Dette italienne : plus de peur que de mal ?

par Céline Antonin

Le spectre d’une crise de la dette souveraine en Italie fait trembler la zone euro. Depuis leur arrivée au pouvoir, Matteo Salvini et Luigi di Maio multiplient en effet les déclarations fracassantes en matière budgétaire, montrant leur volonté de s’abstraire du cadre budgétaire européen qui prône le retour à l’équilibre selon des règles précises[1]. Ainsi, l’annonce d’un dérapage budgétaire lors de la publication de la mise à jour du Document économique et financier fin septembre 2018 a attisé la nervosité des marchés financiers et déclenché une nouvelle hausse des taux obligataires (graphique).

Pour autant, faut-il céder à la panique ? La question cruciale est celle de la soutenabilité de la dette publique italienne. A l’horizon 2020, la situation de la troisième économie de la zone euro est moins dramatique qu’il n’y paraît. En stabilisant le taux d’intérêt au niveau de fin septembre 2018, la dette publique serait largement soutenable. Elle décroîtrait en 2019, passant de 131,2 % à 130,3 % du PIB. Etant données nos hypothèses[2], seule une très forte et durable remontée des taux d’intérêt obligataires, supérieure à 5,6 points conduirait à une hausse du ratio d’endettement public. Autrement dit, il faudrait que le taux obligataire dépasse le niveau atteint au paroxysme de la crise des dettes souveraines de 2011. Si une telle situation devait se produire, il serait difficile de croire que la BCE n’interviendrait pas pour rassurer les marchés et éviter une contagion à la zone euro.

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Une impulsion budgétaire fortement positive en 2019

L’évolution du ratio d’endettement public dépend fortement des hypothèses que l’on retient. Il est fonction du solde des administrations publiques, du taux de croissance du PIB, du déflateur, et du taux d’intérêt apparent sur la dette publique (voir formule de calcul infra).

En matière budgétaire, malgré leurs dissensions, les deux partis composant le gouvernement italien (La Ligue et le Mouvement 5 Etoiles) semblent au moins s’accorder sur un point : la nécessité de desserrer la contrainte budgétaire et de relancer la demande. Le contrat de gouvernement, publié en mai 2018, était d’ailleurs sans équivoque. Il annonçait un choc fiscal d’un montant approximatif de 97 milliards d’euros sur 5 ans, soit 5,6 % du PIB sur la durée du quinquennat. Mais bien que les mesures aient été progressivement revues à la baisse, le projet présenté au Parlement italien prévoit un déficit public de 2,4 % du PIB pour 2019, loin de l’objectif initial de 0,8 % inscrit dans le Pacte de stabilité et de croissance transmis à la Commission européenne le 26 avril 2018. Nous faisons l’hypothèse que le budget 2019 sera adopté par le Parlement, et que le déficit sera bien de 2,4 % du PIB. Ainsi, nous anticipons une impulsion budgétaire positive de 0,7 point de PIB en 2019. Cette impulsion se décompose comme suit :

– Une baisse des prélèvements obligatoires de 5 milliards, soit 0,3 point de PIB, liée à l’introduction progressive de la « flat tax » à 15 % pour les PME, une mesure défendue par la Ligue. L’extension de la « flat tax » à l’ensemble des entreprises et aux ménages a été repoussée à plus tard dans le mandat, sans autre précision ;

– Une hausse des dépenses publiques, que l’on chiffre globalement à 7 milliards d’euros, soit 0,4 point de PIB. Citons d’abord la mesure emblématique du Mouvement 5 Etoiles, l’introduction d’une pension de citoyenneté (en janvier 2019) et d’un revenu de citoyenneté (en avril 2019), pour un montant total estimé à 10 milliards d’euros. La pension de citoyenneté sera destinée à compléter la pension de tous les retraités pour la porter à 780 euros par mois. Pour les actifs, le principe sera similaire – compléter le salaire à hauteur de 780 euros –, mais sous conditions : ils devront néanmoins s’engager à suivre une formation et à accepter au moins une des trois premières propositions d’emploi qui leur seront présentées par le Centre pour l’emploi. La révision de la réforme des retraites, qui prévoit la « règle des 100 », permettra en outre le départ à la retraite lorsque la somme entre l’âge et les années travaillées atteint 100, sous certaines conditions. Cela devrait coûter 7 milliards d’euros en 2019. Enfin, un fonds d’investissement de 50 milliards d’euros est prévu sur 5 ans ; nous inscrivons pour notre part une hausse de l’investissement public de 4 milliards d’euros en 2019. Pour financer la hausse des dépenses sans accroître le déficit public au-delà de 2,4 %, le gouvernement devra donc économiser 14 milliards d’euros, soit l’équivalent de 0,8 point de PIB. Pour l’instant, ces mesures sont très imprécises (poursuite de la rationalisation des dépenses et mesures d’amnistie fiscale).

Pour 2020, le gouvernement italien annonce une baisse du déficit public à 2,1 % du PIB. Or, pour arriver à ce chiffre, étant données nos hypothèses de croissance, cela nécessiterait d’inscrire une politique budgétaire légèrement restrictive, ce qui est peu crédible. Par conséquent, nous supposons une politique budgétaire quasi-neutre en 2020, qui se traduit par un maintien du déficit à 2,4 % du PIB.

Avec une impulsion budgétaire très positive en 2019, la croissance annuelle (1,1 %) serait supérieure à celle de 2018. Cette accélération est plus visible en glissement annuel : au quatrième trimestre 2019, la croissance est de 1,6 %, contre 0,6 % au quatrième trimestre 2018. La croissance, certes faible, reste néanmoins supérieure à la croissance potentielle (0,3 %) en 2019 et 2020. En effet, l’écart de production (output gap) est toujours creusé et entraîne un rattrapage de 0,4 point de PIB par an. Ainsi, la croissance spontanée[3] atteint 0,7 point de PIB en 2019 et 2020. Par ailleurs, nous anticipons une impulsion budgétaire beaucoup plus forte en 2019 (0,7 point de PIB) par rapport à 2020 (0,1 point de PIB). Les autres chocs, comme le prix du pétrole ou la compétitivité-prix, sont en revanche plus positifs ou moins négatifs en 2020 qu’en 2019.

L’évolution du ratio d’endettement public dépend également de l’évolution du déflateur du PIB. Or, les prix restent contenus en 2019 et 2020, notamment sous l’effet de la modération salariale. Ainsi, la croissance nominale avoisinerait les 2 % en 2019 et 2020.

Enfin, nous supposons que les taux d’intérêt sur la dette restent au niveau de début octobre 2018. Etant donnée la maturité de la dette publique (sept ans), la remontée des taux inscrite en prévision pour 2019 et 2020 est très progressive.

Baisse de la dette publique jusqu’en 2020

Sous toutes ces hypothèses, la dette publique baisserait continûment jusqu’en 2020, passant de 131,2 % en 2018 à 130,3 % du PIB en 2019, puis à 129,5 % en 2020 (tableau). Etant données nos hypothèses, la dette publique décroîtra en 2019 si le taux d’intérêt apparent reste inférieur à 3,5 % du PIB, autrement dit si la charge d’intérêt rapportée au PIB est inférieure à 4,5 %.

