Pensions de réversion : pour une réforme unificatrice

par Henri Sterdyniak

Dans son dernier Policy Brief (n° 51-2019) l’OFCE analyse la réglementation des pensions de réversion et soumet quelques pistes de réforme. Le texte complet est téléchargeable ici.

Les pensions de réversion constituent un élément important du système français de retraite. En 2016, elles ont représenté 36,3 milliards d’euros, soit 12% des pensions de vieillesse, 1,6 % du PIB. Les écarts de durée de vie et d’âge au mariage font que 89 % des bénéficiaires sont des femmes. La question des pensions de réversion est donc liée à celles des inégalités femmes/hommes de niveau de retraite. Les pensions de réversion font passer les retraites des femmes de 58 à 71% de celles des hommes. Elles apparaissent indispensables puisqu’elles permettent aux veuves de conserver un niveau de vie satisfaisant. Elles peuvent être considérées comme la survivance d’un modèle patriarcal périmé, mais elles sont aussi une composante logique du caractère familial du système socio-fiscal français.

Chaque régime de retraite a actuellement une réglementation différente en matière de pension de réversion : le taux est de 50% (fonction publique, sans condition d’âge), 54% (régime général, avec condition de ressources et condition d’âge), 60% (régime complémentaire), avec condition d’âge). Cette disparité est peu justifiable et source d’injustices, réelles ou ressenties. Par ailleurs, en cas de divorce ou de remise en couple, les législations sont disparates, compliquées et contestables. La réforme des retraites, annoncée par Emmanuel Macron, met obligatoirement en question les pensions de réversion. Elle obligera heureusement à uniformiser la réglementation. Elle devrait être l’occasion de repenser l’ensemble du système à partir d’un choix social ouvert auquel ce texte se propose de contribuer.

Selon nous, les pensions de réversion doivent être maintenues. Leur législation doit s’appuyer sur les principes de l’assurance sociale. La pension de réversion doit assurer au conjoint survivant le même niveau de vie qu’avant le décès de son conjoint, sans que le couple n’ait besoin de recourir à l’assurance privée. Le montant de la pension de réversion devrait donc être des deux tiers de la pension du conjoint décédé moins un tiers de la pension du conjoint survivant. La condition d’âge devrait être uniformisée, d’abord à 55 ans puis progressivement vers 60 ans. Les allocations de veuvage précoce et d’éducation des enfants devraient être couvertes par des dispositifs de prévoyance à généraliser. Le divorce ferait perdre les droits à la pension de réversion, mais cela serait pris en compte dans le jugement de divorce, pour la fixation de la prestation compensatoire ou par un partage arbitré des points acquis durant le mariage. Nous discutons et écartons les projets de prise en compte de la durée du mariage, de partage des droits (splitting), d’extension au Pacs (tel qu’il est actuellement), de sur-cotisation ou de baisse des pensions des couples mariés.




Retraites : le mauvais compromis du rapport Moreau

par Henri Sterdyniak

Sous la pression des marchés financiers et des institutions européennes, le gouvernement se croit obligé de présenter en 2013 une nouvelle réforme des retraites. Pourtant, réduire le niveau des retraites ne devrait pas être aujourd’hui la priorité de la politique économique française : retrouver une croissance satisfaisante, réformer la stratégie macroéconomique de la zone euro, donner une nouvelle impulsion à la politique industrielle française dans le cadre de la transition écologique sont des actions autrement plus pressantes. Constituer un comité de hauts fonctionnaires et d’experts est maintenant une pratique courante qui permet de dépolitiser les choix économiques et sociaux pour les écarter du débat démocratique. Ainsi, le rapport Moreau, rendu le 14 juin 2013, apparaît-il comme un mauvais compromis. Certes il ne met pas en cause le système public de retraite, mais il l’affaiblit et ne se donne guère les moyens d’assurer sa fiabilité sociale.

Faut-il redresser les comptes des régimes en situation de dépression ?

Le déficit des régimes de retraites en 2013 provient essentiellement de la profondeur de la récession qui a fait diminuer le niveau d’emploi d’environ 5 %, faisant perdre environ 12 milliards de ressources aux régimes de retraites. L’objectif central de la politique économique en Europe devrait être de récupérer les emplois perdus. Hélas, le rapport Moreau propose de poursuivre la stratégie de spirale vers le bas engagée en Europe et en France : « les régimes de retraites doivent concourir au redressement des comptes publics et à la crédibilité internationale de la France » (page 82). Le rapport oublie que la baisse des pensions de retraite conduit à une baisse de la consommation, donc du PIB, à une baisse des rentrées fiscales et des cotisations sociales, d’autant plus que tous les pays de la zone euro font de même.

