Notre système de santé est-il en péril ? Réorienter la réforme de la gestion hospitalière (4/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le dernier sujet de préoccupation important à propos du système de santé concerne le financement de l’hôpital. Celui-ci a été fortement perturbé par la mise en place de la T2A depuis 2005. Cette dernière a réintroduit un lien financier direct entre l’activité des hôpitaux et leurs ressources financières. Cette réforme a  renforcé l’importance et le pouvoir des « gestionnaires », ce qui a pu donner le sentiment que les hôpitaux étaient dorénavant assimilés à des entreprises soumises à un impératif de rentabilité.
La réalité est plus complexe car la T2A vise moins la « rentabilisation » des hôpitaux que la rationalisation de la répartition des dépenses entre eux en établissant un lien entre leurs recettes et leur activité mesurée par le nombre de patients pris en charge pondéré par le coût moyen des traitements de chacun d’entre eux. Le risque de ce mode de financement est paradoxalement d’inciter à la dépense en contribuant à privilégier la multiplication des traitements et des actes. De fait le rapport du HCAAM pour 2011 (op.cit.) note que la croissance de 2,8 % des dépenses hospitalières tarifées à l’activité en 2010 se décompose en une hausse de 1,7 % imputable à l’augmentation du nombre de séjours et une hausse de 1,1 % imputable à un « effet structure » lié au déplacement de l’activité vers des prises en charge mieux rémunérées[1].

Cette évolution est inquiétante et pourrait conduire à une remontée des dépenses hospitalières sans autre justification que la nécessité budgétaire. La convergence des tarifs appliqués aux cliniques privées et aux hôpitaux publics et non lucratifs n’est pas une garantie contre cette dérive car les cliniques privées ne sont pas soumises à des incitations différentes. On touche là aux limites de la gestion par la concurrence, fut-elle fictive, dont les imperfections sont trop nombreuses pour qu’elle soit le seul moyen de régulation et de gestion.

Les hôpitaux publics reçoivent aussi des crédits forfaitaires destinés à assurer les missions d’intérêt général et de formation qui leur sont confiées. Cette enveloppe de crédit représente environ 14 % de leur budget exécuté en 2010[2]. Elle permet de financer les activités d’enseignement et de recherche des hôpitaux, la participation aux actions de santé publique, ou la prise en charge de populations spécifiques comme les patients en situation de précarité. Contrairement aux remboursements liés à l’application de la tarification, les montants des budgets correspondants sont limitatifs et faciles à modifier.

En conséquence la régulation budgétaire s’appuie souvent  sur la mise en réserve d’une partie de ces crédits et la révision des montants attribués en fonction de l’évolution de l’ensemble de la dépense hospitalière. Ainsi en 2010 le dépassement en cours d’année de l’objectif de dépenses assigné aux hôpitaux, évalué à 567 millions d’euros, s’est traduit par une réduction de 343 millions d’euros du budget affecté aux missions d’intérêt général, soit un ajustement de l’ordre de – 4,2 % par rapport au budget initial (HCAAM, 2011).

La régulation de la dépense hospitalière a donc tendance à porter sur la part du budget la plus faible qui est aussi la plus facile à maîtriser par les autorités centrales. Il est certes possible de réviser les tarifs de remboursement de la T2A, mais l’impact budgétaire est nécessairement retardé et les objectifs visés plus difficiles à atteindre.  Le système de gestion budgétaire des hôpitaux est donc imparfait et il fait courir le double risque d’un dérapage mal contrôlé des dépenses régies par la T2A et d’un assèchement des enveloppes budgétaires qui servent au financement des dépenses qui ne peuvent pas donner lieu à facturation. Il n’y a pas de solution simple à cette difficulté : revenir au système antérieur de budget global pour le financement de la totalité de la dépense ne serait évidemment pas satisfaisant alors que la T2A a permis d’améliorer le lien entre l’activité des hôpitaux et leur financement ; faire peser tous les ajustements budgétaires sur les seules enveloppes de missions générales et d’investissement, surtout dans une période de rigueur, n’est pas plus acceptable. La tendance générale est de limiter le plus possible le champ de l’enveloppe de financement forfaitaire (Jégou, 2011) et d’étendre au maximum celui de la tarification à l’activité.

Mais la tarification n’est pas toujours parfaitement adaptée à la prise en charge de pathologies complexes et chroniques.  On peut donc se demander si, à l’inverse, la mise en place d’un tarif de remboursement mixte comprenant une part fixe et proportionnelle ne serait pas plus efficace tout en facilitant la régulation d’ensemble du système du fait d’une enveloppe forfaitaire plus large. La partie fixe pourrait par exemple être déterminée sur la base de la population couverte (comme c’était le cas dans la modalité ancienne de budget global). Cette évolution aurait aussi l’avantage de faire reculer l’obsession gestionnaire qui semble avoir fortement contribué à dégrader le climat social au sein des hôpitaux.


[1] Les malades pris en charge par l’hôpital sont classés dans un Groupe Homogène de Malade (GHM) sur la base du diagnostic. Pour chaque séjour d’un malade donné l’hôpital est rémunéré sur la base d’un tarif établi en Groupe Homogène de Séjours (GHS) qui renvoie au GHM auquel appartient le malade et au traitement qu’il reçoit. En théorie ce système permet d’associer un tarif « objectif », en fonction du malade pris en charge. En pratique, le classement en GHM et GHS est très complexe, notamment du fait des pathologies multiples, et le classement est « manipulable ». Il en résulte que l’on ne peut pas savoir précisément si le glissement vers des GHS plus coûteux correspond à une aggravation des cas, à une manipulation du codage ou à une sélection des patients les plus « rentables ».

