Quelles perspectives pour la France et l’économie mondiale en 2022 et 2023 ? Les enseignements de l’OFCN, un panel de prévisions

par Elliot Aurissergues et Anissa Saumtally

Comme chaque année depuis 2018, l’OFCE a organisé fin novembre 2022 la rencontre de l’Observatoire Français des Comptes Nationaux. Cet événement est l’occasion pour les différents organismes réalisant des prévisions sur l’économie française et son environnement international (INSEE, Direction Générale du Trésor, Banque de France, Rexecode, OFCE pour les instituts spécialisés auxquels s’ajoutent des acteurs privés) d’échanger sur leurs prévisions respectives, leurs scénarios conjoncturels et leurs méthodes. En plus des organismes réalisant des prévisions, des institutions importantes y assistent en tant qu’observateurs : partenaires sociaux, UNEDIC, IRES, Haut Conseil des Finances Publiques. En amont de cette rencontre, les organisateurs collectent auprès des différents instituts les prévisions pour l’année en cours et l’année suivante et envoient un questionnaire plus qualitatif aux participants afin de recueillir leurs opinions sur le scénario économique des prochaines années.



L’OFCE a publié la semaine dernière un Policy Brief résumant les principaux points de cette journée. Si l’OFCN 2021 s’était caractérisé par une certaine confiance dans une solide reprise post-Covid-19, les instituts prévoyant en moyenne des taux de croissance de 4 % en 2022 pour la France, l’Italie, l’Allemagne et les États-Unis, cette édition 2022 a au contraire été dominée par la prudence. L’accumulation de chocs négatifs durant le cours de l’année 2022 a rapidement invalidé le scénario de la fin 2021. Bien évidemment, le premier de ces chocs est l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences, notamment la crise énergétique en Europe. Cependant, les difficultés économiques de l’année 2022 ne sont pas toutes imputables à la guerre en Ukraine. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, la politique « zero-covid » en Chine et les tensions inflationnistes persistantes ont également joué leur rôle. Ces taux d’inflation inédits depuis les années 1980 ont conduit à un resserrement monétaire accéléré de la part de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne, dont les conséquences directes et indirectes sur l’économie américaine mais aussi sur le reste de l’économie mondiale sont au centre des questions pour 2023.

Les panelistes de l’OFCN prévoient donc des taux de croissance assez faibles pour les deux derniers trimestres de 2022, les chiffres annuels relativement élevés s’expliquant par des effets d’acquis par rapport à une année 2021 encore marquée par les restrictions liées au Covid. La croissance annuelle serait de l’ordre de 2,5 % en France, 1,5 % en Allemagne, 3 % en zone euro et entre 1,5 et 2 % aux États-Unis (graphique 1). La croissance chinoise serait de l’ordre de 3% en 2022, un chiffre faible au regard des performances de l’économie chinoise ces dernières années. Pour 2023, seule la Chine verrait sa croissance accélérer en raison de l’allégement anticipé des mesures « zéro Covid » (graphique 2). La croissance chinoise anticipée par les panélistes serait de l’ordre de 4 %. Pour les autres pays, le taux de croissance en 2023 devrait être compris entre 0 et 1 %. Pour l’Allemagne, en première ligne de la crise énergétique, une majorité d’instituts prévoit même une récession. Cette dernière n’est pas non plus exclue pour l’ensemble de la zone euro, les États-Unis ou la France. Pour cette dernière, le consensus reste positif avec une prévision moyenne à 0,5 % mais l’incertitude demeure importante.

Le scénario international et la situation française font l’objet d’une analyse détaillée dans le Policy Brief. La crise énergétique et la persistance des tensions inflationnistes avec le possible enclenchement d’une boucle prix-salaires font également l’objet de deux encadrés résumant deux tables rondes ayant eu lieu dans le cadre de cette journée.




Budget britannique : du soutien à l’austérité

par Hervé Péléraux

Alors que les derniers comptes nationaux publiés le 22 décembre 2022 font état d’un recul du PIB de 0,3% au troisième trimestre 2022, succédant à une progression de 0,1 % au trimestre précédent, l’inquiétude grandit sur l’éventualité d’une entrée en récession de l’économie britannique. Dans un contexte inflationniste exacerbé depuis le début de 2021, en particulier du fait de la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements successifs, Johnson, Truss puis Sunak, ont instauré des mesures de soutien à l’économie en vue d’amortir le choc de pouvoir d’achat et tempérer son impact négatif sur l’activité.



Le 17 novembre dernier, le gouvernement Sunak, entré en fonction le 24 octobre, a présenté un budget qui tranche singulièrement avec les intentions de son prédécesseur, conduit par Liz Truss, démissionnaire après seulement 44 jours de mandat. En effet, l’annonce par l’ancien gouvernement de la mise en place, d’un côté, d’un vaste plan budgétaire de soutien aux ménages et aux entreprises face à la crise énergétique et, de l’autre, de baisse de la fiscalité sur un horizon de cinq ans a laissé dubitatif sur sa viabilité en l’absence de financement et a affolé les marchés.

Pour le moyen terme, le budget présenté par le ministre des Finances britannique, Jeremy Hunt, prend le contrepied de la ligne promue par l’ancien gouvernement et table au contraire sur la rigueur pour prolonger l’effort d’assainissement budgétaire après le choc de la Covid-19 et garantir la maîtrise des finances publiques à cinq ans dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement est toutefois pris en tenaille face à des objectifs contradictoires, entre le soutien aux ménages et aux entreprises à court terme pour atténuer les effets du choc inflationniste et la volonté de garantir la stabilité des finances publiques à moyen terme. Le plan annoncé le 17 novembre se décompose ainsi en trois parties.

L’État pare-chocs contre l’inflation

Un premier train de mesures est mis en œuvre à court terme pour soutenir les ménages confrontés à la hausse des prix, notamment énergétiques. Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement pour cet hiver, à savoir le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité, est reconduit. Ainsi, pendant l’hiver 2022/2023, les ménages verront en moyenne leur facture d’énergie limitée à 2 500 livres par an, ce qui représente une économie de 900 livres prise en charge par les finances publiques pour un coût global de 24,8 milliards de livres. Ce coût reste bien sûr incertain car il dépend du prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Les dispositions seront moins généreuses durant l’exercice 2023/2024[1], avec une remontée du plafond à 3 000 livres par an, soit une réduction de l’aide de 500 livres et un coût global de la mesure ramené à 12,8 milliards selon le budget. Par rapport aux annonces du gouvernement Truss (26,8 milliards de bouclier fiscal en 2023/2024), 14 milliards pourraient ainsi être économisés sur l’exercice prochain grâce au relèvement du plafond.

Le gouvernement prévoit de réinjecter 90 % de ces 14 milliards en 2023/2024 dans des dispositifs de soutien aux ménages les plus fragiles, avec des versements à 8 millions de ménages : les bénéficiaires de prestations sociales sous condition de ressources recevront des versements de 900 livres, les retraités recevront 300 livres et les bénéficiaires de l’allocation pour les handicapés 150 livres. Le gouvernement a aussi décidé de suivre la recommandation de la Commission sur les bas salaires d’une hausse du salaire minimum de 9,7 % en avril 2023 et les prestations sociales et les retraites publiques augmenteront du montant de l’inflation en octobre 2022, soit de 10,1%.

D’autre part, pour soutenir le secteur productif, le gouvernement a maintenu, tout en le rabotant, le dispositif du gouvernement Truss d’encadrement des factures d’énergie pour les entreprises confrontées à la hausse du coût de l’énergie. Les mesures, instituées pour six mois entre le premier octobre 2022 et le 31 mars 2023, coûteraient 18,4 milliards (contre 29 milliards prévus par l’ancien gouvernement).

La reconduction des mesures d’aides aux entreprises sur l’exercice 2023/2024 n’était pas programmée au 17 novembre 2022, mais une évaluation devait être conduite par le gouvernement afin d’éclairer les décisions futures. Le 9 janvier 2023, le gouvernement a précisé ses intentions quant à la pérennité du « bouclier énergie » pour les entreprises. Ce dernier sera maintenu durant l’exercice 2023/2024, mais sera considérablement diminué en comparaison des dispositions actuelles eu égard à leur coût jugé non soutenable par Jeremy Hunt pour les finances publiques du pays. C’est ainsi que 5,5 milliards de livres sont budgétés pour l’exercice 2023/2024.

Au total, le bouclier énergie ainsi que le soutien aux ménages vulnérables et aux entreprises engage 43,2 milliards de livres pour l’exercice 2022/2023 et 30,6 milliards en 2023/2024. En ajoutant les mesures déjà prises par le gouvernement Johnson depuis mars 2022, l’engagement public atteint 64,2 milliards sur l’exercice 2022/2023 et 45,3 sur le suivant. Ramené à une base calendaire, ce soutien représente 48,2 milliards en 2022 (soit 2,2 points de PIB de 2019) et 50 milliards en 2023, ce qui place, un peu plus tardivement que les autres, le Royaume-Uni parmi les pays du continent européen les plus généreux en termes de soutien à l’économie face au choc inflationniste[2].

L’État garant de la soutenabilité des finances publiques

Au-delà du soutien à l’économie à court terme qui implique une politique très expansionniste, le nouveau gouvernement a exprimé son souci d’afficher une trajectoire des finances publiques « soutenable », c’est-à-dire qui conduit à une baisse du ratio dette/PIB à un horizon de cinq années et à une réduction du déficit en dessous de 3 % du PIB. Pour ne pas entrer en contradiction avec les mesures de soutien décidées pour les exercices 2022/2023 et 2023/2024, alors que le risque d’entrée en récession de l’économie britannique est élevé, le gouvernement a pris soin de n’enclencher le resserrement de la politique budgétaire qu’en 2024/2025.

Le plan d’austérité budgétaire dégage des ressources supplémentaires montant en charge progressivement jusqu’à 55 milliards de livres en 2027/2028, réparties entre des hausses d’impôts à hauteur de 45 % (25 milliards en 2027/2028) et des baisses de dépenses à hauteur de 55 % (30 milliards). Côté impôts sur les ménages, le gouvernement a prévu d’abaisser le seuil d’imposition des revenus au taux de 45 % de 150 000 à 125 140 livres en avril 2023, de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et les droits de succession aux niveaux actuels pendant deux années supplémentaires jusqu’en avril 2028, de diviser par quatre les crédits d’impôts sur les dividendes et les plus-values à partir de 2024/2025 et de limiter au 31 mars 2025 la baisse des droits sur les transactions immobilières décidée par le précédent gouvernement.

La baisse de l’impôt sur les sociétés à 19 % envisagée par Liz Truss est annulée et le taux sera porté  à 25% en avril 2023, comme annoncé avant l’arrivée de Liz Truss. Le barème des cotisations sociales sera maintenu au niveau actuel entre avril 2023 et avril 2028. En outre, les superprofits des entreprises énergétiques seront davantage taxés, avec la prolongation du dispositif actuel jusqu’en mars 2028 et l’augmentation du taux d’imposition de 25 à 35 % le premier janvier 2023 (14 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). De plus une taxe de 45 % sur les profits des producteurs d’électricité sera créée en janvier 2023 (4 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). Le gouvernement reste toutefois préoccupé par les tensions que génère l’inflation sur le système productif et a prévu une aide cumulée aux entreprises de 13,6 milliards jusqu’à 2027/2028, passant principalement par le levier des impôts locaux.

Côté dépenses, le gouvernement prévoit la mise en place d’un plan d’économies s’appuyant principalement sur le ralentissement de la progression des dépenses publiques qui ne devra pas excéder l’inflation de plus de 1 point. L’effort sera toutefois engagé à partir de l’exercice 2025/2026 tandis que certaines dépenses concernant les services publics prioritaires (santé, protection sociale et écoles) seront augmentées au cours des deux prochains exercices.

Les marchés rassérénés

En termes d’impulsion budgétaire, l’année calendaire 2022 apparaît comme la plus dispendieuse en réponse à la situation d’urgence créée par la hausse spectaculaire de l’inflation (graphique 1). En 2023, le redéploiement de la quasi-totalité des ressources libérées par la diminution du bouclier énergie vers les ménages les plus fragiles et le maintien d’un « bouclier entreprises » permettra de maintenir globalement l’engagement du gouvernement dans le plan d’urgence, sans toutefois générer d’impulsion supplémentaire significative. En revanche, en 2024, le retrait des dispositifs d’aide à court terme et l’entrée en vigueur du plan d’économies budgétaires seront à l’origine d’une impulsion budgétaire très négative, de -1,2 point de PIB. À l’horizon 2027, les dispositions annoncées par le gouvernement Sunak maintiendront une impulsion budgétaire négative, voisine de 0,5 point de PIB chaque année.

La réalisation de telles projections à un horizon de cinq années reste toutefois hypothétique. Tout d’abord, un nouveau budget sera présenté le 15 mars. Ensuite, des élections générales auront lieu d’ici la fin 2024. Une grande incertitude prévaut donc sur l’application de ce plan. Quoi qu’il en soit, les annonces de novembre 2022 ont atteint l’objectif d’apaiser les marchés financiers puisque le rendement des obligations d’État à 10 ans était retombé, au premier décembre 2022,à son niveau d’avant les annonces budgétaires du gouvernement Truss à la rentrée (graphique 2). Dans la foulée, la livre, après s’être dépréciée de 5 % entre le 6 et le 28 septembre 2022, était aussi revenue à son niveau de début septembre.