Le rapport préconise de réduire à court terme le déficit du système de retraite en augmentant les impôts payés par les retraités. Il reprend sans esprit critique plusieurs projets bien connus. Il faudrait aligner les taux de CSG des retraités sur ceux des actifs. Jadis, contrairement aux actifs,  les retraités ne payaient pas de cotisations maladie. Ils ont souffert de la mise en place puis de la montée en puissance de la CSG. Ils paient déjà une contribution de 1 % supplémentaire sur leurs retraites complémentaires. Ils pâtissent du désengagement de l’assurance-maladie au profit des complémentaires-santé. Augmenter leur taux de CSG de 6,6  à 7,5 % – celui des actifs – rapporterait 1,8 milliard d’euros. Mais, ne faudrait-il pas en contrepartie supprimer la contribution de 1% des retraites complémentaires et rendre déductibles leurs primes de complémentaire-santé (qui ne sont pas payées par les entreprises) ?

Les retraités ont droit, comme les salariés, à un abattement de 10 % pour frais professionnels, mais avec un plafond nettement plus bas. Même pour les salariés, cet abattement est nettement plus élevé que les frais professionnels effectifs ; il compense quelque peu les possibilités d’évasion fiscale des non-salariés. La suppression de l’abattement rapporterait 3,2 milliards de hausse de l’impôt sur le revenu à l’Etat et 1,8 milliard de baisse de certaines prestations, liées au montant du revenu imposable. Les retraités perdraient 2% de pouvoir d’achat. Mais, on voit mal comment ces 5 milliards iraient dans les caisses des régimes de retraites.

L’imposition des avantages familiaux de retraite (qui rapporterait 0,9 milliard) est certes plus justifiée, mais, là encore, on voit mal comment et pourquoi le produit de cette imposition irait aux caisses de retraites, d’autant que les avantages familiaux sont à la charge de la Caisse Nationale des Allocations Familiales.

Par contre, en matière de hausse de cotisation, le rapport est très timide proposant au mieux une hausse de 0,1 point par an pendant 4 ans, soit à terme 1,6 milliard de cotisations-salariés et 1,6 milliard de cotisations-entreprises.

Surtout, le rapport envisage de n’augmenter les retraites les plus élevées (celles qui paient le taux plein de CSG) que de l’inflation, – 1,2 point pendant 3 ans, leur infligeant ainsi une baisse de 3,6 % de pouvoir d’achat. Les retraites soumises au taux réduit de CSG ne perdraient que 1,5 %. Les retraites plus faibles seraient épargnées. Certes, cette disparité dans les efforts peut sembler justifiée, mais la fiabilité du système public des retraites serait fortement diminuée. Comment garantir que la désindexation ne durera que trois ans, qu’elle ne deviendra pas un mode plus ou moins permanent de gestion, ce qui frapperait particulièrement les retraités les plus âgés dont le niveau de vie est déjà plus bas. Comme l’ensemble des pensions perçues par un retraité n’est actuellement pas centralisé, il est difficile de faire varier l’indexation des retraites selon leur niveau. La solution préconisée par le rapport – prendre en compte la situation du retraité vis-à-vis de la CSG – est difficilement gérable ; il n’est pas justifiable que l’évolution de la retraite d’une personne dépende de la situation fiscale de sa  famille. Les pensions de retraite sont un droit social, contrepartie des cotisations versées, elles ne sont pas une variable d’ajustement. Comment justifier une baisse de 3,6 % du pouvoir d’achat d’une partie de la population, alors que le PIB par tête est censé continuer d’augmenter ? Faut-il réduire le pouvoir d’achat des retraités alors que celui-ci n’a pas bénéficié de hausse depuis 1983, même en période de croissance des salaires ? Le respect du contrat social implicite que constitue le système des retraites voudrait que les retraités subissent les mêmes efforts que les salariés, ni plus, ni moins.

Par ailleurs, en période de récession économique, le thème de la nécessité d’efforts répartis équitablement est dangereux. Si chacun fait des efforts en acceptant des baisses de revenu, puis en réduisant ses dépenses, le résultat ne peut être que la chute de la consommation globale, qui sera accompagnée d’une baisse de l’investissement compte tenu des capacités de production inutilisées, donc de la chute du PIB.