[2] Ces crédits dit MIGAC (pour Missions d’intérêt général et aides à la contractualisation) atteignaient 7,8 milliards d’euros en 2010 sur un total de dépenses hospitalières du champ MCO (Médecine, Chirurgie, Obstétrique et Odontologie) de 52,7 milliards, Cf. HCAAM, 2011.




Notre système de santé est-il en péril ? Réformer le remboursement des soins (3/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le troisième, ici présenté, le problème du remboursement des soins, des soins de longue durée et de la hausse des dépassements d’honoraires.

Actuellement le remboursement des soins par la Sécurité sociale varie en fonction de la gravité de la maladie : les soins de longue durée, qui correspondent à des affections de gravité élevée, sont pris en charge à 100 % alors que les remboursements des soins courants ont tendance à diminuer du fait de  l’existence et de la hausse de forfaits divers non remboursés. S’ajoute à cette évolution structurelle la hausse des dépassements d’honoraires non remboursés qui réduisent la part des dépenses financée par la Sécurité sociale.  Il en résulte que la prise en charge des soins courants par l’assurance maladie est limitée à 56,2 % alors que le taux de remboursement des malades atteints d’affections de longue durée (ALD) est de 84,8 % pour les soins de ville[1]. Cette situation a de multiples conséquences fâcheuses : elle peut entraîner un renoncement à certains soins courants avec des conséquences négatives sur la prévention des affections plus graves ; elle renchérit le coût des assurances complémentaires qui paradoxalement sont taxées pour alimenter l’assurance obligatoire au motif de la forte prise en charge publique des ALD. Enfin elle donne à la définition du champ des ALD un rôle central alors qu’il n’est pas très facile à délimiter puisqu’il faut mêler la mesure du « degré » de gravité et celle du coût des traitements pour définir la liste des affections ouvrant droit à un remboursement complet. La question des affections multiples et de leur prise en charge simultanée par l’assurance maladie au titre des soins courants ou des ALD constitue d’autre part un casse-tête bureaucratique  générateur d’incertitude et de dépenses de gestion et de contrôle peu utiles.

C’est pourquoi certains proposent de remplacer le système des ALD par la mise en place d’un bouclier sanitaire qui permettrait la prise en charge à 100 % de l’ensemble des dépenses dépassant un certain seuil annuel. Au-delà d’un certain seuil de dépenses non remboursées (correspondant par exemple au niveau actuel  du « reste à charge » moyen après remboursement de l’assurance maladie obligatoire, soit environ 500 euros par an en 2008[2]) la prise en charge par la Sécurité sociale deviendrait intégrale. Un tel système assurerait mécaniquement la prise en charge des dépenses les plus importantes associées aux maladies graves sans nécessiter le détour actuel par les ALD.

On peut aussi imaginer moduler le seuil de dépenses non remboursées en fonction du revenu (Briet et Fragonard, 2007) ou le taux de remboursement ou les deux. Cette possibilité est généralement évoquée pour limiter la hausse des dépenses remboursées. Elle pose la question habituelle du soutien des plus favorisés aux assurances sociales alors qu’ils auraient intérêt à se rallier à la mutualisation du risque santé dans le cadre d’assurances privées à cotisations proportionnelles aux risques plutôt qu’aux revenus.

La mise en place d’un système de bouclier sanitaire pose aussi la question du rôle des assurances complémentaires. Historiquement ces assurances « complétaient » la couverture publique par la prise en charge de dépenses écartées totalement ou quasi intégralement du panier de soins remboursées par l’assurance de base (appareils dentaires, montures de lunettes, optique sophistiquée, chambres « seul » à l’hôpital, etc.). Elles interviennent aujourd’hui de plus en plus comme des assurances « supplémentaires » qui viennent compléter l’assurance publique pour le remboursement de l’ensemble des dépenses de santé (prise en charge du ticket modérateur, remboursement partiel des dépassements d’honoraires).  Le passage à un système de bouclier sanitaire limiterait leur champ d’action au remboursement des dépenses en deçà du seuil. On imagine souvent que les assurances complémentaires, si elles sortaient de leur rôle actuel de co-payeur aveugle des dépenses de soins, pourraient jouer un rôle actif de promotion de la prévention en proposant par exemple une modulation des cotisations en fonction des comportements des assurés[3]. Mais quel serait leur intérêt si le bouclier venait limiter leur engagement au-delà du seuil non pris en charge par l’assurance publique ? Même dans le cas du maintien d’un « reste à charge » non négligeable au-delà du seuil du fait des dépassements d’honoraires par exemple, elles resteraient certainement relativement passives et la situation serait peu modifiée par rapport à celle d’aujourd’hui  qui les écarte de l’essentiel de la prise en charge des maladies graves et coûteuses.

Dès lors un système dans lequel l’assurance publique assure seule la prise en charge d’un panier de soins clairement délimité est sans doute préférable : il faudrait pour cela que le bouclier sanitaire soit croissant avec le revenu, les ménages les plus pauvres étant pris en charge à 100 % au premier euro. Si les ménages aisés décidaient de s’auto-assurer pour les dépenses en deçà du seuil (ce qui est vraisemblable si celui-ci est inférieur à 1000 € par an), les complémentaires pourraient se retirer pratiquement intégralement du champ des remboursements des dépenses de soins courants. Par contre, elles pourraient se consacrer à la prise en charge des dépenses hors champ de l’assurance maladie publique, soit en pratique les dépenses de prothèses dentaire et d’optique correctrice. Dans ces domaines elles pourraient intervenir plus activement qu’aujourd’hui pour structurer l’offre de soins et d’appareillage. Leur rôle de payeur principal dans ces secteurs justifierait qu’on leur délègue la responsabilité de traiter avec les professions concernées.  Cette solution impliquerait toutefois qu’un système de prise en charge publique vienne aider les plus pauvres à accéder aux soins non pris en charge par l’assurance publique (sous une forme proche de l’actuelle CMU qui devrait toutefois être étendue et rendue plus progressive). Il n’existe donc pas de solution simple à la question de l’articulation entre assurance publique et assurance privée complémentaire.

