Premier entré, premier sorti : le retour de la croissance en Chine au deuxième trimestre

Catherine Mathieu

Le 16 juillet, l’Institut statistique chinois (NBS) a publié la première estimation de la croissance du PIB chinois au deuxième trimestre 2020 : celui-ci est en hausse de 11,5 % par rapport au trimestre précédent, après -10 % au premier trimestre. La Chine, premier pays à avoir été frappé par le Coronavirus, avait mis en place des mesures de confinement d’une partie de sa population et de fermeture des commerces et des usines à partir de la fin janvier. Les indicateurs conjoncturels suggéraient un redémarrage progressif de l’activité à partir de la fin février et le retour à une croissance positive du PIB dès le deuxième trimestre. L’inconnue résidait dans l’ampleur de ce rebond, qui s’avère rapide.



La reprise est enclenchée, particulièrement dans l’industrie (41 % de la valeur ajoutée en 2018) : la production y est en hausse de 4,7 % sur un an au deuxième trimestre. Le taux des capacités d’utilisation dans l’industrie, de 77,5 % au quatrième trimestre 2019, avait chuté de 10 points au premier trimestre 2020 et est revenu à 74,4 % au deuxième trimestre. La production automobile, après une chute record de 80 % sur un an en février, affichait une hausse de 22 % sur un an en juin, indiquant un redémarrage d’un secteur par ailleurs en crise depuis 2018 : la production y reste encore 24 % en deçà de son point haut de la fin 2017. Dans l’agriculture (7 % de la valeur ajoutée), la production est en hausse de 3,3 % sur un an au deuxième trimestre et de 1,9 % seulement dans les services (52 % de la valeur ajoutée). 

Du côté de la demande, on ne dispose pas à ce jour d’informations trimestrielles détaillées. Les dépenses d’investissement étaient en baisse de 3,8 % sur an au premier semestre 2020. Sur le premier semestre 2020, le revenu par tête des ménages est en hausse de 1,5 %, par rapport au premier semestre 2019, tandis que la consommation par tête des ménages est en baisse de 8 % en valeur : les dépenses d’habillement (-19,5 %), de transport et communications (-13 %), d’éducation et d’activités culturelles (-37 %) ont le plus chuté. Les ventes de détail des biens de consommation restaient en baisse de 1 % sur un an en juin, signe d’un certain redémarrage, mais lent, de la consommation des ménages. 

En ce qui concerne le commerce extérieur, la situation semble s’être moins dégradée depuis le début de l’année pour la Chine (et l’Asie émergente) que pour les économies avancées (hors Japon). L’indicateur de commerce mondial du CPB (CPB world trade monitor), dans sa version publiée le 25 juin, indique que le commerce mondial de marchandises en volume a chuté de 16 % entre décembre 2019 et avril 2020, mais que la baisse n’a été que de l’ordre de 8 % pour les exportations, comme pour les importations, de la Chine. Ce sont des évolutions proches de celles des autres pays émergents d’Asie, et nettement plus faibles que dans les pays avancés, hors Japon : la chute des importations a été de 17 % aux États-Unis et de 24 % dans la zone euro. L’Asie du sud-est a été moins fortement touchée par a pandémie que la plupart des zones de l’économie mondiale, ce qui se reflète dans l’évolution des flux de commerce mondial. 

Incertitudes sur la poursuite de la reprise 

Au-delà de la vigueur de la reprise au deuxième trimestre, se pose la question de sa poursuite, qui dépendra avant tout de l’évolution de la pandémie, tant en Chine qu’à l’échelle mondiale. Tous les pays ont pris dès le début de la crise des mesures de confinement, qui ont fait chuter la production, puis des mesures de soutien budgétaire et monétaire massif pour soutenir la production et l’emploi et favoriser la reprise (voir OFCE, Policy Brief 69), mais le virus circule dans beaucoup de zones (Amériques, Inde, …) et une deuxième vague est toujours à craindre en Asie ou en Europe. 

La Chine semble avoir réussi, en ayant pris des mesures fortes, à stopper la propagation du coronavirus à l’intérieur du pays. Mais les autorités chinoises craignent l’arrivée d’une deuxième vague de COVID-19 et restent très vigilantes pour l’éviter. Des cas de COVID-19 continuent d’apparaître localement : en avril à la frontière russe, où parmi les arrivées de Chinois de retour de l’étranger, une cinquantaine de cas de COVID-19 avaient été diagnostiqués, conduisant à la mise en place de mesures de confinement strict dans les villes-frontière. Plus récemment, le 11 juin, à Pékin, un nouveau foyer de coronavirus a été détecté sur un marché conduisant les autorités chinoises à le fermer et à confiner les populations vivant dans les alentours (fermeture des écoles, restrictions de circulation). Sauf disparition spontanée du coronavirus, la liberté de circulation intérieure comme celle avec le reste du monde ne pourra pas être rétablie en l’absence d’un vaccin, qui ne serait dans le meilleur des cas pas disponible avant 2021. Ces mesures pèseront obligatoirement tant sur l’offre que sur la demande, mais les autorités chinoises ont montré qu’elles ont la capacité de réagir avec vigueur et de prendre des mesures fortes pour éviter une deuxième vague généralisée.

Les scénarios publiés par les organisations internationales avant l’été comportaient tous un rebond de l’économie chinoise au deuxième trimestre, plus ou moins rapide, et par la suite une croissance qui serait au plus de l’ordre de celle d’avant la crise, laissant en 2021 le niveau de PIB en deçà de celui qu’il aurait atteint si la croissance s’était maintenue à son rythme d’avant crise. Compte tenu des chiffres du deuxième trimestre, une croissance annuelle de l’ordre de 1 % en 2020, comme l’envisageaient avant l’été le FMI et la Banque mondiale, semble atteignable. Et si la croissance se poursuivait au rythme envisagé par le FMI en 2021, le PIB chinois serait plus bas de 2,6 % à fin 2021 au niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise, si la croissance avait progressé à un rythme annuel de 5,8 %, comme nous l’anticipions dans notre prévision d’octobre 2019 (graphique). 

Dans un scénario en V, où le PIB chinois rejoindrait dès la fin 2020 le niveau qu’il aurait atteint si la croissance s’était poursuivie à un rythme proche de 6 % en 2020 et progresserait ensuite de 1,4 % par trimestre, la croissance du PIB serait de l’ordre de 10 % en 2021 (tableau). Ceci supposerait la poursuite du rattrapage tout au long de 2020 et l’absence d’une deuxième vague de contamination et l’absence de toute séquelle en 2021. Compte tenu de l’incertitude créée par la crise sanitaire pour les ménages et les entreprises, compte tenu aussi de la dégradation induite des dégradations financières et des bilans il apparait aujourd’hui que la crise mettra du temps à se résorber et que l’activité mondiale ne retrouvera pas à l’horizon de fin 2021 le niveau qu’elle aurait eu sans la crise, ce qui affectera les exportations chinoises. 

Une deuxième vague de contamination conduirait à un scénario de reprise en W. C’est ce que l’on pouvait craindre, au vu des précédentes épidémies. C’était le premier des scénarios retenus par l’OCDE dans sa prévision de juin : la croissance chutait de 7,6 % cette année à l’échelle mondiale et de 3,7 % en Chine ; en 2021, la croissance serait de 2,8 % à l’échelle mondiale et de 4,5 % en Chine. Ce scénario était le plus pessimiste publié à l’approche de l’été.  

C’est aussi ce qu’avait par exemple suggéré Hughes (2020), en comparant les impacts économiques des épidémies passées : grippe espagnole (1918-19), SRAS (2003) et Ebola (2014-16). Hughes soulignait que la pandémie du coronavirus se rapprochait davantage de l’épidémie de grippe espagnole que de celle du SRAS. Lors de l’épidémie du SRAS, après une chute brutale, le PIB était revenu à son niveau d’avant le démarrage de l’épidémie en quelques mois : un scénario en V s’était réalisé. Mais, suite à l’épidémie de grippe espagnole, les pays n’ont en général pas retrouvé leur PIB d’avant crise avant trois ans, ce après deux ou trois vagues de contamination.  