Garantir la baisse des retraites

A moyen terme, la grande préoccupation du rapport est de garantir la baisse du niveau relatif des retraites. En effet, du fait de la réforme Balladur, depuis 1993, les salaires portés au compte dans le régime général sont revalorisés en fonction des prix et non du salaire moyen. Le taux de remplacement (le rapport entre la première retraite et le dernier salaire) est d’autant plus faible que le salaire moyen a fortement progressé : jadis le taux de remplacement maximum du régime était de 50 %, il baisse à 41,5 % si le salaire réel progresse de 1,5 % par an, mais seulement à 47 % s’il progresse de 0,5 % par an.  Le mécanisme introduit  permet de faire baisser le niveau moyen des retraites de 31 % si le salaire réel progresse de 1,5 % par an, de 12 % s’il progresse de 0,5 % par an, de 0 s’il stagne. Or, dans la période récente, le salaire ne progresse plus que de 0,5 % par an. Le niveau relatif des retraites risque donc de se rétablir. Il faudrait donc augmenter les salaires pour faire baisser le niveau relatif des retraites.

Le comité d’experts réuni autour de Madame Moreau fait donc deux propositions alternatives :

  • – Soit, les salaires portés au compte ne seraient revalorisés que comme : prix + (salaires réels moins 1,5%), ce qui veut dire que, quelle que soit la hausse des salaires, le taux de remplacement maximum du régime général passerait à 41,5%. La baisse relative des retraites serait ainsi définitivement confortée. Sur le plan technique, la revalorisation des salaires portés au compte deviendrait un instrument d’ajustement, alors qu’elle devrait permettre de calculer le salaire moyen de la carrière, de manière objective ; les salaires les plus anciens seraient fortement dévalorisés. Pourtant, le rapport reconnaît (page 107) que le niveau
    actuel des retraites correspond à la parité des niveaux de vie entre actifs et retraités et que l’évolution proposée aboutirait à terme à un niveau de vie des retraités inférieur de 13 %. Pourtant il juge « acceptable cette évolution ». Est-ce une appréciation qui doit être faite par des experts ou par les citoyens ? Il oublie, de plus, que s’ajouterait à cette perte l’effet des réformes fiscales et de la désindexation, préconisées par ailleurs.
  • – Soit, un comité d’experts proposerait, chaque année, de réduire le niveau des retraites à la liquidation par un facteur démographique, qui assurerait l’équilibre du système. Outre que ce serait porter un nouveau coup à la démocratie (n’est-ce pas aux citoyens d’arbitrer entre niveau des pensions et taux de cotisations ?) et à la démocratie sociale (les partenaires sociaux ne seraient que consultés), les salariés n’auraient aucune garantie sur le niveau futur de leur retraite, d’autant que l’on se souvient du précédent fourni par la nomination d’un groupe d’experts pour le SMIC, farouchement opposé à toute hausse.

Allonger la durée de cotisations

Le rapport Moreau préconise de poursuivre l’allongement de la durée de cotisations requise en suivant les principes de la loi de 2003 (un allongement de 2 ans de la durée de cotisation pour 3 années de hausse d’espérance de vie à 60 ans). La durée requise de cotisation serait alors de 42 ans pour la génération 1962 (en 2024), de 43 ans pour la génération 1975 (en 2037), de 44 ans pour la génération 1989 (en 2051). L’âge moyen  de début d’acquisition des droits étant actuellement de 22 ans, ceci imposerait un âge moyen de départ de 65 ans en 2037, de 66 ans en 2051. Cette annonce a certainement pour but de rassurer la Commission européenne et les marchés financiers, mais elle aboutit surtout à inquiéter les jeunes générations, à conforter leur crainte selon laquelle ils n’auront jamais droit à leur retraite.

Est-il vraiment nécessaire d’annoncer une décision pour les 25 années à venir sans savoir quels seront, en 2037 ou 2051, la situation du marché du travail, les besoins d’emplois, les désirs sociaux, les contraintes écologiques ? A terme, la France, comme tous les pays développés, n’échappera pas à la nécessité de revoir son modèle de croissance. Faudra-t-il tout faire pour augmenter la production et l’emploi marchand, quand les contraintes écologiques devraient nous pousser à la décroissance de la production matérielle ? Maintenir la possibilité d’une période de retraite active, en bonne santé, est une utilisation raisonnable des gains de productivité. Il ne faudrait pas aller au-delà d’un âge de retraite fixé à 62 ans et d’une durée requise de cotisations de 42 années. Ainsi, si le dispositif « carrières longues » est préservé, ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans pourront partir à 60 ans ; ceux qui commencent à 23 ans devront rester jusqu’à 65 ans. Mais il faudra repenser dans les entreprises les conditions de travail et le déroulement des carrières pour que tous puissent effectivement être employés jusqu’à ces âges. Ceci suppose aussi que les jeunes à la recherche d’un premier emploi reçoivent une prestation chômage et que les années de « galère » soient validées.