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Or, pour que les taux d’intérêt apparents sur la dette passent de 2,7 % en 2018 à 3,5 % en 2019, étant donnée la maturité de la dette de 7 ans, il faudrait que le taux d’intérêt demandé par les marchés s’accroisse d’environ 5,6 points en moyenne sur l’année, et ce, pendant un an. Même si l’on ne peut exclure ce scénario, il semble certain que la BCE interviendrait pour permettre à l’Italie de se refinancer à moindre coût et éviter une contagion.

Reste que même si les taux d’intérêt n’atteignent pas ce niveau, toute nouvelle hausse des taux d’intérêt limitera davantage les marges de manœuvre budgétaires du gouvernement italien, ou conduira à un accroissement du déficit plus fort que prévu. Par ailleurs, le déficit prévu par le gouvernement s’appuie sur une hypothèse optimiste de croissance du PIB de 1,5 % en 2019 ; or si la croissance est plus faible, le déficit pourrait davantage se creuser, attisant la nervosité des marchés et des investisseurs, et mettant en péril la soutenabilité de la dette.

[1] L. Clément-Wilz (2014), « Les mesures « anti-crise » et la transformation des compétences de l’Union en matière économique », Revue de l’OFCE, 103.

[2] Pour davantage de détails, on pourra se reporter à la prévision 2018-2020 pour l’économie mondiale, Revue de l’OFCE, à paraître (octobre 2018).

[3] La croissance spontanée, pour une année donnée, se définit comme la somme de la croissance potentielle et de la fermeture de l’écart de production.




Des ajustements d’ampleur à attendre pour la zone euro

par Bruno Ducoudré, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot

Les déséquilibres de balance courante sont au cœur du processus qui a mené à la crise de la zone euro à partir de 2009. Les premières années d’existence de l’euro, jusqu’à la crise de 2007-2008, ont en effet été celles du creusement des déséquilibres entre pays dits du Nord (ou du cœur) et ceux dits du Sud (ou de la périphérie) de l’Europe, comme cela est visible sur le graphique 1.

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Le processus de divergence des balances courantes a subi un net coup d’arrêt après 2009 et les déficits extérieurs ont disparu dans la presque totalité des pays de la zone euro. Pour autant, l’écart reste significatif entre pays du Nord et pays du Sud, et on ne peut pas encore parler de reconvergence. Par ailleurs, la résorption des déficits (italiens et espagnols) mais pas des excédents (allemands et néerlandais) a radicalement changé le rapport de la zone euro au reste du monde : alors que la zone avait un compte courant proche de l’équilibre entre 2001 et 2008, un excédent significatif se forme à partir de 2010, pour atteindre 3,3 % du PIB en 2016. Autrement dit, le déséquilibre qui était interne à la zone euro s’est déplacé en un déséquilibre externe entre la zone euro et le reste du monde, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni. Ce déséquilibre alimente le protectionnisme de Donal Trump et implique une tension sur le taux de change. Alors que le change nominal interne à la zone euro n’est pas une variable d’ajustement, le taux de change entre l’euro et le dollar peut s’ajuster.

Maintenir un tel excédent de la zone euro sur le long terme semble peu probable. Certes, les pressions à l’appréciation de l’euro sont aujourd’hui contenues par la politique monétaire particulièrement accommodante de la Banque centrale européenne (BCE), mais lorsque viendra le moment de la normalisation des politiques monétaires, il est probable que l’euro s’appréciera significativement. Outre un impact déflationniste, cela pourrait relancer la crise de la zone, en creusant à nouveau les déficits extérieurs des pays du Sud par une perte de leur compétitivité. Les motifs de sortie de la zone euro s’amplifieront alors.

Dans une étude récente[1] nous cherchons à quantifier les ajustements qui restent à effectuer pour parvenir à résorber ces différents déséquilibres de balance courante, aussi bien à l’intérieur de la zone euro que vis-à-vis du reste du monde. À cette fin, nous estimons des taux de change réel d’équilibre à deux niveaux. D’abord du point de vue de la zone euro dans son ensemble, avec l’idée que l’ajustement du taux de change réel passera par celui du taux de change nominal, notamment de l’euro vis-à-vis du dollar : nous estimons la cible de long terme de la parité euro/dollar à 1,35 dollar pour un euro. Ensuite, nous calculons des taux de change réels d’équilibre au sein même de la zone euro, car si le taux de change nominal entre les pays membres ne varie pas du fait de l’union monétaire, les niveaux de prix relatifs permettent des ajustements de taux de change réel : nos estimations indiquent que des désajustements substantiels subsistent (cf. graphique 2), le désajustement moyen (en valeur absolue) par rapport au niveau de l’euro s’élevant à 11% en 2016. Le différentiel nominal relatif entre l’Allemagne et la France s’élèverait à 25 %.

IMG2_post20-06Dans la situation actuelle, il n’y a plus accumulation de créances de certains pays de la zone euro sur d’autres, mais accumulation de certains pays de la zone euro sur d’autres pays du monde. Cette fois-ci le taux de change (effectif, pondéré par les actifs bruts accumulés) peut servir de variable d’ajustement. Ainsi une appréciation de l’euro réduirait l’excédent courant de la zone euro et déprécierait la valeur des actifs, probablement accumulés en monnaie étrangère. D’autre part, la France apparaît maintenant comme le dernier pays en déficit significatif de la zone euro. Relativement aux autres pays de la zone euro, c’est la France qui contribue (négativement) le plus aux déséquilibres avec l’Allemagne (positivement). Si l’euro s’appréciait, il est probable que la situation de la France serait plus dégradée encore et que l’on retrouverait une situation d’accumulation de position nette interne, mais cette fois-ci entre la France (pour le côté débiteur) et l’Allemagne (créditeur). Ce ne serait pas comparable à la situation d’avant 2012, puisque la France est un plus grand pays que la Grèce ou le Portugal et donc que la question de la soutenabilité se poserait dans des termes très différents. En revanche, la résorption de ce déséquilibre par l’ajustement des prix est d’un ordre de grandeur tel que compte tenu des différentiels de prix relatifs qu’il est vraisemblable de maintenir entre la France et l’Allemagne, il faudrait plusieurs décennies pour y parvenir. Il est d’ailleurs frappant de constater que somme toute, depuis 2012, alors que la France a engagé une coûteuse réduction des coûts salariaux par le CICE et le Pacte de responsabilité d’une part, et que l’Allemagne instaurait un salaire minimum et connaît une dynamique salariale plus franche dans un marché du travail proche du plein emploi d’autre part, le déséquilibre relatif entre la France et l’Allemagne, exprimé en ajustement de prix relatif, n’a pas bougé.

