Les effets des réformes des dépenses sociales et fiscales consacrées aux enfants depuis 2008

Pierre Madec, Muriel Pucci-Porte et Laurence Rioux (Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge)

Comment les réformes
socio-fiscales intervenues depuis 2008 ont-elles modifié les dépenses publiques
consacrées aux enfants au titre de la politique familiale ? Quels effets
ont-elles eu sur le niveau de vie des familles avec enfants selon la
configuration familiale, le nombre d’enfants et la place dans l’échelle des
niveaux de vie ?



Pour évaluer précisément ces effets
redistributifs, la microsimulation est un outil particulièrement adapté. Deux
exercices de chiffrage des effets des réformes ont été menés. Le premier
utilise une maquette de cas-types permettant de comparer finement les barèmes
des législations de 2008, 2013 et 2020. Le second exercice, mené sur un
échantillon représentatif de l’ensemble de la population à l’aide du modèle de
microsimulation Ines[1], a pour objectif d’évaluer
l’effet (à comportements inchangés) des réformes des dépenses publiques
consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 sur le niveau de vie des
familles avec enfants.

Les résultats détaillés de notre étude
sont à retrouver dans le Document de travail de l’OFCE disponible ici.
Les principales conclusions mises en évidence sont les suivantes :

L’évaluation par cas-type montre que, à la
suite des différentes réformes intervenues depuis 2008, le montant cumulé des
dépenses socio-fiscales par enfant présente en 2020 les caractéristiques
suivantes :

  • une forte variabilité du montant de
    dépenses par enfant selon les configurations familiales, le nombre et l’âge des
    enfants, et le revenu d’activité total du ménage ; les écarts pouvant
    aller de un à sept ;
  • un montant plus élevé pour les familles
    monoparentales et les familles nombreuses, ce qui résulte en partie des
    réformes menées depuis 2008 ;
  • à configuration familiale et nombre
    d’enfants donnés, un profil plus chahuté qu’en 2008 de la courbe des dépenses
    publiques par enfant en fonction du revenu d’activité. Cela provient de
    l’empilement des différents dispositifs sociaux et fiscaux liés aux enfants,
    qui se chevauchent en partie mais ont des finalités différentes. Le « supplément
    enfant » de prime d’activité, en particulier, explique pour une bonne part
    le profil erratique de la dépense par enfant dans le bas de l’échelle des
    revenus du travail.

L’évaluation à l’aide du modèle Ines montre que :

  • Les réformes des prestations familiales
    mises en œuvre depuis 2008 se sont traduites par un transfert des prestations
    d’entretien universelles vers des prestations d’entretien ciblées et
    majoritairement sous conditions de ressources. Elles ont amélioré la situation
    des familles monoparentales et des familles les plus modestes, mais ont dégradé
    la situation des familles appartenant aux 20 % des ménages les plus aisés ;
  • les réformes de l’IR (pour l’essentiel les
    baisses du plafond du quotient familial en 2013 et 2014) ont conduit à une
    nette hausse du montant d’IR acquitté par les familles appartenant aux
    20 % des ménages les plus aisés ;
  • Les réformes des « suppléments enfant »
    des prestations sociales se sont, elles, traduites par une forte hausse des
    dépenses consacrées aux enfants et ne font quasiment que des gagnants, situés
    dans la 1re moitié de l’échelle des niveaux de vie. Les familles
    appartenant aux 20 % des ménages les plus modestes et les familles
    monoparentales en particulier en ressortent gagnantes ;
  • En quelques années, un double basculement
    s’est donc produit :

    • au cœur de la politique familiale a eu
      lieu un transfert des prestations d’entretien universelles vers des prestations
      d’entretien ciblées et majoritairement sous conditions de ressources ;
    • au sein de l’ensemble des dépenses
      sociales et fiscales consacrées aux enfants, s’est produit un transfert des
      dépenses relevant de la politique familiale (prestations familiales et prise en
      compte des enfants dans le calcul de l’impôt) vers celles à la frontière de la
      politique sociale et de la politique familiale (liés aux « suppléments enfants »
      de prestations sociales) ;
  • Prises dans leur ensemble, les réformes des dépenses consacrées aux enfants intervenues entre 2008 et 2018 (ou
    entre 2013 et 2018) n’ont pas modifié le niveau de vie moyen des
    familles avec enfant(s). Mais cette stabilité d’ensemble masque de fortes
    variations à la hausse pour certaines familles et à la baisse pour d’autres,
    les pertes importantes des perdants compensant au total les gains élevés des
    gagnants ;
  • Les réformes ont conduit à une
    redistribution des dépenses entre configurations familiales, des couples avec
    deux enfants ou plus vers les familles monoparentales. 42 % des couples
    avec deux enfants ou plus se retrouvent ainsi perdants à la suite des réformes
    intervenues entre 2008 et 2018, alors que 73 % des familles monoparentales
    avec deux enfants ou plus sont gagnantes ;
  • Les réformes ont également conduit à une
    redistribution verticale des familles les plus aisées vers les plus modestes.
    Les familles appartenant aux 30 % des ménages les plus aisés ont en
    moyenne perdu à la suite des réformes, en particulier celles situées au-dessus
    du 8e décile de niveau de vie. Les familles avec enfant(s)
    appartenant aux 60 % des ménages les plus modestes ont en moyenne bénéficié
    des réformes (et plus particulièrement les plus pauvres situées en dessous du 3e
    décile de niveau de vie). Mais les réformes ont aussi fait des perdants parmi
    les plus modestes : 20 % des familles en dessous du 1er
    décile de niveau de vie ont ainsi perdu à la suite des réformes intervenues
    depuis 2013.

[1] Ces travaux ont été menés respectivement par
Muriel Pucci (Université Paris 1 et OFCE) et Pierre Madec (OFCE) pour et en
collaboration avec le secrétariat général du HCFEA dans le cadre d’un rapport
disponible ici.




Salaire de référence des chômeurs : supprimer le problème ou le résoudre

par Bruno Coquet

Les allocations chômage que perçoivent
les chômeurs indemnisés remplacent une partie du salaire qu’ils recevaient
lorsqu’ils occupaient un emploi : ce salaire sert de référence au calcul
de l’allocation, il est celui auquel est appliqué le taux de remplacement et
sur la base duquel l’assureur essaie de stabiliser la consommation du chômeur ;
il représente donc une question fondamentale en matière d’assurance chômage.



Les règles en vigueur en France,
inchangées depuis des décennies, qui reposaient sur le salaire des jours
travaillés, ont été modifiées dans le cadre de la réforme de l’assurance
chômage de 2019. Les nouvelles règles qui privilégiaient un salaire mensuel
moyen englobant les jours travaillés et non-travaillés ont cependant été
invalidées par le Conseil d’État car elles engendraient « une
différence de traitement manifestement disproportionnée
 » au détriment
des chômeurs ayant occupé des emplois en contrats courts.

La règle du salaire journalier prévaut
donc à nouveau, et le sujet du « salaire de référence » est donc de
nouveau ouvert à la discussion.

Une règle problématique qui doit être
corrigée

Les règles en vigueur engendrent de très
fortes inégalités entre les chômeurs ayant des historiques d’emploi fractionnés
et les autres. Le taux de remplacement réglementaire du salaire mensuel peut en effet dépasser 100% :
en effet, lorsque le taux de remplacement est appliqué au salaire journalier
pour calculer une allocation journalière, cette dernière peut être servie tous
les jours du mois, alors que lorsqu’il était en emploi ce chômeur ne
travaillait pas forcément tous les jours de chaque mois. Il en résulte qu’un
chômeur qui ne travaille pas en activité réduite peut « gagner plus au
chômage qu’en travaillant
 ». Même si c’est loin d’être le cas général,
ce type de situation devrait néanmoins être impossible d’un point de vue réglementaire,
car préjudiciable pour les comportements et financièrement insoutenable pour
l’assureur. Ces règles devraient donc être changées.

Les règles définissant le salaire de
référence étaient bien adaptées au marché du travail des Trente glorieuses,
mais elles ont peu à peu révélé des faiblesses et craqué sous la pression de
l’usage débridé des contrats courts dans un contexte de chômage élevé.

De nombreux salariés alternent des
contrats courts et des périodes non-rémunérées. Leur revenu salarial est souvent
complété par un minimum social, la prime d’activité, etc., ce qui leur permet
de vivre sans occuper un emploi à temps plein. Lorsqu’ils ont accumulé
suffisamment de périodes d’emploi pour être éligibles à l’assurance chômage,
ils restent susceptibles d’exercer ponctuellement une emploi en contrat court,
d’autant qu’ils sont logiquement incités à le faire pour favoriser leur
employabilité et leur retour à l’emploi durable ; mais le changement vient
de ce que les périodes inter-contrats sont alors indemnisées par l’assurance
chômage.

Il en résulte un effet d’optique à
l’origine des différences d’appréciation quant au nombre de chômeurs qui
« gagnent plus au chômage qu’en travaillant » : lorsque
le nombre de jours indemnisés est réduit à proportion du nombre de jours
travaillés dans le mois, le taux de remplacement apparent devient inférieur au
taux réglementaire, et la fréquence des taux de remplacement supérieurs à 100%
diminue. En réalité les défauts de la règle restent identiques, mais ils sont masqués.

Au total la multiplication des
situations où le cumul allocations chômage/salaire est un fait, de même que les
cas où celles-ci sont plus rémunératrices que l’emploi ; et tout donne à
penser que ces possibilités ont peu à peu contribué à stimuler l’usage des
contrats courts, et les dépenses d’indemnisation afférentes. Dans tous les cas,
les règles de l’assurance chômage ne devraient pas ouvrir ce type de
possibilité, a fortiori à grande échelle.

Abracadabra : plus de problèmes de salaire de référence pour les chômeurs non-éligibles

Pour bien comprendre ce problème
complexe, ce nouveau document de travail, « Comment déterminer le salaire de référence des chômeurs
indemnisés ? »
, le décompose. Il
apparaît alors clairement que ce qui se manifeste au travers du salaire de
référence, ce sont d’abord les effets des règles d’éligibilité à l’assurance
chômage.

Les chômeurs qui n’ont pas accès à
l’assurance chômage ont un taux de remplacement nul. Pour ceux qui y ont accès,
le taux de remplacement dépasse le taux réglementaire dès lors qu’il existe des
jours non-travaillés dans leur historique d’emploi. L’intensité d’emploi exigée
par l’assurance, c’est-à-dire le nombre de jours travaillés durant la période
de référence, détermine dans quelle mesure le taux de remplacement effectif
peut dépasser le taux réglementaire.

La réforme de 2019 a profondément
modifié les règles d’éligibilité : période de référence raccourcie de 28 à
24 mois, seuil minimum d’éligibilité relevé de 4 à 6 mois, restriction des rechargements
de droits. Ces nouvelles règles impliquent que 400 000 chômeurs ne seront
plus éligibles (la moitié pourrait cependant le devenir avec un décalage de 12
mois au moins). De plus, le passage du seuil minimal d’éligibilité à 6 mois sur
les 24 derniers replie l’éventail des salaires, en ce sens que le salaire
mensuel moyen sur la période de référence qui pouvait être jusqu’à 7 fois
moindre que le salaire journalier des jours travaillés quand l’éligibilité
était fixée à 4 mois parmi 28 ne peut désormais être que 4 fois moindre au
maximum (6/24). Si la formule du salaire de référence ne changeait pas, le taux
de remplacement maximum passerait donc d’environ 7 à 4 fois le taux
réglementaire du seul fait du changement d’éligibilité.
Enfin, environ 1 million de chômeurs verraient la durée de leurs droits
réduite, parce qu’ils acquièrent leurs droits en plus de 24 mois. Les
restrictions d’éligibilité visant la récurrence au chômage des contrats courts
toucheront donc en réalité fortement des chômeurs issus d’emplois stables et
peu fractionnés.

Pour ces chômeurs
désormais inéligibles dont le taux de remplacement devient nul, ou ceux dont
l’allocation baissera du seul fait du durcissement des règles d’éligibilité,
une discussion restreinte au salaire de référence qui n’inclurait pas les
règles d’éligibilité ne changera rien.