Prendre en compte la pénibilité

La convergence des régimes publics, spéciaux et privés passe par une prise en compte similaire de la pénibilité des emplois, en distinguant les professions difficiles à exercer passé un certain âge, de sorte qu’une reconversion à mi-parcours est nécessaire, et les emplois pénibles, qui peuvent réduire l’espérance de vie, qu’il faut chercher à faire disparaître. Pour ceux qui continuent à devoir exercer ces emplois, les périodes de travaux pénibles devraient donner droit à des bonifications de durée de cotisations et de réduction de l’âge requis. Des critères communs devraient être appliqués dans tous les régimes. Le rapport Moreau ne va pas assez loin, en n’offrant qu’une année de bonification pour 30 années de travaux pénibles. Cela en est presque insultant et ne permet pas d’ouvrir une négociation sur la convergence des régimes.

Que faire ?

Alors que le rapport du COR n’annonçait qu’un déficit limité (1% du PIB en 2040), le rapport Moreau propose d’infliger une triple peine aux futurs retraités : la désindexation, la baisse garantie du taux de remplacement et l’allongement automatique de la durée requise de cotisation. Ce n’est pas de nature à rassurer les jeunes générations, à mettre en évidence les avantages du système social de retraite.

La réforme des retraites n’est pas la priorité de l’année 2013. A court terme, il faut accepter le déséquilibre financier des régimes induit par la crise et se préoccuper essentiellement de sortir de la dépression. Il ne faut pas se lancer dans la stratégie de spirale vers le bas tant économique que sociale qu’induirait la désindexation.

A moyen terme, afin de convaincre les jeunes qu’ils auront bien une retraite satisfaisante, l’objectif doit être de stabiliser le ratio pension/retraite à un niveau proche de son niveau actuel. L’Etat et les syndicats doivent s’engager sur des niveaux cibles de taux de remplacement net pour des carrières normales : 85 % au niveau du SMIC ; 75 % en dessous du plafond de la Sécurité sociale  (3 000 euros par mois) ; 50 % de 1 à 2 plafonds.

Pour garantir les retraites par répartition, le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse progressive des cotisations que le système sera équilibré, si nécessaire, une fois mise en œuvre, au  niveau des entreprises, une stratégie d’allongement de la durée des carrières, compatible avec la situation du marché du travail et les besoins effectifs en emploi.




Retraites : garantir le système social

par Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak

La Commission européenne recommande à la France de mettre en œuvre une nouvelle réforme des retraites, or cela ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Voici pourquoi.

[Ce texte est initialement paru sur le site Lemonde.fr, rubrique Idées, vendredi 24 mai 2013]

Le système public de retraite doit assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs, à partir d’un âge socialement déterminé. Ainsi, les salariés n’ont-ils pas à faire d’effort d’épargne-retraite, à se préoccuper de l’évolution des marchés financiers ou de leur durée de vie. Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

Le système français est l’un des plus généreux du monde ; les retraités ont le même niveau de vie que les actifs. Le premier objectif doit être de garantir sa pérennité. Les jeunes générations doivent être convaincues que la dette sociale qu’elles acquièrent en fournissant une retraite satisfaisante à leurs parents leur sera remboursée sous la même  forme ; elle est plus solide qu’un placement financier. Ceci est d’autant plus crédible que le ratio entre actifs et retraités restera un des plus favorables du fait d’une fécondité française satisfaisante (2 enfants par femme).

Il n’existe pas de réforme miracle qui assurerait automatiquement l’équilibre du système. Certains préconisent un système par point où la valeur du point (donc, le niveau des retraites) servirait de variable d’ajustement. D’autres, un système de « comptes notionnels » où chacun devrait arbitrer entre le niveau de sa retraite et son âge de départ, sans tenir compte des différences d’espérance de vie et de capacité à se maintenir en emploi après 60 ans, selon la profession, cet arbitrage se dégradant au fil des années.

Il est déplorable que le système de retraite ne soit pas unifié, mais il n’est pas possible d’instaurer brutalement un régime unique, ce qui impliquerait de recalculer les droits acquis dans les actuels régimes disparates ; le nouveau régime devrait remplacer progressivement les anciens, avec le risque d’instaurer en douceur, comme en Italie, un système beaucoup moins généreux pour les jeunes. Dans l’immédiat, le système serait compliqué puisque que le nouveau régime s’ajouterait aux anciens. Faire converger les régimes, les inscrire dans un pilotage commun est la voie la plus réaliste, qui peut, elle, être mise en œuvre rapidement. Il faudrait surtout rouvrir le dossier de la pénibilité pour permettre un départ précoce aux salariés du privé soumis à des conditions de travail difficiles.