Il faut tirer trois conséquences de cette analyse :

  1. Le déséquilibre qui s’est installé aujourd’hui ne se résorbera que difficilement et toute mesure visant à l’accélérer est la bienvenue. Continuer la progression modérée des salaires nominaux en France, stimuler la progression des salaires nominaux en Allemagne, rétablir en faveur des salaires le partage de la valeur ajoutée allemande, persister dans l’appréciation du salaire minimum sont autant de pistes prolongeant celles que nous avons évoquées dans les différents rapports iAGS. Une TVA sociale inversée, ou du moins une baisse de la TVA en Allemagne serait également un moyen de réduire l’épargne nationale allemande et, en l’accompagnant d’une hausse des cotisations sociales allemandes, d’accroître la compétitivité des autres pays de la zone euro ;
  2. Le déséquilibre interne d’avant la crise est devenu un déséquilibre externe à la zone euro qui induit une pression à l’appréciation effective de l’euro. L’ordre de grandeur est conséquent, il pèsera sur la compétitivité des différents pays de la zone euro et fera réapparaître sous une forme différente le problème connu avant 2012 ;
  3. L’appréciation de l’euro induite par les excédents courants de certains pays de la zone euro génère une externalité pour les pays de la zone euro. Du fait de réponses différentes de leurs balances courantes à une variation des prix relatifs, ce sont l’Italie et l’Espagne qui verront leur balance courante réagir le plus alors que celle de l’Allemagne y réagira le moins. Autrement dit, l’appréciation de l’euro, relativement, dégradera plus la balance courante de l’Italie et de l’Espagne que celle de l’Allemagne et réinstallera un régime de déséquilibre interne presque comparable à celui d’avant 2012. Cette externalité et la moindre sensibilité de la balance courante de l’Allemagne aux prix relatifs plaide pour une réduction des déséquilibres par une progression de la demande interne allemande, c’est-à-dire une réduction de leur épargne nationale. Les outils peuvent être une relance de l’investissement public, une baisse des impôts directs sur les personnes ou encore une augmentation plus rapide du salaire minimum par rapport à la productivité et l’inflation.

[1] Sébastien Villemot, Bruno Ducoudré, Xavier Timbeau : « Taux de change d’équilibre et ampleur des désajustements internes à la zone euro », Revue de l’OFCE, 156 (2018).




Espagne : un budget 2018 dans les clous, n’en déplaise à la Commission

Par Christine Rifflart

Avec un déficit à 3,1 % du PIB en 2017, l’Espagne a réduit son déficit de 1,4 point par rapport à 2016 et satisfait ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne. Elle devrait franchir le seuil des 3 % en 2018 sans difficulté et serait donc le dernier pays à sortir de la Procédure pour déficit excessif (PDE), après la France en 2017. Après avoir été présenté à la Commission européenne le 30 avril, le budget 2018 a été voté au Congrès des députés espagnols le 23 mai dans un contexte politique extrêmement tendu qui a conduit le 1er juin à la destitution du président du gouvernement Mariano Rajoy (avec notamment le soutien des élus nationalistes basques du PNV qui avaient voté le budget 2018 quelques jours plus tôt). Il devrait être adopté au Sénat prochainement par une nouvelle majorité. L’orientation expansionniste du budget 2018, validée par le gouvernement du nouveau président socialiste Pedro Sanchez, ne satisfait pas la Commission qui juge l’ajustement des finances publiques insuffisant pour atteindre l’objectif de 2,2 % du PIB repris dans le Pacte de stabilité et de croissance 2018-2021. Selon les hypothèses du gouvernement précédent, non seulement le déficit reviendrait en dessous des 3 % mais la cible nominale serait respectée.

Certes, si, compte tenu de la vigueur de la croissance espagnole attendue en 2018, le déficit public sera facilement inférieur à 3 % en 2018 et répondra donc aux exigences fixées dans le cadre de la PDE, la nouvelle loi budgétaire ne va pas dans le sens de l’orthodoxie budgétaire attendue à Bruxelles. L’absence de majorité au Congrès des élus du Parti Populaire a conduit l’ex-président Mariano Rajoy à des alliances stratégiques avec Ciudadanos et le PNV pour faire adopter le budget 2018 (avec notamment l’espoir d’éviter des élections législatives anticipées), au prix d’importantes concessions :

  • Une hausse du salaire des fonctionnaires de 1,75 %[1] en 2018 et d’au moins 2,5 % en 2019, avec une hausse plus importante si la croissance du PIB est supérieure à 2,5 % (coût estimé à 2,7 milliards en 2018 et à 3,5 milliards en 2019 selon le gouvernement sortant) ;
  • Une baisse des impôts pour les ménages à bas revenus (via la hausse du seuil d’abattement fiscal de 12 000 à 14 000 euros de revenu par an, des crédits d’impôt pour les frais de garde, l’aide aux personnes handicapées et les familles nombreuses, baisse de l’impôt sur les revenus bruts salariaux compris entre 14 000 et 18 000 euros) (coût 835 millions en 2018 et 1,4 milliard en 2019) ;
  • La revalorisation des pensions et des retraites de 1,6 % en 2018 et 1,5 % en 2019 (coût de 1,5 et 2,2 milliards), en plus d’une hausse jusqu’à 3 % des pensions minimales et des non contribuables, et entre 1 et 1,5 % pour les pensions les plus basses (coût 1,1 milliard en 2018).

Selon l’ancien gouvernement, ces mesures coûteraient un peu plus de 6 milliards en 2018 (0,5 % du PIB) et près de 7 milliards en 2019 (0,6 % du PIB). La revalorisation des retraites devrait être en partie couverte par l’introduction d’une taxe sur les activités numériques (Google tax) en 2018 et 2019 dont les recettes sont attendues à 2,1 milliards d’euros. Au final, les dépenses qui devaient baisser de 0,9 point de PIB en 2018 selon les engagements inscrits dans le précédent PSC 2017-2020, ne baisseraient que de 0,5 point de PIB dans le PSC 2018-2021 (à 40,5 % du PIB) (tableau). Mais surtout, malgré les baisses d’impôts qui viennent d’être introduites, le surcroît de recettes attendu du supplément de croissance devrait représenter 0,1 point de PIB (à 38,3 % du PIB). De fait, le caractère redistributif du budget, combiné à la révision à la baisse de l’impact de la crise catalane sur l’économie (0,1 % du PIB selon l’AIReF[2]) ont conduit tous les instituts (Banque d’Espagne, gouvernement, Commission européenne) à relever leurs prévisions de croissance 2018 par rapport à celles de l’hiver dernier de 0,2 ou 0,3 point de PIB pour l’amener légèrement en dessous de 3 % (2,6 % pour l’OFCE selon nos prévisions d’avril[3]).

Table_post13-06Néanmoins, au-delà de l’optimisme partagé sur la croissance espagnole, le chiffrage diverge sur le coût des nouvelles mesures entre autorités espagnoles et Commission. Selon le gouvernement, le surcroît de croissance devrait comme on l’a dit, doper les recettes fiscales et neutraliser le coût attendu des nouvelles dépenses. En 2018, la réduction de 0,9 point du déficit (qui passerait de 3,1 % à 2,2 %) serait donc atteint par l’accroissement de 0,8 point de PIB du solde conjoncturel, combiné à la baisse de 0,2 point des charges de la dette, le solde structurel restant stable (la politique budgétaire deviendrait neutre au lieu d’être restrictive comme inscrit dans la version antérieure du Pacte). Mais ce scénario n’est pas partagé par Bruxelles[4], pour qui le coût des mesures, et notamment de la hausse du salaire des fonctionnaires est sous-évalué. Les dépenses devraient être plus importantes de 0,2 point de PIB et les recettes inférieures de 0,2 point de PIB que ce qui est annoncé par le gouvernement. Selon la Commission, le solde conjoncturel devrait certes s’améliorer de 0,9 point de PIB mais l’impulsion budgétaire dégraderait le solde structurel de 0,6 point de PIB. Dans ces conditions, le déficit franchirait bien la barre des 3 % mais la politique budgétaire deviendrait clairement expansionniste et l’objectif des 2,2 % ne serait pas atteint. Le déficit public se situerait à 2,6 % en 2018 (graphique 1).

