L’expérimentation du revenu universel est-elle possible ?

Par Guillaume Allègre, @g_allegre

Dans une tribune intitulée « Revenu universel, l’impossible expérimentation », je souligne les limites des expérimentations en cours et à venir du revenu universel[1] : échantillons trop petits et non représentatifs, limites inhérentes au tirage au sort (absence des effets d’équilibre sur le marché du travail ; absence d’« effets de pair »[2]). Clément Cayol a répondu à ma tribune sur le site du Mouvement Français pour un Revenu de Base (« M Allègre : les expérimentations de revenu de base sont un chemin possible vers l’instauration »). Il propose d’expérimenter le revenu universel sur des « sites de saturation » (par exemple un bassin d’emploi). L’idée serait de choisir certains bassins d’emploi comme groupe de traitement (par exemple Toulouse et Montbéliard) et d’utiliser des bassins d’emploi qui ont des caractéristiques proches comme groupe de contrôle (Bordeaux et Besançon ?). En comparant les différences de comportement entre les deux groupes (en termes d’emploi, de temps partiel, de salaires…), on pourrait connaitre l’impact du revenu universel. Une telle expérimentation a lieu dans un village kényan.

L’idée d’expérimenter sur un site de saturation peut paraître séduisante et répond à certaines de mes critiques (on peut mesurer les effets d’équilibre sur le marché du travail et les effets de pairs). Elle ne répond pas aux autres critiques : une telle expérimentation est par construction temporaire (or les individus ne réagiront pas de la même façon à une incitation temporaire qu’à une incitation permanente) ; on ne pourra pas expérimenter le côté financement du revenu universel (or le revenu universel coûte cher, il faudra le financer par exemple par un impôt sur le revenu, ce qui aura des effets sur les incitations financières à reprendre un emploi).

Expérimenter sur un site de saturation a ses propres limites : il faut trouver un groupe de contrôle ayant des caractéristiques proches du groupe de traitement, il faut contrôler des migrations (est-ce que je peux bénéficier du revenu universel en déménageant de Montbéliard à Besançon ?). Se pose également et surtout la question juridique[3] et éthique : peut-on donner 500 euros par mois à tous les habitants de Toulouse et Montbéliard et financer cette expérimentation par le contribuable français[4] ? La loi permet aux collectivités territoriales d’expérimenter mais seulement dans l’objectif d’étendre le dispositif expérimenté, or un revenu universel étendu à l’ensemble du territoire français n’est pas d’actualité.

[1] Voir aussi Guillaume Allègre, 2010 : « L’expérimentation du revenu de solidarité active entre objectifs scientifiques et politiques », Revue de l’OFCE, n°113.

[2] L’effet de pair désigne ici le fait qu’un individu arrêtera plus facilement de travailler si ses amis arrêtent également de travailler : mon loisir est complémentaire de celui de mes amis.

[3] Voir : https://www.senat.fr/rap/l02-408/l02-40810.html

[4] On peut difficilement imaginer que l’expérimentation fasse des perdants parmi le groupe de traitement, le financement est donc nécessairement national.




« RUE » : une ambition à financer

par Pierre Madec et Xavier Timbeau

Cette évaluation du Revenu universel d’existence (RUE), proposition phare de Benoît Hamon, met en lumière un impact potentiellement important du dispositif sur le niveau de vie des ménages les plus modestes et sur les inégalités de niveau de vie. S’il était mis en œuvre, le Revenu universel d’existence aurait pour effet de faire de la France l’un des pays les plus égalitaires de l’Union européenne. En contrepartie, le coût « net » du dispositif pourrait s’avérer élevé, de l’ordre de 45 à 50 milliards d’euros. Compte tenu du coût de la mesure, son financement par une réforme de l’impôt sur le revenu pourrait accroître encore la redistribution du système socio-fiscal français mais conduirait à une hausse considérable des taux marginaux supportés par les ménages les plus aisés.