L’objectif de stabiliser le ratio pension/retraite à un niveau satisfaisant doit être clairement affiché. L’Etat et les syndicats doivent s’engager sur des niveaux cibles de taux de remplacement net : 85 % au niveau du SMIC ; 75 % pour la part des salaires en dessous du plafond ; 50 % de 1 à 2 plafonds. Ces taux serviraient d’objectif pour la convergence des régimes. Enfin les pensions liquidées doivent être  indexées sur les salaires nets.

A court terme, le déséquilibre des régimes de retraites induit par la crise doit être accepté. Il faut éviter une baisse des retraites par une désindexation progressive, qui  diminuerait la fiabilité du système et enfoncerait dans la crise en pesant sur la consommation. C’est une croissance plus vigoureuse qui doit permettre de réduire les déficits sociaux. La priorité en 2013 n’est pas de réduire les retraites ou les allocations familiales, mais de remettre en cause les politiques suicidaires d’austérité qu’impose l’Europe et de lancer une politique industrielle préparant la transition écologique.

Malgré la crise, le taux d’emploi des seniors a nettement progressé, malheureusement, au détriment de l’emploi des jeunes. Il faut aller jusqu’au bout de la logique de la réforme de 2003, une durée de cotisations requise de 42 ans, qui permettra à ceux qui commencent à travailler à 18 ans de partir à 60 ans et demandera aux cadres, qui commencent à 23 ans, d’aller jusqu’à 65 ans. Quand la France se rapprochera du plein-emploi, il faudra relancer les négociations dans les entreprises pour améliorer les conditions de travail et repenser les carrières pour que chacun puisse aller jusqu’à l’âge requis. Se posera ensuite un choix social : faudra-t-il continuer à allonger la durée des carrières ou ne sera-t-il pas préférable d’utiliser les gains de productivité pour maintenir une retraite précoce ?

Ni l’Europe, ni les marchés financiers ne doivent se préoccuper de l’équilibre futur de notre système de retraite : celui-ci sera géré, compte-tenu de la situation économique, par des choix sociaux qui seront faits en temps voulus. Le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré, si nécessaire, une fois effectués les efforts souhaitables en matière d’emplois des seniors.




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Quelles suites prochaines à la réforme des retraites ?

par Mireille Elbaum

 

La réforme des retraites de 2010 a constitué une rupture par rapport aux orientations antérieures, l’emportant sur certaines considérations d’équité. Le choix de reculer de 60 à 62 ans l’âge d’ouverture des droits et de 65 à 67 ans celui de l’annulation de la décote a en effet été préféré au seul maniement des incitations financières, privilégié depuis la réforme de 2003  via l’accroissement de la durée d’assurance et l’augmentation de la surcote. Cette réforme, ciblée sur l’équilibre des comptes à l’horizon 2018, est toutefois présentée comme provisoire, une réflexion étant prévue  dès 2013 sur une réforme « systémique », pouvant déboucher sur un régime universel par points ou en « comptes notionnels ».
Âge de la retraite, pénibilité, système par points ou en comptes notionnels sont donc des sujets majeurs sur l’agenda social, mais les modalités d’éventuelles  réformes peuvent avoir une portée et des incidences très différentes.

Nous tentons de les éclairer dans une note de l’OFCE, tout en soulignant l’importance de sujets qui, comme les aléas de carrière, la situation des poly-pensionnés, les avantages familiaux ou les minima de pensions, nécessiteraient, réforme systémique ou non, d’être rapidement rediscutés.

La réouverture de possibilités de départ à partir de 60 ans pour les personnes qui auraient les durées de cotisation requises pour le taux plein pourrait emprunter deux voies.

– Un retour  à l’âge minimum de liquidation antérieur à la réforme de 2010 redéplacerait l’ensemble des bornes d’âge associées : déclenchement de la décote et de la surcote, possibilité de cumul emploi-retraite, retraite pour inaptitude. La principale interrogation porte sur le sort réservé à l’âge d’annulation de la décote, aujourd’hui progressivement porté de 65 à 67 ans : il affecte les assurés dont les carrières sont courtes et marquées par des interruptions d’activité, avec des effets problématiques en cas, par exemple, de longues périodes de chômage non indemnisé. A contrario, le maintien de limites d’âge décalées à 67 ans dans la fonction publique apparaît souhaitable pour laisser s’exercer librement les choix de prolongation d’activité, quitte à prévoir un plafonnement de la surcote.

