Crispation sur le marché du travail

par Marion Cochard

Quatre ans après le début de la crise économique et financière, ses conséquences sur le marché du travail sont encore plus présentes. Malgré le regain de croissance observé en 2010, la hausse du chômage et la dégradation des conditions de travail ne se sont pas résorbées. Pôle emploi compte aujourd’hui 800 000 demandeurs d’emploi de plus que début 2008, et 300 000 demandeurs d’emplois en activité réduite supplémentaires, signe de la hausse du sous-emploi. C’est dans ce contexte qu’intervient l’inflexion marquée par l’emploi salarié au troisième trimestre – 3 600 emplois créés dans le secteur marchand selon l’INSEE, contre 53 600 au deuxième trimestre. Ce chiffre va dans le sens des multiples signes de retournement du marché du travail, dont le déroulement rappelle l’enchaînement récessif de 2008. Depuis avril 2011, on a ainsi assisté à un retournement de l’intérim (graphique), certes modeste au regard de l’effondrement enregistré en 2008, mais tout de même préoccupant dans la mesure où  l’emploi intérimaire est un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, l’ensemble des indicateurs fournis par Pôle emploi – hausse du nombre d’entrées pour fin de CDD, baisse des reprises d’emplois, … – vont dans le sens d’une nouvelle crispation sur le marché du travail, et le chômage au sens du BIT est remonté à 9,3% de la population active au troisième trimestre. On voit se remettre en place le scénario qui a conduit à la destruction de plus de 300 000 emplois en 2009 : gel des embauches, non-reconduction des emplois intérimaires et des CDD, reprise du chômage partiel face à la dégradation des perspectives, …

Cette crispation annonce une reprise des destructions d’emplois dès la fin 2011, et ce d’autant que la récession passée n’a toujours pas été complètement absorbée par le marché du travail. Car l’effondrement de l’activité a entraîné une forte chute de la productivité en 2009, conformément au mécanisme du cycle de productivité : face à la dégradation de la conjoncture, les entreprises ont préféré dans un premier temps réduire le temps de travail – via l’extension des dispositifs de chômage partiel, les congés et RTT imposés, la baisse des heures supplémentaires, … – et supporter une dégradation de leurs marges. Elles ont également supprimé progressivement les emplois intérimaires et les CDD, et ce n’est qu’ensuite qu’elles ont procédé à des suppressions d’emplois plus stables. Par la suite, les entreprises profitent généralement du retour de la croissance pour rétablir leur productivité. Or, les entreprises françaises n’ont à ce jour pas rattrapé le retard de productivité accumulé au cours de la crise, et l’écart par rapport à sa tendance de long terme s’élevait encore à 1,7% au deuxième trimestre 2011. Conséquence de cet affaissement durable du cycle de productivité, les taux de marge des entreprises restent dégradés et n’ont à ce jour pas retrouvé leurs niveaux d’avant-crise (cf. graphique). Ils se situent aujourd’hui à un niveau exceptionnellement bas si l’on considère les niveaux observés dans les années 1990 et 2000. Les entreprises françaises se trouvent donc aujourd’hui dans une situation beaucoup moins favorable qu’en 2008 pour résister à la nouvelle chute d’activité qui s’amorce. La situation est particulièrement critique dans l’industrie, où les taux de marge des entreprises demeurent historiquement bas. Elles ne pourront donc procéder à une baisse de la productivité de la même ampleur qu’en 2008 ; les destructions d’emploi s’annoncent donc plus rapides qu’en 2008-2009.

