Les derniers soubresauts de la “Confédération européenne” ?

par Jacques Le Cacheux

Les institutions dont l’Union européenne s’est dotée, du traité de Maastricht qui, en 1992, l’a créée et a défini la feuille de route aboutissant au lancement de l’euro en 1999, au traité de Lisbonne qui, en 2009, a repris les principaux articles du traité constitutionnel que les Français et les Néerlandais avaient refusé, par référendum, de ratifier en 2005, permettent-elles de résoudre la grave crise à laquelle l’Union est aujourd’hui confrontée ? Après cinq années de marasme économique et près de quatre de tensions persistantes sur les dettes publiques, les craintes quant à la pérennité de l’union monétaire européenne avaient paru apaisées par la résolution affichée, au début de l’automne 2012, par Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, d’assurer coûte que coûte l’avenir de la monnaie unique européenne. Mais les résultats des récentes élections générales italiennes ont à nouveau fait tanguer les marchés des dettes souveraines européennes et relancé les spéculations, tandis que la zone euro replongeait dans une récession alors même que les plaies de la précédente n’étaient pas encore cicatrisées.

Pourra-t-on longtemps encore se contenter d’expédients ? Ne conviendrait-il pas d’opérer une véritable révolution institutionnelle, à l’image de celle qu’entreprirent, entre 1788 et 1790, les concepteurs de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique, confrontés à une crise aiguë des dettes publiques de la Confédération et des états confédérés ? C’est à une lecture économique et financière de cet épisode essentiel de l’histoire institutionnelle des Etats-Unis, et à un parallèle, que certains jugeront peut-être audacieux, mais qui s’avère à tout le moins éclairant, avec la situation actuelle de la zone euro, que nous invite Thomas J. Sargent, dans sa Conférence Nobel, dont l’OFCE publie la traduction française.

Certes les différences sont nombreuses entre la situation des anciennes colonies britanniques dix ans après leur indépendance et les Etats membres de l’union monétaire européenne. Mais comment ne pas voir les similitudes, tant dans l’incapacité à trouver une solution collective aux crises de dettes publiques nationales que dans l’inanité de l’accord conclu en février 2012 sur le futur budget européen ? Mutatis mutandis, c’est de fédéralisme budgétaire, mais aussi politique, qu’il est question, dans un cas comme dans l’autre.

 

 




Jusqu’ici tout va bien…

par Christophe Blot

La zone euro est toujours en récession. En effet, selon Eurostat, le PIB a de nouveau reculé au quatrième trimestre 2012 (-0,6 %). Ce chiffre, inférieur aux attentes, est la plus mauvaise performance trimestrielle pour la zone euro depuis le premier trimestre 2009, et c’est aussi le cinquième trimestre consécutif de baisse de l’activité. Sur l’ensemble de l’année 2012, le PIB baisse de 0,5 %. Ce chiffre annuel cache de fortes hétérogénéités (graphiques 1 et 2) au sein de la zone puisque l’Allemagne affiche une croissance annuelle de 0,9 % tandis que la Grèce devrait subir, pour la deuxième année consécutive, une récession de plus 6 %. Surtout, pour l’ensemble des pays, le taux de croissance sera plus faible en 2012 qu’il ne l’était en 2011 et certains pays (Espagne et Italie pour n’en citer que deux), s’enfonceront un peu plus dans la dépression. Cette performance est d’autant plus inquiétante que, depuis plusieurs mois un regain d’optimisme avait suscité l’espoir de voir la zone euro sortir de la crise. Cet espoir était-il fondé ?

Bien que très prudente sur la croissance pour l’année 2012, la Commission européenne, dans son rapport annuel sur la croissance, soulignait le retour de quelques bonnes nouvelles. En particulier, la baisse des taux d’intérêt publics à long terme en Espagne ou en Italie et la réussite des émissions de dettes publiques par l’Irlande ou le Portugal sur les marchés financiers témoignaient du retour de la confiance. Force est de constater que la confiance ne suffit pas. La demande intérieure est au point mort en France et en chute libre en Espagne. Le commerce intra-zone pâtit de cette situation puisque la baisse des importations des uns provoque la baisse des exportations des autres, ce qui amplifie la dynamique récessive de l’ensemble des pays de la zone euro. Comme nous le soulignions lors de notre précédent exercice de prévision ou à l’occasion de la publication de l’iAGS (independent Annual growth survey), la sortie de crise ne peut en aucun cas s’appuyer uniquement sur un retour de la confiance tant que des politiques budgétaires très restrictives sont menées de façon synchronisée en Europe.

Depuis le troisième trimestre 2011, tous les signaux ont confirmé notre scénario et montré que la zone euro s’enfonçait progressivement dans une nouvelle récession. Le chômage n’a pas cessé d’augmenter battant chaque mois un nouveau record. En décembre 2012, il a atteint 11,7 % de la population active de la zone euro selon Eurostat. Pourtant, ni la Commission européenne, ni les gouvernements européens n’ont infléchi leur stratégie budgétaire, arguant que les efforts budgétaires consentis étaient nécessaires pour restaurer la crédibilité et la confiance, qui à leur tour permettraient la baisse des taux d’intérêt et créeraient des conditions saines pour la croissance future. Ce faisant, la Commission européenne a systématiquement sous-estimé l’impact récessif des mesures de consolidation budgétaire, négligeant ainsi une littérature de plus en plus abondante qui montre que les multiplicateurs augmentent en temps de crise et qu’ils peuvent être nettement supérieurs à l’unité (voir le post d’Eric Heyer sur le sujet). Les partisans de l’austérité budgétaire considèrent par ailleurs que les coûts d’une telle stratégie sont inévitables et temporaires. Ils jugent que l’assainissement des finances publiques est un préalable indispensable au retour de la croissance et négligent le coût social durable d’une telle stratégie.

Cet aveuglement dogmatique rappelle la réplique finale du film La Haine (réalisé par Mathieu Kassovitz) « C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». Il serait temps de reconnaître que la politique économique menée depuis 2011 est une erreur. Elle ne permet pas de créer les conditions d’une sortie de crise. Pire, elle est directement responsable du retour de la récession et de la catastrophe sociale qui ne cesse de s’amplifier en Europe. Comme nous l’avons montré, d’autres stratégies sont possibles. Elles ne négligent pas l’importance de restaurer à terme la soutenabilité des finances publiques. En reportant et en atténuant l’austérité (voir le billet de Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth), il est possible de retrouver la croissance plus rapidement et de permettre une décrue plus rapide du chômage.

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Quelle politique monétaire pour la BCE en 2013 ?

par Paul Hubert

La Banque centrale européenne (BCE), après sa réunion mensuelle du Conseil des gouverneurs du 7 février 2013, a décidé de maintenir son principal taux directeur à 0,75%. L’analyse de la situation économique faite par Mario Draghi lors de la conférence de presse qui a suivi révèle des développements contrastés qui justifient ce statu quo. Dans une récente étude, nous montrons que les projections d’inflation de la BCE permettent d’apporter un autre éclairage sur les évolutions futures du taux directeur.