Le problème tel qu’il était posé,
c’est à dire « plus de 20% des chômeurs ont un taux de remplacement net
supérieur à 100%
 » est supprimé pour environ la moitié des chômeurs
concernés, par ces seules restrictions de l’éligibilité et non par la règle
censurée du salaire de référence. Cela a plusieurs conséquences : d’une
part les faits qui ont justifié la modification de la règle du salaire de
référence sont moins beaucoup prégnants, d’autre part une discussion restreinte
aux règles du salaire de référence ne changera rien à la situation des chômeurs
devenus inéligibles ou ceux dont l’allocation baissera du seul fait des règles
d’éligibilité.

La nouvelle règle censurée du salaire
de référence arasait ce qu’il reste des taux de remplacement supérieurs à 100%,
et supérieurs au taux réglementaire. Si la réforme n’avait changé que cette
règle en laissant intacts les paramètres d’éligibilité, un plus grand nombre de
chômeurs précaires seraient restés éligibles avec une indemnisation réduite,
mais le problème du taux de remplacement tel qu’il était posé aurait aussi
disparu. Plus exactement la nouvelle règle aurait déplaçé le problème :
par souci de ne pas spolier les chômeurs concernés, le capital de droits (durée
potentielle des droits en jours x allocation journalière) tel qui ressortait de
l’ancienne règle, aurait été maintenu en allongeant la durée potentielle des
droits en sorte de compenser la baisse de l’allocation journalière issue de la
nouvelle règle. Ce faisant les inégalités de taux de remplacement étaient supprimées,
mais des inégalités quasiment équivalentes apparaissaient dans les durées potentielles
des droits, ce qui impliquait l’abandon de facto de la règle d’or « 1
jour travaillé / 1 jour indemnisé
 ».

Au total, la double-lame de la réforme
a supprimé le problème plutôt qu’elle ne l’a résolu. Il reste nécessaire de
revoir la définition du salaire de référence à remplacer, mais il est
souhaitable de le faire en cohérence avec les règles d’éligibilité.

Le salaire de référence :
nécessairement imparfait, au plus près du revenu assuré

Vouloir contrôler le salaire de
référence sans auparavant bien contrôler l’éligibilité et la manière dont les
chômeurs constituent leur historique d’emploi, aboutit nécessairement à une
formule imparfaite, inégalitaire, diffusant de mauvaises incitations. Ces
variables ne peuvent clairement pas être conçues indépendamment les unes des
autres.

Il n’existe cependant pas de formule
magique du salaire de référence. Une fois les chômeurs départagés par les
règles d’éligibilité, il est clairement souhaitable de tenir compte de la
régularité avec laquelle les nouveaux entrants en indemnisation ont acquis
leurs droits, et du caractère involontaire des périodes entre deux contrats lorsque
l’historique d’emploi est fractionné. Ces critères sont objectifs, en ce sens
qu’ils réfèrent aux comportements ou aux contributions des chômeurs lorsqu’ils
étaient salariés, ce qui les rend bien préférables à des paramètres abstraits tels
des « diviseurs » qui visent seulement à contraindre arbitrairement le
résultat de la formule du salaire de référence, sans lien avec les caractéristiques
du chômeur. Enfin, en dernier lieu, il est alors beaucoup plus facile de
déterminer une formule du salaire de référence réaliste, lisible, à mi-chemin
des deux extrêmes imparfaits que sont d’une part le salaire journalier des
seuls jours travaillés sur lequel s’appuie l’ancienne règle, ou le salaire
moyen sur la période servant à ouvrir les droits qui devait la remplacer en
2019.




La Prime d’activité n’est pas du salaire : elle amplifie la perte de revenu à la suite d’un licenciement

par Muriel Pucci

En janvier 2019, le gouvernement
a souhaité soutenir le niveau de revenu des salariés rémunérés au smic. Pour ce
faire, il a opté pour une réforme du barème de la Prime d’activité qui accroît
son montant de 90 euros au niveau du smic. À court terme, cela peut
paraître équivalent, pour un salarié rémunéré au smic, à une hausse de
90 euros du niveau du smic mensuel[1],
mais cela ne l’est plus si le salarié perd son emploi car alors la solution
choisie amplifie les effets du licenciement sur le revenu disponible du
travailleur.



Si la Prime d’activité permet
bien en général d’augmenter le revenu des personnes qui travaillent, il ne
s’agit pas d’un supplément de salaire. Et la différence est importante !
Alors qu’une augmentation du salaire s’accompagne d’un surcroît de cotisations
et donc de droits acquis aux allocations chômage et pensions de retraite
notamment, la Prime d’activité n’ouvre aucun droit. Lorsqu’un travailleur perd
son emploi, il perd à la fois son salaire et sa prime d’activité mais le
montant d’allocation chômage perçu ne dépend que du seul salaire. Ainsi, à
l’inverse des autres prestations sociales qui limitent la baisse des revenus
disponibles en période de crise, la Prime d’activité est pro-cyclique : les
sommes versées diminuent lorsque le chômage augmente.

La Prime d’activité est une
prestation sociale pour les travailleurs à bas salaire dont le montant doit garantir
aux familles un revenu disponible croissant avec le revenu d’activité des
actifs du foyer. Son calcul tient compte de l’ensemble des ressources du foyer
en accordant un statut particulier aux revenus professionnels : un euro de
revenu professionnel en plus réduit la Prime d’activité de 39 centimes, mais un
euro en plus d’une autre ressource la réduit d’un euro.

Alors
que le revenu d’activité d’une personne seule rémunérée au smic baisse de 28% à
la suite d’un licenciement, son revenu d’activité PA comprise baisse de 40%

En effet, considérons une
personne seule rémunérée au smic (1 219 €). Si elle ne dispose d’aucune
autre ressource, le montant de sa prime d’activité est de 237 euros, son
revenu disponible est donc de 1 456 euros (voir graphique 1). Si elle
perd son emploi en étant éligible au chômage indemnisé, elle percevra  878 euros au titre de l’ARE[2],
le taux de remplacement de l’ARE étant de 72 % au niveau du smic. Mais les
allocations chômage, bien qu’elles soient des revenus d’activité, n’ouvrent pas
droit à la Prime d’activité qui ne bonifie que les revenus professionnels. Outre
son salaire, le salarié perd donc également l’intégralité de sa PA et son
revenu disponible diminue de 578 euros (soit 1456 € – 878 €).

À titre de comparaison, si la Prime
d’activité était un élément de rémunération ouvrant les mêmes droits que le
salaire, le montant de l’ARE serait de 1 048 euros, soit 72% de la
somme salaire + PA. La baisse du revenu d’activité après licenciement serait de
171 euros de moins que dans le système actuel. Notons que cette différence serait
en partie compensée par les prestations sociales. Par exemple, pour une
personne seule rémunérée au smic et vivant en ville moyenne, le licenciement
pourra ouvrir droit à une aide au logement de 188 euros dans le système
actuel contre seulement 61 euros si la PA était considérée comme un
complément de salaire (voir graphique 2). Néanmoins, cette compensation par les
aides au logement n’est que partielle et, pour ce salarié, la baisse du revenu
disponible à la suite d’un licenciement reste amplifiée par le fait qu’une
partie de sa rémunération est une prestation sociale sans droits acquis (-32%
au lieu de -24% si la PA était considérée comme un complément de salaire). En
perdant son emploi, il perd 113 euros de plus (aide au logement comprise) dans
le système actuel que dans une situation fictive où la Prime d’activité
ouvrirait les mêmes droits sociaux que le salaire.

Si l’on
considère maintenant la réforme de 2019, si l’augmentation de la Prime
d’activité avait ouvert les mêmes droits qu’une hausse de salaire, un salarié
au smic perdant son emploi aurait pu bénéficier d’un montant d’ARE de
942 euros (soit 72 % de 1 219 € + 90 €), soit
64 euro de plus que dans le système actuel.

Les gouvernements successifs ont,
avec le RSA-activité d’abord et la Prime d’activité ensuite, souhaité augmenter
le revenu des travailleurs à bas salaire au moyen d’une prestation
différentielle. Il est important de souligner que ce faisant, ils ont fragilisé
la situation de ces mêmes travailleurs en période de crise en réduisant le taux
de remplacement des allocations chômage. Au-delà, on peut craindre que les
effets de ce basculement sur le taux de remplacement des pensions de retraite
soit à l’avenir la source d’un nouvel appauvrissement des retraités. Une
solution serait qu’à l’instar de ce qui est fait pour les parents de jeunes
enfant recourant à la Prepare[3],
la Prime d’activité donne lieu au versement par la Caf de cotisations chômage
et vieillesse permettant d’éviter la baisse des taux de remplacements de ces
prestations assurantielles pour les travailleurs qui bénéficient de la Prime
d’activité.


[1] C’est le cas pour un salarié vivant seul mais pas
toujours s’il vit en couple et/ou a des enfants à charge.

Elle amplifie la perte
de revenu à la suite d’un licenciement.

[2] Le calcul est effectué ici pour un mois de 30 jours et
en négligeant la période de maintien du droit à la Prime d’activité qui peut
aller jusqu’à 3 mois.

[3] La Prepare (Prestation partagée d’éducation de l’enfant) est une aide financière versée par la Caf aux parents qui réduisent ou interrompent leur activité à la naissance d’un enfant. Elle peut, sous conditions de ressources du foyer, ouvrir droit à l’AVPF (assurance vieillesse du parent au foyer), dispositif par lequel la Caf verse des cotisations vieillesse pour garantir la continuité dans la constitution des droits à la retraite.




L’aide exceptionnelle de solidarité a-t-elle permis de couvrir les coûts du confinement pour les familles?

Par Muriel Pucci, Hélène Périvier et Guillaume Allègre

Les mesures de confinement prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19 ont eu des répercussions à la fois sur l’activité des parents et leurs revenus, sur la scolarisation des enfants, et sur les coûts supportés par les familles. Ainsi, selon la situation professionnelle et familiale, certains parents ont télétravaillé, d’autres ont été mis au chômage partiel par leur employeur, d’autres encore ont pu bénéficier du dispositif d’indemnisation de l’arrêt d’activité pour garde d’enfant et une dernière catégorie de parents ont perdu leur emploi (voir le Policy brief OFCE n°65[1]). Seuls les premiers ont conservé leur salaire mais ils ont dû concilier à domicile les exigences de leur employeur et le temps à consacrer à leurs enfants, notamment sur le plan pédagogique. Les deux catégories suivantes ont bénéficié d’un maintien partiel de leur rémunération, le maintien était intégral pour ceux dont le salaire horaire est au niveau du smic. Enfin, les parents ayant perdu leur emploi, ont accédé au chômage indemnisé (allocation d’aide au retour à l’emploi, ARE) ou non en fonction de leur situation au regard de l’assurance chômage.



L’analyse menée dans cette note est centrée sur les effets du confinement sur les familles au RSA, qui ont subi une forte augmentation du coût de l’alimentation, et sur les familles ayant vécu le chômage partiel ou le congé pour garde d’enfant, qui ont supporté une baisse plus ou moins importante de leur revenu. Les calculs considèrent la situation des familles parisiennes qui peuvent bénéficier d’une tarification sociale particulièrement généreuse pour lesquelles la municipalité a mis en place une aide exceptionnelle complémentaire à l’aide nationale. Une annexe permet de comparer la situation de ces familles avec celles vivant à Dijon où la cantine est plus onéreuse. La situation des familles dans lesquelles un parent a perdu son emploi pose des questions complexes qui seront étudiées dans une note dédiée.

Beaucoup
de familles d’actifs ont vu leurs revenus d’activité diminuer durant le
confinement, et c’est particulièrement le cas des ménages des premiers déciles
de niveaux de vie ayant des enfants à charge. En effet, alors que les mesures
de confinement ont conduit à fermer les écoles, collèges, lycées et modes de
garde pour la plupart des enfants (à l’exception de ceux dont les parents
travaillent dans les secteurs d’activité essentielles), la capacité
d’adaptation des parents dépend du type d’emploi occupé (cadre, employé ou
ouvrier) et du secteur. Dans les couples d’employés et certains couples de
cadres, les conjoints ont le plus souvent pu opter pour le télétravail et jongler
sur les deux emplois du temps pour s’occuper des enfants. Mais pour d’autre
catégories professionnelles ou d’autres secteurs, les possibilités de
télétravail étaient plus rares. En outre, lorsqu’un des parents travaillait à
l’extérieur du domicile (grande distribution, transport, propreté…) ou dans le
cas des parents isolés, le recours à l’arrêt de travail pour garde d’enfant était
la seule option.

