Fiscalité des ménages et des entreprises : à la recherche d’un consensus

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

De 2010 à 2013, les prélèvements obligatoires en France ont augmenté de 60 milliards d’euros (soit de 3 % du PIB). La France se place au deuxième rang mondial pour le taux de prélèvements obligatoires. Un consensus semble exister pour estimer que la fiscalité française est non seulement lourde mais aussi injuste, compliquée et opaque. À la suite des mouvements de protestation liés à la mise en place de l’écotaxe, et plus généralement, de la hausse d’un sentiment de ras-le-bol fiscal, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a annoncé, le 19 novembre 2013 qu’il mettait en chantier une grande réforme fiscale. En 2014, le gouvernement a organisé des Assises de la fiscalité des entreprises et a mis en place un groupe de travail sur la fiscalité des ménages. Des mesures de baisses d’impôts ou de cotisations sociales ont été annoncées, sans pour autant prendre la forme d’une grande réforme fiscale, leur contrepartie étant des baisses de dépenses publiques non précisées.

Quels devraient être les contours d’une grande réforme de la fiscalité française ? Peut-on dégager des consensus entre économistes ? Peut-on faire la part de choix politiques qui appartiennent aux citoyens (comme le degré de progressivité de l’impôt, son caractère familial ou individuel), de choix de stratégie macroéconomique (la politique de l’offre versus celle de la demande), de débats plus techniques (Existe-t-il un double dividende ecologie/emploi ? Faut-il privilégier l’impôt unique ou maintenir de nombreux impôts incitatifs ?) ?

L’ensemble de ces questions fait débat au sein de la société mais aussi entre économistes. Aussi, dans le cadre de sa mission d’animation du débat public en économie, l’OFCE a-t-il organisé le 20 mai 2014 une conférence de consensus pour faire dialoguer économistes et fiscalistes et chercher à dégager des points d’accords et expliciter les désaccords. La Note de l’OFCE (n°45 du 26 septembre 2014) publie le compte-rendu des débats de  cette journée. Le premier a porté sur la fiscalité des entreprises, qu’il faut sans doute rendre moins  lourde et moins compliquée. Le deuxième sur la fiscalité écologique, qui doit impérativement monter en puissance. Le troisième sur la fiscalité des ménages dont la complexité actuelle masque l’importante redistributivité, de sorte qu‘une réforme simplificatrice serait utile, même si elle ne peut se traduire par des changements importants dans le degré de progressivité de l’impôt. Enfin, le dernier débat a exploré les enjeux de la fiscalité des revenus du capital  dont le rôle redistributif limite fortement les possibilités d’ajustement.




Evolution de la fiscalité en Europe entre 2000 et 2012 : Quelques éléments d’analyse

par Céline Antonin, Félix de Liège et Vincent Touzé

 

L’Europe fiscale se caractérise par une très grande diversité reflétant les choix d’Etats souverains aux destins différenciés. Depuis le traité de Rome, les Etats-membres ont toujours refusé le transfert de compétences nationales en matière fiscale, à l’exception d’une coordination a minima sur la TVA. Le risque est donc grand en Europe que se développent des stratégies fiscales non coopératives, chacun cherchant à améliorer sa performance économique aux dépens des autres. Deux logiques concourent à de telles stratégies agressives : une logique de compétitivité (ou de dévaluation fiscale) visant à réduire la pression fiscale sur les entreprises pour améliorer leur compétitivité-prix d’une part ; une logique d’attractivité fiscale, visant à attirer sur le territoire national les facteurs de production les plus rares d’autre part. Sur un plan macroéconomique, mettre en évidence séparément ces deux logiques est un exercice difficile. Toutefois, une manière de comprendre comment les Etats européens ont amélioré leur position peut consister à observer la façon dont la pression fiscale sur les entreprises a évolué, par rapport à celle portant sur les ménages.

La note de l’OFCE n°44 dresse un portrait de l’évolution des taux de prélèvements obligatoires (TPO) en Europe. Elle s’appuie sur les statistiques Tendances de la fiscalité, publiées conjointement par Eurostat et la direction Fiscalité et union douanière de la Commission européenne. Ces statistiques ont l’avantage d’offrir des données harmonisées sur les taux de prélèvement, avec une ventilation selon l’assiette fiscale (capital, travail, consommation) et selon le type d’agent payeur (ménage, entreprise, entrepreneur individuel). Nous étudions la période 2000-2012 : il est certes toujours difficile de séparer l’évolution tendancielle de la fiscalité des ajustements conjoncturels, en particulier lorsque la contrainte budgétaire est plus serrée. Néanmoins, on peut supposer que la période 2000-2012 est suffisamment longue pour dégager des changements de nature structurelle.

A partir de ces données, nous mettons d’abord en évidence une évolution contrastée de la pression fiscale au sein de l’Union européenne, qui peut se décomposer en quatre phases : deux phases haussières (entre 2004 et 2006 et depuis 2010), et deux phases baissières (avant 2004 et de 2006 à 2010), notamment en lien avec les facteurs conjoncturels. Au-delà de cette tendance commune, nous observons au sein des pays d’Europe des stratégies d’ajustement non-convergentes entre la fiscalité des ménages et celle frappant les entreprises (voir graphique). Nous nous intéressons ensuite aux éventuelles substitutions fiscales entre charges patronales et consommation, et entre charges patronales et charges salariales.

Sur la période 2000-2012, il paraît difficile de parler de concurrence fiscale à un niveau global même si on observe une légère baisse du TPO moyen au sein de l’Union européenne et des évolutions très singulières dans ce sens pour certains pays. S’il est sûr que des pays ont réduit le poids de la fiscalité sur les entreprises (Royaume-Uni, Espagne, Allemagne, Irlande, Suède, etc.), d’autres l’ont sans conteste alourdi (Autriche Belgique, France, Italie, etc.). Toutefois, à long terme, il paraît peu vraisemblable qu’une telle diversité fiscale soit tenable. A l’heure où l’intégration européenne se renforce, une plus grande harmonisation fiscale semble plus que jamais nécessaire.

note44Graphe-blog31_07




Réglementation des activités financières des banques européennes : un quatrième pilier pour l’Union bancaire

par Céline Antonin, Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

Sous l’impulsion du Commissaire européen Michel Barnier, la Commission européenne a proposé le 29 janvier 2014 un nouveau règlement visant à limiter et encadrer la pratique d’activités de marché pour les banques de taille systémique, c’est-à-dire les fameuses “too big to fail“.

Réglementer les activités pour compte propre : un besoin né de la crise

En raison de la responsabilité particulière des banques dans la crise économique et financière de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour exiger une réglementation plus stricte des activités financières des banques. Cette exigence a donné naissance à deux approches, l’interdiction ou la séparation.

Aux Etats-Unis, la “Volker rule“, adoptée fin 2013, interdit aux banques toutes les activités de marché pour compte propre ainsi que les prises de participation supérieures à 3% dans les hedge funds. Cependant, les banques peuvent maintenir leurs activités de tenue de marché et  de couverture. Bien évidemment, cette règle n’interdit pas aux banques d’investir leurs fonds propres dans des actifs financiers (actions, obligations publiques et privées). L’objectif de la règle est d’éviter que la banque ne spécule contre ses clients et de limiter au maximum l’utilisation des effets de levier qui ont coûté très cher au système financier (la banque utilisant l’argent de ses clients pour spéculer pour son compte propre).

L’approche européenne est basée sur le Rapport Vickers (2011) pour le Royaume-Uni et le Rapport Liikanen (2012) pour l’Union européenne. Ces rapports préconisent une certaine séparation entre l’activité bancaire classique pour compte de tiers (gestion de l’épargne, offre de crédits, opérations simples de couverture) et les activités de marché pour compte propre ou comportant des risques importants, mais les activités peuvent être maintenues dans un holding commun. Le Rapport Vickers propose d’isoler les activités de banque classique dans une structure séparée. Au contraire, selon le Rapport Liikanen, ce sont  les activités pour compte propre et les activités financières importantes qui doivent être isolées dans une entité juridique distincte.

L’idée de séparer les activités bancaires n’est pas nouvelle. Par le passé, de nombreux pays ont eu recours à des lois de séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires (Glass Steagall Act en 1933 aux États-Unis, loi bancaire de 1945 en France) avant de les supprimer dans les années 1980, convaincus de la supériorité du modèle de « banque universelle », qui permet à une même banque d’offrir toute la gamme des services financiers aux particuliers (crédits, dépôts, placements financiers simples ou complexes) et surtout aux entreprises (crédits, couvertures, émissions de titres, tenues du marché des titres). La crise a montré deux défauts du modèle : les pertes réalisées par le banquier sur ses activités en compte propre ou sur ses activités du marché lui font perdre des fonds propres, remettent en cause ses activités de crédit et obligent les Etats à venir à son secours pour éviter un asséchement du crédit bancaire. La banque universelle, assurée d’être secourue par l’Etat, assise sur une masse de dépôts, manque de vigilance sur ses activités pour compte propre (comme l’ont montré les affaires Kerviel, Picano-Nacci, Dexia).

Un projet de règlement européen ambitieux

Ce projet de réforme bancaire intervient dans une situation déjà compliquée pour plusieurs raisons :

1)      La réglementation Bâle 3, en cours d’adoption, impose déjà des règles très strictes sur la qualité des contreparties des fonds propres. Les activités spéculatives doivent être couvertes par des fonds propres importants.

2)      L’Union bancaire, en cours d’élaboration, prévoit qu’en cas de crise, les créanciers et les titulaires de dépôts importants pourraient être mis à contribution pour sauver la banque (principe de bail in) en cas de faillite, de sorte que les contribuables ne seraient pas mis à contribution (fin du bail out). Mais des doutes existent sur la crédibilité de ce mécanisme qui risque d’entraîner un effet domino en cas de faillite d’une banque systémique.

3)      Certains pays européens ont devancé la réforme en adoptant dès 2013 soit une loi de séparation (en France et en Allemagne), soit une loi d’interdiction (Belgique). Au Royaume-Uni, une loi de séparation inspirée du Rapport Vickers (2011) devrait être adoptée au Parlement début 2014.

Le projet de règlement présenté le 29 janvier dernier est plus exigeant que le Rapport Liikanen. Comme la « Volker rule » américaine, il interdit la spéculation pour compte propre via l’achat d’instruments financiers et de matières premières, ainsi que l’investissement dans les hedge funds (ce qui permet d’empêcher les banques de contourner la régulation en prêtant aux hedge funds tout en détenant des parts importantes de ces hedge funds, profitant ainsi de leur effet de levier).

Par ailleurs, en sus de cette interdiction, le législateur européen se donne la possibilité d’imposer une séparation dans une filiale autonome pour les opérations qui seraient jugées trop risquées, c’est-à-dire qui entraîneraient des prises de position trop importantes. Le but est de remédier à la porosité de la frontière entre trading pour compte propre et compte de tiers, les banquiers pouvant prendre des risques pour eux-mêmes en ne couvrant pas les positions demandées par leurs clients. Avec ce nouveau règlement, le législateur espère alors qu’en cas de crise bancaire, le soutien public apporté aux banques ne se fera qu’au profit des déposants, et non des banquiers, et par conséquent avec un coût global plus réduit.

Par rapport à la règlementation française, ce projet de règlement est plus contraignant que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013. En effet, la loi française prévoit seulement le cantonnement juridique de certaines activités en compte propre et des activités à fort effet de levier dans une filiale financée de manière autonome ; l’interdiction stricte ne concerne que les activités de trading haute fréquence et la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles. La loi française permet de nombreuses exceptions : fourniture de services aux clients, activité de tenue de marché, gestion de trésorerie, opérations d’investissement ou de couverture par l’établissement de ses propres risques. Dans le projet de règlement, en revanche, l’interdiction est plus large puisqu’elle concerne tout le trading en compte propre. De plus, le projet de règlement interdit l’investissement dans les hedge funds, alors que la loi française l’autorise à condition que ces activités soient cantonnées.