Au risque d’une deuxième vague de contamination en Chine, s’ajoute celui d’une chute de la demande extérieure : l’évolution de la pandémie conduit désormais la quasi-totalité des pays à être sévèrement touchés, et le pic ne semble pas près d’être atteint, si l’on en juge notamment l’accélération de cas de COVID-19 aux États-Unis, dans le reste du continent américain et en Inde. La Chine ne pourra guère compter au cours des prochains mois sur une demande extérieure dynamique pour tirer ses exportations et sa croissance. 

Les mesures de soutien budgétaire prises par la Chine, initialement d’une ampleur limitée, ont été progressivement étendues, jusqu’à représenter 4,1 % du PIB selon le FMI (voir Policy tracker). Elles portent principalement sur une hausse des dépenses de santé (prévention et contrôle de l’épidémie), de production d’équipement médical ; des dépenses d’assurance chômage, dont le bénéfice a été élargi aux travailleurs migrants ; des allégements d’impôts et des suppressions de paiements de cotisation sociale ; des investissements publics. Il semble que la Chine souhaite éviter de creuser trop fortement un déficit public, qui était, selon le FMI, de 6,3 % du PIB en 2019 et passerait à 12,1 % cette année selon les prévisions du FMI de juin 2020. La dette publique passerait de 52 % du PIB en 2019 à 64 % du PIB en 2020. 

Du côté de la politique monétaire, les principales mesures ont consisté à injecter des liquidités dans le système bancaire, via des opérations d’open-market, à étendre les capacités de prêts à de bas taux d’intérêt à destination des fabricants de matériel médical, des très petites, petites et moyennes entreprises, ainsi que du secteur agricole. S’y ajoutent une baisse de 30 points de taux directeur de la Banque centrale, et des baisses de taux de 50 à 100 points de base des taux d’intérêt pour une grande partie des entreprises. Il s’agit d’alléger le poids des remboursements des emprunts (notamment pour les PME) et de limiter les mises en faillite des entreprises. La situation est complexe : l’endettement des entreprises non financières chinoises a atteint fin 2019 un niveau record de près de 260 % du PIB. La crise du coronavirus a surgi alors que le gouvernement chinois souhaitait progressivement faire baisser progressivement l’endettement des entreprises, sans créer de choc majeur. Les marges de manœuvre de la politique monétaire sont nettement plus faibles que lors de la crise de 2008-09.

Au-delà de l’évolution de la pandémie, la crise résultant de l’apparition du coronavirus remet en cause la mondialisation, déjà ébranlée par la politique commerciale agressive des États-Unis. La pandémie amènera sans doute beaucoup d’entreprises à repenser la fragmentation de leurs chaînes de production et de nombreux pays à prendre des mesures pour être moins dépendants de fournisseurs étrangers. La Chine, grande gagnante de la mondialisation, risque d’être une des principales victimes de cette crise. Le gouvernement chinois devra tirer les leçons de cette crise pour orienter le modèle de croissance chinois sur un mode plus soutenable. La réorientation de la croissance chinoise vers la demande intérieure, engagée depuis plusieurs années, et la forte réduction de l’excédent extérieur chinois qui en a résulté, vont dans ce sens. Dans une perspective de plus long terme, la définition d’une stratégie tenant compte des contraintes écologiques est nécessaire, en Chine comme à l’échelle de la planète. 

Références

Banque mondiale, 2020 : Global economic prospects, juin. 

FMI, 2020 : Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juin.

Hughes Richard, 2020 : Safeguarding governments’ financial health during coronavirus: What can policymakers learn from past viral outbreaks?, Resolution Foundation, mars.

OCDE, 2020 : Perspectives économiques, juin. 

OFCE, 2020 : « Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy Brief 69, 6 juin. 

OFCE, 2019 : « Perspectives économiques 2019-2021 », Revue de l’OFCE 163, octobre.




Quel impact du confinement et de son intensité sur la croissance ?

Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux [1]

Depuis la
prise de conscience fin février dernier de la diffusion de l’épidémie de
coronavirus hors de Chine, foyer initial de la pandémie, et la mise en place
courant mars de politiques de confinement des populations dans le monde, le
paradigme conjoncturel a radicalement changé avec des PIB attendus en forte
baisse durant l’année 2020. Concernant le premier trimestre 2020, pour lequel
une première estimation des comptes nationaux est disponible, et même si des
révisions plus importantes que d’habitude sont à attendre, la croissance de
l’activité économique paraît pouvoir être rapprochée des mesures de restriction
de l’activité prises au cours de la même période.



Compte tenu de la multiplicité des mesures de
confinement et de leur nature qualitative, il est difficile de détailler
l’ensemble des décisions prises et surtout d’exprimer leur intensité. Les
chercheurs de l’Université d’Oxford et de la Blavatnik School of Government ont
néanmoins proposé un indicateur mesurant la rigueur des réponses
gouvernementales[2]. Cet
indicateur tente de synthétiser les mesures de confinement adoptées dans 163
pays selon deux types de critères : d’une part la sévérité de la
restriction pour chacune des huit mesures répertoriées (fermeture des écoles,
des entreprises, limitation des rassemblements, annulation d’événements
publics, confinement à domicile, fermeture des transports publics, restriction des
voyages domestiques et internationaux) et d’autre part le caractère local
ou national de chaque mesure dans un pays.

Au sein de l’ensemble des mesures répertoriées, certaines ont des effets directs sur l’activité, comme les fermetures, d’autres des effets plus diffus ou redondants, comme par exemple la limitation des rassemblements, le confinement à domicile ou les restrictions imposées aux activités événementielles. Parmi les mesures qui composent l’indicateur synthétique, deux nous paraissent avoir le plus d’influence sur l’activité : la fermeture des écoles (qui empêche l’activité des parents pour garder les enfants s’ils ne télétravaillent pas) et la fermeture plus ou moins étendue des entreprises et des commerces. Selon la méthodologie conçue par l’Université d’Oxford, le degré de sévérité des mesures est caractérisé sur une échelle conventionnelle allant de 0 (mesure inexistante) à 3 ou 4 dans leur application la plus contraignante. Par ailleurs, selon qu’une mesure est nationale ou reste simplement localisée géographiquement, son impact sur l’activité peut être différencié, caractéristique que nous avons prise en compte[3]. Au final, nous avons reconstruit un indice de sévérité à partir de ces deux seuls critères en appliquant la méthodologie de l’Université d’Oxford pour obtenir un indicateur davantage ciblé sur les effets économiques du confinement (Graphique 1).

À partir de
ces indicateurs, on peut juger de la sévérité des confinements par
pays sous l’angle de la précocité de leur mise en œuvre et de la
contrainte imposée par les mesures de fermeture et leur généralisation (Tableau
1 ).

Après les
premières mesures de confinement adoptées par la Chine courant janvier,
l’Europe est rapidement devenue l’épicentre de la pandémie, conduisant les pays
à prendre progressivement des mesures de fermetures. L’Italie a été le premier
pays développé à prendre de telles mesures : localement dès le 22 février
avec des fermetures très contraignantes dans une dizaine de communes, étendues
le 8 mars aux régions de Lombardie et de Veneto, avant d’être généralisées à
l’ensemble du pays dès le 10 mars.

Les autres
pays européens ont suivi tour à tour pour freiner la propagation du virus face
à la saturation des capacités hospitalières. L’Espagne et la France ont ainsi
mis en place des mesures strictes de confinement. L’Espagne à partir du 9 mars localement
puis le 16 au niveau national pour les écoles, et enfin le 14 mars pour la
plupart des entreprises (mesure qui a été étendue le 30 mars à l’ensemble des
entreprises non essentielles) ; la France à partir du 2 mars avec la fermeture
d’une centaine d’écoles dans l’Oise et dans diverses villes (Normandie, …),
puis la fermeture nationale des écoles le 16 mars et la fermeture totale des
entreprises non essentielles le 17 mars.

