États-Unis : les ménages continuent de puiser dans leur sur-épargne

par Christophe Blot

Selon le Bureau of Economic Analysis, la croissance américaine au premier trimestre 2023 a atteint 0,3 %, niveau légèrement supérieur à ce que nous avions anticipé[1]. Cette première estimation traduit la résilience de l’économie malgré la forte hausse de l’inflation qui ampute le pouvoir d’achat des ménages et le resserrement monétaire qui se traduit par un renchérissement des conditions de crédit et une baisse de la valeur des actifs boursiers. Comment expliquer cette situation conjoncturelle ? L’économie américaine peut-elle résister au resserrement monétaire ? Tout dépendra sans doute de l’évolution du taux d’épargne des ménages américains.



La publication des comptes pour le premier trimestre 2023 indique que la croissance a été principalement tirée par la demande intérieure hors stocks qui contribue à hauteur de 0,8 point tandis que les stocks ont joué très négativement (-0,7 point de contribution) et que le commerce extérieur a eu un effet quasi-neutre. Le moteur de la croissance reste la consommation des ménages qui a progressé de 0,9 % en rythme trimestriel[2]. Une telle situation pourrait surprendre dans la mesure où l’inflation rogne le pouvoir d’achat des ménages[3]. Même si elle est en repli depuis plusieurs mois, l’inflation mesurée par l’évolution du déflateur de consommation progressait encore de 4,9 % en glissement annuel au premier trimestre. Pour autant le pouvoir d’achat des ménages affiche une progression de 1,9 % au premier trimestre en raison de la bonne tenue de l’emploi et des salaires mais également d’une baisse des impôts[4]. Outre l’effet négatif de l’inflation, l’économie américaine est également freinée par le resserrement monétaire amorcé il y a un an par la Réserve fédérale[5]. L’effet de ce resserrement devrait s’amplifier. Depuis le milieu des années 1950, les récessions outre-Atlantique ont été souvent précédées d’un changement d’orientation de la politique monétaire (graphique 1). La corrélation n’indique pas forcément que la politique monétaire est seule responsable de ces récessions mais la théorie économique suggère clairement que la politique monétaire a joué un rôle via un effet négatif sur la demande intérieure[6]. De fait aujourd’hui, l’effet de la hausse des taux pourrait déjà avoir impacté les dépenses en investissement-logement qui continuent de baisser au premier trimestre.

La résilience de l’économie américaine dépendra cependant en grande partie de l’évolution de la consommation des ménages dont la dynamique a largement contribué à la reprise post-Covid. Depuis 2019, le revenu disponible des ménages (RdB) a progressé de 18,5 % en valeur reflétant à la fois le dynamisme des salaires au cours de la période mais également la politique généreuse de transferts menée par les administrations Trump puis Biden en 2020-2021[7]. Alors que les transferts représentaient en moyenne 19 % du RdB des ménages entre 2011 et 2019, cette part est montée à 24 et 25 % respectivement en 2020 et 2021. Il en a résulté une augmentation du taux d’épargne des ménages qui s’est élevé à 16,8 % du RdB en 2020 avec un pic à 26,4 % au deuxième trimestre dans un contexte où la consommation fut également contrainte (tableau). Sur l’année 2022, les mesures exceptionnelles prises pendant la crise sanitaire sont arrivées à terme et les ménages ont moins épargné, ce qui a permis d’amortir la baisse de pouvoir d’achat résultant de la poussée inflationniste. Le taux d’épargne est redescendu à 3,7 % alors que le RdB réel diminuait de 0,1%. Au premier trimestre 2023 le taux d’épargne s’établit à 4,8 %, en hausse par rapport au trimestre précédent. Sur l’ensemble de l’année, nous anticipons un taux d’épargne moyen de 4,1 %, ce qui implique une réduction du stock de sur-épargne qui avait atteint un pic à plus de 2 100 milliards de dollars, soit 12,9 % du RdB (graphique 2)[8]. Nous prévoyons certes un ralentissement mais pas de récession avec une croissance annuelle du PIB de 1,4 %. En effet, même si le gain de revenu disponible a été en partie rogné par l’inflation[9], l’épargne liquide – dépôts, comptes d’épargne et titres des fonds commun de placements monétaires – des ménages a augmenté de 36 % entre 2019 et 2022. Cette hausse reflète le placement, sous forme d’épargne liquide, des transferts reçus pendant la crise mais aussi sans doute des gains réalisés par les ménages par la cession d’autres actifs financiers. La résilience de la croissance dépendra de la capacité des ménages à amortir le choc et donc de leur comportement d’épargne. Les transferts ont certes été plutôt orientés vers les classes moyennes mais les liquidités existantes aujourd’hui pourraient être plus concentrées sur les classes les plus aisées. C’est pourquoi nous anticipons cette légère remontée du taux d’épargne sur l’année 2023. Toutefois, il resterait inférieur au niveau observé en 2019 de telle sorte que la consommation serait le principal moteur de la croissance.