[1] Au Royaume-Uni, l’exercice budgétaire commence le 1er avril et se termine le 31 mars de l’année suivante.

[2] Voir « Du coup de chaud au coup de froid », Département Analyse et Prévision, Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, 12 octobre 2022, pp. 35-41.




Prévisions européennes des instituts de l’AIECE : de chocs en chocs, la croissance freinée…

par Catherine Mathieu

Les instituts de conjoncture membres de l’AIECE (Association d’Instituts Européens de Conjoncture Économique[1]) se sont réunis à Bruxelles pour leur réunion d’automne les 28 et 29 novembre 2022. Le rapport général, qui présente une synthèse des prévisions des instituts, a été réalisé par l’institut IW (Institut der Deutschen Wirtshaft, Cologne) et peut être consulté sur le site de l’AIECE (voir : AIECE General Report, Autumn meeting, 2022).  Nous présentons dans ce billet les points principaux abordés lors de la réunion : les chocs qui freinent l’économie mondiale et plus spécifiquement les économies européennes depuis plusieurs mois, et qui ont conduit la majorité des instituts à fortement revoir à la baisse leurs prévisions de croissance pour 2023 (à 0,3 % seulement pour la zone euro, contre 2,5 % il y a six mois) et à envisager en 2024 une croissance modérée (à 1,6 % seulement).  



La conjoncture à l’automne 2022

Depuis la précédente réunion de l’AIECE en mai dernier, les contraintes d’offre apparues lors de la sortie de crise, suite aux restrictions d’activité mises en place au plus fort de la pandémie de COVID19, se sont en partie allégées : baisse des coûts du fret maritime et aérien, réduction des délais de livraison signalée par les indices des directeurs d’achat dans de nombreux pays, comme le résume l’indicateur des tensions sur les chaînes mondiales d’approvisionnements construit par la Fed de New York (Global Supply Chain Pressure Index), passé de + 4,24 écarts-type en décembre 2021 à + 1,20 en novembre 2022.

Selon l’indicateur du World Trade Monitor du CPB, le commerce mondial de marchandises en volume était en hausse de 5,4 % sur un an au troisième trimestre 2022. Mais l’activité des économies européennes est restée freinée par les effets de la guerre en Ukraine, en premier lieu par la hausse des prix de l’énergie.

Le prix du baril de Brent, qui avait atteint un point bas à moins de 30 dollars en mars 2020, lors de la mise à l’arrêt des activités pour freiner la diffusion de la pandémie de COVID19, a atteint un point haut à 130 dollars en mars 2022. Il a fluctué ensuite autour de 110 dollars et était revenu vers 90 dollars en novembre 2022. Selon la médiane de la prévision des instituts de l’AIECE, le prix du pétrole se stabiliserait à ce niveau en 2023 et baisserait légèrement à 84 dollars en 2024. Le prix du gaz TTF néerlandais, selon la prévision médiane des Instituts de l’AIECE, baisserait aussi à l’horizon de 2024 : de 147 euros/MWh en moyenne annuelle en 2022, il serait de 169 en 2023 et de 109 en 2024 mais les prévisions se situent dans une fourchette large, de 95 à 146. Les instituts ont souligné les incertitudes fortes qui entourent les prévisions des prix des matières premières, et qui conduisent certains d’entre eux à retenir une hypothèse technique de stabilité des prix.

Depuis le printemps 2022, les prévisions de croissance mondiale et européenne pour 2022 ont été dans l’ensemble peu révisées, mais elles ont été nettement revues à la baisse pour 2023 (tableau). Depuis la réunion de mai dernier, la quasi-totalité des instituts de l’AIECE ont révisé à la baisse les prévisions de croissance pour leur pays. Selon la prévision médiane des instituts de l’AIECE, la croissance mondiale serait de 2,2 % en 2023 (au lieu de 3,7 % prévu en mai dernier) ; la croissance serait de 0,3 % seulement pour la zone euro (contre 2,5 % prévu en mai). Ces prévisions de l’AIECE, qui regroupent des prévisions publiées entre la fin septembre et la mi-novembre, sont un peu plus basses que celles publiées en octobre par le FMI (voir : Perspectives de l’économie mondiale) mais proches de celles de la Commission européenne (European Economic Forecast, Autumn 2022) et de l’OCDE (Perspectives économiques) publiées toutes deux en novembre, et de celles de l’OFCE (Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale).

Alors que la croissance médiane prévue en 2023 pour la zone euro est de 0,3 %, certains instituts de l’AIECE prévoient une activité en baisse pour leur pays en 2023, notamment en Allemagne (avec une baisse du PIB comprise entre -1,5 % et -0,7% selon les instituts), les instituts mettant en avant le poids du gaz dans le mix-énergétique et le poids de l’industrie dans la valeur ajoutée (plus de 21 %) qui rend l’économie allemande particulièrement vulnérable à la hausse des prix de l’énergie. En France, Italie, Belgique, Autriche et Finlande, les prévisions des instituts pour leur pays s’étalent entre 0 et 0,6 % ; elles sont de 1,5% pour l’Espagne et les Pays-Bas et plus élevées pour la Grèce (3 %) et l’Irlande (plus de 4 %).

Pour 2024, les premières prévisions disponibles envisagent une croissance de l’économie mondiale comprise entre 2,7 et 3,1 %, et de l’ordre de 1,5 % en moyenne pour la zone euro. Mais toutes insistent sur l’ampleur des incertitudes, en particulier géopolitiques, et sur leurs conséquences sur les marchés de l’énergie, l’inflation et les politiques monétaires outre-Atlantique et en Europe. 

Incertitudes à l’automne 2022

L’inflation a atteint 10,5 % en octobre 2022 en zone euro, allant de 7,1 % en France, 7,3 % en Espagne, à 22,5 % en Estonie, en passant par 11,6 % en Allemagne, 12,6 % en Italie, et 16,8 % aux Pays-Bas. Cette inflation entraîne des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages, et en s’installant dans la durée, pourrait enclencher une boucle prix-salaire, ce qui était jusqu’à l’automne peu visible dans les revendications salariales. Les instituts ont par ailleurs rappelé que l’impact sur la consommation des ménages de la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation pouvait être atténué en puisant sur l’épargne contrainte accumulée pendant la crise de la COVID19. Cependant, la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation frappe avant tout les ménages les plus vulnérables. La nécessité de prendre des mesures de soutien budgétaire, de préférence ciblées sur ces ménages, a été soulignée, notamment par la Commission européenne. Soit un dispositif différent de celui du bouclier tarifaire mis en place en France, qui, non ciblé, a par contre eu un effet direct de freinage de l’inflation.

La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre ont commencé à relever leurs taux directeurs au printemps 2022 pour freiner l’inflation et éviter l’enclenchement d’une boucle prix-salaires alors que la hausse des prix des matières premières, envisagée comme temporaire avant le début de la guerre en Ukraine, apparaissait plus durable. La BCE a emboîté le pas en juillet 2022. A mi-décembre, les taux étaient de respectivement de 4,5% aux Etats-Unis, 3,5 % au Royaume-Uni et 2,5 % dans la zone euro. Les instituts ont débattu de la difficulté de remonter les taux d’intérêt lors d’un choc d’offre, de parvenir à ramener l’inflation vers la cible de 2 % sans briser la reprise fragile en zone euro et ce, alors que la guerre en Ukraine se poursuit. La diversité des réponses nationales de politique économique face à la hausse des prix de l’énergie complique la conduite de la politique monétaire à l’échelle de la zone euro, les taux d’inflation connaissant des accélérations plus ou moins fortes selon les mesures prises (hausses passées de TVA en Allemagne, bouclier tarifaire en France). Alors que l’inflation est largement supérieure à la cible de 2 %, 20 sur 23 des instituts ayant répondu à cette question considèrent que la politique monétaire sera restrictive ou très restrictive dans la zone euro en 2023, ce qui est, selon eux, adapté à la situation conjoncturelle. C’est un net durcissement de position par rapport à la réunion de mai dernier où les instituts étaient très partagés. Cependant, la prévision médiane du taux directeur de la BCE n’est qu’à 2,5 % en moyenne annuelle en 2023, et revient à 2 % en 2024. Avec une prévision médiane de l’inflation (mesurée selon l’IPCH) de 5,5 % en moyenne annuelle 2023 et d’un retour à 2 % en 2024 (après 8,2 % en 2022), la politique monétaire prévue par les instituts ne serait pas franchement restrictive, sauf à supposer un très fort écart de production négatif. Selon une règle de Taylor, sous les hypothèses d’inflation médiane de l’AIECE et les hypothèses de croissance potentielle et d’écart de production de la Commission européenne, le taux d’intérêt correspondant à la situation conjoncturelle devrait être en 2023, de 8,2 %.[2] Cependant, 11 instituts voient déjà des impacts négatifs sensibles de la hausse des taux d’intérêt sur l’économie de leur pays et 9 des impacts modérés.

Deux tiers des instituts estiment que la politique budgétaire sera expansionniste en zone euro en 2023 et que cela est adapté à la situation conjoncturelle ; un tiers estimant que la politique budgétaire sera neutre ou légèrement restrictive, ce qu’ils jugent en général également adapté. Sur la base des mesures budgétaires votées, la Commission européenne estime, dans sa prévision publiée en novembre dernier, que l’impulsion budgétaire à l’échelle de la zone euro sera négative de 0,5 point en 2023 (et de 0,3 point en 2024). La Commission ayant cependant repoussé le retour de l’application de règles budgétaires au-delà de 2023, de nombreux instituts pensent que les pays pourraient décider de soutenir davantage leur économie à court terme si les risques d’entrée en récession se concrétisaient.

En conclusion, les questions des perspectives inflationnistes et du risque de récession à court terme ont dominé les discussions de la réunion de l’automne. Les prévisions à l’horizon 2023 d’une faible croissance en moyenne de la zone euro sont entourées d’incertitudes élevées. Les risques mis en avant par les instituts de l’AIECE pour les perspectives de croissance à court terme en Europe, sont quasi-exclusivement à la baisse et, par ordre décroissant d’importance : risques de rupture d’approvisionnement énergétique, nouveaux chocs à la hausse sur les prix des matières premières (énergétiques et non énergétiques) et inflation élevée, accroissement des tensions géopolitiques, risque terroriste. Le risque d’un ralentissement de la croissance dans les pays émergents (dont la Chine) et dans les économies industrialisés (dont les Etats-Unis) vient ensuite, de même que celui associé à des politiques monétaires restrictives. Il est frappant d’observer qu’aucun risque à la hausse n’a été avancé pendant la discussion. Comme au printemps dernier, le principal aléa à la hausse serait un arrêt rapide de la guerre en Ukraine, mais la probabilité s’est réduite au fil des mois.


[1] L’AIECE comprend 40 membres, dont 35 instituts de 19 pays européens, et 5 organisations internationales, membres observateurs. Pour ce rapport général, 25 instituts ont répondu à l’ensemble du questionnaire préparé par l’IW.

[2] Selon cette règle, visant à décrire le comportement des banques centrales, soucieuses à la fois de l’évolution de l’inflation et de la croissance, leur taux d’intérêt se fixe selon : r = p+g+0,5*(p-2)+0,5*EP, où p est l’inflation, 2 l’objectif d’inflation, g le taux de croissance potentielle, EP l’écart de production ; soit pour 2023 :  r = 5,5 + 1,2 +0,5*(5,5-2) +0,5*(-0,5) =8,2%.




États-Unis : coup de frein ou récession ?

par Christophe Blot

Au premier trimestre 2022, le PIB des États-Unis a affiché un recul de 0,4 % brisant ainsi la reprise qui s’était enclenchée à partir de l’été 2020. Le contexte économique international s’est fortement dégradé en raison de la conjonction de plusieurs chocs négatifs. La reprise économique mondiale s’est effectivement accompagnée de difficultés d’approvisionnement et d’une forte hausse des prix de l’énergie, amplifiée depuis février 2022 par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le conflit a provoqué une hausse des tensions géopolitiques se traduisant par une incertitude accrue[1]. Enfin, la hausse de l’inflation a conduit les banques centrales et notamment la Réserve fédérale à augmenter les taux d’intérêt. Par conséquent, la baisse du PIB américain du début d’année peut-elle présager d’une récession ou se traduira-t-elle par un simple coup de frein sur la croissance ?