À l’autre
bout du spectre, la sévérité des fermetures d’entreprises est restée faible en
Allemagne (fermeture simplement recommandée) et a été appliquée plus
tardivement que dans les autres pays (le 22 mars). En revanche, la fermeture
des écoles a été totale, avec une mise en œuvre en deux temps, à savoir des
fermetures à l’échelon local dès le 26 février suivies d’une généralisation au
pays le 18 mars. Quant au Royaume-Uni, le gouvernement a fait le choix de
confiner plus tardivement, avec une fermeture des écoles le 23 mars[4]. La
fermeture des entreprises a en revanche été concomitante de la France mais
beaucoup moins sévère. Les États-Unis ont aussi conduit un confinement souple
avec l’absence de mesures nationales au premier trimestre, même si ces
dernières ont entraîné localement des fermetures totales d’écoles et d’entreprises
non essentielles. Parmi les pays avancés, seule la Suède se distingue par
l’absence de mesures fortes de confinement[5].

Pour évaluer
dans quelle mesure les politiques de confinement ont pu avoir un impact sur
l’activité économique, nous nous sommes appuyés sur les indices de sévérité des
fermetures (écoles et entreprises/commerces) calculés précédemment. Ces
indicateurs, calculés en moyenne sur le premier trimestre, ont été rapprochés
des taux de croissance du PIB sur la même période par le biais d’une
corrélation. La corrélation établie ainsi apparaît clairement négative, avec un
coefficient de corrélation de -0,76 (Graphique 2).
Au vu du degré de sévérité des fermetures, on pourrait s’attendre à ce que certains
pays révisent leur PIB à la baisse (Irlande, Pologne, Pays-Bas, Grèce, Corée
par exemple), et d’autres à la hausse (Espagne, France, Portugal, Belgique). Certaines
révisions ont déjà eu lieu en ce sens entre la première version des comptes du
premier trimestre publiée fin avril et celle publiée fin mai, de -5,8 à -5,3 %
pour la France et de -4,7 à -5,3 % pour l’Italie[6]. En
revanche, les États-Unis, la Suède et le Danemark affichent une évolution du
PIB qui semble conforme à la sévérité des restrictions qu’ils ont mises en
œuvre[7]. La
Chine quant à elle, pays d’où est partie la pandémie, a passé plus des 2/3 du
premier trimestre en confinement. Selon la première estimation, le PIB chinois
a baissé de 10,7 % au premier trimestre 2020 en rythme trimestriel, soit
nettement plus que les autres pays, ce qui semble en ligne avec l’ampleur du
confinement qui y a sévi même si des révisions en hausse sont possibles.

Naturellement, cette corrélation reste imparfaite dès lors que les comportements des agents économiques peuvent être affectés autrement que par les mesures obligatoires. Par exemple, la crainte de la contamination peut ainsi repousser des achats impliquant des contacts sociaux même en l’absence de contraintes légales. De plus, le caractère anxiogène de la crise peut pousser à la constitution d’une épargne de précaution.


[1] Ce
texte est issu du Policy brief «
Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de
confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy brief, n° 69, 5 juin 2020.

[2] Voir Hale Thomas, Sam Webster, Anna
Petherick, Toby Phillips, et Beatriz Kira (2020), Oxford COVID-19 Government Response Tracker, Blavatnik School of
Government.

[3] Les
mesures locales ont été pondérées conventionnellement par 0,5 dès lors qu’elles
peuvent avoir un effet sur l’activité globale.

[4] Le
gouvernement avait initialement fait le pari de l’immunité collective en
laissant se propager le virus au sein de la population.

[5] Il est à
noter que ce pays a enregistré par ailleurs des résultats moins bons en matière
de mortalité que ses voisins nordiques.

[6] Voir
sur ce point, Le Bayon S., Péléraux H., « Les comptes nationaux à
l’épreuve du coronavirus », le Blog
de l’OFCE
, 12 juin 2020.

[7] Le chiffre agrégé pour la
Suède masque toutefois des évolutions contrastées entre la demande intérieure
qui a régressé et le commerce extérieur qui affiche une contribution
positive ; voir sur ce point Dauvin M., Sampognaro R., « Suède et
covid-19 : l’absence de confinement ne permet pas d’éviter la récession »,
le Blog de l’OFCE, 30 juin 2020.




Suède et Covid-19 : l’absence de confinement ne permet pas d’éviter la récession

Par Magali Dauvin et Raul Sampognaro, DAP OFCE

Depuis l’arrivée de l’épidémie de Covid-19 sur le vieux continent, les différents pays ont mis en œuvre des mesures fortes pour limiter les foyers de contamination. L’Italie, l’Espagne, la France et le Royaume-Uni plus tard se sont distingués par des mesures particulièrement fortes, incluant notamment le confinement de la population ne travaillant pas dans des secteurs essentiels. A contrario, la Suède s’est distinguée par l’absence de confinement. Si les événements avec du public ont été bannis, comme dans le reste des grands pays européens, aucune décision de fermeture administrative de commerces n’a été décidée ni de contrainte légale sur les déplacements domestiques[1].



Compte tenu de la multiplicité des mesures et leur nature qualitative, il est difficile de détailler l’ensemble des décisions prises et surtout d’exprimer leur intensité. Les chercheurs de l’Université de Oxford et de la Blavatnik School of Government ont construit un indicateur mesurant la rigueur des réponses gouvernementales[2]. Cet indicateur montre bien la spécificité du cas suédois en Europe (Figure 1).

Les données de mobilité fournies
par Apple Mobility offrent une image
complémentaire de la sévérité des confinements selon les pays. Au moment où le
confinement a été le plus fort, la mobilité automobile a été réduite de 89 % en
Espagne, 87 % en Italie, 85 % en France et de 76 % au Royaume-Uni. La baisse a
été moins forte en Allemagne et aux États-Unis (de l’ordre de 60 % dans ces
deux pays). Enfin, la Suède aurait vu son trafic réduit de
« seulement » 23 %. Si ces données sont à prendre avec prudence,
elles donnent aussi un signal clair sur le timing et l’ampleur du confinement
mis en place dans les différents pays et montre une nouvelle fois une exception
suédoise.

Au cours de la première quinzaine
du mois de mai, les différents pays européens ont commencé à lever,
progressivement, les mesures prises afin de lutter contre la propagation de
l’épidémie de Covid-19.

Le PIB suédois résiste au 1er
trimestre

Lors de notre évaluation de l’impact du confinement sur l’économie mondiale nous avons mis en avant la corrélation entre la baisse du PIB observée au 1er trimestre et la sévérité des mesures mises en place pour lutter contre la Covid-19. Dans ce contexte, la Suède (en rouge dans la Figure 2) s’en sort nettement mieux que le groupe des pays membres de l’OCDE (barre verte) et surtout que le reste de l’Union Européenne (barre violette). Même s’il s’agit d’une première estimation, le PIB a non seulement mieux tenu qu’ailleurs mais a même affiché une stabilisation (+0,1 %). Seuls quelques économies émergentes, peu touchées par la pandémie en début d’année (Chili, Inde, Turquie et Russie), et l’Irlande qui a bénéficié de facteurs exceptionnels auraient fait mieux au 1er trimestre[3].

La relative résistance du PIB en
Suède au 1er trimestre semble suggérer que la Suède aurait trouvé un
arbitrage différent entre objectifs épidémiologiques et économiques par rapport
aux autres pays[4]. Or, ce
chiffre agrégé masque des évolutions importantes à garder en tête. Au
1er trimestre
, la stabilisation
du PIB suédois s’explique par la contribution positive du commerce extérieur
(+1,7 point de PIB) à la faveur d’exportations dynamiques (+3,4 % en volume),
notamment au mois de janvier avant que toute mesure sanitaire soit prise.

Au 1er trimestre, la
demande intérieure suédoise a pesé sur l’activité (contribution de -0,8 point
de PIB de la consommation des ménages et de -0,2 point de PIB pour
l’investissement) comme dans le reste de l’UE. Certes le choc sur la demande
intérieure a été plus atténué qu’en zone euro où la consommation contribue
négativement sur le PIB à hauteur de 2,5 points et l’investissement de 0,9
point. Néanmoins les recommandations de distanciation physique mises en œuvre
en Suède auraient eu un impact non négligeable au cours du 1er
trimestre.

Dans un contexte global
perturbé, la Suède ne pourra pas échapper à une récession

Si l’on fait l’hypothèse que
l’absence de confinement et des fermetures administratives relativement
limitées (au-delà des spectacles avec du public) ne créent pas de choc
significatif de demande intérieure – ce qui semble optimiste au regard des
données du 1er trimestre- la Suède restera néanmoins fortement
touchée par le choc de commerce mondial[5].