En en faisant l’une des propositions phares de son programme pour la présidentielle, Benoît Hamon a relancé le débat autour du revenu universel. Projet radical et sujet à de nombreuses controverses (voir par exemple Allègre et Sterdyniak, 2017), la quantification d’un tel projet est nécessaire. En partant du projet de Benoît Hamon, significativement modifié ces dernières semaines, nous tentons ici, sous un certain nombre d’hypothèses importantes (individualisation totale ou partielle, dépendance aux autres prestations sociales) un premier travail d’évaluation. L’idée ici n’est pas d’entrer dans le débat de savoir si les modalités d’application retenues sont ou non pertinentes, à l’exemple de l’exclusion des retraités, ou de juger si la proposition dans sa forme actuelle s’est éloignée d’un idéal d’universalité. Le but ici est de s’extraire de ce type de débat et de qualifier et quantifier les effets de la mise en œuvre du RUE tel que proposé par le candidat à la présidentielle.

La dernière version de la première étape du revenu universel d’existence (RUE) peut se résumer ainsi : « le revenu universel correspond à une hausse de revenu net qui commence à 600 euros pour les personnes sans ressources et s’annule ensuite à 1,9 SMIC brut ».

Ainsi posée, la proposition est celle d’une allocation différentielle permettant de ne pas faire apparaître un surcroît d’impôt artificiel chez ceux dont la situation de revenu n’est pas modifiée par le revenu universel.

Pour les couples mariés, le dispositif n’est pas automatiquement individualisé puisqu’il laisse le choix de maintenir ou non une imposition commune. Les couples dont le quotient conjugal est inférieur au montant potentiel de RUE devraient choisir l’individualisation. C’est le cas des couples au sein desquels les ressources et la différence de revenu sont faibles. A contrario, les couples pour lesquels le quotient conjugal procure un avantage plus élevé que le RUE devraient faire le choix de maintenir une imposition commune[1]. Ce sera notamment le cas des couples au sein desquels l’un des individus a des revenus très élevés et l’autre aucun revenu[2].

Pour les ménages les plus modestes le RUE remplace le RSA et la Prime d’activité, et le calcul des prestations sociales (allocations logement et familiales, Allocation adulte handicapé, bourses, …) n’est pas modifié, leurs montants étant inclus dans les ressources servant de référence pour le calcul du revenu universel.

Dans le cadre général, pour l’ensemble des foyers fiscaux dont les ressources sont inférieures à 1,9 SMIC brut, soit 2 800 euros brut par mois, le RUE est égal à la différence entre le montant de base de 600 euros par mois (7 200 euros par an) et 27,4% des ressources brutes du foyer fiscal. Pour les foyers fiscaux non imposables, le RUE est considéré comme un impôt sur le revenu négatif. Pour les foyers imposables ayant des ressources comprises entre 1,5 et 1,9 SMIC brut (3,8 SMIC dans le cas d’un couple marié), le RUE vient diminuer l’impôt dû, augmentant le revenu disponible pour le ménage, ce revenu supplémentaire s’annulant à 1,9 SMIC. Le coût pour les finances publiques de la mesure pour ces ménages correspond donc à la différence entre le montant du RUE et l’impôt sur le revenu actuellement acquitté. Pour les foyers fiscaux dont les ressources brutes sont supérieures à 1,9 SMIC brut (3,8 SMIC pour les couples mariés), le système actuel s’applique et le gain est nul (graphique 1).

Formellement, le montant mensuel de RUE perçu par le foyer fiscal composé d’un seul adulte et ayant des ressources inférieures à 1,9 SMIC brut est assis sur la formule suivante :

RUE = 600 – 0,274 x RB

RB, les ressources brutes, correspondent au revenu imposable brut (RIB), au sens du code des impôts, du foyer fiscal augmenté d’un coefficient 1,33 permettant d’approximer la conversion entre revenu imposable et ressources brutes des charges et cotisations, assiette retenue pour le calcul du RUE. Dans le cas d’un couple marié, le RUE est calculé de la façon suivante, le RUE tel que proposé n’étant alors pas individualisé :

RUE = [600 – 0,274 x RB/2] x 2

Afin de mesurer l’impact redistributif de la mesure, nous avons mobilisé le modèle de micro simulation INES[3] de la DREES et l’INSEE (voir encadré)La dernière version opérationnelle du modèle datant de 2015, les résultats présentés devront être interprétés en écart à la législation de 2015. De fait, des dispositifs tels que la Prime d’activité, mise en place en 2016, ne sont pas ici pris en compte au contraire de la Prime pour l’emploi (PPE).