– La seconde voie consisterait à revoir et élargir massivement le régime de la retraite anticipée, en ouvrant une possibilité de départ à 60 ans aux assurés ayant commencé à travailler avant 20 ans et ayant le nombre de trimestres requis pour le taux plein, avec la question de l’application de cette mesure aux seules périodes de travail cotisées ou à l’ensemble des durées validées, y compris au titre des mécanismes de solidarité. Cette option modifierait complètement l’actuel dispositif en faveur des carrières longues, qui devrait être entièrement revu, mais ne rendrait en revanche pas possible les départs à 60 ans avec décote, et ne changerait pas les autres paramètres du système (y compris les 67 ans). Des problèmes de cohérence avec  l’âge d’accès au minimum vieillesse (demeuré à 65 ans) ou l’âge limite de maintien des prestations de chômage resteraient d’ailleurs posés.

Une inconnue importante porte enfin sur la répercussion  de ces décisions sur les régimes complémentaires de l’AGIRC-ARRCO, dont les gestionnaires paritaires ont conclu en 2011 un « compromis conservatoire », la question du rendement et des ressources de ces régimes étant reposée plus rapidement que prévu.

En matière de compensation individuelle de la pénibilité, la réforme de 2010  a prévu un dispositif très limité de départ anticipé à 60 ans, reposant sur la reconnaissance d’une incapacité individuelle, et qui a bénéficié jusqu’ici à moins de 1 500 personnes. Son avenir est donc en question, sachant que l’allongement des durées d’assurance ouvrant droit au taux plein, qui devrait se poursuivre à l’avenir, justifierait une prise en compte spécifique des périodes de travail pénible. Le lien établi entre pénibilité et accident du travail ou maladie professionnelle apparaît à cet égard problématique, et l’évaluation d’une  incapacité individuelle au moment du départ en retraite peut négliger des pathologies susceptibles d’apparaître des années plus tard. Si l’on désire éviter une reconnaissance liée, comme dans certains régimes spéciaux, à des catégories d’emploi déterminées, c’est donc vers la prise en compte des périodes d’exposition aux risques qu’il faudrait se diriger, en envisageant plutôt le recours à des bonifications de durée d’assurance pour éviter les effets de seuil.

Une éventuelle « réforme systémique » pourrait quant à elle déboucher sur la mise en place d’un système unifié de retraites par points ou en comptes notionnels. Analysée par le COR en 2010, elle présente sans conteste un intérêt en termes de transparence et de lisibilité, surtout si sa mise en place s’accompagne d’une harmonisation des règles entre régimes. Les comptes notionnels offrent en particulier des possibilités de choix plus continues et plus transparentes entre durée d’activité et montant des retraites perçues. Ils peuvent aussi  faciliter le pilotage du système et son adaptation aux évolutions économiques et démographiques (augmentation de l’espérance de vie). Ils ont toutefois une logique plus fortement contributive, avec un lien financier direct entre cotisations versées et pensions perçues ; celle-ci peut être amendée par des mécanismes de solidarité ou de redistribution, mais leur apport (abondement des cotisations et du « capital virtuel ») et leur mode de financement nécessitent d’être clairement identifiés.

Au-delà des problèmes techniques, une telle idée recouvre des choix politiques et sociaux, dont les implications peuvent être majeures en termes de solidarité. Le « pari » qui fonde cette piste de réforme est l’unification des régimes professionnels actuels, pour favoriser les mobilités et l’équité entre professions. Cela pose la question d’une fusion des régimes de base qui intégrerait  les régimes spéciaux et ceux de la fonction publique, mais aussi de l’ajout à ces derniers « d’étages » complémentaires. La portée de la réforme serait en revanche réduite si l’on se contentait d’unifier les étages « base + complémentaire » des régimes de salariés du privé (régime général et AGIRC-ARRCO), ce qui ne répondrait en rien aux problèmes d’opacité et d’équité liés à l’empilement des régimes. Les différents  systèmes de gestion « en répartition » sont par ailleurs confrontés aux mêmes problèmes d’équilibre à long terme et à la nécessité d’arbitrages collectifs entre augmentation des cotisations, niveau des prestations et prolongation de l’activité des travailleurs âgés. Le principal danger d’un système de comptes notionnels serait de donner l’illusion que le système peut s’équilibrer automatiquement sur la base de choix individuels, sans que l’évolution des taux de remplacement et du montant des pensions ne soit explicitée, débattue et mise en regard de ses ressources. Les dispositifs de redistribution et de solidarité associés au système ont enfin une importance majeure : une réforme qui rendrait le système plus « contributif » risquerait de pénaliser les assurés les plus « fragiles », mais aussi de se répercuter à terme sur les comptes des autres régimes sociaux.