Selon nos calculs, réalisées à l’aide des tableaux entrées-sorties issus de la World Input-Output Database (WIOD)[6] et de notre estimation du choc de confinement du Policy Brief 69, la valeur ajoutée devrait reculer de 8,5 points en Suède au mois d’avril du fait des mesures de confinement dans le reste du monde. Le choc serait particulièrement fort dans l’industrie, il est semblable à celui que nous estimons au niveau mondial (-19 % et – 21% respectivement). Sans surprise, l’industrie du raffinage (-32%), la fabrication de matériels de transports (-30%), de biens d’équipements (-20%) et la branche des autres industries manufacturières (-20%) se prennent de plein fouet l’arrêt de l’activité mondiale. Une part importante de la production étant destinée à être utilisée par les branches étrangères, les mesures de confinement prises au niveau mondial contribuent à la baisse de la production suédoise de près de 15 points au mois d’avril (Figure 3). Du côté des services marchands, le constat reste identique : l’exposition aux chaînes de production mondiales pénalise le transport et entreposage (-15%) et la branche des services aux entreprises (-11%).  Finalement, la diffusion de l’impact des mesures de confinement passe principalement par le commerce intra-branche.

La faiblesse de l’industrie
manufacturière, lestée par les échanges internationaux, semble confirmée par
les premières données dures disponibles. Selon
l’office statistique suédois
, les exportations reculent de 17 % en
glissement annuel, chiffre comparable avec la baisse du commerce mondial telle
que mesurée par le CPB au cours du même mois (-16 % en volume). Dans ce
contexte, la production manufacturière serait inférieure de 17 % au mois
d’avril par rapport à son niveau un an plus tôt.

Que peut-on dire sur la
demande intérieure au T2 ?

Dans un contexte d’incertitude
généralisée, la demande intérieure peut rester pénalisée. En effet, les ménages
suédois peuvent légitimement se questionner sur les conséquences sur l’emploi
du choc – essentiellement industriel- décrit ci-dessus. Par ailleurs, la
peur de l’épidémie peut dissuader des consommateurs à réaliser certains achats
impliquant des fortes interactions sociales même en absence de contraintes
légales. Que nous apprennent les données suédoises du début du 2e
trimestre à propos de la demande intérieure suédoise?

En Suède, la consommation des
ménages a reculé au mois de mars (-5 % en glissement annuel). Pour rappel les
consignes de précaution et les mesures de distanciation physique ont été
instaurées le 10 mars. La baisse s’est accentuée en avril, après un mois
complet d’application des mesures (-10 % en glissement annuel). En effet, les
mesures en place ont sanctionné les achats dans l’habillement (-37%), le
transport (-29%), l’hébergement-restauration (-29%) et les loisirs (-11%). Si
les données restent parcellaires, les ventes de détail du mois de mai,
indicateur qui ne couvre pas la totalité du champ de la consommation suggère que
les ventes restent sévèrement affectées dans les magasins d’habillement (-32%).
Par ailleurs, les immatriculations de véhicules neufs ont poursuivi leur chute
en mai (-15 % sur un mois et -50 % en glissement annuel). Dans l’attente de
données plus récentes sur l’activité dans le reste de l’économie, le volume
d’heures travaillées[7]
au mois de mai reste très faible dans l’hébergement-restauration (-50 %), dans
les services aux ménages et la culture (-18%) suggérant que des pertes
d’activité fortes et durables peuvent être attendues.

Point positif, les données montrent
une tendance à la normalisation des achats des ménages au mois de mai pour certains
postes de la consommation. Comme dans d’autres pays européens, le rebond a été
particulièrement fort dans l’équipement du ménage, secteur où les ventes de
détail ont retrouvé leur niveau d’avant-Covid et dans l’équipement sportif
alors que la consommation alimentaire reste soutenue.

Au final, les mesures sanitaires
prises en Suède depuis le début du confinement semblent proches de celles en
place dans le reste en Europe depuis la levée progressive du confinement. Si
les chocs sur la consommation de certains produits sont moins forts que ceux
observés en France, on remarque que, dans le contexte de l’épidémie, certains
postes de la consommation peuvent être sévèrement affectés même en absence de
fermetures administratives. Au-delà du choc récessif importé du reste du monde,
la Suède souffrirait aussi d’une demande intérieure qui devrait rester contenue
particulièrement dans certains secteurs. Le cas suédois suggère que les
secteurs liés à l’habillement, de l’automobile, de l’hébergement-restauration et
les services aux ménages et activités culturelles pourraient
subir un choc durable même en absence de mesure contraignante. Selon les
données disponibles au mois de mai, ce choc pourrait amputé la consommation des
ménages de 8 points de la consommation des ménages, ce qui représente 3 points
de PIB. La persistance du choc dépendra de l’évolution de l’épidémie en Suède
comme dans le reste du monde.


[1]
Le cadre institutionnel suédois permet d’expliquer en partie cette réponse
différenciée, misant plus sur la responsabilité individuelle que sur la
contrainte (voir https://voxeu.org/article/sweden-s-constitution-decides-its-exceptional-covid-19-policy).
La faible densité de population pourrait aussi expliquer la différence de
comportement vis-à-vis du reste de l’Europe mais pas par rapport à ses voisins
scandinaves.

[2]
Cet indicateur tente de synthétiser les mesures de confinement adoptées selon
deux types de critères : d’une part la sévérité de la restriction pour chaque
mesure répertoriée (fermeture des écoles, des entreprises, limitation des
rassemblements, annulation d’événements publics, confinement à domicile,
fermeture des transports publics, restriction aux voyages domestiques et
internationaux) et d’autre part le caractère local ou généralisé de chaque
mesure dans un pays. Pour une discussion sur l’indicateur voir le Policy
brief 69
.

[3] Les
exportations très dynamiques en mars 2020
(+ 39 %  en valeur) portées par une forte demande de
de produits pharmaceutiques et informatiques ont permis de contrebalancer la
chute de la demande intérieure irlandaise au premier trimestre .

[4] Ce post
de blog ne porte pas sur l’efficacité des mesures suédoises en ce qui concerne
le cantonnement de l’épidémie. La mortalité liée à la covid-19 en Suède serait
supérieure à celles des pays proches (Norvège, Finlande, Danemark) ce qui
semble suggérer que la Suède a pris des risques supérieurs d’un point de vue
épidémiologique. Ceci suscite des débats qui dépassent largement l’objet de ce
post de blog mais qui méritent d’être soulevés.

[5] La
contribution des échanges internationaux à la croissance peut être meilleur que
prévue en lien avec les contraintes sur le tourisme international. En effet, en
2018 la Suède avait une balance touristique négative de 0,6 % de PIB (source :
OECD Tourism Statistics Database) qui pourrait avoir un effet sur
l’activité domestique si les voyages restent limités, notamment pendant l’été.

[6] Timmer, M. P., Dietzenbacher, E.,
Los, B., Stehrer, R. and de Vries, G. J. (2015), “An Illustrated User
Guide to the World Input–Output Database: the Case of Global Automotive
Production”, Review of International
Economics
., 23: 575–605

[7] Au mois
de mai, le volume d’heures travaillées est en baisse de 8 % sur un an (après
-15 %). En mai, le rebond des heures travaillées se retrouvent essentiellement
dans l’industrie manufacturière et la construction. Dans les services
marchands, le rebond est moins marqué voire inexistant.




Effets contrastés des mesures de confinement au mois d’avril

Magali
Dauvin
et Paul
Malliet

Dans les différents Policy
Brief
qui ont été publiés par l’OFCE depuis le déclenchement de la Covid-19[1],
nous avons fait le choix méthodologique de fonder notre analyse à partir des
tables input-output de la base de
données entrées-sorties WIOD[2]
publiée en 2016. Cette dernière permet de pouvoir évaluer l’impact sur la
valeur ajoutée au niveau sectoriel (nomenclature NACE à 17 produits) du choc
mondial de confinement que plusieurs observateurs ont qualifié The Great
Lockdown
.