Le projet de règlement ne concerne toutefois que les banques de taille systémique, soit une trentaine sur les 8 000 que compte l’Union européenne, représentant 65 % des actifs bancaires européens. Il ne sera pas discuté avant l’élection du nouveau Parlement et la mise en place d’une nouvelle Commission.

Une réforme qui ne fait pas consensus

La réforme proposée par Michel Barnier a déjà suscité de fortes critiques de certains pays membres et des milieux bancaires. Certaines expriment le reproche d’intervenir dans un domaine où il n’est pas compétent, ce qui montre bien la complexité actuelle de la législation du système bancaire européen.

La France, l’Allemagne, la Belgique peuvent lui dire : « De quoi vous mêlez-vous ? Nous avons déjà fait notre réforme bancaire ». Mais la logique de l’Union bancaire est que les mêmes lois s’appliquent partout. Ces pays ont choisi de faire une réforme bancaire a minima pour préempter le contenu de la loi européenne. Ce n’est guère un comportement acceptable au niveau européen. Reste cependant le cas du Royaume-Uni (auquel le projet Barnier ouvre une porte de sortie : le règlement ne s’appliquerait pas aux pays dont la législation serait plus contraignante).

L’Union bancaire prévoit que c’est la BCE qui supervise les grandes banques européennes et que c’est l’Agence Bancaire Européenne qui fixe les réglementations et les règles de la supervision. On peut donc reprocher à la Commission d’intervenir dans un domaine qui n’est plus le sien. En sens inverse, la crise a bien montré que les affaires bancaires ne concernaient pas que les banques. Il est légitime que les instances politiques (Commission, Conseil, Parlement) interviennent en la matière.

Le projet rencontre deux reproches contradictoires. L’un est de ne pas organiser une véritable séparation des banques de détail et des banques de marché. Dans cette optique, les banques de détail se seraient vues confier des missions précises (collecte et gestion des dépôts, gestion de l’épargne liquide et de l’épargne sans risque, crédits aux collectivités locales, aux ménages et aux entreprises) ; elles n’auraient pas eu le droit de se livrer à des activités spéculatives ou à des activités de marché et de prêter aux spéculateurs (fonds spéculatifs, montage d’opération LBO). Ces banques auraient totalement bénéficié de la garantie publique. En revanche, des banques de marché ou des banques d’affaires se seraient livrées sans garantie publique aux interventions sur les marchés et aux opérations de haut-de-bilan. Comme ces opérations sont risquées, l’absence de garantie publique les aurait conduites à devoir immobiliser beaucoup de fonds propres, à supporter un coût élevé pour attirer des capitaux. Ceci aurait réduit la rentabilité et donc le développement des activités de couverture comme des activités spéculatives. Une entreprise qui aurait eu besoin d’une opération de couverture aurait dû la faire effectuer par une banque de marché et non par sa banque ordinaire, donc à un coût plus élevé. En sens inverse, ceci aurait réduit le risque que les banques entraînent leurs clients (banques ou entreprises) dans des placements ou des opérations risquées. Cette réforme aurait fortement accru la transparence des activités financières, au prix d’une réduction de l’importance des banques et des marchés financiers. Michel Barnier n’a pas osé aller jusqu’au bout de la logique de séparation. Il reste dans la logique des banques universelles qui utilisent leur taille massive en tant que banques de dépôt pour fournir des services d’intermédiaires financiers à leurs clients (émission de titres, couverture de risques, placement sur les marchés, …), pour intervenir sur les marchés (tenue des marchés de changes, de titres publics ou privés), pour garantir des activités spéculatives.

A contrario, la réforme se heurte à une vive opposition des milieux bancaires qui auraient préféré le statu quo. Ainsi, Christian Noyer, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, a-t-il jugé ces propositions « irresponsables », comme si la BCE avait fait preuve de responsabilité avant 2007 en ne mettant pas en garde contre le développement incontrôlé des activités financières des banques.

La Fédération bancaire européenne (FBE) comme la Fédération bancaire française (FBF) demandent à ce que le modèle de banque universelle soit préservé. Les banques critiquent l’obligation de filialiser les opérations de tenue de marché (y compris pour les dettes des entreprises). Selon la FBF, ce règlement « conduirait à un renchérissement considérable de cette opération », ce « qui aurait un impact négatif sur le coût de financement des dettes des entreprises et des services de couvertures de leurs risques ». Toutefois, cette obligation pourrait être levée si les banques prouvent que leurs interventions sur les marchés ne leur font prendre aucun risque. Ainsi, les banques pourraient continuer à jouer un rôle de teneur de marché à condition de se fixer des limites strictes quant à leurs positions propres ; elles pourraient fournir des opérations de couverture simples, en se couvrant elles-mêmes.

Un quatrième pilier pour l’Union bancaire ?

Certes, les banques européennes ont raison de faire remarquer que cette réforme s’ajoute à la mise en place du MSU (Mécanisme de surveillance unique), du MRU (Mécanisme de résolution unique), de l’opération d’évaluation des banques par la BCE (lancée en novembre 2013). L’ensemble manque de cohésion ; un calendrier raisonné aurait dû être mis en place.

Cependant, la séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise l’Union bancaire et ses trois piliers (MSU, MRU et garantie des dépôts). Ainsi, ce projet contribue-t-il à la convergence réglementaire bancaire, tant d’un point de vue fonctionnel que prudentiel. La mise en place d’un cadre homogène simplifie le contrôle du superviseur européen dans le cadre du MSU (la BCE devra contrôler les activités normales des banques et veiller à ce que les activités spéculatives ne les perturbent pas). La séparation préconisée par le projet Barnier crédibilise le MRU ; il n’y aura plus de banque trop grosse pour être mise en faillite, les pertes des banques de marché ne se répercuteront pas sur les activités de crédit des banques de dépôt et ne seront pas prises en charge par le contribuable. En réduisant les risques de faillite des banques de dépôt, il diminue le risque de mise en œuvre d’un plan de sauvetage coûteux pour les épargnants (bail-in) comme celui de l’activation de la garantie des dépôts. En ce sens, ce projet de règlement apparaît comme le quatrième pilier de l’Union bancaire.

Pour en savoir plus :

Antonin C. et V .Touzé V. (2013), Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ?, Blog de l’OFCE, 22 février 2013.

Avaro M. et H. Sterdyniak H. (2012), L’union bancaire : une solution à la crise de l’euro ?, Blog de l’OFCE, 12 septembre 2012.

Gaffard J.-L. et J.-P. Pollin (2013), La séparation des activités bancaires est-elle inutile?, Blog de l’OFCE, 19 novembre 2013.

 




France-Allemagne : y-a-t-il un dividende démographique ?

par Vincent Touzé

Grace à un taux de natalité élevé, la France vieillit moins vite que l’Allemagne. Selon Eurostat, la population française devrait dépasser la population allemande à partir de 2045. La France pourrait ainsi devenir une championne européenne. Mais dans quelle mesure faut-il parler d’un dividende démographique ?

Certes, le renouvellement des générations est important. Il permet de maintenir une taille de population active suffisante pour faire face au coût social (retraite, santé et dépendance) des personnes âgées qui vivent de plus en plus longtemps. En ce sens, la France devrait faire mieux que l’Allemagne. Mais la croissance démographique porte également son lot d’inconvénients. En effet, dans un contexte de rareté des ressources, la taille de la population est avant tout un diviseur des quantités disponibles par tête. Par exemple, sur un marché du travail rationné qui peine à conserver les postes offerts en raison de problèmes de débouchés et de coûts de production insuffisamment compétitifs au niveau international, la dynamique de la population active se compte aussi en nombre de chômeurs. Pour éviter un tel écueil, un marché du travail plus efficient assis sur une économie prospère devient indispensable. Le dividende démographique dépend autant de la capacité productive des nouvelles générations de travailleurs que de leur taille.

La dernière Note de l’OFCE (n°35 du 11 octobre 2013) compare les performances relatives de la France par rapport à l’Allemagne sur la période 2001-2012. Cette étude montre que les évolutions économiques récentes ont été nettement favorables à l’économie allemande. Malgré un avenir démographique radieux, la France s’est embourbée dans une croissance faible et un chômage de masse qui frappe massivement les jeunes. Le dividende démographique tarde donc à venir.




In memoriam. Ronald H. Coase (1910-2013)

par Vincent Touzé

Décédé à l’âge de 102 ans le 2 septembre 2013, l’économiste américain Ronald Coase nous laisse une œuvre exceptionnelle du fait de sa simplicité et sa pertinence.

Précurseur de la théorie de la firme, il voit dans cette ce type de structure une capacité indéniable à réduire les coûts de transaction et organiser ainsi efficacement l’activité économique en dehors des marchés (« The Nature of the firm », Economica, 1937). Le dilemme de la firme est le suivant : faire (c.à.d. produire soi-même) ou faire faire (recourir au marché). En l’absence de coûts de transaction sur les marchés, il n’y aurait pas de firme mais seulement des petites unités autonomes de production. Les coûts de transaction résultent de l’ensemble des dépenses associées à l’acquisition ou à la vente d’un produit : rémunération d’intermédiaires, acquisition d’information, recherche du meilleur prix, etc. Ainsi, lorsque ces coûts sont trop élevés, il est opportun de produire soi-même le bien ou le service. Toutefois, les firmes font également face à des coûts pour s’organiser. La théorie des organisations est née.

Défenseur de la libre concurrence, il attribue aux défaillances des marchés une mauvaise définition des droits de propriété (« The Problem of social cost », 1960, Journal of Law and Economics, 3: 1-44). Il se méfie des réglementations coûteuses. Il s’oppose à Pigou (The Economics of Welfare, 1932, Macmillan and Co. Ed.) qui recommande l’intervention publique pour gérer les externalités négatives. Au contraire, il préconise une meilleure identification des droits de propriété, le rôle de l’Etat devant se limiter à être garant du respect de ces droits. Cette idée a été synthétisée sous la forme du « théorème de Coase » en 1966 par George Stigler dans son ouvrage The Theory of Price (MacMillan Ed.). En s’intéressant précisément aux interactions entre droit (définition de la propriété, fondements et conséquences des décisions de justice, etc.) et économie, Coase apparaît comme un des pères-fondateurs d’une discipline nouvelle, celle de l’analyse économique du droit.

Dans les années 1990, le protocole de Kyoto a popularisé le « théorème de Coase » en  proposant la mise en place d’un commerce de droits d’émissions pour réguler la quantité de gaz à effet de serre, les fameux « droits à polluer ». Pour contrôler les émissions de gaz à effets de serre, deux approches sont possibles : la vente de droits à polluer ou la taxation à la Pigou. La première approche consiste à attribuer des droits à émettre du gaz en quantité limitée. Pour produire, il faut détenir des droits. Ces droits s’échangent sur un marché où le prix des émissions de gaz résulte de la confrontation de l’offre à la demande. La seconde approche consiste à attribuer un prix ad hoc (taxe pigouvienne) au coût social marginal de l’externalité. Cette taxe est payée par les entreprises émettrices des gaz. Le principe des droits à polluer est souvent considéré comme plus exigeant (et donc contraignant pour les entreprises) car le prix de l’émission de gaz est endogène et la quantité totale limitée. Avec une taxe pigouvienne, c’est l’inverse. Le prix est fixe (ou faiblement endogène en cas de taxation progressive) et la quantité potentiellement illimitée.

