Italie : le défi de Mario Monti

par Céline Antonin

Dès son arrivée au pouvoir, le 12 novembre 2011, l’objectif de Mario Monti était explicite et s’articulait autour du triptyque : rigueur budgétaire, croissance et équité. Réussira-t-il à relever le défi ?

Mario Monti a succédé à Silvio Berlusconi alors que la défiance des investisseurs vis-à-vis de l’Italie ne cessait de croître, comme en attestaient le creusement de l’écart de taux obligataire avec l’Allemagne et la forte augmentation des prix des CDS.

 


Pour remplir son premier objectif de rigueur budgétaire, l’une des premières mesures du gouvernement a été l’adoption d’un plan d’austérité en décembre 2011, chiffré à 63 milliards d’euros sur 3 ans. Ce plan, le troisième de l’année, portant le nom évocateur de Salva Italia (Sauver l’Italie), a pour but de revenir à un quasi-équilibre des finances publiques dès 2013 (voir « Italie : le pari de Mario Monti »).

Quant au deuxième objectif, celui de restaurer la croissance et de renforcer la compétitivité du pays, il apparaît dans le plan « Croissance de l’Italie » (Cresci Italia) adopté par le Conseil des ministres le 20 janvier 2012 dans des conditions houleuses. Outre une simplification des procédures administratives (procédures d’appels d’offre, création d’entreprises, passage au numérique, …) et des libéralisations dans les professions réglementées, l’énergie, les transports, et les assurances, ce plan prévoit des réformes complémentaires, concernant notamment la flexibilité du marché du travail. Autant les mesures de rigueur ont été adoptées facilement, autant ce deuxième plan a été assez mal accueilli, notamment les discussions autour des modifications de l’article 18 du Code du travail qui confère aux employés et aux ouvriers dans les entreprises de plus de quinze salariés une protection contre les licenciements.

Enfin, sur le plan de l’équité, les progrès sont encore timides, notamment en matière de lutte contre l’évasion fiscale et contre l’économie souterraine.

La population sait que les mesures seront douloureuses : le quotidien économique Il Sole 24 Ore a ainsi annoncé que l’augmentation annuelle des impôts pour une famille moyenne vivant en Lombardie atteindrait 1 500 euros par an, et presque 2 000 euros pour une famille du Latium. Pourtant la population italienne a jusqu’à présent fait montre d’un grand sens de l’intérêt national, acceptant avec résignation la cure d’assainissement budgétaire. Quant aux marchés financiers, ils ont dans un premier temps relâché la pression sur le pays, l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne passant de 530 à 280 points de base entre début janvier et mi-mars 2012. L’action de Mario Monti n’est pas la seule explication : grâce au rachat de titres obligataires fin 2011 et aux deux opérations de refinancement du système bancaire à 3 ans (LTRO) pour un montant total de 1 000 milliards d’euros, dont ont largement profité les banques italiennes, la BCE a activement participé à cette détente des taux. En outre, la réussite du plan d’échange de la dette grecque avec les créanciers privés a également contribué à détendre les taux.

La situation n’en demeure pas moins fragile et volatile : il a suffi que l’Espagne montre des signes de faiblesse budgétaire pour que l’Italie pâtisse de la méfiance, que l’écart de taux publics à long terme avec l’Allemagne se creuse à nouveau, atteignant 400 points de base début mai 2012 et que les primes sur CDS se remettent à progresser (graphique).

Quelles sont donc les perspectives pour les deux années à venir ? Après une récession entamée en 2011, avec deux trimestres de croissance négative, l’Italie devrait connaître une année 2012 difficile, avec une forte contraction du PIB de 1,7 %, conséquence des trois plans de rigueur votés en 2011. Cet effet se poursuivrait en 2013, avec une nouvelle contraction du PIB de -0,9 %[1]. En l’absence de mesure de rigueur supplémentaire, elle réduirait son déficit, mais moins qu’escompté en raison de l’effet multiplicateur : le déficit atteindrait 2,8 % du PIB en 2012, et 1,7 % en 2013, soit un rythme de réduction des déficits inférieur à son engagement qui prévoit de revenir à l’équilibre en 2013.