Au-delà
de ces baisses de revenu d’activité[2] liées à l’impossibilité de
télétravail ou à la nécessité de garder les enfants, certaine familles sans
revenu d’activité ont supporté des coûts spécifiques liés à l’alimentation. Les
ménages qui perçoivent le RSA ont souvent recours à des aides alimentaires en
temps normal (restos du cœur, autres formes de solidarités locales) et le
confinement a réduit considérablement l’accès à ces aides. En ce qui concerne
les enfants, de nombreuses villes prennent en charge une partie importante du
coût des repas des enfants des ménages à bas revenu. Cette tarification sociale
de la cantine conduit à ce qu’un repas à domicile soit plus coûteux qu’un repas
à la cantine pour ces ménages dont les enfants n’étaient plus scolarisés. En
effet, seuls les enfants de soignants ont été pris en charge par les écoles et
les centres de loisir mais ce dispositif d’accompagnement des familles n’a pas
été étendu aux autres catégories de « premiers de corvée » (agent de
caisse, livreurs, éboueurs, agents d’entretien …). A l’inverse, pour
certaines familles de travailleurs, le confinement a pu être associé à une
baisse des dépenses à la fois parce que les repas des enfants étaient moins
onéreux qu’à la cantine et parce que les adultes eux-mêmes économisaient
certains frais professionnels (transport, repas à l’extérieur).

  1. Dispositif d’aide exceptionnelle et
    estimation des coûts liés au confinement

Pour
compenser la baisse de niveau de vie liée au confinement et soutenir les
ménages les plus en difficulté, les collectivités locales ont pu mettre en
place des aides (tablette pour assurer la continuité pédagogique, aide
alimentaire …) et ceci de façon inégale sur le territoire et par conséquent
difficile à estimer globalement.

Parallèlement, le gouvernement a mis en place une aide exceptionnelle de solidarité versée le 15 mai aux ménages éligibles au RSA, à l’ASS et aux ménages avec enfant(s) bénéficiaires d’aides au logement (tableau 1). Cette décision fait suite à l’allocution présidentielle du 13 avril 2020, elle a été prise en conseil des ministres le 15 avril 2020. L’éligibilité étant calée sur des prestations déjà existantes, le versement par les CAF a été automatique ce qui a permis d’éviter un non-recours, au-delà du non-recours aux prestations existantes, mais cela n’a pas permis de tenir compte des variations de revenu liées aux mesures de confinement et à ses conséquences économiques et sociale à plus long terme. Ainsi, 4.1 millions de foyers, dont près de 5 millions d’enfants, en ont bénéficié pour une enveloppe totale de 900 millions d’euros (Cnaf). Cette aide a particulièrement été ciblée pour aider le surcroît des dépenses liées aux enfants dû au confinement : les trois quarts de cette enveloppe a concerné des ménages avec enfants. Environ 60% des familles monoparentales ont perçu cette aide, 15% des couples avec deux enfants et 35% des couples avec trois enfants (calculs réalisés via le modèle de microsimulation INES – voir INSEE). Verser l’aide aux bénéficiaires du RSA, de l’ASS ou des aides au logement permet de cibler l’aide sur les plus pauvres : 72% des bénéficiaires des aides au logement, appartiennent aux trois premiers déciles de niveau de vie.

La ville de Paris a complété cette aide nationale par un dispositif de soutien aux familles éligibles aux plus bas tarifs de cantine (jusqu’à 1,62€ par repas) pour lesquelles la Caf de Paris a versé 150€ pour le premier enfant et 50€ par enfant supplémentaire.

Ces
dispositifs exceptionnels ont-ils permis de couvrir les coûts du confinement ?
Pour répondre à cette question nous évaluons deux types de coûts :

  1. le
    coût potentiel lié au fait que l’alimentation a pu coûter plus cher pour les
    familles à bas revenu en raison d’un recours plus difficile aux solidarités
    locales (associations, voisinage) et du fait que dans les villes pratiquant une
    tarification sociale, les enfants ne déjeunaient plus à moindre coût à la
    cantine[3]. Au-delà des dépenses
    alimentaires, les familles ont dû faire face à d’autres types de coûts
    spécifiques liés au suivi scolaire des enfants (équipement ordinateur et
    connexion internet…). Là encore le rôle des collectivités locales a été
    important pour soutenir les familles, mais de façon inégale sur le territoire. Mais
    ce type de coût n’est pas pris en compte dans l’analyse.
  • la potentielle
    perte de revenu liée au basculement dans le dispositif de chômage partiel (ou
    congé pour garde d’enfant). Les parents au chômage partiel ont en effet pu
    subir une baisse de leur revenu d’activité mais ils ont également économisé des
    frais professionnels. En outre, la baisse du revenu primaire a pu entraîner une
    variation positive ou négative de la prime d’activité qui a donc, selon les
    cas, partiellement compensé ou au contraire accentué la baisse du revenu
    primaire.

Pour estimer le coût des repas à domicile, nous utilisons les budgets de référence construits par le Credoc et l’Ires pour l’Onpes[4] en les adaptant à la situation parisienne qui sera retenue pour les cas types (voir tableau 2).

Les coûts des repas à domicile[5] estimés pour les budgets
de référence supposent que les ménages achètent l’intégralité de leurs denrées
aux prix en vigueur (avec un recours plus important aux grandes surfaces en
ville moyennes) qu’à Paris. Or, en réalité, les familles qui touchent le RSA
peuvent en temps normal bénéficier de paniers repas ou autres aides
alimentaires locales réduisant le poste de dépenses d’alimentation. Nous
supposerons que le coût des repas à domicile pour ces familles est réduit relativement
aux estimations du tableau 2 en temps normal, mais pas durant le confinement
qui a limité l’accès aux solidarités alimentaires.

Pour les familles
d’actifs, nous supposons que les coûts des repas à domicile en temps normal
sont ceux du tableau 2 mais que ce coût a été accru durant le confinement en
raison de difficultés à accéder aux grandes surfaces et de l’impossibilité de
déjeuner dans les cantines d’entreprise. Les économies éventuelles liées à
l’absence de déjeuners au restaurant les jours de travail ne sont pas prises en
compte ici mais elles sont intégrées dans les économies de frais professionnels
qui incluent également celles associées aux frais de transport (remboursement
du Pass Navigo). Ces économies de frais professionnels sont sans doute très
variables et sont très difficile à estimer. Nous retiendrons pour nos calculs
l’hypothèse faite par le trésor public en les valorisant par 10% du salaire.

Le tarif de la cantine est calculé à l’aide des barèmes de la ville de Paris qui pratique une tarification sociale particulièrement généreuse (tableau 3). Dans d’autres villes, la cantine peut coûter plus cher aux parents que l’alimentation à domicile (voir annexe).

Nous
supposons que les parents isolés ont un ou deux enfants écoliers et que les couples
ont 2 enfants écoliers ou 3 enfants dont 2 écoliers et un collégien[6]. Nous étudions pour
différentes configurations l’évolution du revenu et des coûts pour ces ménages durant
la période de confinement du 16 mars au 19 juin (date de réouverture des
écoles).

  • Hypothèses retenues pour les cas types

Pour
évaluer l’effet de l’aide exceptionnelle sur différentes catégories de ménages,
nous nous appuyons sur des cas types, en retenant les types de ménages qui ont
été particulièrement ciblés par l’aide (graphiques 1a et 1b) :

  • un
    parent isolé ayant un enfant : 61 % des parents isolés ayant un
    enfant à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 16 % des
    ménages éligibles selon nos simulations;
  • un
    parent isolé ayant deux enfants : 64 % des parents isolés ayant deux enfants
    à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 11 % des ménages
    éligibles ;
  • un
    couple ayant deux enfants : 14 % d’entre eux ont perçu l’aide, et ils
    représentent 10 % des ménages éligibles ;
  • un
    couple ayant trois enfants : 35 % d’entre eux ont perçu l’aide, et
    ils représentent 11 % des ménages éligibles.

A côté de ces 4 catégories de ménage, nous étudions le cas des personnes seules et couples sans enfant pour mettre en lumière la particularité des familles avec enfant(s). Ces ménages représentent 36% des ménages éligibles et 25% de l’aide versée.

Pour les personnes seules ou couples sans enfant, les couples avec 2 ou 3 enfants et les parents isolés avec 1 ou 2 enfants, nous estimons l’impact du confinement sur le revenu net du coût de l’alimentation lorsque leurs revenus d’activité sont faibles (inférieurs à 1,5 smic) voir nuls, ce qui correspond aux bénéficiaires potentiels des aides exceptionnelles. Nous supposons que les familles n’ont pas eu accès à la cantine durant 3 mois (du 16 mars au 19 juin) et du subir un surcoût de l’alimentation à domicile durant cette même période, en considérant que le nombre de jours de cantine « perdus » dépend de l’activité des parents (centre de loisir du mercredi s’ils travaillent à plein temps uniquement). L’ensemble des hypothèses est présenté de manière détaillée dans l’annexe 1. 

  • Evaluation de la situation des ménages
    selon leur configuration

Les graphiques
2 – cas types 1 à 4- illustrent les pertes supportées par les ménages ainsi que
la compensation plus ou moins importante par les aides exceptionnelles. Le
montant de ces aides versées en une seule fois pour 3 mois de confinement a été
divisé par trois pour être comparable aux revenus mensuels.

Pour les
ménages sans enfant bénéficiaires du RSA avant le confinement (Graphique 2, cas
type 1), l’aide exceptionnelle de l’Etat a permis de couvrir une grande partie
du surcoût de l’alimentation pour les personnes seules mais le niveau de vie
des couples ont été moins protégés puisque le montant de l’aide était le même
pour un ou deux adultes sans enfant. Notons toutefois que le reste à charge a
été estimé en supposant que l’aide alimentaire issue de solidarités
associatives et locales couvrait en temps normal 30% du coût de l’alimentation.
Dans le cas des ménages aux RSA ayant des enfants, l’aide exceptionnelle
nationale n’a pas suffi à compenser le surcoût de l’alimentation dans une ville
comme Paris où la cantine est très peu chère pour ces enfants. Mais l’aide
additionnelle accordé par la ville de Paris a comblé l’écart, les couples avec
enfant restant perdants, au même titre que les couples sans enfant.

Pour les
ménages dans lesquels le ou les adulte(s) gagnai(en)t le smic avant le
confinement, l’aide nationale a pu être versée aux parents isolés et aux
couples avec 3 enfants bénéficiant d’une aide au logement mais pas aux autres
ménages. Seules les familles monoparentales avec 2 enfants pouvaient prétendre
à l’aide de la ville de Paris.

La variation
du revenu liée au confinement dépend du taux de compensation du salaire par
l’indemnité de chômage partiel. En effet, lorsque le salaire horaire est égal
au smic (cas type 2), la compensation est totale alors qu’à revenu mensuel
égal, si le salaire horaire est supérieur au smic, l’indemnité de chômage
partiel ne compense que 84% du salaire (cas type 3 où le parent travaillait à
80% au taux horaire de 1,25 smic). Dans les deux cas, on considère que le
travailleur au chômage partiel a économisé environ 122€ de frais professionnels
(10% de sa rémunération).

A revenu
d’activité inchangé (cas type 2), l’aide nationale a relativement bien compensé
le surcoût de l’alimentation, relativement faible pour les familles
monoparentales avec un enfant et les couples avec deux ou trois enfants pour
lesquels un repas à la cantine est plus cher qu’à domicile pour ce niveau de
revenu (2,28€ contre 1,78€). Les familles monoparentales avec deux enfants qui
doivent quant à elles supporter un coût du repas des enfants plus élevé à
domicile bénéficient de l’aide de la ville de Paris ce qui leur permet, au
total, de ne pas y perdre sur le budget alimentation. Ces familles ayant pu
économiser les frais professionnels pour le travailleur au chômage partiel,
leur revenu net des frais professionnels et du coût de l’alimentation a pu
augmenter dans toutes les configurations familiales. Ce résultat est toutefois
à nuancer par notre hypothèse que les frais professionnels représentent 10% du
salaire, ce qui est probablement une estimation haute pour les ménages gagnant
le smic.

En revanche,
lorsque l’indemnité de chômage partiel était inférieure au salaire (cas type 3)
toutes les configurations étudiées ont vu leur revenu disponible net des frais
professionnels et du coût de l’alimentation diminuer, à l’exception des
familles monoparentales avec deux enfant. Cela laisse penser que les
dispositifs exceptionnels ont été conçus pour compenser une augmentation
exceptionnelle du coût de l’alimentation plutôt que des pertes de revenu
professionnels nets. On peut noter qu’au niveau du smic mensuel, la variation
de la prime d’activité a pu, selon les configurations, soit compenser en partie
la baisse du revenu soit l’amplifier. Cela s’explique par le profil « en
chapeau » de cette aide : elle est d’abord croissante avec le salaire
puis décroissante, avec un point de maximum dépendant de la configuration
familiale.