Attaché à la simplicité de l’exposé, Coase n’hésite pas à dénoncer le recours à un formalisme mathématique trop excessif. Dans un portrait publié par l’Université de Chicago en 2012, il regrette ainsi que l’économie soit « devenue un sujet axé sur la théorie et les mathématiques ». Selon lui, « l’approche devrait être empirique. Vous étudiez le système comme il est, comprenez pourquoi il fonctionne de cette façon et considérez quels changements pourraient faire en sorte de l’améliorer ». Modeste, il confie : « Je n’ai jamais fait quelque chose qui n’était pas évident, et je ne sais pas pourquoi d’autres personnes ne le font pas » et aussi « Je n’ai jamais pensé que les choses que j’ai faites étaient si extraordinaires ».

Son œuvre a été couronnée par un prix Nobel en 1991.




Loi de séparation bancaire : symbole politique ou nouveau paradigme économique ?

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Imprudence, aléa moral et engrenage systémique ont été les maîtres-mots de la crise bancaire. Mécontents de n’avoir eu d’autre choix que de venir à la rescousse des banques, les gouvernements tentent aujourd’hui de reprendre le contrôle et d’imposer de nouvelles réglementations. La plus emblématique d’entre elles concerne la séparation des activités de marché (trading pour compte propre ou compte de tiers) des autres activités bancaires (dépôts, crédits, conseil stratégique et financier, etc.). L’avantage attendu d’une séparation est une plus grande étanchéité entre les activités. Cette dernière pourrait protéger les épargnants en cas de mauvaises opérations des banques sur les marchés financiers. Le 19 février 2013, le Parlement français a voté une loi de séparation bancaire. Malgré des objectifs initiaux ambitieux, la séparation sera partielle puisque seules les activités financières en compte propre seront filialisées. Concernant moins de 1 % des revenus bancaires, cette mesure a un caractère plutôt symbolique. Toutefois, en inscrivant un principe de séparation dans la loi, l’Etat montre sa volonté d’être un superviseur plus actif.

 

L’idée de cloisonner les activités bancaires n’est pas nouvelle. Au lendemain de la crise de 1929, les Etats-Unis adoptèrent le Glass Steagall Act (1933), obligeant à une stricte séparation entre banques commerciales (spécialisées dans les activités de crédit et de gestion des dépôts) et banques d’affaires (spécialisées dans les activités financières) ; la France leur emboîta le pas avec la loi bancaire[1] de 1945. Les avantages attendus d’une séparation bancaire sont doubles. D’une part, les dépôts des clients seraient mieux protégés, car ils ne pourraient plus être sollicités pour éponger les éventuelles pertes de l’activité de marché ; d’autre part, en cas de faillite, l’aide de l’Etat serait limitée, car seule la partie banque de détail des établissements bénéficierait d’une garantie publique.

Quarante ans plus tard, à la faveur du grand mouvement de dérégulation des années 1980-1990, la France fut l’une des premières à abolir la distinction avec la loi bancaire de 1984, posant ainsi le principe de banque universelle. Ce principe conduit à regrouper les activités à fort besoin de liquidité (financement de l’économie) avec celles qui permettent de recueillir la liquidité (activités de dépôts). Ce regroupement présente l’indéniable mérite d’offrir une plus grande solidité financière aux banques. D’autres avantages en découlent : l’effet de levier se trouve renforcé ; le facteur taille conduit à des économies d’échelle ; la capacité d’internationalisation permet aux banques de rentrer dans la catégorie « too big to fail ». Outre-Atlantique, ces arguments ont certainement joué en faveur de l’abolition du Glass Steagall Act en 1999 par l’administration Clinton.

A partir de 2008, les banques ont subi plusieurs chocs : crise des subprimes, chute des valeurs financières, baisse de la croissance économique et crainte d’insolvabilité des dettes souveraines (pour les banques de la zone euro). Ces chocs ont montré que certains avantages de la banque universelle pouvaient se transformer en inconvénients dès lors que le levier financier avait été utilisé de façon trop systématique et que des banques de grande taille en situation difficile faisaient peser un risque systémique. De nombreuses voix vont alors plaider pour un nouveau Glass Steagall Act, voyant dans la séparation entre activités de marché[2] et autres activités bancaires, un moyen de se prémunir contre les crises bancaires d’ampleur. Les activités en compte propre concentrent l’essentiel des dysfonctionnements des banques : prise de risque inconsidérée et quelques cas de traders « fous »[3]. Par conséquent, ce compartiment fait, aujourd’hui, l’objet d’une attention accrue de la part des régulateurs.

Le Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act[4] adopté aux Etats-Unis en 2010 n’instaure pas une séparation bancaire stricto sensu mais reprend la « Volcker rule » qui interdit aux banques de « jouer » avec l’argent des déposants, ce qui conduit à une quasi-interdiction des activités de spéculation pour compte propre des entités bancaires ainsi que d’investissement dans les fonds spéculatifs (hedge fund) ou d’investissement privés (private equity fund). Au-delà de cette règle, cette loi est aussi une vaste réforme en faveur d’une réglementation accrue de l’ensemble des agents financiers (banques, assurances, hedge funds, agences de notation, etc.) ainsi que d’une plus grande surveillance des risques systémiques.

L’Europe envisage à son tour de légiférer sur la séparation bancaire. A la demande du commissaire européen Michel Barnier, le groupe d’experts dirigé par le gouverneur de la Banque centrale de Finlande, Erkki Liikanen, a remis un rapport le 2 octobre 2012. Ce dernier préconise  un cloisonnement bancaire strict[5] mais revient aussi sur les rémunérations des dirigeants et des traders, dont les modalités actuelles pourraient être de véritables « pousses au crime » en matière de spéculation à outrance, afin de les rendre plus compatibles avec des objectifs de long terme. Si ce rapport est transformé en directive européenne, cette dernière devra alors faire l’objet d’une retranscription en droit national dans chaque Etat membre. Cependant, la démarche européenne risque fort d’être devancée par les processus législatifs de plusieurs pays européens. En Allemagne, un projet de loi de régulation bancaire[6] vient d’être présenté par le gouvernement le 6 février 2013, et pourrait entrer en vigueur en janvier 2014 (pour une mise en œuvre d’ici juillet 2015). Le Royaume-Uni s’est illustré en 2011 avec la publication du rapport Vickers[7], mais le gouvernement britannique ne semble pas pressé de mettre ces recommandations en œuvre avec une probable échéance 2019. La France n’est pas en reste avec la « loi de séparation et de régulation des activités bancaires ».

 

UN PROJET DE LOI FRANÇAIS MODESTE…

 

La loi française comporte plusieurs volets. En plus de l’inclusion d’un principe de séparation, elle prévoit aussi des mesures de protection du consommateur bancaire ainsi que le renforcement de la surveillance et du contrôle des banques, à travers plusieurs mesures :

–          Chaque établissement bancaire sera obligé d’élaborer un plan préventif de rétablissement[8] en cas de crise, et de résolution en cas de défaillance (testament bancaire). Le plan de résolution sera soumis à l’appréciation de l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui devient Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).

–          Le Fonds de garantie des dépôts devient fonds de garantie des dépôts et de résolution, et voit sa capacité d’intervention augmentée pour pouvoir intervenir en cas de défaillance d’une banque.

–          La surveillance macro-prudentielle est renforcée, avec l’instauration du Conseil de la stabilité financière.

–          Les droits du consommateur bancaire sont renforcés (transparence sur le coût de l’assurance emprunteur, libre choix de l’assurance emprunteur, droit à un compte bancaire, etc.).

 

Cependant la mesure-phare de la réforme reste la séparation entre « activités utiles à l’économie » et activités spéculatives. Les établissements bancaires devront cantonner leurs activités dites « pour compte propre » dans une filiale ad hoc, soumise à une régulation spécifique et financée de manière autonome. Ces filiales auront interdiction de pratiquer certaines activités spéculatives jugées « trop risquées ou qui peuvent être nuisibles à l’économie ou à la société », comme celles portant sur les marchés de produits dérivés ayant comme sous-jacent les matières premières agricoles et le trading à haute fréquence. Seront néanmoins épargnées de nombreuses activités, comme  la fourniture de services aux clients, l’activité de tenue de marché, la gestion de trésorerie, les opérations d’investissement ou la couverture par l’établissement de ses propres risques.

Cette loi de cloisonnement bancaire, présentée au départ comme ambitieuse, sera finalement d’un impact limité. Le modèle de banque universelle n’est pas remis en question. L’aveu du PDG de la Société Générale ne peut être plus clair[9] : moins de 1 % des revenus seraient concernés. On est donc loin du retour au cloisonnement bancaire d’avant 1984. Le critère de cantonnement est ambigu. En effet, la frontière est poreuse entre la couverture du risque et la pure spéculation : la loi avance un principe flou de « pertinence économique », et les banques pourraient être tentées de jouer sur ce vide juridique. Quant à la tenue de marché[10], il est difficile de faire la différence entre les activités spéculatives pour compte propre, qui devront être filialisées, et les activités permettant au marché de rester liquide : le trading à haute fréquence est ainsi le plus souvent pratiqué sous couvert d’accords de tenue de marché, donc la loi risque d’être un coup d’épée dans l’eau si le statut de teneur de marché n’est pas plus précisément défini[11].

La loi prévoit également d’interdire au groupe bancaire de détenir des parts d’un fonds spéculatif de type hedge fund. Or, les crédits accordés par les banques aux fonds spéculatifs sont toujours accompagnés de garanties. De ce point de vue, la loi aura également un faible impact.

 

… MAIS POUVAIT-ON ALLER PLUS LOIN ?

 

Trouver un autre paradigme économique pour le modèle bancaire est un exercice complexe. En pratique, une séparation bancaire pure et simple n’est pas sans inconvénient et, de façon générale, les limites aux réformes bancaires sont nombreuses.

Tout d’abord, limiter, voire priver, les banques d’investissement d’un accès aux dépôts comme source de liquidité les conduirait à un financement par endettement accru, ce qui pourrait être difficile à concilier avec les contraintes liées à la réglementation prudentielle Bâle III. Cette dernière vient d’être mise en place au 1er janvier 2013. Elle est déjà très exigeante en matière de fonds propres.

Ensuite, il est important de noter que le risque bancaire n’est pas seulement inhérent aux activités de marché. Les contre-exemples récents sont nombreux. L’activité de crédit immobilier a été une source importante de risque : en Espagne, la chute des prix immobiliers et l’insolvabilité des emprunteurs ont mis les banques en quasi-faillite ; aux Etats-Unis, la crise des subprimes est une crise du crédit immobilier qui a affecté les marchés grâce à des mécanismes sophistiqués de titrisation qui ont permis aux banques de sortir le risque de leur bilan (du moins en apparence) ; au Royaume-Uni, la Northern Rock est une banque de détail spécialisée dans les crédits immobiliers qui a subi de plein fouet la crise de liquidité et la crise immobilière. Dans une certaine mesure, les banques universelles ont joué un rôle important pour sauver les banques trop spécialisées : par exemple, JPMorgan Chase (universelle) a repris Washington Mutual (caisse d’épargne) et Bear Stearns (affaires), et Bank of America (universelle) a secouru Merrill Lynch (affaires).

De plus, la séparation est censée rendre plus étanches les activités bancaires. Mais, que se passera-t-il si la filiale qui gère la spéculation pour compte propre fait faillite et engendre de lourdes pertes pour la maison mère? Par le passé, deux des quatre principaux groupes français, BPCE et Crédit Agricole, ont déjà isolé leurs activités de marché dans leurs filiales respectives, Natixis et Cacib, et ont dû venir à leur rescousse en 2008 et 2011 respectivement. L’isolation semble donc très perméable.

Dans un contexte de globalisation financière, la compartimentation risque de ne jamais être effective. La finance globalisée permet, en principe, de tout interconnecter. C’est notamment le rôle des marchés interbancaires[12].