Récemment, nous avons évalué
l’impact économique des mesures de confinement pour le mois d’avril et
estimions que l’ensemble des mesures de restrictions prises à l’échelle
mondiale entraînerait une baisse du PIB mondial de 19 %[3].
Outre les effets propres à chaque pays, directement liés à la sévérité des restrictions
imposées sur leur territoire, les échanges internationaux conduisent également à
la propagation de ces chocs nationaux au reste du monde et un effet de retour
sur les économies domestiques. Au final, les effets finaux dépendent à la fois
du degré d’ouverture de chaque pays mais également de leur spécialisation sectorielle
et de leur intégration à la chaîne de valeur globale.

Diffusion du choc de confinement au mois d’avril

Dans l’approche retenue, la baisse de la demande dans chacune des économies se diffuse à l’économie mondiale par un effet direct de la baisse de la demande en biens finals importés (voir graphique 1, lignes reliant la colonne « Demande intérieure » à la colonne « Demande finale ») et aussi par l’ajustement induit des consommations intermédiaires (lignes de la colonne « Demande finale » à « Valeur ajoutée »).

À titre illustratif, le graphique 1 retrace l’origine de la valeur ajoutée et le mécanisme de diffusion du choc de confinement. Nous avons mis en évidence les pays que nous suivons particulièrement au sein du Département Analyse et Prévision, les autres apparaissent en gris clair. Prenons le cas de la Chine (en violet) puisque ces flux sont d’une importance telle qu’ils sont facilement remarquables. Le flux violet observé entre la première colonne et la deuxième colonne au niveau des États-Unis correspond aux importations de biens et services chinois une fois prises en compte les mesures de restrictions imposées aux États-Unis. Le flux observé liant les États-Unis dans la deuxième colonne à la Chine dans la troisième se lit comme le montant de valeur ajoutée liée aux exportations de biens et services américains (finaux et intermédiaires) vers la Chine.

Le commerce international joue en défaveur des pays qui avaient imposé
des restrictions relativement moins sévères

Le  Tableau 1
reprend la contribution de chaque zone géographique à la baisse de la valeur
ajoutée mondiale et par pays. La contribution des États-Unis à la perte de
production est la plus importante (- 5,4 points), cela est davantage dû à son
poids dans la valeur ajoutée mondiale que à la sévérité des restrictions
imposées au niveau domestique (23 % cf. tableau
1
du Policy Brief69).
En effet, les mesures de confinement en vigueur dans le monde au mois d’avril
2020 génèrent une baisse de la valeur ajoutée américaine de près de 22% dont 20,1
points liés directement à la baisse de la demande américaine tandis que seuls 2
points sont imputables à la baisse de la demande intérieure dans le reste du
monde.

Le diagnostic est le même pour la
Chine, dont le choc est faible au regard de celui évalué chez ses homologues[4].
En revanche, la position de la Chine en amont des chaînes de production dans
l’industrie (les matériels de transports, la fabrication d’équipements
électriques et d’autres produits industriels) entraîne une contribution du choc
dans le reste du monde plus élevée (-16,2 – 12,2 = -4) qu’aux États-Unis. Le
constat est d’autant plus remarquable pour l’Allemagne puisque près de 40 % de
la perte de VA est due à une chute de la demande dans le reste du monde, soit
une contribution de – 10 points. La baisse des importations mondiales de biens
industriels allemands pour usages intermédiaires constitue la plus grosse
contribution.

L’exposition des autres pays de
la zone euro et de l’Union européenne[5]
est similaire à celle de l’Allemagne en termes d’ampleur et des produits
affectés par le choc de confinement. La France, L’Italie, l’Espagne et le
Royaume-Uni sont quant à eux relativement moins soumis au reste du monde
considérant une contribution de l’ordre de 15 % à la baisse de leur VA,
soit près de 5 points. Cela tient à leur position davantage en aval dans les
chaînes de production mondiale.

Ces résultats illustrent l’hétérogénéité
des impacts du confinement mondial sur les différentes économies du globe, en
fonction de leur exposition au commerce international, et qui conduit à avoir
des pays pour lesquels l’impact sur l’activité est plus fort que le choc de
demande initial tandis que pour d’autres cela est l’inverse. Le rapport entre
ces deux variables (Demande intérieure/Valeur ajoutée) montre que les pays qui
disposent structurellement d’une balance commerciale excédentaire (Allemagne,
Chine, Japon) sont ceux qui perdent le plus (graphique 2).

Une meilleure prise en compte du tourisme pourrait modifier quelque peu ce résultat, en particulier pour les principales destinations touristiques mondiales (la France, l’Espagne ou l’Italie). Pour ceux-là, le ratio pourrait se dégrader et inversement, il pourrait s’améliorer pour ceux dont ces touristes étrangers sont originaires).

En définitive, les pays
les plus impactés par les mesures de confinement prises en avril sont les pays
européens. En premier lieu pour ceux où le confinement a été le plus
strict, en particulier la France, l’Espagne et l’Italie mais également ceux
pour lesquels la contribution extérieure à la baisse de l’activité est plus
importante malgré des politiques de confinement moins sévères, l’Allemagne
étant particulièrement affectée par ce canal.

Cette évaluation a été réalisée et publiée dans le Policy Brief69
et reste circonscrite à la période de de confinement en avril. Elle ne constitue
donc pas une évaluation de l’impact total, lui-même dépendant de la vitesse à
laquelle les différentes restrictions seront levées à travers le monde.


[1] Les OFCE Policy
Brief
65,
66
et 69.

[2] Timmer M. P., Dietzenbacher E., Los B., Stehrer R. et de Vries G. J.,
2015, « An Illustrated User Guide to the World Input–Output Database: The
Case of Global Automotive Production », Review of International Economics., n° 23, pp. 575-605.

[3] Voir
Département analyse et prévision de l’OFCE, 2020 : « Évaluation
au 20 avril 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des
mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020
. »

[4] Des mesures
de confinement ont été mises en place entre le 23 janvier et le 25 mars 2020 en
Chine. Dès la mi-mars, certaines commençaient à être levées.

[5] Ces
groupes de pays sont notés ZE* et UE* dans le tableau
1.




Observe-t-on une amélioration de la production industrielle en mai ? Une réponse à partir de l’analyse de la consommation d’électricité

par Eric Heyer

En indiquant une chute de plus de
21 %, les chiffres de la production dans l’industrie manufacturière pour le mois
d’avril, publiés par
l’INSEE le 10 juin
, ont douché l’espoir entretenu par les
enquêtes de la Banque de France
d’un
effondrement de moindre ampleur par rapport au mois de mars.



Ce résultat
en forte baisse est en revanche en ligne avec l’analyse
que nous faisions le mois dernier
à partir de la consommation totale
d’électricité en France. Une fois purgée des effets saisonniers, des jours
fériés, des aléas météorologiques (écart entre la température journalière et la
normale saisonnière) et des gains d’efficacité énergétique, il apparaissait
très clairement que la consommation d’électricité observée depuis le début du
confinement se situait très en deçà de sa valeur attendue, dont la raison
pourrait être une moindre utilisation des équipements productifs. Sur la base
d’une relation économétrique, nous avions anticipé une baisse de l’IPI de plus
de 18 %, confirmant le caractère inédit de la crise depuis la création de cet
indice et infirmant tout début d’amélioration de la situation dans l’industrie
en avril (graphique 3).

Les données
(Réseau
de Transport d’électricité
), observées au cours du mois de mai indiquent
que cette consommation est restée, malgré le déconfinement, encore très
nettement inférieure à celle attendue en période normale d’activité (graphique 1).

Agrégée en
donnée mensuelle, la consommation d’électricité a été inférieure de près de 15 %
par rapport à une « situation normale » en mai contre 18 % en avril
(graphique 2)

Une fois
corrigée de ses composantes non conjoncturelles, la consommation d’électricité
permet d’expliquer une partie des variations de l’indice de production industrielle
(IPI). Sur la période 2010-2019, nous avons estimé un modèle statique reliant l’IPI
et la consommation d’électricité[1].

Sur la base
de ce modèle économétrique, nous pouvons tenter d’estimer de façon anticipée l’IPI
du mois de mai 2020 qui sera publié le 10 juillet 2020 (Graphique 3). D’après
nos estimations, ce dernier pourrait connaître une hausse de 8 %. L’industrie
tournerait alors à 70% de sa capacité d’avant la crise (graphiques 3). 