Avec un
salaire de 1,5 smic mensuel, seules les familles monoparentales ont pu recevoir
une aide nationale, car elles seules peuvent bénéficier d’une aide au logement
avec ce salaire. Aucune des configurations étudiées n’était éligible à l’aide
de la ville de Paris ce qui s’explique par le fait qu’à ce niveau de revenu,
les repas à la cantine sont plus chers qu’à domicile. (Graphique 2, cas type 4).
Dans la plupart des cas, une augmentation de la prime d’activité a en partie
compensé la baisse du revenu d’activité, mais ce n’est pas le cas pour les
couples sans enfant ou avec 3 enfants qui ne sont pas éligibles à la prime
d’activité à ce niveau de salaire[7].
Malgré la baisse des frais professionnels (estimée à 183e à ce
niveau de salaire), le revenu net des frais professionnels et alimentaires a
baissé dan toutes les configurations familiales, à l’exception des familles
monoparentales avec deux enfants.

Au total, les aides nationale et locale ont permis de compenser l’augmentation du coût des repas pour les ménages modestes, ce qui était en partie l’objectif. L’aide nationale a plutôt compensé la hausse du coût de l’alimentation durant le confinement (moindre recours aux aides alimentaires et augmentation du prix en magasin) tandis que l’aide de la ville de Paris compensait plutôt le surcoût des repas à domicile pour les enfants bénéficiant de tarifs de cantine très avantageux (l’aide était explicitement ciblée sur les ménages bénéficiant des tarifs de cantine scolaire les plus bas). Par contre, les aides nationale et locale n’ont pas compensé la perte de revenus pour les individus subissant un chômage partiel lorsque leur rémunération était supérieure au Smic horaire. Il semble donc que les aides exceptionnelles étaient plutôt destinées à compenser des coûts exceptionnels que des pertes temporaires de revenu nets des frais professionnels. Toutefois, l’indemnité de chômage partiel étant traitée comme un revenu d’activité pour le calcul de la prime d’activité, cette prestation de soutien aux bas salaires a pu dans certain cas compenser en partie la perte due au chômage partiel. Cette possibilité de cumuler partiellement l’indemnité de chômage partiel et la prime d’activité ne s’applique pas à l’allocation chômage classique (ARE). Pour les travailleurs qui ont perdu leur emploi lors de la crise sanitaire que nous traversons, la baisse, voire la perte, de la Prime d’activité pour les chômeurs indemnisés a pu exacerber l’impact de la crise économique sur la pauvreté. Cette question fera l’objet d’une note spécifique.

Annexe 1 : Hypothèses retenues pour les cas types

Les hypothèses retenues
en termes de revenus, de recours aux solidarités et de recours à la cantine
sont les suivantes

Cas
types 1 : des ménages sans revenu primaire

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • le coût des repas à domicile aurait été réduit
      de 30% grâce aux solidarités associatives ou de voisinage ;
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens.
  • Avec le confinement,
    • le coût des repas à domicile est augmenté du
      fait de l’impossibilité de  recourir aux
      solidarités associatives ou de voisinage ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 2 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet au Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte passe au chômage partiel sans perte
      de revenu car le dispositif couvre l’intégralité de la perte de revenu pour une
      rémunération au smic horaire ; il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% du
      fait d’un moindre accès à des grandes surfaces ;
    • Tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 3 : des ménages dont les adultes gagnent l’équivalent d’un Smic à
temps plein, l’un d’eux travaille à 80% (au taux horaire de 1,25 Smic) et se
trouve au chômage partiel durant le confinement.

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • l’adulte travaillant à temps partiel passe au
      chômage partiel avec une perte de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de
      la rémunération pour ce niveau de salaire horaire mais il n’a plus de frais
      professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 4 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet pour un
salaire horaire de  1,5 Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte est au chômage partiel avec une perte
      de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de la rémunération pour ce niveau
      de salaire horaire mais il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Annexe 2 : Coût du repas des enfants sur 3 mois et aides locales à Paris et Dijon

La situation de la ville de Paris étudiée dans cette note est spécifique en raison d’une part du coût des repas à domicile, qui peut être plus élevé qu’en province, et d’autre part de la tarification de la cantine très avantageuse pour les familles à bas revenu. Les graphiques ci-dessous permettent d’illustrer cette spécificité par comparaison avec la ville de Dijon. A Dijon, l’alimentation à domicile est moins chère qu’à Paris mais la tarification de la cantine est un peu plus chère pour les écoliers (voir tableau ci-dessous) et beaucoup plus chère pour les collégiens (tarif unique de 3,7€).

La ville de Dijon a mis en place une aide pour les familles consistant à exonérer de frais de cantine scolaire de janvier à juin. 


[1]
Selon le Département
Analyse et Prévision
, durant le confinement, le télétravail a concerné 9,3
millions de salariés, l’activité partielle, 7,1 millions dont 1,1 pour garde
d’enfants ; 0,6 million d’emplois ont été détruits.

[2]
Jusqu’au 30 avril, les salariés bénéficiant d’un arrêt de travail dérogatoire pour
garde d’enfant étaient indemnisés à hauteur de 90% de leur salaire.

[3]
Dans les collectivités locales qui
appliquent une tarification sociale généreuse des frais de cantine, la perte a
pu être substantielle. En revanche pour les villes dans lesquelles le tarif de
la cantine reste élevé même pour les familles modestes, le confinement a pu
mécaniquement conduire à une baisse des dépenses sur ce poste de consommation.

[4]
Voir https://onpes.gouv.fr/les-budgets-de-reference-618.html
pour les budgets de 2014 en ville moyenne. Ces budgets ont été actualisé comme
l’inflation jusqu’en mars 2020 et un coefficient de 1,065 a été appliqué pour
passer du coût des repas en ville moyenne à celui observé à Paris, conformément
à la méthodologie adoptée par le Credoc pour les budgets de référence dans la métropole
du Grand paris (rapport à paraître).

[5] Ces
coûts sont ensuite corrigés dans les budgets de référence pour tenir compte de
repas pris à l’extérieur du domicile (restaurant, cantine scolaire…).

[6] Dans l’annexe comparant les villes de Paris et de Dijon, on ajoute une variante avec un écolier et un collégien dans les ménages avec 2 enfants.

[7]
Pour les couples avec 3 enfants, cela s’explique par le fait que les
allocations familiales et le complément familial sont déduits de la prime.




Peut-on tirer des enseignements de l’expérimentation finlandaise de revenu universel ?

par Guillaume Allègre

Entre 2017 et 2018, la Finlande a conduit une expérimentation
de revenu universel qui a donné lieu à une médiatisation importante. 2 000
chômeurs recevant l’allocation de base (560 euros mensuel) ont reçu la même
somme sous forme de revenu inconditionnel, pouvant se cumuler avec les revenus
du travail pendant la durée de l’expérimentation (2 ans non renouvelés).  Le 6 mai 2020 est paru le rapport final
d’évaluation de l’expérimentation (voir la version anglaise du résumé des résultats). Les évaluateurs concluent que le
revenu universel expérimental a eu des effets positifs modérés sur l’emploi et
des effets positifs sur la sécurité économique et la santé mentale. Selon le
rapport final, les individus du groupe de traitement ont travaillé en moyenne
environ 6 jours ouvrés supplémentaires (ils ont travaillé 78 jours). Ils ont
connu significativement moins de stress mental, de dépression, de solitude et
leur fonctionnement cognitif était perçu comme meilleur. La satisfaction de
leur vie était significativement plus élevée. Les résultats de
l’expérimentation semblent donc plaider en faveur du revenu universel. Mais
peut-on vraiment tirer des enseignements de l’expérimentation dans la
perspective d’une généralisation du dispositif ? En 2018, j’avais écrit
que l’expérimentation du revenu universel était « impossible ». L’expérience finlandaise
vient-elle démentir cette assertion ? Il s’avère qu’il est difficile de
tirer des enseignements.



Le principe d’un revenu universel, tel qu’il est communément
défini, est de verser une somme d’argent à tous les membres d’une communauté
politique, sur une base individuelle, sans conditions de ressources ni
obligation ou absence de travail.

Les expérimentations concernent en général un petit nombre de
personnes (en Finlande, 2 000 individus) : l’aspect universel de la
mesure est donc perdu, or une mesure peut avoir des effets différents selon que
tout le monde est concerné ou seulement une partie des individus. Comment
sélectionner les individus ?  Deux
options ont les faveurs des praticiens : le tirage au sort totalement
aléatoire, qui permet la représentativité de l’échantillon expérimental, et le
site de saturation, qui consiste à inclure dans l’échantillon expérimental toute
une communauté (par exemple un bassin d’emploi), ce qui permet de capter les
externalités et les interactions (« est-ce que j’arrête de travailler plus
facilement quand mon voisin s’arrête lui-même ou lorsque mon conjoint reçoit
une aide ? »). Au Kenya, des villages sont utilisés comme
sites de saturation
.
Dans le cadre de l’expérimentation finlandaise, ce sont 2 000 chômeurs de
longue durée, bénéficiaires de l’allocation de fin de droit (équivalent de
l’ASS en France), qui constituent le groupe expérimental, le groupe de contrôle
étant constitué des bénéficiaires de l’allocation de fin de droits non tirés au
sort. Ceci pose deux problèmes. Premièrement, le groupe expérimental n’est pas
représentatif de la population finlandaise. Les chômeurs de longue durée ne
constituent qu’une petite part de la population. On ne peut donc pas dire
comment auraient réagi les personnes en emploi (auraient-elles réduit leur
temps de travail ?). Deuxièmement, les effets d’interaction ne sont pas
pris en compte : par exemple, l’emploi repris par un chômeur du groupe
expérimental qui augmente son offre de travail dans le cadre de l’expérimentation
aurait-il été occupé par un membre du groupe de contrôle ?  

La définition du revenu universel ne dit rien de son niveau
ni de quelles prestations il remplace. Toutes les options sont possibles. Les
plus libéraux proposent un revenu universel relativement faible et remplaçant
la plupart des prestations sociales et les subventions sectorielles (notamment
agricoles), voire comme substitut des régulations sur le marché du travail (la
suppression du Smic est envisagée). Dans une logique plus sociale-démocrate, le
revenu universel ne remplacerait que les minima sociaux (RSA en France) et les
compléments de revenus pour travailleurs pauvres (Prime d’activité). Le montant
envisagé est souvent égal ou légèrement supérieur aux minima sociaux. Enfin,
dans une logique de décroissance, le revenu universel pourrait être élevé, au
moins égal au seuil de pauvreté, afin d’éradiquer la pauvreté statistique. Les
effets attendus de la réforme dépendent grandement du montant envisagé ainsi
que des prestations remplacées. Dans le cadre de l’expérimentation finlandaise,
le revenu universel était de 560 euros, soit le montant de l’allocation de base
du chômage dont bénéficiaient les membres du groupe expérimental. Il se
substituait à cette allocation de base de sorte que, dans un premier temps, le
revenu des chômeurs du groupe expérimental était inchangé. Par contre, le
revenu universel pouvait se cumuler avec les revenus du travail. Le gain
financier supplémentaire à reprendre un emploi pouvait ainsi atteindre 560
euros.

L’expérimentation a accru les gains financiers à reprendre un
emploi. Ce n’est pas une conséquence que l’on imagine d’habitude concernant la
mise en place d’un revenu universel. La question souvent posée est :
« Que se passe-t-il quand vous touchez
1000 € par mois sans travailler ?
». Il s’avère que, pour les bas revenus, la mise en place
généralisée d’un revenu universel pourrait avoir des effets ambigus sur les
incitations à travailler : il augmente le revenu hors-travail mais c’est
aussi un complément de revenus pour travailleurs pauvres. Par contre, pour les
plus hauts-revenus, le gain monétaire à augmenter ses revenus serait réduit.