C’est donc la seconde phase d’une même crise que l’on aborde aujourd’hui, dont la physionomie sera différente de la première. Reste à décider les moyens que l’on souhaitera mettre en place pour faire face à ce nouveau retournement, et deux options se présentent. La première résiderait, comme en 2008, dans un ajustement du marché du travail via des destructions d’emplois, essentiellement, en faisant d’abord porter le poids de la crise sur les salariés les plus précaires (CDD et intérimaires). La seconde consisterait à partager l’effort entre les salariés, comme cela a été fait en Allemagne, en réduisant le temps de travail. Une telle orientation nécessite une politique économique volontariste et devrait aller bien au-delà du chômage partiel tel qu’il existe aujourd’hui, qui concerne quasi-exclusivement l’industrie. Outre le maintien en emploi de salariés menacés, cela présenterait l’avantage de conserver dans l’entreprise les compétences qui leurs seront nécessaires lors de la reprise de l’activité. Cela permettrait de limiter la progression du chômage de longue durée et les problèmes d’insertion qui en découlent, et qui peuvent peser sur le potentiel de croissance à long terme. Pour autant, le chômage partiel demeure une solution temporaire et la meilleure politique de l’emploi est encore l’activité. C’est en rompant avec la spirale récessive entretenue par des politiques budgétaires à contretemps que les économies européennes retrouveront le chemin des créations d’emplois.




Hausse du chômage : ce n’est qu’un début…

par Marion Cochard

BNP Paribas, Areva, Peugeot-Citroën, … alors que le marché du travail porte encore les stigmates de la crise économique et financière de 2008-2009, une série d’annonces de plans sociaux a repris depuis l’automne. Si ces plans ne sont que la partie émergée de l’iceberg, les chiffres du chômage pour le troisième trimestre confirment que la détente observée en 2010 n’aura été qu’une accalmie passagère. Cette estimation fait état d’une hausse de 37 000 chômeurs sur le trimestre ;  ainsi le taux de chômage remonte à 9,3% de la population contre 9,1% au deuxième trimestre.

Ces chiffres s’inscrivent dans la suite logique des indicateurs qui alimentent, depuis la mi-2011, le scénario d’une nouvelle rechute du marché du travail. Depuis avril 2011, on a assisté d’abord à un retournement de l’intérim, dont la forte baisse au troisième trimestre est préoccupante si l’on voit dans l’emploi intérimaire un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, après 4 mois de baisse, le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégories A enregistrés à Pôle emploi a de nouveau bondi de 145 800 personnes entre avril et octobre 2011. Au final, tous les indicateurs vont dans le sens de ce que nous inscrivions dans notre précédente prévision, à savoir une reprise du mouvement de hausse du chômage, au moins jusqu’à la fin 2012 (cf. Tableau). Car à cet horizon au moins, tous les facteurs se conjugueront pour venir alimenter la masse des chômeurs.

En cause en premier lieu, bien sûr, le ralentissement de l’activité économique, qui se traduira nécessairement par de nouvelles destructions d’emplois, dans des entreprises qui demeurent très affaiblies par la récession passée. Si les chiffres du troisième trimestre ont montré une résistance de l’activité (avec une croissance du PIB de 0,4%), les enquêtes actuelles ne prêtent guère à l’optimisme pour les trimestres à venir. Mais au-delà de ce contexte économique morose, la politique économique a joué un rôle majeur dans l’évolution du chômage, comme en atteste l’explosion du chômage des seniors. Car la reprise des destructions d’emplois est d’autant plus douloureuse qu’elle intervient dans un contexte de population active dynamique. Outre la croissance démographique, c’est surtout la suppression des dispositifs de retraits d’activité anticipés des seniors et l’impact de la réforme des retraites entrée en application en juillet 2011 qui sont la cause de la hausse du chômage. Ces réformes impliquent une forte hausse de l’activité des seniors. Elles expliquent en partie la hausse du chômage enregistrée ce trimestre, et viendront encore gonfler la population active de 130 000 personnes en 2011 et 120 000 en 2012. Les seniors en sont les premières victimes : le nombre de demandeurs d’emplois de plus de 50 ans a augmenté de 70 % au cours des 3 dernières années, contre 35 % pour l’ensemble de la population. Après une année de répit, la situation du marché du travail aborde donc une nouvelle phase critique qui se traduira progressivement par une reprise du chômage de longue durée et son lot de conséquences sociales à mesure que les chômeurs perdront leurs droits à indemnisation. Et cet enlisement s’annonce durable dans la mesure où les efforts de consolidation budgétaire s’inscrivent dans le moyen terme et où la hausse de l’activité des seniors perdurera au moins jusqu’en 2017.

