Conseil ne défend pas le quotient familial et considère que le plafonnement du quotient conjugal à 32 829 euros (tel qu’il aurait été maintenu par la non-prise en compte des revenus du conjoint pour les très hauts revenus) est anticonstitutionnel. Il serait plus conforme à l’article 13 de réaffirmer le principe du quotient familial et de plafonner le quotient conjugal.

Son refus de l’individualisation de l’impôt a permis au Conseil de rejeter d’emblée la contribution exceptionnelle sans avoir à se prononcer sur la constitutionnalité d’une tranche marginale à 75 %. Le doute persiste donc sur le taux maximum que le Conseil autorise, tant en taux marginal qu’en taux moyen. Toutefois, le Conseil a accepté un taux de 75 % pour le plafonnement de l’ISF.

D’un côté, ce taux de 75 % avait clairement été annoncé par le candidat élu. Il ne s’appliquait que sur la tranche de revenu supérieur à 1 million d’euros. Une personne seule gagnant 2 millions (3 millions) de revenus d’activité n’aurait supporté, CRDS-CSG comprise, qu’un taux d’imposition moyen global de 63 % (67 %). Des taux marginaux plus élevés (supérieur à 80%) ont été mis en place aux Etats-Unis et au Royaume-Unis entre 1945 et 1980.

De l’autre, le système mis en place était extrêmement compliqué avec un IR portant sur le revenu imposable familialisé, des contributions exceptionnelles de 3 % (à partir de 250 000 euros par part) et 4 % (au-delà de 500 000 euros) portant sur le revenu fiscal de référence conjugalisé, et cette nouvelle contribution exceptionnelle de 18 % portant sur le revenu d’activité individuel. La marche de 18 % était trop grande. Un système plus simple, réunifié, supprimant les contributions exceptionnelles, introduisant une tranche à 50 % (à partir de 250 000 euros par part), puis un taux de 60 % (à partir de 750 000 euros par part) serait plus satisfaisant et n’aurait pas de raison de se heurter à la censure du Conseil.

Un taux maximum d’imposition ?

Ni la Déclaration des droits de l’homme de 1789, ni la Constitution de 1958 ne comportent de taux maximum d’imposition. Le Conseil constitutionnel a décidé en 2007 que l’impôt ne devait pas être confiscatoire, mais sans définir cette notion. En décembre 2012, le Conseil ne s’est pas prononcé sur la constitutionalité d’un taux à 75 %, mais il a censuré des dispositifs particuliers qui aboutissaient à des taux marginaux de 90,5 %, de 82 %, de 75,34 % ou même de 73,2 %. Il semble donc que le Conseil fixe un taux maximum de 70 % à ne pas dépasser. Ce taux est nettement plus élevé que les 50 % du bouclier fiscal, mais il reste arbitraire ; de plus il s’agit d’un taux marginal.

Cependant, les quatre cas censurés sont des cas particuliers où le législateur voulait faire jouer à la fiscalité un rôle désincitatif :

– Les retraites-chapeau sont soumises à la CSG-CRDS, à l’IR et à une taxation spécifique qui atteint 21 % au-delà de 24 000 euros par mois. Au-delà de ce niveau, leur taux marginal d’imposition était donc de 75,34 %. Le Conseil a jugé ce taux excessif, contraire au principe d’égalité devant les charges publiques. La taxation spécifique a été ramenée à 14 %, soit un taux d’imposition marginal de 68,34 %. Le problème est que cette taxation spécifique n’avait pas pour objet de financer les charges publiques, mais de décourager ce type de rémunération. D’ailleurs, l’entreprise paie une taxe de 32 % sur ces retraites qui demeurent donc très coûteuses. Sans doute, faudra-t-il que le législateur se décide à les encadrer strictement : l’entreprise pourrait aider ses cadres dirigeants à se constituer un supplément de retraite, mais cette aide devrait être considérée comme un salaire et supporter toutes les cotisations sociales.

– Le Conseil interdit à l’Etat de taxer à 75 % le produit des titres et des bons dont l’identité du bénéficiaire n’est pas communiquée à l’administration fiscale en arguant que l’imposition totale atteint 90,5 %, compte tenu des prélèvements sociaux. Mais une personne riche taxée à 45 % à l’IR et à 1,5 % à l’ISF subit un prélèvement marginal de 95,5 % sur ses revenus d’intérêts. Il n’était donc pas injuste de faire subir la taxation maximum à une personne qui veut rester anonyme. Sans doute, faudra-t-il interdire ces bons anonymes.