L’évaluation est compliquée par l’introduction de mesures
d’activation durant la deuxième année de l’expérimentation (2018). Selon le
« modèle d’activation » mis en place, les bénéficiaires de
l’allocation chômage devaient travailler un certain nombre d’heures ou suivre
une formation, ou leur allocation était réduite de 5%. Ces mesures ont touché
les groupes expérimentaux de manière asymétrique : les deux tiers du
groupe de contrôle étaient concernés contre seulement la moitié du groupe de
traitement (Van Parijs, 2020). Théoriquement, l’incitation à
reprendre un emploi était donc plus grande pour le groupe de contrôle. Notons
que l’activation va contre les principes d’universalité et d’inconditionnalité
du revenu universel.

Malgré l’activation, les résultats de l’expérimentation
finlandaise nous apprennent que les heures travaillées sont plus nombreuses
pour le groupe expérimental que pour le groupe témoin. Les incitations financières
à travailler auraient donc fonctionné ! En fait, les évaluateurs insistent
sur le caractère modéré de l’impact sur l’emploi. Dans le rapport
intermédiaire, qui concernait la première année (2017), l’impact était non
significatif. En 2018, l’impact est significatif puisque les individus du
groupe expérimental travaillent en moyenne 78 jours, soit 6 jours de plus (ou
8,3%) que le groupe contrôle. L’impact est toutefois faiblement significatif :
avec un intervalle de confiance à 95%, il est compris entre 1,09 et 10,96 jours
(soit entre 1,5 à 15%). Kari Hämäläinen, conclut : « dans l’ensemble, les effets
sur l’emploi sont faibles. Cela indique que pour certaines personnes qui
reçoivent des prestations de chômage de Kela (l’organisme en charge de
l’indemnisation des chômeurs en fin de droit), les problèmes liés à la
recherche d’un emploi ne sont pas liés à la bureaucratie ou aux incitations
financières ». Par contre, l’expérimentation ne nous dit rien sur les
effets de la possible désincitation des plus hauts revenus due au financement
de la mesure : par construction, un revenu universel expérimental n’est
pas financé. Plus grave, l’analyse genrée est quasiment absente du rapport
final. On sait juste, en lisant un tableau, que les femmes du groupe
expérimental ont travaillé 5,85 jours supplémentaires contre 6,19 pour les
hommes, mais la question de l’égalité femmes-hommes n’est pas discutée. La
question de l’articulation des choix dans le ménage n’est pas non plus posée. L’impact
chez le groupe des parents isolés n’est pas significatif « en raison de sa
petite taille ». Dans une tribune publiée par le New-York Times, Antti
Jauhiainen et Joona-Hermanni Mäkinen dénoncent la taille de l’échantillon, 5
fois plus faible que prévu initialement : du fait de cette faible taille,
il est difficile de tirer des conclusions sur des sous-groupes.

Le rapport final met en avant des effets bénéfiques sur la
santé mentale et le bien-être économique. Les impacts sur la satisfaction à
l’égard de la vie actuelle, le stress, la dépression sont très significatifs.
On peut néanmoins faire deux remarques. Premièrement, on ne sait pas ce qui
relève du plus haut niveau de vie des individus du groupe de traitement de ce
qui relève du mécanisme d’un revenu universel (la certitude que l’on aura un
revenu quoiqu’il arrive). Vue la façon dont le revenu expérimental a été conçu
(il fonctionne comme une prime à l’emploi), on peut aisément supposer que c’est
l’effet revenu qui prime. De même, les individus du groupe expérimental étant
toujours gagnants d’un point de vue financier, il n’est pas étonnant que leur
bien-être économique augmente. Deuxièmement, il peut aussi exister un biais de
déclaration dû à un Effet Hawthorne : les individus du groupe expérimental savent qu’ils
font partie d’une expérimentation et qu’ils ont été choisi de telle sorte
qu’ils ont un avantage par rapport au groupe témoin. Ceci peut les amener à
être plus optimistes dans leur déclaration.

Au final, l’expérimentation finlandaise a apporté peu
d’enseignements quant aux effets de la mise en place d’un revenu universel global,
c’est-à-dire concernant tous les citoyens. Seule une petite catégorie de la
population était concernée et le financement n’a pas été expérimenté. Or
le financement est la moitié du dispositif ; d’ailleurs les syndicats
finlandais s’opposent au revenu universel car ils redoutent que les
augmentations d’impôt nécessaires réduisent les gains à travailler. De plus,
l’approche familiale et genrée a été totalement ignorée alors que le revenu
universel a été dénoncé par des féministes comme pouvant désinciter les femmes
à prendre un emploi (en s’apparentant à un salaire maternel). Comme pour l’expérimentation du RSA en France, l’échec de l’expérimentation
finlandaise s’explique en partie par les objectifs contradictoires des
différents acteurs scientifiques et politiques. Les évaluateurs espéraient un
échantillon de 10 000 personnes avec des individus ayant des statuts
d’emploi différents. Ils ont été contraints à la fois par le temps, par
l’argent et par une coalition au pouvoir qui n’était plus enthousiaste à l’idée
de l’expérimentation d’un revenu universel (« Why
Basic Income Failed in Finland
 »). Le Parti du Centre du premier
ministre était en fait intéressé par la question de l’incitation financière des
chômeurs de longue durée, donc très éloignée de l’idée de remise en question de
la place centrale du travail marchand, ou celle du pouvoir de dire non aux
emplois de faible qualité, souvent associés au revenu universel. C’est bien une
limite de ces expérimentations coûteuses : nécessairement supervisées par
le politique, elles risquent de devenir des vitrines promouvant l’agenda du
pouvoir en place.




Généalogie des 12 milliards d’euros de déficit du système de retraite à combler en 2027

Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Jusqu’à présent la
réforme des retraites avait plutôt bien résisté aux mouvements de contestation,
mais crise sanitaire oblige, le président Macron a décidé de la suspendre. Le
projet de loi adopté à l’Assemblée nationale devait être présenté prochainement
au Sénat. Fin avril, la conférence de financement devait aussi fournir les
conclusions de ses travaux pour trouver des solutions afin de combler le manque
de financement de 12 milliards en 2027. Cet article propose de revenir sur la
généalogie de ce chiffrage.



Comme annoncé dans
son programme présidentiel de 2017, le Président Macron a décidé de refonder le
contrat social en instaurant dès 2025 un nouveau système de retraite universel (SUR)
dont la règle simple « chaque
euro cotisé doit donner les mêmes droits » serait garante d’une plus
grande justice. Avec un système actuel très complexe, composé de 42
régimes et autant de règles de calcul des droits, cette proposition de réforme
systémique a d’abord reçu un accueil plutôt favorable, et notamment le soutien des
syndicats réformistes comme la CFDT et son leader Laurent Berger. Même si l’on sait
qu’une réforme des retraites est toujours difficile à faire accepter en France,
l’instauration du SUR se présentait sous les meilleurs auspices, comme semblaient
le présager les consultations menées pour le gouvernement par le
Haut-Commissaire Jean-Paul Delevoye. En parallèle à ces consultations, le président
de la République et le gouvernement ont rappelé à plusieurs reprises qu’une
telle réforme nécessitait que le système soit à l’équilibre financier lors de
la mise en place du SUR, c’est-à-dire en 2025.

Compte
tenu des nombreuses réformes passées, on aurait pu croire que le problème de
solvabilité du système de retraite avait été résolu à moyen terme. Le graphique
1 reproduit la prédiction pour l’année 2025 telle qu’elle a pu être estimée par
le COR entre novembre 2007 et novembre 2019. En 2007, la perspective d’un
équilibre financier semblait éloignée avec un déficit anticipé de 2,3 % du
PIB. À la suite des réformes Woerth en 2010 (recul de l’âge de la retraite de
60 à 62 ans, rapprochement des régimes de la fonction publique et les régimes
spéciaux du Régime général) et Touraine en 2014 (augmentation de la durée de
cotisation requise), ce déficit anticipé a été considérablement réduit, puisqu’en
juin 2016, le COR prédisait l’équilibre financier pour 2025. Pourtant dès juin
2017, la révision des hypothèses démographiques, macro-économiques et de
croissance de la masse salariale publique – certainement trop optimistes – ont
fait réapparaître un déficit structurel de moyen terme pour l’année 2025.

Afin
de clarifier la situation financière, le premier ministre Edouard Philippe a commandé
au COR une étude prospective spécifique sur la période 2020-2030. Publiée en
novembre 2019, cette dernière présente une évaluation des besoins financiers du
système de retraite selon quatre contextes d’évolution de la productivité (taux
de croissance compris entre 1 et 1,8 %) et selon trois « conventions
comptables ». Dans tous les cas de figure, l’équilibre financier n’est pas
garanti. À l’aune de ce déficit prévisible, le gouvernement avait initialement
décidé d’instaurer, dans son projet de loi, un âge minimum de taux plein (ou âge
pivot) dès 2022 qui basculerait progressivement de 62 à 64 ans en 2027 et en deçà
duquel un individu ne pouvait pas obtenir une pension à taux plein (article
56bis). Face à la montée de bouclier contre cet âge pivot et le risque de
perdre ses principaux soutiens, le gouvernement a accepté la proposition de
Laurent Berger de mettre en place une « conférence de financement »
dont la mission est de proposer des financements alternatifs à la condition que
ces derniers permettent d’atteindre un montant de 12 milliards d’euros en 2027
(et 10 milliards en 2025).

Mais d’où proviennent ces 12
milliards ?

La
dernière étude du COR ne donne pas une mesure unique du déficit en 2027 mais
douze mesures comprises entre 8,9 et 21,5 milliards d’euros. L’évaluation du
COR est assez peu sensible à l’hypothèse de croissance de la productivité en
raison de la faiblesse de l’horizon de simulation. De ce fait, pour ne pas
accumuler les chiffres redondants, est présentée, dans le graphique 2, la valeur
moyenne des quatre scénarios de productivité pour chaque année pendant la
période 2020-2030. En revanche, le déficit estimé se montre très variable selon
la convention comptable employée.

Mais
pourquoi donc utiliser trois conventions ? Le COR a pour mission de
réaliser un exercice de prospective à législation inchangée. Si pour certains
régimes de retraite, la notion de législation inchangée est simple (règles
de calcul et taux de cotisation inchangés), pour l’État, cette notion peut
présenter deux acceptions en ce qui concerne le taux de cotisation. Une première
acception du concept de législation constante est celle d’obligation pour l’État
d’équilibrer ses régimes de retraite en sa qualité d’employeur. Dans ce cas, la
contribution employeur doit toujours garantir un « Equilibre permanent des
régimes » (EPR) gérés par l’État (fonction publique d’État et régimes
spéciaux). Selon cette convention, le déficit serait alors d’environ 13,6
milliards en 2027. La seconde convention suppose un taux de cotisation constant
(TCC). Une telle mesure permet alors d’évaluer l’importance du déficit financier
du système de retraite lorsque l’État ne recourt pas à une hausse systématique
de sa contribution en tant qu’employeur, ce que ne peuvent pas faire les
autres régimes de retraite. Selon cette convention, le déficit serait d’environ
20,5 milliards en 2027.

Le
COR propose également une troisième convention comptable : l’Effort de l’État
constant (EEC). Cette mesure est intéressante car elle fournit une notion de
taux de financement macroéconomique de l’État constant. Par le passé, les
différentes mesures prises par les gouvernements pour contenir la dépense
publique ont notamment visé à ralentir la hausse du nombre d’emplois publics
ainsi qu’à geler la valeur du point d’indice du traitement des fonctionnaires, politique
salariale qui a aussi pour effet de baisser le montant de leur pension. Il en
découle que sur la période 2020-2030, la masse des pensions versées par l’État
progresse moins vite que le PIB. Cette convention donne ainsi une évaluation
élargie d’une disponibilité budgétaire potentielle à taux de dépense constant
de l’État. Selon cette convention, le déficit pourrait être réduit à environ 10
milliards d’euros.

Le
secrétaire d’État aux retraites Laurent Pietraszewski (voir https://www.franceculture.fr/emissions/la-bulle-economique/retraite-a-point-le-point-sur-les-chiffres) a expliqué, le 18 janvier dernier, que le
gouvernement a fixé un objectif financier intermédiaire entre les scénarios EEC
et EPR. Le Premier ministre a ainsi exigé que la « conférence de
financement » aboutisse à une solution permettant un financement à hauteur
de 12 milliards d’euros en 2027 (et 10 milliards en 2025), montant qui
correspond également à ce que rapporterait un âge minimum de taux plein de 64
ans. L’État s’engage donc à aller au-delà de ses seules obligations d’équilibrer
ses régimes publics. Implicitement, cela signifie aussi qu’il apporte un
soutien financier, partiel et de l’ordre de 2 milliards d’euros, à des régimes
déficitaires des travailleurs du secteur privé, en l’occurrence principalement
le Fonds de solidarité vieillesse (5 milliards de déficit), la CNAV (1,5
milliard) ainsi qu’au régime des agents territoriaux et de la fonction publique
hospitalière (CNRACL) déficitaire d’environ 5,4 milliards d’euros en 2027.