Pour faire face à la reprise du chômage, le gouvernement dispose aujourd’hui de deux leviers principaux : l’extension du chômage partiel et la réactivation du traitement social du chômage. L’assouplissement des règles du chômage partiel semble d’ores et déjà sur les rails. Mais cela ne saurait suffire puisque le dispositif concerne le secteur de l’industrie à 90% et profite essentiellement aux emplois stables. Or, ce sont précisément les emplois d’intérimaires et les CDD qui se trouvent aux premières loges de ce retournement conjoncturel. Reste donc la possibilité d’un recours accru aux emplois aidés dans le secteur marchand, pour faire face au risque d’éloignement du marché du travail de certaines catégories de la population. Mais le gouvernement semble pour l’instant écarter cette option. Car si dans la première phase de la crise – entre 2008 et 2010 –, le nombre de contrats aidés dans le secteur non marchand a augmenté d’un peu plus de 80 000, celui de l’année 2011 se situe à ce jour bien en-deçà de l’objectif de stabilité affiché par le gouvernement, et cela devrait perdurer en 2012. Ainsi la politique de l’emploi a plutôt amplifié la hausse du chômage en 2011. En effet, les rallonges budgétaires successives votées dans le courant de l’année 2011 ne devraient pas être maintenues dans un contexte de resserrement de la politique budgétaire, et les destructions de contrats aidés viendraient donc s’ajouter à la baisse de l’emploi marchand. Dans ce contexte, l’expérimentation en 2012 de nouveaux contrats aidés de 7h par semaine – soit 3 fois moins que les contrats actuels – pourrait cependant annoncer la direction qu’est tenté de prendre le gouvernement : des contrats très faiblement rémunérés, dont l’efficacité en matière d’insertion sera probablement extrêmement réduite, mais dont le coût sera divisé par 3. La généralisation de ce type de contrats permettrait donc, à budget constant, de limiter sensiblement la hausse du chômage. Quoi qu’il en soit, l’expérimentation de ce type d’emplois aidés devrait être limitée à 10 000 contrats en 2012 : en l’absence d’annonces du gouvernement, nous tablons à l’heure actuelle sur une baisse du nombre de contrats aidés à cet horizon. Le taux de chômage atteindrait ainsi 10,5 % de la population active fin 2012.




L’économie allemande n’échappera pas au ralentissement de ses partenaires

par Sabine Le Bayon

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro.

Le gouvernement allemand a révisé à la baisse le 20 octobre dernier sa prévision de croissance pour 2012. La croissance allemande est dorénavant attendue à 1% en 2012 (comme en France), au lieu de 1,8% lors de la prévision d’avril 2011. Cette prévision s’appuie sur celle réalisée par quatre instituts allemands (IWH – Halle, Ifo, IfW – Kiel, RWI – Essen) qui estiment que la croissance devrait être de 0,8% en 2012. Les autres instituts allemands – IMK et DIW- prévoient une croissance du même ordre de grandeur (respectivement 0,7% et 1%).

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro. Alors qu’elle avait fait la course en tête dans un premier temps (avec une croissance de 3,6% en 2010, contre 1,7% dans la zone euro), le rebond du commerce mondial ayant entrainé une reprise des exportations et stimulé l’investissement des entreprises, ce ne serait plus le cas. Certes, la croissance du PIB au troisième trimestre 2011 a été bonne (0,5%), mais essentiellement grâce à la demande intérieure selon les premières informations fournies par l’institut de statistiques allemand. Le PIB devrait d’ailleurs reculer au quatrième trimestre 2011 (-0,2% selon les instituts allemands) et croître faiblement durant les trimestres suivants, dans un contexte européen très difficile.

