Donald Trump peut-il casser la croissance américaine ?

Prévision OFCE
Etats-Unis
Conjoncture
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Date de publication

28 avril 2025

Les premières semaines du second mandat de Donald Trump sont fortement marquées par les multiples annonces portant sur les droits de douane. Force est de constater que cette nouvelle guerre commerciale connaît de nombreux rebondissements qui ne sont pas neutres sur le plan économique. D’une part, l’analyse empirique met non seulement en évidence les effets négatifs sur l’activité des droits de douane supplémentaire1. D’autre part, les différentes annonces de sanctions puis de reports alimentent également une incertitude importante concernant la politique commerciale des Etats-Unis ce qui devrait amplifier les effets négatifs de la guerre commerciale et provoquer un ralentissement de l’activité en 20252.

1 Voir par exemple les analyses du CEPII de 2024 et 2025, ainsi que celles des économistes du Petersen Institute for International Economics (ici).

2 Voir ici pour une analyse plus détaillée des effets des augmentations des droits de douane.

Une politique économique américaine incertaine…

L’incertitude correspond à une situation où les agents économiques – ménages, entreprises – ne sont pas en mesure de prévoir l’état futur de l’économie. Elle peut être liée à différents facteurs : financiers, politique économique, situation géopolitique… Les économistes distinguent généralement cette notion de celle du risque qui correspond à un futur probabilisable. Dans la situation actuelle, l’incertitude concernant la politique économique américaine tiendrait au fait que nous serions incapables de savoir si la guerre commerciale lancée par Donald Trump se traduira in fine par une augmentation globale des droits de douane de 10 %, de 20  % ou de 30 %. Nous ne serions pas non plus en mesure de prévoir l’ordre de grandeur des droits appliqués aux biens importés de Chine ou en provenance de l’Union européenne ou par quel niveau de droits les autres pays seront-ils frappés. De même, tous les biens seront-ils concernés ? Sinon, quels biens seront exemptés de taxes ? L’éventail des possibilités serait donc tellement large que les agents économiques ne pourraient leur affecter une probabilité.

De fait, l’incertitude n’est pas observable. Sur les marchés financiers, elle peut être mesurée par la volatilité implicite de l’indice boursier S&P500 (VIX) qui rend compte de la variabilité des prix des actions anticipée par les acteurs du marché3. D’autres indicateurs considèrent que la dispersion des prévisions d’inflation, de chômage, de taux d’intérêt permettent de capter l’incertitude4. Une autre approche consiste à repérer dans la presse, les occurrences du terme « incertitude ». Ainsi, Baker, Bloom, et Davis (2016) proposent de constuire un indicateur d’incertitude de politique économique, pour l’ensemble des dimensions de la politique économique, en repérant les associations entre le terme « incertitude » et « politique économique »5. Depuis l’investiture de Donald Trump en janvier 2025, l’incertitude sur la politique économique américaine a fortement augmenté (Figure 1). Elle concerne évidemment la politique commerciale avec un niveau record mais aussi la politique budgétaire, en lien avec les différentes annonces d’Elon Musk sur les coupes dans le budget fédéral.

3 Le VIX est calculé à partir du prix des options d’achat et de vente.

4 Voir par exemple (GRISHCHENKO, MOUABBI, et RENNE 2019) pour un indicateur basé sur la dispersion des prévisions d’inflation faites par les professionnels.

5 (Caldara et al. 2020) adoptent une démarche identique mais uniquement sur l’incertitude liée à la politique commerciale.

… qui devrait provoquer un ralentissement de l’activité

L’incertitude pousse les agents à l’attentisme. En effet, en l’absence d’information sur la situation future, il est préférable de reporter les décisions d’investissement ou d’embauches. Les entreprises vont ainsi préférer laisser passer le temps pour savoir de quoi l’avenir sera fait. Du côté des ménages, l’incertitude incite à la prudence et donc à l’épargne. On peut toutefois argumenter que l’incertitude pourrait aussi pousser à acheter des produits importés par anticipation des droits supplémentaires futurs. C’est d’ailleurs ce que montre Raul Sampognaro dans une analyse récente sur l’incertitude de politique commerciale. C’est aussi ce que l’on a observé pour les États-Unis en janvier 2025 avec une augmentation des importations de biens de 12,4 % selon les données du Census Bureau6. Partant de l’indicateur d’incertitude globale, Baker, Bloom, et Davis (2016) montrent qu’une augmentation de 100 points se traduit par une hausse du taux de chômage de 0,2 point à l’horizon de 12 mois. Sur la base des chiffres observés en début d’année 2025, la hausse de l’incertitude est un peu plus élevée ce qui pourrait donc se traduire par une hausse du chômage, uniquement liée à l’effet de l’incertitude de l’ordre de 0,2 à 0,3 point d’ici un an.

6 Notons qu’elles ont ensuite légèrement reculé en février. Voir ici.

7 Pour une analyse plus détaillée de la conjoncture des États-Unis à l’horizon 2025-2026, voir « USA : Donald Trump peut-il casser la croissance ? ».

Dans notre scénario de prévision pour les États-Unis7, nous intégrons cet effet de l’incertitude qui s’ajouterait à celui des droits de douane supplémentaires. L’investissement ne progresserait plus que de 2,4 % en 2025 contre 5,4 % l’année précédente. Du côté des ménages, le taux d’épargne augmenterait au cours des deux prochaines années, passant de 4,5 % en moyenne annuelle en 2024 à 5,2 % en 2026. Par conséquent, la croissance baisserait significativement, passant de 2,8 % en 2024 à 1,4 % en 2025 puis 1,5 % en 2026. Il en résulterait une hausse du taux de chômage qui pourrait atteindre 5 % en fin d’année 2026 : soit 0,8 point de plus que le niveau observé en mars 2025.

Figure 1: Indicateurs d’incertitude de politique économique

Références

Baker, Scott R., Nicholas Bloom, et Steven J. Davis. 2016. « Measuring Economic Policy Uncertainty* ». The Quarterly Journal of Economics 131 (4): 1593‑1636. https://doi.org/10.1093/qje/qjw024.
Caldara, Dario, Matteo Iacoviello, Patrick Molligo, Andrea Prestipino, et Andrea Raffo. 2020. « The Economic Effects of Trade Policy Uncertainty ». Journal of Monetary Economics 109 (janvier): 38‑59. https://doi.org/10.1016/j.jmoneco.2019.11.002.
GRISHCHENKO, OLESYA, SARAH MOUABBI, et JEAN-PAUL RENNE. 2019. « Measuring Inflation Anchoring and Uncertainty: A U.S. And Euro Area Comparison ». Journal of Money, Credit and Banking 51 (5): 1053‑96. https://doi.org/10.1111/jmcb.12622.