En pratique, il semble difficile pour un gouvernement de réformer, sans coordination avec les autres Etats, son secteur bancaire. Les banques nationales ont des filiales étrangères qui pourraient ne pas être soumises à cette réglementation. Et surtout, les banques étrangères concurrentes pourraient afficher une meilleure rentabilité, ce qui affaiblirait la compétitivité des banques nationales. Au niveau européen, les intérêts nationaux diffèrent et chacun pourrait être tenté d’imposer son projet de loi. Si le rapport Liikanen est transformé en directive, chaque Etat membre aura l’obligation de la retranscrire en droit national. Pour l’instant, les législations de l’Allemagne et de la France prennent de l’avance. Il est possible que ces changements influencent une éventuelle directive future.

A trop vouloir compartimenter, on risque aussi de reporter les interconnections vers des échelons moins visibles. Il ne faudrait pas tomber dans le piège d’une dangereuse illusion : on pense avoir éliminé un risque, en réalité, on l’a juste déplacé.

Enfin, trop de réglementation peut parfois tuer la réglementation. Dans le domaine financier, les contraintes réglementaires peuvent servir de support de spéculation. Ainsi, lorsqu’une banque a des difficultés pour respecter certaines contraintes réglementaires, les marchés sont particulièrement encouragés à spéculer pour provoquer et profiter de la défaillance. La prudence est donc de mise avant d’introduire de nouvelles réglementations.

A vouloir être trop strict sur l’application d’un principe de séparation, on pourrait aussi être amené à ne pas soutenir une banque d’affaires qui fait face à d’importants problèmes de liquidité. Pourtant, selon le principe « too big to fail », une telle décision n’est pas toujours judicieuse. Ne pas avoir soutenu Lehman Brothers est une punition qui a eu des effets collatéraux considérables et durables. Cette faillite a affecté toute la sphère économique et financière.

On notera au passage qu’une réglementation bancaire et financière interprétée comme un remède miracle peut avoir des effets délétères en matière de responsabilité individuelle et collective. On attend tout de la loi et on pense qu’elle résout tout. En même temps, il est très vraisemblable que les vecteurs de la prochaine crise financière réussiront à contourner les contraintes réglementaires, d’où l’importance pour les autorités de contrôle de rester vigilantes et d’adopter en permanence une analyse critique.

 

DEPASSER LE SYMBOLE POLITIQUE

Les marges de manœuvre du gouvernement pour séparer les activités bancaires sont indéniablement limitées car trop réglementer pourrait s’avérer inefficace, voire dangereux. Par conséquent, cette loi de séparation bancaire n’est pas radicale et aura une portée modérée sur les banques. D’un côté, le gouvernement peut avoir la bonne conscience d’avoir fait quelque chose à l’instar de ses homologues étrangers. D’un autre côté, les banquiers ne sont probablement pas mécontents de donner le sentiment d’avoir servi, et surtout à moindres frais, l’intérêt général.

Certains n’y verront qu’un piètre symbole politique. D’autres chercheront à voir au-delà avec l’espoir que cette réforme soit perçue comme un signal fort adressé au monde bancaire. L’espoir ne sera peut-être pas vain puisque le principe de séparation est désormais inscrit dans la loi et un gouvernement futur aura tout loisir de le durcir.

En pratique, un changement de paradigme économique, qui conduirait à la raréfaction des spéculations dommageables, ne peut résulter d’une simple séparation des activités. Les lois bancaires ne doivent pas être trop compliquées car le diable a tendance à se cacher dans le détail. Les autorités de contrôle doivent en permanence conserver un regard critique sur le fonctionnement des marchés et la loi doit leur donner une certaine souplesse d’initiative pour définir quand et comment elles peuvent intervenir. Sur ces sujets, la déclaration de Volcker en 2011 est sans ambiguïtés[13] : « J’aurais écrit un projet de loi beaucoup plus simple. J’aurais adoré voir un projet de loi de quatre pages qui interdit le trading pour compte propre et qui rend le conseil d’administration et le directeur général responsables de la mise en conformité. Et j’aurais voulu des régulateurs forts. Si les banques ne s’étaient pas conformées à l’esprit de la loi, elles les auraient eu à leurs trousses ». De nombreuses mesures visant à responsabiliser les professionnels de la finance (dirigeants et opérateurs de marchés) méritent également d’être étudiées. A ce titre, le rapport Liikanen propose de revoir les modes de rémunération des dirigeants et financiers des banques afin de les rendre plus compatibles avec une vision de long terme. La piste d’une responsabilité pénale[14] accrue des dirigeants du monde financier doit également être explorée. On peut également s’interroger sur la perméabilité des carrières professionnelles du secteur régulateur vers le secteur régulé. Dans ce domaine, il y a sûrement matière à rendre plus étanche le système. L’histoire récente n’a-t-elle pas montré qu’il était possible d’être tour à tour Président de la Fed puis conseiller avisé d’un riche et puissant hedge fund


[1] La loi 45-15 du 2 décembre 1945 instaurait la spécialisation des institutions financières en classant les banques en trois catégories : les banques de dépôts, les banques d’affaires, les banques de crédit à long terme et à moyen terme (articles 4 et 5).

[2] La gestion d’actifs peut être exercée :

– soit pour compte propre (proprietary trading) : la banque achète ou vend des instruments financiers, financés directement par ses ressources. Ces ressources n’incluent pas seulement les fonds propres de la banque, mais aussi les dépôts des épargnants et les emprunts. Cela veut donc dire que, outre les fonds propres, les autres strates de financement de la banque, notamment les dépôts de la clientèle supportent indirectement un risque.

– soit pour compte de tiers (non proprietary trading) : contrairement à la gestion pour compte propre, les risques de crédit et de marché sont principalement pris par le client. Mais, sur certains produits, la banque peut toutefois supporter d’importants risques opérationnels.

[3] http://lexpansion.lexpress.fr/economie/trading-pour-compte-propre-la-face-cachee-des-banques_233686.html.

[4] Le titre VI de la loi propose d’améliorer la régulation et est considéré comme une application de la « Volcker Rule », http://useconomy.about.com/od/criticalssues/p/Dodd-Frank-Wall-Street-Reform-Act.htm.

[5] Le rapport recommande une séparation des activités de marché pour compte propre mais aussi de certaines activités sur les marchés financiers et de produits dérivés pour compte de tiers.

[6] L’Allemagne prépare aussi un projet de loi, dans lequel les banques allemandes seront contraintes d’isoler leurs activités pour compte propre. Comme en France, le modèle de banque universelle ne sera pas remis en question. http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=reuters_00495696&fw=1.

[7] Le rapport Vickers de septembre 2011 préconise un cloisonnement des activités de banque de détail et d’investissement, via une filialisation de l’activité banque de détail, complétée par une exigence de fonds propres de 10 % pour les banques de détail. Le gouvernement britannique s’est engagé à introduire ces réformes dans la loi en 2015, pour une mise en œuvre prévue d’ici 2019.

[8] Ce plan présente les différentes modalités possibles de rétablissement (recapitalisation, plan d’économie, restructuration, etc.) et doit exclure tout appel à un soutien financier public.

[9] « Nous estimons que, si en 2006-2007, 15 % des activités relevaient des activités de marché, parmi lesquelles 15 % à 20 % pouvaient être classées comme déconnectées de la clientèle, et par  conséquent transférées à une filiale, cette proportion est désormais inférieure à 10 %, se situant autour de  3,5 % à 5 % en moyenne », Frédéric Oudéa, 30 janvier 2013, audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/cr-cfiab/12-13/c1213060.pdf.

[10] L’activité de tenue de marché (« market making ») correspond à la présence permanente d’un intervenant qui apporte de la liquidité au marché.

[11] A cet égard, mentionnons l’amendement déposé par Karine Berger qui souhaite que Bercy fixe le seuil à partir duquel les activités de marché doivent impérativement être filialisées.

[12] Depuis 2008, la crise de confiance sur le marché bancaire a posé de grosses difficultés d’accès aux liquidités à certaines banques, bien que parfaitement solvables, ce qui a contraint les banques centrales à intervenir et à se substituer au marché interbancaire.

[13] “I’d write a much simpler bill. I’d love to see a four-page bill that bans proprietary trading and makes the board and chief executive responsible for compliance. And I’d have strong regulators. If the banks didn’t comply with the spirit of the bill, they’d go after them”, 22 octobre 2011, http://www.nytimes.com/2011/10/22/business/volcker-rule-grows-from-simple-to-complex.html?pagewanted=all&_r=0.

[14] A ce titre, la justice américaine n’hésite pas à entreprendre des actions contre les institutions financières qui ont failli à leurs devoirs. Voir par exemple, l’action récente contre Standard & Poor’s, http://www.bloomberg.com/news/2013-02-06/s-p-lawsuit-portrays-cdo-sellers-as-duped-victims.html. Voir aussi, les poursuites engagées contre un ancien employé de Goldman Sachs : http://www.sec.gov/litigation/complaints/2010/comp-pr2010-59.pdf et http://dealbook.nytimes.com/2013/01/31/trader-accused-of-misleading-clients-leaves-goldman/ ainsi que l’enquête sur la fameuse « baleine » de Londres : http://www.reuters.com/article/2013/02/15/us-lehman-jpmorgan-londonwhale-idUSBRE91E00W20130215.




Obama 2012 : “Yes, we care!”

par Frédéric Gannon (Université du Havre) et Vincent Touzé

Le jeudi 28 juin 2012, la Cour suprême des Etats-Unis (US Supreme Court) a rendu son verdict. Le principe d’obligation individuelle d’adhésion à une assurance santé sous peine de pénalité financière, volet central de la réforme[1] du système d’assurance santé de 2010 (Affordable Care Act[2]), a été jugé constitutionnel. Cette réforme a été adoptée dans un contexte politique difficile. Elle comprend de multiples mesures qui visent à réduire considérablement le nombre d’Américains sans couverture santé. Elle augmentera les dépenses fédérales, mais de nouvelles recettes et des réductions de dépenses permettront de réduire le déficit public.

De septembre 2009 à mars 2010, la rédaction puis le vote de la loi a été un long processus dont l’issue politique était incertaine en raison d’une majorité insuffisante au Sénat[3]. La loi, votée par la Chambre des Représentants et signée le 23 mars 2010 par le Président Obama, étant différente de celle votée au Sénat, des amendements furent introduits dans une loi de réconciliation budgétaire votée le 30 mars. Des opposants à cette réforme (26 Etats, de nombreux citoyens ainsi que la National Federation of Independent Business) ont alors décidé de porter le combat devant la Cour suprême des Etats-Unis. Leurs espoirs reposaient principalement sur de possibles inconstitutionnalités de la loi liées à l’obligation d’adhésion à une assurance santé ainsi qu’à l’extension du programme d’assurance publique Medicaid.

Le jugement favorable de la Cour suprême a été obtenu avec une courte majorité : 5 juges ont voté pour[4] et 4 contre[5]. La sensibilité politique des juges ne semble pas avoir joué contre la loi puisque le juge en chef, John G. Roberts, nommé par George W. Bush, a donné son approbation. La majorité de la Cour suprême considère la pénalité financière en cas de non adhésion comme une taxe[6] et qu’elle n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de cette taxe. Elle renvoie cette responsabilité au parlement (chambre haute et basse) qui, en l’occurrence, a déjà débattu et adopté la loi. Par voie de conséquence, ce point de la loi est valide.

Selon la Cour suprême, la pénalisation financière de la non-adhésion à une assurance santé peut être perçue comme une obligation individuelle d’achat[7], et la loi sur le commerce (Commerce Clause) « ne donne pas ce pouvoir au Congrès ». Mais, d’un point de vue fonctionnel, cette pénalité peut être assimilée à une taxe. Dans ce cas, le Congrès a toute latitude pour « établir et collecter l’impôt » (Taxing Clause). D’où le verdict favorable de la Cour suprême. En revanche, elle juge que « l’extension de Medicaid viole la Constitution », car la « menace de perte de plus de 10 pourcent du budget global d’un État est une dragonnade économique qui laisse les États sans autre choix que de consentir à l’extension de Medicaid ».