 

RUE graph 1

Les plus de 18 ans encore rattachés fiscalement au foyer fiscal de leurs parents, éligibles au RUE, devraient, dès janvier 2018, quitter le foyer fiscal de leurs parents afin de pouvoir bénéficier du RUE. Il est à noter que ce cas n’est pas traité dans notre évaluation, compte tenu de la complexité de la prise en compte des transferts entre parents et enfants lorsqu’ils ne sont pas dans le même foyer fiscal. Nous nous concentrerons ainsi sur les ménages pour lesquels la personne de référence était âgée de 18 à 64 ans soit 20 millions de ménages parmi les 28,3 millions de ménages français, les autres, retraités, n’étant pas éligibles au dispositif.

Le RUE a été modélisé comme une ligne supplémentaire dans le calcul de l’impôt sur le revenu, son montant venant se soustraire, sous les conditions d’âge, de ressources et de statut marital explicitées précédemment, à cette dernière.

Sous ces hypothèses, le RUE devrait bénéficier à 11,6 millions de ménages dont la personne de référence est âgée de 18 à 64 ans pour un coût brut de l’ordre de 51 milliards d’euros soit une moyenne de 4 400 euros par an et par ménage bénéficiaire.

Le coût brut n’est pas le coût pour les finances publiques. En effet, la mise en place du RUE engendrerait de facto la disparition du RSA-socle et de la Prime d’activité du système socio-fiscal français. En 2016, ces deux dispositifs ont eu un coût budgétaire proche de 15 milliards d’euros (10 milliards d’euros pour le RSA et 5 milliards pour la Prime d’activité). De plus, les interactions entre le revenu universel et les autres prestations sociales ne sont pas encore tout à fait arrêtées dans la proposition de Benoît Hamon[4]. Si le montant perçu de RUE venait à être pris en compte pour le mode de calcul des autres prestations sociales, les montants versés au titre de celles-ci se réduiraient significativement. Le coût brut du revenu universel resterait inchangé mais des économies pourraient être réalisées sur des prestations sociales. Nous faisons l’hypothèse ici que le montant perçu en prestations sociales par le ménage est pris en compte lors du calcul définitif. Autrement dit, nous soustrayons au montant de RUE perçu par le ménage 27,4% du montant de l’ensemble des prestations sociales en espèces (allocation logement et familiale, bourses, Allocation adulte handicapée, …, soit 32 milliards d’euros par an pour les bénéficiaires potentiels du RUE) qu’il perçoit. Si cette prise en compte des prestations dans le calcul du montant du RUE est rendue complexe par la structure du modèle de microsimulation, il est possible d’estimer la réduction du montant global de RUE versé en prenant en compte l’ensemble des prestations sociales à environ 6 milliards d’euros.

Dans le cas où cette option serait privilégiée – ce que nous supposons faute de plus de précisions – le coût « net » du RUE, exclusion faite des 18-25 ans rattachés fiscalement à leurs parents, serait alors de l’ordre de 30 milliards d’euros, soit un montant proche de celui affiché par le candidat, montant auquel une fois encore il conviendra d’additionner le montant dû aux individus âgés de 18 à 24 ans qui sont aujourd’hui fiscalement rattachés à leurs parents. En 2015, sur les 5,2 millions d’individus de 18 à 24 ans, 1,7 million étaient fiscalement indépendants de leurs parents. En le majorant du coût brut supplémentaire (si tous les 18-24 ans ne sont plus rattachés au foyer fiscal de leurs parents) il serait donc de l’ordre de 25 milliards d’euros auquel il conviendrait de soustraire 27,4 % des bourses (0,115 milliard d’euros par an environ) et aides au logement versées (1,4 milliard d’euros par an) ainsi que l’avantage fiscal dont bénéficient actuellement les parents des dits individus (avantage majoré à 1 500 euros par an et par enfant, au maximum 5,2 milliards si tous les foyers sont au plafond).

