Encadrer les loyers : nécessaire mais insuffisant

Logement
France
Autrices, auteurs
Affiliation
Date de publication

20 juin 2025

Le 12 juin 2025, de nombreux élus locaux et d’acteurs associatifs se sont réunis à l’Hôtel de Ville de Paris pour demander la prolongation et l’extension de ce dispositif. Leur message est clair : dans un contexte de tension extrême sur le logement dans les grandes métropoles françaises, l’encadrement constitue, selon eux, un levier indispensable pour contenir la hausse des loyers et préserver la mixité sociale dans les centres urbains.

Dans le même temps, le gouvernement a confié au printemps une mission d’évaluation indépendante sur les effets du dispositif, dont les conclusions sont attendues à l’automne. Cette mission devra trancher une question sensible : faut-il pérenniser, généraliser, amender ou abandonner cette mesure, actuellement expérimentée dans une poignée de grandes agglomérations depuis la loi ELAN de 2018 ?

Le retour de cette politique ne va pas sans controverse. L’économiste suédois Assar Lindbeck résumait dans une formule provocatrice les craintes de nombreux économistes : « L’encadrement des loyers est le moyen le plus efficace, à l’exception d’un bombardement, pour détruire une ville. » Ce jugement sans appel, souvent brandi pour dénoncer les effets pervers de l’intervention publique dans le logement, reflète une position longtemps dominante dans la littérature économique.

Pourtant, la situation actuelle – hausses rapides des loyers, crise de la production, érosion du parc locatif privé – a changé la donne. L’encadrement mis en œuvre à Paris, Lyon, Lille ou Bordeaux ne prétend pas régenter l’ensemble du marché, mais contrôler la dépense en logement des ménages locataires du parc privé dans les zones les plus tendues.

Encadrement des loyers, de l’histoire ancienne

L’encadrement des loyers n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire du logement en France. Dès l’après-guerre, l’État intervient fortement dans la régulation du marché locatif afin de répondre à la pénurie de logements. La loi du 1er septembre 1948 constitue une des premières grandes mesures d’encadrement des loyers : elle fige les loyers à un niveau bas pour certains logements construits avant 1948, et impose des règles strictes de fixation. Cette législation a marqué durablement le paysage locatif, bien que ses effets aient été progressivement cantonnés à un parc de logements en déclin. La loi du 6 juillet 1989, encore en vigueur aujourd’hui, fixe le cadre juridique des baux d’habitation et introduit une régulation partielle, notamment en interdisant les hausses abusives de loyers lors du renouvellement de bail ou en cours de bail, tout en laissant les loyers libres à l’entrée dans les lieux.

Face à la tension croissante sur le marché locatif, notamment dans les grandes métropoles, les pouvoirs publics ont tenté de renforcer l’encadrement. En 2012, dans le sillage du programme présidentiel de François Hollande, un décret limite les hausses de loyers lors des relocations et renouvellements de bail dans les zones tendues (Le Bayon, Madec et Rifflart, 2012). Cette mesure marque un retour de l’État dans la régulation directe des prix du marché locatif.

La volonté de réforme s’accélère avec la loi ALUR (Accès au Logement et un Urbanisme Rénové) portée par Cécile Duflot en 2014. Cette loi introduit un encadrement plus ambitieux, en instaurant un loyer de référence, un loyer minoré et un loyer majoré, sur la base des observatoires locaux des loyers (Le Bayon, Madec, Rifflart, 2013). Paris sera la première ville à mettre en place ce dispositif en 2015. Mais cette expérimentation est rapidement fragilisée. En 2017, le Conseil d’État annule l’encadrement des loyers à Paris (et à Lille peu après), au motif que, selon la loi ALUR, la mesure aurait dû s’appliquer à l’ensemble de l’agglomération et non à la seule commune. La loi ELAN de 2018 permet aux collectivités volontaires d’expérimenter, pour une durée de 5 ans, l’encadrement des loyers. Paris relance alors le dispositif dès juillet 2019, suivie de Lille, Plaine Commune, Est Ensemble, Montpellier, Lyon et Villeurbanne, et plus récemment Bordeaux, Grenoble, et d’autres villes.