Il faut aussi évoquer la fusion des deux systèmes, en pratique l’absorption du privé par le public, qui aurait l’avantage de simplifier l’ensemble du dispositif mais laisserait partiellement irrésolue la question de la définition du panier de soins pris en charge. Il est fort probable qu’à la marge du système des assurances complémentaires se réinstallent pour prendre en charge les dépenses annexes non couvertes par le système public du fait de leur caractère jugé non indispensable et de confort. Le remboursement des dépenses de santé doit donc certainement rester mixte, mais il est urgent de reconsidérer la frontière entre privé et public sinon la tendance à privilégier la baisse de la prise en charge publique se renforcera au détriment de la rationalisation du système et de  l’équité dans la prise en charge des dépenses de santé.


 


[1] En 2008. Il s’agit d’un taux de prise en charge hors optique. Avec l’optique le taux de prise en charge par l’assurance maladie tombe à 51.3 % (Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie, décembre 2011).

[2] HCAAM, 2011 (op.cit.)

[3] La prise en compte des comportements des assurés n’est pas aisée. Au-delà du recours aux examens préventifs qui peut être relativement facilement mesuré, les autres comportements de prévention sont difficilement vérifiables. Il existe d’autre part un risque, inhérent à l’assurance privée, d’écrémage de la population par les assureurs : pour attirer les « bonnes » clientèles on assure la prise en charge de dépenses caractéristiques des populations à plus faible risque (par exemple le recours aux médecines « douces »), et on rejette celles qui présentent le plus de risque sur la base de questionnaires médicaux détaillés.

 




Some precautions for reading the results of macroeconomic simulations: The case of social VAT

By Eric Heyer

In September 2007, the OFCE conducted simulations of the macroeconomic consequences of instituting a social value-added tax (VAT) using its emod.fr macroeconomic model. These simulations were discussed and published as an appendix to the Besson report on the subject. Nearly five years later, the government has decided to introduce a social VAT, so we asked Mathieu Plane and Xavier Timbeau to perform another round of simulations using the same model. The initial results were presented and discussed at a one-day workshop on the topic of taxation that took place at the Sciences-Politique Institute in Paris on 15 February. Why did we conduct new simulations, and how do they compare?

1. The measures simulated are different

There are a number of differences between the measure simulated in 2007 and the 2012 measure:

a. The shocks are on a different scale

In 2007, the measure simulated involved a rise of 3.4 points in the nominal VAT rate, which was offset by an ex ante reduction in employer contributions of the same amount. The measure proposed by the government in 2012 represents a 1.6 point increase in the standard VAT, which corresponds to a 1.1 point increase in the effective rate (10.6 billion euros) and an increase in the CSG tax on capital income from 8.2% to 10.2%, which amounts to 2.6 billion. The additional 13.2 billion euros in revenue will fund the elimination of employers’ “family” social security contributions. Comparing the results requires at a minimum calibrating the shocks so that they are on the same scale. As our model is linear, a simple rule of three can then reassess the impact of the measure in 2007 and compare it with that of 2012. As is shown in the Table summarizing the results of this recalibration, the impacts on employment of the two versions are very similar.

b. The shocks are not the same type

Unlike the simulations in 2007, besides the fact that there is a dose of CSG in its funding, the reduction in the cuts in contributions proposed by the government in 2012 is not uniform. It is targeted in particular at companies with employees who are paid at 1.5 to 2.1 times the minimum wage (SMIC), which has different sectoral impacts depending on the wage structure and on the impact on the relative cost of unskilled / skilled labour. The fact that it is focused on skilled workers whose labour cost is less elastic reduces the expected impact on employment of lowering labour costs. This effect will also be reduced by the potential substitution of unskilled labor by skilled more productive labour. While this kind of effect is well documented in the literature, our econometric macro model does not yet enable us to take this into account. Our model is in the process of being enhanced, which will at some point make it possible to refine our results.

2. The model used (emod.fr) evolves in the course of re-estimations

Finally, it is necessary to keep in mind that macroeconomic models incorporate a certain number of estimated parameters, which can influence the results. This is the case in the simulation we are interested in of the elasticities of exports and imports to their prices and the elasticity of the substitution between capital and labor. However, the estimated value of these parameters is updated regularly to keep as close as possible to reality as captured by the national accounts. Thus, for example, the price elasticity of exports has changed considerably in recent years, from 0.57 to 0.31 between the version of the model used in 2007 and the 2012 model, meaning that any decline in price was less creative of activity and therefore of jobs.

In the next issue of the Revue de l’OFCE we will present all the results of our simulations in detail. We will also indicate the impact of a change in the value of the key elasticities on our assessments so that readers can better understand our revisions of the impacts.

 




Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

 

La crise budgétaire européenne et l’exigence de réduire les niveaux de dette publique qui a suivie ont accéléré l’adoption d’une série de réformes des règles budgétaires européennes à la fin de l’année 2011. Deux règles ont été introduites afin de renforcer le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Etant donné que de nombreux Etats membres de la zone euro ont des déficits structurels et des dettes publiques supérieurs aux seuils considérés, il nous a semblé intéressant d’évaluer les conséquences macroéconomiques du respect de ces règles budgétaires par 4 pays, dont la France. 