Ciblé sur les ménages à bas revenus, le dispositif, non financé par une augmentation de l’imposition des ménages ou une baisse des prestations sociales, impacterait positivement le bas de la distribution des niveaux de vie (graphique 2)[5].

En moyenne, les ménages du premier décile de niveau de vie devraient voir leur niveau de vie augmenter de 257 euros par mois et par unité de consommation (UC), soit une hausse de 38% de leur niveau de vie moyen. Le gain pour les ménages du deuxième décile devrait être quant à lui deux fois inférieur à 137 euros par mois et par unité de consommation, soit une augmentation de 13% de leur niveau de vie moyen.

RUE graphe 2

Compte tenu du fait que le RUE, contrairement à nombre de prestations, soit attribué non pas aux ménages mais aux foyers fiscaux, certains membres (non rattachés fiscalement mais cohabitants comme les couples non mariés non pacsés) de quelques ménages des derniers déciles de la distribution des niveaux de vie devraient percevoir le RUE (et le dernier décile plus que le neuvième par un effet de composition). En d’autres termes, il existe des foyers fiscaux à faible revenu brut au sein de ménages à niveau de vie élevé[6].

Sous ces hypothèses d’application du RUE, le niveau de vie médian serait relevé de 3,6% et le taux de pauvreté, c’est-à-dire la part des ménages français ayant des ressources inférieures à 60% du niveau de médian, c’est-à-dire environ 1 000€/mois/unité de consommation, atteindrait 8,5% contre 13,4% à l’heure actuelle. Le niveau de vie médian des ménages les plus pauvres – c’est-à-dire ceux ayant un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté –  atteindrait 11%. L’intensité de la pauvreté, mesurée comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté, se verrait elle aussi réduite d’un tiers passant de 17% aujourd’hui à 11%.

Enfin, le coefficient de Gini de niveau de vie, indicateur d’inégalité, serait lui diminué de 0,04 à un niveau de 0,26, faisant ainsi passer la France d’une situation médiane en termes de Gini au niveau européen à une situation parmi les moins inégalitaires, le Gini médian européen se situant en 2015 à 0,30 (et le plus bas à 0,25).

Sans les jeunes (18-24 ans) rattachés fiscalement à leurs parents, le coût net du RUE serait de l’ordre de 30 milliards d’euros. En les ajoutant, sous réserve d’une évaluation plus fine, le coût net serait de l’ordre de 49 milliards. Ces montants sont loin des 400 milliards un temps annoncés, mais restent non négligeables[7]. Si l’on finançait le RUE par une réforme de la fiscalité des personnes, cela conduirait à une hausse considérable des taux marginaux touchant les déciles les plus élevés de la distribution des revenus. Pour rappel, l’impôt sur le revenu des personnes physiques est une ressource de 74 milliards annuels. La mobilisation d’une autre base fiscale comme le patrimoine est également possible mais aboutirait à une hausse très significative de cette fiscalité. La taxe foncière et l’ISF apportent aujourd’hui un peu moins de 30 milliards d’euros. Par ailleurs, les effets redistributifs du RUE – conséquents selon notre évaluation –, seraient amplifiés par une hausse des fiscalités déjà progressives.

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Encadré : Le modèle de micro simulation Ines (Sources : INSEE, DREES)

Ines est l’acronyme d’« Insee-Drees », les deux organismes qui développent conjointement le modèle. Le modèle est basé sur les enquêtes Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de l’Insee, qui comprennent plusieurs centaines d’informations sur chaque individu et des données précises et fiables sur les revenus, issues des déclarations fiscales. Il permet de simuler toutes les années législatives récentes sur les millésimes d’ERFS récents.

Ce modèle est utilisé pour réaliser des études à périodicité annuelle, mais il est aussi mobilisé dans le cadre d’études approfondies afin d’éclairer le débat économique et social dans les domaines de la redistribution monétaire, la fiscalité ou la protection sociale. Enfin, il est parfois utilisé comme outil d’appui à la réflexion pour répondre à des sollicitations ponctuelles de divers Hauts conseils, de ministères de tutelle ou d’organismes de contrôle (IGF, Cour des comptes, Igas).