Le statu quo actuel s’explique par plusieurs facteurs qui se compensent mutuellement. Les banques ont commencé à rembourser une partie des liquidités obtenues à travers le mécanisme du LTRO (140 milliards d’euros sur 489), ce qui reflète une amélioration de leur situation financière, mais dans le même temps les prêts accordés aux entreprises non financières continuent de se contracter (-1,3% en décembre 2012) tandis que les prêts aux ménages restent à des niveaux très faibles.

D’un point de vue macroéconomique, la situation au sein de la zone euro ne donne pas de signaux clairs sur la politique monétaire à venir : après une contraction de 0,2% au deuxième trimestre 2012, le PIB réel de la zone euro a encore baissé de 0,1% au troisième trimestre, tandis que l’inflation, mesurée en rythme annuel, est passée de 2,6% en août 2012 à 2% en janvier 2013 et devrait repasser sous la barre des 2% dans les mois à venir sur la base des chiffres de croissance du PIB et des prix du pétrole actuels et anticipés.

De plus, les anticipations d’inflation des agents privés, mesurées par le Survey of Professional Forecasters, restent solidement ancrées autour de la cible d’inflation de la BCE. Au quatrième trimestre 2012, elles étaient de 1,9% pour les années 2013 et 2014. Avec un objectif d’inflation « inférieur à, mais proche de 2% » atteint en l’état actuel, une zone euro en récession et un chômage à des niveaux records, la BCE pourrait porter soutien à l’activité réelle. Cependant, la BCE anticipe que l’activité économique devrait reprendre graduellement au second semestre 2013, en partie grâce au caractère accommodant de la politique monétaire actuelle.

De cette anticipation, et compte tenu du niveau historiquement bas auxquels sont les taux directeurs aujourd’hui et des délais de transmission de la politique monétaire à l’économie réelle[1], la probabilité d’une future baisse des taux paraît bien faible. Un dernier élément vient finir de brouiller les pistes: la hausse récente de l’euro  – même si on est encore bien loin des niveaux records – pourrait tuer dans l’œuf la faible reprise économique qui s’annonce et justifierait, selon certains, un soutien aux secteurs exportateurs[2].

Dans un récent document de travail de l’OFCE (n°2013-04), nous discutons de l’utilisation que peut faire la BCE de ses prévisions d’inflation pour améliorer la mise en œuvre de sa politique monétaire. Nous proposons un nouvel élément d’éclairage sur les évolutions futures du taux directeur basé sur les projections macroéconomiques que publie la BCE trimestriellement. Dans cette étude consacrée aux effets de la publication des projections d’inflation de la BCE sur les anticipations d’inflation des agents privés, nous montrons qu’une baisse des projections d’inflation de la BCE de 1 point de pourcentage est associée à une baisse du taux directeur de la BCE de 1,2 point de pourcentage dans les deux trimestres suivants. Nous concluons que les projections d’inflation de la BCE sont un outil qui permet de mieux comprendre les décisions de politique monétaire courantes ainsi que de mieux anticiper les décisions futures.

Les dernières projections d’inflation pour les années 2013 et 2014, publiées en décembre 2012, s’établissent respectivement à 1,6% et 1,4%. La publication, le 7 mars prochain, des nouvelles projections pourrait donner une indication complémentaire sur l’orientation de la politique monétaire à attendre en 2013.


[1] En moyenne, une variation des taux directeurs est estimée produire ses effets sur l’inflation après 12 mois et sur le PIB après 18 mois.

[2] Rappelons tout de même qu’environ 64% du commerce de la zone euro se fait avec des partenaires de la zone euro et est donc indépendant des variations de change.




Peut-on se relever d’une crise bancaire ? Analyse comparée de l’Irlande et de l’Islande

par Céline Antonin et Christophe Blot

En économie, les miracles s’avèrent parfois être des mirages. L’Islande et l’Irlande en font l’expérience. Ces deux petites économies ouvertes, paradis de la finance libéralisée et dérégulée, havres de croissance au début des années 2000, ont été frappées de plein fouet par la crise financière. La nationalisation quasi-intégrale des systèmes financiers qui en a résulté a pesé sur la dette publique de ces deux pays. Pour endiguer la hausse de la dette et les risques d’insoutenabilité, les gouvernements des deux pays ont, dès 2010, mis en œuvre des plans d’austérité budgétaire, mais avec une différence de taille : l’Irlande appartient à la zone euro, ce qui n’est pas le cas de l’Islande. La dernière Note de l’OFCE (n°25 du 4 février 2013) revient sur la situation financière et macroéconomique récente de ces deux pays afin de montrer dans quelle mesure les divergences de policy-mix peuvent rendre compte de trajectoires de sortie de crise différentes.

Si la crise bancaire islandaise fut amplifiée par une crise de change, la dépréciation de la couronne fut ensuite un facteur de reprise si bien qu’aujourd’hui, la croissance est de retour en Islande. Le PIB a été marqué par une forte volatilité : entre le troisième trimestre 2007 et le deuxième trimestre 2011, le PIB a baissé de plus de 13 % mais il a depuis rebondi de 5,7 %. En Irlande, la volatilité a été moindre et la phase récessive moins longue qu’en Islande (8 trimestres) et de plus faible amplitude (-10,7 %). En revanche, la sortie de crise y est plus timide avec une progression du PIB de seulement 3,4 % depuis fin 2009.

Notre analyse nous conduit à deux conclusions principales : d’une part, la dévaluation interne est moins efficace que la dévaluation externe ; d’autre part, la consolidation budgétaire est moins coûteuse lorsqu’elle est accompagnée de conditions monétaires et d’une politique de change favorables. C’est à la lumière de ces éléments qu’il convient de redéfinir le policy mix optimal en zone euro comme nous le suggérons plus en détail dans le rapport iAGS. Une politique monétaire active est indispensable pour permettre le refinancement de la dette publique Ainsi, la Banque centrale européenne doit intervenir en tant que prêteur en dernier ressort des pays membres. Les pays en situation d’excédents doivent engager des politiques de “reflation” afin de contribuer à résorber les déséquilibres courants. L’ajustement budgétaire doit être assoupli et éventuellement décalé afin de permettre un retour plus rapide de la croissance.

 

 

 




La zone euro en crise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9e Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : défis pour la politique monétaire et les politiques budgétaires ». Le numéro 127 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE publie des versions révisées de douze des communications présentées[2], rassemblées autour de cinq dossiers : déséquilibres de taux de change, indicateurs de la crise de la dette, règles budgétaires, questions bancaires et financières et stratégies de sortie de crise.