IMG1_post13-06Cette orientation plus expansionniste du budget 2018 résulte avant tout de considérations politiciennes de l’ancien gouvernement Rajoy pour débloquer une impossibilité à gouverner (les faits ont d’ailleurs démontré la fragilité de cette posture). Néanmoins, le timing est idéal. Car le seul engagement budgétaire qui s’impose en 2018 est de franchir le seuil des 3 % de déficit afin de sortir du volet correctif du PSC. L’année 2018 rend donc encore possible de mener une politique budgétaire généreuse, tout en franchissant la barre des 3 %, sans s’exposer à des sanctions. La situation aurait été plus délicate en 2019, lorsque s’appliqueront les règles communautaires visant à réduire une dette encore très supérieure au 60 % du PIB, notamment par l’ajustement du solde structurel (graphique 2).

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[1] https://www.boe.es/boe/dias/2018/03/26/pdfs/BOE-A-2018-4222.pdf

[2] https://elpais.com/economia/2018/04/17/actualidad/1523949570_477094.html?rel=str_articulo#1526464987471

[3] Voir la Partie Espagne du dossier :  https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/11-155OFCE.pdf , pp 137-141.

[4] Ni par l’AIReF d’ailleurs.




La BCE reste préoccupée par la faiblesse de l’inflation

Par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

Le Président de la Banque centrale européenne, M. Mario Draghi, a annoncé récemment que l’augmentation du taux directeur de la BCE interviendrait « bien après » la fin des mesures d’achats massifs de titres obligataires (prévue pour septembre 2018), principalement émis par les Etats de la zone euro, et à un « rythme mesuré ». La hausse du taux directeur pourrait donc intervenir vers la mi-2019, soit quelques semaines avant la passation de pouvoir entre Mario Draghi et son successeur.

Lors de son audition trimestrielle face aux parlementaires européens, Mario Draghi a fait preuve de prudence à propos de l’intensité et de la pérennité de la reprise économique[1]. A l’écouter, la zone euro n’aurait pas forcément refermé son écart de production (le PIB réalisé resterait en deçà de son potentiel) malgré la reprise des derniers trimestres. Ce n’est donc pas le moment de modifier l’orientation de la politique monétaire au risque de fragiliser cette reprise. Il est par ailleurs indéniable que les effets de la reprise ne se matérialisent pour le moment que très lentement et progressivement dans des hausses de salaires, ce qui explique en partie pourquoi le taux d’inflation de la zone euro reste en deçà de sa cible de moyen terme.

Le Président de la BCE a aussi fait preuve de confiance dans le fait que les entreprises ancrent progressivement leurs anticipations de prix (et de salaires) sur la cible d’inflation de la BCE, soit 2% par an. Mario Draghi est aussi apparu très confiant dans l’efficacité de la politique monétaire. Il a annoncé que les mesures entreprises depuis 2014 contribueraient à une augmentation (cumulative) de 2 points de pourcentage, respectivement de la croissance réelle et de l’inflation entre 2016 et 2019.

Si la prévision de retour de l’inflation à sa cible en 2019 par la BCE est contredite par Hasenzagl et al. (2018), on y retrouve ces mêmes déterminants de l’inflation européenne. Dans une étude récente, nous montrons aussi que les deux principaux déterminants de l’inflation dans la zone euro sont les anticipations d’inflation et la croissance des salaires. Sans ancrage des premières sur la cible de moyen terme de la BCE et sans effet de second tour de la politique monétaire sur les salaires, l’inflation ne reviendra pas à sa cible à court terme. Les réformes structurelles ont peut-être accru le PIB potentiel comme le prétend Mario Draghi, mais elles ont jusqu’à présent plus certainement pesé sur les évolutions salariales et de prix.

 

[1] Une fois par trimestre un dialogue monétaire est organisé entre le Président de la BCE et les membres de la Commission des Affaires monétaires du Parlement européen. Ce dialogue permet au Président de la BCE d’expliquer l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro et d’exprimer son point de vue sur des sujets définis en amont.




La désinflation manquante est-elle un phénomène américain uniquement ?

par Paul Hubert, Mathilde Le Moigne

La dynamique de l’inflation après la crise de 2007-2009 est-elle atypique ? Selon Paul Krugman : « si la réaction de l’inflation (ndlr : aux Etats-Unis) avait été la même à la suite de la Grande Récession que lors des précédentes crises économiques, nous aurions dû nous trouver aujourd’hui en pleine déflation… Nous ne le sommes pas. » En effet, après 2009, l’inflation aux Etats-Unis est demeurée étonnamment stable au regard de l’évolution de l’activité réelle. Ce phénomène a été qualifié de « désinflation manquante ». Un tel phénomène s’observe-t-il dans la zone euro ?

En dépit de la plus grande récession depuis la crise de 1929, le taux d’inflation est resté stable autour de 1,5% en moyenne entre 2008 et 2011 aux Etats-Unis, et de 1% en zone euro. Est-ce à dire que la courbe de Phillips, qui lie l’inflation à l’activité réelle, a perdu toute validité empirique ? Dans une note de 2016, Olivier Blanchard rappelle au contraire que la courbe de Phillips, dans sa version originelle la plus simple, reste un instrument valable pour appréhender les liens entre inflation et chômage, et ce en dépit de cette « désinflation manquante ». Il note cependant que le lien entre les deux variables s’est affaibli parce que l’inflation dépend de plus en plus des anticipations d’inflation, elles-mêmes ancrées à la cible d’inflation de la Réserve fédérale américaine. Dans leur article de 2015, Coibion et Gorodnichenko expliquent cette désinflation manquante aux Etats-Unis par le fait que les anticipations d’inflation sont plutôt influencées par les variations des prix les plus visibles, comme par exemple les variations du prix du baril de pétrole. On observe d’ailleurs depuis 2015 une baisse des anticipations d’inflation concomitante à la baisse des prix du pétrole.

La difficulté à rendre compte de l’évolution récente de l’inflation, au travers de la courbe de Phillips, nous a conduits à évaluer, dans un récent article, ses déterminants potentiels et à examiner si la zone euro a également connu un phénomène de « désinflation manquante ». Sur la base d’une courbe de Phillips standard, nous ne retrouvons par les conclusions de Coibion et Gorodnichenko lorsque l’on considère la zone euro dans sa totalité. Dit autrement, l’activité réelle et les anticipations d’inflation décrivent bien l’évolution de l’inflation.

Cependant, ce résultat semble provenir d’un biais d’agrégation entre les comportements d’inflation nationaux au sein de la zone euro. En particulier, nous trouvons une divergence notable entre les pays du nord de l’Europe (Allemagne, France), exhibant une tendance générale à une inflation manquante, et les pays davantage à la périphérie (Espagne, Italie, Grèce) exhibant des périodes de désinflation manquante. Cette divergence apparaît néanmoins dès le début de notre échantillon, c’est-à-dire dans les premières années de la création de la zone euro, et semble se résorber à partir de 2006, sans changement notable au cours de la crise de 2008-2009.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, il apparaît que la zone euro n’a pas connu de désinflation manquante à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Il semble au contraire que les divergences d’inflation en Europe sont antérieures à la crise, et tendent à se résorber avec la crise.

 




Comment sauver l’Europe ? Comment changer de paradigme ?

par Xavier Ragot

On assiste à des inflexions nouvelles dans les débats sur la construction européenne. Moins visibles que des déclarations publiques, des conférences essentielles et ateliers se tiennent pour aborder de nouvelles options, sous des angles économiques et politiques différents. Le débat est plus vif en Allemagne qu’en France. En cause probablement le débat caricatural français pendant les élections présidentielles, sur la forme « pour ou contre la monnaie unique », alors que le débat préalable est de discuter comment orienter les institutions de la zone euro au service de la croissance et des inégalités.