Après la forte contraction de l’activité observée en 2020, l’économie américaine a nettement rebondi si bien que, dès le deuxième trimestre 2021, le PIB dépassait le niveau d’activité observé en fin d’année 2019. Sur l’ensemble de l’année 2021, la croissance s’est établie à 5,7 %, fortement tirée par la demande intérieure et notamment la consommation des ménages qui progressait de 7,9 %[2]. Les plans de soutien mis en œuvre d’abord par l’administration Trump puis par Joe Biden ont surcompensé les pertes de revenus primaires des ménages liées à la crise sanitaire, ce qui a largement soutenu la consommation, notamment celle de biens durables[3]. Le dynamisme de la demande intérieure américaine et mondiale s’est heurté à des contraintes d’offre en raison de l’apparition de nouvelles vagues de contamination. Même si dans la plupart des pays la situation sanitaire ne s’est pas accompagnée de mesures prophylactiques aussi fortes que celles mises en œuvre au printemps 2020, la situation sanitaire est restée détériorée bloquant les chaînes d’approvisionnement au niveau mondial et l’offre de travail[4]. Le contraste entre la demande américaine, soutenue par des politiques budgétaires très expansionnistes et une offre mondiale contrainte a poussé les prix à la hausse. Aux États-Unis, le déflateur de la consommation hors énergie et prix alimentaires s’est élevé à 3,3 % en 2021 avec des augmentations bien plus fortes sur certains biens : 13,2 % pour les automobiles par exemple. Autre signe du déséquilibre de la croissance américaine : la forte augmentation des importations en volume (+14 % sur l’année contre une hausse des exportations de 4,5 %) s’est traduite par une dégradation du solde commercial des biens et services dont le déficit a atteint 1 280 milliards en 2021 (soit 5,6 % du PIB) contre 905 milliards (4,2 % du PIB) deux ans auparavant. La contraction du PIB observée au premier trimestre 2022 pourrait être la manifestation d’une surchauffe de l’économie puisque la demande intérieure est restée bien orientée : +0,5 point. C’est la contribution négative (-1 point) du commerce extérieur qui explique la baisse du PIB de 0,4 %.  

Pour la suite de l’année 2022, l’activité sera principalement affectée par des chocs négatifs. Alors que nous prévoyions une croissance de 4,2 % lors de la prévision d’octobre, ce chiffre serait significativement revu à la baisse (graphique 1) et atteindrait 2,1 %. Bien que les États-Unis soient producteurs de pétrole, la hausse des prix aurait un effet négatif via une réduction du pouvoir d’achat des ménages et une hausse des coûts de production des entreprises[5]. Sous l’hypothèse d’un maintien des tensions géopolitiques au niveau observé en avril jusqu’en fin d’année, le choc d’incertitude amputerait l’activité de 0,4 point[6]. Quant aux contraintes d’approvisionnement, elles n’auraient pas d’effet récessif significatif aux États-Unis mais contribueraient sans doute au maintien des tensions sur les prix. Une partie de la réduction de la prévision de croissance s’explique également par un durcissement plus fort qu’anticipé de la politique monétaire. En effet, dans le scénario d’octobre 2021, nous anticipions un retour progressif de l’inflation vers la cible de la Réserve fédérale et par conséquent une normalisation bien plus lente de la politique monétaire. Avec un choc inflationniste plus important et plus durable, la Réserve fédérale a durci sa politique monétaire. Les trois dernières réunions du FOMC (Federal Open Market Committee) ont systématiquement débouché sur une hausse du taux qui est passé de 0,25 % en janvier à 1,75 % en juin. Le mouvement se poursuivrait au cours du deuxième semestre avec une augmentation du taux de 1,5 point en moyenne sur l’année, ce qui aurait un effet sur la croissance pouvant atteindre 0,5 point dès 2022. La somme de ces chocs réduit donc la prévision de croissance de 1,2 point. À cet effet s’ajoute une révision à la baisse de l’acquis de croissance puisque la croissance au cours des troisième et quatrième trimestres 2021 a été moins forte que ce nous avions anticipé : 0,6 et 1,7 % respectivement contre une prévision de 1,4 et 2,3 % en octobre 2021. Enfin, ces chocs ne seraient pas compensés par la politique budgétaire[7].

Etant donné le chiffre de croissance du premier trimestre 2022, une croissance trimestrielle autour de 0,3-0,4 % au cours des trois trimestres suivants serait compatible avec une croissance annuelle à 2,1 %[8]. Les indicateurs conjoncturels pour les mois d’avril à juin confirment un ralentissement de l’activité américaine dans un contexte d’inflation toujours aussi élevée. Les chiffres mensuels de consommation des ménages suggèrent déjà un ralentissement puisqu’elle a progressé en avril (+0,3 %) mais reculé en mai (-0,4 %). De nouveau, ces performances restent tirées par l’évolution des achats de biens durables qui ont atteint un pic en mars 2021 et baissé de 5,6 % depuis (graphique 2). Du côté des enquêtes de confiance auprès des entreprises, le ralentissement est confirmé mais les niveaux se situent toujours au-dessus des moyennes de long terme. Par ailleurs, la production industrielle a continué à augmenter en avril et mai. Enfin du côté de l’emploi et du chômage, les chiffres pour le mois de juin permettent d’avoir une vision complète du deuxième trimestre. Le taux de chômage stagne à 3,6 % après avoir baissé de plus de 11 points entre avril 2020 et mars 2022. Quant à l’emploi, il a progressé en moyenne par rapport au premier trimestre mais le niveau de juin 2022 est inférieur à celui de mars. Ces éléments plaident donc pour une croissance modérée, voire négative notamment si la contribution du commerce extérieur est de nouveau négative. Pour autant, il s’agirait au pire d’une récession technique[9].


[1] Voir « L’économie mondiale sous le(s) choc(s) », Revue de l’OFCE, n° 177, pour une analyse détaillée.

[2] La FBCF totale augmentait quant à elle de 7,7 %.

[3] Voir « Europe / États-Unis, comment les politiques budgétaires ont-elles soutenu les revenus ? », OFCE le Blog, 26 octobre 2020.

[4] La Chine faisait figure d’exception notable du fait de la stratégie « zéro Covid » se traduisant par des confinements locaux.

[5] Une revue récente de la littérature suggère effectivement que la hausse du prix du pétrole réduit la consommation des ménages et l’investissement. Voir A. M. Herrera, M. B. Karaki & S. K. Rangaraju, 2019, « Oil price shocks and US economic activity », Energy policy, n° 129, pp. 89-99.

[6] Voir le Tableau 3 page 32 de « L’économie mondiale sous le(s) choc(s) », Op. cit.

[7] L’estimation de l’effet de la politique budgétaire reflète la révision de l’impulsion par rapport au scénario envisagé en octobre 2021. L’impulsion budgétaire est négative en raison de la fin des nombreuses mesures exceptionnelles mises en œuvre pour faire face à la crise sanitaire. La révision tient surtout à l’analyse des mesures incluses dans le budget 2022 par l’administration Biden.

[8] Les performances du premier trimestre peuvent déjà en partie capter l’impact des différents chocs.

[9] On parle de récession technique lorsque le PIB recule sur deux trimestres consécutifs. La récession dépend cependant d’un ensemble d’indicateurs.




L’AIECE souligne les risques entourant les prévisions européennes au printemps 2022

par Catherine Mathieu

Les instituts de conjoncture membres de l’AIECE (Association d’Instituts Européens de Conjoncture Économique) ont tenu leur réunion de printemps à Kiel (Allemagne) les 12 et 13 mai derniers. Le Rapport général, qui présente une synthèse des prévisions des instituts, a été réalisé par Analytics CCIS (Ljubljana, Slovénie) et peut être consulté sur le site de l’AIECE (AIECE General Report, Spring meeting, 2022). Nous présentons dans ce billet les points marquants abordés lors de cette réunion, soit les chocs qui frappent l’économie mondiale et les économies européennes depuis plusieurs mois et rendent les perspectives de croissance à court terme particulièrement incertaines.



La conjoncture au printemps 2022

Après le choc de la pandémie de Covid-19 survenu au début de l’année 2020, les économies européennes étaient engagées sur le chemin de la reprise en 2021. Une suite de chocs a cependant fragilisé cette reprise : arrivée des variants Delta puis Omicron qui ont freiné la levée des contraintes sanitaires en 2021, hausse des prix des matières premières amorcée dès l’été 2021, intensification des difficultés d’approvisionnement, notamment pour les biens produits en Chine et en Asie du Sud-Est.  À partir de la fin février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, aux conséquences dramatiques en termes de vies humaines perdues ou bouleversées et de destructions matérielles en Ukraine, a aussi un coût économique pour les pays européens en contribuant à l’augmentation des prix des matières premières énergétiques et alimentaires, en accroissant les risques de pénuries de ces biens et en renforçant les difficultés d’approvisionnement qui étaient déjà élevées.

Ces différents chocs ont conduit au fil des mois les économistes à réviser à la baisse leurs prévisions pour 2022. C’est notamment le cas du FMI et de la Commission européenne (tableau). Selon les instituts de l’AIECE, la croissance mondiale serait de 3,7 % en 2022. Cette prévision médiane, qui résulte de prévisions publiées pour la plupart entre la mi-mars et la mi-avril, est en ligne avec la prévision publiée en avril par le FMI (Perspectives de l’économie mondiale). Le 16 mai, la Commission européenne a révisé sa prévision de croissance mondiale à 3,2 % pour 2022, soit un point de moins que dans sa prévision d’octobre 2021 (European Economic Forecast, Spring 2022), tandis qu’elle abaissait sa prévision de croissance pour la zone euro de 1,7 point, à 2,7 % seulement pour 2022. Cette prévision, plus récente, intègre davantage les effets de la guerre en Ukraine. De ce point de vue, certaines des prévisions des instituts de l’AIECE accusent un retard, avec une croissance médiane de la zone euro prévue à 3,2 % pour 2022 (comprise entre 4,1 % et 1,6 %). Le FMI et la Commission européenne ont par ailleurs jusqu’à présent peu révisé leurs prévisions pour 2023, et les instituts de l’AIECE ont une prévision médiane qui en est proche (3,5 % pour la croissance mondiale, 2,5 % pour celle de la zone euro).

Mais l’intensité des incertitudes géopolitiques rend le chiffrage de prévisions plus incertain qu’habituellement. L’essentiel des discussions de la réunion de l’AIECE a d’ailleurs porté sur les freins à la reprise dans la situation actuelle et non sur les scénarios pour 2023. C’est aussi l’approche retenue par l’OFCE, dans « L’Economie mondiale sous le(s) choc(s) », OFCE, Policy brief n° 106, mai 2022.

Commerce mondial de marchandises

Selon les données du World Trade Monitor (WTM) du CPB (membre de l’AIECE), comparé au niveau de la fin 2019, le commerce mondial de marchandises en volume était supérieur de près de 10 % au premier trimestre 2022, les exportations chinoises étant supérieures de 20 %, tandis que les exportations des États-Unis et de la zone euro avaient à peine retrouvé leur niveau antérieur. Du côté des importations, sur la même période, les États-Unis arrivaient en tête, avec des importations supérieures de 18 % à leur niveau d’avant-crise, suivis des pays d’Asie avancés (+ 12 %) et émergents (+16 %) hors Chine et Japon. Les importations chinoises n’étaient supérieures que de 6 %, comme celles de la zone euro. La phase de rattrapage du commerce mondial est cependant passée, les chiffres de mars signalant une stabilisation du commerce mondial.

Les instituts de l’AIECE ont pointé les facteurs de ralentissement du commerce mondial au cours des derniers mois. Tout d’abord, les incertitudes autour de la poursuite de la croissance en Chine, du fait de l’arrivée du variant Omicron et des mesures de restriction des activités qui s’en sont suivies dans le cadre de la stratégie zéro-Covid : confinements de villes et régions industrielles et portuaires (Shenzhen à la mi-mars, pour une semaine, Shanghai en avril), qui ont un rôle prépondérant dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les indicateurs mensuels des directeurs d’achat (PMI) connaissent depuis le début de l’année des évolutions opposées entre d’une part la zone euro et les États-Unis, où ils ont continué à s’améliorer au premier trimestre tandis qu’ils ont commencé à se dégrader en Chine en mars et plus encore en avril. La composante du PMI chinois sur les ‘délais de livraison’ s’est particulièrement dégradée laissant augurer de nouvelles tensions sur les chaînes d’approvisionnement alors que l’indice mondial de tensions sur les chaînes de production était en léger repli en mars, à partir d’un niveau élevé (Global supply chain pressure index). Cet indice s’est légèrement tendu en mai.

Vincent Stamer, de l’IfW de Kiel a présenté les derniers résultats du « Kiel Trade Indicator », un indicateur de commerce mondial mis au point en 2021. Cet indicateur a pour originalité d’évaluer les flux mensuels récents bilatéraux d’importations et d’exportations de marchandises entre 75 pays, sur la base des déplacements observés des porte-conteneurs. L’indicateur est mis à jour deux fois par mois (autour du 5 et du 20). Dans sa version publiée le 20 mai, l’indicateur estime que le commerce mondial a baissé de 0,2 % en mai, dont une baisse de 4,1 % des importations chinoises et une hausse de 1,9 % des exportations chinoises ; les importations des États-Unis auraient été stables tandis que les exportations auraient baissé de 0,4 % ; les importations comme les exportations de la zone euro auraient légèrement baissé. Cet indicateur a pour objectif d’estimer deux mois supplémentaires par rapport à l’indicateur de commerce mondial du CPB (WTM) dont la dernière valeur porte sur mars, dans la publication du 24 mai. Il sera intéressant de suivre les estimations de ce nouvel indicateur et d’observer si elles permettent effectivement d’anticiper l’évolution des flux de commerce de marchandises établies sur la base de données douanières.