L’analyse des origines de la crise de la zone euro et les recommandations de politiques économiques à mener pour sortir la zone euro de la crise font l’objet de grands débats entre économistes dont la Conférence EUROFRAME a donné une illustration. Ainsi, le lecteur verra apparaître au fil des articles plusieurs lignes de fracture :

–         Pour les uns, ce sont les politiques irresponsables des pays du Sud qui sont la cause des déséquilibres : ceux-ci ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : elle a conduit à la sous-évaluation des économies des pays du Nord, ce qui les a autorisés à compenser leurs politiques excessives d’austérité salariale et sociales par des excédents extérieurs excessifs ; elle a autorisé la persistance de déficits extérieurs au Sud ; il en résulte la nécessité d’une convergence contrôlée où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs du Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant une forte réduction des dépenses publiques – afin de résorber les déficits budgétaires et réduire le poids de la dette publique – et des réformes structurelles (libéralisation des marchés des biens et des services, déréglementation du marché du travail) qui en compenseraient l’effet dépressif sur le marché du travail. Il faut laisser les marchés financiers imposer aux pays la discipline nécessaire. Pour les autres, il faut maintenir les déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité, faire garantir les dettes publiques par la Banque centrale européenne (BCE) afin de faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas et mettre en œuvre une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement des investissements nécessaires à la transition écologique).

–         Certains estiment même qu’il faut éviter l’extension de la solidarité européenne qui permettrait à certains pays de retarder les réformes nécessaires, qui rendrait persistants les déséquilibres, qui induirait de la création monétaire et donc de l’inflation. D’autres jugent que des erreurs de politiques économiques ont été commises depuis la création de la zone euro, qu’elles ont abouti à de fortes disparités dans la zone, qu’il faut essayer de résorber aujourd’hui par une stratégie solidaire et cohérente. L’Europe est une grande famille ; il faut manifester de la solidarité et accepter des compromis pour continuer à vivre ensemble.

–         Pour les uns, la fin de la crise des dettes des pays de la zone euro suppose la mise en place d’une union budgétaire, ce qui signifie la mise en place de règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire et un certain fédéralisme budgétaire ; la Commission et le Conseil européen doivent avoir un droit de regard sur les politiques budgétaires des États membres. Pour les autres, il faut laisser aux États membres un degré d’autonomie nécessaire pour pratiquer la politique budgétaire de leur choix ; c’est à la fois une question de démocratie et d’efficacité économique : les situations économiques des pays sont trop diverses pour qu’une politique budgétaire uniforme soit possible ; il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies et rigides de finances publiques, ayant pour objectif une croissance satisfaisante et la résorption des déséquilibres extérieurs.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] Dont 10 en langue anglaise et 2 en français.

 




La récession n’est pas une fatalité

par Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth

La vague de froid sur les prévisions d’automne se poursuit avec la publication par la Banque centrale européenne de ses dernières prévisions. En révisant à la baisse ses perspectives de croissance pour la zone euro (-0,3% en 2013 contre +0,9% prévu en septembre), la BCE pointe à son tour l’austérité renforcée et l’impact croissant de l’incertitude sur les marchés financiers. Force est de constater que la vigueur de la consolidation budgétaire paralyse la croissance en zone euro par le jeu des multiplicateurs budgétaires sans pour autant parvenir à rétablir la confiance. Dans ce billet, nous montrons que l’enchaînement récessif dans lequel s’enlise la zone euro n’est pas une fatalité. 

Dans la première édition du rapport iAGS 2013, élaborée en partenariat avec les instituts allemand IMK et danois ECLM, l’OFCE propose une stratégie alternative aux politiques de consolidation budgétaire actuelles. Celle-ci permet de retrouver de la croissance à moyen terme, tout en respectant les engagements budgétaires européens. Comme l’a montré Jérôme Creel dans son dernier billet « Une autre politique budgétaire est-elle possible pour la France ? », il existe des marges de manœuvre budgétaires compatibles avec le cadre actuel des traités.

Sous l’égide de la Commission européenne, les pays européens se sont engagés à poursuivre de 2013 à 2015 des programmes d’austérité d’une ampleur considérable, surtout si l’on tient compte de l’effort déjà réalisé. Hormis l’Allemagne, dont l’impulsion budgétaire cumulée sera quasi nulle, la plupart des pays européens prévoient de diminuer leur déficit structurel primaire de plus de 2 points de PIB entre 2012 et 2015 (de -1,4 point pour la Finlande à -7,5 points pour la Grèce, cf. tableau).

Ces ajustements s’inscrivent dans un contexte conjoncturel très dégradé, marqué par l’austérité budgétaire des années 2010 à 2012 : la croissance de la zone euro serait de -0,4 % pour 2012 et -0,3 % en 2013. Or, selon un ensemble de travaux théoriques et empiriques récents[1], les multiplicateurs budgétaires sont d’autant plus grands que le cycle économique est creusé. Dans ce contexte, la rapidité et l’ampleur de l’ajustement budgétaire sont particulièrement coûteuses en termes de croissance et contre-productives en matière d’assainissement des finances publiques[2]. Favoriser le retour de la croissance en atténuant l’austérité permettrait aux économies de la zone euro de sortir de leur spirale récessive, marquée par une forte hausse du chômage.

Afin d’élaborer cette stratégie alternative, nous avons procédé, à partir du modèle iAGS, à des simulations sur un horizon de 20 ans pour les pays de la zone euro. Celles-ci ont été réalisées en deux étapes :

  1. Dans notre scénario central, nous avons intégré les plans de restriction budgétaire annoncés par les différents pays à l’horizon 2015. A partir de 2016, nous avons calculé les impulsions budgétaires nécessaires pour atteindre une dette de 60 % à l’horizon 2032, en limitant le niveau de ces impulsions à  +/- 0,5 point de PIB par an. Comme le montre le graphique 1 (scénario central), l’ajustement structurel réalisé entre 2010 et 2015 est suffisamment important dans la plupart des pays pour permettre un assouplissement de la politique économique à partir de 2016, tout en respectant le critère de dette en 2032.
  2. Pour chaque pays, nous avons ensuite arrêté une stratégie budgétaire alternative en étalant dans le temps la réduction du déficit structurel. Cette stratégie consiste à procéder dès 2013 à des impulsions budgétaires d’un montant plus limité en valeur absolue que celles annoncées par les gouvernements actuels (au maximum +/- 0,5 point de PIB par an), et ce jusqu’à ce que l’ajustement soit suffisant pour atteindre l’objectif de dette de 60% du PIB en 2032. Cette stratégie conduit à un ajustement budgétaire plus mesuré pour les pays de la zone euro en difficulté et à des impulsions budgétaires légèrement positives dans les pays dont la trajectoire de dette est bien orientée (Allemagne, Finlande, Italie). Sur l’ensemble de la zone, l’impulsion budgétaire est quasi-nulle en 2013 et 2014 et l’essentiel de l’ajustement budgétaire est réparti entre 2017 et 2024.

