Budget britannique : du soutien à l’austérité

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par Hervé Péléraux

Alors que les derniers comptes nationaux publiés le 22 décembre 2022 font état d’un recul du PIB de 0,3% au troisième trimestre 2022, succédant à une progression de 0,1 % au trimestre précédent, l’inquiétude grandit sur l’éventualité d’une entrée en récession de l’économie britannique. Dans un contexte inflationniste exacerbé depuis le début de 2021, en particulier du fait de la hausse des prix de l’énergie, les gouvernements successifs, Johnson, Truss puis Sunak, ont instauré des mesures de soutien à l’économie en vue d’amortir le choc de pouvoir d’achat et tempérer son impact négatif sur l’activité.

Le 17 novembre dernier, le gouvernement Sunak, entré en fonction le 24 octobre, a présenté un budget qui tranche singulièrement avec les intentions de son prédécesseur, conduit par Liz Truss, démissionnaire après seulement 44 jours de mandat. En effet, l’annonce par l’ancien gouvernement de la mise en place, d’un côté, d’un vaste plan budgétaire de soutien aux ménages et aux entreprises face à la crise énergétique et, de l’autre, de baisse de la fiscalité sur un horizon de cinq ans a laissé dubitatif sur sa viabilité en l’absence de financement et a affolé les marchés.

Pour le moyen terme, le budget présenté par le ministre des Finances britannique, Jeremy Hunt, prend le contrepied de la ligne promue par l’ancien gouvernement et table au contraire sur la rigueur pour prolonger l’effort d’assainissement budgétaire après le choc de la Covid-19 et garantir la maîtrise des finances publiques à cinq ans dans un contexte de hausse des taux d’intérêt. Le gouvernement est toutefois pris en tenaille face à des objectifs contradictoires, entre le soutien aux ménages et aux entreprises à court terme pour atténuer les effets du choc inflationniste et la volonté de garantir la stabilité des finances publiques à moyen terme. Le plan annoncé le 17 novembre se décompose ainsi en trois parties.

L’État pare-chocs contre l’inflation

Un premier train de mesures est mis en œuvre à court terme pour soutenir les ménages confrontés à la hausse des prix, notamment énergétiques. Le dispositif élaboré par le précédent gouvernement pour cet hiver, à savoir le plafonnement des prix du gaz et de l’électricité, est reconduit. Ainsi, pendant l’hiver 2022/2023, les ménages verront en moyenne leur facture d’énergie limitée à 2 500 livres par an, ce qui représente une économie de 900 livres prise en charge par les finances publiques pour un coût global de 24,8 milliards de livres. Ce coût reste bien sûr incertain car il dépend du prix de l’énergie sur les marchés internationaux. Les dispositions seront moins généreuses durant l’exercice 2023/2024[1], avec une remontée du plafond à 3 000 livres par an, soit une réduction de l’aide de 500 livres et un coût global de la mesure ramené à 12,8 milliards selon le budget. Par rapport aux annonces du gouvernement Truss (26,8 milliards de bouclier fiscal en 2023/2024), 14 milliards pourraient ainsi être économisés sur l’exercice prochain grâce au relèvement du plafond.

Le gouvernement prévoit de réinjecter 90 % de ces 14 milliards en 2023/2024 dans des dispositifs de soutien aux ménages les plus fragiles, avec des versements à 8 millions de ménages : les bénéficiaires de prestations sociales sous condition de ressources recevront des versements de 900 livres, les retraités recevront 300 livres et les bénéficiaires de l’allocation pour les handicapés 150 livres. Le gouvernement a aussi décidé de suivre la recommandation de la Commission sur les bas salaires d’une hausse du salaire minimum de 9,7 % en avril 2023 et les prestations sociales et les retraites publiques augmenteront du montant de l’inflation en octobre 2022, soit de 10,1%.

D’autre part, pour soutenir le secteur productif, le gouvernement a maintenu, tout en le rabotant, le dispositif du gouvernement Truss d’encadrement des factures d’énergie pour les entreprises confrontées à la hausse du coût de l’énergie. Les mesures, instituées pour six mois entre le premier octobre 2022 et le 31 mars 2023, coûteraient 18,4 milliards (contre 29 milliards prévus par l’ancien gouvernement).

La reconduction des mesures d’aides aux entreprises sur l’exercice 2023/2024 n’était pas programmée au 17 novembre 2022, mais une évaluation devait être conduite par le gouvernement afin d’éclairer les décisions futures. Le 9 janvier 2023, le gouvernement a précisé ses intentions quant à la pérennité du « bouclier énergie » pour les entreprises. Ce dernier sera maintenu durant l’exercice 2023/2024, mais sera considérablement diminué en comparaison des dispositions actuelles eu égard à leur coût jugé non soutenable par Jeremy Hunt pour les finances publiques du pays. C’est ainsi que 5,5 milliards de livres sont budgétés pour l’exercice 2023/2024.