Lors de son allocution du lundi 16 mars 2020, le Président de la République a annoncé que la crise induite par l’épidémie de coronavirus nécessitait de suspendre la réforme des retraites. Ce texte devait être prochainement discuté devant la Sénat tandis que la conférence de financement devait faire connaître ses conclusions fin avril. Dans la foulée de la déclaration présidentielle, la conférence de financement a annoncé qu’elle suspendait dès-à-présent ses travaux. Une question centrale est désormais posée : quel pourrait être l’impact économique, social et financier à moyen terme de la crise sanitaire et de la mise à l’arrêt d’une partie du secteur productif ? Même si les estimations du COR soulignent l’impact limité des hypothèses de productivité sur le déficit à moyen terme, on peut se demander si l’estimation de 12 milliards à combler en 2027 reste pertinente dans ces conditions.




Quelle gouvernance pour l’assurance chômage ?

par Bruno Coquet

La gouvernance est souvent présentée comme une cause essentielle de la persistance des problèmes que rencontre l’assurance chômage. Cela vise la difficulté des partenaires sociaux à s’accorder pour rétablir la situation financière de l’Unedic. En découle, comme une évidence, que seul un renforcement de l’État, réputé plus avisé et plus réactif, serait à même de sauver le régime. Tout paraît donc simple. Mais quels sont les faits, leurs causes, les causalités qui expliquent l’accumulation des problèmes, et la capacité d’un changement de gouvernance à les résoudre ?

Dans une publication récente (Policy Brief de l’OFCE, n° 57 du 13 juin 2019) un bilan factuel de la gouvernance de l’assurance chômage française telle qu’elle est organisée depuis 35 ans est élaboré . Nous partons du constat qu’il n’existe pas un modèle de gouvernance faisant autorité dans les pays comparables à la France, qui aurait pu être aisément dupliqué. Il apparaît ensuite qu’il faut tenir compte du fait que le système d’indemnisation du chômage, dont l’Unedic n’est qu’un compartiment, s’est profondément transformé depuis 1984.

Au-delà des apparences, le régime d’assurance, qui était à l’origine marginal dans l’ensemble du système d’indemnisation, est parvenu à absorber les chocs immenses qu’ont constitué la disparition des préretraites, l’attrition du régime de Solidarité, les profondes transformations du marché du travail, l’utilisation croissante des ressources de l’assurance chômage pour financer certaines politiques publiques. Ce faisant, l’assurance chômage se retrouve aujourd’hui au cœur du système.

Tous ces aspects institutionnels et factuels doivent être pris en considération pour apprécier l’efficacité de la gouvernance et ses lacunes. Replacée dans ce contexte, la gouvernance paritaire n’apparaît pas avoir été excessivement inerte, conservatrice ou indocile, car le régime a été souvent et profondément adapté, alors même que la porosité budgétaire avec l’État compliquait considérablement la tâche. Cette gouvernance n’est pas exempte de critiques, mais bien plus efficace et moins discutable que celle mise en œuvre par l’État pour le Fonds de Solidarité. Ces expériences sont riches d’enseignements.

Un système incomplet ou bancal ne peut pas être bien gouverné : refonder l’assurance chômage sur des bases saines est donc un préalable nécessaire à sa bonne gouvernance. Nous faisons cinq propositions en ce sens : rétablir des principes et des objectifs clairs, une gestion opérationnelle rigoureuse, une gouvernance paritaire sous la houlette de l’État, obéissant à des procédures strictes, instrumentées, transparentes.




Le recouvrement des impayés de pensions alimentaires réduit les dépenses sociales mais réduit également le niveau de vie de certaines mères isolées

Par Hélène Périvier (OFCE) et Muriel Pucci (CES, Université Paris 1)

Lors de son allocution du 26 avril, Emmanuel Macron a annoncé le renforcement de l’aide au recouvrement des Contributions à l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE), communément appelées « pensions alimentaires » auprès des pères débiteurs : « on ne peut pas faire reposer sur des mères seules qui élèvent leurs enfants (…) l’incivisme de leurs anciens conjoints. ». Dans le système actuel, cet incivisme repose davantage sur la solidarité nationale que sur les mères elles-mêmes, si ces dernières font valoir leurs droits auprès de la CAF. En effet, la Loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a mis en place la Garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) qui assure le versement d’un montant minium de pension égal à l’Allocation de soutien familial (ASF, environ 115 euros par enfant par mois) lorsque l’ex-conjoint ne paie pas ce qu’il doit au titre de l’éducation et de l’entretien de ses enfants. Au-delà de ce dispositif spécifique, le RSA et la Prime d’activité garantissent un revenu minimum à toutes les personnes éligibles. Les parents isolés, qui sont le plus souvent des femmes, perçoivent des majorations permettant de tenir compte de leur situation familiale. La solidarité nationale prend donc le relai des ex-conjoints défaillants pour les parents isolés aux revenus  les plus faibles. Lorsque le parent débiteur verse la CEEE due, le montant de RSA ou de la prime d’activité que perçoit le parent créditeur sont réduits d’autant.

Au côté des prestations sociales, l’Etat a créé, en janvier 2017, l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) qui procède au recouvrement de celle-ci auprès des ex-conjoints débiteurs et facilite le versement par les CAF des aides sociales adaptées à chaque situation. L’annonce présidentielle ne vise donc pas à créer ce dispositif car il existe déjà, mais à renforcer son activité. L’objectif de l’ARIPA est de faire payer au parent débiteur les sommes dont il est redevable, ce qui a priori devrait améliorer le revenu disponible du parent créditeur et donc le niveau de vie des enfants. Un meilleur taux de recouvrement contribuerait également à la baisse des dépenses sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que le système social se substitue au parent débiteur si ce dernier est en mesure de payer la CEEE. Mais le recouvrement de la CEEE peut conduire à une baisse du revenu disponible de nombreuses mères isolées (le parent créditeur est le plus souvent la mère), en raison du traitement de cette catégorie de revenu dans le système fiscal et social. Ainsi, de façon contre-intuitive, un meilleur recouvrement des pensions réduit le niveau de vie de certaines mères isolées, celles qui sont dans les situations les plus précaires.

Pour améliorer le niveau de vie des enfants dont les parents sont séparés, il faut certes accroître l’injonction des pères à payer les CEEE dues, mais il faut également revoir le traitement de ces contributions dans les barèmes sociaux et fiscaux.

Le niveau de vie baisse à la suite d’une séparation

Le nombre de familles monoparentales n’a cessé d’augmenter depuis plusieurs décennies. Aujourd’hui on compte plus 1.6 million de foyers monoparentaux, soit plus de 22% des familles comprenant des enfants mineurs : 3.4 millions d’enfants vivent avec un seul de leur parent. La cause la plus fréquente de cette configuration familiale est la rupture de couple. 85% des parents isolés sont des femmes.

Les parents séparés voient leur niveau de vie baisser après la rupture, notamment du fait de la perte d’économies d’échelles associées à la vie en couple. En particulier les dépenses de logement pèsent sur le revenu des deux ex-conjoints. Cette perte de niveau de vie est la plupart du temps plus importante pour les femmes que pour les hommes car, lorsqu’elles sont en couple, elles réduisent ou cessent plus souvent leur activité professionnelle pour s’occuper des enfants. Elles ont donc moins de ressources propres (Bonnet, Garbinti, & Solaz, 2016). Par ailleurs elles ont le plus souvent la garde principale des enfants. Les femmes sont donc particulièrement concernées par la situation de monoparentalité, bien que la proportion de pères isolés se soit accrue ces dernières années, passant de 11% en 1990 à 15% en 2011 (Acs & Lhommeau, 2012). Par ailleurs les pères n’ayant pas la garde de leur enfant après la séparation subissent également une perte de niveau de vie, car ils versent une CEEE et ont également des dépenses de logement plus élevées que s’ils étaient célibataires sans enfant à charge et ceci même quand ils n’accueillent leurs enfants qu’un week-end sur deux (Martin & Périvier, 2018)[1].

Le niveau de la pension alimentaire et insolvabilité du parent débiteur

Au moment de la séparation, la Contribution pour l’éducation et l’entretien des enfants (CEEE) est fixée soit à l’amiable entre les deux parents, soit par un juge. Cette pension peut être monétaire ou en partie en nature (logement, loisir etc,… ). Le barème indicatif mis à disposition par la Chancellerie définit un montant de CEEE en pourcentage du revenu du parent débiteur, mais le juge arbitre en appréciant la situation dans son ensemble au cas par cas. La question du montant est d’autant plus complexe que les revenus des deux ex-conjoints sont faibles. Lorsque le parent débiteur ne peut pas payer une contribution d’un montant suffisant pour l’éducation des enfants, le système social prend le relais avec l’Allocation de soutien familial dite complémentaire. Il s’agit d’une prestation différentielle qui permet d’assurer une contribution minimale fixée à 115,64 euros par enfant et par mois. Par exemple si le juge fixe la CEEE à 50 euros, alors le parent ayant la garde de l’enfant recevra 65,64 euros en complément au titre de l’ASFC[2].

Comment lutter contre les impayés de pensions alimentaires ?

La grande majorité des contributions (82 %) sont payées systématiquement, 8 % le sont irrégulièrement, et 12 % ne sont pas payées (Insee, 2015). Ces statistiques ne concernent que les couples divorcés et ne tiennent pas compte des situations de séparation de parents non mariés pour lesquels les impayés existent aussi. Le Ministère des solidarités et de la santé avance un chiffre de 30 à 40% de pensions totalement ou partiellement impayées.

Pour aider les mères isolées dont l’ex-conjoint ne paie pas la CEEE, une garantie d’impayé de pension alimentaire (GIPA) a été instaurée en 2014 de façon expérimentale puis généralisée en 2016 sur l’ensemble du territoire. La GIPA garantit à hauteur de l’ASF toute pension impayée par le parent débiteur et cette ASF recouvrable est versée par la CAF qui réalise les démarches juridiques pour recouvrer les sommes dues. Pour une CEEE dont le montant excède le niveau de l’ASF (115,64 euros par enfant), le parent créditeur recevra le solde si la CAF réussit à recouvrer les sommes dues. Ce nouveau dispositif s’est accompagné de la création de l’Agence de recouvrement pour les impayés de pension alimentaire (ARIPA) en janvier 2017. Ce dispositif devrait être renforcé afin d’accroître le nombre de pensions impayées recouvrées.

L’incohérence du traitement des pensions alimentaires dans le système social

La façon dont les CEEE sont prises en compte dans les barèmes sociaux et fiscaux pour les deux parents n’est pas toujours cohérente.

L’impôt sur le revenu traite le versement de la CEEE comme un transfert de revenu. Ainsi, le parent débiteur déduit la pension versée de son revenu imposable et le parent créditeur l’ajoute à son revenu imposable. Lorsque les deux parents sont imposables et ne sont pas éligibles aux revenus sociaux (du type RSA ou Prime d’activité), le versement de la contribution améliore alors la situation de la mère et son impact sur le niveau de vie de père est atténué par la déduction fiscale.

En revanche, le calcul du RSA et de la Prime d’activité revient à compter deux fois les CEEE dans les revenus des parents. La mère qui a la garde des enfants doit déclarer les CEEE reçues, ce qui réduit d’autant le montant de la prestation (par un mécanisme différentiel), mais en contrepartie elle bénéficie de suppléments pour enfants à charge au titre du RSA et de la Prime d’activité[3]. En revanche, le père ne peut pas déduire les contributions qu’il verse à son ex-conjointe de ses ressources dans le calcul du RSA ou de la Prime d’activité et il ne bénéficie d’aucun supplément de ces prestations au titre de la charge que représente cette contribution sur son niveau de vie.

Le traitement des CEEE dans l’impôt sur le revenu, le RSA et la Prime d’activité implique que leur versement ne modifie pas le revenu disponible des mères isolées ayant de faibles ressources (substitution de la solidarité familiale à la solidarité collective) et qu’il améliore la situation des mères isolées qui ne sont pas éligibles aux prestations sociales. Du côté des pères, ceux qui sont imposables bénéficient d’une prise en compte de la charge que constitue la CEEE sur leur niveau de vie, ce qui n’est pas le cas de ceux potentiellement éligibles au RSA.

