Le double dilemme de la Réserve fédérale

Politique monétaire
Finances Publiques
États-Unis
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Date de publication

17 juin 2025

Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump n’a pas cessé de mettre la pression sur le Président de la Réserve fédérale pour qu’il réduise les taux d’intérêt. Il a multiplié les invectives voire les insultes à l’encontre de Jerome Powell, son président, allant même jusqu’à émettre la possibilité de tenter de le renvoyer. Jusqu’ici, Jerome Powell a résisté à la pression en maintenant le taux directeur à 4,5 % depuis décembre 2024, arguant d’une croissance qui restait dynamique, d’un marché du travail solide et d’une inflation élevée. Les chiffres de croissance du premier trimestre – baisse du PIB de 0,1 % – et ceux de l’inflation pour le mois de mai – 2,4 % – renforcent encore un peu plus la pression qui pèse sur les épaules du FOMC (Federal Open Market Committee).

La pression politique s’intensifie

Comme lors de son premier mandat, Donald Trump continue régulièrement de donner son avis sur ce que devrait faire la banque centrale américaine1. Pendant la campagne présidentielle, il avait d’ailleurs indiqué qu’il devrait avoir son mot à dire sur la conduite de la politique monétaire, remettant en cause l’indépendance de la banque centrale américaine, ce qui avait sans doute contribué à la hausse des taux souverains observés en fin d’année 20242. Il a ensuite ouvert la possibilité d’un limogeage de Jerome Powell, suggérant qu’il partirait s’il le lui demandait. Même si cette option semble depuis abandonnée, notamment parce qu’elle aurait peu de chance d’aboutir3, Donald Trump a de nouveau sommé Jerome Powell de baisser le taux directeur d’un point lors de la réunion de Réserve fédérale qui se tiendra les 17 et 18 juin4. Au-delà de la volonté de bénéficier du soutien de la politique monétaire, Donald Trump met cette fois-ci en avant l’évolution de l’inflation, moins forte qu’anticipée en mai et stable depuis trois mois à 2,4 % selon les données du BLS (Bureau of Labor Statistics) (Graphique 1).

1 Entre 2016 et 2018, ce sont les hausses de taux d’intérêt qu’avait fortement critiqué Donald Trump sous-entendant même qu’il pourrait être un pire « ennemi » que la Chine (Voir ici).

2 Voir notre précédent post sur ce sujet.

3 Voir cette analyse sur l’indépendance de la Réserve fédérale et la possibilité de renvoi de son Président.

4 Voir ici.

Graphique 1: Inflation aux Etats-Unis

Par ailleurs, la contraction du PIB au premier trimestre 2025 pourrait également suggérer que l’économie américaine donne des signes de faiblesse et qu’il serait donc opportun de reprendre le mouvement de baisse des taux, qui avait été débuté en septembre 2024 avant d’être interrompu après décembre alors que l’inflation repartait à la hausse et que la croissance pour 2024 atteignait 2,8 %. Dans ces conditions, Jerome Powell dispose-t-il d’arguments moins solides pour justifier un nouveau statu quo ?

La Réserve fédérale peut-elle résister à la pression ?

Malgré la contraction du PIB (-0,1 %) du premier trimestre, il serait prématuré de conclure que l’économie américaine subit un ralentissement brutal. En effet, le recul s’explique par des facteurs particuliers en lien direct avec la politique commerciale de Donald Trump. Anticipant la hausse des droits de douane, les achats en provenance de l’étranger ont fortement augmenté, ce qui s’est traduit par un bond des importations de biens de 13 % en janvier 2025, avec une hausse particulièrement forte pour les biens industriels (33,2 %). Il en résulté une contribution négative du commerce extérieur de -1,4 point. Une partie de ces biens a été stockée, ce qui a partiellement compensé l’effet négatif du commerce extérieur5. Cette hausse des importations se reflète également dans la demande intérieure qui est restée bien orientée avec une contribution de 0,6 point à la croissance du premier trimestre, toujours tirée par la consommation des ménages mais aussi par l’investissement. La tendance devrait toutefois s’inverser au deuxième trimestre puisque pour le mois d’avril, les importations de biens ont chuté de près de 20 %. Il est donc fort probable que la contribution du commerce extérieur à la croissance soit positive au trimestre prochain6. En corollaire, les contributions des stocks et de la demande intérieure à la croissance devraient être plus faibles. Sur le marché du travail, le taux de chômage se maintient légèrement au-dessus de 4 % depuis juin 2024. Le marché du travail est cependant nettement moins tendu qu’en début d’année 2022 et les ouvertures de poste ont fortement diminué représentant 4,4 % de l’emploi en avril 2025 contre un pic à 7,4 % en mars 2022.