La décision de la Cour suprême est une victoire majeure pour le Président Barack Obama, pour qui cette réforme en faveur d’un accès plus égalitaire au système d’assurance santé a été un des fers de lance de sa campagne électorale de 2008. Auparavant, son prédécesseur démocrate à la Maison Blanche, Bill Clinton, avait dû renoncer à une réforme similaire en raison d’une opposition farouche des Républicains et une division grandissante au sein des Démocrates. Afin de se donner toutes les chances de succès, Barack Obama aurait été plus stratégique tant sur la programmation de la réforme que sur la forme de sa présentation[8]. Pour y arriver, il a aussi constitué une équipe composée de spécialistes chevronnés[9].

Cette loi est une véritable révolution culturelle dans un pays où le système d’assurance santé exclut près de 50 millions d’individus. Outre l’obligation individuelle d’adhésion pour les Américains, les principales mesures prévues sont :

  • la création de « marchés » de contrats d’assurance où chacun peut acheter une couverture santé avec une subvention publique qui dépend du niveau de revenu ;
  • une extension du programme public d’assurance santé Medicaid[10] (couverture publique pour tous les ménages dont le revenu est inférieur à 133 % d’un plafond fédéral de pauvreté) et pénalisation financière des Etats qui ne mettent pas en œuvre cette extension (suppression de l’intégralité des financements fédéraux sur le programme Medicaid) ;
  • une obligation pour les employeurs d’offrir une assurance santé à leurs salariés (application de pénalité financière si l’obligation n’est pas respectée avec des exceptions pour les petites entreprises) ;
  • des nouvelles réglementations sur le marché de l’assurance privée (obligation de couverture de tous les individus sans critère sur l’état de santé).

A partir de 2014, des millions de ménages américains non assurés doivent bénéficier de l’extension de Medicaid, que la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle, ce qui soulève donc de nombreuses interrogations[11]. Combien d’Etats seront-ils tentés de ne pas étendre Medicaid ? Quelles seront les conséquences pour les ménages pauvres[12] qui devaient bénéficier de cette extension ? Auront-ils les moyens de s’offrir des assurances privées subventionnées[13] ? Seront-ils sanctionnés financièrement s’ils ne s’assurent pas ? Seront-ils encouragés à migrer vers des Etats ayant adopté l’extension[14] ? Il est raisonnable d’espérer que peu d’Etats[15] boycotteront l’extension de Medicaid car les autres mesures incitatives prévues par la loi restent fortes (prise en charge fédérale à 100% du surcoût de 2014 à 2016, puis 95% après 2017 puis 90% après 2020 ; perte de certains financements fédéraux en l’absence d’extension). Toutefois des aménagements de la loi seront vraisemblablement utiles si les gouvernants veulent éviter l’exclusion de personnes trop pauvres pour s’offrir une assurance privée subventionnée.

La mise en place de la loi sera progressive et les différentes mesures doivent s’appliquer à partir de 2014. D’après le dernier rapport du Congressional Budget Office (2012), les dépenses publiques annuelles (extension de Medicaid et subventions d’assurance privée) devraient augmenter d’environ 265 milliards de dollars par an[16] à l’horizon 2022 (le coût total estimé entre 2012 et 2022 est de 1 762 milliards de dollars) et le nombre de non assurés pourrait diminuer d’environ 33 millions[17]. La réforme prévoit également une hausse des recettes fiscales (hausse des prélèvements obligatoires et nouvelles taxes) ainsi qu’une baisse des dépenses fédérales (principalement des substitutions entre le programme Medicaid étendu et l’ancien programme), ce qui a pour effet de compenser amplement le coût de la réforme. Dans un précédent rapport de mars 2011, le CBO estime à 210 milliards de dollars la baisse du déficit cumulé sur la période 2012-2021. Au nom de la sacrosainte liberté, l’opposition à l’obligation individuelle d’adhésion reste encore vigoureuse[18], mais avec le temps, on peut espérer que ce principe d’obligation soit, avant tout, perçu comme un droit fondamental qui protège chaque citoyen.


[1] Pour une présentation du système d’assurance santé et de la réforme, voir Christine Rifflart et   Vincent Touzé, « La réforme du système d’assurance santé américain »,   Lettre de l’OFCE,  n°321, 21 juin 2010. Voir également la fiche de Wikipedia sur le sujet.

[2] Cette législation réunit les deux lois Patient Protection and Affordable Care Act et Health Care and Education Reconciliation Act (loi de réconciliation budgétaire).

[3] ”Health Care Reform: Recent Developments”, The New-York Times, June 29, 2012.

[4] Stephen Breyer, Elena Kagan, Ruth Bader Ginsburg, Sonia Sotomayor ainsi que le juge en chef John G. Roberts.

[5] Clarence Thomas, Anthony Kennedy, Antonin Scalia et Samuel Alito.

[6] Floyd Norris, “Justices Allow the Term ‘Tax’ to Embrace ‘Penalty’”, The New-York Times, June 28, 2012.

[7] La position juridique de l’administration Obama a consisté à soutenir que la portion de l’obligation de souscription d’assurance assimilable à une taxe est la pénalité acquittée par ceux qui ne respectent pas cette obligation. Cette pénalité fonctionne comme une régulation : elle est conçue dans une logique d’incitation et non dans une optique de recette fiscale nouvelle. Le juge Jeffrey Sutton a expliqué que si le gouvernement avait clairement spécifié que l’obligation de souscription était une taxe, elle aurait été plus facile à justifier sur le plan de sa constitutionnalité. La plupart des abattements fiscaux ou rabais d’impôts sont des incitations positives (prime à l’acquisition de véhicules moins polluants par exemple). L’obligation d’assurance sur la santé joue au contraire comme une incitation négative en infligeant une pénalité/amende aux agents décidant de ne pas souscrire d’assurance. Mis face à cette alternative, ils choisissent en toute rationalité – selon l’optique pigouvienne – l’option qu’ils jugent la plus profitable ou la moins coûteuse.

[8] Ezra Klein, “Barack Obama, Bill Clinton and Health-Care Reform”, The Washington Post, July 26, 2009.

[9] Robert Pear, “Obama Health Team Turns to Carrying Out Law”, The New-York Times, April 18, 2010.

[10] Medicaid est un programme public d’assurance santé pour les ménages les plus pauvres (près de 35 millions de bénéficiaires). Les conditions pour en bénéficier sont nombreuses (revenu, âge, degré d’invalidité, état de santé, etc.), ce qui conduit à écarter une part non négligeable de la population la plus pauvre. Ainsi, plus de 20 millions de personnes vivant en dessous du seuil fédéral de pauvreté n’ont pas accès à Medicaid. En revanche, l’autre programme public d’assurance santé réservé aux personnes âgées de 65 ans et plus, Medicare, couvre largement ce groupe d’âge.

[11] Urban Institute-Health Policy Center, “Supreme Court Decision on the Affordable Care Act: What it Means for Medicaid”, Policy Briefs, June 28, 2012.

[12] Genevieve M. Kenney, Lisa Dubay, Stephen Zuckerman et Michael Huntress, “Making the Medicaid Expansion an ACA Option: How Many Low-Income Americans Could Remain Uninsured?”, Policy Briefs, Urban Institute – Health Policy Center, June 29, 2012.

[13] En l’absence d’extension de Medicaid, leur dépense d’assurance santé serait plafonnée à 2% de leur revenu.

[14] Ce concept de vote avec les pieds a été mis en avant dans l’article de Charles M. Tiebout (1956) : “A Pure Theory of Local Expenditures”, The Journal of Political Economy, 1956, vol. 64/5, pp. 416-424.

[15] Brett Norman, ”Lew: ‘Vast majority’ of states will expand Medicaid”, Politico, 1st July 2012.

[16] En 2022, 136 milliards de dollars financeraient l’assurance santé publique de 17 millions de pauvres (extension de Medicaid) et 127 milliards de dollars subventionneraient l’achat d’assurances privées de 18 millions de personnes.

[17] En 2022, les 27 millions de non-assurés restants seraient composés de migrants illégaux (non-éligibles aux programmes publics et aux assurances privées), d’éligibles à Medicaid qui ne souhaitent pas s’assurer ainsi que des personnes non éligibles à Medicaid qui ne souhaitent également pas s’assurer.

[18] Susan Stamper Brown, “Time To Clean Up The Obamacare Mess”, The Western Center for Journalims, June 26, 2012.




Europe’s banks: leaving the zone of turbulence?

By Vincent Touzé

The 2008 crisis almost endangered the entire global financial system. Thanks to support from governments and central banks, the banking sector has recovered and once again appears to be solid financially. In the aftermath of the crisis, the public finances of the Southern euro zone countries – Portugal, Italy, Spain and Greece – and Ireland (the “PIIGS”) have, in turn, been severely weakened. Greece was forced to suspend payments, and the risk of default is still hanging over the others. Since early 2011, bank liabilities in these economies have become a significant concern of the financial markets. Despite good stress tests, this fear intensified in August 2011. European banks then entered a new period of turmoil, and the European Central Bank was forced to lend them more than 1,000 billion euros for 3 years at a rate of 1% in order to avoid a major credit crunch.

As part of their investments abroad and through their foreign branches, Europe’s banks hold liabilities from the PIIGS countries through lending to the banking sector, to the public sector (sovereign debts and credits) and to households and private non-bank enterprises. France is one of the countries that is most heavily exposed to the PIIGS (public and private sectors combined), with a total commitment by the banking system in the third quarter of 2011 of about 437 billion euros (see table), or 21.9% of GDP. Germany’s exposure, at about 322 billion euros (12.5% of GDP), is smaller. The exposure of the UK banking system is comparable and is valued at 230 billion euros, or 13.3% of GDP. In comparison, the Japanese and US banks hold little debt: 59 billion euros (1.4% of GDP) for Japan and 96 billion (0.9% of GDP) for the United States. In the course of the financial crisis, Europe’s banks have pulled back from these countries (1). According to the statistics of the Bank for International Settlements (Figure 1), the reduction in exposure was most pronounced in Greece (-55% since Q1 2007) and lowest in Portugal (-15%). Divestments of the debt of Spain (-29%), Italy (-33%) and Ireland (39%) have been comparable and are at an intermediate level compared to the previous two.

Guarantee funds can be drawn on if a bank goes bankrupt, but generally their provisions are insufficient to support a “big” bank in difficulty. According to the principle of “too big to fail”, the state must intervene to avoid bankruptcy. Possible avenues of action include acquiring some of the bank’s capital, nationalizing it by refloating it, or facilitating its long-term refinancing through the purchase of bonds. A bank failure has to be avoided at all costs, because it is frequently accompanied by panic, with collateral damage that is difficult to predict or contain. The mere fact that a State announces credible support for a bank or a banking system is often sufficient to avert a panic. If the States were to come to the rescue of the banks in the case of the Greek default, the macroeconomic implications of a 50% default on all private and public debts seem relatively minor, since it would require, for example in the case of France, a cost of around 17 billion euros, an amount that is much less than 1% of GDP (see table). By contrast, a 50% default of all the PIIGS would require 220 billion euros in support from France (11% of French GDP). The macroeconomic cost beforehand might seem high, but it is not insurmountable. Unfortunately, the spontaneous failure of one or more PIIGS would lead to an uncontrollable chain reaction whose overall macroeconomic costs could be considerable.

This financial crisis is also hitting the life insurance companies, right in the midst of a period of reform in prudential regulations. The banking sector has just managed to come up to Basel II standards and will steadily have (until 2019) to adopt Basel III (2), while the insurance industry is changing rapidly towards Solvency II (3). These two regulatory reforms are leading to an increasing need for capital just as the financial crisis is undermining balance sheets and putting greater pressure on capital ratios. While equity capital can be used to withstand a financial crisis, at the same time regulations can compel recapitalizations in very difficult refinancing conditions. This is an undesirable pro-cyclical result of the prudential regulations.