[1] Voir « États-Unis, pilotage à hauts risques », dans la Revue de l’OFCE, n° 180.

[2] Les dépenses publiques – consommation et investissement – ont été également dynamiques (+1,3 % et +0,5 % respectivement) mais contribuent de fait assez peu à la croissance : +0,2 point chacun.

[3] Nous anticipions en effet une croissance trimestrielle de la consommation des ménages de 0,3 %.

[4] Le revenu disponible brut nominal a progressé de 3 % sur le premier trimestre 2023 contre une prévision à 1,5 %.

[5] Voir « Le marché du travail américain résistera-t-il au resserrement monétaire ? », OFCE Le Blog du 20 avril 2023.

[6] En 1974, la récession est effectivement précédée d’un resserrement monétaire mais elle est également consécutive au premier choc pétrolier et à la fin du régime de Bretton-Woods qui ont déstabilisé l’économie mondiale. En 2008-2009, l’ampleur de la récession s’explique par la crise financière globale. La politique monétaire a sans doute joué le rôle de déclencheur en provoquant l’ajustement du marché immobilier dans un contexte de fortes vulnérabilités. Pour autant, la contribution de la politique monétaire, indépendamment de l’effet d’amplification financière, est incertaine.

[7] La contribution des salaires à la progression du revenu disponible brut nominal s’élève à 15,4 points et celle des transferts à 5,2 points.

[8] En pratique, cela n’implique pas que le taux d’épargne continuera de baisser en 2023 mais qu’il se maintiendra à un niveau inférieur à celui de 2019. La référence au taux d’épargne pourrait néanmoins biaiser notre estimation de la sur-épargne Covid. Sur une période plus longue (2000-2019), le taux d’épargne moyen s’élève à 6 %. Notre hypothèse pour 2023 reste néanmoins celle d’un taux d’épargne inférieur.

[9] Le déflateur de la consommation a effectivement augmenté de 14,1 % entre le quatrième trimestre 2019 et le premier trimestre 2023.




Mesures d’urgence, revenus et épargne : une analyse du choc sur les ménages

par Christophe Blot, Magali Dauvin et Raul Sampognaro

La pandémie de Covid-19 a provoqué
la plus forte récession depuis la Seconde Guerre mondiale et fortement dégradé
la situation des agents économiques. Pour autant, une partie du choc de revenu
a été compensée par le soutien des mesures budgétaires prises tout au long de
l’année 2020 (voir ici[1]).
Pour les ménages européens, le soutien est essentiellement venu de la mise en
place de l’activité partielle. Aux États-Unis, l’emploi ne fut pas protégé
si bien que les fluctuations du taux de chômage ont été plus rapides et plus importantes.
Pour autant, les ménages ont pu bénéficier de transferts budgétaires
additionnels. L’impact de la crise et les mesures prises pour l’endiguer ont eu
une incidence sur le revenu disponible des ménages mais également sur sa
composition. À court terme, tant que la consommation reste en partie
empêchée, il en résulte une accumulation d’épargne exceptionnelle dont la
mobilisation sera certainement un facteur clé pour la reprise une fois que
l’épidémie aura été totalement maîtrisée.