Le modèle Ines simule :

— les prélèvements sociaux et fiscaux directs : les cotisations sociales, la CSG, la CRDS et l’impôt sur le revenu (y. c. la prime pour l’emploi) ;

— les prestations sociales autres que celles correspondant à des revenus de remplacement : les aides personnelles au logement ; les principaux minima sociaux : le revenu de solidarité active (RSA), l’Allocation pour adulte handicapé (AAH) et ses compléments, les allocations du minimum vieillesse et l’Allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) ; les prestations familiales : allocations familiales (AF), complément familial, Allocation de rentrée scolaire (ARS) et les bourses du secondaire, Prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) et ses compléments (complément libre choix d’activité – CLCA – et complément libre choix du mode de garde – CMG), les subventions publiques pour la garde d’enfants en crèches collectives et familiales, l’Allocation de soutien familial (ASF) et l’Allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) ; la Prime d’activité.

Les principales omissions concernent les taxes et aides locales (taxe foncière par exemple) et l’Impôt de solidarité sur la fortune. Les pensions de retraite, les allocations chômage et la taxe d’habitation ne sont pas simulées mais sont présentes dans les données. Les prélèvements indirects n’entrent pas non plus dans le champ d’analyse du modèle Ines stricto sensu. Le modèle simule, sur barèmes, les différentes prestations auxquelles chaque ménage a droit et les impôts et prélèvements qu’il doit acquitter. Ines est adossé à l’enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS) de l’Insee qui réunit les informations sociodémographiques de l’enquête Emploi, les informations administratives de la Cnaf, la Cnav et la CCMSA et le détail des revenus déclarés à l’administration fiscale pour le calcul de l’impôt sur le revenu.

Ines est un modèle dit « statique » : il ne tient pas compte des changements de comportement des ménages, par exemple en matière de natalité ou de participation au marché du travail, que pourraient induire les évolutions des dispositions de la législation socio-fiscale. Depuis 1996, le modèle est mis à jour chaque année durant l’été afin de simuler la législation la plus récente, portant sur la dernière année révolue. Par exemple, à l’été 2016, Ines a été mis à jour pour simuler la législation de l’année 2015. Sur la base de ces mises à jour, les équipes de l’INSEE et de la DREES contribuent annuellement au Portrait social de l’INSEE dans lequel elles analysent le bilan redistributif des mesures de prélèvements et de prestations prises au cours de l’année précédente. La dernière publication s’intitule « Les réformes des prestations et prélèvements intervenues en 2015 opèrent une légère redistribution des 30 % les plus aisés vers le reste de la population » (André, Biotteau, Cazenave, Fontaine, Sicsic, Sireyjol).

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[1] Rappelons que le quotient conjugal donne droit à une réduction d’impôts maximale de 30 000 euros annuel. La suppression du quotient conjugal rapporterait 5,5 milliards d’euros (HCF 2011) mais coûterait l’ensemble des  RUE versés aux conjoints avec un revenu inférieur qui ont choisi l’individualisation.

[2] Nous avons fait le choix de ne pas prendre en compte ces mécanismes d’optimisation fiscale au sein des ménages mais il est entendu que l’évaluation proposée du coût du dispositif est dès lors sous-estimée.

[3] Le code source et la documentation du modèle de micro-simulation INES a été ouvert au public en juin 2016 (https://adullact.net/projects/ines-libre). Nous utilisons la version en libre accès de 2015 depuis le 1er octobre 2016.

[4] En particulier, l’utilisation d’un modèle de micro simulation comme INES permet d’explorer les conséquences des choix d’articulation sur la situation des intéressés, sur la redistribution nette opérée et sur le reste à financer. Un changement dans les règles d’attribution ou de calcul d’une prestation sociale peut avoir des impacts importants sur le coût net et sur les effets redistributifs.

[5] Le dispositif proposé modifie significativement la distribution des niveaux de vie. De fait, certains ménages voient leur appartenance à un décile de niveau de vie, positivement ou négativement. Les déciles sont ici maintenus à leur niveau avant réforme.

[6] A titre d’illustration, l’âge moyen des personnes de référence des ménages du dernier décile de niveau de vie bénéficiaires du RUE est supérieur à 55 ans. On peut ainsi supposer que ces ménages abritent en leur sein des jeunes adultes  indépendants fiscalement et aux ressources faibles.