[1] Cette
relation entre l’IPI et la consommation d’électricité a été estimée par la
méthode DOLS (Dynamic Least Squares), le nombre de lag et de lead étant
déterminé à l’aide du critère Akaike.




Les comptes nationaux à l’épreuve du coronavirus

par Sabine Le Bayon et Hervé Péléraux

À la fin du mois d’avril, ou à la
mi-mai pour certains pays, les instituts statistiques nationaux des pays
développés ont publié une première version des comptes du premier trimestre.
Marquée d’abord par la détérioration des perspectives du commerce et du
tourisme, puis progressivement à partir de la mi-mars par l’instauration de
mesures de confinement destinées à lutter contre la propagation du virus,
l’activité économique était attendue en forte baisse sur l’ensemble du
trimestre. Sans surprise, les chiffres de croissance du PIB ont déjà concrétisé,
dans leur version provisoire, les effets économiques de ce confinement durant
les deux dernières semaines du trimestre.



Parmi les pays industrialisés ayant publié leurs premiers comptes, les États-Unis et le Royaume-Uni paraissent moins affectés que les pays européens et, parmi les pays européens, la France, l’Italie et l’Espagne affichent les chutes du PIB les plus fortes (Graphique). À l’autre bout du spectre, la Pologne, l’Australie, la Suède et l’Irlande ressortent pour le moment quasiment indemnes de la crise en comparaison des pays ayant subi les contractions les plus fortes.   

Ces disparités observées de
l’effet de la pandémie et du confinement sur la croissance proviennent en
premier lieu des chocs d’origine interne subis par les économies, avec la durée
du confinement qui détermine le temps de mise en veille de l’activité ainsi que
son intensité qui régit l’étendue des arrêts d’activité. Elles s’expliquent aussi
par le degré d’ouverture des pays et leur exposition différenciée aux chocs
subis par leurs partenaires commerciaux. Elles peuvent enfin résulter des
problèmes de construction des comptes nationaux dans le contexte inédit de la
crise du Covid-19 et de la manière dont les instituts statistiques nationaux
ont remédié aux difficultés inhérentes à la situation[1].

La plupart des instituts
statistiques souligne que ces résultats sont davantage susceptibles qu’à
l’accoutumée d’être révisés. L’expérience passée illustre à cet égard la
difficulté de prendre la mesure de l’impact des chocs majeurs sur l’activité
économique. Lors de la grande récession de 2008/09, les révisions des comptes
nationaux entre la première version publiée à l’époque et la version
d’aujourd’hui ont quasiment toujours été faites à la baisse, tant pour les
trimestres de grande récession que pour l’évaluation de la croissance en
moyenne annuelle (Tableau 1).
Dans la situation actuelle, incommensurablement plus grave qu’en 2008/09 et où
les chiffres de récession se comptent en points de PIB et non plus en dixièmes
de points, les révisions des comptes nationaux risquent de revêtir une ampleur
jamais vue.

Le processus de révision des comptes du premier trimestre 2020 a d’ailleurs été engagé un mois après la publication de leur version préliminaire. La contraction du PIB français, initialement estimée à -5,8 % le 30 avril, ce qui plaçait l’Hexagone en queue de peloton, a été révisée à la baisse à -5,3 % selon la deuxième estimation rendue publique le 29 mai. Symétriquement, l’Italie qui avait publié une contraction de son PIB de -4,7 % dans sa version provisoire de fin avril, l’a révisée à -5,3 % le 29 mai. Au final, en l’état de l’information à la fin mai, la France et l’Italie affichent des résultats égaux au premier trimestre 2020 (Graphique).

D’autres pays
ont également révisé leurs comptes, certains à la baisse, d’autres à la hausse (Tableau
2).
En tout état de cause, ce processus de révision des comptes n’en n’est qu’à son
début. Une étape majeure sera franchie l’année prochaine une fois que les
comptes trimestriels auront été calés sur les comptes annuels de 2020. Ces
comptes annuels, révisés à deux reprises jusqu’à leur version définitive en
2023, révéleront alors progressivement l’ampleur d’une récession incomparable
dont on ne perçoit actuellement que les prémisses.


[1] Voir sur
ce point Eurostat, « Guidance on quarterly national accounts estimates in the context of the
covid-19 crisis
 », Methodological
Note
, 24 avril 2020. Voir aussi pour la France, « La statistique publique à
l’épreuve de la crise sanitaire
 », Jean-Luc Tavernier, blog de l’INSEE, 6 mai 2020.




Doit-on s’attendre à une nouvelle chute historique de la production industrielle en avril ? Une réponse à partir de l’analyse de la consommation d’électricité

par Eric Heyer

Après seulement 15 jours de
confinement, la production dans l’industrie manufacturière avait chuté de plus
de 18 % au mois de mars. Auparavant, la plus forte baisse jamais enregistrée
par l’INSEE était de 6 % en novembre 2008. Cette chute historique confirme,
après la publication de la croissance du PIB au premier trimestre, l’ampleur
inédite des conséquences de cette pandémie et des mesures sanitaires sur
l’industrie française.



Comme
nous l’avions indiqué dans un post précédent
, cette baisse s’observe également
dans la consommation totale d’électricité en France. Une fois purgée des effets
saisonniers, des jours fériés, des aléas météorologiques (écart entre la
température journalière et la normale saisonnière) et des gains d’efficacité
énergétique, il apparaît très clairement que la consommation d’électricité
observée depuis le début du confinement se situe très en deçà de sa valeur
attendue, dont la raison pourrait être une moindre utilisation des équipements
productifs.

Les données
(Réseau
de Transport d’électricité
), observées au cours du mois d’avril indiquent
que cette consommation est restée inférieure à celle attendue en période
normale d’activité (graphique 1).

Agrégée en
donnée mensuelle, la baisse observée au mois d’avril est la plus importante
jamais enregistrée au cours de la période analysée (graphique 2) : en avril
2020, la consommation d’électricité a été inférieure de près de 18 % par
rapport à une « situation normale ».

Une fois
corrigée de ses composantes non conjoncturelles, la consommation d’électricité
permet d’expliquer une partie des variations de l’indice de production industrielle
(IPÏ). Sur la période 2010-2019, il existe une relation de long-terme –
cointégration – entre l’IPI et la consommation d’électricité[1].

Sur la base
de cette relation économétrique, nous pouvons tenter d’estimer de façon anticipée
l’IPI du mois d’avril 2020 qui sera publiée le 10 juin 2020. D’après nos
estimations, ce dernier pourrait connaître, comme au mois de mars, une baisse d’environ
18 %, confirmant le caractère inédit de la crise depuis la création de cet
indice (graphique 3).

Compte tenu
du fait que l’ensemble du mois d’avril a été sous confinement contre 15 jours
au mois de mars, une nouvelle baisse mensuelle de 18% ne serait pas le signe
d’une chute de moindre d’ampleur comme indiqué par les
enquêtes de la Banque de France

Cette chute
après seulement 6 semaines de confinement équivaudrait à une baisse déjà deux
fois supérieure à celle observée au cours des huit trimestres de la Grande
Récession (graphiques 4). 

L’intégration
dans un modèle économétrique estimant le PIB indique qu’une telle baisse de
l’IPI correspondrait à une chute de près de 5 % du PIB mensuel, impact
comparable à l’hypothèse retenue dans l’évaluation
de l’OFCE du 20 avril 2020
.


[1] Cette
relation de cointégration a été modifiée par rapport au post précédent qui intégrait
également l’emploi industriel. Dans l’analyse qui suit, la relation de
cointégration entre l’IPI et la consommation d’électricité a été estimée par la
méthode DOLS (Dynamic Least Squares), le nombre de lag et de lead étant
déterminé à l’aide du critère Akaike.




Une croissance de -8% en 2020 est-elle encore possible ?

par Eric Heyer

L’Insee vient de publier le chiffre de la croissance
au premier trimestre 2020
. D’après l’institut français de statistiques, le recul
du PIB au premier trimestre a été de 5,8%, soit la plus forte baisse
trimestrielle jamais enregistrée depuis 1949. S’il convient de rappeler que
dans un contexte de crise économique, la première version des comptes nationaux
est à prendre avec la plus grande prudence et qu’une révision significative de
ceux-ci est à attendre dans les mois à venir, il ne fait cependant aucun doute
qu’une fois la version définitive du premier trimestre publiée, elle effacera des
tablettes la contraction du deuxième trimestre de 1968 de -5,3% observée à la
suite de la plus grande grève générale (statisticiens compris) de mai-juin.
  