Evolution et composition du revenu
disponible des ménages

La crise de la Covid-19 a mis à
mal le fonctionnement de l’économie marchande. Avec l’arrêt du tissu productif,
la distribution des revenus primaires[2] s’est
fortement grippée au cours des trois premiers trimestres de l’année. Ceux-ci ont
baissé de plus de 10 % en Espagne et en Italie, de plus de 5 % en France et un
peu moins fortement en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

La situation financière des ménages dans leur ensemble a cependant été préservée grâce à l’action des pouvoirs publics (Graphique 1). Trois groupes de pays se distinguent. En Espagne et en Italie, les ménages dans leur ensemble ont subi des pertes de revenu disponible (après transferts et impôts directs) de l’ordre de 5 points. L’intervention publique a permis de compenser la moitié du choc initial massif. À l’issue du troisième trimestre 2020, les mesures mises en place en France, au Royaume-Uni et en Allemagne permettaient un impact quasi-nul de la crise de la Covid-19 sur le revenu disponible des ménages ; outre-Atlantiqueles Américains connaissent une augmentation de leur revenu disponible spectaculaire malgré la quasi-stabilisation des revenus primaires distribués. Il faut noter que les dispositifs publics peuvent contribuer à la stabilisation des revenus grâce aux stabilisateurs automatiques et aux dispositifs explicitement décidés pour faire face à la crise de la Covid-19. La faiblesse de ces stabilisateurs automatiques aux États-Unis expliquent aussi pourquoi le gouvernement américain a pris des mesures discrétionnaires de plus grande ampleur que celles des autres économies avancées. Le soutien massif aux ménages peut alors s’interpréter comme une assurance exceptionnelle et transitoire permettant de palier les besoins des ménages à court terme.

Une épargne qui s’accumule

La préservation des revenus
observée dans les principales économies avancées analysées a eu lieu dans un
contexte où la consommation des ménages a été contenue, à la fois par des
décisions administratives empêchant le commerce de plusieurs biens et services
et par un comportement de prudence des individus qui ont pu éviter de réaliser
des achats nécessitant des interactions sociales[3]. Avec
les données disponibles au troisième trimestre 2020, le niveau de la
consommation des ménages est en net retrait dans tous les pays. Les pertes de
consommation vont de -12 % en Espagne jusqu’à -4 % aux États-Unis[4].

Ainsi, le maintien du revenu conjugué
à une consommation fortement empêchée se traduit dans une hausse massive de
l’épargne des ménages. Selon nos calculs, au cours des neuf premiers mois de
l’année, 238 milliards d’euros d’épargne ont pu être accumulés dans le quatre plus
grandes économies de la zone euro. En Allemagne, l’épargne excédentaire cumulée
pendant la période serait de 89 milliards d’euros (6 points de RDB). Elle
serait de 66 milliards (6 points de RDB) en France, de 35 milliards d’euros en
Espagne et 48 milliards d’euros en Italie (respectivement 6 et 8 points de
RDB). Au Royaume-Uni, l’épargne sur-accumulée s’élève à 122 milliards de livres
(11 points de RDB) et aux États-Unis la hausse s’établit à 1 377 milliards de
dollars (12 points de RDB).

La masse d’« épargne covid »
accumulée dans les principales économies avancées vient aggraver un des
déséquilibres majeurs que l’économie mondiale connaissait avant le
déclenchement de la pandémie de Covid-19 : le décalage grandissant entre
une volonté croissante d’épargne de la part des agents privés alors que le taux
d’investissement productif marque le pas. Cette masse d’épargne privée
abondante cherche des placements à faible risque à un moment où les projets
privés se font rares, ce qui devrait renforcer à court terme la tendance
structurelle à la baisse des taux d’intérêt.

Et en 2021 ?

La mobilisation de cette « épargne
covid » sera un facteur clé du rebond. Or, la capacité des ménages à la
débloquer dépend de plusieurs facteurs.