Par ailleurs, les instituts ont noté que, contrairement aux flux de marchandises, le commerce mondial de services n’avait pas rattrapé son niveau d’avant-crise au quatrième trimestre 2021, du fait des séquelles des contraintes sanitaires imposées au plus fort de la pandémie. Cependant, les données de l’OMC indiquent un net redémarrage du commerce mondial des services au cours de l’année 2021, le poste ‘voyage’ affichant une hausse de près de 70 % en glissement sur un an au quatrième trimestre 2021 et le poste ‘transport’ une hausse de près de 45 %.

Prix du pétrole et des matières premières

Le prix du baril de Brent a dépassé 100 dollars à la fin février et fluctue depuis autour de 110 dollars. Selon la médiane de la prévision des instituts de l’AIECE, le prix serait de 98 dollars au quatrième trimestre 2022 et retrouverait un niveau de 83 dollars au quatrième trimestre 2023. Les instituts ont discuté les conséquences de la hausse du prix du pétrole et des matières premières sur le pouvoir d’achat des ménages et les coûts des entreprises en Europe. Plusieurs instituts ont indiqué que les prix du pétrole devront être durablement supérieurs à 100 dollars si l’UE souhaite respecter ses engagements de neutralité carbone en 2050 et de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030.

Trois des instituts allemands présents lors de la réunion de l’AIECE (IfW de Kiel, Institut de Halle et DIW Berlin) ont présenté leur estimation de l’impact qu’aurait sur l’économie allemande un arrêt total d’importations d’énergie en provenance de Russie (surtout du gaz, mais aussi du pétrole), publiée dans leur prévision commune d’avril ( Joint Economic Forecast Spring 2022: From Pandemic to Energy Crisis – Economy and Politics under Permanent Stress). Dans leur scénario central, les instituts allemands prévoient une croissance de 2,7 % en 2022 (contre 4,8 % il y a six mois, revue à la baisse principalement sous l’effet de la guerre en Ukraine), mais de 1,9 % seulement dans le scénario d’embargo. En 2023, la croissance allemande serait de 3,1 % dans le scénario central mais en chute de 2,2 % dans le scénario d’embargo. L’impact sur le taux de croissance allemand serait donc de -0,8 % cette année, mais de -5,3 % l’an prochain, soit 6 % sur le niveau du PIB.

Situation conjoncturelle européenne

Les instituts de l’AIECE ont souligné les caractéristiques très inhabituelles de la sortie de crise de la Covid-19, avec des taux de chômage faibles, des difficultés de recrutement généralisées, des difficultés d’approvisionnement et une accélération de l’inflation, difficultés amplifiées par la guerre en Ukraine. Les instituts allemands ont mis en avant les difficultés d’approvisionnement de l’industrie allemande, en particulier dans l’industrie automobile, fortement dépendante de composants importés (de Chine, d’Asie du Sud-Est et d’Europe centrale et orientale).

La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre ont commencé à relever leurs taux directeurs pour freiner l’inflation et éviter l’enclenchement d’une boucle prix-salaires, alors que la hausse des prix des matières premières, envisagée comme temporaire avant le début de la guerre en Ukraine, apparaît désormais plus durable. La BCE se distingue par son attentisme et pourrait ne commencer à augmenter son taux directeur qu’à partir de juillet 2022. Les instituts ont débattu de la difficulté de remonter les taux d’intérêt lors d’un choc d’offre, de parvenir à ramener l’inflation vers la cible de 2 % sans briser la reprise qui restait fragile en zone euro et alors que la guerre en Ukraine constitue un nouveau choc. La diversité des réponses nationales face à la hausse des prix de l’énergie complique la conduite de la politique monétaire à l’échelle de la zone euro, les taux d’inflation connaissant des accélérations plus ou moins fortes selon les mesures prises au niveau national (hausses passées de TVA en Allemagne, bouclier tarifaire sur l’énergie en France). Il n’y a pas de consensus parmi les instituts sur la politique monétaire qui devrait être conduite dans la zone euro ce printemps. Alors que l’inflation est largement supérieure à la cible de 2 %, 44 % des instituts considéraient dans leurs réponses aux questionnaires pour le rapport général que la BCE ne devrait durcir sa politique monétaire que si la hausse des prix des matières premières se diffusait au reste de l’économie, 33 % pensant que la BCE devrait agir dès à présent et 22 % qu’elle devrait attendre jusqu’à la fin 2022. Lors de la réunion, plusieurs instituts ont mentionné le risque immobilier que pourrait entraîner une remontée des taux d’intérêt (dont la Suède et les Pays-Bas).

La hausse des prix des matières premières et plus généralement celle de l’inflation (qui a atteint 7,4 % en avril 2022 en zone euro, allant de 5,4 % en France à 19,1% en Estonie) conduisent à des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages. Les instituts ont rappelé que, les taux d’épargne des ménages restant plus élevés qu’avant la crise (11,4 % en moyenne dans la zone euro, contre 8,3 % en 2019), les ménages pourraient puiser dans cette épargne pour amortir l’effet de la perte de pouvoir d’achat sur leur consommation.  Cependant, la perte de pouvoir d’achat frappant surtout les ménages les plus pauvres (aux taux d’épargne les plus faibles), la nécessité de mesures de soutien budgétaire a été soulignée. La moitié des instituts considère que la politique budgétaire de leur pays sera plutôt expansionniste en 2022 et que cela est adapté à la situation conjoncturelle tandis que l’autre moitié estime que la politique budgétaire sera neutre ou légèrement restrictive, ce qu’ils jugent en général aussi adapté aux situations des pays concernés. Dans sa prévision publiée le 16 mai, la Commission européenne estime que l’impulsion budgétaire à l’échelle de la zone euro sera négative de 0,6 point cette année et de 0,8 point l’an prochain, ce qui semble plus restrictif que suggéré par les instituts de l’AIECE. Il convient cependant de préciser que la Commission européenne ne prend en compte que les mesures déjà votées alors qu’il est probable que des mesures de soutien supplémentaires aux ménages et aux entreprises soient votées dans de nombreux pays de l’UE à partir de ce printemps. On ajoutera aussi que la Commission vient de repousser le retour des règles budgétaires au-delà de 2023, ce qui pourrait permettre aux pays de soutenir leur économie alors que les perspectives de croissance sont régulièrement revues à la baisse.

Pour conclure, la guerre en Ukraine et les problèmes de rupture des chaînes d’approvisionnement ont dominé les discussions lors de la réunion de printemps de l’AIECE. Les prévisions à l’horizon 2023 sont entourées d’incertitudes exceptionnellement élevées. Les risques mentionnés à court terme par les instituts de l’AIECE sont principalement à la baisse et pour les plus importants, par ordre décroissant : hausse des prix des matières premières, incertitudes géopolitiques et accélération de l’inflation. Les instituts de l’AIECE considèrent que la guerre en Ukraine aura un impact négatif sur la croissance de l’UE jusqu’à la fin 2022 (pour un peu moins de la moitié d’entre eux), voire jusqu’à la fin 2023 (un peu plus de la moitié). Les risques mentionnés à la hausse sont ceux d’une demande mondiale plus forte que prévue, associée avant tout à un arrêt plus rapide de la guerre en Ukraine et d’une demande intérieure plus soutenue dans l’UE ; ce ne sont pas les plus probables à ce jour.




Une élection allemande placée sous le signe de la transition écologique

par Céline Antonin

Alors que l’économie allemande a
mieux résisté que celle des pays européens voisins en 2020, avec une baisse du
PIB de « seulement » de 4,9% − contre 6,4 % en zone euro et
7,9 % en France −, elle semble repartir moins fort. Au deuxième
trimestre 2021, l’Allemagne affiche toujours un PIB inférieur de 3,3 % à
son niveau d’avant-crise, un chiffre quasi-identique à celui de son voisin
français (-3,2 %).



Dans ce contexte économique
toujours marqué du sceau de la pandémie, l’Allemagne s’apprête à écrire, le 26
septembre 2021, une nouvelle page de son histoire politique après les seize
années de mandat d’Angela Merkel. La CDU, parti de centre-droit, est au cœur de
la vie politique allemande depuis 1949 et totalise 50 années de participation
aux gouvernements de coalition. Demeurera-t-il le premier parti au sein du
Parlement ? Rien n’est plus incertain : Armin Laschet, successeur
d’Angela Merkel à la tête de la CDU, a certes réussi à s’imposer en avril 2021
comme candidat de la droite allemande contre le Ministre-Président de Bavière
Markus Söder, mais les divisions affichées par la droite ont fragilisé le
parti, comme en témoigne le fort recul dans les intentions de vote de la CDU/CSU.
Ainsi, au cours des six derniers mois, deux partis se sont disputés avec la
CDU/CSU la tête des sondages : les Verts emmenés par Annalena Baerbock et,
pour la première fois en 15 ans, le SPD. Ce dernier s’appuie sur la figure du
ministre des finances sortant de la coalition CDU-SPD, Olaf Scholz, qui
apparaît comme un centriste modéré, incarnant une forme de continuité par
rapport au gouvernement actuel. Être en tête des élections revêt une importance
considérable car le parti le plus important au Parlement brigue généralement la
chancellerie.

Les possibilités de coalition sont
nombreuses et les négociations s’annoncent complexes. Le scénario le plus
probable est la poursuite de la grande coalition (CDU/CSU et SPD), expérimentée
à trois reprises par Angela Merkel (2005-2009, 2013-2017 et 2018-2021). Cependant,
une configuration de « coalition jamaïcaine » (CDU/CSU, Verts et FDP)
est possible, de même qu’une « Ampelskoalition »
(SPD, Verts et FDP), voire une coalition plus à gauche dans laquelle le SPD
s’allierait avec, entre autres, le parti de gauche Die Linke.

Lorsque l’on examine les programmes
des trois principales formations politiques (voir tableau), un consensus fort se dégage autour de la transition
écologique, principal thème de la campagne. Sur les autres thèmes, en revanche,
on retrouve le clivage droite/gauche traditionnel. La CDU/CSU se fait le
chantre de la compétitivité des entreprises en plaidant pour une baisse de
l’impôt sur les sociétés et le plafonnement des coûts non salariaux, tandis que
le SPD et les Verts souhaitent l’augmentation du salaire minimum, instauré en
2015. Par ailleurs, la CDU/CSU défend une fiscalité inchangée sur les ménages,
tandis que le SPD et les Verts défendent l’idée d’une contribution accrue pour
les ménages les plus aisés avec le rétablissement de l’impôt sur la fortune et
un alourdissement de l’impôt sur le revenu pour les hauts revenus. Ce clivage
se retrouve sur la question de l’intégration européenne, notamment dans ses aspects
budgétaires.

Un
fort consensus autour de la transition écologique

Un large consensus semble émerger
au sein des principaux partis pour une politique de transition écologique
ambitieuse. Si l’orientation est claire, l’ampleur et la rapidité de la mise en
œuvre dépendront des partis qui formeront la prochaine coalition. Les trois
principaux partis ont confirmé leur engagement en faveur de la neutralité
carbone : la CDU/CSU et le SPD se fixent l’échéance de 2045, année cible indiquée
dans la loi sur la protection du climat votée par la coalition actuelle ;
quant aux Verts, ils se fixent l’objectif d’atteindre la neutralité carbone en
vingt ans. Le parti libéral (FDP) s’est quant à lui fixé une échéance plus
lointaine, en 2050.

Pour atteindre cet objectif, il
faut une profonde modification du mix énergétique actuel (graphique), qui repose en Allemagne à 78 % sur les énergies
fossiles – contre 48 % en France. La CDU/CSU et le SPD veulent la disparition
du charbon d’ici 2038 (2030 pour les Verts). Or, historiquement, l’Allemagne
avait privilégié les sources de production fossiles, en particulier le charbon
et le lignite qu’elle possède en abondance, ainsi que le gaz, essentiellement
importé. Malgré une baisse importante au cours de la dernière décennie, le charbon
représente encore 17,6 % de l’approvisionnement énergétique en 2019. Ayant
annoncé en 2011 son choix de sortir du nucléaire[1], elle ne peut donc que
compter sur l’essor des énergies renouvelables. C’est pourquoi les grands
partis souhaitent fortement augmenter leur part – actuellement autour de
15 % − dans le mix énergétique allemand. Le SPD souhaite que l’électricité
provienne entièrement d’énergies renouvelables d’ici 2040 : or seul un tiers de l’électricité
est actuellement produite à partir des énergies renouvelables[2].

La stratégie retenue pour atteindre
les objectifs environnementaux diffère néanmoins. Les Verts plaident pour une
politique d’État très volontariste et prévoient 50 milliards d’euros
d’investissement par an dédiés à la transition écologique. Les
chrétiens-démocrates et le FDP privilégient le soutien à l’innovation et s’en
remettent aux mécanismes de marché : ils souhaitent notamment étendre le
marché des quotas d’émissions qui renchérit le prix du CO2 afin de préserver la
compétitivité de l’industrie allemande.