[1] Le FMI donne une prévision plus pessimiste pour 2012, avec -1,9 % de croissance en 2012 et plus optimiste pour 2013, avec -0,3 %.




Qui sème la restriction récolte la récession

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de X. Timbeau

Ce texte résume la note de l’OFCE n°16 donnant les perspectives de l’économie mondiale 2012-2013.

Le paroxysme de la crise des dettes souveraines est passé. La dette publique grecque est restructurée et diminuera, au prix d’un défaut, de 160 à 120 % du PIB. Cette restructuration autorise le déblocage du soutien financier de la troïka à la Grèce et résout pour l’instant le problème de financement du renouvellement de la dette publique grecque. La contagion qui avait frappé la plupart des pays de la zone euro, et qui s’était traduite par une hausse des taux souverains, est interrompue. La détente est sensible par rapport au début de l’année 2012 et le risque d’un éclatement de la zone euro est largement réduit, du moins dans le court terme. Pour autant le processus de transformation de la Grande Récession, amorcée en 2008, en très Grande Récession n’est pas interrompu par le soulagement temporaire apporté à la crise grecque.

D’une part, l’économie mondiale, et singulièrement la zone euro, restent dans une zone de risque où, à nouveau, une crise systémique menace et d’autre part, la stratégie choisie par l’Europe, à savoir la réduction rapide de la dette publique (qui suppose la réduction des déficits publics et leur maintien en deçà des déficits qui stabilisent la dette) compromet l’objectif annoncé. Or, puisque la crédibilité de cette stratégie est perçue, à tort ou à raison comme une étape indispensable en zone euro pour rassurer les marchés financiers et permettre le financement à un taux acceptable de la dette publique (entre 10 et 20 % de cette dette étant refinancés chaque année), la difficulté à atteindre l’objectif oblige à une rigueur toujours plus grande. La zone euro apparaît comme courant après une stratégie dont elle ne maîtrise pas les leviers, ce qui ne peut qu’alimenter la spéculation et l’incertitude.

Nos prévisions pour la zone euro concluent à une récession de 0,4 point en 2012 et une croissance de 0,3 point en 2013 (tableau 1). Le PIB par tête baisserait en 2012 pour la zone euro et serait stable en 2013. Le Royaume Uni échapperait à la récession en 2012, mais la croissance du PIB resterait en 2012 et en 2013 en deçà de 1% par an. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB accélèrerait à 2,3% par an en 2012 après une année 2011 à 1,7%. Bien qu’il soit supérieur à celui de la zone euro, ce taux de croissance peine à enclencher une hausse du PIB par tête et ne permet pas une décrue significative du chômage.

L’épicentre de la crise se déplace ainsi vers le Vieux continent et compromet la sortie de crise pour les pays développés. Confrontés plus encore que la zone euro à une situation budgétaire dégradée et donc à l’alourdissement de la dette, les Etats-Unis et le Royaume-Uni redoutent l’insoutenabilité de leur dette publique. Mais parce que la croissance compte tout autant pour assurer la stabilité de la dette, la restriction budgétaire en zone euro qui pèse sur leur activité ne fait qu’accroître leurs difficultés.

En privilégiant la réduction rapide des déficits et de la dette publique, les responsables politiques de la zone euro révèlent qu’ils croient que le futur sera celui du pire scénario. S’en remettre à la soi-disant discipline des marchés pour rappeler à l’ordre les pays dont les finances publiques sont dégradées ne fait qu’aggraver, par le renchérissement des taux d’intérêts, le problème de soutenabilité. Par le jeu du multiplicateur, toujours sous-estimé dans l’élaboration des stratégies ou des prévisions, les politiques d’ajustement budgétaire entraînent une réduction d’activité qui valide la croyance résignée dans un “new normal” dégradé. In fine, elle ne fait que s’auto-réaliser.