L’Allemagne va pâtir de l’orientation de ses exportations vers des zones qui mènent des politiques budgétaires restrictives : la zone euro (40% de ses exportations de marchandises en 2010), les PECO (10%) et le Royaume-Uni (6%). Ces pays vont avoir peu de croissance fin 2011 et en 2012 et donc peu importer (en provenance d’Allemagne notamment). Les exportations allemandes vers le Japon (1,5%) et les Etats-Unis (7%) – deux pays qui mettent en place des plans de relance en 2012 – ne seront pas suffisantes pour compenser les pertes en Europe, et le commerce vers les pays émergents va souffrir du ralentissement mondial. Ce coup de frein au commerce est déjà visible dans les commandes industrielles étrangères adressées aux entreprises allemandes qui ont reculé au troisième trimestre 2011 (-3,75% sur un trimestre).

A l’effet négatif de la politique budgétaire allemande sur la croissance en 2012 (impulsion budgétaire de -0,3 point de PIB), il faut donc ajouter l’impact de la restriction dans les autres pays développés qui réduirait la croissance de 0,7 point en Allemagne selon nos calculs (voir “Zone euro : déni de réalité” dans notre dossier de prévision). In fine, l’effet de la restriction quasi-généralisée se traduirait par un point de croissance en moins en Allemagne en 2012.

Le sort de la zone euro – et la politique budgétaire menée par ses principaux partenaires – ne peut laisser l’Allemagne indifférente : le ralentissement de la zone euro va amputer la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande. D’après les prévisions de l’OFCE, le commerce extérieur n’apporterait plus que 0,5 point à la croissance du PIB en 2012 (contre 1,4 point en 2010). La demande extérieure adressée à l’Allemagne par les pays de la zone euro ne progresserait que de 1,8% en 2012 (contre 5,1% pour celle en provenance des pays hors zone euro). Le rythme de croissance des exportations passerait ainsi de 8% en 2011 à 4,1% en 2012 et celui du PIB de 2,9% à 1,2%.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




Des politiques budgétaires restrictives à contretemps

par Sabine Le Bayon

La réduction des déficits publics doit-elle être aujourd’hui la priorité des gouvernements ?

La contrainte que font peser le Pacte de stabilité et surtout les marchés financiers sur les pays européens ne leur a guère laissé le choix. Or, si la question de la soutenabilité de la dette publique ne peut être éludée, il faut aussi tenir compte de l’impact récessif des politiques d’austérité sur l’activité, particulièrement en période de reprise. Une large majorité d’études concluent en effet à un multiplicateur positif, c’est-à-dire qu’un point de restriction (expansion) budgétaire  se traduit par une baisse (hausse) de l’activité. De plus, des études ont mis en avant l’importance du timing d’une politique budgétaire pour maximiser son efficacité : son impact sur la croissance et sur le solde public (via sa composante conjoncturelle) dépend en effet de l’accompagnement ou non de la politique monétaire, de la politique budgétaire menée dans les autres pays, de la phase du cycle conjoncturel, …

Une consolidation budgétaire a par exemple moins d’impact sur l’activité quand elle s’accompagne d’une détente de la politique monétaire et d’une dépréciation de la monnaie. Mais quand les taux d’intérêt sont déjà proches de zéro (ou dans le cas d’une trappe à liquidité), l’impact de la restriction budgétaire n’est pas amorti par la baisse des taux directeurs. Comme la Banque centrale ne peut pas contrer la désinflation, les taux d’intérêt réels augmentent, ce qui amplifie la chute de l’activité. Par ailleurs, quand la rigueur est généralisée, le taux de change ne peut pas être un mécanisme de soutien à l’activité pour toutes les zones. Ceci est vrai aussi quand une politique restrictive est menée au sein d’une union monétaire où les pays commercent essentiellement entre eux. Ainsi, selon le FMI, l’impact sur la croissance d’une restriction budgétaire de 1 point de PIB varie entre 0,5 et 2 % selon la synchronisation ou non de l’austérité et la réponse de la politique monétaire (tableau 1). In fine, cet impact sur la croissance se répercute sur la situation des finances publiques. Quand la politique monétaire peut contrecarrer les effets récessifs de la politique budgétaire, une restriction isolée de 1 point de PIB réduit l’activité de 0,5 % après deux ans. La dégradation du solde conjoncturel atteint alors 0,25 point de PIB et le solde s’améliore in fine de 0,75 point. Quand les taux d’intérêt sont proches de zéro, un point d’impulsion budgétaire négative dans un pays réduit la croissance d’un point et dégrade le solde conjoncturel de 0,5 point, induisant une amélioration du solde de 0,5 point de PIB seulement. Enfin, quand on cumule trappe à liquidité (ou taux nuls) et restriction généralisée, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB réduit la croissance de 2 points, car ni la politique monétaire ni le taux de change ne peuvent atténuer l’impact de la rigueur. Ceci creuse le solde conjoncturel d’un point et il n’y a donc pas d’amélioration du solde public malgré un effort structurel d’un point.