La limite actuelle de déficit public à 3% du PIB a été complétée par une limite sur le déficit structurel équivalant à 0,5% du PIB, et par une règle de réduction de la dette imposant aux pays fortement endettés de réduire chaque année leur taux d’endettement public d’1/20e de la différence vis-à-vis du niveau de référence de 60% du PIB. De plus, la limite de déficit structurel va au-delà de la règle des 3% car elle est associée à l’obligation d’incorporer une règle de budget équilibré et des mécanismes automatiques de retour à l’équilibre budgétaire dans la Constitution de chaque Etat membre de la zone euro. Par un malheureux abus de langage, elle est désormais souvent qualifiée de « règle d’or » [1]. Afin de distinguer la « règle d’or des finances publiques » appliquée par les régions françaises, les Länder allemands et, de 1997 à 2009, par le Royaume-Uni, nous qualifierons par la suite cette « règle de budget équilibré » de  « nouvelle règle d’or ».

Du fait de la crise financière internationale qui sévit depuis 2007, les Etats de la zone euro sont souvent loin de satisfaire aux exigences des nouvelles règles en vigueur. Cela pose donc la question des conséquences que le respect de ces règles imposerait à ces Etats.  Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les trajectoires de convergence aux différentes règles de quatre pays, représentatifs de la zone euro, à l’aide d’un modèle théorique standard.

Nous avons choisi un grand pays avec un niveau moyen d’endettement public (France), un petit pays avec une dette un peu plus élevée (Belgique), un grand pays avec une dette élevée (Italie) et un petit pays avec une dette comparativement assez faible (Pays-Bas). La taille des pays, grande ou petite, est associée à la taille de leur multiplicateur budgétaire, l’effet des dépenses publiques sur la croissance : les grands pays moins ouverts que les petits pays au commerce international ont un effet multiplicateur plus important que les petits pays. Les quatre pays diffèrent également en fonction de la taille et du signe de leur solde primaire structurel en 2010 : la France et les Pays-Bas ont un déficit, alors que la Belgique et l’Italie dégagent un excédent.

Dans le modèle, l’évolution du déficit public est contracyclique et l’impact d’une hausse du déficit public sur le PIB est positif, mais un endettement excessif augmente la prime de risque sur les taux d’intérêt de long terme payés pour financer cette dette, ce qui nuit in fine à l’efficacité de la politique budgétaire.

Les règles que nous simulons sont : (a) l’équilibre (à 0,5% du PIB) du budget ou «nouvelle règle d’or» ; (b) la règle de 5% par an de réduction de la dette ; (c) le plafond de 3% de déficit total (statu quo). Nous évaluons également : (d) l’effet de l’adoption d’une règle d’investissement dans la veine de la règle d’or des finances publiques qui, de façon générale, impose l’équilibre budgétaire au cours du cycle pour les dépenses courantes, tout en permettant de financer l’investissement public par la dette.

Nous simulons sur 20 ans, i.e. l’horizon de réalisation de la règle du 1/20e, l’effet des règles sur la croissance, le taux d’inflation et le déficit public structurel, ainsi que sur le niveau de la dette publique. Premièrement, nous analysons le chemin suivi par les quatre économies après l’adoption de chaque règle budgétaire à partir de 2010. Nous demandons, en d’autres termes, comment les règles fonctionnent dans un scénario de consolidation budgétaire que l’Europe connaît d’ores et déjà aujourd’hui. Deuxièmement, nous simulons la dynamique de l’économie après un choc de demande et un choc d’offre, partant de la situation de base du Traité de Maastricht, avec l’économie à un taux de croissance nominal de 5% (une croissance potentielle à 3% et un taux d’inflation de 2%), et un niveau d’endettement de 60%. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la croissance potentielle réelle dans les pays de la zone euro a été constamment inférieure à 3% depuis 1992, ce qui a contribué à rendre encore plus contraignante qu’initialement prévu la règle coercitive pesant sur les finances publiques.

Les résultats de nos simulations sont multiples. Premièrement, l’adoption des règles produit dans tous les cas une récession à court terme, même dans les petits pays avec un multiplicateur budgétaire faible et une faible dette publique initiale comme aux Pays-Bas. Cela complète le diagnostic selon lequel la rigueur généralisée en Europe nuit immanquablement à la croissance (cf. La très grande récession, 2011) en montrant qu’il n’existe pas de règle budgétaire qui, appliquée scrupuleusement à court terme, permet d’échapper à une récession. Cette constatation révèle une incitation, de la part des gouvernants, à dissocier les usages de jure et de facto des règles budgétaires : les annonces ont tout intérêt à ne pas être suivies d’effets, si l’objectif final de la politique économique est la préservation et la stabilité de la croissance économique.

Deuxièmement, les récessions peuvent engendrer la déflation. En vertu de la contrainte à zéro pesant sur les taux d’intérêt nominaux, une déflation est très difficile à inverser avec une contrainte budgétaire.

Troisièmement, la règle d’investissement aboutit à de meilleures performances macroéconomiques que les trois autres règles : les récessions sont plus courtes, moins prononcées et aussi moins inflationnistes sur l’horizon considéré. In fine, les niveaux de dette publique diminuent certes moins qu’avec la règle du 1/20e mais, sous l’effet de la croissance engendrée, la dette publique française perd 10 points de PIB par rapport à son niveau de 2010, tandis que les dettes belges et italiennes diminuent respectivement de 30 et 50 points de PIB. Seul le pays initialement le moins endetté, les Pays-Bas, voit sa dette stagner.

Quatrièmement, en faisant abstraction de la règle d’investissement qui ne figure pas dans les projets européens, il apparaît que le statu quo est plus favorable que la « nouvelle règle d’or » ou que la règle de réduction de la dette en termes de croissance ; il s’avère cependant plus inflationniste pour les grands pays. En termes de croissance, cela semble signifier que le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, appliqué brutalement, serait préjudiciable aux 4 économies considérées.