Mais au-delà de ces deux transferts sociaux (RSA et Prime d’activité), les contributions sont également prises en compte pour le calcul des aides au logement, des prestations familiales dégressives et/ou sous condition de ressources et de l’ensemble des tarifs sociaux basés sur un quotient familial (tarifs préférentiels de la cantine et des activités périscolaires par exemple). Pour ces aides, comme pour l’impôt sur le revenu, les CEEE sont considérées comme un transfert de revenu : le parent créditeur intègre les contributions reçues dans son revenu ce qui réduit les montant auxquels il a droit, et le parent débiteur les déduit de ses ressources ce qui accroît son degré d’éligibilité à ces prestations. In fine pour les mères élevant seules leurs enfants, la baisse de l’ensemble des prestations sociales peut être supérieure au montant de la contribution reçue ce qui induit une baisse de son revenu disponible. Autrement dit le taux marginal effectif d’imposition des contributions pour l’entretien et l’éducation des enfants est supérieur à 100%.

Prenons le cas d’ex-conjoints ayant deux enfants, le père débiteur gagne 1,5 fois le Smic (1 760 € par mois) et la mère isolée n’a pas de revenus d’activité. Si le père paie la contribution (122 € par enfant selon le barème indicatif, soit 244 €), le revenu disponible de la mère est alors de 1 347€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche, si le père ne paie pas la contribution due, la mère isolée peut percevoir l’ASF (soit 115,64 € par enfant, soit 231,28 €) grâce à la GIPA. Pour cela elle doit en faire la demande et cette demande doit être validée (ce qui requiert que la mère ait effectivement engagé des démarches pour le recouvrement de la pension ou que le père ne soit pas solvable). Si la mère perçoit l’ASF en l’absence de contribution versée par le parent débiteur, son revenu disponible est de 1 392€ par mois, soit 45 € de plus que si le père verse la contribution due. En effet, la contribution est certes supérieure au montant de l’ASF de 13€, mais son versement implique une baisse du RSA de 59€ [4]. Si la mère ne perçoit ni l’ASF ni la CEEE, son revenu disponible est de 1 347 € et le recouvrement ne modifie pas son niveau de vie : la baisse du RSA compense exactement l’augmentation du revenu lié à la perception de la pension.

Supposons maintenant que la mère créditrice gagne le Smic. Si le père paie la contribution de 244 €, le revenu disponible de la mère est de 1 999€ après transferts sociaux et prélèvements fiscaux. En revanche si le père ne paie pas la contribution, le revenu disponible de la mère isolée est de 2 116 € par mois si elle perçoit l’ASF et de 2 070 € sinon. Dans les deux cas, le recouvrement de la contribution due par le père réduirait le niveau de vie de la mère et des enfants dont elle a la garde et ceci en raison de la baisse de la Prime d’activité (baisse de 60€ avec ASF et de 244€ dans le cas où elle ne perçoit pas l’AFS) mais aussi d’une baisse de l’aide au logement (de 71€ pour une aide en zone 2 avec un loyer égal au loyer plafond).

Certes pour toutes les femmes qui, du fait de ressources propres suffisantes, ne sont pas éligibles aux prestations sociales du type RSA, Prime d’activité ou allocations logement, le paiement effectif de la contribution implique une augmentation de leur revenu disponible. Mais pour toutes celles qui bénéficient de prestations sociales et de tarifs sociaux, le recouvrement réduit le niveau de vie. Or il s’agit de celles qui sont dans les situations les plus précaires. Reste le cas des mères qui ne recourent pas au RSA ou à la Prime d’activité et pour lesquelles le versement de la contribution accroît le niveau de vie, mais le non-recours aux prestations sociales constitue un dysfonctionnement du système social.

Pour éviter que le niveau de vie de certains parents baisse suite au paiement de la CEEE par leur ex-conjoint, il convient donc d’adopter une approche globale. Il est légitime de mettre en place les procédures facilitant le recouvrement des impayés de pensions alimentaires, car il n’y a aucune raison que l’Etat se substitue au parent débiteur lorsque celui-ci est en mesure de contribuer à l’entretien et à l’éducation de ses enfants. Mais lorsque la CEEE est effectivement payée, non seulement l’Etat ne verse plus l’ASF, mais il verse moins d’aides sociales diverses (allocations logement, RSA, prime d’activité) ce qui réduit la voilure des dépenses sociales, mais grève d’autant le revenu disponible des mères isolées et le niveau de vie de leurs enfants. Pour améliorer la situation des mères isolées, il ne suffira donc pas de recouvrer les pensions dues, mais il faudra revoir l’articulation du paiement des CEEE avec le système social et fiscal. Des travaux sont en cours au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) et des propositions allant de ce sens seront formulées avant l’été. Parallèlement, l’OFCE travaille actuellement à la rédaction d’un rapport sur la situation des socio-économiques des parents isolés dans le cadre d’un contrat de recherche réalisé pour la Direction générale de la cohésion sociale.

 

[1] Les gardes alternées ne représentent que 16% des organisations familiales fixées par le juge à la suite à une séparation.

[2] Notons que l’allocation n’est pas payée pour des montants inférieurs à 15 euros par parent bénéficiaire.

[3] Le RSA et la Prime d’activité peuvent être majorés dans certains cas : si le benjamin a moins de 3 ans ou durant la première année qui suit la séparation.

[4] L’ASF n’est pas intégralement déduite du RSA, mais seulement à hauteur de 80 % de son montant.




Chômer plus pour gagner plus?

Par Bruno Coquet

Le diagnostic selon lequel les règles de l’assurance chômage permettent de gagner plus au cours d’un mois de chômage qu’au cours d’un mois de travail n’est pas nouveau[1]. Remis sur le devant de la scène après l’échec de la négociation des partenaires sociaux ce constat élémentaire –car comptable– est fortement contesté.

Pôle Emploi et l’Unedic viennent de publier leurs lectures respectives des faits[2], et elles sont très différentes. Pôle Emploi confirme que pour « 20% des ouvertures de droit à l’assurance chômage, le montant mensuel net de l’allocation auquel a droit l’indemnisé est supérieur au salaire mensuel net moyen qu’il a perçu au cours de la période d’affiliation ». L’Unedic indiquant pour sa part que « 4 % des allocataires ont travaillé́ moins de 25 % de l’année précédant leur ouverture de droit et […] ont gagné́ 220 € par mois en moyenne. Leur indemnisation nette sur les 12 mois qui ont suivi était de 290 € en moyenne par mois ».

Cela illustre une nouvelle fois combien l’absence de diagnostic partagé sur l’assurance chômage, fait obstacle à sa bonne gouvernance, et aux réformes. Dans le cas présent, la polémique se concentre sur la question du « salaire journalier de référence », mais ce sont en réalité deux ensembles de règles qui sont en cause, car le taux de remplacement pose lui aussi problème. L’issue n’est pas forcément dans une purge, car il existe des solutions équilibrées, qui amélioreraient le fonctionnement de l’assurance.

L’objectif de l’assurance chômage : stabiliser la consommation

L’assurance chômage a vocation à stabiliser la consommation du chômeur jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi conforme à ses compétences. Faute de pouvoir agir directement sur la consommation, l’assureur remplace une partie du salaire qui est son principal déterminant. Il s’agit donc de remplacer un revenu habituel, moyen, pour permettre au chômeur de maintenir son niveau de consommation courante. L’allocation n’a pas à remplacer des revenus exceptionnels ou épisodiques, ni financer des dépenses de consommation exceptionnelles, ou de l’épargne. Ainsi calibrée, l’allocation chômage préserve l’incitation à l’emploi, car celui-ci est toujours plus rémunérateur que le chômage.

Le fait : le calcul des droits ne pose pas un problème, mais deux.

Le calcul des droits repose sur deux vieilles règles obsolètes, inadaptées au marché du travail contemporain (l’une a plus de 60 ans, l’autre plus de 40 ans). De plus ces deux règles se renforcent l’une l’autre, de sorte que le niveau d’allocation peut devenir bien plus élevé que ce que requiert l’objectif de l’assureur, engendrant des incitations indésirables et coûteuses :

  1. Le mode de calcul des allocations. Pôle Emploi retient le salaire moyen des jours travaillés (Salaire Journalier de Référence, SJR), auquel il applique le taux de remplacement brut : il en résulte une Allocation Journalière. Jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi, le chômeur peut percevoir son allocation journalière jusqu’à 31 jours par mois, pendant toute la durée des droits (elle-même fonction du nombre de jours travaillés). Avec la banalisation des contrats courts et des trajectoires fragmentées[3], de nombreux chômeurs ne travaillent pas 100% des jours durant la période au cours de laquelle ils acquièrent leurs droits ; 24% ont travaillé qu’un jour sur deux ou moins (Graphique 1). Pour deux chômeurs ayant le même nombre de jours travaillés, et donc le même nombre de jours indemnisables, l’allocation journalière, et donc l’allocation mensuelle, sont indépendantes du rythme auquel ont été acquis les jours d’affiliation et donc du salaire mensuel moyen antérieur. Ces chômeurs percevront tous les deux le même montant d’allocation pour chaque mois complet au chômage, ce qui ne permet pas de stabiliser leur consommation de manière identique.
  2. Le taux de remplacement : la cible étant la consommation du chômeur, c’est toujours le salaire et l’allocation « nets » qui comptent. Or le taux de remplacement affiché par l’Unedic et auquel le public se réfère généralement est un taux de remplacement « brut », qui est compris entre 75% au maximum pour les petits salaires, et 57% pour les salaires au-delà de 2200 €. Mais les cotisations sociales sont plus élevées sur les salaires que sur les allocations, et croissants avec le niveau de celles-ci, si bien que le taux de remplacement « net » varie entre 95% et 62% de l’ancien salaire, la moyenne se situant à 72%[4] (Graphique 2). Le taux de remplacement taux optimal, qui permet de stabiliser la consommation, dépend de l’épargne de précaution constituée par ailleurs par les chômeurs, et des aides sociales qui leur sont destinées : en France le coût extrêmement élevé de l’assurance –pour l’essentiel prélevé sur les salaires– ne laisse pas de marge pour une épargne de précaution en cas de chômage (et il n’y en a pas besoin tant que les chômeurs peuvent s’appuyer sur une assurance de bon niveau), et aucune aide sociale n’est destinée aux chômeurs. Le taux de remplacement optimal de l’assurance chômage est donc beaucoup plus élevé que ce qui se pratique dans les pays où les cotisations sont faibles et les aides sociales importantes pour les chômeurs. Néanmoins les valeurs les plus élevées du taux de remplacement net sont clairement excessives.

Le droit ainsi calculé reste potentiel. Il ne sera pas perçu dans tous les cas, car la situation du chômeur va souvent évoluer au cours de l’épisode de chômage. En effet :

  • Un salarié ayant alterné emploi et non-emploi poursuit souvent cette alternance une fois au chômage indemnisé, si bien qu’il consommera rarement chaque mois le maximum de ses allocations mensuelles.
  • Peu de chômeurs consomment l’ensemble de la durée potentielle de leurs droits[5].

1 – Répartition des allocataires selon le temps passé sous contrat 12 mois avant l’ouverture du droit

BC_Graphique1

Source : Unedic

2 – Taux de remplacement brut et net de l’assurance chômage, en fonction de l’ancien salaire

BC_Graphique2

Source : réglementation Unedic, calculs de l’auteur

La polémique : combien de chômeurs sont concernés ?