– L’Etat souhaitait taxer fortement les plus-values sur les terrains à bâtir. Aux taxes spécifiques déjà en place (de l’ordre de 20 %), aux prélèvements sociaux (15,5 %), s’ajoutait la taxation des plus-values au barème de l’IR (avec un taux maximum de 49 %), sans abattement pour l’inflation ou la durée de détention. Le Conseil a estimé que la taxation totale qu’il évalue à 82 % était excessive. Certes, la non-prise en compte de l’inflation était contestable. Mais le calcul du Conseil suppose que le vendeur jouit de revenus supérieurs à 500 000 euros par an. De plus, cette plus-value est un pur effet d’aubaine, qu’il n’est pas illégitime de surtaxer.

– Les gains tirés des stock-options et des actions gratuites sont dorénavant imposés à l’IR comme à la CSG-CRDS. Ils supportent de plus une contribution salariale, non déductible de l’IR, naguère de 10 %, qui devait passer à 17,5 % (pour les actions détenues pendant un certain temps), à 22,5 % pour les autres. Le total aboutissait pour une imposition à la tranche de 45 % à un taux d’imposition total de 68,2 % (ou 73,2 %) ; pour la tranche de 49 % à 72 % (ou 77 %). Le Conseil a jugé cette taxation excessive ; il a maintenu la contribution salariale à 10 %, ce qui limite la taxation globale à 60,7 % pour la tranche de 45 % (ou 64,5 % pour celle de 49 %). Là-aussi, les entreprises payent une taxe de 30% sur les avantages qu’elles accordent à leurs salariés ou mandataires sociaux sous cette forme.

Dans ces quatre cas, le Conseil interdit de faire jouer à la fiscalité directe un rôle incitatif (ou plutôt désincitatif). Il faudra donc que le législateur utilise d’autres instruments, soit la taxation au niveau des entreprises, soit la réglementation.

Notons que le Conseil a une version strictement juridique de la notion d’imposition et de revenu. Ainsi, écrit-il à propos de la contribution employeur : « c’est une imposition à la charge de l’employeur qui ne s’impute pas sur le montant de la rente versée », alors que du point de vue économique, la distinction entre contribution employeurs et salariés n’a pas de sens, il faut faire masse des deux. De même, ne juge-t-il pas abusive la taxation des intérêts. Mais une personne recevant 4 % de taux d’intérêt quand l’inflation est de 2 %, n’a un revenu réel que de 2 %. Le total des prélèvements sociaux et de la tranche à 45 % de l’IR aboutit à une imposition nominale de 58,2 %, qui est en réalité de 116 % si on rapporte l’impôt (4*58,2 % = 2,32 %) au revenu réel (2 %, soit 4 % moins les 2% d’inflation).

Le Conseil affirme que « les prélèvements sociaux qui pèsent sur les revenus de dividendes et de produits de placement ont des taux plus élevés que ceux qui pèsent sur les revenus d’activité », mais il ne tient compte que des prélèvements sociaux et de la CRDS-CSG, et pas des cotisations sociales employeurs. En fait, il ne compare pas précisément l’imposition des uns et des autres, ce qui obligerait à distinguer les cotisations ouvrant des droits, à tenir compte de l’inflation, de l’impôt sur les sociétés, etc. Il se limite au cas de « rupture caractérisée » de l’égalité devant l’impôt. Il est permis de le regretter.

Vers la réduction des niches fiscales

Le Conseil constitutionnel a heureusement censuré l’article 14 de la Loi de finances qui reportait une nouvelle fois de cinq ans l’extinction des dispositifs fiscaux dérogatoires en matière de droits de successions sur les biens immobiliers en Corse.

L’article 73 de la loi de finances classe en fait les réductions et crédit d’impôts en trois catégories. Certaines ne sont pas soumises au plafonnement global ; d’autres sont soumises à un plafond global de 10 000 euros ; d’autres (les investissements outre-mer et les investissements dans le cinéma) étaient soumises à un plafond spécifique de 18 000 euros + 4 % du revenu imposable. Le Conseil a maintenu cette distinction mais a réduit le plafond spécifique des investissements favorisés en supprimant la prise en compte de 4 % du revenu imposable. Seul, parmi les dépenses d’investissement, l’investissement dans la restauration d’immeubles dans les secteurs sauvegardés échappe maintenant à un plafonnement global. C’est un pas dans la bonne direction de suppression progressive de niches fiscales profitant aux plus riches, réduisant la progressivité de l’impôt et peu efficaces pour aider tel territoire ou telle activité. Reste au gouvernement à mettre en place, comme il s’y est engagé, des subventions explicites et mieux ciblées pour les départements d’outre-mer.