D’abord, l’incertitude régnant
sur la vitesse de normalisation de la situation joue un rôle clé. Avec une
crise qui se prolonge, la multiplication des faillites d’entreprises peut
laisser des stigmates durables sur la capacité de rebond de la production et le
chômage peut augmenter fortement avec la volonté des entreprises de rétablir
leurs marges[5]. Dès
lors, le taux d’épargne peut peiner à retrouver son niveau d’avant-Covid-19 et
créer une situation de faible croissance durable, même après la levée des
mesures sanitaires. Les solutions nationales alternatives peuvent jouer un rôle
majeur en 2021. Le déploiement massif de l’activité partielle permet de ne pas
rompre le contrat de travail et de limiter les pertes éventuelles de revenu des
personnes dont l’activité professionnelle est à l’arrêt. Aux États-Unis, il n’y
pas de chômage partiel et peu de stabilisateurs automatiques (la durée des
allocations chômage est limitée et la couverture de santé est souvent liée au
contrat de travail). Dans ce contexte, les ménages américains peuvent avoir vu
leur revenu préservé, voire fortement augmenté, mais ils ont été laissés à une
plus forte incertitude. D’où la nécessité de mesures idoines. Ces mesures sont
temporaires mais la durée de la crise sanitaire force (plus qu’ailleurs) à
prolonger les dispositifs : allocation chômage fédérale, crédit d’impôts,
aides alimentaires… votées le 21 décembre et en cours d’élaboration une fois le
Président Biden investi. Ainsi, même si le choc de la Covid-19 est plus que
compensé, il faudra sans doute continuer à soutenir les ménages même lorsque la
crise sera terminée. Les chiffres d’emploi et du chômage pour le dernier
trimestre suggèrent effectivement une stabilisation, à un niveau dégradé, de la
situation sur le marché du travail, ce qui se traduit notamment par un
allongement du chômage de longue durée et un risque d’accroissement des
inégalités.

Ensuite, le deuxième facteur clé
qui déterminera la normalisation de l’épargne dépend de la répartition de
« l’épargne covid ». Les ménages pouvant télétravailler n’ont pas de
pertes de revenus et épargnent. Pour les ménages bénéficiant des dispositifs de
chômage partiel, la perte de revenus n’est généralement pas intégralement
compensée. La consommation de certains de ces ménages pouvait être contrainte
aux biens et services essentiels avant la crise, si bien que la baisse des
revenus peut se traduire par une détérioration de leur situation. Pour les
ménages moins contraints, la baisse de consommation en services de loisirs ou
de restauration peut être plus forte que la baisse de revenu et entraîner une
accumulation d’épargne. Enfin, les ménages plus précaires – ceux en contrats
courts, en activité partielle avant la crise ou en marge du marché du travail –
ne  peuvent prétendre à l’activité
partielle et à une allocation chômage[6]. Pour
eux il n’y a pas d’« épargne covid », et on assiste à une plus grande
paupérisation qui est actuellement l’angle mort des mesures de soutien et devient
donc un enjeu de la politique budgétaire future.

En France, selon les premières
analyses du CAE[7], l’« épargne
covid » serait concentrée chez les ménages à fort niveau de consommation, a
priori
plus aisés. En temps normal, ces ménages ont plutôt tendance à
utiliser leur surplus de revenu pour consommer des services de loisirs,
précisément les mêmes qui garderont des contraintes dans leur activité au moins
au cours du premier semestre.

Avec l’incertitude régnante et
une distribution de la masse d’« épargne covid » concentrée chez les
individus à fort pouvoir d’achat qui verront leur consommation empêchée, il
semble difficile d’envisager une hausse rapide de la consommation des ménages
tant que des mesures prophylactiques prévaudront. Par ailleurs, il ne peut pas
être exclu que l’épargne exceptionnelle cumulée en 2020 – notamment par les
ménages moins fortunés – serve à réduire l’endettement des ménages, ce qui peut
contribuer à réduire les risques auxquels le système financier est exposé,
notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni (pays où la dette des ménages
est de 76 % et de 88% du PIB respectivement selon la BRI à la fin du premier
semestre 2020), mais également amoindrir le potentiel de rebond. En France,
l’endettement des ménages représente 66 % du PIB et selon
la Banque de France
on constate au mois de novembre une très légère baisse
de l’encours des crédits à la consommation même si les crédits immobiliers
restent dynamiques.


[1] La mise
à jour des données de la comptabilité nationale n’a pas abouti à des révisions
majeures pour le premier semestre de l’année. Le diagnostic établi dans le post
de blog précédant n’est pas modifié par la publication des derniers comptes
nationaux.

[2] Les
revenus primaires comprennent les revenus directement liés à une participation
au processus de production. La majeure partie des revenus primaires des ménages
est constituée des salaires et des revenus de la propriété.

[3] Ce
comportement de prudence est relativement bien documenté dans certains pays
ayant mis en place des restrictions publiques moins strictes.  Par exemple, Golsbee et Syverson (2021), « Fear,
lockdown and diversion : Comparing drivers of pandemic economic decline
2020 » montrent qu’aux États-Unis la fréquentation des
commerces dans les comtés n’ayant pas mis en œuvre des mesures de confinement
ou de limitation des mouvements recule de 53 %, tandis que la baisse dans les
comtés les ayant mis en place est de 60 %. L’essentiel de la baisse de la
fréquentation s’expliquerait donc par une réaction de prudence des
consommateurs.