The risk of a default on payments by some PIIGS has made ​​financial analysts pay particularly close attention to the solvency and profitability of European banks. However, the results of the stress tests (4) on the European banks published in mid-July 2011 were considered good. The hypotheses used are far from being optimistic. In the euro zone (and respectively in the other countries), they point to a fall in the growth rate of 2 points (2.4 points respectively) in 2011 and 2 points (1.9 points respectively) in 2012 compared to a reference scenario. In the euro zone, this entry into recession (-0.5% in 2011 and -0.2% in 2012) would be accompanied by higher unemployment (0.3 point in 2011 and 1.2 points in 2012), a lower inflation rate (-0.5 point in 2011 and -1.1 points in 2012), a sharp drop in property prices, a rise in long-term rates as well as discounts on sovereign debt (5) of up to 30%. The objective of this “stressed” scenario is to test the capacity of the banks to be able to maintain a “core Tier 1” ratio greater than 5% (6). Under these extreme assumptions, only 8.9% of the 90 banks tested achieved a ratio that was below the 5% ceiling that would trigger a de facto recapitalization to meet the target (7). The four French banks succeeded on the stress tests without difficulty, as they maintain high ratios: 6.6% for Societe Generale, 6.8% for the Banque populaire-Caisse d’épargne, 7.9% for BNP Paribas and 8.5% for Crédit Agricole. The countries where failures were observed include Austria (1 bank), Spain (5 failures) and Greece (2 failures). In view of the stress tests, the European banking system could therefore be considered as capable of withstanding a major economic crisis.

After the second aid package to Greece on 21 July 2011, and with ongoing pressure on the other sovereign debts, worry seized the stock markets, and European bank stocks fell sharply from August to December 2011 (Figure 2). These stock market changes were in complete contradiction with the positive results of the stress tests. There are three possible ways to interpret the reaction of the financial markets:
–    An actual crisis would be much sharper than the hypotheses of the stress tests;
–    The stress test methods are not adequate for estimating the consequences of a crisis;
–    The markets get swept up in the slightest rumors and are disconnected from basics.
For now, with respect to the most pessimistic forecasts, it does not seem that the stress test hypotheses are particularly favorable. However, they have weaknesses for assessing systemic financial crisis, in that each bank does not include in its assessment the damage brought about by the application of the scenario to other banks or the consequences for the credit market. There is no feedback from the financial interconnections. Moreover, the economic crisis can greatly increase the default rates of private companies. This point may have been underestimated by the stress tests. Note also that the tests are performed at an internal level, which can also lead to different assessments of the consequences of certain scenarios. In addition, the stress tests evaluate the financial soundness of the banks, but de facto, a bank, although solvent, can see its stock price fall in times of crisis for the simple reason that its expected profitability decreases. Most importantly, the runaway financial markets are due to the lack of a consensus on the decisions taken within the European Union on finding a definitive solution to the debt crisis but also to the fact that the statutes of the European Central Bank prohibit it from participating in public debt issues. These uncertainties reinforce the volatility of the stock price of banks that are particularly exposed to PIIGS, as evidenced by the strong correlation between CDS on private banks and on sovereign debt in the euro zone (8).

With the beginning of a solution on Greek debt, the stock market listings of European banks have been rising since January 2012. Hopefully the agreement of 21 February 2012 on Greek sovereign debt will calm the storm that hit the bond markets. The operation provides that private investors agree to give up 107 billion euros of the 206 billion of debt they hold and that the euro zone States agree a new loan of 130 billion. The agreement is a swap of debt. The old bonds are exchanged against new ones at a discount of 53.5% of the face value (9) and at a new contractual interest rate. The write-down was not a surprise for the banks, which have already set aside provisions for the losses. The operation was a clear success (10), as 83% of the holdings were voluntarily offered for exchange on 9 March (11). The level of participation was increased to more than 95% by carrying through a compulsory exchange with creditors who had not responded positively to the operation (collective action clauses for debt held under Greek law). After this exchange, the European states, the IMF, and the ECB will hold “more than three-quarters of Greek debt” (12), which means that any new crisis of Greek sovereign debt would have little impact on private investors. A new source of uncertainty comes from the CDS that were taken out for the purpose of hedging or speculation (“naked CDS”). Initially, the International Swaps and Derivatives Association (ISDA) (13) announced on 1 March that this exchange was not a “credit event”. On 9 March, it revised its judgment (14). The ISDA now believes that the collective action clauses are forcing owners to accept the exchange, which constitutes a credit event. The Greek default on payments is a legally recognized event, and the CDS are thus activated. According to the ISDA, the net exposure of CDS to Greece would amount to only 3.2 billion dollars. To estimate the overall cost of the CDS for the financial sector, the residual value of the bonds would have to be subtracted from that amount. Given the inability of Greece to resume growth, the sustainability of its remaining debt is not guaranteed, and the risk of contagion persists. In any event, the public debt of the Southern euro zone countries and Ireland are now considered risky assets, which is a factor that is weakening the European banking sector. In this respect, since late March the recent rise in interest rates on Italian and Spanish public debt has provoked a decline in the stock prices of European banks (Figure 2).

The ongoing financial crisis is weakening the banking sector in the euro zone, which could lead it to reduce its exposure to risk: a major credit crunch is thus to be feared. The latest ECB survey covering 9 December 2011 to 9 January 2012 (15) with regard to the lending conditions set by banks is not very reassuring. Tighter conditions are expected by 35% (against 16% last quarter) of banks on business loans and by 29% (against 18% last quarter) of banks on consumer loans. In light of this prospect, on 21 December 2011 the ECB conducted a long-term refinancing operation. This was a huge success, with 489 billion euros in credits granted to the banking sector. The funds were loaned at 1% for a period of 3 years. Although it is still difficult to assess the impact of this measure, ECB president Mario Draghi said in February that this injection of liquidity had clearly avoided a major credit crunch. On 29 February 2012, the ECB launched a second long-term refinancing plan (16). The subscription was very substantial, with 530 billion euros disbursed. It is therefore reasonable to think that a credit crunch will be avoided.

In conclusion, the banking sector’s escape from the zone of turbulence depends on four key factors:
1) Only a long-term return to growth across the euro zone as a whole will make it possible to consolidate the public purse and reduce the number of business failures (17), thereby de facto reducing banks’ exposure to the risk of default, with responsibility incumbent on the European governments and the ECB to identify and implement the “right” policy mix and the appropriate structural measures.
2) The Greek State is insolvent; this failure in public finances must not be allowed to spread to other economies, since the banking crisis is also a test of the strength of financial solidarity in the euro zone, and it remains to be seen whether the Germans are more inclined to support Spain or Italy in case of a risk of default than they were with Greece.
3) The banking crisis has brought to the fore the procyclical effects of the prudential regulations, which need to be corrected.
4) The maneuvering room of governments as first responders in a crisis has become very limited due to their massive debt. If there is a new major shock, the ECB could have no other choice but to be the lender of last resort.

 

__________

[1] Note that a financial depreciation (capital loss) on the balance sheet value of assets in the PIIGS implies an automatic reduction in the exposure to these economies.

[2] http://www.bis.org/speeches/sp100921_fr.pdf

[3] http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/background_fr.htm.

[4] European Banking Authority, 2011, http://stress-test.eba.europa.eu/pdf/EBA_ST_2011_Summary_Report_v6.pdf.

[5] European Banking Authority (2011), Methodogical Note – Additional guidance, June 2011.

[6] The minimum level required by Basel II for the Core Tier 1 ratio is only 2%, which rises to 4.5% under Basel III (in force in 2013). This ratio measures the proportion of risk-weighted assets covered by equity capital.

[7] For a bank whose ratio falls to x%, the recapitalization requirement corresponds to (5%-x)/x % of post-shock equity capital. Hence if x=4%, the recapitalization requirement would correspond to 25% of the equity capital.

[8] “The correlation between interest rates on public debt and on private debt will make it difficult to resolve the sovereign debt crisis in the euro zone”, Flash marchés, Natixis, 14 March 2011 – N° 195, http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=57160.

[9] For example, each old bond with a face value of 100 euros is exchanged for a new one worth 46.5 euros. The EFSF guarantees 15 euros and the Greek state 31.5 euros.

[10] http://www.minfin.gr/portal/en/resource/contentObject/id/baba4f3e-da88-491c-9c61-ce1fd030edf6.

[11] In light of the holders of public debt who are not subject to Greek law and who are refusing to take part in the operation, the deadline of 9 March (see http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL6E8F54OO20120405) was put off to 4 April and then to 20 April. The Greek state considers that this refusal to exchange will not be sufficient to block the operation, as, given the collective action clauses, voluntary or required participation amounts to at least 95.7%. With regard to the recalcitrant investors, the Greek state has the choice of waiting a little longer, meeting its contractual commitments (continued reimbursement of the face value and interest as initially scheduled), make a new exchange offer (but this must be equitable with respect to those who accepted the previous offer) or default, with the risk of pursuit in the international courts.

[12] Olivier Garnier, “Comprendre l’échange de dette publique grecque”, Le Webzine de l’actionnaire – Analyses, Société Générale, 13 March 2012, http://www.societegenerale.com/actiorama/comprendre-l%E2%80%99echange-de-dette-publique-grecque.

[13] http://www.isda.org/dc/docs/EMEA_Determinations_Committee_Decision_01032012Q2.pdf.

[14] http://www2.isda.org/greek-sovereign-cds/

[15] The Euro Area Bank Lending Survey, 1February 2012, http://www.ecb.int/stats/pdf/blssurvey_201201.pdf.

[16] http://www.ecb.int/press/pr/date/2011/html/pr111208_1.en.html.

[17] “Les entreprises après la crise”, Colloquium Banque de France, 28 June 2011, http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de%20la-Banque-de-France/Bulletin-de-la-Banque-de-France-etude-185-2.pdf

 

 




Banques européennes : vers une sortie de la zone de turbulences ?

par Vincent Touzé

La crise de 2008 a failli mettre en péril le système financier mondial. Grâce au soutien des gouvernements et des banques centrales, le secteur bancaire s’est rétabli et affiche de nouveau une apparente solidité financière. Contrecoup de la crise, les finances publiques des pays du Sud de la zone euro – Portugal, Italie, Espagne et Grèce – et de l’Irlande (PSZEI) sont, à leur tour, lourdement fragilisées. La Grèce a été contrainte à la cessation de paiement et un risque de défaut pèse toujours sur les autres. Depuis début 2011, les engagements bancaires dans ces économies sont devenus une source importante d’inquiétude pour les marchés financiers. Malgré de bons stress-tests, cette crainte s’est intensifiée en août 2011. Les banques européennes sont alors entrées dans une nouvelle phase de tourmente et la banque centrale européenne a été contrainte de leurs prêter plus de 1000 milliards d’euros pendant 3 ans au taux de 1% afin d’éviter un credit crunch majeur.

Les banques européennes sont engagées, au titre de leurs investissements à l’étranger et via leurs succursales étrangères, auprès des PSZEI à travers des prêts accordés au secteur bancaire, au secteur public (dettes souveraines et crédits) ainsi qu’aux ménages et aux entreprises privées non bancaires. La France est l’un des pays les plus exposés aux PSZEI (secteurs public et privé confondus) avec un engagement total de son système bancaire d’environ 437 milliards d’euros (voir tableau), soit 21,9% de son PIB, au troisième trimestre 2011. Avec environ 322 milliards d’euros (12,5% du PIB), l’engagement de l’Allemagne est moindre. L’exposition du système bancaire du Royaume-Uni est comparable et elle est évaluée à 230 milliards d’euros, soit 13,3% du PIB. En comparaison, les banques japonaises et américaines détiennent peu de créances : 59 milliards d’euros (1,4% du PIB) pour le Japon et 96 milliards d’euros (0,9% du PIB) pour les Etats-Unis. Avec la crise financière, les banques européennes se sont désengagées de ces  économies (1). D’après les statistiques de la Banque des règlements internationaux (graphique 1), la réduction des expositions est la plus marquée en Grèce (-55% depuis le 1er trimestre 2007) et la plus faible au Portugal (-15%). Les désengagements des économies espagnole (-29%), italienne (-33%) et irlandaise (-39%) sont comparables et se situent à un niveau intermédiaire par rapport aux deux précédents.