France 2012 : une austérité à 33 milliards d’euros ?

par Mathieu Plane

Le plan de rigueur français annoncé pour 2012, tel qu’il apparaît pour partie de façon implicite à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le projet de loi de finances, est de 33 milliards d’euros, soit 1,6 point de PIB. Il devrait amputer d’autant la croissance française.

Après avoir révisé sa prévision de croissance de 1,75 % en 2012, hypothèse retenue dans le PLF 2012, à 1% désormais, le gouvernement n’avait d’autre choix que de renforcer sa politique d’austérité s’il voulait garder le cap sur un déficit public à 4,5 % du PIB pour 2012. Pour compenser la révision de croissance générant environ 7 milliards d’euros de manque à gagner fiscal pour 2012, le gouvernement a annoncé un nouveau plan de rigueur de 7 milliards d’euros pour 2012, avec une montée en charge à 17,4 milliards en 2017.

Cette démarche suppose que ce nouveau plan de rigueur n’affectera pas la croissance, le 1 % prévu n’étant pas révisé à la baisse en raison du durcissement de l’austérité. Cette hypothèse d’un multiplicateur budgétaire à 0 est loin des évaluations empiriques actuelles (voir le billet d’Eric Heyer sur  blog OFCE et celui de Xavier Timbeau). Avec un multiplicateur budgétaire à 1 à court terme, les mesures d’austérité annoncées devraient se traduire par une réduction du PIB de 0,35 %, ramenant ainsi la croissance prévue à 0,7 %. En raison de cette moindre activité, le déficit public ne se réduirait que de 0,17 % du PIB. Donc pour réduire le déficit public ex post de 0,35 % du PIB, comme l’envisage le gouvernement, il faudrait réaliser 14 milliards d’euros de rigueur, ce qui, par le jeu du multiplicateur budgétaire, ramènerait la croissance à 0,3 % pour 2012.

Par ailleurs, au regard des différents éléments fournis par le gouvernement pour 2012 (taux de croissance du PIB potentiel et du PIB effectif, charges d’intérêts, déficit public,  …), il faudrait que le déficit public structurel primaire de la France diminue de 33 milliards d’euros en 2012 (1,6 point de PIB) afin de compenser la hausse des charges d’intérêt (4 milliards) et le creusement du déficit conjoncturel (7 milliards) (tableau).

 

 

Or, pour 2012, le PLF prévoit des mesures d’économies pour 10,4 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter 2 milliards d’euros décidés dans le cadre du PLF 2011. Si l’on ajoute les 7 milliards d’euros annoncés le 7 novembre, le plan de restriction budgétaire atteint 19,4 milliards d’euros pour 2012. Sur ces 19,4 milliards d’euros d’effort structurel, 16,7 sont des mesures portant sur des recettes nouvelles (notamment la réduction des niches fiscales qui représente environ 9 milliards) et 2,7 sur des dépenses moindres (dont 1,5 sont réalisées sur les dépenses de l’Etat). Pour atteindre 33 milliards d’économies, il faut donc comptablement 14 milliards d’euros de mesures structurelles supplémentaires. Celles-ci sont en partie contenues dans le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (0,5 milliard), les économies sur les dépenses de santé dans le PLFSS 2012 (2,2 milliards) et la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (environ 4 milliards). Plus généralement, celles-ci sont comprises dans l’objectif drastique de tassement de la croissance de la dépense publique primaire contenu dans le PLF pour 2012. En revanche, l’incertitude est grande quant à la décomposition précise de ces 14 milliards d’économies structurelles du côté de la dépense et la possibilité de les réaliser. Au final, le plan de rigueur annoncé pour 2012, qui cumule l’ensemble des mesures d’économies annoncées ou affichées implicitement à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le PLF, est bien de 33 milliards d’euros et se répartit de façon égale entre dépenses publiques et prélèvements obligatoires.