[4] Ces
pertes sont calculées comme l’écart entre la consommation des ménages observée
au cours des trois premiers trimestres de l’année et la consommation
trimestrielle moyenne de l’ensemble de l’année 2019 multipliée par 3.

[5] Encore
une fois, les États-Unis se distinguent des autres pays avec une
amélioration des taux de marge en 2020. En moyenne sur les trois premiers
trimestres, ce taux s’établit en effet à 34,4 % contre 33,2 % en
2019. Corrigé de l’impôt sur les sociétés et de la consommation de capital
fixe, le taux de marge s’est cependant stabilisé, mais du fait d’une forte
chute au premier trimestre 2020 suivie de deux trimestres de hausse.

[6] Aux États-Unis,
il faut être éligible à l’allocation chômage standard dans son État pour
prétendre à l’allocation fédérale additionnelle.

[7] Voir
notamment l’étude publiée en octobre 2020 : http://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae-focus049-cb.pdf)




Transmission de la politique monétaire : les contraintes sur les emprunts immobiliers sont importantes !

par Fergus Cumming (Banque d’Angleterre) et Paul Hubert (Sciences Po – OFCE)

La
transmission de la politique monétaire dépend-elle de la situation
d’endettement des ménages ? Dans ce billet de blog, nous montrons que les
variations des taux d’intérêt sont plus effectives lorsqu’une grande partie des
ménages est contrainte financièrement, c’est-à-dire lorsque les ménages sont
proches de leurs limites d’emprunt. Nous trouvons aussi que l’impact global de
la politique monétaire dépend en partie de la dynamique des prix immobiliers et
peut ne pas être symétrique pour les hausses et les baisses de taux d’intérêt.



Du micro au macro

Dans
un récent
article, nous utilisons des données de prêts immobiliers au Royaume-Uni pour
construire une mesure précise de la proportion de ménages proches de leurs
contraintes d’emprunt basée sur le ratio du prêt immobilier sur le revenu. Ces
données hypothécaires nous permettent d’avoir une connaissance précise des
différents facteurs qui ont motivé les décisions individuelles en matière de
dette immobilière entre 2005 et 2017. Après avoir éliminé les effets de la
réglementation, du comportement des banques, des effets géographiques et
d’autres évolutions macroéconomiques, nous estimons la part relative des
ménages très endettés pour construire une mesure comparable dans le temps. Ce
faisant, nous regroupons les informations obtenues pour 11 millions de prêts
hypothécaires en une seule série temporelle, ce qui nous permet ensuite d’explorer
la question de la transmission de la politique monétaire.

Nous
utilisons la variation temporelle dans cette variable d’endettement pour
explorer si et comment les effets de la politique monétaire dépendent de la
part des personnes qui sont financièrement contraintes. En particulier, nous
nous concentrons sur la réponse de la consommation. Intuitivement, nous savons
qu’une politique monétaire restrictive entraîne une baisse de la consommation à
court et moyen terme, raison pour laquelle les banques centrales augmentent les
taux d’intérêt lorsque l’économie est en surchauffe. Nous cherchons à savoir si
ce résultat évolue en fonction de la part de ménages financièrement contraints.

Politique monétaire contingente aux contraintes de crédit

Nous
constatons que la politique monétaire est plus effective lorsqu’une grande
partie des ménages a contracté des engagements de dette élevés. Dans le
graphique ci-dessous, nous montrons la réponse de la consommation de biens non-durables,
durables et totale en réponse à une augmentation de 1 point de pourcentage du
taux d’intérêt directeur. Les bandes grises (respectivement bleues) représentent
la réponse de la consommation lorsqu’il y a une part importante (respectivement
faible) de personnes proches de leurs contraintes d’emprunt. Les écarts entre
les bandes bleue et grise suggèrent que la politique monétaire est plus
puissante lorsque la part de ménages qui s’endettent fortement est élevée.