 

Par ailleurs, la position de l’économie dans le cycle économique influe sur les multiplicateurs. Ainsi, ces derniers sont amplifiés en bas de cycle : une politique de rigueur accentue les tendances déflationnistes à l’œuvre, ce qui amplifie la baisse de la demande et donc l’impact sur l’activité. En revanche, en haut de cycle, les effets désinflationnistes de l’austérité contrecarrent la tendance inflationniste usuelle à cette phase, ce qui réduit le multiplicateur. Selon Creel, Heyer et Plane, à l’horizon d’un an, et selon les instruments de politique économique utilisés, le multiplicateur est compris entre 1 et 1,3 point quand l’économie est en bas de cycle (on suppose un écart de production de -2%); il est compris entre 0,8 et 1,2 point en milieu de cycle (l’écart de production nul) et en haut de cycle (pour un écart de production de 2 %). A 5 ans, l’effet est plus fort encore : entre 1 et 1,6 point en bas de cycle, entre 0,6 et 1,3 en milieu de cycle et entre 0 et 1,2 en haut de cycle. Ainsi, lorsque l’écart de production est négatif, les politiques de consolidation budgétaire sont peu efficaces, car elles entraînent une baisse du PIB importante par rapport au scénario sans restriction, ce qui limite les gains budgétaires attendus de l’austérité.

Aujourd’hui tous les éléments sont réunis pour que les politiques de rigueur entraînent un ralentissement important de la croissance et que le déficit se résorbe peu, en particulier dans la zone euro. C’est pourquoi nous avons cherché à évaluer l’impact indirect, pour la France et les grands pays développés, de l’austérité mise en place chez leurs partenaires commerciaux, en plus de l’effet direct lié aux plans nationaux. L’impact d’une restriction budgétaire (dans un pays A) sur la demande adressée de ses partenaires (B) dépend de l’élasticité des importations au PIB du pays A mais aussi du degré d’ouverture et de l’orientation géographique des exportations des pays B. Dans le cas de la France, pour un multiplicateur national de 0,5, le multiplicateur total est de 0,7, une fois la restriction des partenaires prise en compte via le commerce extérieur ; pour un multiplicateur national de 1, le multiplicateur total est de 1,5.

En nous appuyant sur les impulsions budgétaires prévues dans les différents pays, nous obtenons un impact des plans étrangers sur l’activité nationale compris entre -0,1 et -0,7 point en 2012 selon le degré d’ouverture des pays et l’orientation de leur commerce (tableau 2). Pour la France, la restriction de ses partenaires commerciaux amputera la croissance de 0,7 point en 2012, soit presque autant que le plan d’économies mis en place par le gouvernement (1 point). En Allemagne, l’impact des plans de restriction étrangers sur le PIB est proche de celui calculé pour la France : même si le pays est plus ouvert, il commerce moins que la France avec le reste de la zone euro, et bénéficie davantage par exemple du plan de relance des Etats-Unis en 2012. Dans les autres pays de la zone euro, les mesures de restrictions étrangères auront un impact du même ordre (0,6 point). Aux États-Unis, les effets du plan de relance seront affaiblis du fait de l’austérité menée ailleurs : alors que l’effet direct de la relance sur le PIB sera de 0,7 point, la demande adressée amputera la croissance de 0,2 point, limitant l’impact expansionniste de la politique budgétaire. Le ralentissement plus fort qu’attendu de la croissance risque de rendre caducs les objectifs de réduction du déficit public. Avec nos hypothèses de multiplicateurs nationaux compris entre 0,6 et 0,9, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB dans l’ensemble des pays de l’Union européenne ne réduit en effet le déficit que de 0,4 à 0,6 point de PIB dans chacun des pays, une fois la restriction des partenaires commerciaux prise en compte.