Deux conférences ont eu lieu à Berlin à une semaine d’intervalle, considérant les options les plus opposées. La première a abordé les conséquences de la sortie d’un pays de la zone euro ; la seconde la recherche d’un paradigme alternatif pour réduire inégalités en Europe. Autant dire que ces deux conférences couvrent presque tout le spectre des politiques économiques envisageables.

Se faire peur : la fin de la zone euro ?

Première question : Que se passerait-il si un ou plusieurs pays sortaient de la zone euro ? Faut-il le souhaiter ou comment peut-on l’empêcher ? Une conférence a eu lieu le 14 mars avec pour titre « L’euro est-il viable en l’état, et que faire si ce n’est pas le cas ? » a rassemblé des présidents d’instituts influents comme Clemens Fuest, des membres des cinq sages allemands comme Christoph Schmidt et des économistes médiatiques en Allemagne, comme Hans-Werner Sinn, ou encore des économistes comme Jeromin Zettelmeyer. La présence de l’OFCE, en ma personne, a peut-être permis de rappeler des éléments simples, mais utiles.

Cette première conférence a parfois joué sur l’ambiguïté de la question, certaines contributions semblant souhaiter la fin de la zone euro alors que d’autres contributions étaient plus analytiques afin d’en montrer les risques. Dans ces débats la voix de Hans-Werner Sinn est singulière par sa radicalité. Sans aller jusqu’à souhaiter la sortie de l’Allemagne de la zone euro, ce dernier insiste de manière systématique (et biaisée) sur les coûts pour l’Allemagne de la politique monétaire européenne. Sinn insiste en particulier sur le rôle de l’exposition cachée de l’Allemagne à la dette des autres pays par l’intermédiaire de la Banque centrale européenne et de TARGET2, qui enregistre les surplus et déficits des banques centrales nationales vis-à-vis de la Banque centrale européenne. Le solde TARGET2 montre que les pays du sud de l’Europe ont un déficit alors que l’Allemagne a un excédent substantiel de près de 900 milliards d’euros, ce qui représente 30% du PIB allemand. Ces montants sont très importants mais ne sont en aucun cas un coût pour l’Allemagne. Dans le cas le plus extrême d’un non-paiement par une banque centrale nationale (autant dire une sortie de la zone euro), la perte serait partagée par tous les autres États de manière indépendante des surplus. Ces soldes TARGET2 font partie de la politique monétaire européenne pour atteindre un objectif sur lequel on s’était mis d’accord : un niveau d’inflation moyen de 2%. Cette cible n’est pas atteinte depuis de nombreuses années. Par ailleurs, cette politique a conduit à des taux d’intérêt bas dont profitent les Allemands qui paient des charges d’intérêt faibles sur leurs dettes publiques, comme le rappelle Jeromin Zettlemeyer. Enfin, la balance commerciale fortement excédentaire de l’Allemagne montre que l’absence d’ajustement de taux de change dans la zone euro a largement bénéficié à l’Allemagne. Rappelons, que l’Allemagne a exporté plus que la Chine en volume en 2016, selon l’institut allemand Ifo !

Ma présentation s’est basée sur les nombreux travaux de l’OFCE sur la crise européenne. L’OFCE a publié un billet analytique sur les effets d’une sortie de la zone euro en montrant tous les coûts associés. Les travaux de Durand et Villemot fournissent des bases analytiques pour donner des ordres de grandeur. Quelle serait la réduction de la richesse des Allemands en cas d’explosion de la zone euro ? Le résultat n’est, somme toute, pas très surprenant. Les Allemands seraient les premiers perdants avec une perte de richesse de l’ordre de 15% du PIB. Bien sûr, ces chiffres sont extrêmement fragiles, et il faut les interpréter avec la plus grande des prudences. L’explosion de la zone euro nous plongerait dans le domaine de l’inédit, qui nous surprendrait par des déstabilisations que l’on ne soupçonnent pas.

Après ces éléments préliminaires, le cœur de ma présentation s’est ensuite concentré sur un point simple. Notre véritable défi est de construire des marchés du travail cohérents au sein de la zone euro, tout en diminuant les inégalités. Après la politique monétaire commune, la coordination des politiques budgétaires qui a été réalisée dans la douleur après 2014 et les errements des politiques fiscales récessionnistes (l’austérité), la question principale pour l’Europe dans les dix ans à venir est de rendre cohérents les marchés du travail. En effet, une puissante force déstabilisatrice en Europe est la modération salariale en Allemagne, fruit de la difficulté de la réunification au début des années 1990, comme on l’a montré dans un article avec Mathilde Le Moigne. Ce que l’on appelle le problème de l’offre en France est en fait le résultat des divergences européennes sur le marché du travail après la modération salariale allemande. J’ai proposé au Parlement européen l’introduction d’une discussion européenne de la dynamique des salaires nationaux afin de faire converger les salaires de manière non déflationniste et en évitant un chômage élevé dans le sud de l’Europe. Cette coordination des politiques économiques sur le marché du travail est désignée par l’anglicisme wage stance. Coordination de l’évolution des salaires minimums et des salaires réglementés, indication de l’orientation des évolutions salariales pour les négociations sociales, autant d’outils de coordination des marchés du travail.

Un second outil est bien sûr la constitution d’une assurance chômage européenne, qui est bien moins complexe que l’on pourrait le penser. Cette assurance-chômage européenne a vocation à être complémentaire des assurances chômage nationales et non un substitut. En effet, les systèmes nationaux d’assurance chômage sont hétérogènes car, d’une part les marchés du travail sont distincts, et d’autre part les préférences nationales sont différentes. Les systèmes d’assurance chômage sont le fruit de compromis sociaux historiques pour la plupart.

Comment interpréter cette relative radicalité allemande contre l’Europe actuelle ? Peut-être représente-elle le mécontentement d’économistes perdant de l’influence en Allemagne. Cela peut sembler paradoxal, mais nombre d’économistes et d’observateurs allemands évoluent pour reconnaître la nécessité de construire une Europe différente, non assise sur des règles, mais laissant la place à des choix politiques au sein d’institutions fortes. Des institutions agiles et respectées plutôt que des règles. Cette position est associée à la France dans le débat européen : le choix plutôt que la règle. L’accord de coalition allemand qui a rendu possible un gouvernement SPD/CDU place la question européenne au centre de cet accord mais avec un grand flou sur le contenu. Quelques évolutions permettront de tester la pertinence de cette hypothèse, notamment la question d’un ministre de la zone euro, de la nature des règles de décision au sein de l’institution-clé pour résoudre les crises, le mécanisme européen de stabilité.

Europe : Changer de logiciel/modèle/paradigme/narration

Une seconde conférence plus confidentielle s’est avérée plus passionnante encore. Avec la présence de l’European Climate Foundation sur la question du climat, la présence de l’institution INET sur l’évolution de la pensée économique, de l’OFCE sur les déséquilibres européens ; le but de la conférence étant de réfléchir à un changement de paradigme, ou de narration, pour penser une articulation nouvelle entre politique et économie, État et marché, afin de penser une croissance soutenable, sur le plan climatique mais aussi social. Une narration est une vision du monde véhiculée par un langage simple. Ainsi la narration « néolibérale » se construit-elle sur des mots positifs : « concurrence », « marchés », « liberté », et des mots négatifs : « rentes », « interventionnisme », « égalitarisme », qui ont permis de créer un langage. Donald Trump produit une narration tout aussi efficace : « giving power back to the people », « America first » ; cette narration marque le retour du politique sur le mode d’un nationalisme assumé.