En revanche certaines exonérations injustifiées demeurent comme celles des revenus des  placements en PEA et en assurance-vie, des majorations de retraites, de la participation et de l’intéressement. Il est dommage que le Conseil constitutionnel n’ait pas eu l’occasion de censurer ces dispositifs contraires au principe de soumission  de tous les revenus à l’impôt sur le revenu.

Faut-il permettre l’optimisation fiscale ?

En ce qui concerne l’ISF, la position du Conseil est difficile à comprendre. D’une part, il proclame avec pertinence que la détention d’un patrimoine procure en elle-même une capacité contributive ; que l’ISF peut donc frapper des biens qui ne procurent aucun revenu ; que cette capacité contributive peut donc être supérieure aux revenus des biens imposables. Ceci l’amène à déclarer conforme à la Constitution la nouvelle version de l’ISF, même si elle aboutit dans certains cas à des taux de taxation marginaux très élevés de certains revenus, en particulier les revenus d’intérêt, puisque la taxation ne prend pas en compte la dépréciation liée à l’inflation. D’autre part, le Conseil avait proclamé en août 2012 que la remise à niveau de l’ISF devait obligatoirement s’accompagner de la remise en place d’un mécanisme de plafonnement. Le Conseil a heureusement accepté, en décembre 2012, que le plafonnement du total des impôts payés (ISF + IR + CRDS-CSG + prélèvement sociaux) soit établi à 75 % du revenu, soit nettement au-dessus des 50 % de l’ancien bouclier fiscal.

Mais le diable se cache dans les détails. Le revenu doit être mesuré de façon adéquate. Prenons un exemple extrême. Considérons Monsieur A qui dispose d’un patrimoine de 3 millions d’euros, placé en actions, qui lui rapportent des dividendes au taux de 8 %, soit 240 000 euros par an. Monsieur A va payer 37 200 euros de prélèvements sociaux, 40 366 euros d’IR et 15 690 euros d’ISF, soit un total de 93 256 euros, un taux de prélèvement global de 38,8 % : il n’est pas concerné par le plafonnement. Monsieur B dispose d’un patrimoine du même montant de 3 millions. Il l’a investi pour 1 million dans sa résidence principale. Les deux autres millions sont investis dans un fonds qui accumule ses 160 000 euros de dividendes et lui prête 120 000 euros pour vivre. Monsieur B n’a ainsi pas de revenus déclarés. Il ne paye que l’ISF, soit 12 690 euros, compte tenu de l’abattement de 30 % sur la résidence principale. Il serait absurde que l’Etat rembourse ses 12 690 euros à Monsieur B, sous prétexte que son taux d’imposition apparent est infini, alors que Monsieur B paye déjà 80 566 euros d’impôts de moins que Monsieur A, qui a la même capacité contributive.

Les bénéficiaires du plafonnement risquent donc d’être les personnes qui réussissent à ne pas déclarer de revenus en capitalisant les revenus de leur capital financier et en étant propriétaire de leur logement. C’est pourquoi, la Loi de finances 2013 avait prévu que les revenus capitalisés, dans des bons ou contrats de capitalisation, dans des trusts, dans des sociétés contrôlées par le contribuable, même s’ils ne sont pas effectivement réalisés, seraient pris en compte pour le plafonnement de l’imposition totale. On peut même regretter qu’elle ne soit pas allée au bout de sa logique en y faisant figurer les loyers implicites (la valeur du loyer du logement habité par son propriétaire). Malheureusement, le Conseil constitutionnel a censuré la prise en compte des revenus capitalisés en prétendant que ces revenus ne sont pas disponibles, qu’ils ne doivent donc pas être pris en compte pour déterminer les facultés contributives. Mais la non-disponibilité de ces revenus provient d’un choix du contribuable, choix dont le but est précisément d’échapper à l’impôt. Fallait-il maintenir cet instrument d’optimisation fiscale, tant prôné par les officines de défiscalisation ?