Pôle Emploi et l’Unedic ont chacun leur évaluation du phénomène. Sans que cela soit explicite, Pôle Emploi concentre son analyse sur le droit potentiel, l’Unedic semblant plutôt pencher du côté du droit réellement consommé (mais cela n’est pas explicite). Cette lecture permet de comprendre une partie des différences entre les deux estimations[6] :

  • Pour Pôle Emploi environ 20% des chômeurs ont un droit à allocation qui implique un taux de remplacement net supérieur à 100%, si l’allocation est perçue tous les jours du mois. Ce calcul est prudent car les mois où aucun salaire n’a été perçu sont exclus des estimations, sans quoi ce sont plus de 25% des chômeurs qui seraient concernés[7]. Pôle Emploi ne précise pas si les intermittents du spectacle sont inclus ou non, ce qui est doublement important : d’une part cette population est particulièrement concernée par le problème mesuré, mais d’autre part ces règles seraient exclues d’une solution qui ne modifierait que les règles de droit commun.
  • Pour l’Unedic seulement 4% des chômeurs ont une allocation nette supérieure à leur ancien salaire (dans le régime général). On ne comprend cependant pas clairement si l’allocation est le droit, ou le montant effectivement versé (cumul salaire / allocation déduit, etc.). En outre l’Unedic estime le salaire sur les 12 mois précédant l’ouverture de droits et l’allocation sur les 12 mois suivants, quelles que soient les durées d’affiliation permettant d’ouvrir les droits et la durée de ceux-ci (ce qui est doublement discutable). On peut de ce fait déduire des données présentées[8] que les 20% d’allocataires ayant un droit potentiel de 6 mois auraient une allocation (700 €)[9] supérieure à leur ancien salaire (500 €) si le total des allocations était divisé par la durée maximale du droit (6 mois), et non par 12 : au total 24% des chômeurs percevraient alors potentiellement plus au chômage qu’en emploi, soit un ordre de grandeur voisin de celui calculé par Pôle Emploi.

Une lecture positive consiste à voir ces deux chiffrages comme complémentaires, leurs divergences résultant simplement de ce que chacun interprète les questions, et traite les données, à sa manière. A cet égard le document de Pôle Emploi est net et circonscrit, tandis que les concepts utilisés dans le document de l’Unedic sont présentés ici pour la première fois, sans que la méthode pour les construire soit explicite, et sans que des conclusions détaillées en soient tirées.

Ni Pôle Emploi, ni l’Unedic ne cherchent à distinguer ce qui dans leurs résultats respectifs provient du taux de remplacement d’une part ou du mode de calcul de l’allocation d’autre part, ce qui dénote une vue incomplète du problème posé. De plus, ces évaluations portent sur des effectifs, mais les coûts induits ne sont pas chiffrés.

Une solution optimale ne peut donc pas être déduite de ces seules analyses, a fortiori sur la base d’une seule d’entre elles.

L’analyse : large, pour un diagnostic précis

Le rythme de consommation du capital de droits, donc la durée effective sur laquelle celui-ci est consommé, doit être bien maitrisé par l’assureur pour régler le problème posé ici.

L’analyse devrait s’étendre au-delà du strict périmètre de l’assurance chômage : les chômeurs concernés par le problème soulevé ici avaient par définition un petit salaire, donc une forte probabilité de percevoir des compléments de salaires et aides sociales lorsqu’ils étaient en emploi. Actuellement, l’assurance chômage rapproche les chômeurs indemnisés du plafond de ressources des aides publiques (voire porte leur revenu au-delà de ces plafonds). Cela revient pour l’assureur à se substituer à l’Etat lorsque le salarié devient chômeur, en remplaçant des aides comme si elles avaient été des salaires ; dit autrement, il n’est pas très logique de reprocher à une partie de l’allocation chômage de compléter les salaires des chômeurs qui retravaillent, alors qu’elle ne fait que remplacer les aides sociales, qui font la même chose pour les salariés non-indemnisables. L’assurance chômage n’est pas dans son rôle, mais elle permet cependant à l’Etat de faire des économies budgétaires.

Une solution trop radicale à ce problème bien réel du niveau excessif des droits mensuels[10], rapprocherait un grand nombre d’allocations du RSA. Les chômeurs pourraient alors préférer percevoir ce dernier, dès lors qu’ils satisfont aux conditions de ressources : les devoirs sont moins contraignants, les règles de cumul du RSA avec un salaire sont nettement plus favorables que celle en vigueur dans le cadre de l’assurance, les droits au RSA sont infiniment « rechargeables », il ouvre des droits connexes, etc. A court terme l’appauvrissement des chômeurs ne créerait pas d’emploi, mais pourrait fortement peser sur le budget de l’Etat.

Cette confusion entre assurance et solidarité, pratiquée au Royaume-Uni depuis plusieurs décennies, a privé ce pays de tous les avantages découlant d’une assurance chômage (largement démontrés par la littérature économique), sans rien apporter de probant en regard.

La solution : plusieurs leviers pour une solution équilibrée

Une solution simple consisterait à établir un salaire mensuel de référence sur l’ensemble de la période, entre le premier et le dernier jour travaillés qui servent à ouvrir les droits à l’assurance. Très attractive car extrêmement économique –bien au-delà de l’ambition fixée par le document de cadrage de la négociation– cette solution simple aurait d’importants effets pervers (fin de la contributivité des droits[11], interférences avec le RSA, appauvrissement des chômeurs en emploi précaire, etc.) si elle n’était pas finement articulée avec d’autres modifications des règles.

Des solutions plus équilibrées peuvent être trouvées, mais elles nécessitent un travail qui n’a pas été réalisé, et sûrement une négociation sur ces points précis :

  • Au vu de l’ampleur des effets probables, il est préférable d’ajuster graduellement les règles. Au point d’arrivée, les nouvelles règles (notamment salaire de référence et taux de remplacement) doivent garantir le maintien de la consommation du chômeur[12], sans plus.
  • Un partage allocations / aide sociales des chômeurs, calqué sur le partage salaire / aides sociales des salariés. L’assurance n’a pas à être pourvoyeuse d’aides sociales ou à se substituer à l’Etat pour ce faire. Ce n’est pas le bon instrument, et il n’est pas financé de la bonne manière pour remplir efficacement de tels objectifs.
  • Maîtriser la durée de consommation des droits. D’une part, afin de préserver la contributivité, c’est-à-dire, comme actuellement, que de mêmes quantités de travail et de contributions ouvrent la même quantité de droits. D’autre part, la durée pourrait être automatiquement liée au taux de chômage, longue quand celui-ci est élevé, plus courte sinon.
  • Les règles de cumul allocation / salaire et de « rechargement » des droits. Si les allocations chômage venaient à baisser, leur niveau se rapprocherait de celui du RSA dans un certain nombre de cas. Du coup la règle de cumul des allocations avec un salaire apparaîtrait moins généreuse pour l’assurance que pour le RSA ; ce serait la même chose pour la règle de rechargement des droits si celle-ci venait à être durcie, le droit au RSA étant imprescriptible, donc infiniment « rechargeable ».
  • Une maîtrise du rythme de consommation des droits. Aujourd’hui, en théorie, l’alternance emploi / chômage indemnisé peut être infinie, sans choc de revenu dès lors que le chômeur retravaille toujours au même salaire. La formule de calcul des droits devrait être révisée afin de permettre une attrition progressive des droits.

Une solution équilibrée n’est pas simple, et demande beaucoup de travail pour ne pas risquer d’introduire des effets pervers bien plus fâcheux que ceux que l’on cherche à réduire.

La transparence : indispensable, avant et après.

L’ébullition provoquée ces dernières semaines par un chiffre-choc que personne n’aurait dû découvrir à cette occasion, montre combien la transparence manque à cette politique qui engage 40 Md€ par an[13]., avec des conséquences désormais bien connues : faute de faits précisément établis, discutés et raffinés de manière ouverte et contradictoire, il n’existe pas de diagnostic partagé sur l’état de l’assurance chômage, et sur les réformes qu’il serait souhaitable d’accomplir. Quel que soit le sujet des réformes et une gouvernance efficaces de l’assurance chômage passent forcément par une information abondante, transparente, un débat public et un diagnostic partagé.

[1] B. Coquet (2013) L’assurance chômage, une politique malmenée, Editions de l’Harmattan, Paris. (p.184 et suivantes).

[2] Unedic (2019) « L’assurance chômage. Situation avant et après le début de l’indemnisation chômage » Repères, n°3, et Pôle Emploi http://www.pole-emploi.org/statistiques-analyses/en-savoir/taux-de-remplacement-mensuel-net.html?type=article

[3] B. Coquet & E. Heyer (2018) Pour une régulation économique des contrats courts sans contraindre les entreprises, en préservant l’assurance chômage, Rapport au Sénat.

[4] L’Unedic donne ce chiffre sans que l’on sache (ni que l’on puisse calculer) si cette moyenne est théorique, ou effective en fonction des allocations effectivement reçues une fois pris en compte le cumul allocation / salaire des chômeurs qui retravaillent.

[5] Les chômeurs indemnisables consomment en moyenne de 60% de leurs droits potentiels.

[6] Ces déductions sont à prendre avec la plus grande prudence, car la méthode et les hypothèses de travail retenues dans la note Unedic ne sont pour l’essentiel pas explicitées.

[7] Cet ordre de grandeur peut se déduire des 2 dernière colonnes du tableau p.3, qui montrent que le chiffrage est sous-estimé d’environ 30% du fait du choix retenu pour l’estimation du salaire de référence.

[8] Tableau p.3. de la note Unedic.

[9] 700=350*12/6

[10] On le terme « excessif » est employé ici par commodité pour désigner les allocations dont le taux de remplacement est supérieur à 100%, du salaire. Le niveau optimal du taux de remplacement mérite une discussion approfondie.

[11] Pour un nombre de jour travaillé identique, si l’allocation mensuelle est plus faible et que la durée potentielle des droits n’est pas allongée, le capital de droit sera plus faible lorsque les périodes d’emploi sont fragmentées sur une longue période que si elles sont contiguës.

[12] Donc pendant toute la durée de l’épisode de chômage, qui est le plus souvent inférieur à la durée des droits.

[13] La Cour des Comptes a récemment ajouté sa voix au constat depuis longtemps dressé selon lequel « un accès insuffisant aux données limite la capacité d’évaluation des dispositifs d’assurance chômage » (référé du 13 mars 2019)/




Pensions de réversion : pour une réforme unificatrice

par Henri Sterdyniak

Dans son dernier Policy Brief (n° 51-2019) l’OFCE analyse la réglementation des pensions de réversion et soumet quelques pistes de réforme. Le texte complet est téléchargeable ici.

Les pensions de réversion constituent un élément important du système français de retraite. En 2016, elles ont représenté 36,3 milliards d’euros, soit 12% des pensions de vieillesse, 1,6 % du PIB. Les écarts de durée de vie et d’âge au mariage font que 89 % des bénéficiaires sont des femmes. La question des pensions de réversion est donc liée à celles des inégalités femmes/hommes de niveau de retraite.Les pensions de réversion font passer les retraites des femmes de 58 à 71% de celles des hommes. Elles apparaissent indispensables puisqu’elles permettent aux veuves de conserver un niveau de vie satisfaisant. Elles peuvent être considérées comme la survivance d’un modèle patriarcal périmé, mais elles sont aussi une composante logique du caractère familial du système socio-fiscal français.

Chaque régime de retraite a actuellement une réglementation différente en matière de pension de réversion : le taux est de 50% (fonction publique, sans condition d’âge), 54% (régime général, avec condition de ressources et condition d’âge), 60% (régime complémentaire), avec condition d’âge). Cette disparité est peu justifiable et source d’injustices, réelles ou ressenties. Par ailleurs, en cas de divorce ou de remise en couple, les législations sont disparates, compliquées et contestables. La réforme des retraites, annoncée par Emmanuel Macron, met obligatoirement en question les pensions de réversion. Elle obligera heureusement à uniformiser la réglementation. Elle devrait être l’occasion de repenser l’ensemble du système à partir d’un choix social ouvert auquel ce texte se propose de contribuer.

Selon nous, les pensions de réversion doivent être maintenues. Leur législation doit s’appuyer sur les principes de l’assurance sociale. La pension de réversion doit assurer au conjoint survivant le même niveau de vie qu’avant le décès de son conjoint, sans que le couple n’ait besoin de recourir à l’assurance privée. Le montant de la pension de réversion devrait donc être des deux tiers de la pension du conjoint décédé moins un tiers de la pension du conjoint survivant. La condition d’âge devrait être uniformisée, d’abord à 55 ans puis progressivement vers 60 ans. Les allocations de veuvage précoce et d’éducation des enfants devraient être couvertes par des dispositifs de prévoyance à généraliser. Le divorce ferait perdre les droits à la pension de réversion, mais cela serait pris en compte dans le jugement de divorce, pour la fixation de la prestation compensatoire ou par un partage arbitré des points acquis durant le mariage. Nous discutons et écartons les projets de prise en compte de la durée du mariage, de partage des droits (splitting), d’extension au Pacs (tel qu’il est actuellement), de sur-cotisation ou de baisse des pensions des couples mariés.