[7] L’évaluation présentée ici est dite « statique ». Elle ne prend donc pas en considération les possibles modifications de comportement des individus vis-à-vis de l’emploi engendrées par l’entrée en vigueur de la mesure.




Revenu universel : l’état du débat

Par Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak

Dans une situation de maintien d’un niveau élevé de chômage et de pauvreté, d’extension de la précarité du travail, de crainte de disparition des emplois du fait de l’automatisation, le projet de revenu universel s’est installé dans le débat économique et social en France comme dans d’autres pays développés. Il s’agirait de verser à  toute personne résidante dans le pays une allocation mensuelle sans aucune condition de ressources, d’activité, de contrepartie. Dans le cadre de sa mission d’animation et d’éclairage  du débat économique, l’OFCE a organisé, le 13 octobre 2016, une journée d’étude à laquelle ont été conviés des chercheurs qui avaient travaillé sur ce projet, pour le développer, le soutenir ou le critiquer. Un e-book rassemble la plupart des contributions qui ont été présentées et discutées durant cette journée, parfois revues compte-tenu des enseignements de la discussion.

Les débats ont porté sur plusieurs points :

  • Dans quel projet de société les propositions de revenu universel s’inscrivent-elles ? Quelles sont les modalités précises des projets en présence en termes de montant de l’allocation et d’insertion dans les dispositifs actuels de protection sociale ?
  • Le revenu universel est-il finançable ?
  • Quelles en seraient les conséquences financières pour les différentes catégories de ménages, en particulier pour ceux en situation de précarité financière ?
  • Quel serait l’impact sur l’activité, l’emploi, le chômage, les salaires, les conditions de travail, en particulier sur les emplois pénibles, le travail à temps partiel, le travail précaire, les bas-salaires ?
  • Le revenu universel est-il une réponse à la « fin du travail » ? Cette dernière est-elle une hypothèse crédible ?
  • Quels sont les projets alternatifs pour lutter contre la pauvreté et la précarité du travail ?

L’article d’Henri Sterdyniak, « Des minima sociaux au revenu universel ? », présente la situation actuelle des prestations d’assistance, des minimas sociaux et de la Prime d’activité en France. Ceux-ci sont ciblés et relativement généreux, mais le système est compliqué, s’accompagne de  contrôles intrusifs ;  les minima sociaux sont souvent ressentis comme stigmatisants. L’article plaide pour le maintien du caractère familial des impôts et des prestations d’assistance. L’article discute les divers justificatifs des projets de revenu universel et présente leurs modalités. Si on souhaite maintenir les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite) et les prestations universelles (santé), le revenu universel devrait essentiellement être financé par la hausse des prélèvements directs sur les ménages, ce qui le rend peu réalisable. Par ailleurs, il n’est pas socialement souhaitable de renoncer à l’objectif de plein-emploi et d’écarter durablement une partie importante de la population du travail même en lui assurant un revenu à la lisière de la pauvreté. L’article plaide pour un revenu minimum garanti (sous conditions de ressources), à court terme pour la relance économique, pour la création d’emplois publics, pour des emplois de « dernier ressort », à plus long terme pour le partage du travail par la réduction du temps de travail et des cadences de travail.

L’article de Guillaume Allègre, « Le revenu universel : utopique ou pragmatique ?» souligne que deux objectifs sont souvent assignés au revenu universel : d’une part, gérer la fin du travail et, d’autre part, simplifier le système socio-fiscal et supprimer le non-recours. Pour les uns, il devrait être suffisant pour vivre, pour les autres, relativement faible pour ne pas bouleverser le système socio-fiscal. Des doutes subsistent sur la réalité de la raréfaction du travail. De plus, la réduction généralisée du temps de travail semble une stratégie plus soutenable que le revenu universel car elle concerne tous les salariés au lieu de couper la société en deux. Peut-être, faut-il envisager le revenu universel comme une réforme socio-fiscale qui permet surtout de lutter contre le non-recours aux prestations sociales. On passerait d’une prestation d’assistance quérable à une prestation universelle automatique. Se pose alors la question corollaire de l’individualisation du système socio-fiscal. Les pouvoirs publics font face à un arbitrage entre la simplicité et l’automaticité d’une part ou la réponse fine aux besoins d’autre part.