Cinquièmement, lorsque l’économie à l’équilibre est frappée par des chocs de demande et d’offre, le statu quo semble approprié. Ceci confirme l’idée que le PSC actuel donne des marges de manœuvre budgétaire. Les simulations montrent néanmoins que le statu quo reste coûteux en comparaison avec la règle de l’investissement.

Pour conclure, il est difficile de ne pas remarquer un paradoxe : des règles visant à empêcher les gouvernements d’intervenir dans l’économie sont discutées précisément après la crise financière mondiale qui a requis des gouvernements qu’ils interviennent afin de contribuer à amortir les chocs découlant de défaillances de marché. Ce travail vise ainsi à réorienter le débat de l’objectif de  stabilisation budgétaire à celui de stabilisation macroéconomique. Les autorités européennes – les gouvernements, la BCE, ou la Commission – semblent considérer la dette et le déficit publics comme des objectifs politiques en soi, plutôt que comme des instruments pour atteindre les objectifs finaux de croissance et d’inflation. Ce renversement des objectifs et des instruments équivaut à nier a priori tout rôle à la politique macroéconomique. De nombreux travaux [2], dont celui que nous avons mené, adoptent plutôt la position opposée : la politique économique joue certainement un rôle dans la stabilisation des économies.

 

 

[1] Cet abus de langage a notamment été dénoncé par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak en 2011, ou par Bernard Schwengler en 2012.

[2] Voir par exemple, en anglais, l’étude transversale parue en 2012 dans American Economic Journal, Macroeconomics, et la bibliographie qu’elle contient, ou, en français, l’étude parue en 2011 de Creel, Heyer et Plane, sur les effets multiplicateurs de politiques temporaires de relance budgétaire.

 

 




Remplacer la PPE par un allègement de cotisations sociales salariales sur les bas salaires

Guillaume Allègre

Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir remplacer la Prime pour l’emploi (PPE) par un allègement de cotisations sociales salariales sur les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic. L’allègement de cotisations pèserait 4 milliards d’euros et bénéficierait à 7 millions de travailleurs modestes. Le gain annoncé (un peu moins de 1 000 euros par an) serait nécessairement dégressif. La suppression de la PPE (2,8 milliards d’euros selon le Projet de loi de finances 2012, p. 76) serait complétée par une hausse des prélèvements sur les revenus financiers.

Cette proposition ressemble fort à la proposition initiale du gouvernement Jospin en 2000 prévoyant un abattement sur la Cotisation sociale généralisée (CSG) des revenus du travail en dessous de 1,4 Smic. Cette réforme, adoptée par le Parlement, avait été censurée par le Conseil constitutionnel car la baisse de la CSG accordée aux revenus modestes ne dépendait que des salaires individuels et non pas de la situation familiale. La CSG étant assimilé à un impôt, le Conseil avait jugé que sa progressivité devait tenir compte de la faculté contributive du contribuable et donc de ses charges familiales. Afin de répondre à cette censure, le gouvernement Jospin a créé un nouvel instrument, la Prime pour l’emploi, ayant les mêmes propriétés que l’abattement de CSG, mais dont le calcul dépend, en très faible partie, de la situation familiale (plafond de ressources élevé au niveau du foyer, et majoration résiduelle pour enfant). Mais contrairement à un abattement de CSG, l’effet de la PPE n’apparaît pas sur la fiche de paie : la prime est calculée à partir des déclarations d’impôt sur le revenu et réduit l’impôt dû par les foyers ; les foyers ne payant pas d’impôt reçoivent un chèque du Trésor. Par conséquent, la Prime pour l’emploi est perçue avec un décalage d’un an. La Prime pour l’emploi, votée sous le gouvernement Jospin, a été augmentée sous les gouvernements Raffarin et Villepin. En 2008, son poids était de 4,5 milliards d’euros (PLF 2010, p. 53). Un salarié à temps plein au Smic touchait alors 1 040 euros par an. Elle a ensuite été gelée par le gouvernement Fillon et son poids est passé de 4,4 à 2,8 milliards d’euros entre 2008 et 2012, soit une baisse d’1,7 milliards d’euros sous l’effet à la fois du gel et de la déductibilité du RSA-activité des primes versées de PPE. En 2012, un salarié à temps plein au Smic ne touche plus que 825 euros annuels. De plus, l’absence de coup de pouce au Smic a fortement réduit le nombre de foyers éligibles au taux plein (ainsi que le nombre de salariés éligibles au taux plein des allègements de cotisations patronales). Cet effet s’ajoute à l’effet de la hausse du chômage qui réduit le nombre de salariés éligibles. Un dispositif de 4 milliards, dont le gain maximal serait d’un peu moins de 1 000 euros, pèserait un peu moins que la PPE en 2008. Si l’on rajoute le coût du RSA-activité (1,6 milliards en 2012) et que l’on tient compte du coût des dispositifs antérieurs d’intéressement au RMI et à l’API (600 millions), on conclut que ces divers dispositifs de soutien aux salariés modestes pèseraient 5,6 milliards en 2012 contre 5,1 milliards en 2008, soit une augmentation à peine supérieure à l’inflation : les nouvelles politiques proposées depuis 2008 sont essentiellement financées par redéploiement d’instruments bénéficiant aux mêmes publics.