L’ensemble des mesures de restriction annoncées en France pour 2012 diminuerait l’activité de 1,6[1] point de PIB. Les mesures d’austérité de nos partenaires commerciaux amputeraient la croissance française de 0,8 point via le canal des exportations en raison de la moindre demande adressée. Avec un PIB diminué au total de 2,4 points de PIB en raison des plans de restriction budgétaire, une croissance prévue à 1 % par le gouvernement en 2012 suppose implicitement que la croissance spontanée de l’économie française soit très dynamique (3,4 %).


[1] Calcul réalisé en prenant un multiplicateur budgétaire interne de 1 à court terme.

 




La course perdue au AAA : analyse détaillée du plan d’austérité français du 7 novembre 2011

par Mathieu Plane

Ce plan d’austérité est très différent des deux plans d’économies précédents (loi de finances 2011 et PLF 2012) à la fois dans son « timing » et dans son équilibre entre dépenses et recettes, donc dans la répartition de l’effort au sein des ménages.

Premièrement, contrairement aux précédents plans d’ajustements budgétaires dont la plupart des effets sont concentrés sur une année, celui-ci doit monter en charge : les économies réalisées en 2017 devant représenter 2,5 fois plus que celles attendues pour 2012 (tableau 1).

Deuxièmement, à terme, les économies devraient être reparties également entre dépenses et recettes alors que les mesures découlant des plans antérieurs étaient principalement réalisées par le levier de la fiscalité, notamment celui de la réduction des niches fiscales.

Enfin, si ce plan présente l’avantage d’être modeste par son montant à court terme, ce qui par conséquent limite son impact sur la croissance (0,3 point de PIB) (voir le post associé), en revanche, il reporte une grande partie de l’effort budgétaire sur les prochaines années à travers la montée en charge des économies à réaliser du côté de la dépense publique, ces dernières devant être discutées à travers les futurs projets de loi de finances (2013 à 2017).

Rentrons dans le détail des mesures du nouveau plan d’austérité. Pour 2012, les économies budgétaires devraient représenter 7 milliards d’euros et seraient assumées à 85 % par les ménages.  Les 15 % du plan étant à la charge des entreprises correspondent à une majoration exceptionnelle de l’IS pour les grandes entreprises jusqu’en 2013. A partir de 2014, l’ensemble du plan portera intégralement sur les ménages.

Les réductions de déficit prévues proviennent pour 1,7 milliard d’euros de la dépense publique et 5,3 des nouvelles recettes fiscales. Il est prévu que ce plan monte progressivement en charge pour générer à terme (2017) une économie de 17,4 milliards d’euros, avec une répartition égale entre dépenses et recettes (tableau 1).

 