Dorénavant les plus-values de cessions de valeurs mobilières sont imposables aux prélèvements sociaux et à l’IR (avec un abattement de 40 % après 6 ans de détention). Il est cependant possible d’échapper à la taxation en transmettant les titres à plus-values latentes à ses enfants soit par donation, soit par succession, puisque ces deux opérations purgent la plus-value. Les enfants bénéficiaires peuvent revendre les titres, plus ou moins rapidement, et ne paient que la plus-value entre la donation et la vente ; la plus-value entre l’achat et la donation échappe à toute taxation. Cette optimisation fiscale est très pratiquée par les familles au patrimoine élevé. Pour la combattre, l’article 19 de la troisième Loi de finances rectificative pour 2012 prévoyait qu’en cas de revente avant 18 mois, le bénéficiaire de la donation de titres mobiliers serait imposé sur la plus-value totale depuis l’acquisition par le donateur (moins les droits de mutation qu’il aurait acquittés). Cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel qui a jugé que le critère retenu (une revente avant 18 mois) n’était pas pertinent pour caractériser une opération d’optimisation fiscale et que le bénéficiaire ne pouvait payer un impôt sur les plus-values obtenues par le donateur. Certes, le dispositif adopté n’était pas satisfaisant : il maintenait la purge des plus-values par succession ; il ne frappait pas ceux qui pouvaient conserver plus de 18 mois les titres reçus. Mais la censure du Conseil constitutionnel laisse subsister la possibilité d’échapper à l’impôt. La situation ainsi maintenue n’est pas conforme à l’article 13, puisque les familles riches peuvent échapper à la taxation des plus-values. Il serait donc souhaitable que la loi aille jusqu’au bout de sa logique et impose les plus-values latentes au moment de la donation ou de la succession.

Dans ces deux cas, on ne peut que regretter que le Conseil constitutionnel désarme ainsi l’administration fiscale et l’empêche de lutter efficacement contre l’optimisation fiscale.

Conclusion

Le contrôle qu’exerce le Conseil constitutionnel sur la fiscalité repose sur une base fragile et archaïque, ce qui introduit une certaine incertitude dans la conduite des réformes fiscales.

Le système fiscal français apparaît aujourd’hui d’une complexité excessive, que les réformes successives ne font qu’augmenter. En même temps, il est fortement redistributif : en particulier, les plus hauts salaires supportent des cotisations sociales sans plafond ; les revenus du capital sont assujettis aux prélèvements sociaux, l’impôt sur le revenu et l’ISF. De nombreuses complications sont inévitables : il faut tenir compte des charges effectivement supportées (pensions alimentaires), encourager certaines pratiques (dons aux œuvres), en taxer d’autres (plus-values immobilières et mobilières). La grande réforme fiscale qui rendrait le système plus simple et plus redistributif est un mythe.

Reste que le système français a besoin d’être repensé. Il faudrait réaffirmer son caractère familial, redéfinir la notion de revenu, bien distinguer les impôts et les cotisations ouvrant des droits à prestations, supprimer certaines dépenses fiscales, remplacer les autres par des subventions explicites. Cette transformation ne peut se faire par l’accumulation de réformes ponctuelles.

 

 

 




Individualisation ou conjugalisation de l’impôt : que faire après la décision du Conseil constitutionnel ?

par Guillaume Allègre

Le Conseil constitutionnel a censuré la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus d’activité au motif qu’elle est prélevée auprès des personnes physiques et non du foyer fiscal ; ainsi elle méconnaîtrait les principes d’imposition selon la faculté contributive et d’égalité devant les charges publiques. En rappelant que tous les prélèvements progressifs sur le revenu doivent tenir compte de la situation familiale du foyer fiscal, la logique juridique du Conseil s’oppose à la logique économique et peut conduire à une complexité inutile du système social et fiscal. La jurisprudence du Conseil va à l’encontre d’une règle de politique économique qui veut qu’autant d’instruments soient utilisés que d’objectifs poursuivis. Or, l’objectif de réduction des inégalités de salaires est un objectif légitime de politique économique à côté de l’objectif de réduction des inégalités de revenus entre foyers. Il paraît donc légitime que des éléments de progressivité s’appuyant d’une part sur le revenu d’activité individuel et d’autre part sur le revenu familial coexistent. Ceci d’autant plus que les recherches empiriques montrent que la faculté contributive des citoyens dépend à la fois du revenu de leur foyer et de leur revenu propre.

Dans une décision datée du 29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel, saisi par les députés de l’opposition sur plusieurs articles de la Loi de finances 2013, a déclaré la « Contribution exceptionnelle de solidarité sur les très hauts revenus d’activité professionnelle » contraire à la Constitution, considérant qu’en ne tenant pas compte « de l’existence du foyer fiscal, le législateur a méconnu l’exigence de prise en compte des facultés contributives ; qu’ainsi, il a méconnu le principe d’égalité devant les charges publiques ». Cette décision s’appuie sur les mêmes arguments que la censure de l’abattement de Cotisation sociale généralisée (CSG) sur les bas revenus contenue dans la Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, au motif que « la disposition contestée ne tient compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci ; que le choix ainsi effectué par le législateur de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives crée, entre les contribuables concernés, une disparité manifeste contraire à l’article 13 de la Déclaration de 1789 ». Au regard de ces décisions, il semble que, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute imposition progressive sur les revenus doit tenir compte des charges familiales et des revenus des autres membres du foyer[i].