5 La contribution des stocks à la croissance s’est élevée à 0,6 point au premier trimestre.

6 Les mouvements sur les exportations ont été beaucoup moins erratiques.

Du côté des prix, la stabilisation de l’inflation s’expliquent en grande partie par la baisse des prix de l’énergie. L’inflation dans les services, qui pèsent pour plus de 60 % dans l’indice total, baisse également progressivement depuis début 2023, mais reste élevée (3,6 %) en lien avec le coût du logement. Quant aux prix des biens et aux prix alimentaires, ils accélèrent légèrement. On peut imaginer que les effets des augmentations effectives des droits de douane se diffusera progressivement sur les prix. C’est d’ailleurs ce qu’anticipent les ménages américains pour 2026 puisque l’indicateur d’anticipations à un an mesuré par le Michigan Survey est passé de 2,8 % en décembre à plus de 6 % en avril (Graphique 2). Les indicateurs calculés par la Réserve fédérale de Cleveland à partir de données de marchés ne suggèrent pas de changement aussi important dans l’évolution de l’inflation. Selon nos prévisions d’avril 2025, l’augmentation de l’inflation se matérialiserait au troisième trimestre 2025. L’incertitude et l’augmentation des tarifs devraient également se traduire par un ralentissement de l’activité économique américaine sans toutefois provoquer de récession.

La Réserve fédérale fait donc face à un double dilemme. Elle doit d’une part arbitrer entre la stabilité des prix et le plein-emploi, les deux objectifs de son mandat. Or l’augmentation des tarifs douaniers devrait se traduire par une hausse temporaire de l’inflation et une dégradation de l’activité si bien que Jerome Powell devra arbitrer entre les deux objectifs. Tant que l’inflation se maintient au-dessus de sa cible de 2 %, le FOMC peut mettre en avant l’objectif de stabilité des prix et maintenir le taux, d’autant plus si le PIB rebondit au deuxième trimestre en raison des soubresauts des importations. Elle se montrera sans doute plus attentive au dynamisme de la demande intérieure. Celle-ci devrait plus nettement ralentir au deuxième semestre ce qui pourrait alors amener les membres du FOMC à baisser les taux d’intérêt. C’est le scénario privilégié par les marchés qui voient plutôt une baisse de taux lors de la réunion de septembre7.

7 Selon les anticipations des FED Watchers du 17 juin, la probabilité d’une baisse du taux cible de la Réserve fédérale lors de la réunion du 18 juin était inférieure à 1 %. Elle passe à 12,5 % pour la réunion de juillet et à plus de 55 % pour celle de septembre.

Le choix de la Réserve fédérale n’est cependant pas uniquement économique. Il est de fait devenu politique. Une baisse de taux laisserait supposer que Jerome Powell a finalement cédé aux requêtes de Donald Trump ce qui pourrait être perçu comme une perte d’indépendance. Une stratégie plus dure serait d’affirmer l’indépendance de la Réserve fédérale et de maintenir les taux, sous l’hypothèse qu’il n’y pas de forte augmentation du taux de chômage ou du taux d’inflation.

Le mandat de Jerome Powell en tant que Président de la Réserve fédérale arrive à son terme en mai 2026 ce qui donnera donc l’occasion à Donald Trump de nommer un nouveau Président plus complaisant. Il ne faut cependant pas oublier que les décisions ne sont pas prises par une seule personne mais par un comité qui s’est montré unanime – depuis janvier – sur le statu quo du taux d’intérêt. Or, à court terme seule Adriana Kugler pourrait être remplacée en janvier 20268. Jerome Powell pourrait même rester membre du FOMC après mai puisque son mandat ne prendra officiellement fin qu’en janvier 2028, même si en pratique, les présidents ont généralement quitté le FOMC à la fin de la leur présidence. Quoi qu’il en soit, il est donc fort probable que les tensions entre la Réserve fédérale et Donald Trump se poursuivent ajoutant de nouvelles pages à l’histoire des conflits concernant l’indépendance de la Réserve fédérale9.

8 Voir ici pour des éléments plus détaillés sur les termes du mandat des différents membres du FOMC. Rappelons également que le comité est également composé de membres de Réserves fédérales régionales dont les règles de nomination sont différentes de celles des sept membres du Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale.

9 Voir par exemple ici pour un condensé.

Graphique 2: Anticipations d’inflation des ménages et des marchés aux Etats-Unis