Du côté des dépenses, deux mesures, qui représentent à terme, 40 % des économies du plan de rigueur, passent à la fois par une nouvelle contraction des dépenses de l’Etat (0,5 milliard en 2012) et par une nouvelle réduction du rythme de croissance des dépenses de santé (0,7 milliard en 2012 dont 0,2 lié à un effort d’économie supplémentaire sur les dépenses de gestion des caisses de Sécurité sociale et des fonds de la protection sociale). Au final, selon le gouvernement, si on prend en compte également les mesures adoptées dans la cadre du PLF pour 2012, les dépenses de l’Etat devraient baisser de 1,5 milliard d’euros (hors pensions de retraite et charges d’intérêts) en 2012 et la croissance de l’ONDAM (Objectif national d’ assurance maladie) ne serait que de 2,5 % en valeur. Cela suppose deux impératifs. D’une part, que le gouvernement accélère la réforme de l’Etat. En effet, le PLF 2012 était basé sur un objectif « 0 valeur » des dépenses de l’Etat,  grâce notamment au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, au gel d’indice fonction publique et à la diminution des interventions discrétionnaires, auxquels il faut désormais rajouter 0,5 milliard d’économies supplémentaires (notamment par l’instauration d’une journée de carence pour les fonctionnaires lors d’un arrêt maladie et le rabotage des dépenses d’intervention…). De plus, la montée en charge de ce plan jusqu’en 2017 suppose que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux soit au moins maintenu, voire accéléré jusqu’en 2017, que le gel de l’indice fonction publique va se poursuivre et que des économies supplémentaires seront trouvées. D’autre part, selon le PLFSS 2012, les dépenses de l’ONDAM augmenteraient spontanément (hors mesures d’économies) de 4,1 % en valeur.  Un ONDAM à 2,5 % en valeur suppose de réaliser 2,7 milliards d’économies sur les dépenses de santé (2,2 milliards décidées dans le cadre du PLFSS 2012 auxquelles s’ajoutent 0,5 milliard du plan d’austérité). Ce plan oblige donc le gouvernement à aller au-delà de ce que prévoyait le PLFSS 2012 dont les économies prévues étaient ciblées sur une baisse des prix des médicaments et une hausse des déremboursements ainsi que la mise en réserve de crédits pour environ 0,5 milliard. De plus, la montée en charge du plan d’austérité nécessite de maintenir l’ONDAM à 2,5 % en valeur sur la période 2012-2017, ce qui, compte tenu des effets du vieillissement, impose non pas de pérenniser la réforme actuelle mais de réaliser environ 3 milliards d’euros de nouvelles économies chaque année sur les dépenses de santé. Une partie de ces économies se reportera inévitablement sur le prix des mutuelles.

L’accélération de la réforme des retraites a surtout des effets à moyen terme : elle devrait permettre d’économiser 0,1 milliard en 2012 et 1,3 milliard en 2017.  L’âge d’ouverture des droits devait être repoussé progressivement de 60 ans en 2010 à 62 ans en 2018. Dans le plan d’austérité, la transition serait accélérée de façon à atteindre 62 ans en 2017. Dans une période de sous-emploi, cette mesure, en gonflant la population active des seniors, risque de voir une grande partie du gain budgétaire sur les dépenses de retraite rogné par un supplément lié aux dépenses d’allocations chômage.

Enfin, dans le cadre du plan d’austérité, la non-indexation sur l’inflation des prestations familiales et des aides au logement devrait générer une économie de 0,4 milliard en 2012 (0,5 en 2013). C’est la première fois que des mesures d’économies sur les prestations sociales sont prises depuis le début de la crise. Cette mesure concerne environ 6 millions de bénéficiaires d’aides au logement et 7 millions au titre des allocations familiales et des prestations d’accueil du jeune enfant (PAJE). C’est la première fois depuis le plan Juppé de 1996 que le pouvoir d’achat de ces prestations diminue. Comme une part importante de ces prestations est sous conditions de ressources, cette mesure va amputer le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Rappelons qu’au cours des dix dernières années, les loyers ont augmenté plus vite que l’inflation, précarisant les ménages dépendant des aides au logement pour payer leur loyer. Cette nouvelle mesure ne devrait que renforcer ce phénomène.

Du coté des recettes, le plan d’austérité prévoit une hausse des prélèvements de 5,3 milliards d’euros. La principale mesure est la désindexation en 2012 et 2013 du barème de l’IRPP qui devrait rapporter 1,6 milliard d’euros en 2012 et 3,2 milliards en 2013. La désindexation du barème de l’ISF et des droits de donation et succession rapporterait environ 0,1 milliard d’euros en 2012 et 0,2  en 2013. Cette hausse « masquée » de l’IRPP permet au gouvernement d’augmenter l’assiette fiscale sans augmenter les taux des différentes tranches de l’IRPP. Cette décision tranche avec les mesures fiscales décidées depuis 2000 visant à alléger le poids de cet impôt. Quant à l’ISF, la non revalorisation des tranches entraînerait un gain d’environ 40 millions en 2012 et 80 millions en 2013, ce qui compense à hauteur de 5 % la réforme récente de cet impôt dont le rendement baisserait de 1,7 milliards d’euros. Le gouvernement  prolonge la réduction des dépenses fiscales à hauteur de 1 milliard d’euros en 2013, pour atteindre 2,6 milliards en 2017. Ces mesures sont principalement concentrées dans l’immobilier, avec la réforme du nouveau prêt à taux zéro (PTZ plus) et la suppression des aides à l’investissement locatif qui devraient disparaître en janvier 2013.