Au total, le bouclier énergie ainsi que le soutien aux ménages vulnérables et aux entreprises engage 43,2 milliards de livres pour l’exercice 2022/2023 et 30,6 milliards en 2023/2024. En ajoutant les mesures déjà prises par le gouvernement Johnson depuis mars 2022, l’engagement public atteint 64,2 milliards sur l’exercice 2022/2023 et 45,3 sur le suivant. Ramené à une base calendaire, ce soutien représente 48,2 milliards en 2022 (soit 2,2 points de PIB de 2019) et 50 milliards en 2023, ce qui place, un peu plus tardivement que les autres, le Royaume-Uni parmi les pays du continent européen les plus généreux en termes de soutien à l’économie face au choc inflationniste[2].

L’État garant de la soutenabilité des finances publiques

Au-delà du soutien à l’économie à court terme qui implique une politique très expansionniste, le nouveau gouvernement a exprimé son souci d’afficher une trajectoire des finances publiques « soutenable », c’est-à-dire qui conduit à une baisse du ratio dette/PIB à un horizon de cinq années et à une réduction du déficit en dessous de 3 % du PIB. Pour ne pas entrer en contradiction avec les mesures de soutien décidées pour les exercices 2022/2023 et 2023/2024, alors que le risque d’entrée en récession de l’économie britannique est élevé, le gouvernement a pris soin de n’enclencher le resserrement de la politique budgétaire qu’en 2024/2025.

Le plan d’austérité budgétaire dégage des ressources supplémentaires montant en charge progressivement jusqu’à 55 milliards de livres en 2027/2028, réparties entre des hausses d’impôts à hauteur de 45 % (25 milliards en 2027/2028) et des baisses de dépenses à hauteur de 55 % (30 milliards). Côté impôts sur les ménages, le gouvernement a prévu d’abaisser le seuil d’imposition des revenus au taux de 45 % de 150 000 à 125 140 livres en avril 2023, de geler les barèmes de l’impôt sur le revenu et les droits de succession aux niveaux actuels pendant deux années supplémentaires jusqu’en avril 2028, de diviser par quatre les crédits d’impôts sur les dividendes et les plus-values à partir de 2024/2025 et de limiter au 31 mars 2025 la baisse des droits sur les transactions immobilières décidée par le précédent gouvernement.

La baisse de l’impôt sur les sociétés à 19 % envisagée par Liz Truss est annulée et le taux sera porté  à 25% en avril 2023, comme annoncé avant l’arrivée de Liz Truss. Le barème des cotisations sociales sera maintenu au niveau actuel entre avril 2023 et avril 2028. En outre, les superprofits des entreprises énergétiques seront davantage taxés, avec la prolongation du dispositif actuel jusqu’en mars 2028 et l’augmentation du taux d’imposition de 25 à 35 % le premier janvier 2023 (14 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). De plus une taxe de 45 % sur les profits des producteurs d’électricité sera créée en janvier 2023 (4 milliards attendus pour l’exercice 2023/2024). Le gouvernement reste toutefois préoccupé par les tensions que génère l’inflation sur le système productif et a prévu une aide cumulée aux entreprises de 13,6 milliards jusqu’à 2027/2028, passant principalement par le levier des impôts locaux.

Côté dépenses, le gouvernement prévoit la mise en place d’un plan d’économies s’appuyant principalement sur le ralentissement de la progression des dépenses publiques qui ne devra pas excéder l’inflation de plus de 1 point. L’effort sera toutefois engagé à partir de l’exercice 2025/2026 tandis que certaines dépenses concernant les services publics prioritaires (santé, protection sociale et écoles) seront augmentées au cours des deux prochains exercices.

Les marchés rassérénés

En termes d’impulsion budgétaire, l’année calendaire 2022 apparaît comme la plus dispendieuse en réponse à la situation d’urgence créée par la hausse spectaculaire de l’inflation (graphique 1). En 2023, le redéploiement de la quasi-totalité des ressources libérées par la diminution du bouclier énergie vers les ménages les plus fragiles et le maintien d’un « bouclier entreprises » permettra de maintenir globalement l’engagement du gouvernement dans le plan d’urgence, sans toutefois générer d’impulsion supplémentaire significative. En revanche, en 2024, le retrait des dispositifs d’aide à court terme et l’entrée en vigueur du plan d’économies budgétaires seront à l’origine d’une impulsion budgétaire très négative, de -1,2 point de PIB. À l’horizon 2027, les dispositions annoncées par le gouvernement Sunak maintiendront une impulsion budgétaire négative, voisine de 0,5 point de PIB chaque année.

La réalisation de telles projections à un horizon de cinq années reste toutefois hypothétique. Tout d’abord, un nouveau budget sera présenté le 15 mars. Ensuite, des élections générales auront lieu d’ici la fin 2024. Une grande incertitude prévaut donc sur l’application de ce plan. Quoi qu’il en soit, les annonces de novembre 2022 ont atteint l’objectif d’apaiser les marchés financiers puisque le rendement des obligations d’État à 10 ans était retombé, au premier décembre 2022,à son niveau d’avant les annonces budgétaires du gouvernement Truss à la rentrée (graphique 2). Dans la foulée, la livre, après s’être dépréciée de 5 % entre le 6 et le 28 septembre 2022, était aussi revenue à son niveau de début septembre.


[1] Au Royaume-Uni, l’exercice budgétaire commence le 1er avril et se termine le 31 mars de l’année suivante.

[2] Voir « Du coup de chaud au coup de froid », Département Analyse et Prévision, Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, 12 octobre 2022, pp. 35-41.