Or, d’un point de vue économique, la coexistence de plusieurs mécanismes de redistribution s’opérant sur des bases individuelles et familiales peut se justifier. Si les premiers modèles théoriques supposaient que le ménage agissait comme un individu et que le partage des ressources à l’intérieur du ménage était intégral (modèle unitaire du ménage), les approches plus récentes essayent d’ouvrir « la boîte noire » que constitue le ménage (Pollak, [1985]). Cette méthode reconnaît que les ressources peuvent être réparties de manière très inégalitaire entre les individus qui composent le ménage. Les développements ultérieurs (Chiappori, [1988]) modélisent la répartition des ressources par un processus de négociation, la règle du partage dépendant du pouvoir de négociation de chaque membre du ménage, fonction, entre autre, de son revenu salarial propre. Les travaux empiriques montrent que cette approche explique mieux les comportements des ménages et des individus qui les composent, en termes de demande de biens et d’offre de travail, que le modèle unitaire. Si l’on définit la faculté contributive d’un individu[ii] par la part de revenu qu’il contrôle, en propre pour les dépenses individuelles ou en commun pour les dépenses collectives (logement, équipement), on voit que, selon cette approche, elle dépend à la fois du revenu familial et du salaire propre. De ce point de vue, tenir compte à la fois du revenu familial et du salaire paraît nécessaire pour se rapprocher du principe d’imposition selon la faculté contributive.

Par construction, si la progressivité du système fiscal tient compte à la fois des revenus du foyer fiscal et de la répartition de ceux-ci entre les ménages, deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenus issus de l’activité professionnelle pourraient se voir imposer différemment. Or, cette situation, qui découle logiquement des développements de la recherche économique, est exactement ce que le Conseil constitutionnel reproche dans sa décision : « par l’effet de cette contribution exceptionnelle assise sur les revenus d’activité professionnelle des personnes physiques excédant un million d’euros, deux foyers fiscaux bénéficiant du même niveau de revenu issu de l’activité professionnelle pourraient se voir assujettis à cette contribution ou au contraire en être exonérés, selon la répartition des revenus entre les contribuables composant ce foyer ». Cette phrase semble impliquer que la répartition des revenus au sein des foyers ne devrait pas avoir d’influence sur leur niveau d’imposition. Ainsi un foyer où les deux conjoints gagnent 600 000 euros aurait la même capacité contributive qu’un foyer où un des conjoints gagne 1 200 000 euros et l’autre ne travaille pas. Mais est-ce bien le cas ? Les deux situations sont-elles réellement équivalentes ? Outre le fait que le revenu n’est pas nécessairement partagé intégralement dans le second foyer, l’inactivité d’un des conjoints, si elle est volontaire, ne constitue-t-elle pas un luxe pour le foyer ? Si l’on compare maintenant un foyer où les deux conjoints gagnent 14 000 euros annuels et un foyer où un conjoint gagne 28 000 euros et l’autre ne travaille pas, ces deux situations sont-elles également équivalentes ? Le fait qu’un conjoint ne soit pas contraint à un travail marchand n’augmente-t-il pas la capacité contributive du second foyer lorsqu’il peut utiliser ce temps pour du travail domestique (garde et soin des enfants, aide aux parents âgés, entretien ménager), substituable à des services marchands ? De plus, si l’on prend maintenant une perspective dynamique, ce choix de spécialisation traditionnelle où l’un des conjoints se spécialise dans le travail marchand et l’autre dans le travail domestique augmente la dépendance du conjoint au foyer et réduit ses opportunités futures, ce qui peut être coûteux, pour lui (le plus souvent elle) et pour la société, en cas de séparation. N’est-il pas alors légitime de distordre le choix des agents et de privilégier, y compris fiscalement, les situations où les deux conjoints travaillent ?