Les
éléments de divergence : compétitivité des entreprises, salaire minimum et
fiscalité des ménages

Les clivages traditionnels
gauche/droite se retrouvent sur la question de la fiscalité des entreprises. La
CDU/CSU, ainsi que son traditionnel partenaire libéral, le FDP, prônent la
baisse du taux d’imposition des sociétés à 25 % au lieu de 30 %. La
CDU/CSU entend également plafonner à 40% de la masse salariale les coûts non salariaux (le coin
socio-fiscal), c’est-à-dire les prélèvements obligatoires et cotisations
sociales payées par les employeurs et salariés. Le parti conservateur souhaite
également supprimer la surtaxe de solidarité[3] (Solidartätszuschlag) pour
les entreprises, contrairement au SPD et aux Verts qui souhaitent son maintien.
Enfin, la CDU/CSU souhaite que le seuil de rémunération des minijobs, seuil qui permet l’accès à une
couverture sociale, soit relevé de 450 à 550 euros.

Alors
que les propositions de la CDU mettent l’accent sur l’allègement de la
fiscalité pour les entreprises dans une optique de compétitivité accrue, le SPD
et les Verts proposent de porter le salaire minimum à 12 euros de l’heure,
soit une augmentation de 15 % par rapport au niveau prévu en juillet 2022[4]. Pour rappel, en 2020, le
salaire minimum représente 51 %
du salaire brut médian pour les salariés à temps plein en Allemagne, contre 58
% au Royaume-Uni et 61 % en France (source : OCDE). Une augmentation du
salaire toucherait un nombre conséquent de salariés : d’après Schulten et
Putsch (2019), entre 9 et 11 millions de salariés − soit entre 27 % et
30 % des salariés allemands − gagnent un salaire horaire inférieur ou égal
au seuil de 12 euros[5].

Sur la question de la fiscalité des
ménages, la CDU/CSU défend une fiscalité inchangée sur les hauts revenus, tandis
que le SPD et les Verts défendent l’idée d’une contribution accrue pour les
ménages les plus aisés avec le rétablissement de l’impôt sur la fortune et souhaitent
une réforme de la progressivité de l’imposition sur le revenu. Les Verts se
prononcent à la fois pour un allègement pour les faibles revenus (via une
augmentation de l’abattement de base), et pour un alourdissement pour les
revenus du haut de la distribution. Ils plaident ainsi pour le relèvement du
taux marginal de 42 à 45 % à partir d’un revenu de 100 000 euros pour les
célibataires et de 200 000 euros pour les couples mariés, et le relèvement du
taux marginal de la tranche supérieure de 45% à 48% à partir de 250 000 euros
pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple marié – cette dernière
proposition étant partagée par le SPD.

La problématique du logement est également
prégnante : les trois partis proposent la construction d’un million à un
million et demi de logements. Le SPD et les Verts souhaitent introduire le
plafonnement des loyers tandis que la CDU souhaite favoriser l’accession à la
propriété.

La
question de l’intégration européenne et de l’investissement public

La
faiblesse de l’investissement public est un problème endémique en
Allemagne : le discours allemand demeure en effet très marqué par
l’importance de la vertu budgétaire qui bride les dépenses de l’État aux fins
d’investissement. Ainsi, la part de l’investissement public dans le PIB n’a
représenté que 2,3% en moyenne entre 1995 et 2020, contre 3,8% en France sur la
même période ; par ailleurs la formation nette de capital fixe du secteur
public a été négative pendant plusieurs années depuis 2004, c’est-à-dire que le
montant de l’amortissement a été supérieur au montant des nouveaux
investissements. Dans une étude conjointe de l’IMK et de l’IW[6], les besoins de
financement dans les infrastructures sont estimés à 450 milliards d’euros sur
les 10 prochaines années. La question de l’investissement public a refait
surface à l’occasion de la crise de la Covid-19. Dès juin 2020, l’Allemagne a
élaboré un plan de relance de grande envergure pour relever le pays de cette
crise à la fois sanitaire et économique. Sur les 130 milliards d’euros – 4
points de PIB – alloués à ce plan, 50 milliards étaient dédiés au volet d’investissement
destiné à s’attaquer aux transformations structurelles.

L’investissement
public est au cœur de la campagne des législatives : les Verts prévoient
500 milliards d’euros – soit 17 % du PIB – d’investissement public au
cours des dix prochaines années, le SPD évoque également un montant de 50
milliards d’euros par an, et la CDU ne donne pas de chiffrage précis. Les
objectifs sont relativement similaires, avec un accent mis sur la transition
écologique (hydrogène vert notamment), la numérisation, le domaine de la santé,
les infrastructures. Les financements ne sont pas toujours clairement définis.
En tout état de cause, cette attention portée à l’investissement public
implique des déficits plus élevés dans les prochaines années. Ces déficits seront
difficilement réconciliables avec le retour à la règle d’or de l’endettement – suspendue pour cause de Covid –
en 2023[7], sauf si l’investissement
est exclu du calcul du déficit, comme le demande le parti écologiste.

Cette
question de l’investissement public, commune à plusieurs pays européens, est liée
à la question de l’intégration européenne. Si l’Allemagne a, en 2020, accepté
le principe d’une mutualisation de la dette publique, c’est à la condition expresse
que ces sommes ne soient utilisées que pour de nouveaux investissements, et non
pour rembourser des dettes préexistantes. Ainsi, la crise de la Covid-19 a
entraîné un changement historique dans la position allemande vis-à-vis de
l’intégration budgétaire. Le vote du cadre financier pluriannuel pour la
période 2021-2027 et le fonds de relance européen « Next Generation
EU » (NGEU) ont mis fin au tabou de la non mutualisation de la dette publique
défendue par l’Allemagne. Ainsi, la Commission européenne a été chargée d’emprunter
elle-même des fonds sur les marchés financiers afin d’alimenter le budget de
relance – d’un volume financier total de 750 milliards d’euros maximum[8].

Pour
autant, il ne faut pas se méprendre sur cette volte-face et cette solidarité
budgétaire. Lors de sa déclaration gouvernementale du 18 juin 2020 au
Bundestag, Angela Merkel a réaffirmé sa position : « Le plan de relance de l’Europe fait explicitement référence à la
pandémie, son action est ciblée et il est limité dans le temps »

[9].
La chancelière a ainsi tenu à
souligner le caractère exceptionnel et la portée limitée du fonds de relance.

Sur la question de l’intégration fiscale et
politique de l’UE, le paysage politique allemand est toujours divisé en deux
camps. D’un côté le SPD, les Verts et la gauche prônent une intégration
européenne toujours plus poussée à travers la refonte des règles budgétaires
européennes existantes. De l’autre, la CDU/CSU et le FDP considèrent que
l’emprunt par émission d’obligations communes pour financer NGEU doit rester
exceptionnel et temporaire et que l’Union européenne ne devrait pas se
transformer en une union de la dette. Au contraire, le SPD souhaite une réforme
du Pacte de stabilité et de croissance en faveur de l’investissement public et une
véritable convergence fiscale. Les Verts souhaitent
quant à eux intégrer le fonds européen de reconstruction dans le budget de l’UE
et le pérenniser pour en faire un instrument d’investissement respectueux du
climat à l’avenir.

Pour conclure ce tour d’horizon, l’analyse des programmes illustre la proximité entre la CDU/CSU et les libéraux du FDP, et semble également montrer une convergence entre le SPD et les Verts, au moins en matière fiscale et d’intégration budgétaire. Cela étant, l’économie n’est qu’une dimension de l’élection. Les questions migratoires et de politique étrangère seront également un axe de clivage ou de rapprochement entre partis, notamment avec la question des relations avec la Russie et la Chine. Par conséquent, il est probable que la formation d’un gouvernement de coalition prendra du temps et que le 26 septembre, l’incertitude ne fera que commencer.


[1]
Neuf
mois après avoir annulé la sortie de l’Allemagne du nucléaire prévue par
l’ancien gouvernement de Gerhard Schröder (coalition SPD-Verts), Angela Merkel
annonce en 2011 le retrait définitif du nucléaire pour 2022 au plus tard,
contre l’avis de sa propre majorité.

[2]
Grâce à l’énergie nucléaire, 90 % de la production électrique en France
métropolitaine est « bas carbone » (reposant sur le nucléaire et les
énergies renouvelables) contre 47 % en Allemagne. Source : Eurostat,
série NRG_IND_PEH.

[3]
Créée à l’origine pour soutenir la reconstruction
économique dans les Länder de
l’ex-RDA, la surtaxe de solidarité est un supplément d’impôt ayant pour
assiette l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les plus-values et l’impôt sur les
sociétés, qui affiche un taux additionnel de 5,5 %. Cette surtaxe a été abolie,
depuis janvier 2021, pour 90 % des contribuables, mais reste en vigueur pour
les entreprises.

[4] Lors de son introduction en 2015, le
salaire minimum légal était de 8,50 euros bruts de l’heure. Il a
régulièrement été augmenté depuis, et atteint 9,60 euros depuis le 1er
juillet 2021. Au 1er janvier 2022, il passera à 9,82 euros et à
10,45 euros le 1er juillet 2022. Sur la question du salaire minimum
en Allemagne, on pourra utilement consulter O. Chagny & S. Le Bayon,
2020, « La loi sur le salaire minimum en Allemagne : un bilan
globalement positif, des enjeux d’application majeurs », La Revue de l’Ires, n° 100, pp. 103-143.

[5] T. Schulten & T. Pusch, 2019, « Mindestlohn von 12 Euro:
Auswirkungen und Perspektiven », Wirtschaftsdienst,
n° 99.

[6]
H. Bardt, S. Dullien, M. Hüther & K. Rietzler, 2019, « Für eine solide Finanzpolitik: Investitionen ermöglichen!  », IMK Report, IMK at the Hans Boeckler Foundation, n° 152-2019.

[7]
La règle d’or selon laquelle recettes
et dépenses doivent s’équilibrer est inscrite dans la loi fondamentale de la
République fédérale (art. 115). Elle est renforcée en 2009, par la loi Schuldenbremse (« frein à
l’endettement »), votée aussi bien par la CDU/CSU que par le SPD. Ce frein supplémentaire
à l’endettement impose des contraintes plus restrictives que les contraintes
européennes et interdit à l’État de s’endetter au-delà de 0,35 % de son PIB
chaque année. Il est inscrit dans la Constitution et demanderait une majorité
de trois cinquièmes au Parlement pour être modifié.

[8]
Le plan
d’investissement allemand est majoritairement financé par le creusement du
déficit public allemand ; il bénéficie toutefois du soutien apporté par le
plan de relance européen de nouvelle génération (NGEU) sous forme de
subventions à hauteur de 23,6 milliards d’euros d’ici à 2026, soit 3 % des
sommes allouées par le NGEU.

[9]
Voir P. Becker, 2021, « Changement
de cap de l’Allemagne en matière de politique européenne : un repositionnement
avec des limites », Allemagne
d’aujourd’hui
, vol. 236, n° 2, pp. 68-78.




Perspectives de rentrée pour l’économie française 2021-2022 : la vague de la reprise

Par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro, sous la direction de Eric Heyer et Xavier Timbeau [1]

L’économie française a connu l’année dernière un choc récessif sans précédent depuis l’après-guerre, enregistrant une perte d’activité de 8 points de PIB. Marqué par le calendrier des mesures prophylactiques depuis le début de la crise sanitaire, le PIB a connu des chutes et des rebonds de grande ampleur, notamment pendant le premier confinement et la période post-confinement du printemps-été 2020. Depuis le troisième trimestre 2020, l’économie fonctionne en sous-régime, avec des pertes particulièrement marquées dans certains secteurs (hôtellerie-restauration, services et fabrication de matériels de transports, services aux ménages), et oscille, depuis un an, à un niveau de PIB trimestriel compris entre – 4 % et – 3 %, par rapport à la période pré-Covid.  C’est bien supérieur aux -18 % du deuxième trimestre 2020, et même aux -6 % du premier trimestre 2020, qui pourtant ne comportaient que 15 jours de confinement. Cette chute de l’activité au premier semestre 2020 a été bien plus marquée que celle de la moyenne de la zone euro et a impacté très négativement l’année 2020. Ainsi, 50 % des pertes accumulées depuis un an et demi ont été réalisées lors du premier confinement qui aura duré 8 semaines.  



Depuis le troisième trimestre 2020, la France enregistre moins de pertes de PIB que la moyenne de la zone euro (hors France) (graphique 1). La gestion sanitaire et économique a largement évolué au cours du temps et le « quoi qu’il en coûte » s’est renforcé couvrant mieux les pertes des entreprises, notamment les charges liées aux coûts fixes. Au deuxième trimestre 2021, les pertes de PIB étaient identiques à celle du troisième trimestre 2020 alors même que les contraintes sanitaires étaient très différentes entre ces deux périodes. Rappelons que le deuxième trimestre 2021 a été marqué par quatre semaines de confinement et un couvre-feu jusqu’au 20 juin alors qu’à l’inverse, à l’été 2020, il y avait peu de restrictions sanitaires. L’économie française a su s’adapter aux contraintes sanitaires au cours du temps, limitant les pertes économiques malgré les mesures prophylactiques. Les pertes sont désormais très concentrées dans les secteurs liés au tourisme et ceux à forte interaction sociale. Ainsi, sur le cumul des six trimestres depuis le début de la crise, plus de 100 % des pertes d’excédent brut d’exploitation (EBE) du secteur marchand non financier étaient concentrées dans quatre branches : services de transport, fabrication de matériels de transport, construction et hôtellerie-restauration. Ces quatre branches ne représentent que 17 % de l’EBE du secteur marchand non financier.