Une autre mesure du plan d’austérité concerne la hausse du taux de TVA réduit de 5,5 % à 7 % pour un certain nombre de produits et services (hôtellerie, restauration hors cantines scolaires, travaux de rénovation dans les locaux d’habitation, titres de transports en commun, produits culturels et produits à usage agricole). Cette mesure devrait rapporter 1,8 milliards d’euros en 2012. A l’exception des services de transport, la part de la consommation de ces produits dans le revenu augmente avec le niveau de vie (graphique 1).  En effet, hors services de transports, la part de ces produits dans le revenu des ménages représente 7,5 % du Revenu disponible brut (RDB) du 1er décile contre 16,5 % du RDB pour le dernier décile. En revanche, la part des services de transport représente 2,8 % du RDB du premier décile contre 1,6 % du RDB du dernier décile (il représente seulement 1,2 % du RDB du 8e décile et augmente pour les deux derniers déciles en raison de la hausse de la propension marginale à consommer du transport aérien). Cela pose donc la question de savoir si les services de transport doivent être concernés par la hausse de taux de TVA réduit en raison de son effet anti-redistributif mais aussi pour les avantages écologiques qu’ils procurent.

 

 

Ce plan prévoyait une augmentation du taux de prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % à 24 % sur les dividendes et intérêts, ce qui devrait permettre une hausse des recettes fiscales de 0,6 milliard en 2012. Mais finalement, dans le cadre de la loi de finances rectificative, le gouvernement est revenu sur sa décision portant le taux sur les dividendes à 21 % (contre 24 % prévu initialement). Dans tous les cas, ces deux mesures concernent les contribuables assujettis aux deux dernières tranches  de l’IRPP (30 % et 41 %), qui se situent donc en haut de l’échelle des revenus. Cela permet de rapprocher la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail. En revanche, les plus-values immobilières et mobilières restent taxées à 19 %, ce qui va créer une distorsion fiscale entre les gains en capital et les revenus du capital, les investisseurs étant incités à encaisser des plus-values plutôt que de recevoir un revenu équivalent sous forme de dividendes ou d’intérêts.

Enfin, la seule mesure fiscale du plan d’austérité qui concerne directement les entreprises est la surtaxe temporaire de 5 % sur les bénéfices des sociétés des entreprises dépassant 250 millions de chiffre d’affaires en 2012 et 2013. Cette mesure doit rapporter 1,1 milliard d’euros en 2012 et 2013 aux caisses de l’Etat et concernerait environ 2000 groupes. Or, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les grands groupes (de plus de 2000 salariés) ont un taux implicite de seulement 13 %. La mesure est donc justifiée mais cette surtaxe devrait s’accompagner d’une réforme de l’optimisation fiscale afin d’éviter que la hausse de la taxe ne porte que sur les entreprises qui délocalisent le moins leurs profits par le jeu des prix de transferts.