Le remplacement de la Prime pour l’emploi par un allègement de cotisations serait une avancée en termes administratifs puisque les pouvoirs publics cesseraient de prélever une cotisation pour reverser un crédit d’impôt plus faible aux mêmes personnes 6 à 12 mois plus tard. Le bénéfice de l’allègement de cotisations serait immédiat et fortement lié à l’emploi. Le fait que les salariés modestes sont des contributeurs et non des bénéficiaires de l’aide sociale serait clarifié. Les propositions de fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu (dont la PPE est un élément) poursuivent exactement le même objectif. Cette réforme pose tout de même plusieurs questions. Comment réagirait le Conseil constitutionnel s’il était saisi ? Les salariés travaillant à temps partiel bénéficient aujourd’hui d’une majoration de Prime pour l’emploi ; serait-elle reconduite ?




Les précautions d’usage pour la lecture des résultats de simulations macroéconomiques: le cas de la TVA sociale

par Eric Heyer

En septembre 2007, l’OFCE avait réalisé des simulations sur les conséquences macroéconomiques de la mise en place d’une TVA sociale à l’aide de son modèle macroéconomique emod.fr. Ces dernières avaient été commentées et publiées en annexe du rapport Besson sur le sujet. Près de 5 ans plus tard, le gouvernement a décidé d’instaurer une TVA sociale et nous avons avec Mathieu Plane et Xavier Timbeau procédé à une nouvelle salve de simulations à l’aide de ce même modèle dont les premiers résultats ont été présentés et commentés lors d’une journée d’étude sur le thème de la fiscalité qui s’est déroulée à Sciences Po Paris le 15 février dernier. Pourquoi  avoir procédé à de nouvelles simulations et peut-on les comparer ?

 

1. Les mesures simulées sont différentes

Il existe de nombreuses différences entre la mesure simulée en 2007 et celle de 2012 :

a. Le choc n’est pas de même ampleur

En 2007, la mesure simulée était celle d’une hausse de 3,4 points du taux de TVA apparent, compensée par une baisse de cotisations employeurs de la même somme ex ante. La mesure proposée par le gouvernement en 2012 correspond à une hausse de 1,6 point de la TVA normal, ce qui correspond à une hausse de 1,1 point du taux apparent (10,6 milliards) et une augmentation de la CSG sur les revenus du capital de 8,2 % à 10,2 % pour un montant de 2,6 milliards d’euros. Ce supplément de recettes de 13,2 milliards permettra de financer la suppression des cotisations sociales patronales « famille ». Comparer les résultats nécessite au minimum de calibrer les chocs afin qu’ils soient de même ampleur. Notre modèle étant linéaire, une simple règle de trois permet alors de réévaluer l’impact de la mesure de 2007 et de la comparer à celle de 2012. Comme l’indique de tableau qui résume les résultats de ce recalibrage, les impacts sur l’emploi sont très proches entre les deux versions.

b. Le choc n’est pas de même nature

Contrairement aux simulations de 2007, outre le fait qu’il y ait une dose de CSG dans  son financement, la réduction des allègements de charges proposée par le gouvernement en 2012 est non uniforme. Elle est particulièrement ciblée sur les entreprises ayant des employés rémunérés entre 1,5 et 2,1 SMIC, ce qui a des impacts sectoriels différents selon la structure des salaires ainsi que des effets sur le coût relatif du travail peu qualifié / qualifié. Ainsi, en le centrant sur des travailleurs qualifiés dont l’élasticité au coût du travail est plus faible, cela diminue l’effet escompté sur l’emploi d’une baisse du coût du travail. Cet effet serait également réduit par une éventuelle substitution d’emplois non qualifiés par des qualifiés plus productifs : si un tel effet est largement documenté dans la littérature économique, notre modèle macro économétrique ne permet pas en l’état de le prendre en compte. Un enrichissement de notre outil est en cours et permettra à terme d’affiner nos résultats.

2. Le modèle utilisé (emod.fr) évolue au gré des ré-estimations

Enfin il est nécessaire de rappeler que les modèles macroéconomiques intègrent un certain nombre de paramètres estimés, auxquels les résultats sont sensibles. C’est le cas, dans la simulation qui nous intéresse, des élasticités des exportations et des importations à leurs prix ainsi que de l’élasticité de substitution capital-travail. Or la valeur estimée de ces paramètres est mise à jour régulièrement de manière à coller au plus près de la réalité telle qu’elle ressort de la comptabilité nationale. C’est ainsi par exemple que l’élasticité des exportations à leurs prix a considérablement évolué au cours des dernières années passant de -0,57 à -0,31 entre la version du modèle utilisée en 2007 et celle de 2012, rendant toute baisse des prix relatifs moins créatrice d’activité donc d’emplois.

Dans le prochain numéro de la Revue de l’OFCE nous présenterons en détails l’ensemble des résultats de nos simulations. Nous indiquerons également l’incidence du changement de valeur des principales élasticités sur nos évaluations afin de permettre aux lecteurs d’appréhender au mieux nos révisions d’impacts.

 

 

 




Notre système de santé est-il en péril ? Gérer la pénurie de médecins (2/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel  de crise économique générale : le second, ici présenté, concerne l’accès aux soins qui pourrait devenir plus compliqué du fait de la réduction temporaire du nombre de médecins.