D’autres sujets d’importance manifeste méritent par ailleurs d’être rapidement re-évoqués,  que l’on s’engage ou non dans  une « réforme systémique » :

– les « aléas de carrière » et la retraite des chômeurs : l’idée de « sécuriser les parcours professionnels » devrait conduire à y réfléchir rapidement, dans un contexte où la montée du temps partiel subi et d’un chômage de longue durée non indemnisé risquent de peser sur les droits de certains assurés ;

– le traitement des « polypensionnés », qui peuvent être tantôt avantagés tantôt désavantagés par les règles actuelles : la proratisation des périodes prises en compte pour le calcul du salaire des « 25 meilleures années » n’a en particulier pas été réalisée entre régime général et régimes « non alignés » (fonction publique, professions libérales ou exploitants agricoles), ce qui aboutit à des inégalités de pension (parfois de l’ordre de 15%) selon les parcours professionnels, et l’ordre dans lequel ils  ont été effectués.

– le cumul emploi-retraite, dont la libéralisation en 2009 entraîne un développement qui s’appuie notamment sur le statut d’auto-entrepreneur et qui mérite d’être questionné, d’autant que les salariés qui ont dû liquider leur pension sans atteindre le taux plein ne bénéficient pas, eux, de cet élargissement.

– les avantages familiaux de retraite, dont les logiques restent diverses et pas toujours cohérentes, en dépit des aménagements apportés par les  réformes. Les questions portent sur  l’harmonisation de ces droits dans les différents régimes ; le redéploiement des majorations de pension versées aux parents d’au moins trois enfants pour soutenir les familles non pas après, mais lorsque les enfants sont encore à charge, et en tout cas l’idée de les rendre forfaitaires et imposables ; la fusion éventuelle des majorations et bonifications de durée d’assurance (MDA et AVPF), tout en améliorant leur impact sur les salaires de référence, principale source dans l’avenir des écarts de pension entre les hommes et les femmes.

– les minima de pension des régimes, dont les évolutions vont plutôt dans le sens d’une contributivité accrue, mais dont une partie a été en même temps reportée sur la solidarité nationale (à hauteur de 3,5 milliards d’euros via le Fonds de solidarité vieillesse). Le minimum vieillesse qui, indexé sur les prix, s’était écarté du seuil de pauvreté, a de son côté été revalorisé de 25% entre 2009 et 2012, mais seulement pour les personnes seules (pas les couples), et la question  se pose aujourd’hui de la spécificité et de l’articulation des différents minima, ainsi que de leur capacité à garantir  le revenu des titulaires de faibles pensions.

La question de l’indexation s’étend d’ailleurs à l’ensemble des retraites, sachant qu’une « réforme systémique » serait l’occasion de réexaminer leurs modes de revalorisation et leur ajustement, de court et de moyen termes, à l’évolution des revenus. L’ensemble des sujets précédents mériterait néanmoins,  au même titre que les bornes d’âge et la pénibilité, d’être inscrit rapidement sur « l’agenda social », que l’on s’engage ou non dans une telle réforme.

 

 




Hausse du chômage : ce n’est qu’un début…

par Marion Cochard

BNP Paribas, Areva, Peugeot-Citroën, … alors que le marché du travail porte encore les stigmates de la crise économique et financière de 2008-2009, une série d’annonces de plans sociaux a repris depuis l’automne. Si ces plans ne sont que la partie émergée de l’iceberg, les chiffres du chômage pour le troisième trimestre confirment que la détente observée en 2010 n’aura été qu’une accalmie passagère. Cette estimation fait état d’une hausse de 37 000 chômeurs sur le trimestre ;  ainsi le taux de chômage remonte à 9,3% de la population contre 9,1% au deuxième trimestre.