En cas de faillite d’une banque, des fonds de garantie peuvent être mobilisés mais généralement leurs provisions sont insuffisantes pour soutenir une « grosse » banque en difficulté. Selon le principe « too big to fail », l’Etat doit intervenir pour éviter une faillite. Ses modalités d’action consistent à entrer dans le capital de la banque, à la nationaliser en la renflouant ou à faciliter son refinancement à long terme en achetant des obligations. Une faillite bancaire doit être évitée à tout prix car elle est souvent accompagnée d’effets de panique dont les dommages collatéraux sont difficiles à anticiper et à contenir. Souvent, le simple fait qu’un Etat annonce un soutien crédible à une banque ou au système bancaire suffit à éviter la panique. Si les Etats devaient venir à la rescousse des banques en cas de défaut grec, l’enjeu macroéconomique d’un défaut de 50% de l’ensemble des créances privées et publiques semble assez faible puisque cela nécessiterait, pour le cas de la France par exemple, une prise en charge d’environ 17 milliards d’euros, soit un montant bien inférieur à 1% du PIB (voir tableau). Par contre, un défaut de l’ensemble des PSZEI de 50% nécessiterait un soutien français de 220 milliards (11% du PIB français). Ex ante, le coût macroéconomique paraît élevé mais il n’est pas insurmontable. Malencontreusement, un défaut non maîtrisé d’un ou plusieurs PSZEI entrainerait un mécanisme en chaîne incontrôlable dont le coût macroéconomique global pourrait être considérable.

Cette crise financière frappe également les compagnies d’assurance-vie et elle intervient dans une période de réforme de la réglementation prudentielle. Le secteur bancaire achève de satisfaire à Bâle II et va devoir adopter progressivement (jusqu’en 2019) Bâle III (2) tandis que le secteur de l’assurance est en pleine mutation vers Solvency II (3). Ces deux réformes de la réglementation conduisent à un besoin accru de fonds propres alors que la crise financière fragilise les bilans et accroît les tensions sur les ratios de solvabilité. Les fonds propres permettent de résister aux crises financières mais en même temps la réglementation peut contraindre à des recapitalisations dans des conditions de refinancement très tendues. C’est un effet pro-cyclique indésirable de la réglementation prudentielle.

Le risque d’un défaut de paiement de certains PSZEI a rendu les analystes financiers particulièrement vigilants sur la solvabilité et la rentabilité des banques européennes. Pourtant, le bilan des tests de résistance(4)  (stress tests) sur les banques européennes publié mi-juillet 2011 a été jugé bon. Les hypothèses utilisées sont loin d’être optimistes. Dans la zone euro (resp. dans les autres pays), elles envisagent une baisse du taux de croissance de 2 points (resp. 2,4 points) en 2011 et 2 points (resp. 1,9 points) en 2012 par rapport à un scénario de référence. Dans la zone euro, cette entrée dans la récession (-0.5% en 2011 puis -0.2% en 2012) s’accompagne d’une hausse du taux de chômage (+0,3 point en 2011 et +1,2 point en 2012), d’une baisse du taux d’inflation (-0,5 point en 2011 puis -1,1 point en 2012), d’une forte baisse des prix de l’immobilier, d’une hausse des taux à long terme ainsi que des décotes sur les dettes souveraines (5) pouvant aller jusqu’à 30%. L’objectif de ce scénario « stressé » est de tester la capacité de résistance des banques pour maintenir un ratio « Core Tier 1 » supérieur à 5% (6). Sous ces hypothèses extrêmes, seulement 8,9% des 90 banques testées obtiennent un ratio inférieur au seuil de 5%, ce qui nécessite de facto une recapitalisation pour respecter cette cible (7). Les quatre banques françaises ont réussi sans difficulté les stress tests puisqu’elles conservent un ratio élevé : 6,6% pour la Société Générale, 6,8% pour le groupe Banque populaire-Caisse d’épargne, 7,9% pour BNP Paribas et 8,5% pour le Crédit Agricole. Les pays où des échecs sont observés sont : l’Autriche (1 banque), l’Espagne (5 échecs) et la Grèce (2 échecs). Au regard des stress tests, le système bancaire européen peut donc être jugé comme apte à résister à une crise économique d’envergure.

A la suite du deuxième plan d’aide à la Grèce du 21 juillet 2011, aux tensions persistantes sur les autres dettes souveraines, une inquiétude s’est emparée des marchés boursiers et les valeurs bancaires européennes ont fortement chuté d’août à décembre 2011 (graphique 2). Ces évolutions boursières observées ont été en complète contradiction avec les bons résultats des stress tests. Il y a trois interprétations possibles pour expliquer la réaction des marchés financiers :
–    La crise réelle serait plus forte que les hypothèses des stress tests ;
–    Les méthodes de stress tests seraient insuffisantes pour estimer les conséquences d’une crise ;
–    Les marchés s’emballeraient aux moindres rumeurs et seraient déconnectés des fondamentaux.
Pour l’instant au regard des prévisions les plus pessimistes, il ne semble pas que les hypothèses de stress test soient particulièrement favorables. Cependant, les ceux-ci ont des faiblesses pour évaluer les crises financières systémiques dans la mesure où chaque banque n’intègre pas dans son évaluation les dégradations induites par l’application de ce scénario aux autres banques et les conséquences sur le marché du crédit. Il n’y a pas de bouclage des interconnections financières. De plus, la crise économique peut augmenter fortement les taux de défaut des entreprises privées. Ce point pourrait avoir été sous-estimé par les tests de résistance. Il faut également noter que les tests sont réalisés à un niveau interne, ce qui peut aussi conduire à des appréciations différentes des conséquences de certains scénarios. Par ailleurs, les stress tests évaluent la solidité financière des banques, mais de facto, une banque, bien que solvable, peut voir son cours chuter en période de crise pour la simple raison que sa rentabilité anticipée baisse. Enfin et surtout, l’emballement des marchés financiers est attribuable au manque de consensus dans les décisions dans l’Union européenne pour trouver une solution définitive à la crise des dettes souveraines mais également au fait que les statuts de la Banque centrale européenne lui interdisent de participer aux émissions de dette publique. Ces incertitudes renforcent la volatilité du cours boursier des banques particulièrement exposées aux PSZEI, comme en témoigne la forte corrélation entre les CDS sur les banques privées et sur les dettes souveraines dans la zone euro (8).

Avec l’amorce d’une solution sur la dette grecque, une remontée des cours des banques européennes s’observe à partir janvier 2012. On peut espérer que l’accord sur la dette souveraine grecque du 21 février 2012 calmera la tempête qui frappe les marchés obligataires. L’opération vise à ce que les investisseurs privés acceptent de renoncer à 107 des 206 milliards d’euros de dette publique qu’ils détiennent et que les Etats de la zone euro consentent un nouveau prêt de 130 milliards. L’accord conclu est une opération d’échange de dette. Les anciennes obligations sont échangées contre des nouvelles avec une décote de 53,5% de la valeur faciale (9) et un nouveau taux d’intérêt contractuel. Cette décote n’est pas une surprise pour les banques qui ont déjà provisionné les pertes. L’opération est un franc succès (10) puisque 83% des titres ont été volontairement proposés à l’échange le 9 mars (11). La participation est portée à plus de 95% en procédant à un échange obligatoire auprès des créanciers n’ayant pas répondu positivement à l’opération (clauses d’action collective engagées pour les créances de droit grec). A l’issue de cet échange, les Etats européens, le FMI, la BCE détiendront « plus des trois-quarts de la dette grecque »(12), ce qui signifie qu’une nouvelle crise de la dette souveraine grecque impactera peu les investisseurs privés. Une nouvelle source d’incertitude provient des CDS qui ont été souscrits à des fins de couverture ou de spéculation (achat à nu). Dans un premier temps, l’International Swaps and Derivatives Association(ISDA) (13)  avait annoncé, le 1er mars, que cet échange n’était pas « un événement de crédit ». Le 9 mars, elle a révisé son jugement (14). Désormais, l’ISDA considère que les clauses d’action collective forcent les détenteurs à accepter l’échange, ce qui constitue un évènement de crédit. Le défaut de paiement de la Grèce est reconnu sur un plan juridique et les CDS sont donc activés. D’après l’ISDA, l’exposition nette des CDS sur la Grèce s’élèverait à seulement 3,2 milliards de dollars. Pour estimer le coût global des CDS pour le secteur financier, il faut soustraire à ce montant la valeur résiduelle des obligations. Compte-tenu de l’incapacité de la Grèce à renouer avec la croissance, la soutenabilité de sa dette restante n’est pas assurée et les risques de contagion persistent. En tout état de cause, les dettes publiques des pays du Sud de la zone euro et de l’Irlande sont dorénavant considérées comme des actifs à risque, ce qui constitue un facteur de fragilisation du secteur bancaire européen. A ce titre, la récente remontée des taux sur les dettes publiques italienne et espagnole a provoqué, depuis fin mars, une baisse des valeurs boursières des banques européennes (graphique 2).

Cette crise financière fragilise le secteur bancaire de la zone euro qui peut être enclin à réduire ses expositions aux risques : un crédit crunch majeur est donc à craindre. La dernière enquête réalisée par la BCE, du 9 décembre 2011 au 9 janvier 2012, auprès des banques (15) sur les conditions d’attribution de crédit n’est pas très rassurante. Un durcissement des conditions est envisagé par 35% (contre 16% le trimestre précédent) des banques pour les crédits aux entreprises et par 29% (contre 18% le trimestre précédent) des banques pour les crédits immobiliers aux ménages. Face à une telle perspective, la BCE a procédé, le 21 décembre 2011, à une opération de refinancement à long terme (long term refinancing operation). Cette opération a remporté un large succès puisque 489 milliards d’euros de crédits ont été accordés au secteur bancaire. L’argent est prêté à 1% pour une durée de 3 ans. Même si les effets de cette mesure sont encore difficiles à apprécier, le président de la BCE, Mario Draghi a annoncé, en février, que cet apport de liquidité avait, de toute évidence, évité un credit crunch majeur. Le 29 février 2012, la BCE a lancé un deuxième plan de refinancement à long terme (16). La souscription a été très importante puisque 530 milliards d’euros ont été prêtés. Il est donc permis de penser que le credit crunch sera évité.

En conclusion, la sortie du secteur bancaire de la zone de turbulence repose sur quatre éléments clés :
i)    Seul un retour durable de la croissance dans l’ensemble de la zone euro est en mesure de consolider les finances publiques et réduire le nombre de faillites d’entreprises (17), ce qui diminuera de facto l’exposition des banques au risque de défaut, à charge pour les gouvernements européens et la BCE d’identifier et de mettre en place le « bon » policy-mix ainsi que les mesures structurelles adéquates.
ii)    L’Etat grec est en cessation de paiement, il ne faut pas que cette faillite des finances publiques s’étendent aux autres économies, car la crise bancaire est aussi un test de la solidité de la solidarité financière dans la zone euro, et il reste notamment à savoir si les Allemands seront plus enclins à soutenir l’Espagne ou l’Italie en cas de risque de défaut qu’ils ne l’ont été avec la Grèce.
iii)    La crise bancaire met vraisemblablement en avant des effets pro-cycliques de la réglementation prudentielle qui mériteraient d’être corrigés.
iv)    Les marges de manœuvre des gouvernements comme soutien de premier secours sont devenues très limitées en raison de leur endettement massif. En cas de nouveau choc majeur, la BCE pourrait n’avoir d’autre choix que d’être le prêteur en dernier ressort.