La baisse à venir du nombre de médecins, même si elle reste limitée et provisoire, fait courir le risque d’apparition de déserts médicaux. Des incitations existent pour diriger les professionnels de santé vers les zones à faible densité médicale. Mais elles sont très insuffisantes et la question d’une intervention plus directe se pose[1]. Il paraît difficile d’éviter une remise en cause de la liberté complète d’installation des médecins qui pourrait se traduire par une obligation de première installation en zone prioritaire pour les nouveaux médecins. Mais c’est faire peser sur les plus jeunes médecins une contrainte forte qui implique des contreparties. Faudra-t-il alors accepter que leur rémunération augmente plus ? Dans quelle proportion ? Faudrait-il autoriser un nouveau développement des dépassements d’honoraires ? La nécessité d’une négociation globale avec la profession apparaît clairement : la faiblesse passée du numerus clausus va entraîner pour un temps un certain rationnement de l’offre de médecins ; ceci renforce le pouvoir de marché de la profession alors qu’une remise en cause des compromis anciens s’impose. Idéalement il serait souhaitable de négocier une hausse des revenus des médecins en formation contre une baisse des dépassements d’honoraires et une contrainte sur la localisation (éventuellement indemnisée par des primes spécifiques). Mais ceci n’est plus applicable aux générations qui viennent d’achever leurs études.  Dès lors la seule voie est certainement celle d’une forte revalorisation des tarifs des actes (ou des forfaits si, comme cela serait souhaitable, les revenus des médecins étaient de moins en moins calculés en fonction des actes et de plus en plus en fonction de la taille de leur patientèle[2]) en contrepartie de l’acceptation d’une contrainte de localisation (indemnisée) et d’une réduction des dépassements d’honoraires. Cette évolution constituerait une charge supplémentaire pour l’assurance maladie, qui pourrait être gagée au moins partiellement par le développement des bonnes pratiques. D’autre part la hausse de la rémunération individuelle des médecins sera, pendant quelques années, partiellement compensée par la réduction de leur nombre.

Les contraintes de file d’attente devraient aussi favoriser un meilleur partage de l’activité entre les médecins et un certain nombre de techniciens de santé qui peuvent les assister et les suppléer dans certains cas (comme cela commence à se faire en matière d’optique correctrice).  Tous ces changements – fin de la liberté absolue d’installation, réglementation plus strict des dépassements d’honoraires, partage de l’activité médicale avec des professions paramédicales, développement du travail de groupe –, sont donc envisageables mais ils impliquent une importante remise en cause des compromis anciens entre l’Etat et les médecins. La difficulté principale est ici de nature socio-politique. Pour la surmonter il faut aussi accepter des compensations financières pour les médecins, ce qui sera difficile dans un contexte de rationnement général.


[1] La Loi HPST (Hôpital-Patients-Santé-Territoires) de juillet 2009 a instauré un « contrat d’engagement de service public » qui propose aux étudiants en médecine, à partir de la deuxième année, et aux internes un complément de revenu de 1 200 € par mois contre l’engagement de s’installer en zone prioritaire pour une durée au moins égale à celle de la perception de l’aide et au minimum de 2 ans. 400 contrats ont été proposés en 2010-2011 (200 pour les étudiants et 200 pour les internes) mais seuls 148 ont été signés (103 étudiants et 45 internes) ce qui est évidemment très faible et très insuffisant au regard des problèmes à venir d’implantation des médecins en zones difficiles.

[2] Depuis 2010 l’assurance maladie a mis en place un « Contrats d’Amélioration des Pratiques Individuelles » (CAPI) qui accorde une rémunération forfaitaire pouvant atteindre 7 000 € par an aux médecins qui acceptent de respecter certaines règles de pratique de soins et de prévention. Ce dispositif introduit une forme de rémunération à la performance distincte de la rémunération des actes qui s’ajoute à celle, très partielle, liée à la gestion des malades en affection de longue durée (ALD) par les médecins « traitants »( 40 € par an et par patient).




Notre système de santé est-il en péril ? Le financement de l’assurance maladie et la crise (1/4)

par Gérard Cornilleau

La santé fait partie des préoccupations essentielles des Français.  Pourtant sa place dans le débat politique reste limitée, sans doute du fait du caractère très technique des problèmes que posent le financement et la gestion du système de soins.  Une note de l’Ofce présente les quatre problèmes qui nous semblent essentiels dans le contexte actuel de crise économique générale : le premier concerne la financement de l’assurance maladie qui est mis à mal par l’affaiblissement des recettes liée à la crise ; le second concerne l’accès aux soins qui pourrait devenir plus compliqué du fait de la réduction temporaire du nombre de médecins ; le troisième est lié à l’évolution mal maîtrisée du partage des remboursements par la Sécurité sociale et les organismes complémentaires dans un contexte de croissance des dépenses non remboursées (notamment celles liées à la progression des dépassements d’honoraires) ; enfin le quatrième problème saillant concerne la gestion hospitalière qui a été fortement déstabilisée par l’introduction de la tarification à l’activité.

Le financement de l’assurance maladie : une nouvelle source à explorer

La crise a contribué à accentuer les difficultés de financement de l’assurance maladie, ce qui nourrit une inquiétude à propos de la pérennité du système de santé et de la prise en charge publique des dépenses de soins. Toutefois, l’analyse des grandes tendances des dépenses et du financement montre que dans l’hypothèse d’un retour à une situation macroéconomique « normale » les difficultés financières devraient être contenues et l’effort structurel à fournir pour équilibrer le régime relativement limité : le déficit de départ est relativement faible (environ 0,6 point de Pib de déficit total qui se partage à peu près en deux moitiés égales à 0,3 point de déficit structurel et 0,3 point de déficit conjoncturel), et les perspectives de croissance des dépenses à court-moyen terme restent modérées (avec une hausse du ratio dépenses / Pib de l’ordre de 0,1 point de Pib par an). Une augmentation de la CSG et des efforts réalistes de maîtrise des dépenses (de l’ordre de 1 à 2 milliards par an relativement à la tendance spontanée) devraient suffire à assurer la pérennité financière du système.