L’article de Gaspard Koenig,  « Revenu d’existence », dénonce le système actuel du RSA, le jugeant paternaliste, injuste et stigmatisant. Il défend une conception libérale du revenu d’existence qui permet à chaque individu d’être responsable et autonome, de définir ses propres besoins. Le revenu universel serait de 500 euros (250 euros pour les enfants), sous forme de crédit d’impôt,  tandis qu’une taxe de 25 % serait le seul impôt sur le revenu. La réforme ne changera pas fondamentalement la répartition des richesses mais libérera les plus pauvres de la hantise de la pauvreté en leur procurant stabilité et sécurité.

 L’article de Guillaume Mathelier, « Un pas vers l’égalité des dotations initiales : vers une  existence bien vécue », assigne à la société l’objectif philosophique et politique de garantir à chaque individu « une existence bien vécue ». L’exigence morale d’ « égalité des dotations initiales » s’inscrit dans trois mesures. La première mesure articule la mise en place d’un revenu d’existence pour couvrir les besoins fondamentaux à partir de 18 ans comprenant d’une part un revenu égalitaire, universel, sans condition ni contrepartie auquel s’ajoute d’autre part un montant équitable qui entend répondre aux besoins locaux et spéciaux des individus bénéficiaires. Sa deuxième mesure envisage qu’un revenu d’existence puisse être capitalisé pendant l’enfance et serait versé à 18 ans sous la forme d’un « capital d’émancipation » dont la contrepartie serait un service civique obligatoire. Enfin, des droits non monétaires (services publics, préservation des ressources vitales naturelles, biens communs), doivent s’y ajouter pour garantir l’objectif philosophique et politique d’une « existence bien vécue ».

Après avoir remis en cause dans leur article, «  Le revenu de base comme revenu primaire », la thèse de la fin du travail, Jean-Marie Monnier et Carlo Vercellone  proposent un réexamen de la notion de travail productif dans le capitalisme cognitif où le travail cognitif, immatériel et collectif tend à se déployer sur l’ensemble des temps sociaux et de vie. Cette mutation rend impossible la mesure de la quote-part que chaque individu apporterait à la production en raison du caractère de plus en plus social et collectif du travail. Aussi le revenu de base serait un revenu primaire directement lié à la production, c’est-à-dire la contrepartie d’activités créatrices de valeur et de richesse, actuellement non reconnues et non payées.

L’article de Jean-Éric Hyafil, «  Mise en place d’un revenu de base : difficultés et solutions » propose un exemple de réforme simple introduisant un revenu universel au niveau de l’actuel RSA pour une personne seule (475 €) en le finançant par une restructuration de l’IR. L’objectif de l’exercice est de partir de cet exemple pour mettre en évidence les enjeux, les difficultés et les éventuelles solutions pour rendre possible une réforme fiscale introduisant un revenu universel. La réflexion concerne la comptabilisation budgétaire d’une telle réforme, ses effets redistributifs, la question de l’avenir des dépenses fiscales sur l’IR (« niches fiscales »), la question de l’individualisation ou de la conjugalisation de l’impôt, la mobilisation d’autres ressources financières que l’IR pour financer le revenu universel, etc.

L’article de Anne Eydoux, « Conditionnalité et inconditionnalité : discussion de deux mythes sur l’emploi et la solidarité », dénonce deux mythes : celui selon lequel le RSA et les allocations chômage décourageraient le travail et celui de la fin de l’emploi salarié qui pourrait être remplacé par un revenu universel. L’article montre que c’est la faiblesse de l’offre d’emploi et les réformes de l’emploi qui expliquent la persistance du chômage et le développement de l’emploi précaire. Le projet de revenu universel revient à distribuer des ressources sans organiser la production nécessaire à les générer. Il oublie la centralité du travail et renonce à l’objectif de plein-emploi. L’article suggère d’autres pistes que le revenu universel, en particulier de réduire la conditionnalité des prestations sociales, mais aussi d’augmenter les salaires des emplois réputés non-qualifiés et de réduire la durée du travail.