Ces chiffres s’inscrivent dans la suite logique des indicateurs qui alimentent, depuis la mi-2011, le scénario d’une nouvelle rechute du marché du travail. Depuis avril 2011, on a assisté d’abord à un retournement de l’intérim, dont la forte baisse au troisième trimestre est préoccupante si l’on voit dans l’emploi intérimaire un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, après 4 mois de baisse, le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégories A enregistrés à Pôle emploi a de nouveau bondi de 145 800 personnes entre avril et octobre 2011. Au final, tous les indicateurs vont dans le sens de ce que nous inscrivions dans notre précédente prévision, à savoir une reprise du mouvement de hausse du chômage, au moins jusqu’à la fin 2012 (cf. Tableau). Car à cet horizon au moins, tous les facteurs se conjugueront pour venir alimenter la masse des chômeurs.

En cause en premier lieu, bien sûr, le ralentissement de l’activité économique, qui se traduira nécessairement par de nouvelles destructions d’emplois, dans des entreprises qui demeurent très affaiblies par la récession passée. Si les chiffres du troisième trimestre ont montré une résistance de l’activité (avec une croissance du PIB de 0,4%), les enquêtes actuelles ne prêtent guère à l’optimisme pour les trimestres à venir. Mais au-delà de ce contexte économique morose, la politique économique a joué un rôle majeur dans l’évolution du chômage, comme en atteste l’explosion du chômage des seniors. Car la reprise des destructions d’emplois est d’autant plus douloureuse qu’elle intervient dans un contexte de population active dynamique. Outre la croissance démographique, c’est surtout la suppression des dispositifs de retraits d’activité anticipés des seniors et l’impact de la réforme des retraites entrée en application en juillet 2011 qui sont la cause de la hausse du chômage. Ces réformes impliquent une forte hausse de l’activité des seniors. Elles expliquent en partie la hausse du chômage enregistrée ce trimestre, et viendront encore gonfler la population active de 130 000 personnes en 2011 et 120 000 en 2012. Les seniors en sont les premières victimes : le nombre de demandeurs d’emplois de plus de 50 ans a augmenté de 70 % au cours des 3 dernières années, contre 35 % pour l’ensemble de la population. Après une année de répit, la situation du marché du travail aborde donc une nouvelle phase critique qui se traduira progressivement par une reprise du chômage de longue durée et son lot de conséquences sociales à mesure que les chômeurs perdront leurs droits à indemnisation. Et cet enlisement s’annonce durable dans la mesure où les efforts de consolidation budgétaire s’inscrivent dans le moyen terme et où la hausse de l’activité des seniors perdurera au moins jusqu’en 2017.

Pour faire face à la reprise du chômage, le gouvernement dispose aujourd’hui de deux leviers principaux : l’extension du chômage partiel et la réactivation du traitement social du chômage. L’assouplissement des règles du chômage partiel semble d’ores et déjà sur les rails. Mais cela ne saurait suffire puisque le dispositif concerne le secteur de l’industrie à 90% et profite essentiellement aux emplois stables. Or, ce sont précisément les emplois d’intérimaires et les CDD qui se trouvent aux premières loges de ce retournement conjoncturel. Reste donc la possibilité d’un recours accru aux emplois aidés dans le secteur marchand, pour faire face au risque d’éloignement du marché du travail de certaines catégories de la population. Mais le gouvernement semble pour l’instant écarter cette option. Car si dans la première phase de la crise – entre 2008 et 2010 –, le nombre de contrats aidés dans le secteur non marchand a augmenté d’un peu plus de 80 000, celui de l’année 2011 se situe à ce jour bien en-deçà de l’objectif de stabilité affiché par le gouvernement, et cela devrait perdurer en 2012. Ainsi la politique de l’emploi a plutôt amplifié la hausse du chômage en 2011. En effet, les rallonges budgétaires successives votées dans le courant de l’année 2011 ne devraient pas être maintenues dans un contexte de resserrement de la politique budgétaire, et les destructions de contrats aidés viendraient donc s’ajouter à la baisse de l’emploi marchand. Dans ce contexte, l’expérimentation en 2012 de nouveaux contrats aidés de 7h par semaine – soit 3 fois moins que les contrats actuels – pourrait cependant annoncer la direction qu’est tenté de prendre le gouvernement : des contrats très faiblement rémunérés, dont l’efficacité en matière d’insertion sera probablement extrêmement réduite, mais dont le coût sera divisé par 3. La généralisation de ce type de contrats permettrait donc, à budget constant, de limiter sensiblement la hausse du chômage. Quoi qu’il en soit, l’expérimentation de ce type d’emplois aidés devrait être limitée à 10 000 contrats en 2012 : en l’absence d’annonces du gouvernement, nous tablons à l’heure actuelle sur une baisse du nombre de contrats aidés à cet horizon. Le taux de chômage atteindrait ainsi 10,5 % de la population active fin 2012.