Désormais, le gouvernement est confronté à des choix budgétaires cornéliens : soit il décide d’aller beaucoup plus loin dans la rigueur de façon à respecter ses engagements budgétaires (pour atteindre 4,5 % du PIB de déficit public en 2012, le gouvernement doit faire encore un effort supplémentaire de rigueur proche de 30 milliards d’euros, ce qui porterait l’austérité budgétaire totale à 63 milliards d’euros pour 2012), ce qui conduirait à plonger automatiquement le pays dans une profonde récession. Soit il renonce à de nouveaux plans d’austérité pour éviter que le pays ne s’enfonce dans la récession mais, dans ce cas, il s’expose à la foudre des marchés financiers.  Dans tous les cas, ces deux stratégies ne garantissent pas de conserver le AAA sur notre dette publique. La raison économique invite donc à choisir  la  politique qui est la mieux adaptée à la situation économique actuelle, c’est-à-dire celle qui consiste à ne pas renforcer la rigueur quand l’économie risque d’entrer en récession. Par ailleurs, seule une remise en cause au niveau européen de la stratégie budgétaire actuelle, de façon à rendre soutenable économiquement et socialement le rééquilibrage des finances publiques à moyen terme, permettrait d’amorcer une perspective de sortie de crise.  Cette stratégie qui vise à renouer avec la croissance est envisageable uniquement si la BCE annonce clairement qu’elle joue le rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro de façon à éviter la spéculation sur les dettes souveraines et stopper le risque de contagion.

 

 




Des politiques budgétaires restrictives à contretemps

par Sabine Le Bayon

La réduction des déficits publics doit-elle être aujourd’hui la priorité des gouvernements ?

La contrainte que font peser le Pacte de stabilité et surtout les marchés financiers sur les pays européens ne leur a guère laissé le choix. Or, si la question de la soutenabilité de la dette publique ne peut être éludée, il faut aussi tenir compte de l’impact récessif des politiques d’austérité sur l’activité, particulièrement en période de reprise. Une large majorité d’études concluent en effet à un multiplicateur positif, c’est-à-dire qu’un point de restriction (expansion) budgétaire  se traduit par une baisse (hausse) de l’activité. De plus, des études ont mis en avant l’importance du timing d’une politique budgétaire pour maximiser son efficacité : son impact sur la croissance et sur le solde public (via sa composante conjoncturelle) dépend en effet de l’accompagnement ou non de la politique monétaire, de la politique budgétaire menée dans les autres pays, de la phase du cycle conjoncturel, …

Une consolidation budgétaire a par exemple moins d’impact sur l’activité quand elle s’accompagne d’une détente de la politique monétaire et d’une dépréciation de la monnaie. Mais quand les taux d’intérêt sont déjà proches de zéro (ou dans le cas d’une trappe à liquidité), l’impact de la restriction budgétaire n’est pas amorti par la baisse des taux directeurs. Comme la Banque centrale ne peut pas contrer la désinflation, les taux d’intérêt réels augmentent, ce qui amplifie la chute de l’activité. Par ailleurs, quand la rigueur est généralisée, le taux de change ne peut pas être un mécanisme de soutien à l’activité pour toutes les zones. Ceci est vrai aussi quand une politique restrictive est menée au sein d’une union monétaire où les pays commercent essentiellement entre eux. Ainsi, selon le FMI, l’impact sur la croissance d’une restriction budgétaire de 1 point de PIB varie entre 0,5 et 2 % selon la synchronisation ou non de l’austérité et la réponse de la politique monétaire (tableau 1). In fine, cet impact sur la croissance se répercute sur la situation des finances publiques. Quand la politique monétaire peut contrecarrer les effets récessifs de la politique budgétaire, une restriction isolée de 1 point de PIB réduit l’activité de 0,5 % après deux ans. La dégradation du solde conjoncturel atteint alors 0,25 point de PIB et le solde s’améliore in fine de 0,75 point. Quand les taux d’intérêt sont proches de zéro, un point d’impulsion budgétaire négative dans un pays réduit la croissance d’un point et dégrade le solde conjoncturel de 0,5 point, induisant une amélioration du solde de 0,5 point de PIB seulement. Enfin, quand on cumule trappe à liquidité (ou taux nuls) et restriction généralisée, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB réduit la croissance de 2 points, car ni la politique monétaire ni le taux de change ne peuvent atténuer l’impact de la rigueur. Ceci creuse le solde conjoncturel d’un point et il n’y a donc pas d’amélioration du solde public malgré un effort structurel d’un point.