Ce texte fait référence à l’étude sur la politique budgétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




A quels nouveaux plans de rigueur européens doit-on s’attendre en 2012 ?

par Eric Heyer

Afin de respecter les engagements français vis-à-vis de Bruxelles d’un déficit des APU de 4,5 % du PIB en 2012, le Premier ministre français, François Fillon, vient d’annoncer un nouveau plan de restriction budgétaire de 7 milliards d’euros. Ce plan, annoncé le 7 novembre, sera-t-il suffisant ? Certainement pas ! Alors à quels nouveaux plans de rigueur doit-on s’attendre dans les mois à venir et quelle incidence auront-ils sur la croissance en 2012 ?

Début octobre 2011, nous indiquions dans notre dossier de prévisions , entre autres choses, qu’à projets de lois de finance connus et votés, aucun grands pays européens ne respecterait ses engagements de réduction de déficit.

Cela sera notamment le cas pour l’Italie et le Royaume-Uni qui pourraient être confrontés à un écart compris entre 1,5 et 2 points entre le déficit public final et leur engagement. Dans le cas de la France et de l’Espagne, l’écart serait respectivement de 0,6 et 0,7 point. Seule l’Allemagne serait très proche de ses engagements (tableau 2).

Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît probable : dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette.

Cela nécessitera alors l’adoption de nouveaux plans d’austérité dans les mois à venir. Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité. En effet, comme nous l’avons signalé dans une étude récente , la mise en place dans un contexte de basse conjoncture de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » concourt à la formation d’un multiplicateur fort, proche de l’unité.

A combien de milliards d’euros s’élèveront les prochains plans d’économies budgétaires ? Quelles incidences auront-ils sur la croissance économique ? Plusieurs cas de figure ont été étudiés.

Cas n°1 : Chacun des pays respecte seul son engagement
De manière à isoler l’impact sur la croissance du plan d’économies national et de ceux des partenaires, nous avons supposé que chaque pays respecte, seul, son engagement. Sous cette hypothèse, l’effort serait considérable en Italie et au Royaume-Uni qui présenteraient de nouveaux plans de rigueur de respectivement 3,5 et 2,8 points de leur PIB (soit 56 et 48,7 milliards d’euros). La France et l’Espagne devraient mettre en œuvre un plan de rigueur deux à trois fois inférieur, d’environ 1,2 point de PIB, représentant respectivement 27 et 12,1 milliards d’euros. Enfin le plan d’économies allemand serait le plus faible, avec 0,3 point de PIB (7 milliards d’euros) (tableau 1).

Ces différents plans de rigueur nationaux, pris isolément, auraient un impact non négligeable sur la croissance des pays étudiés. A l’exception de l’Allemagne qui continuerait à avoir une croissance positive en 2012 (0,9 %), une telle stratégie plongerait les autres économies dans une nouvelle récession en 2012, avec un recul de leur PIB allant de -0,1 % pour l’Espagne à -2,9 % pour l’Italie. La France connaîtrait une baisse de son activité de -0,5 % et l’économie britannique de -1,9 %( tableau 2).

Cas n°2 : Tous les pays de l’Union européenne respectent leur engagement

Bien entendu, si l’ensemble des grands pays européens venaient à adopter la même stratégie en même temps, alors l’effort d’économie serait supérieur. Il s’élèverait à près de 64 milliards d’euros en Italie et de 55 milliards d’euros au Royaume-Uni, représentant respectivement 4 et 3,2 points de PIB. Cet effort supplémentaire serait d’environ 2,0 points de PIB pour la France et l’Espagne (respectivement 39,8 et 19,6 milliards d’euros) et de 0,9 point de PIB pour l’Allemagne (22,3 milliards d’euros). Au total sur ces 5 pays étudiés, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 200 milliards d’euros en 2012.