Le « quoi qu’il en coûte » à la rescousse des bilans privés

Depuis le début de la crise, sur la période allant du premier trimestre 2020 au deuxième trimestre 2021, l’économie français a enregistré près de 180 milliards de pertes de revenu (Tableau 1). Plus de 90 % du choc global a été encaissé par les administrations publiques (APU), par le biais des stabilisateurs automatiques et la mise en place des mesures d’urgence et de relance, conduisant à une dégradation du déficit public moyen de 6,3 points de PIB sur la période (par rapport à 2019).

Du côté des ménages, leur RDB a augmenté de 45 milliards au cours des six trimestres (19 milliards si l’on retire les effets de l’inflation). Avec une consommation largement contrainte, les ménages ont accumulé 151 milliards d’ « épargne-Covid » sur la période, avec encore plus de 50 milliards sur le seul premier semestre 2021. Et selon les comptes de patrimoine financier de 2020, 70 % de cette « épargne-Covid » sont des supports liquides et rapidement mobilisables.

Malgré les dispositifs exceptionnels mis en place pour limiter les pertes économiques des agents privés, les entreprises (SNF-SF) ont encaissé une baisse de revenu de 55 milliards au cours des six derniers trimestres. En raison d’une baisse de l’investissement des entreprises de 4 % en moyenne sur la période, les nouveaux besoins de financement des entreprises ont été de 0,6 point de PIB, soit 20 milliards sur six trimestres.

Enfin, l’économie française enregistre un nouveau besoin de financement vis-à-vis du reste du monde de 2 points de PIB au cours des six trimestres, en raison de sa spécialisation sectorielle dans les matériels de transport et le tourisme, ainsi que de la baisse des revenus tirés du stock d’investissements directs à l’étranger détenus par les résidents.

La levée des contraintes sanitaires génère un vif rebond de l’économie

Les données de la première moitié de l’année 2021 confirment ce que l’on observe depuis le second semestre 2020, c’est-à-dire un découplage entre la consommation en « services contraints », qui regroupent l’hôtellerie-restauration, les services de transport et les services aux ménages, et le reste de la consommation. Avec la levée progressive des mesures prophylactiques depuis la fin juin, et malgré la mise en place d’un passe sanitaire cet été, la consommation des ménages serait, par rapport à la situation pré-Covid, à -2 % au deuxième trimestre 2021[2] (après – 7 % au cours des trois trimestres précédents), soit un niveau identique à celui du troisième trimestre 2020 (Graphique 2). Ainsi, l’essentiel des pertes de consommation sont attribuables aux services contraints qui ne représentent pourtant que 15 % de la consommation des ménages. Le rebond de la consommation au troisième trimestre 2021, tiré par celle en « services contraints » se poursuivrait en supposant un retour à la « normale » pour l’ensemble des secteurs au second semestre 2022, date à laquelle la consommation en services « contraints » retrouverait son niveau pré-Covid. La consommation des autres branches évoluerait sur une « tendance » proche de celle d’avant-crise. La consommation totale serait fin 2021, -0,4 % en-dessous de celle de fin 2019, et atteindrait +2,7 % fin 2022[3].

Il est utile de rappeler que les hypothèses sur la politique publique pour l’année 2022 sont réalisées avec l’information disponible au 16 septembre 2021. L’introduction des éléments du Projet de loi de finances sera réalisée pour la prévision d’octobre 2021.

Malgré le confinement du mois d’avril et le maintien d’un couvre-feu jusqu’en juin 2021, l’investissement total était au deuxième trimestre 2021 revenu à un niveau légèrement supérieur à celui d’avant-crise. Cela révèle le fait que les entreprises n’ont pas anticipé une chute durable de l’activité, considérant que cette crise, bien que très intense, n’était pas durable. L’enquête sur l’investissement dans l’industrie de septembre 2021, qui est très bien orientée, confirme ce sentiment. Cela révèle également que la situation financière des entreprises a été relativement préservée et n’ampute pas significativement leur capacité à investir. La reprise de l’investissement est particulièrement marquée dans l’investissement en information-communication : il était, au deuxième trimestre 2021, 7 % au-dessus de son niveau d’avant-crise, ce qui montre que les entreprises ont profité de cette crise pour accélérer leur transformation numérique et digitale. Cet effet pourrait avoir des conséquences positives sur la productivité du travail et la croissance potentielle.

Au-delà du deuxième trimestre 2021, l’investissement continuerait à augmenter mais à un rythme légèrement moins rapide que celui qu’on observe depuis l’été 2020. Tiré par la baisse des impôts sur la production et le volet investissement du Plan de relance, avec notamment la rénovation thermique des bâtiments et le numérique, l’investissement total serait 3 % au-dessus de son niveau pré-Covid au second semestre 2021 et 7 % au second semestre 2022.

La trajectoire de consommation des ménages et celle de l’investissement pour les trimestres à venir, à laquelle s’ajoute celle de la consommation des APU, tirée par les dépenses de santé, d’éducation et de sécurité, conduiraient à une croissance du PIB de 2,4 % au troisième trimestre 2021 puis une croissance comprise entre 0,7 % et 0,8 % les trimestres suivants. La croissance annuelle du PIB serait de 6,3 % en 2021 et de 4 % en 2022 (Tableau 3). La contribution cumulée du commerce extérieure et des variations de stocks serait nulle sur 2021 et 2022, après avoir contribué négativement de 1 point de PIB en 2020.  Un redressement plus rapide du secteur aéronautique et du tourisme international, notamment d’affaires, pourrait conduire à une contribution positive du commerce extérieur, scénario qui n’a pas été retenu dans notre prévision.

Une croissance sans désépargne

Ce scénario de croissance correspond à un retour progressif du taux d’épargne des ménages à son niveau d’avant-crise d’ici au second semestre 2022. Ainsi, les ménages disposeraient de 177 milliards d’euros d’« épargne-Covid » à la fin de l’année 2021 (et 200 milliards à la fin 2022), soit 11,5 points de RDB annuel (et 12,7 points de RDB annuel) (Graphique 3). Ce scénario dans lequel l’épargne accumulée est thésaurisée et n’est jamais désépargnée sous-tend que les ménages ont un comportement « ricardien » très fort dans lequel ils anticipent que leur « épargne-Covid », résultat de l’intervention publique pour maintenir les revenus dans la crise, serait totalement absorbée par des hausses d’impôts futurs ou des réductions de transferts publics afin d’éponger la dette Covid. C’est le scénario que nous avons retenu ici mais nous analyserons ultérieurement, dans une publication complémentaire, un scénario alternatif dans lequel les ménages désépargneraient 20 % de l’ « épargne-Covid » accumulée. Ce scénario alternatif, tout aussi probable, peut être envisagé pour un certain nombre d’arguments : une grande part de cette épargne est liquide et donc facilement mobilisable pour consommer, elle est « subie » et non « désirée »; les perspectives sanitaires et sur le marché du travail sont favorables, et le gouvernement n’a pas annoncé d’austérité budgétaire ou fiscale. Comme nous le verrons dans la prochaine publication, ce scénario de désépargne conduirait à des effets plus favorables sur la croissance, le marché du travail et les finances publiques mais aussi à une dynamique des salaires et des prix plus élevée.

Un retour sur PIB vers son long terme et la bonne tenue de l’investissement permettent de limiter les pertes sur les capacités de production potentielles

Fin 2021, le PIB serait proche de son niveau d’avant-crise (-0,2 %) et serait, fin 2022, 2,9 % au-dessus de celui-ci. En revanche, par rapport à son évolution tendancielle (+1,2 % / an et sans perte de PIB liée à la crise), le PIB accuserait encore un retard de 3,2 % fin 2021 et de 1,3 % fin 2022 (graphique 4). En revanche, dans le scénario avec 20 % de désépargne que nous étudierons ultérieurement, le PIB pourrait passer au-dessus de son niveau tendanciel, ce qui pourrait être à l’origine d’un regain d’inflation. Par ailleurs, la moindre accumulation de capital productif, privé et public, par rapport à un scénario d’évolution tendancielle de l’économie conduirait à réduire le PIB potentiel de moyen terme de 0,5 % fin 2021. En revanche, la hausse significative de l’investissement net de la consommation de capital fixe conduirait à une progression du stock de capital productif supérieure à celle de la trajectoire du PIB tendanciel en 2022. Ainsi les pertes sur le PIB potentiel de moyen terme se réduiraient et seraient ramenées à -0,3 % fin 2022.

Un déficit qui se réduit en 2022 mais qui reste largement au-dessus de celui d’avant-crise

Sur l’ensemble de la période 2020-2022, selon les informations disponibles au 16 septembre, les mesures d’urgence et de relance représenteraient un coût direct pour les finances publiques, hors prise en charge par le Fonds de relance européen, de 230 milliards d’euros (9,5 points de PIB), dont environ la moitié serait déployée sur l’année 2021 (4,7 points de PIB). Les principaux dispositifs sur la période 2020-22 concernent le soutien aux entreprises (3,5 points de PIB) (Fonds de solidarité, exonérations de cotisations sociales, dispositif de renforcement des fonds propres, baisse durable des impôts sur la production…), les mesures pour soutenir l’emploi (2,2 points de PIB) (Activité partielle, Plan 1 jeune 1 Emploi…) et des mesures exceptionnelles liées à la santé (1,8 points de PIB) (Urgence sanitaire, Ségur de la Santé). Enfin, une part significative du plan de relance est orientée vers l’investissement dans les infrastructures publiques (0,6 points de PIB) (rénovation thermique, numérique…) et l’aide aux ménages modestes (0,6 points de PIB).

En 2021, malgré une croissance que nous prévoyons de 6,3 %, le PIB serait encore en-dessous de la trajectoire du PIB tendanciel pré-Covid-19, dégradant le déficit public conjoncturel de 1,4 point de PIB. Si l’on inclut le coût budgétaire attendu des mesures d’urgence et de relance (4,7 points de PIB), et les effets des mesures prises hors plan de relance (baisse d’IS et de la taxe d’habitation, Ségur de la Santé, revalorisation des salaires des enseignants, Beauvau de la Sécurité…), le déficit public s’établirait à 8,5 % du PIB en 2021. Une partie des dépenses du Plan de relance français doivent être prises en charge par des transferts issus du Plan de relance européen, pour un montant prévu de 0,7 point de PIB (le déficit public, hors financement européen, serait donc de 9,2 % du PIB). La dette publique passerait de 115 %  du PIB en 2020 à 116 % du PIB en 2021 (Tableau 4).

En 2022, avec une croissance attendue à 4 % et des mesures issues du Plan de relance représentant 1,5 point de PIB, le déficit public se réduirait à 4,9% du PIB et la dette publique baisserait à 115 % du PIB. Nous supposons en 2022 une prise en charge équivalente à celle de 2021 du Plan de relance français par les fonds européens, soit 0,7 point de PIB. En revanche, la trajectoire prévue des finances publiques n’intègre pas certaines nouvelles mesures qui auraient un impact significatif sur les comptes publics dès 2022, telles que le Plan d’investissement (entre 20 et 30 milliards sur 5 ans) et le Revenu d’engagement pour les jeunes (entre 1,5 et 2 milliards).

À l’inverse, il est important de noter que la dette brute des APU a davantage augmenté que le déficit public en 2020, en raison de l’accumulation de numéraire et dépôts à l’actif financier des APU pour faire face aux risques et incertitudes liés à la crise (provisions pour risques de défaut sur le PGE, recapitalisations potentielles, prêts…). Cet écart entre déficit et variation de dette représente 75 milliards d’euros (3,1 points de PIB). Dans les années à venir, dans un scénario de stabilisation de l’économie sans défauts massifs, les montants à l’actif des APU devraient être réduits , ce qui devrait diminuer d’autant la dette brute, hypothèse dont nous ne tenons pas compte dans la prévision actuelle.


[1] Cette prévision est réalisée sur la base des informations connues au 16 septembre 2021, avant la publication du Projet de loi de finances pour 2022. En fonction des nouvelles informations budgétaires à venir et de l’évolution de l’environnement économique, cette prévision pourrait être amenée à être révisée d’ici à la mi-octobre, et sera complétée par des nouvelles analyses.

[2] Nous avons calibré à très court terme (de juillet à septembre 2021) la consommation des ménages par branche sur les informations conjoncturelles fournies par l’Insee dans son Point de conjoncture du 7 septembre 2021 : « L’économie passe la quatrième vague ».

[3]  Elle serait donc encore fin 2022 à 1 % en-dessous de son niveau tendanciel si l’on suppose que celle-ci avait évolué comme la croissance du PIB tendanciel d’avant-crise.






Le niveau du PIB est plus important que son taux de croissance

par Éric Heyer

Le 27 janvier 2021, auditionné
par la Commission des finances du Sénat, le ministre de l’Économie et des
Finances, Bruno Le Maire, a indiqué que le scénario d’une croissance à 6 % en
2021, hypothèse retenue pour le budget 2021, « n’est plus le plus
probable » et qu’« il s’éloigne à mesure que la situation sanitaire reste
préoccupante ».