Le graphique 1 montre l’écart du PIB en niveau entre les deux scénarii. Limiter le montant des impulsions budgétaires permet d’atteindre un niveau de PIB plus élevé et reste compatible avec un objectif de dette à 60 % du PIB en 2032 (scénario alternatif). L’efficacité de la consolidation budgétaire se trouve renforcée lorsqu’elle est réalisée dans un contexte moins défavorable à l’activité. Cette stratégie permet d’atteindre le même objectif de dette avec un ajustement budgétaire cumulé inférieur de 50 milliards d’euros à celui du scénario central.

Selon nos calculs, le scénario alternatif permettrait de retrouver 2 % de croissance en zone euro dès 2013, contre -0,3 % si les politiques budgétaires prévues étaient menées à bien. Le regain d’activité dynamiserait le marché du travail et permettrait au taux de chômage de se retourner en 2013 et de revenir à 10,2 % en 2015, contre 12,8 % si les politiques d’austérité persistaient, ce qui représenterait 3 millions de chômeurs en moins à l’horizon 2015.


[1] Une revue récente de la littérature sur les multiplicateurs budgétaires : la taille compte !

[2] Que valent les multiplicateurs budgétaires aujourd’hui ?

 




Une autre politique budgétaire est-elle possible pour la France ?

par Jérôme Creel

La crise économique que traverse la zone euro, et donc la France, ne devrait-elle pas remettre en cause l’orientation de la politique budgétaire ? Dans une situation historique de consensus large entre les économistes à propos des effets sur l’économie réelle de la politique budgétaire, il est indéniable que le choix de l’austérité budgétaire en France est une erreur. En outre, l’argument des contraintes européennes pesant sur la politique budgétaire française n’est pas suffisant pour exclure un assainissement bien plus progressif des finances publiques (voir aussi le projet iAGS).

Aller au-delà de ce que les textes européens imposent n’est pas une nécessité ; et cela devient particulièrement nuisible si ces efforts budgétaires supplémentaires engendrent moins de croissance et, in fine, une détérioration des finances publiques par le biais de hausses de dépenses sociales et de baisses des recettes fiscales. Que nous imposent les traités européens en vigueur ? Dans une situation de déficit public au-delà de 3% du PIB, l’effort minimal d’ajustement budgétaire consiste à améliorer chaque année d’au moins 0,5% du PIB le déficit corrigé des variations cycliques, c’est-à-dire le déficit structurel. En outre, l’horizon de retour de la dette publique à 60% du PIB est de 20 ans. Enfin, aux circonstances exceptionnelles s’ajoute désormais un « événement inhabituel » pouvant justifier un dépassement du déficit par rapport aux normes en vigueur (cf. ci-dessous l’annexe à ce post).

Sur la base de ces circonstances exceptionnelles et de la règle d’amélioration annuelle d’au moins 0,5% du PIB du déficit structurel, il est possible de montrer que le gouvernement français dispose de marges de manœuvre budgétaires en 2012 et 2013, en conformité avec les règles budgétaires européennes.

Le tableau 1 répertorie la séquence de déficits publics et de croissance du PIB de 2011 à 2013, selon les deux prévisions réalisées par la Commission européenne au printemps, puis à l’automne 2012. Selon les prévisions de printemps, le déficit structurel français était supposé diminuer de 1,2% du PIB entre 2011 et 2013, soit en moyenne un peu plus que ce que requiert la Commission. En fait, l’amélioration prévue entre 2011 et 2012 allait au-delà de 0,5% du PIB, tandis qu’elle était en deçà entre 2012 et 2013.

Qu’en est-il selon les prévisions d’automne 2012 ? L’amélioration prévue du déficit structurel français entre 2011 et 2012 serait dorénavant de 1,1% du PIB, puis de 1,4% du PIB entre 2012 et 2013, compte tenu des engagements pris par le gouvernement de réduire les dépenses publiques et d’augmenter la fiscalité. Ces améliorations prévues du déficit structurel sont deux et trois fois supérieures à ce que les règles budgétaires européennes requièrent : c’est considérable ! Pour l’année 2013, ce sont pratiquement 20 milliards d’euros qui pourraient ne pas être ponctionnés sur les ménages et les entreprises françaises. Renoncer à cette ponction ne revient pas à renoncer à l’austérité budgétaire, mais à l’étaler dans le temps.

En outre, la Commission européenne anticipe désormais un ralentissement de l’activité française en 2013. A moins de juger que le gouvernement français est responsable de ce ralentissement – et peut-être est-ce effectivement le cas du fait de la cure d’austérité budgétaire qu’il impose à l’économie française, sauf qu’on voit mal la Commission européenne utiliser un tel argument, elle qui est le chantre de l’austérité ! -, la détérioration des perspectives de croissance pourrait rentrer dans la catégorie : « événement inhabituel », ouvrant des circonstances exceptionnelles à la France pour étaler et différer ses efforts d’ajustement budgétaire.

Au lieu d’attendre longtemps des miracles de réformes structurelles aux effets potentiellement incertains, il suffirait d’appliquer les textes en vigueur, sans s’imposer une lecture trop contraignante de ce qu’ils contiennent, pour limiter la baisse de croissance induite par l’austérité et éviter une nouvelle phase de hausse du chômage. Selon les conclusions du rapport iAGS, l’étalement de l’austérité budgétaire en France permettrait de gagner 0,7 point de croissance par an entre 2013 et 2017.

L’« événement inhabituel » que peut constituer une nouvelle année de croissance très faible en 2013 pour la France, ouvre aussi la possibilité de suspendre, au moins temporairement, la politique d’austérité. Toujours selon les conclusions du rapport iAGS, le gouvernement français devrait reporter à 2016 la politique d’assainissement de ses finances publiques. Le gain en termes de croissance serait de 0,9 point par an entre 2013 et 2017. Pourvu que cette politique soit effectivement menée scrupuleusement, et non pas reportée sine die, elle permettrait à la France de réduire son ratio de dette publique sur PIB, conformément aux traités européens en vigueur.

Annexe : les règles budgétaires européennes

L’Union européenne s’est dotée d’un arsenal de pas moins de cinq règles budgétaires. Les plus connues sont celles issues du traité d’Union européenne, les fameux critères de convergence portant sur le déficit public (inférieur à 3% du PIB) et la dette publique (inférieure à 60% du PIB), introduits sous la forme de règles de bonne conduite budgétaire dans la première mouture du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) dès 1997 pour le premier, et dans sa deuxième mouture dès 2005 pour le second. Ces deux règles sont toujours en vigueur (cf. les Règlements 1173/2011, 1175/2011 et 1177/2011 de novembre 2011).