Comment construire une autre narration qui place au centre l’évidence de la lutte contre le réchauffement climatique, l’augmentation des inégalités, l’instabilité financière ? Pendant une journée des économistes renommés en Europe ont parlé de l’intelligence artificielle, du réchauffement climatique, des formes actuelles de politiques économiques et industrielles, de la dynamique du crédit et des bulles financières, etc. Des travaux empiriques à la pointe de la recherche et des réflexions sur la possibilité d’un discours cohérent se sont mélangés dans la promesse d’un discours (narration) alternatif. Ce n’est qu’un début. On perçoit là la possibilité d’un renouvellement de la pensée au-delà des clivages politiques pour parler au fond que de l’essentiel : comment mettre l’économie au service d’un projet politique qui ne vise pas à reconstruire des frontières pour exclure mais à penser notre humanité commune ?

Ces deux conférences montrent la vitalité du débat européen, qui est présenté sous un angle trop technique en France. La raison d’être de l’euro, c’est un projet commun. C’est à ce niveau qu’il faut amener le débat avant les échéances électorales européennes de 2019.

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Quel rôle pour le bilan des banques centrales dans la conduite de la politique monétaire ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

En ajustant la taille et la composition de leur bilan, les banques centrales ont profondément modifié leur stratégie de politique monétaire. Bien que la mise en œuvre de ces mesures ait été initialement envisagée pour une période de crise, la question se pose désormais de l’utilisation du bilan comme instrument de politique monétaire en dehors des périodes de crise.

La politique d’achats de titres effectués par les banques centrales s’est traduite par une augmentation considérable de la taille de leur bilan. En septembre 2017, les bilans de la Réserve fédérale et de la BCE s’élevaient respectivement à près de 4 500 Mds de dollars (soit 23,3 % du PIB des Etats-Unis) et 4 300 Mds d’euros pour la BCE (38,5 % du PIB de la zone euro), alors qu’ils étaient de 870 Mds de dollars (soit 6,0 % du PIB) et 1 190 Mds d’euros (soit 12,7 % du PIB) en juin 2007. La fin de la crise financière et de la crise économique plaide pour un resserrement progressif de la politique monétaire, déjà entamé aux Etats-Unis et à venir dans la zone euro. Ainsi, la Réserve fédérale a augmenté le taux d’intérêt directeur à cinq reprises depuis décembre 2015 et a commencé à réduire la taille de son bilan en octobre 2017. Toutefois, aucune indication précise n’a été donnée sur la taille du bilan des banques centrales une fois que le processus de normalisation aura été achevé. Au-delà de la taille se pose la question du rôle de ces politiques de bilan pour la conduite de la politique monétaire à venir.

Initialement, les mesures prises pendant la crise devaient être exceptionnelles et temporaires. L’objectif était de satisfaire un large besoin de liquidités et d’agir directement sur les prix de certains actifs ou sur la partie longue de la courbe des taux, lorsque l’instrument standard de politique monétaire – le taux d’intérêt de très court terme – était contraint par le plancher à 0% (ZLB pour Zero lower bound). L’utilisation de ces mesures pendant une période prolongée – depuis dix ans – suggère cependant que les banques centrales pourraient continuer à utiliser leur bilan comme instrument de politique monétaire et de stabilité financière, y compris en période dite « normale », c’est-à-dire lorsqu’il existe des marges de manœuvre pour baisser le taux directeur. Non seulement, ces mesures non conventionnelles ont démontré une certaine efficacité mais, en outre, leurs mécanismes de transmission ne semblent pas spécifiques aux périodes de crise. Leur utilisation pourrait donc à la fois renforcer l’efficacité de la politique monétaire et améliorer la capacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs de stabilité macroéconomique et financière. Nous développons ces arguments dans une publication récente que nous résumons ici.

Dans un article présenté en 2016 lors de la conférence de Jackson Hole, Greenwood, Hanson et Stein suggèrent que les banques centrales puissent utiliser leur bilan pour fournir des liquidités afin de satisfaire un besoin croissant du système financier pour des actifs liquides et sans risque. Les réserves excédentaires ainsi émises augmenteraient le stock d’actifs sûrs mobilisable par les banques commerciales, renforçant la stabilité financière. Les banques centrales pourraient également intervenir plus régulièrement sur les marchés afin de modifier le prix de certains actifs, les primes de risque ou les primes de terme. Ici, il ne s’agit pas forcément d’accroître ou de réduire la taille du bilan, mais de moduler sa composition afin de corriger d’éventuelles distorsions ou de renforcer la transmission de la politique monétaire en intervenant sur l’ensemble des segments de la courbe des taux. Pendant la crise des dettes souveraines, la BCE a lancé un programme d’achats de titres publics (SMP pour Securities Market Programme) qui avait pour but de réduire les primes de risques apparues sur les rendements de plusieurs pays (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne et Italie) et d’améliorer la transmission de la politique monétaire commune vers ces pays. En 2005, le Président de la Réserve fédérale s’étonnait d’une énigme sur les marchés obligataires, constatant que les taux longs ne semblaient pas réagir au resserrement en cours de la politique monétaire américaine. Le recours à des achats ciblés de titres sur des maturités plus longues aurait sans doute permis d’améliorer la transmission de l’orientation de la politique monétaire telle qu’elle était souhaitée à cette époque par la Réserve fédérale.

En pratique, la mise en œuvre d’une telle stratégie en période « normale » soulève plusieurs remarques. D’une part, si les politiques de bilan complètent la politique de taux, les banques centrales devront accompagner leurs décisions d’une communication adaptée précisant à la fois l’orientation globale de la politique monétaire ainsi que les raisons justifiant l’utilisation de tel ou tel instrument et à quelle fin. Il semble qu’elles aient su y parvenir pendant la crise alors qu’elles multipliaient les programmes ; il n’y a donc pas de raison d’imaginer que cette communication devienne subitement plus difficile à mettre en œuvre en période « normale ». Par ailleurs, l’utilisation plus fréquente du bilan comme instrument de politique monétaire se traduirait par une plus large détention d’actifs et potentiellement d’actifs risqués. Il y aurait dans ces conditions un arbitrage à réaliser entre l’efficacité à attendre de la politique monétaire et les risques pris par la banque centrale. Notons aussi que l’utilisation du bilan n’implique pas que la taille de celui-ci croisse en permanence. Les banques centrales pourraient tout aussi bien faire le choix de vendre certains actifs dont le prix serait jugé trop élevé. Cependant, pour être en capacité de moduler effectivement la composition des actifs de la banque centrale, encore faut-il que son bilan soit suffisamment élevé pour faciliter les opérations de portefeuille de la banque centrale.

Il faut reconnaître que les économistes n’ont pas encore complètement analysé les effets potentiels des politiques de bilan sur la stabilité macroéconomique et financière. Mais cette incertitude ne devrait pas empêcher les banques centrales de recourir à des politiques de bilan, car seule l’expérience peut fournir une évaluation complète du pouvoir des politiques de bilan. L’histoire des banques centrales nous rappelle que les objectifs et les instruments utilisés par les banques centrales ont régulièrement évolué[1]. Un nouveau changement de paradigme semble donc possible. Si les politiques de bilan permettent de renforcer l’efficacité de la politique monétaire et d’améliorer la stabilité financière, les banques centrales devraient sérieusement réfléchir à leur utilisation.