Cette première estimation de
l’activité au premier trimestre confirme notre
évaluation de recul de près d’un tiers de l’activité
pendant la période de
confinement. Une chute de 32 % de l’activité au cours de deux semaines de
confinement sur les treize semaines du premier trimestre engendrerait à elle
seule une contraction de 5% du PIB trimestriel.

Dans ces conditions, le recul au deuxième
trimestre devrait être d’au moins 13% dans le cas d’un retour immédiat à
l’activité dès le 11 mai. Sous l’hypothèse, qui était celle du gouvernement lors
de l’élaboration de la Loi
de finances rectificative pour 2020 du 25 avril
, d’un retour progressif à
la normale d’ici début septembre, le recul au deuxième trimestre devrait se
situer aux alentours de -26 %. L’épargne forcée des ménages, non consommée
depuis le début du confinement, qui s’établirait à près de 55 milliards à la
fin du confinement (cf OFCE,
BdF
sur ce sujet), s’élèverait fin août à près de 115 milliards d’euros, soit 8,6%
de leur RdB annuel.

Pour atteindre -8% en moyenne
annuelle en 2020, qui est l’hypothèse du gouvernement dans le PLFR 2020, la
croissance trimestrielle au cours du second semestre devrait être de 28% ou, compte
tenu du retour progressif à la normale de l’économie, de 35% au troisième
trimestre et 16% au quatrième.

Comme l’indique le tableau, ce
scénario suppose par ailleurs une forte désépargne des ménages au cours des quatre
derniers mois de l’année : sans désépargne, la croissance en 2020
s’établirait à -11%, le solde des APU à -11 points de PIB et la dette publique
dépasserait les 120 points de PIB. 

Derrière l’hypothèse de -8% du gouvernement en 2020 se cache ainsi un scénario de reprise en V. Ce rebond exceptionnel de l’économie française dès le second semestre de cette année suppose non seulement un retour progressif à la normale de l’activité en septembre mais aussi une désépargne rapide et significative des ménages au cours des quatre derniers mois de l’année alors que la crise sanitaire ne sera probablement pas révolue et que les cicatrices économiques (hausse du chômage, baisse du prix des actifs) pourraient inciter les ménages à désépargner moins vite. Enfin, ce scénario déboucherait sur un acquis de croissance de près de 19% en 2021 par rapport à 2020.




L’économie au temps du COVID-19

par Xavier Timbeau

Peut-on faire du calcul économique face à une crise
sanitaire ? Poser la question semble obliger à répondre non. Pourtant, nous
allons nous livrer à cet exercice morbide, espérant y trouver quelques éléments
utiles à la réflexion pour les décisions difficiles à prendre dans les
prochains jours.



Les épisodes passés analysés
après le SARS-Cov de 2003

La première question est de savoir quelles peuvent être les
conséquences économiques d’un scénario de pandémie grave (c’est-à-dire comparable
à la grippe espagnole de 1918). Quelques études nous renseignent sur ce point. McKibbin
et Fernando ont mis à jour des travaux de simulations macroéconomiques réalisés
après l’épisode du SARS-Cov en 2003
, repris dans un ebook publié par VoxEU
très récemment et étoffé d’autres analyses économiques.

L’objectif de ces travaux était de quantifier l’impact
économique d’une pandémie. Les résultats sont impressionnants. Appliqué au
COVID-19, l’impact dépend des scénarios de morbidité (nombre de personnes en incapacité
pendant quelques semaines à la suite de la maladie), de mortalité (nombre de
décès) et d’extension de la pandémie. Il pourrait atteindre jusqu’à presque –10
points de PIB mondial suivant les scénarios.

Le scénario le pire est celui d’une pandémie globale
d’ampleur comparable à la grippe espagnole de 1918 induisant le décès de 22
millions de personnes. Aucun pays n’y échappe, même si l’effet n’est pas le
même suivant le niveau de développement ou suivant l’efficacité du système de
soins. Ces chiffres rejoignent d’autres études, suscitées par les craintes au
moment de l’épidémie de SARS-Cov en 2003, qui analysaient l’impact possible
d’un scénario « grippe espagnole » et qui le transposaient de 1918 à
nos jours. Là encore, dans le pire des cas, c’est-à-dire ceux dans lesquels une
grande part de la population mondiale est infectée conduisent à des effets de
cet ordre de grandeur. Le
Congress Budget Office avait ainsi estimé en 2005 une perte d’activité annuelle
de l’ordre de 5 points de PIB
, la Banque
mondiale avait un diagnostic proche
, publié en 2006. D’autres études
peuvent conclure à des conséquences moins graves (en particulier le travail de James
et Sargent de 2007
). Les différences principales tiennent aux scénarios
sanitaires retenus et en particulier la morbidité et la mortalité. Ces
scénarios eux-mêmes reposent sur des appréciations différentes selon les modes
de transmission des pandémies entre 1918 et aujourd’hui. On peut retenir que
dans le cas d’une pandémie globale grave, les impacts sur le PIB la première
année se situent dans une fourchette allant de –1 point de PIB à près de –10
points de PIB, puis nuls à moyen terme. L’analyse d’autres scénarios de
pandémies comme la grippe dite asiatique de 1957 ou celle dite de Hong Kong de
1968, d’extension et de gravité moindres entre dans ce cadre.

2 canaux : l’absentéisme
et la rupture des interactions sociales

Il y a deux canaux principaux. Le premier est un choc
d’offre, déclenché par les absences au travail et la perturbation des chaînes
de production. Tous les secteurs ne connaissent pas les mêmes impacts mais les
interdépendances entre secteurs diffusent les effets à toute l’économie, soit
par des ruptures de quantité ou par des effets de prix à la suite des pénuries.
Le second est un canal de demande, touchant les secteurs économiques où les
interactions sociales sont déterminantes. Les mesures de confinement délibérées
et décidées par les pouvoir public : comme en Chine au début de l’épidémie
ou en Italie très récemment) se combinent avec des mesures d’auto-confinement
(on ne va plus faire du tourisme dans des zones infectées, on ne va plus dans
des lieux publics – cinéma, théâtre, restaurant, transport. Les secteurs les
plus touchés sont ainsi tous ceux qui procèdent du tourisme (qu’il soit privé
ou professionnel, interne à un pays ou de clients étrangers), des services à la
personne ou encore de certains achats qui seront reportés, particulièrement
dans le secteur manufacturier. Les impacts à court terme peuvent être différents
selon les secteurs : les baisses d’activité de certains secteurs pourront
être compensées demain (les achats de biens durables) alors que certaines
pertes d’activité sont irrécupérables (les spectacles annulés ne feront pas
plus d’entrées après la crise sanitaire). De nombreuses entreprises, y compris
de grande taille, peuvent être acculées à la faillite, ce qui supposerait de
longues années pour reconstruire les capacités, surtout si des politiques
différentes selon les pays conduisent à des relocalisations d’activité.

On peut imaginer également des effets cliquets, l’expérience
de la privation pouvant se prolonger au-delà de la crise sanitaire ; mais
généralement, on estime que les effets de la pandémie s’estompent assez
rapidement une fois passée la crise sanitaire, c’est-à-dire au bout d’une
dizaine de semaines.

On ajoute parfois des effets d’incertitude ou liés aux
paniques financières. Cependant, une crise sanitaire a une date de fin assez
prévisible. Son ampleur peut être plus ou moins grande, mais ce n’est pas tant
l’incertitude que les réponses de politiques publiques qui comptent.

Les réponses
sanitaires sont déterminantes quant à la gravité de la pandémie

La réponse de politique sanitaire est déterminante pour
limiter la gravité de la pandémie. Seule une fraction des cas donne lieu à des
situations critiques (estimé autour de 20% dans le cas du COVID-19 par l’OMS) qui
nécessitent des soins particuliers. Une fraction de cette fraction nécessite
des soins critiques (ou soins intensifs). Le renforcement des hôpitaux, en
concentrant les centres de soins intensifs sur les cas les plus graves et en
reportant les demandes de soins plus ordinaires sur d’autres structures, la
concentration des moyens sur les infrastructures de soins, le report des
activités sanitaires non urgentes, le renforcement des moyens des hôpitaux, y
compris la rémunération des personnels soignants sont autant d’éléments
essentiels.