La révision du PSC intervenue en novembre 2011 a consacré la règle du retour de la dette publique au niveau de référence de 60% du PIB, selon une baisse sur les trois années précédentes, à un rythme moyen d’un vingtième par an, de l’écart de la dette par rapport à cette valeur de référence (Règlement 1177/2011, art. 2, par. 1bis). Cette troisième règle est aussi inscrite dans le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, art. 4) signé en mars 2012.

Pour les Etats membres en situation de déficit excessif, le Règlement 1177/2011 (art. 3) précise (voir aussi le Règlement 1175/2011, art. 5) que « dans ses recommandations, le Conseil invite l’Etat membre à respecter des objectifs budgétaires annuels permettant, sur la base des prévisions qui étayent ces recommandations, d’améliorer chaque année d’au moins 0,5% du PIB, à titre de référence, son solde budgétaire corrigé des variations conjoncturelles (le solde structurel) et déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires, de manière à assurer la correction du déficit excessif dans le délai prescrit par la recommandation. » C’est un passage un peu long, mais il est important pour les politiques budgétaires menées actuellement dans l’UE. Il permet en effet de comparer les efforts d’ajustement effectivement consentis avec les efforts d’ajustement minimaux à consentir.

La cinquième et dernière règle budgétaire européenne, à ce jour, est la fameuse « règle d’or » selon laquelle tous les Etats membres doivent atteindre un budget équilibré, soit un déficit structurel à moyen terme d’au plus 0,5% du PIB. Contrairement aux quatre règles précédentes, la règle d’or n’est inscrite que dans le TSCG ; elle ne rentrera en vigueur au 1er janvier 2013 qu’à la condition que la procédure de ratification ait été déposée auprès du Conseil par au moins 12 des 17 Etats membres de la zone euro. Au 19 novembre 2012, 14 Etats membres avaient ratifié le TSCG, dont 10 étaient membres de la zone euro, et 12 Etats membres avaient déposé effectivement la procédure de ratification auprès du Conseil, dont seulement 8 étaient membres de la zone euro.

Il reste à rappeler que la première et la cinquième règles – cette dernière n’est pas encore en vigueur – sont soumises à des conditions exceptionnelles. Si ces conditions sont remplies, le déficit public pourra ne pas être jugé excessif, même s’il dépasse les limites convenues. La législation adoptée en novembre 2011 – le 6-pack – confirme ces circonstances exceptionnelles par le rappel de la réforme du PSC intervenue en 2005. Quant au TSCG, il introduit « un événement inhabituel, en dehors du contrôle de l’Etat membre, et ayant un impact majeur sur la position financière de l’administration publique » comme circonstance exceptionnelle.




Zone euro : la confiance ne suffira pas

Par Céline Antonin, Christophe Blot et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 pour l’économie de la zone euro.

Après plus de deux années de crise de la zone euro, le Conseil européen, qui s’est tenu les 18 et 19 octobre, n’avait cette fois-ci rien d’un énième sommet de la dernière chance. Même si les discussions sur la future union bancaire[1] furent sources de tensions entre la France et l’Allemagne, il n’y avait aucune épée de Damoclès au-dessus de la tête des chefs d’Etats européens. Pour autant, il serait prématuré de considérer que la crise est proche de son terme. Rappelons simplement que le PIB de la zone euro n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise et qu’il a encore reculé de 0,2 % au deuxième trimestre 2012. Cette baisse devrait se poursuivre puisque nous anticipons une baisse du PIB de 0,5 % en 2012 et encore de 0,1 % en 2013. Par conséquent, le taux de chômage de la zone euro, qui a d’ores et déjà dépassé son précédent record historique qui datait d’avril 1997, continuerait d’augmenter pour atteindre 12,1 % en fin d’année 2013. Quelles sont alors les raisons de cette accalmie ? La zone euro peut-elle rapidement renouer avec la croissance et espérer enfin endiguer la crise sociale ?

Depuis la fin de l’année 2011, l’Europe a adopté un nouveau traité (TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) en cours de ratification dans les 25 pays signataires. Concrètement, ce nouveau texte doit permettre de renforcer la discipline budgétaire – via l’adoption de règles d’or nationales – et la solidarité grâce à la création du MES (Mécanisme européen de stabilité) dans la mesure où le recours au MES est conditionnelle à la ratification du TSCG. Le 6 septembre, la BCE a dévoilé les contours de son nouveau programme conditionnel d’achat de titres souverains (voir ici) dont l’objectif est de faire baisser les taux d’intérêt publics des pays placés sous le contrôle du MES. Ainsi, depuis le pic atteint le 24 juillet 2012, les primes de risque, mesurées par l’écart entre les taux d’intérêt publics italien et espagnol et le taux allemand, ont respectivement baissé de 2,2 et 2,5 points (graphiques 1 et 2). On est certes encore très éloigné de la normale mais il n’en demeure pas moins que cette accalmie est la bienvenue et qu’elle témoigne de l’éloignement du spectre d’un éclatement de la zone euro.

Cette nouvelle vague d’optimisme pourrait-elle être le signe précurseur d’une reprise de l’activité dans la zone euro ? La réponse à cette question est malheureusement négative. Les politiques budgétaires des pays de la zone restent en effet fortement restrictives. Elles ont même eu tendance à s’accentuer en 2012 contribuant notamment au retour en récession de l’Italie, de l’Espagne et renforçant celle subie par le Portugal et la Grèce. Sur l’ensemble de la zone euro, l’impulsion budgétaire sera de 1,7 point de PIB en 2012 (tableau). Les votes en cours des budgets nationaux confirment cette stratégie de réduction forcée des déficits budgétaires pour l’année 2013 puisque la consolidation budgétaire globale pour l’ensemble de la zone euro serait de 1,3 %. Les écarts seraient importants entre les pays puisque l’impulsion budgétaire de l’Allemagne serait à peine négative (-0,2 point) mais supérieure à -2 points de PIB en Espagne, en Italie et en Grèce. Or, l’impact récessif de cette consolidation budgétaire synchrone sera d’autant plus important que les pays de la zone euro sont toujours en bas de cycle économique. Dans ces conditions, les objectifs en matière de réduction des déficits budgétaires ne seront pas atteints, ce qui ne manquera pas de soulever la question de l’opportunité de nouvelles restrictions budgétaires. De plus en plus d’Etats membres risquent alors d’être pris dans un cercle vicieux où la faiblesse de la croissance appelle de nouveaux ajustements budgétaires qui renforcent la crise économique et sociale. Toute décision améliorant la gouvernance de l’Union ou la transmission de la politique monétaire est essentielle pour restaurer la confiance et créer les conditions d’un retour de la croissance. Mais ces éléments sont insuffisants pour échapper à la récession et ne doivent pas occulter l’impact de la stratégie budgétaire.

 

 

 

 


[1] Voir ici pour une analyse des enjeux et des questions soulevées par le projet d’union bancaire.