Si envisager une révision à la
baisse de la croissance constitue une mauvaise nouvelle en soi, il convient
toutefois de la relativiser.



Pour interpréter correctement les
conséquences d’une éventuelle révision à la baisse de la croissance en 2021, il
convient :

  • de rappeler la définition de la
    croissance : il s’agit de l’évolution en pourcentage du PIB en euros
    constants anticipée en 2021 par rapport à son niveau observé en 2020. Cette
    croissance est calculée en moyenne sur l’ensemble de l’année ;
  • d’indiquer que c’est le niveau du PIB, et non
    son taux de croissance, qui est déterminant pour évaluer notamment les recettes
    des administrations publiques ou estimer le besoin de main-d’œuvre des
    entreprises et par là prévoir le niveau du solde public ou du chômage ;
  • de démarrer par l’analyse du dénominateur, à
    savoir le niveau du PIB en 2020, et de le comparer notamment avec celui anticipé
    lors de l’élaboration du budget 2021 (PLFR IV).

En 2020, la récession
a été moins forte qu’anticipée par le gouvernement

De cette analyse, il ressort sans
conteste une bonne nouvelle qui trouve son origine dans la surprenante
résilience dont a fait preuve l’économie française en fin d’année 2020,
notamment au cours du second confinement du mois de novembre. Rappelons les
faits : lors du
quatrième et dernier Projet de loi de finances rectificative pour 2020 (PLFR IV)

présenté le 4 novembre 2020, le gouvernement avait abaissé sa prévision
d’évolution du PIB de -10 % à -11 % pour 2020. Cette révision à la baisse était
motivée par l’anticipation d’une incidence significative sur l’activité du second
confinement décidé par le gouvernement à partir du 30 octobre 2020. Pour le quatrième
trimestre 2020, ce dernier prévoyait une chute du PIB de près de 15 %. Or, la
chute finalement enregistrée par la comptabilité nationale pour ce trimestre
n’a été que de 1,3 %. Sur l’ensemble de l’année 2020, la récession a été de
8,3%, moins forte que celle prévue dans le PLFR IV (11%) (graphique 1). 

Une croissance de 6% en
2021 est plus facile et crée plus de valeur qu’au moment du PLFR IV  

Si cela est bien entendu une bonne nouvelle pour l’activité en 2020 − plus de 50 milliards d’euros de PIB supplémentaires par rapport au PLFR IV −, elle en constitue une également pour l’année 2021. En terminant mieux l’année 2020 que prévu, cela a mécaniquement relevé l’acquis de croissance pour 2021, à savoir le taux de croissance du PIB en 2021 qui serait obtenu en stabilisant le PIB au cours de des quatre trimestres à venir au niveau du dernier trimestre 2020.  Alors que celui-ci était anticipé à -3% lors du PLFR IV, il est en fait positif et s’élève à 3,6 %. Les conséquences pour 2021 de cette amélioration significative de l’acquis de croissance s’observent dans le graphique 1 : partant des hypothèses du PLFR IV, une croissance de 6 % en 2021 nécessitait une forte reprise de l’activité tout au long de l’année : le glissement annuel fin 2021, illustré par la pente de la courbe rouge du graphique 1, aurait alors dû être de près de 13 %. Notons au passage que dans de telles conditions, fin 2021, soit deux ans après le début de la crise sanitaire, le gouvernement prévoyait que l’activité se situerait encore 2 % en dessous de son niveau d’avant-crise. Atteindre aujourd’hui cette même situation en fin d’année requiert un moindre rebond, de l’ordre de 3 % en glissement annuel (pente de la courbe bleue).  Par ailleurs, partant d’un dénominateur plus élevé (le PIB de 2020), avec 6% de croissance, le PIB de 2021 s’établirait à 2 254 milliards d’euros, soit près de 57 milliards d’euros de plus qu’envisagé lors du Budget 2021 avec le même taux de croissance (tableau 1).

Mais la situation sanitaire reste
préoccupante et pourrait déboucher sur de nouvelles restrictions en France, ce
qui explique la probable révision à la baisse à laquelle fait référence le
Ministre de l’Économie. Ces dernières pèseront nécessairement sur
l’économie française, notamment au cours du premier semestre, éloignant la
croissance de 2021 des 6 % prévus lors du PLFR IV.

Sans préjuger de l’incidence de
telles mesures prophylactiques sur l’activité ni de la rapidité et de
l’efficacité de la campagne de vaccination en France qui permettraient de les
lever complètement, il apparaît toutefois intéressant de commenter différents
scénarios pour 2021.

Quand 3 % créent
autant de valeur que les 6 % prévus dans le PLFR IV

Le premier scénario (en orange
dans le graphique 2) est celui d’un durcissement significatif des mesures
sanitaires à partir de mars qui se lèveraient progressivement à partir du mois
de juillet 2021. Ce scénario est calibré de manière à retrouver non seulement
une situation économique en décembre identique à celle envisagée lors du PLFR
IV (-2% par rapport à la situation pré-Covid) mais également un même niveau de
PIB sur l’ensemble de l’année 2021 (2 197 milliards d’euros à prix constants).
Ce scénario correspond à un taux de croissance du PIB de 3 % en 2021. Par
conséquent, compte tenu de la meilleure tenue que prévue de l’activité en fin
d’année 2020, une croissance deux fois inférieure à celle prévue dans le Budget
2021, peut aboutir à une création de valeur identique en 2021 (et donc à des
conditions proches pour les finances publiques) ainsi qu’à un état de
l’économie en fin d’année équivalent (et donc un acquis de croissance pour 2022
analogue) (tableau 1).

Dans ce scénario (orange), comme
dans celui figurant dans le PLFR IV (rouge), fin 2021, le PIB se situerait 2 %
en dessous de son niveau d’avant-crise et 4,5 % en-dessous du niveau qu’il
aurait dû atteindre hors crise de la Covid-19.

Le second scénario (en vert dans
le graphique 2) illustre un rebond plus fort au cours du second semestre
2021 que celui décrit dans le premier (orange) : en calibrant celui-ci de
manière à retrouver fin 2021 le niveau de production prévu hors crise de la
Covid-19, on aboutit à un taux de croissance de 4,0 % en moyenne annuelle en
2021 ; malgré un taux de croissance revu également à la baisse, la
situation économique serait cette fois-ci meilleure qu’anticipée lors du PLFR
IV, avec 20 milliards d’euros de PIB supplémentaires et un acquis de croissance
pour 2022 supérieur de 2 points de PIB (tableau 1).

Parce que cette crise est d’une
ampleur et d’une nature inédites et compte tenu du fait que le second
confinement de fin d’année 2020 a moins pesé que prévu sur l’activité,
l’interprétation de la probable révision de la prévision de croissance pour
2021 ne sera pas aussi évidente qu’elle n’y paraîtra au premier abord.

Il sera notamment important de
continuer à analyser les prévisions de croissance du gouvernement non pas
uniquement en variation par rapport à l’année précédente comme à l’accoutumé
mais en niveau du PIB par rapport à celui d’avant-crise ou à celui qu’il aurait
dû atteindre hors crise de la Covid-19 (tableau 1).




Des pertes d’activité durables jusqu’à 2022 selon le panel de l’OFCN

par Pierre Madec et Hervé Péléraux

L’Observatoire
Français des Comptes Nationaux (OFCN)[1],
dont la session 2020 s’est déroulée le 26 novembre dernier, s’est tenue cette
année dans un contexte conjoncturel inédit, celui de la crise de la Covid-19,
et a fait l’objet d’une analyse détaillée[2].
Marquée par la mise en place d’un confinement strict au printemps, puis d’un
allègement des restrictions à l’été avant l’apparition d’une deuxième vague épidémique
à l’automne qui a incité les autorités à durcir à nouveau les limitations (notamment
de déplacement) au quatrième trimestre, l’activité durant l’année 2020 a été
extrêmement heurtée.



Cette situation
a accru considérablement la volatilité de l’activité : le PIB s’est
effondré au deuxième trimestre pour rebondir spectaculairement au troisième. Cette
volatilité, dont les déterminants n’avaient pas disparu, s’est logiquement
transmise aux prévisions émises par le panel pour 2020, 2021 et 2022.

Les prévisions
pour l’année en cours sont en général assez consensuelles car l’information
disponible au moment où elles sont élaborées (à l’automne) est suffisante pour
ôter une grande partie de l’incertitude à l’exercice. Cette fois, les
prévisions pour l’année en cours divergeaient sensiblement car le chiffrage de
la croissance sur l’ensemble de l’année 2020 dépendait de la prévision émise
pour le quatrième trimestre. En pleine recrudescence de l’épidémie et en
période de reconfinement à partir du 30 octobre, cette prévision est apparue implicitement
comme une source de divergence au sein du panel. Deux points de pourcentage
séparaient ainsi l’institut le plus optimiste et le plus pessimiste,
élargissant l’éventail des prévisions de croissance en moyenne annuelle pour
2020 de -9 à -11 %.

Les
perspectives affichées pour 2021 et 2022 étaient tout aussi peu consensuelles. Les
inconnues sont en effet nombreuses. Elles portent sur la capacité de rebond de
la demande envisagée par les instituts, et notamment sur le processus de
dégonflement de l’épargne accumulée par les ménages en 2020, mais aussi sur la
capacité de l’offre à y faire face selon qu’elle aura subi des dommages plus ou
moins importants du fait de l’arrêt plus ou moins strict des activités au cours
de l’année. Signe de ces difficultés à construire des prévisions au temps de la
Covid-19, les taux de réponse des instituts aux différentes variables
macroéconomiques étaient plus faibles qu’à l’accoutumée, en particulier le RDB
et le taux d’épargne des ménages ou les composantes de l’investissement.

Si les
prévisions sont peu consensuelles quant à leur chiffrage, quasiment tous les
instituts s’accordaient sur la persistance de pertes d’activité par rapport à
la situation d’avant-crise, même encore à l’horizon 2022. En prenant pour point
de référence le niveau du PIB de 2019, les instituts n’anticipaient pas en
moyenne un retour à la situation d’avant-crise, l’écart du PIB à son niveau de
2019 restant négatif de 1 % à l’horizon 2022 (lignes bleutées sur le graphique).
Comme pour la prévision du taux de croissance du PIB, les écarts-type étaient
importants et l’écart entre les prévisions extrêmes spectaculaire en 2022, avec
l’institut le plus pessimiste qui voyait le PIB inférieur à son niveau de 2019
de 2,6 % et le plus optimiste qui anticipait un écart, cette fois positif, de
0,4 %.

L’estimation de ces écarts par rapport au niveau de 2019 suppose toutefois que le PIB soit resté stable à l’horizon des prévisions. Or, en l’absence de pandémie, le PIB aurait continué à croître. L’évaluation plus précise du « coût de la crise » devrait donc inclure cette trajectoire de croissance et non pas seulement la stabilité depuis le point fixe de l’année 2019. Chaque institut est ainsi comparé à sa prévision pour les années 2020 et 2021 élaborée à l’automne 2019. Ici, les pertes d’activité selon la moyenne des instituts s’élèveraient à -7,1 % en 2021, soit 2,6 points de moins que l’écart évalué par rapport à 2019 (-4,5 points), avec à nouveau des divergences notables entre les plus optimistes et les moins optimistes. Ces constats tissent donc la toile de fond, inquiétante, de pertes d’activité persistantes de l’économie française.


[1] Seize instituts ont contribué au panel de l’OFCN : la
Banque de France, le ministère de l’Économie et des finances, l’INSEE, la Commission
européenne, l’OCDE, le FMI, l’OFCE, Rexecode, BNP Paribas, Citigroup, le Crédit
agricole, Exane, ING, Pair Conseil, HSBC et Natixis.

[2]
Voir Madec P. et Péléraux H, « L’économie
française en 2020-2022 selon le panel des prévisionnistes de l’OFCN
 »,
OFCE
Policy Brief
, n°84, 29 janvier 2021.




Chine : la course en tête…

par Catherine Mathieu

Le
23 janvier 2020, le gouvernement chinois décidait de confiner la ville de Wuhan
(11 millions d’habitants), où était apparu le premier foyer du coronavirus. Afin
d’endiguer la progression de l’épidémie, des mesures de restriction drastique
des déplacements étaient mises en place dans la foulée, d’abord dans la
province de Hubei puis au-delà (confinement des villes de la province de Hubei,
interdiction des déplacements interurbains, prolongation de la fermeture des
usines à la fin des vacances du nouvel an chinois, fermeture des frontières
extérieures puis quarantaine stricte pour les Chinois rentrant de l’étranger).



Un
an plus tard, la Chine présente un bilan singulier par rapport au reste du
monde sur le plan sanitaire comme sur le plan économique. Les mesures
sanitaires prises en Chine semblent avoir permis de stopper la progression du
virus sur le sol chinois. En un an, le coronavirus n’aurait causé qu’à peine
plus de 4 800 décès en Chine (soit 35 décès pour 1 million d’habitants) contre
plus de 2 millions dans le monde (340 décès pour 1 million d’habitants, pour la
population mondiale hors Chine, selon les statistiques officielles répertoriées
par l’Université John Hopkins). Si les chiffres des victimes de la COVID-19 publiés
par la Chine sont étonnamment bas, les indicateurs économiques suggèrent
eux-aussi que la Chine a été moins fortement atteinte que la plupart des autres
économies.