Selon la logique du Conseil constitutionnel, tous les prélèvements progressifs sur le revenu devraient tenir compte (d’une manière ou d’une autre) de la situation familiale. S’il n’est pas impossible de contourner cet impératif, il conduit à la construction de véritables usines à gaz. Ainsi en a-t-il été de la Prime pour l’emploi (PPE), créée en 2001 pour répondre à la censure par le Conseil constitutionnel de l’abattement de CSG pour les bas revenus (voir Allègre, [2012]). La PPE a les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais son calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle par enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Le problème est que la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La censure du Conseil constitutionnel a donc conduit à complexifier inutilement l’administration de l’aide aux bas salaires et à la rendre moins transparente. En fait, la jurisprudence du Conseil constitutionnel va à l’encontre d’une règle de politique économique qui veut qu’autant d’instruments soient utilisés que d’objectifs poursuivis. Si l’on considère que la réduction des inégalités de salaire et celle des inégalités de revenus sont deux objectifs légitimes, alors il paraît légitime que des éléments de progressivité s’appuyant d’une part sur le revenu d’activité individuel et d’autre part sur le revenu familial coexistent.

Et maintenant que faire ?

Comme le soulignent les débats récurrents sur la prise en compte par l’impôt de la dimension familiale (voir la controverse entre Sterdyniak [2012] et Landais, Piketty et Saez [2012]), le sujet est sensible car il touche à la représentation de la famille. Une solution intermédiaire entre individualisation et conjugalisation serait de laisser le choix à tous les couples mariés ou pacsés (voire concubins) entre imposition conjointe avec 1,5 part[iii] (et non plus 2) et l’imposition séparée avec 1 part chacun (les parts attribuées au titre des enfants étant alors partagées entre les conjoints). Cette solution, qui paraît compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, permettrait d’adapter la fiscalité aux divers arrangements entre conjoints. Elle tiendrait compte du fait qu’il existe bien des solidarités de fait entre conjoints ayant des revenus inégaux mais ne donnerait pas un avantage excessif à ces couples et en particulier aux couples monoactifs. Enfin, elle ne serait pas incompatible avec la proposition du candidat Hollande de fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu, mais nécessiterait une régularisation annuelle (les couples ayant un bénéfice à l’imposition conjointe pourraient alors recevoir un remboursement partiel de l’impôt prélevé à la source).

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[i] La censure de la ristourne de CSG ne fait cependant pas référence au foyer fiscal, il ne suffirait donc probablement pas au législateur de modifier la définition du foyer fiscal pour éviter la censure du Conseil constitutionnel.

[ii] Dans l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à laquelle le Conseil constitutionnel se réfère, ce sont bien in fine les droits des individus qui comptent par rapport à ceux des groupes ou institutions intermédiaires (notamment la famille). L’article 13 fait ainsi référence à la faculté (contributive) des citoyens : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». La référence au ménage ou au foyer ne peut donc être justifiée que par un partage de fait des ressources, qu’il est difficile de nier mais qui n’est pas nécessairement intégral.

[iii] Cohérent avec le nombre d’unités de consommation donné aux couples dans la mesure du niveau de vie.

 




Petits transferts entre familles

par Guillaume Allègre

Une des premières mesures prises par le nouveau gouvernement a été d’augmenter de 25 % l’Allocation de rentrée scolaire (ARS) dès la rentrée 2012. Cette mesure figurait dans les 60 engagements du candidat Hollande avec l’abaissement du plafonnement de l’avantage lié au quotient familial (QF) (engagement 16)[1] qui devrait être voté en juillet 2012. Ces deux instruments de la politique familiale (ARS, QF) ont des logiques et des effets très différents. Alors que l’ARS concerne les ménages modestes du fait d’une mise sous conditions de ressources, le plafond du quotient familial n’affecte que les ménages les plus aisés. Le financement de l’augmentation de l’ARS par une baisse du plafonnement du QF doit permettre de maintenir les ressources de la politique familiale. Cette réforme implique un transfert d’environ 400 millions d’euros des familles dont le niveau de vie se situe dans le décile le plus élevé vers les familles les plus modestes, celles dont le niveau de vie se situe dans les quatre premiers déciles de niveau de vie. 