Jean-Marie Harribey dans « Le revenu d’existence : un remède ou un piège ? »  dénonce les incohérences du projet de revenu d’existence. Il récuse la thèse de la fin du travail et l’abandon de l’objectif de plein-emploi. Il soutient que le travail socialement validé par le marché ou par une décision politique est la seule source de valeur, contrairement au travail domestique, au bénévolat ou aux activités libres, de sorte que le revenu d’existence serait obligatoirement un revenu de transfert. Mais distribuer plus de revenus nécessite obligatoirement de produire plus, ce qui est contradictoire avec la thèse selon laquelle le revenu universel permettrait d’échapper à la nécessité du travail.  L’article dénonce les risques du projet : la fracture entre ceux qui auraient un emploi et les exclus, la mise en cause des droits sociaux. Il propose la réduction collective du temps de travail et une allocation garantie pour les adultes.

L’article de Denis Clerc, « Le revenu d’existence : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? », présente une analyse critique des propositions de revenu universel. Il lui reproche de nécessiter beaucoup de transferts bruts pour des faibles effets redistributifs. On pourrait parvenir au même résultat de façon beaucoup plus simple en augmentant les revenus des plus pauvres (par l’aide sociale ou la création d’emplois socialement utiles financés en partie par la collectivité) tout en taxant davantage les plus riches. Il craint que la hausse de la fiscalité sur les plus riches se heurte à des obstacles politiques et économiques. Il souhaite que des expérimentations soient mises en place et que des décisions ne soient pas prises avant que leurs résultats ne soient connus.

Paul Ariès  dans « Pour un revenu universel démonétarisé : défendre et étendre la sphère de la gratuité » propose une dotation individuelle d’autonomie (DIA) qui serait donnée au maximum sous une forme démonétarisée : une partie en monnaie nationale, une partie en monnaie régionale si possible fondante pour faciliter la relocalisation des activités vers des activités à forte valeur ajoutée sociale et écologique et la partie essentielle sous forme de droit d’accès à des biens communs. L’objectif est d’étendre la sphère de la gratuité. Cette gratuité serait utilisée pour démocratiser le fonctionnement des services publics, pour repenser écologiquement et socialement les produits et services existants, pour décider ce qui doit être gratuit et donc produit en priorité, pour mettre en place des communs, des relations de dons réciproques.

Le texte de Bernard Friot, « Continuer d’affirmer une production non capitaliste de valeur grâce au statut politique du producteur », récuse tant le projet de revenu de base (qui permettrait au capital de ne plus assumer les responsabilités d’employeurs, d’organiser la baisse des salaires et l’insécurité de l’emploi) que la réponse keynésienne de plein emploi, de baisse de la durée du travail et de fiscalité redistributive. Les travailleurs ne doivent pas se battre pour une meilleure répartition de la valeur, mais sur la production d’une valeur alternative. Ils doivent remplacer les institutions capitalistes (propriété lucrative, crédit, marché du travail) par des institutions inspirées de la Sécurité sociale et de la fonction publique : la production non capitaliste, la qualification personnelle, le salaire à vie, le financement de l’investissement par une cotisation économique.

L’article de Mathieu Grégoire, « Le régime des intermittents : un modèle salarial pour l’ensemble de l’emploi discontinu ? » part de l’expérience de la mise en place puis du maintien du régime des intermittents du spectacle. Celui-ci organise la socialisation du salaire dans le cadre des mécanismes de solidarité interprofessionnelle et non par une subvention publique  financé par le contribuable. Aussi, la lutte pour un revenu inconditionnel doit passer par l’extension du rapport salarial et l’exigence d’un salaire pour tous et non par des mécanismes redistributifs. En s’appuyant sur le régime des intermittents, il convient de fournir à l’ensemble des salariés en emploi discontinu, un droit à un salaire indirect socialisé.

En tout état de cause, le débat sur le revenu universel n’aura pas été inutile s‘il permet de faire progresser la réflexion sur deux points importants : le niveau et les conditions d’accès aux minima sociaux, ainsi que l’évolution du travail.

Pour en savoir plus : Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak (coord.), 2017 : “Revenu universel : l’état du débat”, OFCE ebook