Première
touchée par la pandémie, l’économie chinoise est la première à en être sortie
dès le deuxième trimestre[1]. La
Chine sera non seulement la seule grande économie mondiale à afficher une
croissance positive en 2020, +2,3 % en moyenne annuelle, selon l’estimation
publiée par l’Institut de statistique chinois (National Bureau of Statistics of China, NBS) le 18 janvier 2021,
mais aussi la seule à avoir déjà rattrapé au quatrième trimestre 2020 le niveau
d’activité qu’elle aurait eu en l’absence du coronavirus, par rapport à nos
prévisions d’octobre 2019 (comme à celles du FMI de janvier 2020). Le rebond de
l’économie chinoise est même un plus rapide que ce que nous, comme la plupart
des analystes, prévoyions à l’automne dernier. Les indicateurs conjoncturels
publiés au cours des derniers jours, montrent tous un redémarrage rapide de l’économie
chinoise en 2020.  

Malgré
la crise sanitaire, la Chine a poursuivi une politique commerciale active dans
les cinq continents qui devrait lui permettre de compenser les mesures prises
par le gouvernement américain. La Chine continue de faire la course en tête.

2020 : après une forte chute du
PIB, un rattrapage rapide

La
Chine est le premier des grands pays à avoir publié une estimation du PIB au
quatrième trimestre 2020[2]. Parmi
les scénarios que nous avions envisagés depuis l’arrivée du coronavirus, c’est celui
d’un rattrapage rapide qui s’est réalisé.  Après avoir chuté de 9,7 % au premier
trimestre 2020, le PIB a rebondi de 11,6 % au deuxième trimestre, puis de 3 % au
troisième trimestre et de 2,6 % au quatrième, portant la croissance à 2,3
% en moyenne sur un an (contre 6 % en 2019). Le PIB chinois a ainsi rattrapé
dès le quatrième trimestre 2020 le niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise
COVID-19 (graphique 1) si la croissance s’était poursuivie en 2020 au rythme de
6 % que nous anticipions dans notre prévision d’octobre 2019.  

La
publication du PIB au quatrième trimestre 2020 comprend des révisions pour les
trimestres précédents, qui relèvent légèrement le niveau du PIB du troisième
trimestre, rapport à l’estimation dont nous disposions lors de notre prévision
d’automne 2020[3].
Mais la dynamique de reprise a été plus soutenue au second semestre que ce que
nous anticipions, avec une croissance annuelle prévue à 1,6 % en 2020, au lieu
de 2,3% publiés par le NBS. Le NBS ne publiant pas les composantes
trimestrielles de la demande associées au chiffre du PIB, on ne peut
précisément savoir quelles composantes ont tiré la demande.  Mais au vu des indicateurs mensuels
disponibles (cf. infra), ce sont sans doute les exportations qui auront été
particulièrement dynamiques au quatrième trimestre, et que nous aurions
sous-estimées, tandis que les importations auraient relativement peu progressé,
au regard des autres composantes de la demande intérieure.

Au quatrième trimestre 2020, dans la plupart des secteurs, la valeur ajoutée était en hausse d’environ 6,5 % en glissement sur un an, comme le PIB lui-même, avec trois exceptions majeures (graphique 2). La valeur ajoutée a fortement progressé dans le secteur des services d’information et de télécommunications (près de 20 % de hausse sur un an) ; à l’opposé, celle du secteur hébergement-restauration était en hausse de 2,7 % seulement sur un an (-13 % en moyenne annuelle), secteur particulièrement frappé par les mesures de confinement en début d’année, mais qui ne représente que 1,8 % de la valeur ajoutée ; enfin la valeur ajoutée était en hausse de 2,2 % sur un an dans le secteur de location, leasing et services aux entreprises (-5,3 % en moyenne annuelle).

Indicateurs mensuels d’activité :
reprise généralisée

Après
avoir chuté de 25 % sur les deux premiers mois de 2020, la production
industrielle avait retrouvé son niveau de décembre 2019 dès le mois de mai et
était 7 % plus élevée en décembre 2020 qu’un an plus tôt (graphique 2).
Quelques secteurs se distinguaient par une hausse nettement plus élevée : production
de médicaments (+16%), production de biens d’équipement (entre 10 et 15 %).

L’investissement
des entreprises avait chuté de plus de 26 % sur les deux premiers mois de
l’année, surtout du fait d’effets d’offre (fermeture des entreprises produisant
des biens d’équipement). L’investissement a redémarré plus
tardivement que la production industrielle, du fait des incertitudes sur la
demande, mais il était, en décembre 2020, 3 %
au-dessus de son niveau de décembre 2019. Sur l’ensemble de l’année, c’est,
comme pour la production, dans le secteur des médicaments que l’investissement
a connu la plus forte hausse (+28 % sur un an). À l’opposé, l’investissement a
baissé de 12 % dans le secteur automobile.

Les
ventes de détail des biens de consommation avaient moins
nettement chuté que la production industrielle et l’investissement au début de
2020 (-11 % sur un mois en janvier), amortissant la chute de la demande. Elles
se sont redressées chaque mois ensuite dépassant de 3 % en décembre 2020 leur
niveau de décembre 2019. Le taux de chômage officiel
(qui sous-estime le niveau du chômage) était de 5,2% en décembre 2019 ; il est
monté à 6,2% en février 2020 pour revenir à 5,2% en décembre. En moyenne sur
l’année 2020, le revenu par tête des ménages a progressé de 2,1 % en volume,
tandis que la consommation par tête était en baisse de 0,7 %, la hausse du taux
d’épargne s’expliquant par les contraintes sur les déplacements et les achats,
particulièrement en début d’année, ainsi que par les incertitudes sur l’avenir.

Selon
les données du CPB World Monitor, les
exportations et les importations de marchandises (en volume), en chute
respectivement de 15 % et 10 % sur les deux premiers mois de 2020, ont ensuite recommencé
à croître et seraient revenues à leur niveau de la fin 2019 à partir de l’été.
Selon les dernières données publiées par les douanes chinoises (en valeur), la
hausse des exportations de marchandises s’est accélérée en fin d’année, pour
atteindre +20 % sur an en décembre, tandis que les importations étaient en
hausse de 6 %.  Les exportateurs chinois
ont bénéficié d’une demande extérieure dynamique dans certains secteurs
spécifiques, liés à la crise du coronavirus, notamment les biens d’équipement informatique
et les équipements médical. Ils ont aussi bénéficié de leur capacité à répondre
à la demande quand ailleurs les entreprises subissaient des contraintes
d’offre.

Ainsi,
la force de la reprise en Chine s’explique essentiellement par la maîtrise de
la pandémie, puis par la capacité de rebond et d’adaptation de ses entreprises.

Janvier 2021 :  le
risque du retour

Alors
que le scénario d’une reprise en V est enclenché en Chine, sa poursuite
pourrait être fragilisée par le retour de l’épidémie de coronavirus. La découverte
de nouveaux cas de coronavirus en janvier 2021, dans la province de Hebei, au
sud de Pékin ; plus au nord dans les provinces de Jilin et de Heilongjiang, et dernièrement à Pékin même, ont conduit les
autorités chinoises à confiner au total une vingtaine de millions de personnes
et à des campagnes de dépistage massif. Les autorités chinoises déclarent depuis
la mi-janvier une centaine de nouveaux cas chaque jour. À l’approche du nouvel
an chinois, qui débutera cette année le 12 février, les autorités incitent les
habitants à limiter leurs déplacements, traditionnellement nombreux lors des
congés du nouvel an (notamment avec le retour des travailleurs migrants dans
leurs familles).

Deux
vaccins ont été élaborés en Chine : Sinopharm et CoronaVac (produit par
l’entreprise Sinovac), mais leur efficacité semble moindre que celles des
vaccins occidentaux, sachant que, dans le cas des vaccins chinois, on ne
dispose que de résultats parcellaires publiés par les fabricants et d’aucune
publication de résultats d’essais de phase 3. L’efficacité serait de 79 %, pour
Sinopharm ; pour CoronaVac, de 90 % pour les essais réalisés en Turquie, mais de
seulement 50 % pour les essais réalisés au Brésil ; contre 95 % pour
Pfizer-BioNtech et 94 % pour Moderna.

La
Chine se lance maintenant dans une campagne de vaccination de masse en
commençant par les actifs en contact avec le public. Au 27 janvier, 1,6 % de la
population avaient été vaccinés (soit 22,8 millions de personnes). On peut
s’étonner de ce démarrage tardif de la vaccination en Chine, mais il faut
rappeler qu’en Chine (comme dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est), dès le
début on s’est appuyé sur une stratégie forte « Tester, Tracer,
Isoler » qui a bien fonctionné en raison de la discipline et du contrôle
social de la population.

…tandis
que l’offensive commerciale se poursuit

La
hausse des exportations chinoises en 2020, plus rapide que celle des
importations, a conduit l’excédent commercial à passer de 420 milliards de
dollars en 2019 (3 % du PIB) à 535 milliards en 2020 (3,6%).

L’arrivée de Joe Biden à la Présidence des États-Unis devrait contribuer à civiliser les relations entre la Chine et les États-Unis, mais elle ne fera pas disparaître les tensions. Le 14 février 2020, la Chine s’était engagée, en signant l’accord commercial « Phase one » avec les États-Unis, à augmenter substantiellement ses importations de produits américains d’ici 2021. Elle n’aurait rempli son engagement qu’à hauteur de 58 % à la fin 2020[4]. En 2020, l’excédent commercial chinois vis-à-vis des États-Unis, qui s’était fortement réduit en début d’année, a recommencé à croître pour retrouver un montant mensuel de 30 milliards de dollars en fin d’année (graphique 4). Certes, la pandémie de Covid-19 a fait des enjeux sanitaires une priorité, mais la question du rééquilibrage des échanges commerciaux de la Chine vis-à-vis des États-Unis se posera de nouveau lors de jours meilleurs.

La crise sanitaire a fait prendre conscience à de nombreux
pays des risques de trop dépendre de la production chinoise. Certains
voudraient retrouver une certaine autonomie économique. Face à ce risque pour
leurs exportations, les leaders chinois, et en particulier Xi Jinping au Davos virtuel de 2021, se font les
partisans résolus de la mondialisation et de l’interdépendance entre les
nations.

En novembre 2020, la Chine a signé le Partenariat
régional économique global (Regional Comprehensive Economic
Partnership,
RCEP)
avec quatorze pays de la zone Asie-Pacifique (les 10 pays de l’ASEAN, ainsi que
le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), soit le plus
grand accord de libre-échange au monde, alors qu’en janvier 2017, Donald Trump
avait retiré les États-Unis du Partenariat Transpacifique,
dont la Chine était par ailleurs exclue.

Malgré
les tensions résultant du traitement des Ouïghours, la Chine a réussi à
négocier un accord d’investissement avec l’UE : elle s’engage à réduire
ses exigences de contreparties pour les investissements européens en Chine
contre des garanties d’ouverture des marchés européens.

Elle
poursuit son offensive en Europe, en particulier en intensifiant ses liens avec
la Hongrie (point d’arrivée de deux futures lignes ferroviaires reliant la
Chine à l’Europe dans le cadre du projet de la nouvelle route de la soie).

La Chine participe à la « diplomatie du vaccin ». Ainsi, a-t-elle proposé ses vaccins à plusieurs pays émergents, parmi lesquels les Émirats arabes unis, la Serbie, le Maroc (pour Sinopharm), la Turquie, le Brésil (pour CoronaVac).

Le
plan quinquennal 2021-2027, qui sera présenté en mars, reprend les grandes
lignes qui ont déjà été annoncées, l’objectif de lutte contre la pauvreté, celui
de l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la production nationale.
Il affirme la volonté de la Chine de contribuer à la reprise de l’économie
mondiale. Surtout, il met l’accent sur la « double circulation »,
visant un rééquilibrage de la croissance via
la demande intérieure ; la Chine doit à la fois développer ses exportations,
améliorer la qualité des produits destinés au marché chinois et s’ouvrir aux
importations. Le thème de l’innovation technologique, central dans le programme
Made in China 2025, semble passer au
second plan, même s’il est toujours question d’autosuffisance technologique.

L’année
2020 apparaît donc comme une nouvelle étape dans la montée en puissance de la
Chine sur la scène économique mondiale.


[1] Mathieu
C. : Premier entré, premier sorti : le retour de la
croissance en Chine au deuxième trimestre
, OFCE Le Blog, 21 juillet 2020.

[2]
Pour une comparaison internationale allant
jusqu’au troisième trimestre 2020, voir Le Bayon S. et Péléraux H., Croissance mondiale confinée en 2020, Policy
Brief OFCE
, janvier 2021). 

[3] Voir OFCE – DAP, Perspectives 2020-2021 pour l’économie
mondiale , Tour
du monde de la situation conjoncturelle
, Revue de l’OFCE, n° 168, octobre
2020.

[4] Voir Bown C. : US-China phase one tracker: China’s
purchases of US goods
as of December 2020, 27 janvier 2021.