Le choc sur l’activité de ces pays serait alors puissant : il provoquerait en 2012 une récession violente pour certains pays avec une baisse du PIB de 3,9 % en Italie (contre -5,1 % en 2009), de 2,6 % au Royaume-Uni (contre -4,9 % en 2009). La récession serait proche en France (-1,7 %) et en Espagne (-1,5 %) alors que le PIB allemand baisserait légèrement (-0,3 %).

Cas n°3 : Seuls les pays de la zone euro respectent leur engagement

Le Royaume-Uni ayant déjà mis en place un plan de rigueur important, et compte tenu du fait que leur contrainte en termes de déficit est plus souple que celle des pays de la zone euro, nous avons supposé que seuls les grands pays de la zone euro respectaient leurs engagements de déficit public. Dans ces conditions, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 130 milliards d’euros en 2012 dont près de la moitié serait du seul fait de l’Italie (61,7 milliards).

Le choc récessif serait alors concentré sur la zone euro avec une récession dans tous les pays étudiés à l’exception de l’Allemagne (0,1 %). L’économie britannique éviterait un nouvel épisode récessif (0,5 %) mais elle ne remplirait pas son objectif de déficit public fixé à 6,5 points de PIB, puisque ce dernier s’établirait à 8,2 points de PIB.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.




La France et la zone euro suspendues au-dessus de la récession

par Hervé Péléraux

L’actualisation des indicateurs avancés pour la France et la zone euro à la fin octobre révèle l’extrême fragilité de ces économies, en surplomb au-dessus de la récession. La stagnation du PIB attendue en France au troisième trimestre, suivie d’un possible recul de 0,2 % au quatrième, peut préfigurer la survenue d’une récession au tournant de 2011-2012, alors même que l’optimisme était encore de mise avant l’été. La situation n’est guère meilleure pour l’ensemble de la zone euro, avec une stagnation anticipée du PIB dans la seconde moitié de 2011. La crise des dettes souveraines, démarrée en mai 2010 avec la révélation de la crise grecque, aura finalement eu raison de la résistance, un peu surprenante, des économies dans la seconde moitié de 2010 et au premier trimestre 2011.

L’indicateur avancé pour la France :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateurfr.htm?current=five&sub=c

L’indicateur avancé pour la zone euro :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateureuro.htm?current=five&sub=c




France : austérité consolidée

par Eric Heyer

Les pays européens se sont engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques plus équilibrées (déficit des APU en dessous de 3 points de PIB). Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît plus probable : dans un contexte financier incertain, être le seul Etat à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières (dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains, prime de risque). Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité.

Après avoir revu à la baisse, en août dernier, sa prévision de croissance pour 2012, passant de 2,25 % à 1,75 %, le gouvernement français a décidé de mettre en place un nouveau plan d’austérité afin de pouvoir respecter son engagement d’un déficit de 4,5 points de PIB en 2012. Ce plan de 11 milliards d’euros d’économie vient s’ajouter au plan initial voté il y a un an et devrait amputer directement la croissance de 1 point de PIB l’année prochaine. D’autres pays ont également réajusté à la hausse leur plan de rigueur : c’est le cas notamment de l’Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et de l’Espagne qui s’impose maintenant la plus forte cure d’austérité des grands pays européens (tableau).

 

La prise en compte de ces nouvelles mesures restrictives, qu’elles soient nationales ou appliquées chez nos pays partenaires, nous a conduits à revoir significativement nos prévisions de croissance pour l’économie française en 2012. En se cantonnant aux seuls pays européens, qui sont par ailleurs nos principaux partenaires commerciaux, la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 6 derniers mois nous a conduits à rabaisser de 0,7 point notre prévision de croissance pour 2012 réalisée en avril dernier pour l’économie française.

Cette stratégie de fort désendettement public nécessiterait un relais puissant de la part de la demande privée afin de ne pas briser l’élan de la reprise intervenu en 2010. Mais cet espoir apparaît fragile face aux nombreuses incertitudes pesant sur la dynamique interne.