Cet effet différentié s’explique probablement par au moins deux mécanismes : premièrement, dans une économie où les taux sont en partie variables[1], lorsque le montant emprunté par les ménages augmente par rapport à leur revenu, l’effet mécanique de la politique monétaire sur le revenu disponible est amplifié. Ceux qui ont des emprunts importants sont pénalisés par l’augmentation des mensualités de prêt en cas de hausse des taux, ce qui réduit leur pouvoir d’achat et donc leur consommation ! Par conséquent, plus la part des agents fortement endettés augmente, plus l’effet agrégé sur la consommation devient important. Deuxièmement, les ménages proches de leurs contraintes d’emprunt sont susceptibles de dépenser une proportion plus élevée de leurs revenus (ils ont une propension marginale à consommer plus élevée). Dit autrement, plus vous consacrez une part élevée de votre revenu au remboursement de votre dette, plus votre consommation dépend de votre revenu. La modification du revenu liée à la politique monétaire se répercutera alors plus fortement sur votre consommation. Fait intéressant, nous constatons que nos résultats sont davantage attribuables à la répartition des ménages très endettés qu’à une hausse générale des emprunts.

Nos résultats indiquent également une
certaine asymétrie de la transmission de la politique monétaire. Lorsque la
part des ménages contraints est importante, les hausses de taux d’intérêt ont
un impact plus important (en valeur absolue) que les baisses de taux d’intérêt.
Dans une certaine mesure, cela n’est pas surprenant. Lorsque vos revenus sont
très proches de vos dépenses, manquer d’argent est très différent de recevoir
une petite manne supplémentaire.

Nos résultats suggèrent également que
la dynamique des prix immobiliers est importante. Lorsque le prix des logements
augmente, les propriétaires se sentent plus riches et sont en mesure de
refinancer leurs emprunts plus facilement afin de libérer des fonds pour d’autres
dépenses. Cela peut compenser certains des effets d’amortissement d’une hausse
des taux d’intérêt. En revanche, lorsque le prix des logements baisse, une
augmentation des taux d’intérêt aggrave l’effet de contraction sur l’économie,
rendant la politique monétaire très puissante.

Implications
de politiques économiques

Nous montrons que la situation des
ménages en termes d’endettement pourrait expliquer une partie de la variation
de l’efficacité de la politique monétaire au cours du cycle économique. Cependant,
il convient de garder à l’esprit que les décideurs des politiques macro-prudentielles
peuvent influencer la répartition de la dette dans l’économie. Nos résultats
suggèrent ainsi qu’il y a une interaction forte entre la politique monétaire et
la politique macro-prudentielle.


[1] Ce qui est le cas au Royaume-Uni.




La taxation de l’héritage en France

par Clément Dherbécourt, France Stratégie

Dans la dernière publication de l’OFCE, revue n° 161-2019 accessible ici, l’auteur analyse l’évolution des taux effectifs d’imposition des héritages et donations en France des années 1870 à nos jours. Sur le long terme le taux d’imposition a évolué du fait des changements de barèmes, de la manière dont l’administration a évalué les biens transmis, mais aussi des changements dans la structure des transmissions. La période 1930-1950 est celle où les successions et donations ont été les plus taxées, notamment en ligne directe.À partir des années 1950 on assiste à une grande divergence des taux d’imposition entre les enfants et les conjoints d’une part et les parents éloignés et non-parents d’autre part. En ligne indirecte, le taux d’imposition moyen a très fortement augmenté au cours du temps pour atteindre 20 à 25% aujourd’hui.

À long terme l’augmentation de la part des successions et donations en ligne directe dans l’ensemble des transmissions a eu pour effet de modérer le taux moyen d’imposition. Cet effet pourrait se retourner dans les prochaines décennies du fait des évolutions démographiques.




Le patrimoine et l’endettement des ménages français en 2015

par Luc Arrondel et Jérôme Coffinet

La crise financière de 2008 a modifié les comportements des épargnants, ces derniers privilégiant la prudence dans leur portefeuille. Les comparaisons spatio-temporelles de la distribution du patrimoine et sa composition apparaissent donc essentielles pour analyser ces questions de politique publique.

En moyenne, les ménages français déclarent posséder 268 000 euros de patrimoine brut. La moitié est endettée, en moyenne à hauteur de 37 000 euros. Le décile des Français les plus riches détient environ 46 % de la richesse totale, le centile le plus aisé, environ 15 %. La hausse de l’endettement concerne davantage les ménages aisés, disposant de capacités de remboursement plus importantes ou de patrimoines substantiels. La situation des ménages ne semble donc pas faire porter de risque majeur à la stabilité financière en France.