Pour en savoir plus : Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, « What should the ECB “new normal” look like? », OFCE policy brief 29, 20 décembre.

[1] Voir Goodhart (2010).




PLF 2018 : fin d’une procédure, début d’une nouvelle ?

par Raul Sampognaro

Le 22 novembre, la Commission européenne a publié son avis concernant le Projet de Loi de Finances (PLF) 2018. Le PLF 2018 devrait permettre de maintenir le déficit en dessous de la barre de 3 % pour la deuxième année consécutive (2,9 % prévu par les services de la Commission en 2017 et 2018). Dans ce contexte, la procédure de déficit excessif (PDE) ouverte au lendemain de la crise financière devrait être clôturée courant 2018.

Le PLF 2018 étant celui qui assure le passage du volet correctif au volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance a un statut ambigu avec les règles de la gouvernance européenne. Il est conforme avec les règles de la PDE, car il assure le maintien sous les 3 % mais il risque de dévier significativement par rapport aux règles du volet préventif.

La Commission pointe des risques significatifs de non-respect des règles du volet préventif…

Les pays de la zone euro sortant d’une PDE ont deux obligations à respecter :

  1. Avoir une cible de déficit structurel (c’est-à-dire après correction des effets de la conjoncture) au moins inférieure à 0,5 point de PIB potentiel. Cette cible est l’Objectif de Moyen Terme (OMT) de l’État membre ;
  2. Avoir une dette publique inférieure à 60 % du PIB, ou qui est en train de converger vers cette cible à un horizon de 20 ans. Ceci est connu comme le respect du critère de dette.

La France sortira de la PDE avec un déficit structurel sensiblement supérieur à son OMT[1]. Au cours des prochaines années, elle devra converger vers sa cible. Les flexibilités introduites dans l’application du Pacte du 13 janvier 2015 permettent d’adapter la vitesse de convergence à la situation conjoncturelle. Compte tenu de la situation française, l’ajustement requis est de 0,5 point par an jusqu’à atteindre la cible.

Par ailleurs, la France sortira de la PDE avec une dette publique supérieure à 60 % et devrait réaliser un sur-ajustement au cours des 3 prochaines années pour faire converger la dette vers cette cible. Cette dernière règle s’est avérée extrêmement difficile à respecter, notamment par des effets non anticipés par le législateur comme le risque déflationniste. Toutefois, ce critère serait moins strict que celui de convergence vers l’OMT.

Selon les services de la Commission, le solde structurel français devrait se dégrader de 0,4 point en 2018, à la faveur des baisses de fiscalité et de la maîtrise limitée de la dépense. Ainsi, la Commission pointe un écart de 0,9 point de PIB entre l’évolution du solde structurel et les règles du volet préventif. Dans son avis, la Commission parle « d’un risque significatif de déviation par rapport aux contraintes du volet préventif en 2018 ». L’évaluation finale du budget 2018 au regard des règles du volet préventif sera faite au moment de la notification du déficit 2018 en mars 2019.

… comme l’ont fait quasiment tous les pays soumis au volet préventif

Depuis 2012, quasiment tous les pays de la zone euro ont clôturé leur PDE[2] (tableau 1). L’expérience des différents États Membres nous permet d’évaluer la sévérité avec laquelle les règles ont été appliquées. En 2018, la France sera dans une situation comparable à celle de l’Autriche, la Belgique et l’Italie au moment de leur entrée dans le volet préventif. Parmi ces pays, censés être les plus contraints après la PDE, seule la Belgique s’est approchée de l’ajustement structurel de référence des traités. Ceci masque le fait que la Belgique a réalisé la quasi-totalité de l’ajustement sur la seule année 2017. Au cours des deux premières années hors DPE, l’ajustement structurel mis en place n’a été que de 0,1 point de PIB par an.

L’Autriche et l’Italie ont même relâché leurs efforts budgétaires une fois sortis de leur PDE. Le cas transalpin (impulsion budgétaire de 0,3 point par an en moyenne) est informatif sur la lecture flexible des règles européennes réalisée par la Commission. La Commission a ouvert des rapports en 2015, 2016 et 2017, sans jamais aboutir à l’ouverture d’une nouvelle procédure. En 2015, l’Italie a sensiblement dévié de l’ajustement requis au titre du critère de dette. La Commission a admis que le critère de dette était très dur à tenir dans un contexte conjoncturel défavorable et déflationniste. Puis, en 2016, la Commission a autorisé au gouvernement italien à dévier de l’ajustement structurel nécessaire pour assurer la convergence vers l’OMT. Pour faire cela, elle a appliqué le niveau maximal de déviation autorisée par les nouvelles flexibilités, notamment la clause d’investissement et la clause de réformes structurelles. Finalement, en avril 2017, la Commission a pointé à nouveau des risques de déviation à la suite de la publication du Programme de stabilité. En revanche, la Commission n’a pas imposé de sanctions et a annoncé la réévaluation de la situation à la fin de l’exercice comptable.

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Au final, depuis leur sortie de PDE, seulement trois pays ont tenu les objectifs d’ajustement fixés par le volet préventif : Malte, l’Irlande et la Belgique. Pour le reste des pays étant sortis de la PDE, le solde nominal s’est amélioré malgré la faiblesse des ajustements. Ceci reflète avant tout l’amélioration de la composante conjoncturelle du solde public, possible par la reprise de l’activité. Ainsi, les marges budgétaires données par l’embellie conjoncturelle ont été utilisées pour alléger la consolidation, en contradiction avec le renforcement souhaité des règles du volet préventif au lendemain de la crise des dettes de la zone euro. Le PLF 2018 s’inscrit dans cette logique.

Au vu de la flexibilité affichée par la Commission dans sa lecture des règles budgétaires, il est difficile d’anticiper la réouverture d’une procédure, cette fois-ci pour dette excessive, à l’encontre de la France en lien avec le PLF 2018. Dans un contexte où la conjoncture permettra d’améliorer le solde budgétaire, la France fera le maximum pour utiliser les clauses d’investissement (Grand Plan d’Investissement) et de réformes structurelles (ordonnances, réforme de la formation professionnelle, réforme de la taxation du capital, …) afin de dévier des objectifs budgétaires établis par le volet préventif. Toutefois, au vu de l’ampleur des déviations prévues, il ne restera que des marges de manœuvre budgétaire très limitées pour la deuxième moitié du quinquennat.

 

[1] Les services de la Commission estiment que le déficit structurel français sera à 2,7 points de PIB en 2018 alors que le gouvernement juge que le solde sera de 2,1 points, l’OMT a un objectif de déficit de 0,4 point.

[2] A partir de 2019, cela devrait être le cas de tous les pays de l’union monétaire avec la fin attendue des dernières PDE au Portugal (2017), France (sortie prévue en 2018) et en Espagne (2019).