Mais, parce qu’il contribue à limiter l’engorgement des
centres de soins en brisant les chaînes de contamination et en ralentissant la
cinétique de la pandémie, le confinement de la population est déterminant dans
le bilan sanitaire. Ainsi, deux
analyses conduites en comparant les différentes villes américaines pendant la
grippe espagnole de 1918
montrent que les stratégies de confinement ont un
rôle essentiel pour limiter la mortalité pendant la pandémie. Ayant adopté des
politiques de confinement plus ou moins restrictives et surtout plus ou moins
précoces, les villes ont eu des conséquences très différentes en termes de
mortalité. Les politiques de confinement les plus restrictives auraient diminué
de moitié la mortalité. D’autres analyses corroborent ces éléments. Par exemple
cette analyse
de la fermeture des écoles en cas d’épidémie aux États-Unis
estime une
réduction de 40% du flux de malades au pic. Sur la base d’un modèle à agents, calibré
sur des scénarios de pandémie observés, Laura
Fumanelli et ses co-auteurs
concluent qu’une politique de fermeture des
écoles pendant deux semaines peut réduire jusqu’à 50% l’engorgement du système
de santé au pic. Une conséquence de ce confinement est l’absentéisme du
personnel de santé, mais cet effet ne suffit pas à contrebalancer le
soulagement apporté en cas de pandémie étendue.

Le coût économique du confinement est important. La
fermeture des écoles par exemple accroît l’absentéisme des parents. Pour les États-Unis
ou le Royaume-Uni (d’après cette
étude par exemple
) 4 semaines de fermeture des écoles coûtent entre 0,1 et
0,3 point de PIB. Mais on peut ajouter à ces chiffres, le signal envoyé à la
population et aux touristes étrangers qui aura un impact sur l’absentéisme des
non parents et sur la demande des secteurs à interaction sociale. Dans un scénario
de confinement généralisé, proche de celui imposé en Chine au début de
l’épidémie de COVID-19 ou encore récemment mis en place en Italie, dont les
effets se feraient sentir sur 12 semaines, on aurait un impact comparable à
celui d’une pandémie à forte morbidité – bien qu’avec une morbidité plus
faible. La conséquence économique pourrait être jusqu’à 5 points de PIB perdus
sur une année.

Quels coûts du
confinement pour quels bénéfices ?

Les incertitudes qui entourent les scénarios indiquent la
difficulté des choix de politique publique. Il est presque impossible
d’anticiper l’ampleur de la pandémie. Il est encore possible que la pandémie
s’arrête rapidement comme l’épidémie de SARS en 2003. Elle peut aussi s’étendre
et être particulièrement létale. Les analyses des épidémiologistes sont
cruciales pour réduire les possibles et donner des probabilités aux différents scénarios,
mais en l’état les fourchettes d’évaluation sont considérables.

Le gouvernement britannique est un des rares à avoir
communiqué un « scénario du pire », qui n’est pas une prévision mais sert à
qualifier l’urgence de la situation. Il estime que dans le pire des cas (par la
voix de son governement’s
chief Medical Adviser
) 80% de la population pourrait être infectée, que 20%
de la population britannique pourrait être absente de son travail à un moment
ou un autre, ce qui suggère une pandémie à large échelle, en se basant sur 1%
de taux de mortalité sur les cas graves et jusqu’à 100 000 victimes (voir
aussi cette
évaluation citée dans le guide du gouvernement britannique à propos du COVID-19
).
Ce scénario du pire raisonnable (le gouvernement britannique parle de Reasonable
Worst Case –
RWC) n’est pas le pire que l’on puisse imaginer.

Or si le confinement strict et précoce aurait des
conséquences économiques presque sûres, il pourrait largement réduire la
mortalité liée à la pandémie. Dans un scénario à mortalité élevée, disons
200 000 décès pour la France et donc au-delà du raisonnable selon le
gouvernement britannique, en se basant sur une réduction de la mortalité de 50%
grâce aux mesures de confinement, de l’ordre d’un mois de fermeture des écoles
et une réduction pendant 12 semaines de nombreuses interactions sociales, ce
sont 100 000 décès qui pourraient être évités en France.

D’après le
rapport « Eléments pour une révision de la vie humaine » d’E. Quinet
de 2013
, la valeur statistique de la vie humaine à utiliser dans les analyses
coûts-bénéfices conduite par l’administration française est de 3 millions
d’euros. S’il évite 100 000 morts, le confinement aurait une valeur
implicite de 300 milliards d’euros, soit 12,5% du PIB. Le coût de ces mesures
de confinement, 5% du PIB pour un confinement strict, serait donc inférieur. Le
pire n’est pas sûr, mais dans ce scénario extrême, la perte économique,
facilement socialisable, serait inférieure aux coûts humains.

Le rapport Quinet de 2013 ne recommande pas un chiffrage en années de vie parce que la notion de valeur statistique de la vie ne se réduit pas à la somme des années de vie espérées et elle ne doit pas se différencier selon les individus – c’est le sens du mot statistique et cela garantit une égalité des citoyens face aux analyses coûts-bénéfices et aux décisions qui en découlent. Cependant, dans certains cas – en particulier si les effets sont très différenciés selon les âges – le rapport Quinet évoque la possibilité de retenir une valeur de l’année-vie statistique de 150 000 euros. En se risquant sur le terrain glissant qui appliquerait cette valeur au profil des morts par cas par âge (estimé par exemple ici), on diviserait par environ 3 l’estimation de coût en valeur statistique des vies humaines.




Les révisions du taux de croissance du PIB dépendent de l’activité économique

par Bruno Ducoudré, Paul Hubert et Guilhem Tabarly (Université Paris-Dauphine)

Les
instituts de statistique révisent régulièrement de manière significative les
chiffres du produit intérieur brut (PIB) dans les mois suivant leurs annonces
initiales. Idéalement, ces révisions – la différence entre les chiffres révisés
et les chiffres initiaux – doivent être non biaisées et imprévisibles :
elles ne doivent refléter que les nouvelles informations non disponibles au
moment des premières estimations. Cependant, même si les révisions sont inconditionnellement
imprévisibles, elles pourraient toujours être corrélées avec d’autres variables
macroéconomiques. C’est ce que suggère le graphique ci-dessous. Lors de la
crise de 2008-2009, le taux de croissance du PIB publié par l’INSEE en première
estimation a été systématiquement plus élevé que le chiffre portant sur le même
trimestre et publié trois ans plus tard.



Dans un
article récent
, nous utilisons des données de panel portant sur 15 pays de
l’OCDE de 1994 à 2017 afin d’évaluer la dépendance des révisions du PIB à la
dynamique de l’activité économique. Nous constatons que l’activité économique
prédit le sens des révisions du PIB : les premières versions des comptes
nationaux ont tendance à surestimer la croissance du PIB pendant les
ralentissements économiques et vice versa.

Nous
constatons également que la source de cette prévisibilité pourrait être liée au
processus de collecte de l’information mobilisée pour constituer les comptes
nationaux. Nos résultats indiquent qu’il n’y a pas de lien significatif entre
les mesures d’activité économique et les révisions à 1 an, alors que ce lien
est significatif pour les révisions à 2 et 3 ans. Seules les révisions à moyen
terme ont tendance à être corrélées à l’activité économique. De plus, les
révisions entre les millésimes à 3 ans et à 1 an sont significativement
associées à l’activité économique. Cette corrélation entre les conditions
économiques en temps réel et les révisions à moyen terme suggère que la
prévisibilité découle de problèmes d’échantillonnage (collecte de données
d’entreprises, …) plutôt que de la construction des comptes trimestriels.

Enfin,
nous utilisons toute une gamme d’indicateurs économiques qui pourraient prévoir
ces révisions et nos résultats indiquent que la prévisibilité provient de la
dynamique de l’activité économique à court terme plutôt que de la position dans
le cycle économique.