Dans un article de la Revue de l’OFCE (n° 161-2019, accessible ici) nous analysons les résultats de l’enquête européenne Household Finance and Consumption Survey réalisée fin 2014-début 2015 qui montrent que la concentration des actifs financiers et professionnels des ménages français est plus importante que celle des biens immobiliers. L’épargne risquée et de long terme est davantage détenue par les plus riches mais la détention d’actions stagne à des niveaux relativement faibles. Ces données permettent de comprendre les comportements d’épargne et d’endettement des ménages, d’évaluer les vulnérabilités financières et les effets de la politique monétaire.

 

 




Individualisation du patrimoine au sein des couples : quels enjeux pour la fiscalité ?

par Nicolas Frémeaux et Marion Leturcq

De 1998 à 2010, la manière dont le patrimoine est détenu au sein des couples a profondément changé. La généralisation de la cohabitation hors mariage, l’essor du pacs et le recours plus fréquent au régime de la séparation de biens pour les couples mariés ont conduit à une individualisation du patrimoine. Cette individualisation a eu pour conséquence une augmentation des inégalités de patrimoine entre conjoints. Cette transformation du mode de détention du patrimoine n’a toutefois pas été prise en compte dans la fiscalité du patrimoine en France, celle-ci tendant à faire l’hypothèse d’une mise en commun des ressources au sein du couple. De ce point de vue, la fiscalité actuelle fait preuve d’incohérences dans le traitement fiscal des couples. L’objectif de notre article paru dans la Revue de l’OFCE (n°161-2019 accessible ici) est de proposer un questionnement sur les principes de justice qui sous-tendent l’imposition du patrimoine des couples, que ce soit à travers les revenus, la détention ou la transmission des patrimoines.




Budget 2018-2019 : quel impact des mesures socio-fiscales sur le taux d’épargne des ménages ?

Par Pierre Madec et Mathieu Plane

La montée en charge des différentes mesures fiscales prises dans le cadre de la Loi de finances pour 2018 devrait affecter de manière différente les ménages selon qu’ils se situent en bas ou en haut de la distribution des niveaux de vie. Si, globalement, les mesures du budget devraient être quasiment neutres sur le pouvoir d’achat global des ménages en moyenne en 2018, les ménages les plus aisés bénéficieraient dès 2018 des réformes visant à réduire la taxation du capital (suppression de l’ISF et instauration du PFU sur les revenus du capital). Les 17,7 millions de ménages éligibles à l’exonération totale de la taxe d’habitation en 2020 devraient quant à eux voir celle-ci réduite de l’ordre de 30 % dès 2018. Les ménages du bas de la distribution devraient bénéficier des revalorisations de certains minima sociaux et de la Prime d’activité. Les salariés verront leur pouvoir d’achat s’accroître sous l’effet de l’entame de la bascule cotisation/CSG au détriment des retraités et des détenteurs de capital qui verront leur pouvoir d’achat amputé par la hausse de la CSG. Les fumeurs ainsi que les ménages utilisant un véhicule à combustion ou se chauffant au fioul verront leur niveau de vie amputé de l’accroissement de la fiscalité écologique et du tabac. De fait, l’analyse à elle seule de l’évolution du pouvoir d’achat au niveau macroéconomique ne permet pas d’éclairer le débat sur les nombreux transferts s’opérant sous l’effet des nouvelles mesures au sein même des ménages. En 2019, la montée en charge des mesures d’aides aux bas revenus ainsi que le renforcement de la fiscalité indirecte devraient également affecter de manière différente les ménages selon leur position dans la distribution des niveaux de vie.

Ces effets différenciés auront un impact sur le comportement d’épargne et de consommation au niveau macroéconomique. Comme la propension à épargner s’accroît avec le revenu des ménages[1], le taux d’épargne des 5 % les plus aisés est très élevé. Principaux bénéficiaires des mesures discrétionnaires de 2018, ils sont aussi les plus susceptibles d’augmenter leur épargne. À titre d’illustration, le taux d’épargne des ménages appartenant aux 20% les plus modestes est, selon l’Insee, de 3% alors que celui des 10% les plus aisés s’établit à 65%. La politique fiscale a donc de fortes chances de se traduire par une hausse marquée du taux d’épargne des ménages entre 2017 et 2019, hausse que nous chiffrons à 0,2 point (graphique).