Au total, l’économie française devrait croître, en moyenne annuelle, de 1,6 % en 2011 et de 0,8 % en 2012. En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation du marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement au cours des six prochains trimestres,  pour s’établir à  9,3 % fin 2011 et à 9,7 % fin 2012, après 9,1 % au deuxième trimestre 2010.

Par ailleurs, le gain budgétaire, attendu par le gouvernement, de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 4,5 % de PIB en 2012 – sera en partie rogné par le manque à gagner du côté des recettes fiscales en lien avec cette faible croissance. Le déficit des administrations publiques devrait s’établir respectivement à 5,8 % du PIB et 5,2 % en 2011 et 2012, après 7,1 % en 2010, portant la dette publique à 85,6 % du PIB en 2011 et à 89 % en 2012, contre 82,3 % en 2010.




Retour en enfer ?

par Xavier Timbeau

A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012

Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.

La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).

Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer.  Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.

Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions  budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.

Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.

Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.




L’économie française sur le fil du rasoir

par Hervé Péléraux

L’indicateur avancé pour l’économie française

Le climat général des affaires s’est fortement dégradé en septembre en France, plombé par la détérioration des indices de confiance dans tous les secteurs productifs sans exception. L’indice de confiance des ménages étant lui aussi en recul en septembre, il ne reste guère d’espoir pour un rebond de la croissance, après le chiffre déjà mauvais du deuxième trimestre au cours duquel le PIB a stagné. C’est ce que suggère l’indicateur avancé de l’OFCE qui exploite l’information contenue dans les enquêtes de conjoncture réalisées par l’INSEE. Au troisième trimestre, le PIB français devrait de nouveau stagner, et se replier de 0,2 % au quatrième trimestre.

L’anticipation d’un recul du PIB au quatrième trimestre est inquiétante, car elle préfigure une entrée en récession de l’économie française. Mais elle n’est pas acquise car la prévision est tributaire de l’extrapolation de certaines composantes qui interviennent sans décalage dans l’indicateur et pour lesquelles aucune information n’est à l’heure actuelle disponible (les données d’enquêtes ne le sont que jusqu’en septembre). Cette extrapolation repose sur la prolongation de leur dynamique passée, négative ces derniers mois, ce qui conduit à anticiper un nouveau recul des climats de confiance, et corrélativement, la formation d’un taux de croissance négatif au quatrième trimestre.

Cette méthode a fait ses preuves : elle table sur la persistance, à un horizon court, des mouvements passés des climats de confiance et permet d’alimenter les prévisions de manière vraisemblable quand l’information est incomplète à l’horizon d’un trimestre. Mais l’expérience montre aussi que cette procédure tend à sous-estimer l’ampleur des mouvements conjoncturels du PIB. Si tel est présentement le cas, l’indicateur envoie un signal pertinent de récession, mais en sous-estime l’ampleur comme ce fut le cas lors de la récession de 2008/09. La baisse de 0,2 % du PIB attendue pour le quatrième trimestre pourrait alors être en dessous de la réalité.

Seul un rebond des climats de confiance pourrait amener à revoir cette prévision. Mais étant donné l’aggravation de la crise des dettes souveraines cet été, la mise en place de politiques budgétaires restrictives en Europe comme à l’extérieur, et l’effondrement des bourses (le CAC40, qui est une composante de l’indicateur, a une contribution à la prévision du quatrième trimestre plus négative qu’au plus fort de la récession de 2008/09), cette embellie paraît peu probable.

Entre les deux cas polaires précédents, une hypothèse intermédiaire consisterait à supposer que les climats de confiance cessent simplement de se dégrader, c’est-à-dire qu’ils soient prolongés jusqu’en décembre en leur attribuant chaque mois la valeur de septembre. Dans ce cas, la prévision de croissance du PIB ne serait pour autant positive, puisque ce dernier stagnerait à nouveau. Force est de constater que l’économie française est bien sur le fil du rasoir…

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