L’ARS est une prestation sociale, sous condition de ressources, versée annuellement au moment de la rentrée scolaire aux familles ayant à charge un ou plusieurs enfants scolarisés âgés de 6 à 18 ans. Créée en 1974, elle n’était alors versée qu’aux familles bénéficiaires d’une autre prestation familiale (allocation familiale à partir du deuxième enfant ou prestation sous condition de ressources). Revalorisée en 1993, elle a ensuite été étendue, à partir de 1999, aux familles avec un seul enfant ne bénéficiant pas d’autre prestation. En 2010, la mesure bénéficiait à 2,8 millions de ménages[2] (dont 210 000 familles sans autre prestation CNAF) pour un coût total de 1,49 milliard d’euros. Les familles bénéficiaires recevaient en moyenne 520 euros par an. Pour la rentrée 2012, pour être éligible, les ressources de l’année 2010 ne doivent pas dépasser 23 200 euros  pour les familles ayant un enfant à charge, auxquels il faut ajouter 5 300 euros par enfant supplémentaire. Le montant de la prestation dépend de l’âge des enfants scolarisés. En 2011, il était de 285, 300 et 311 euros respectivement par enfant de 6 à 10 ans, 11 à 14 ans et 15 à 18 ans[3].

A la suite de l’élection présidentielle, pour 2012, ces montants ont été fixés par décret respectivement à 356, 375 et 388 euros[4]. Le gain de la revalorisation pour un couple avec deux enfants de 6 et 11 ans est de 141 euros par an si son revenu est inférieur à 28 500 euros. Pour un couple avec trois enfants de 6, 11 et 15 ans, le gain est de 215 euros. La revalorisation de 25 % de l’allocation représente une dépense supplémentaire de l’Etat de 372 millions d’euros.

Le système du quotient familial de l’impôt sur le revenu permet de tenir compte de la taille des foyers fiscaux, et notamment de la présence ou non d’enfants dans le calcul de l’impôt à payer. Le quotient familial, mesure de la capacité contributive, est le ratio entre le revenu net imposable et le nombre de parts fiscales du foyer. L’administration fiscale applique à ce quotient le barème de l’impôt puis re-multiplie par le nombre de parts fiscales afin de déterminer le montant d’impôt dû, de telle sorte que deux foyers ayant le même quotient sont confrontés au même taux d’imposition[5]. Un couple avec 2 enfants (trois parts) ayant un revenu imposable de 60 000 euros est soumis au même taux d’impôt sur son revenu imposable qu’un couple sans enfant (2 parts) ayant un revenu de 40 000 euros : chacun de ces foyers fiscaux a un quotient familial égal à 20 000 euros ; ils sont ainsi considérés par l’administration fiscale comme ayant la même faculté contributive. Le système de quotient familial ne procure aucun gain lorsque l’impôt est proportionnel. Plus l’impôt est progressif, plus le gain procuré par le système de quotient familial est élevé. L’administration fiscale plafonne ce gain à 2 336 euros par demi-part, soit un gain maximum de 4 672 euros (ou 389 euros mensuels) par enfant à partir du troisième enfant et pour le premier enfant des parents isolés. Le plafonnement concerne des ménages ayant des revenus relativement élevés : 6 600 euros net par mois pour un couple avec deux enfants, 8 500 euros avec trois. Selon la DGFIP, 770 000 foyers (soit 2,1 % des foyers fiscaux) étaient concernés par le plafonnement en 2008, soit un gain pour l’Etat de 1,2 milliard d’euros, ce qui représente en moyenne 1 550 euros par foyer fiscal plafonné.

Selon le programme présidentiel, le plafonnement du gain lié au quotient familial doit être abaissé dans la Loi de finances rectificative à 2 000 euros par demi-part supplémentaire. La perte annuelle maximale pour les foyers fiscaux effectivement plafonnés serait donc de 336 euros par demi-part, soit 672 euros pour un couple avec deux enfants (trois parts fiscales) et 1 344 euros avec trois (quatre parts fiscales). Selon nos calculs, l’économie pour l’Etat serait de 430 millions d’euros (France métropolitaine) et le nombre de foyers concernés  900 000, soit un coût moyen de 488 euros par foyer.

Le graphique représente les transferts engendrés par les deux réformes par décile de niveau de vie. Du fait de sa mise sous conditions de ressources, la revalorisation de l’ARS bénéficie principalement aux ménages ayant des enfants appartenant aux 4 premiers déciles de niveau de vie, tandis que l’abaissement du plafond du quotient familial concerne les ménages du décile le plus élevé. En termes de redistribution verticale, la réforme est assez bien ciblée, même si les montants en jeu sont relativement faibles. Le gain pour l’Etat serait marginal.  L’effet sur la croissance devrait être positif, du fait d’une plus grande propension à épargner des ménages les plus aisés, mais mineur, de part la faiblesse des sommes en jeu et le montant des économies qui est légèrement supérieur à celui des dépenses supplémentaires.