__________

[1] Il est à noter que la dépréciation financière (moins-value) de la valeur au bilan des actifs détenus dans les PSZEI implique une réduction automatique de l’exposition dans ces économies.

[2] http://www.bis.org/speeches/sp100921_fr.pdf

[3] http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/background_fr.htm.

[4] European Banking Authority, 2011, http://stress-test.eba.europa.eu/pdf/EBA_ST_2011_Summary_Report_v6.pdf.

[5] European Banking Authority (2011), Methodogical Note – Additional guidance, June 2011.

[6] Le niveau minimal prudentiel exigé par Bâle II concernant le ratio « Core Tier 1 » est de seulement 2% et il augmente à 4,5% avec Bâle III (application en 2013). Ce ratio mesure la proportion des actifs pondérés du risque couverts par les fonds propres.

[7] Pour une banque dont le ratio tombe à x%, les besoins en recapitalisation correspondent à (5%-x)/x % des fonds propres après choc. Ainsi si x=4%, le besoin de recapitalisation correspond à 25% des fonds propres.

[8] « La corrélation entre taux d’intérêt sur les dettes publiques et sur les dettes privées va rendre difficile la résolution des crises des dettes souveraines dans la zone euro », Flash marchés, Natixis, 14 mars 2011 – N° 195, http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=57160.

[9] Par exemple, chaque ancienne obligation de valeur faciale 100 euros est échangée contre une nouvelle de 46,5 euros. Le FESF se porte garant sur 15 euros et l’Etat grec sur 31,5 euros.

[10] http://www.minfin.gr/portal/en/resource/contentObject/id/baba4f3e-da88-491c-9c61-ce1fd030edf6.

[11] En raison de détenteurs de dettes publiques non soumises au droit grec qui refusent de participer à l’opération, l’échéance du 9 mars (voir http://fr.reuters.com/article/frEuroRpt/idFRL6E8F54OO20120405) a été repoussée au 4 avril puis au 20 avril. L’Etat grec considère que ces refus d’échange ne sont pas en mesure de faire échouer l’opération car avec les clauses d’action collective, la participation volontaire ou contrainte passe à 95,7%. Face à ces investisseurs, l’Etat grec a le choix entre attendre encore un peu, respecter ses engagements contractuels (maintien du remboursement du nominal et des échéances d’intérêt initialement prévus), faire une nouvelle offre d’échange (mais il faut qu’elle soit équitable vis-à-vis de ceux qui ont déjà accepté la précédente) ou faire défaut avec d’éventuels risques de poursuite devant la justice internationale.

[12] Olivier Garnier, « Comprendre l’échange de dette publique grecque », Le Webzine de l’actionnaire – Analyses, Société Générale, 13 mars 2012, http://www.societegenerale.com/actiorama/comprendre-l%E2%80%99echange-de-dette-publique-grecque.

[13] http://www.isda.org/dc/docs/EMEA_Determinations_Committee_Decision_01032012Q2.pdf.

[14] http://www2.isda.org/greek-sovereign-cds/

[15] The Euro Area Bank Lending Survey, 1er février 2012, http://www.ecb.int/stats/pdf/blssurvey_201201.pdf.

[16] http://www.ecb.int/press/pr/date/2011/html/pr111208_1.en.html.

[17] « Les entreprises après la crise », Colloque Banque de France, 28 juin 2011, http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/publications/Bulletin-de%20la-Banque-de-France/Bulletin-de-la-Banque-de-France-etude-185-2.pdf

 




Financement de la protection sociale : à la recherche d’une réforme miracle…

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ? La réponse est non, et nous expliquons ici pourquoi.

La France est le pays du monde où les cotisations sociales sont les plus fortes. Ceci s’explique par la générosité de son système de protection sociale. Le salarié français n’a pas à épargner pour sa retraite et sa santé. Il reçoit des prestations famille et chômage relativement généreuses. A revenu disponible donné, son salaire net peut ainsi être plus faible que dans les pays où il doit financer sa santé et sa retraite (ce qui compense la hausse  du coût salarial induit par les cotisations sociales employeurs). Depuis 1984, la part des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée a assez nettement diminué de sorte qu’on ne peut guère les accuser d’être responsables des pertes récentes de compétitivité de l’économie française.

Depuis 40 ans, le financement de la Sécurité sociale a donné lieu à de nombreuses études. Des réformes importantes ont été engagées : déplafonnement des cotisations ;  allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires ; suppression des cotisations maladie des salariés et création de la CSG ; mise en place de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et du forfait social sur les rémunérations extra-salariales. En  2006-2007, le débat a rebondi : le remplacement de points de cotisations employeurs par une Contribution sur la Valeur Ajoutée (CVA), par une TVA sociale ou par une hausse de la CSG a été envisagé puis écarté, à la suite de plusieurs rapports administratifs.

Pour l’avenir, on peut rendre totalement indépendantes les questions de protection sociale et de compétitivité des entreprises en décidant que les éventuelles futures hausses de ressources porteront sur les cotisations sociales salariés (retraites) ou la CSG (maladie, famille) [1].

Les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite, allocation maladie de remplacement) reposent sur une logique contributive : les droits et les montants dépendent des cotisations versées. Ils doivent donc obligatoirement être financés par les revenus d’activité des personnes couvertes. Comment justifier que les personnes ayant eu de plus forts revenus reçoivent plus de prestations, sinon que par le fait qu’elles ont acquis ce droit par leurs cotisations ? Les cotisations salariés ne financent aujourd’hui que de telles prestations, ce qui rend impossible leur remplacement par des impôts (comme la CSG). Il ne serait, en effet, pas légitime de faire payer des cotisations chômage ou retraite aux retraités ou aux revenus du capital des ménages, puisque ces cotisations n’ouvriraient pas de droit.

Par contre, les prestations universelles (famille, maladie) devraient être financées par l’impôt. Pour des raisons historiques, ce principe n’est pas respecté en France où elles restent, en partie, financées par des cotisations employeurs. En novembre 2011, le Medef a relancé le débat. Son objectif récurrent est de faire diminuer les cotisations employeurs, famille et maladie, pour augmenter le profit et la compétitivité des entreprises françaises. Mais, ceci suppose de faire payer les ménages, ce que le Medef cherche à masquer.

Quatre projets sont sur la table. Les deux premiers, que le Medef récuse, n’amélioreraient pas la compétitivité globale des entreprises, mais pourraient favoriser l’emploi. Les deux autres supposent une baisse des revenus des ménages.

Instaurer une CVA consisterait à changer l’assiette des cotisations sociales de façon à taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, donc aussi les machines au lieu de taxer seulement l’emploi. Les entreprises seraient incitées à ralentir la substitution du capital au travail ; les entreprises de main d’œuvre ne seraient plus défavorisées par rapport aux entreprises plus capitalistiques. Cette mesure a été rejetée en 2006 ; on lui a reproché de surtaxer l’industrie, de nuire à l’innovation. Mais les innovations qui consistent à remplacer des emplois par des machines sont-elles justifiées en situation de chômage de masse ?

La taxe carbone pourrait être utilisée pour réduire les cotisations employeurs. Ainsi, les entreprises seraient-elles incitées à utiliser moins d’énergie et plus de travail. Ceci ferait courir le risque de provoquer la délocalisation d’industries fortement émettrices de carbone. C’est une mesure nécessaire à terme, mais il faudra l’instaurer dans le cadre de l’UE et de l’OMC. Cette substitution suppose d’utiliser les ressources dégagées par l’instauration d’une taxe carbone pour réduire le coût du travail et non pour indemniser les ménages et les entreprises les plus frappés par la taxe ou pour financer les investissements en économies d’énergie en France ou dans les pays émergents (comme il est envisagé dans les négociations internationales).

Augmenter les taux de TVA et baisser les cotisations sociales employeurs (la TVA sociale) se traduiraient par une hausse des prix à la consommation. Même si les prix des produits français vendus en France restaient fixes (la hausse de la TVA compensant la baisse des cotisations que les entreprises répercuteraient en totalité), les prix des produits importés augmenteraient pour les consommateurs (en raison de la hausse de la TVA). La réforme ne serait pas payée par nos fournisseurs étrangers, mais bien par les ménages français qui devraient payer plus cher les produits importés. Au final, soit les salaires et les prestations augmenteraient à la suite de ces hausses de prix, ce qui ferait progressivement disparaître les gains immédiats de compétitivité ; soit, il faudrait bloquer salaires et prestations et imposer aux salariés et aux retraités d’accepter une baisse de pouvoir d’achat au nom de la compétitivité. Dans ce deuxième cas, les gains de compétitivité seraient durables, mais ils seraient obtenus au prix de pertes de pouvoir d’achat des ménages.

La mesure la plus transparente serait de baisser les cotisations employeurs et d’augmenter simultanément la CSG du même montant en disant clairement aux Français : « Acceptez des pertes de pouvoir d’achat pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises ». La hausse de la CSG devrait porter sur tous les revenus. On ne peut frapper spécifiquement les revenus du capital (qui viennent déjà d’être touchés par la hausse du prélèvement libératoire de 19 à 24%) ou les retraités (qui ne bénéficient pas de hausses de pouvoir d’achat). Mais comment garantir que les entreprises augmenteraient bien l’investissement et l’emploi en France ? La hausse de l’investissement et le gain en commerce extérieur compenseraient-ils la baisse inéluctable de la consommation ? Si elle était généralisée, cette politique de dévaluation déguisée, à l’allemande, nuirait à la demande et donc à la production, de la zone Euro. Chaque pays doit-il se lancer dans une stratégie d’exportation de son chômage ?

Le Medef[2] propose deux mesures. Une baisse de 4,5 points des cotisations salariés (en négligeant que ces cotisations financent des prestations contributives) serait compensée par une hausse de la CSG (qui devrait être de 3 points). La hausse de 2 % des salaires nets serait payée par une baisse de 5% des revenus du capital des ménages et de 3,3% des retraites (qui supporteraient les 2/3 du coût de la mesure)[3]. Une baisse de 7,5 points des cotisations employeurs serait compensée par une hausse de 5 points de la TVA ; la Medef précise que les entreprises seraient libres d’utiliser cette baisse pour réduire leurs prix, améliorer leurs marges ou augmenter les salaires. Par contre, il oublie que cette mesure sera fortement inflationniste, en tout état de cause du fait de la hausse du prix des importations et d’autant plus que les entreprises françaises augmenteraient leurs marges ou les salaires. Cette inflation diminuera le pouvoir d’achat des ménages, ce qu’il faudra compenser par des hausses de salaires et de retraites qui annuleront les gains de compétitivité.

On l’aura compris, il n’existe pas de réforme miracle du financement qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises sans dégrader le pouvoir d’achat des ménages.


 [1]Il serait aussi souhaitable de supprimer les niches sociales : faire passer de 8 à 30% le forfait social, qui frappe les éléments extra-salariaux des rémunérations, comme la participation, l’intéressement (ce qui rapporterait 4 milliards d’euros), taxer à la CSG les loyers implicites (8 milliards), mettre fin aux exonérations des heures supplémentaires (6 milliards) fourniraient 18 milliards de recettes à la Sécurité sociale.

[2] Nous discutons ici le troisième scénario  du « nouveau pacte fiscal et social pour la compétitivité de la France » proposé par le MEDEF le 15 novembre 2011 (http://www.medef.com/nc/medef-tv/actualites/detail/article/le-nouveau-pacte-fiscal-et-social-pour-la-competitivite-de-la-france.html).

[3] Cette première mesure n’a aucun effet sur la compétitivité des entreprises ; son objectif est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des salariés qu’induirait la seconde, mais ceci se ferait au détriment des retraités qui subiraient une double peine : hausse de la CSG et inflation.