 




La débâcle de l’austérité

par Xavier Timbeau

 

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 de l’OFCE

 

 

L’année 2012 s’achève et les espoirs d’une sortie de crise sont, cette fois, bien déçus. Après une année 2012 marquée par la récession, la zone euro connaîtra une nouvelle année catastrophique en 2013 (-0,1 % de croissance du PIB en 2013 après -0,5 % en 2012, selon nos prévisions, voir tableau). Le Royaume-Uni n’échappe pas à cette évolution et s’enfonce un peu plus dans la crise (-0,4 % en 2012, 0,3 % en 2013). Au-delà des chiffres de croissance de l’activité, ce sont les évolutions du chômage qui rappellent la gravité de la situation. A l’exception de l’Allemagne et quelques autres pays développés, aucune économie occidentale n’échappe à la persistance d’un chômage élevé, voire en progression comme en zone euro (le taux de chômage atteindrait 12 % en 2013 en zone euro au lieu de 11,2 % au deuxième trimestre 2012). Or, la persistance du chômage entraîne une dégradation de la situation de ceux qui ont perdu leur emploi, et qui, pour certains, basculant dans la catégorie des chômeurs de longue durée, doivent faire face à l’épuisement de leurs droits à indemnisation. Bien que connaissant une croissance de l’activité plus favorable que celle de la zone euro, le marché du travail aux Etats-Unis illustre bien une économie américaine engluée dans la Grande Récession.

Cette catastrophe, dont la zone euro est l’épicentre, est-elle du genre des événements imprévisibles ? Une fatalité qu’il nous faudrait accepter et dont il faudrait se préparer à supporter les conséquences ? Non, en réalité, le retour en récession découle d’un diagnostic erroné et de l’incapacité des institutions européennes à faire face rapidement à la logique de la crise. Cette nouvelle plongée est le résultat des politiques d’austérité massives, surdimensionnées, dont les impacts ont été sous-estimés. En voulant à tout prix et en urgence restaurer l’équilibre des finances publiques et la crédibilité de la gestion économique de la zone euro, on aboutit à  la démonstration inverse. Pour sortir de cette ornière, il faudra  un renversement de la politique économique en Europe.

La difficulté de la situation actuelle trouve sa source dans le creusement des déficits publics et le gonflement des dettes publiques qui atteignent en 2012 des niveaux record. Rappelons que ces déficits et ces dettes publics ne sont pas la cause de la crise de 2008-2009 mais une conséquence. Pour interrompre la spirale récessive de 2008-2009, les gouvernements ont laissé jouer les stabilisateurs automatiques, mis en œuvre des plans de relance et de soutien au secteur financier et socialisé une partie des dettes privées qui menaçaient de déstabiliser l’ensemble de la finance mondiale. C’est cela qui a provoqué des déficits publics. C’est pour mettre un terme à la chute libre que l’on s’est résolu à la socialisation du problème.

Le retour en récession découle ainsi de la difficulté à soutenir cette socialisation des dettes privées. En effet, en zone euro, chaque pays doit faire face au financement de son déficit sans le contrôle de sa monnaie. La conséquence est immédiate : un concours de beauté des finances publiques les plus rigoureuses s’instaure entre les pays de la zone euro. Chaque agent économique européen cherche légitimement le support le plus fiable pour ses actifs et trouve le plus grand attrait aux titres de dette publique allemande. Les autres pays se trouvent dès lors menacés à plus ou moins long terme, ou immédiatement, d’une sanction directe : l’assèchement du financement par le marché. Pour attirer les capitaux, ils doivent alors accepter une hausse des taux d’intérêt et entreprendre dans l’urgence une purge de leurs finances publiques. Mais ils courent après une soutenabilité qui disparaît avec la récession, quand ils cherchent à la trouver par la restriction.

Pour les pays qui ont la maîtrise de leur politique monétaire, comme les Etats Unis ou le Royaume Uni, la situation est différente. En effet, l’épargne nationale s’expose au risque de change si elle est tentée de fuir vers d’autres pays. En outre, la banque centrale apporte la garantie de dernier ressort. L’inflation pourrait s’ensuivre, mais, quoi qu’il en soit, un défaut de paiement sur la dette publique est inenvisageable. Au contraire, dans la zone euro, cette perspective devient possible et le seul refuge à court terme est l’Allemagne, puisqu‘elle sera le dernier pays à s’écrouler. Elle s’écroulera irrémédiablement elle aussi quand tous ses partenaires se seront écroulés.

La solution à la crise de 2008-2009 a donc consisté à socialiser des dettes privées devenues insoutenables après l’éclatement des bulles spéculatives. Pour la suite, la solution consiste à résorber ces dettes désormais publiques sans engendrer la panique que l’on était parvenu à contenir à l’été 2009. Deux conditions sont nécessaires. La première est d’apporter la garantie qu’il n’y aura de défaut sur aucune dette publique, ni partiel, ni complet. Cette garantie ne peut être donnée en zone euro que par une forme de mutualisation des dettes publiques. Le dispositif annoncé par la BCE en septembre 2012, l’OMT (Outright Monetary Transaction), permet d’envisager une telle mutualisation. Il se heurte cependant à une possible contradiction. Il conditionne en effet le rachat des titres de dettes (et donc leur mutualisation par le biais du bilan de la BCE) à l’acceptation d’un plan d’assainissement des finances publiques. Or l’Espagne, qui a besoin de ce dispositif pour échapper à la pression des marchés, ne veut pas entrer à n’importe quelles conditions dans l’OMT. Relâcher la pression des marchés ne vaut que si cela autorise à sortir du cercle vicieux de l’austérité.

Car à l’impréparation des institutions européennes à une crise financière s’est ajoutée une erreur d’appréciation quant au fonctionnement des économies. Le cœur de cette erreur est l’évaluation erronée de la valeur des multiplicateurs qui permet de mesurer l’impact des politiques d’assainissement des finances publiques sur l’activité. En sous-estimant les multiplicateurs budgétaires, les gouvernements européens ont cru pouvoir rétablir rapidement et sans dommage l’équilibre de leurs finances publiques par une restriction rapide et violente. Influencés par une abondante littérature économique qui pouvait même laisser croire qu’une austérité pouvait être source de croissance, ils se sont engagés dans un programme de restriction budgétaire sans précédent.

Cependant, aujourd’hui, comme l’illustrent les spectaculaires révisions du FMI ou de la Commission européenne, les multiplicateurs budgétaires seraient bien plus importants, parce que les économies connaissent des situations de chômage involontaire prolongées. Un faisceau d’éléments empiriques converge dans ce sens, de l’analyse des erreurs de prévisions au calcul des multiplicateurs à partir des performances constatées en 2011 ou estimées en 2012 (voir les textes complets de notre prévision d’octobre 2012). Aussi estimons-nous le multiplicateur pour l’ensemble de la zone euro en 2012 à 1,6, soit une évaluation comparable à celles établies pour les Etats Unis et le Royaume Uni.