Graphe1_postPiM-PaM 

[1] Voir Céline Antonin, « Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 19 -2018/05/09.




Mesurer l’épargne de précaution liée au risque de chômage

par Céline Antonin

La question du partage du revenu disponible entre épargne et consommation est l’un des arbitrages qui s’opère à l’échelle des ménages et qui a des implications directes au niveau agrégé. Par exemple, si la propension à épargner est plus forte chez les ménages riches, une politique de relance par la consommation sera plus efficace si elle cible les bas revenus. La question de la progressivité de l’impôt sur le revenu constitue un autre exemple : si le taux d’épargne augmente avec le revenu, accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu va avoir un effet plus que proportionnel sur la baisse de l’épargne nationale, avec des conséquences sur l’investissement.D’autres questions comme celle des dispositifs fiscaux visant à favoriser l’épargne (assurance-vie, livret A) ou la question de l’assiette pertinente en matière de fiscalité (travail versus consommation, revenu versus patrimoine) dépendent de cet arbitrage. La mesure de l’épargne de précaution est indispensable, notamment pour comprendre les implications de la hausse du chômage lors d’un choc comme lors de la crise de 2008. Ainsi, si la hausse du chômage touche indifféremment tous les ménages, et si les ménages riches ont un motif de précaution plus fort que les autres, alors la récession sera plus violente.

Historiquement, les modèles de cycle de vie et de revenu permanent, dus à Modigliani et Brumberg (1954) et Friedman (1957) ont fourni l’un des premiers cadres théoriques pour penser les comportements d’épargne. Friedman (1957) introduit la notion de revenu permanent, défini comme le revenu constant au cours du temps qui donne au ménage le même revenu actualisé que ses revenus futurs, et montre que la consommation permanente (et donc l’épargne) est proportionnelle au revenu permanent au cours de la vie. Ainsi, les ménages devraient épargner pendant leur vie active, et désépargner à partir de la retraite. Ces modèles ont été enrichis de la théorie de l’épargne de précaution qui montre que l’épargne joue également un rôle d’assurance contre les aléas affectant le ménage, notamment les aléas portant sur le revenu (chômage, perte de salaire, …). Ainsi, les ménages n’épargnent pas seulement pour compenser la baisse des revenus futurs, mais aussi pour s’assurer contre toutes sortes de risques, notamment le risque lié au revenu. La principale difficulté lorsque l’on cherche à évaluer ce comportement de précaution est de trouver une mesure correcte du risque lié au revenu. L’approche la plus convaincante est celle qui consiste à utiliser les données subjectives recueillies par enquête auprès du ménage, sur l’évolution du revenu ou de la probabilité de chômage (Guiso et al., 1992 ; Lusardi, 1997 ; Lusardi, 1998 ; Arrondel, 2002 ; Carroll et al., 2003 ; Arrondel et Calvo-Pardo, 2008). Cette approche permet de quantifier la part de l’accumulation de richesse liée au motif de précaution.

Quelle est l’ampleur du motif de précaution ? Observe-t-on un comportement de précaution chez tous les ménages ou est-il fonction de leur revenu ? Le document de travail intitulé Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises cherche d’abord à tester empiriquement l’homogénéité des taux d’épargne en fonction du niveau de revenu. Il s’intéresse également à l’existence d’un comportement d’épargne de précaution lié au revenu et tente de le quantifier, à partir de l’enquête française de l’INSEE Budget de famille de 2010-2011. Le motif de précaution est appréhendé à travers la mesure subjective de la probabilité de chômage, anticipée par les membres du ménage pour les cinq années futures.

Le motif de précaution existe chez tous les ménages français : le surplus d’épargne lié au risque de chômage se situe autour de 6-7 %, et la part du patrimoine de précaution attribuable au risque de chômage se situe autour de 7% de la richesse globale. Le motif de précaution est différencié selon le niveau de revenu : ce sont les ménages aux revenus moyens qui accumulent le plus d’épargne de précaution. Cette épargne représenterait 11-12 % du patrimoine total des ménages des deuxième, troisième et quatrième quintiles de revenu, contre environ 5% pour les ménages des quintiles extrêmes de revenu.