 

Par ailleurs, la position de l’économie dans le cycle économique influe sur les multiplicateurs. Ainsi, ces derniers sont amplifiés en bas de cycle : une politique de rigueur accentue les tendances déflationnistes à l’œuvre, ce qui amplifie la baisse de la demande et donc l’impact sur l’activité. En revanche, en haut de cycle, les effets désinflationnistes de l’austérité contrecarrent la tendance inflationniste usuelle à cette phase, ce qui réduit le multiplicateur. Selon Creel, Heyer et Plane, à l’horizon d’un an, et selon les instruments de politique économique utilisés, le multiplicateur est compris entre 1 et 1,3 point quand l’économie est en bas de cycle (on suppose un écart de production de -2%); il est compris entre 0,8 et 1,2 point en milieu de cycle (l’écart de production nul) et en haut de cycle (pour un écart de production de 2 %). A 5 ans, l’effet est plus fort encore : entre 1 et 1,6 point en bas de cycle, entre 0,6 et 1,3 en milieu de cycle et entre 0 et 1,2 en haut de cycle. Ainsi, lorsque l’écart de production est négatif, les politiques de consolidation budgétaire sont peu efficaces, car elles entraînent une baisse du PIB importante par rapport au scénario sans restriction, ce qui limite les gains budgétaires attendus de l’austérité.

Aujourd’hui tous les éléments sont réunis pour que les politiques de rigueur entraînent un ralentissement important de la croissance et que le déficit se résorbe peu, en particulier dans la zone euro. C’est pourquoi nous avons cherché à évaluer l’impact indirect, pour la France et les grands pays développés, de l’austérité mise en place chez leurs partenaires commerciaux, en plus de l’effet direct lié aux plans nationaux. L’impact d’une restriction budgétaire (dans un pays A) sur la demande adressée de ses partenaires (B) dépend de l’élasticité des importations au PIB du pays A mais aussi du degré d’ouverture et de l’orientation géographique des exportations des pays B. Dans le cas de la France, pour un multiplicateur national de 0,5, le multiplicateur total est de 0,7, une fois la restriction des partenaires prise en compte via le commerce extérieur ; pour un multiplicateur national de 1, le multiplicateur total est de 1,5.

En nous appuyant sur les impulsions budgétaires prévues dans les différents pays, nous obtenons un impact des plans étrangers sur l’activité nationale compris entre -0,1 et -0,7 point en 2012 selon le degré d’ouverture des pays et l’orientation de leur commerce (tableau 2). Pour la France, la restriction de ses partenaires commerciaux amputera la croissance de 0,7 point en 2012, soit presque autant que le plan d’économies mis en place par le gouvernement (1 point). En Allemagne, l’impact des plans de restriction étrangers sur le PIB est proche de celui calculé pour la France : même si le pays est plus ouvert, il commerce moins que la France avec le reste de la zone euro, et bénéficie davantage par exemple du plan de relance des Etats-Unis en 2012. Dans les autres pays de la zone euro, les mesures de restrictions étrangères auront un impact du même ordre (0,6 point). Aux États-Unis, les effets du plan de relance seront affaiblis du fait de l’austérité menée ailleurs : alors que l’effet direct de la relance sur le PIB sera de 0,7 point, la demande adressée amputera la croissance de 0,2 point, limitant l’impact expansionniste de la politique budgétaire. Le ralentissement plus fort qu’attendu de la croissance risque de rendre caducs les objectifs de réduction du déficit public. Avec nos hypothèses de multiplicateurs nationaux compris entre 0,6 et 0,9, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB dans l’ensemble des pays de l’Union européenne ne réduit en effet le déficit que de 0,4 à 0,6 point de PIB dans chacun des pays, une fois la restriction des partenaires commerciaux prise en compte.

Ce texte fait référence à l’étude sur la politique budgétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.