Si la situation macroéconomique était durablement très dégradée, le déficit de l’assurance maladie pourrait augmenter et la question des économies de dépenses se poser avec plus d’acuité. Deux options seraient ouvertes : soit accepter une nouvelle hausse du déficit, la solution de la question du financement ne pouvant résulter que d’un changement radical des politiques européennes ; soit renoncer à la reprise de la croissance et ajuster en conséquence les paramètres financiers de l’assurance maladie. Trois variables sont disponibles pour ajuster les comptes : la réduction tendancielle des dépenses, la hausse des prélèvements, la baisse des remboursements. Dans ce scénario noir de renoncement à la croissance, Il est vraisemblable que les pouvoirs publics cherchent à agir sur ces trois variables. La réduction tendancielle des dépenses est difficile à envisager alors que les besoins liés à la croissance démographique et au vieillissement continueront à croître et que la tendance spontanée est déjà modérée. La hausse des prélèvements est envisageable, mais elle entrerait en concurrence avec les hausses de fiscalité destinées à financer les autres dépenses publiques. Quant à la baisse des taux de remboursement elle peut difficilement s’appliquer de manière uniforme alors que la prise en charge des dépenses courantes de médecine de ville est déjà très faible.

La seule voie qui n’a pas encore été empruntée est celle du remboursement sous conditions de ressources qui implique une forte hausse de la participation financière des ménages les plus aisés. Cette mesure permettrait sans doute de limiter les déficits mais fragiliserait le système qui pour les plus riches deviendrait de plus en plus coûteux, ce qui les pousserait à soutenir le passage à un système d’assurance privé excluant toute redistribution entre riches et pauvres.





Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX



Quelle politique de l’emploi dans la crise ?

par Marion Cochard

(Point de vue paru sur le site lemonde.fr, ici)

Après une accalmie d’une année seulement, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse depuis avril 2011. On voit se remettre en place l’enchaînement récessif de 2008 : gel des embauches, non-reconduction des contrats d’intérim et des CDD, puis licenciements économiques en fin d’année. En cause bien sûr, le retournement conjoncturel en cours, qui intervient alors que les marges des entreprises françaises sont encore dégradées par le choc de 2008-2009, et particulièrement dans l’industrie. Les entreprises fragilisées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’amortir cette rechute comme elles l’avaient fait il y a 4 ans. L’économie française devrait retomber en récession dès le quatrième trimestre 2011, et nous prévoyons une chute de l’activité de 0,2% en 2012. Quand on sait qu’une croissance annuelle de 1,1% est nécessaire pour commencer à créer des emplois, la reprise des destructions d’emplois paraît inévitable. Si l’on ajoute à ce sombre constat une population active toujours dynamique, le nombre de chômeurs franchirait la barre des 3 millions d’ici la fin de l’année.

A l’aube d’un sommet social sous tension, quelles sont donc les options qui permettraient d’amortir l’impact de crise sur le marché du travail ? Dans l’urgence de la crise, le gouvernement dispose de deux principaux leviers très réactifs et peu coûteux : le chômage partiel et les emplois aidés dans le secteur non marchand.

Le chômage partiel, d’abord, permet d’amortir les difficultés conjoncturelles rencontrées par les entreprises et de conserver les compétences au sein de l’entreprise. Il existe des marges importantes pour élargir le dispositif. A titre de comparaison, la durée maximale d’indemnisation au titre du chômage partiel a été portée à 24 mois en 2009 en Allemagne, contre 12 mois en France. En outre, la prise en charge de l’Etat, nettement supérieure en Allemagne, explique en partie le large usage qui y en a été fait : le chômage partiel y a touché 1,5 millions de personnes au pire de la crise, contre 266 000 en France. Une telle orientation pèserait par ailleurs très peu sur les finances publiques, car aux 610 millions d’euros déboursés par l’Etats au titre du chômage partiel en 2009, on peut opposer les indemnités chômage économisées, et la préservation du capital humain.

Mais le chômage partiel profite avant tout aux emplois industriels stables. Or, les premières victimes de la crise sont précisément les emplois précaires et les jeunes. C’est à ces catégories de population que s’adressent les emplois aidés. Là aussi, le gouvernement dispose de marges de manœuvre puisque depuis fin 2010, 70 000 contrats aidés non-marchands ont été détruits –et 300 000 depuis le début des années 2000- et que le dispositif n’est pas très coûteux. La création de 200 000 emplois aidés coûterait ainsi 1 milliard d’euros à l’Etat, à comparer au manque à gagner de 4,5 milliards lié à la défiscalisation des heures supplémentaires, en contradiction avec la logique du chômage partiel. Ciblés sur les catégories de chômeurs les plus éloignées de l’emploi – chômeurs de longue durée, peu qualifiés… – ces dispositifs permettraient de réduire le risque d’éloignement du marché du travail.

Pour autant, si ces outils doivent être mobilisés dans l’immédiat, ils n’en demeurent pas moins des dispositifs de court terme. Le chômage partiel reste circonscrit aux secteurs industriels à 80%, et pour des recours de courte durée. Si la situation économique demeure dégradée, on sait que le dispositif ne fait que retarder les licenciements. De même, les emplois aidés n’ont pas vocation à être pérennisés. Ce sont des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel, qui visent la réinsertion sur le marché du travail mais ne doivent pas constituer une perspective durable.

L’enjeu majeur est donc celui du diagnostic de la situation économique actuelle. En concentrant les négociations sur la question du chômage partiel et de l’emploi aidé, le gouvernement semble faire le pari d’une reprise rapide. Pourtant, c’est bien la conjonction des plans de rigueur à l’échelle européenne qui pèsera sur la croissance dans les années à venir. Et cette politique de réduction des déficits publics, qui coûtera 1,4 point de croissance à la France en 2012, devrait perdurer au moins en 2013. Difficile, dans ces conditions, d’espérer sortir assez rapidement de l’enlisement pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce. A moins d’envisager une nouvelle baisse pérenne du temps de travail et des créations d’emplois publics, la meilleure politique de l’emploi reste l’activité. C’est donc avant tout la question de la gouvernance macro-économique qui se pose aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.