Ainsi, la seconde condition au rétablissement des finances publiques réside dans une estimation réaliste de l’effet multiplicateur. Plus le multiplicateur est élevé,  plus une restriction budgétaire a un fort effet sur les finances publiques, et, en conséquence, un faible effet sur la réduction du déficit public. C’est de cette mauvaise combinaison que résulte la débâcle par l’austérité qui compromet la perspective du retour à l’équilibre des finances publiques. L’Espagne illustre à nouveau parfaitement cette implacable logique menée jusqu’à l’absurde d’une économie où un quart de la population active est sans emploi et qui risque la désintégration politique comme sociale.

Mais l’existence d’un multiplicateur élevé indique également la marche à suivre pour sortir du cercle vicieux de l’austérité. Il faut, au lieu de chercher à réduire à court terme à n’importe quel coût le déficit public, laisser l’économie revenir dans une zone de fonctionnement où les multiplicateurs sont plus faibles en retrouvant leur configuration usuelle. Il s’agit donc de reporter l’ajustement budgétaire à un moment où le chômage sera significativement réduit pour que la restriction budgétaire puisse produire son effet.

Reporter l’ajustement à plus tard suppose que la pression des marchés soit contenue par une banque centrale qui apporte la garantie nécessaire à la dette publique. Cela suppose également que les taux d’intérêt sur cette dette publique soient les plus bas possibles pour faire participer financièrement les parties prenantes qui bénéficieront in fine de la soutenabilité des finances publiques. Cela suppose également en zone euro que la mutualisation des dettes publiques soit associée à une forme de contrôle sur la soutenabilité dans le long terme des finances publiques de chacun des Etats membres, autrement dit, d’un abandon partiel d’une souveraineté nationale devenue inopérante, au profit  d’une souveraineté supranationale, seule à même de dégager des marges de manœuvre nouvelles qui permettent de sortir de la crise.

 




Amis des acronymes, voici venu l’OMT

par Jérôme Creel et Xavier Timbeau

Il y avait eu OMD, et son Orchestral Manœuvre in the Dark, nous voici maintenant avec Orchestral Manœuvre in the [liquidity] Trap, ou, plus précisément « Outright Monetary Transactions » ce qui, sans conteste, est plus clair. L’OMT est un dispositif potentiellement efficace qui donne à la BCE le moyen d’intervenir massivement sur la crise des dettes dans la zone euro pour limiter les écarts de taux d’intérêt sur les obligations publiques dans la zone euro. La possibilité d’une sortie de la zone euro d’un pays qui serait en opposition avec ses pairs est toujours possible, mais dans le cas où la volonté de préserver l’euro est partagée, la BCE peut intervenir et jouer un rôle comparable aux banques centrales des autres grands Etats. Beaucoup d’espoirs sont donc autorisés par cette porte ouverte vers une sortie de la crise des dettes souveraines en zone euro. Pour autant, certains éléments, comme la conditionnalité, pourraient vite poser problème.

OMT est tout simplement un programme de rachat de titres publics par la Banque centrale européenne, comme le SMP 1.0 (Securities Markets Programme) qu’il remplace, mais limité aux Etats qui seront sous programme du FESF/MES (Fonds européen de stabilité financière/Mécanisme européen de stabilité), bénéficiant donc d’une aide conditionnelle européenne. Ainsi, pour que la BCE intervienne, le pays concerné devra, d’une part, négocier un plan d’ajustement macroéconomique avec la Commission européenne et le Conseil Européen et l’appliquer. La BCE, potentiellement des membres du Parlement européen, ou le FMI peuvent être de la partie (ces institutions – Commission, BCE et FMI – forment la Troïka des hommes en noir, célèbres et redoutés en Grèce). D’autre part, et surtout, ledit pays sera sous surveillance de la Troïka par la suite.

Aussi, si l’Italie et l’Espagne veulent bénéficier du rachat de leurs titres publics par la BCE, leurs gouvernements devront se soumettre à un plan d’ajustement du FESF ou du MES. Ceci n’impliquera pas nécessairement que le plan imposé sera plus drastique en termes d’austérité que celui que ces gouvernements avaient d’ores et déjà imaginé ou instauré (la pensée unique en matière de gestion des finances publiques est très contagieuse en Europe), mais obligera l’Italie et l’Espagne à se soumettre ex ante à un droit de regard extérieur sur le plan d’ajustement élaboré et ex post au contrôle de la Commission et du Conseil. Si les pays sous surveillance venaient à dévier ex post de l’application du plan d’ajustement, ils pourraient se soustraire au programme, certes, mais leurs obligations souveraines ne seraient plus absorbées dans le programme OMT. Ils perdraient le soutien de leurs pairs et devraient affronter les marchés financiers dans des conditions incertaines. Ce serait probablement le premier pas vers un défaut ou une sortie de l’euro.

Par ailleurs, la BCE ne s’est pas engagée à absorber toutes les obligations émises et dispose donc d’une réelle capacité de menace : si le pays fronde, il peut être obligé de faire face à des taux plus élevés. L’OMT introduit donc une carotte (faire baisser les taux) et un bâton (les laisser monter, vendre les obligations détenues en portefeuille par la BCE et donc pousser les taux à la hausse), et ce à chaque nouvelle émission. L’OMT s’apparente donc à une mise sous contrôle direct (la conditionnalité), avec sanction progressive et menace ultime (la sortie du programme).

La BCE indique que ses interventions couvriront principalement des titres à moyen terme (maturité entre 1 et 3 ans), sans pour autant exclure des maturités plus longues, et sans limite quantitative. Notons que les émissions de court/moyen terme représentent habituellement une proportion faible des émissions totales, qui se font plutôt à 10 ans. Cependant, en cas de crise, l’intervention sur des maturités courtes constitue une bouffée d’oxygène, d’autant que les titres à 10 ans arrivant à échéance peuvent être refinancés par des titres à 3 ans. Cela donne des moyens de pression supplémentaires à la Troïka en termes de conditionnalité : l’engagement de l’OMT sur les titres n’est que de 3 ans et doit être éventuellement renouvelé au bout de 3 ans. Le soulagement financier pour les pays sous programme peut être appréciable à court terme. A titre d’exemple, l’Espagne, qui n’a pas encore franchi ce pas, aura émis en 2012 autour de 180 milliards d’euros de dette. Si l’OMT lui avait permis de réduire tout au long de l’année 2012 les taux souverains auxquels elle emprunte, le gain aurait été entre 7 et 9 milliards pour l’année 2012 (et aurait pu se répéter en 2013 et 2014 au moins). Ceci parce qu’au lieu d’emprunter à 10 ans au taux de 7%, l’Espagne aurait pu bénéficier des 2% auxquels la France emprunte à 10 ans ou, au lieu de 4,3% à 3 ans, l’Espagne aurait emprunté à 0,3% (le taux souverain de la France à 3 ans). C’est le gain maximal que l’on peut espérer de ce programme, mais il est conséquent : c’est approximativement l’équivalent de l’impact budgétaire de la récente hausse de TVA en Espagne (soit un peu moins d’un point de PIB espagnol). Cela ne changerait pas définitivement la situation budgétaire de l’Espagne mais cela mettrait fin à une absurdité complète qui conduit les Espagnols à devoir payer beaucoup plus cher leur dette pour compenser leurs créanciers d’un défaut qu’ils s’échinent à ne pas déclencher.