 

De fait, cette réforme est peu controversée. Le principe du plafonnement de l’avantage fiscal du quotient familial est largement accepté (voir Sterdyniak) et sa justification est robuste : à partir d’un certain niveau de revenus, son augmentation ne sert plus à la consommation des enfants. L’ARS a plusieurs avantages : son usage est principalement lié aux dépenses de rentrée scolaire, elle permet de verser une allocation aux familles d’un enfant, elle est bien ciblée sur les ménages les moins aisés.

D’autres réformes, allant plus loin dans ce sens, pourraient être envisagées : par exemple, le plafonnement par enfant de l’avantage fiscal (et non plus par demi-part) ou, mieux, la suppression des demi-parts supplémentaires à partir du troisième enfant, ce qui permettrait de financer, en partie, la mise en place d’un complément familial sous conditions de ressources dès le premier enfant. En effet, le système de quotient familial semble trop généreux à partir du troisième enfant (voir Allègre, 2012), et le complément familial, prestation familiale sous conditions de ressources, ne concerne aujourd’hui que les familles de trois enfants et plus, souvent les moins aisées. Un élargissement du dispositif qui bénéficierait également aux familles nombreuses et  permettrait d’inclure les autres familles les moins aisées dans le dispositif.


[1] « Je maintiendrai toutes les ressources affectées à la politique familiale. J’augmenterai de 25 % l’allocation de rentrée scolaire dès la prochaine rentrée. Je rendrai le quotient familial plus juste en baissant le plafond pour les ménages les plus aisés, ce qui concernera moins de 5 % des foyers fiscaux. »

[2] Métropole et Dom.

[3] Les familles ayant des enfants de 0 à 3 ans peuvent bénéficier, sous conditions de ressources, de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) afin de faire face aux dépenses spécifiques liées à la jeune enfance. En dehors des aides liées à la garde des enfants, il existe ainsi un vide entre 3 et 6 ans, tranche d’âge pour laquelle les dépenses sont supposées moins importantes.

[4] En fait, la revalorisation initiale devait être de 1 %, le « coup de pouce » n’est donc que de 24 %.

[5] Le système de parts attribue 1 part à une personne seule, 1 part au conjoint éventuel, 1/2 part respectivement au premier et deuxième enfant, 1 part aux enfants suivants, et 1/2 part supplémentaire au premier enfant des parents isolés.

 




Vers une grande réforme fiscale ?

Sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane

Plus que jamais la fiscalité est au centre de la campagne électorale et du débat public. La crise économique et financière, couplée à l’objectif de réduction rapide des déficits, bousculent nécessairement les discours électoraux et nous obligent à nous confronter à la complexité des mécanismes fiscaux. Comment les impôts interagissent-ils entre eux ? Avec quels effets ? Selon quelles mesures ? Quel consentement et quelles contraintes pour la fiscalité ? Comment répartir la charge fiscale entre les acteurs économiques ? Comment financer notre protection sociale ? Doit-on défendre une  « révolution fiscale » ou des réformes incrémentales ?. « Réforme fiscale », le nouvel ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, entend éclairer et approfondir le débat sur la fiscalité.

La première partie de l’ouvrage traite des contraintes et des principes de la fiscalité. Dans un article introductif, Jacques Le Cacheux définit du point de vue de la théorie économique, les grands principes qui devraient inspirer une nécessaire réforme fiscale. Nicolas Delalande, dans une analyse historique, souligne le rôle des ressources politiques, des contraintes institutionnelles et des compromis sociaux dans l’élaboration des politiques fiscales. Dans un cadrage budgétaire, Mathieu Plane revient sur les évolutions passées de la fiscalité et analyse la contrainte qui pèse aujourd’hui sur les finances publiques. Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux proposent la mise en place d’une taxe sur le carbone ajouté qui permettrait d’apporter une réponse fiscale face aux émissions de carbone importées.

Dans une deuxième partie, la question du partage de la charge fiscale entre ménages est posée. Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez répondent à l’article critique d’Henri Sterdyniak concernant la « révolution fiscale » qu’ils préconisent. Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul proposent une réforme globale de la politique familiale. Guillaume Allègre tente d’éclairer le débat sur le quotient familial. Enfin, Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau proposent de réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

La troisième partie concerne la question du financement de la protection sociale. Dans une vaste revue de littérature, Mireille Elbaum revient sur l’évolution du financement de la protection sociale depuis le début des années 1980 et examine les alternatives en débat et leurs limites. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau analysent plus spécifiquement l’impact de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » votée par le Parlement. Frédéric Gannon et Vincent Touzé présentent une estimation du taux de prélèvement marginal implicite du système de retraite français.