Evolution des taux d’activité en Europe pendant la Grande Récession : le rôle de la démographie et de la polarisation de l’emploi

par Guillaume Allègre et Gregory Verdugo

En Europe comme aux Etats-Unis l’emploi a considérablement reculé pendant la Grande Récession. De plus, au cours des dernières décennies, les forces de l’automatisation et de la mondialisation ont bouleversé les marchés du travail dans les deux régions. Cependant, la réponse des taux d’activités à ces changements a varié d’un pays à l’autre. L’un des événements les plus importants sur le marché du travail aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie a été le déclin de la population active. De 2004 à 2013, le taux d’activité des 25 à 54 ans a diminué de 2,6 points de pourcentage (passant de 83,8% à 81,1%) et cette baisse a persisté bien au-delà de la fin de la Grande Récession. A l’inverse, dans l’UE 15, le taux d’activité pour cette catégorie d’âge a augmenté de 2 points au cours de la même période (de 83,7% à 85,6%), malgré la faible croissance et la persistance d’un niveau élevé de chômage.

Qu’est ce qui explique ces différences des deux côtés de l’Atlantique ? Pour répondre à cette question, nous étudions ici les déterminants de l’évolution de la population active au cours des deux dernières décennies dans douze pays européens que nous comparons aux Etats-Unis.

Conformément aux travaux antérieurs sur les Etats-Unis, nous constatons que les changements démographiques récents expliquent une part substantielle des différences entre les pays. La part des baby-boomers à la retraite a augmenté plus rapidement aux Etats-Unis, et y a donc déclenché une baisse plus importante des taux d’activité qu’en Europe. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a également été caractérisée par une augmentation du nombre de diplômés du supérieur deux fois plus élevée qu’aux Etats-Unis, et ce notamment en Europe du Sud et en particulier pour les femmes. Les femmes ayant des niveaux d’éducation plus élevés sont plus susceptibles de rejoindre la population active et elles ont ainsi contribué de manière spectaculaire à l’augmentation de la population active en Europe.

Cependant, ces changements n’expliquent pas tout. Pour la population ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat, les taux d’activité des hommes ont diminué dans tous les pays. Pour les femmes, ils ont augmenté rapidement, en particulier dans les pays les plus touchés par le chômage. En Espagne, en Grèce et en Italie, les taux d’activité des femmes ayant un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat ont augmenté de respectivement 12, 5,5 et 2 points entre 2007 et 2013 alors que ces économies étaient plongées dans une récession profonde.

Pour expliquer ces faits, nous étudions le rôle des changements de demande de travail au cours des dernières décennies et en particulier lors de la Grande Récession. Nous montrons que, comme aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi (qui désigne la réaffectation de l’emploi vers les professions les moins et les plus rémunérées au détriment des professions intermédiaires) s’est accélérée en Europe lors de la Grande Récession (graphique 1). En raison d’une plus grande destruction d’emplois dans les professions intermédiaires, la polarisation récente a été largement plus intense en Europe.

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Autre différence importante par rapport aux Etats-Unis, la ségrégation professionnelle entre les hommes et les femmes est plus marquée en Europe. Les emplois intermédiaires qui disparaissent rapidement sont ainsi bien plus susceptibles d’employer des travailleurs masculins en Europe alors que l’expansion des professions peu qualifiées bénéficie au contraire de manière disproportionnée aux femmes (graphique 2). En conséquence, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, la polarisation de l’emploi et la destruction des emplois intermédiaires ont entraîné un déclin spectaculaire des opportunités sur le marché du travail pour les hommes par rapport aux possibilités offertes aux femmes. Nous trouvons que ces chocs de demande asymétriques entre hommes et femmes expliquent la plus grande part de la hausse des taux d’activité des femmes les moins diplômées durant la Grande Récession.

 

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Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, Guillaume Allègre, « Labour Force Participation and Job Polarization: Evidence from Europe during the Great Recession », Sciences Po OFCE Working Paper, n°16, 2017-05-10




Quels facteurs expliquent la récente hausse des taux d’intérêt longs ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert et Fabien Labondance

Depuis l’éclatement de la crise financière, l’évolution des taux d’intérêt souverains à long terme dans la zone euro a connu de larges fluctuations ainsi que des périodes de forte divergence entre les États membres, notamment entre 2010 et 2013 (graphique 1). Une forte réduction des taux à long terme a débuté après juillet 2012 et le célèbre « Whatever it takes » de Mario Draghi. Malgré la mise en œuvre et l’extension du programme d’achat de titres publics (PSPP) en 2015 et bien qu’ils restent à des niveaux historiquement bas, les taux d’intérêt souverains à long terme ont récemment augmenté.

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La hausse récente des taux d’intérêt souverains à long terme de la zone euro peut avoir plusieurs interprétations. Il se peut que, compte tenu de la situation économique et financière actuelle, la hausse des taux d’intérêt à long terme reflète la croissance et les anticipations de croissance future orientées à la hausse dans la zone euro. Un autre facteur pourrait être que les marchés obligataires de la zone euro suivent les marchés américains : les taux européens augmenteraient à la suite de la hausse des taux américains malgré les divergences entre l’orientation des politiques de la BCE et celle de la Fed. L’impact de la politique monétaire de la Fed sur les taux d’intérêt de la zone euro serait ainsi plus fort que celui de la politique de la BCE. On peut aussi imaginer que la récente hausse n’est pas en ligne avec les fondamentaux de la zone, ce qui, par conséquent, compromettrait la sortie de crise en rendant plus difficile le désendettement alors que les dettes publiques et privées restent élevées.

Dans une récente étude, nous calculons les contributions des différents déterminants des taux d’intérêt à long terme et mettons en évidence les plus importants. Les taux d’intérêt à long terme peuvent réagir aux anticipations privées de croissance et d’inflation, aux fondamentaux économiques ainsi qu’aux politiques monétaires et budgétaires, tant domestiques (en zone euro) qu’étrangères (aux Etats-Unis par exemple). Ils peuvent aussi réagir aux perceptions de différents risques, financiers, politiques ou économiques[1]. Le graphique 2 présente les principaux facteurs qui influent positivement et négativement sur les taux d’intérêt à long terme de la zone euro sur trois périodes différentes.

Entre septembre 2013 et avril 2015, le taux d’intérêt à long terme de la zone euro a diminué de 2,3 points de pourcentage. Au cours de cette période, seules les anticipations de croissance du PIB ont eu une incidence positive sur les taux d’intérêt alors que tous les autres facteurs les ont poussés à la baisse. En particulier, le taux d’intérêt à long terme des États-Unis, les anticipations d’inflation, la réduction du risque souverain et les politiques non-conventionnelles de la BCE ont contribué à la baisse des taux d’intérêt de la zone euro. Entre juin 2015 et août 2016, la nouvelle baisse d’environ 1 point de pourcentage s’explique principalement par deux facteurs : le taux d’intérêt à long terme et les anticipations de croissance du PIB aux États-Unis.

Entre août 2016 et février 2017, les taux d’intérêt à long terme ont progressé de 0,7 point de pourcentage. Alors que le programme d’achat d’actifs de la BCE a contribué à réduire le taux d’intérêt, deux facteurs ont contribué à son accroissement. Le premier est l’augmentation des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis après le resserrement de la politique monétaire de la Fed. Le second facteur découle des tensions politiques en France, en Italie ou en Espagne qui ont généré une perception du risque politique et du risque souverain plus élevée. Alors que le premier facteur pourrait continuer de pousser à la hausse les taux d’intérêt de la zone euro, le second devrait les faire reculer avec les résultats des élections présidentielles françaises.

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[1] L’estimation de l’équation de détermination des taux longs est réalisée sur la période janvier 1999 – février 2017 et explique 96% de la variation des taux longs sur cette période. Pour plus de détails sur les variables utilisées ou les paramètres estimés, voir l’étude.