On peut même espérer (ce qui apparaît dans la détente des taux souverains espagnols de presqu’un point qui a suivi  l’annonce de la BCE jeudi 6 septembre 2012, ou de celle de presque un demi point pour les taux italiens) que l’existence du dispositif, même si l’Espagne ou l’Italie n’y recourent pas (et ne se soumettent donc pas au contrôle) suffira à rassurer les marchés, à les convaincre qu’il n’y aura ni défaut ni sortie de l’euro et que rien ne justifie donc une prime de risque.

La BCE a annoncé qu’elle allait mettre fin à son statut de créancier privilégié sur les titres publics. Cette disposition, censée réduire le risque pesant sur la BCE, conduisait à dégrader la qualité des titres détenus en dehors de la BCE et donc à réduire l’impact des interventions de la BCE sur les taux. En acquérant une obligation publique, la BCE reportait le risque sur les obligations détenues par le secteur privé, puisqu’en cas de défaut, elle était un créancier prioritaire passant avant les détenteurs privés d’obligations du même type.

La BCE précise que ses opérations dans le cadre de l’OMT seront intégralement stérilisées (l’impact sur la liquidité en circulation sera neutre), ce qui impliquerait, si cela était pris au mot, que d’autres types d’opérations (achats de titres privés, crédits aux banques) en soient réduits d’autant. Qu’en sera-t-il ? L’exemple du SMP 1.0 peut être mobilisé à ce sujet. Le SMP 1.0 était en effet lui aussi assorti d’une stérilisation. Cette stérilisation passait par des dépôts à court terme (1 semaine, au passif de la BCE), alloués pour un montant égal aux sommes engagées dans le SMP (209 milliards d’euros à ce jour, à l’actif de la BCE). Chaque semaine, la BCE collecte donc des dépôts à terme fixe mais court pour 209 milliards d’euros. Il s’agit donc d’une partie des dépôts des banques que la BCE affecte à l’instrument de stérilisation, sans que pour autant il y ait stérilisation  stricto sensu (parce que cela n’empêche ni la hausse de la taille du bilan de la BCE ni ne réduit en soi la liquidité potentielle en circulation). La mention de la stérilisation dans l’OMT apparaît comme un effort de présentation pour tenter de convaincre certains Etats, tels l’Allemagne, que la politique monétaire ne sera pas inflationniste, et donc contraire au mandat que le Traité d’Union européenne lui a imposé. Actuellement, et parce que la crise reste entière, les banques privées ont des dépôts importants auprès de la BCE (par peur de confier ces dépôts à d’autres institutions financières), ce qui lui confère une marge de manœuvre appréciable pour éviter que la stérilisation annoncée modifie la liquidité en circulation (il y a un peu plus de 300 milliards d’euros de dépôts auprès de la BCE qui ne sont pas mobilisés pour la stérilisation). Ensuite, la BCE peut probablement utiliser les comptes courants (en les bloquant pour une semaine), ce qui ne pose pas de difficulté puisque la BCE prête aux banques à guichet ouvert par le LTRO, sa politique de refinancement des banques à long terme. Au pire, la BCE perdrait de l’argent dans l’opération de stérilisation en cas d’écart de rémunération entre les dépôts à terme et les prêts consentis aux banques. La stérilisation pourrait donc conduire à cette comptabilité absurde, mais n’avoir, dans une situation de crise monétaire et financière aucune incidence sur la liquidité. En revanche, si la situation se normalise, la contrainte de stérilisation pèsera plus lourdement. Nous n’en sommes pas encore là mais quand nous y serons, la BCE devra limiter les crédits à l’économie ou accepter une hausse de la liquidité si l’OMT continue d’être mis en œuvre pour certains Etats membres de la zone euro.

Le marché qui est maintenant sur la table place aujourd’hui les pays de la zone euro dans un dilemme redoutable. D’un côté, l’acceptation du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de la zone euro (TSCG) conditionne l’éligibilité au FESF et au MES[1] et elle conditionne donc désormais l’éligibilité au programme OMT. Refuser de signer le traité budgétaire, c’est refuser par avance l’intervention potentielle de la BCE et donc accepter que la crise se prolonge jusqu’à l’éclatement de la zone euro ou jusqu’à un défaut dévastateur sur une dette souveraine. D’un autre côté, signer le traité, c’est accepter le principe d’une stratégie budgétaire restrictive sans discernement (la règle de réduction de la dette publique inscrite dans le TSCG sera dévastatrice) qui va enclencher en zone euro une récession en 2012 et peut-être en 2013.

Signer le traité, c’est aussi relâcher la pression des marchés, mais pour s’en remettre uniquement à la Troïka et à la conviction infondée que les multiplicateurs budgétaires sont faibles, que les ménages européens sont ricardiens ou que la dette publique pèse toujours sur la croissance. Or, abaisser les taux d’intérêt souverains, et en particulier ceux de l’Italie ou de l’Espagne, procure une relative bulle d’oxygène. Mais le gain principal à abaisser ces taux consisterait à étaler la consolidation budgétaire sur une période de temps plus grande. Les taux d’intérêt donnent une valeur au temps et les baisser, c’est se donner plus de temps. Les dettes contractées à des taux réels négatifs ne sont pas des dettes ordinaires et ne sont pas les fardeaux que sont des dettes émises à des taux prohibitifs.

Trouver une nouvelle marge de manœuvre (l’OMT) pour se lier immédiatement les mains (le TSCG et l’aveuglement de la Troïka sur la stratégie budgétaire) serait un gâchis formidable. Seul un revirement dans la stratégie budgétaire permettrait d’exploiter la porte ouverte par la BCE. Bref, sauver l’euro ne servira à rien si on ne sauve pas d’abord l’Union européenne des conséquences sociales désastreuses de l’aveuglement budgétaire.


[1] Le paragraphe 5 du préambule au traité instituant le Mécanisme européen de stabilité précise : « Le présent traité et le TSCG sont complémentaires dans la promotion de la responsabilité budgétaire et de la solidarité au sein de l’Union économique et monétaire. Il est reconnu et convenu que l’octroi d’une assistance financière dans le cadre des nouveaux programmes en vertu du MES sera conditionné, à partir du 1er mars 2013, par la ratification du TSCG par l’État membre concerné et, à l’expiration de la période de transition visée à l’article 3, paragraphe 2, du TSCG, par le respect des exigences dudit article. »