Cette généralisation montre un intérêt croissant des collectivités locales à utiliser l’outil de l’encadrement dans un contexte de flambée immobilière. Toutefois, la question de sa pérennisation au-delà de l’expérimentation, théoriquement limitée à 2026, demeure incertaine.

L’encadrement des loyers intervient dans un contexte de déséquilibre croissant entre loyers et revenus, notamment dans les grandes agglomérations où les loyers représentent régulièrement plus de 30 % du revenu disponible des ménages locataires, un seuil au-delà duquel on parle de « surcharge de logement » selon les critères établis par l’Insee et l’OCDE (CNLE, 2022). Dans le même temps, on observe une érosion du marché locatif privé, avec une part croissante de logements sortant du parc locatif pour rejoindre la vente ou la location meublée de courte durée. Les propriétaires s’éloignent d’un marché devenu moins rentable ou jugé trop contraignant et la production de logements sociaux peine à suivre dans les zones les plus tendues. Enfin, la baisse de la mobilité résidentielle fige le marché et empêche les ajustements nécessaires, en particulier pour les jeunes, les familles et les ménages modestes (Madec, 2023).

Aujourd’hui, la politique d’encadrement vise à corriger les dérives d’un marché en tension, mais son efficacité reste encore sujette à débat, notamment en raison de ses effets néfastes.

Une littérature économique qui force à la prudence

L’encadrement des loyers est un instrument largement débattu dans la littérature économique portant sur les politiques du logement. Les effets d’une telle régulation ont été largement étudiés à partir de données internationales, notamment dans les contextes nord-américain, scandinave et allemand.

Un travail de synthèse a été mené en 2024 (Kholodilin, 2024) pour recenser et catégoriser les résultats empiriques de 67 études scientifiques publiées entre 1972 et 2023, évaluant les effets du contrôle des loyers sur diverses dimensions du marché immobilier. Le tableau suivant, tiré de son article, résume l’état des connaissances en distinguant les effets jugés négatifs, nuls ou positifs selon les auteurs des études recensées :

Effet de l’encadrement des loyers sur …

Négatif Aucun Positif
… les loyers encadrés 37 4 1
… l’offre de logements 9 1 0
… la construction neuve 10 4 1
… la qualité des logements 11 2 0
… la mobilité résidentielle 20 1 0
… l’allocation des logements 8 0 0
… la propriété immobilière 4 2 11
… les loyers non encadrés 1 1 10

Sources: Kholodilin, 2024

L’effet direct sur les loyers encadrés semble faire consensus : sur 42 études, 37 concluent à une baisse ou à une limitation effective des loyers visés par la régulation. C’est donc un résultat robuste : l’encadrement atteint son objectif immédiat, celui de contenir les prix. En Espagne, l’encadrement instauré en Catalogne en 2020 a fait l’objet d’évaluations par Monras et Montalvo (2022) et Jofre-Monseny et al. (2023), qui constatent tous deux une réduction de l’ordre de 5 % des loyers encadrés. En France, Bonneval et al. (2021) s’appuient sur des archives de baux à Lyon couvrant la période 1890-1968 pour évaluer l’effet de différents régimes d’encadrement. Leur stratégie d’identification, fondée sur une méthode de double différence, montre une baisse progressive et marquée des loyers, de l’ordre de 47 % entre 1949 et 1968. 

Il ressort de l’analyse de la littérature que cet effet sur les loyers est limité aux logements effectivement soumis à l’encadrement, et peut s’accompagner de conséquences non intentionnelles sur d’autres segments du marché. Ainsi, les loyers non encadrés peuvent être indirectement affectés. Dix études indiquent que l’encadrement des loyers dans une partie du marché peut entraîner une hausse sur les loyers non régulés, via des effets de report de la demande. Cela crée un paradoxe : la régulation locale des prix peut accentuer les inégalités entre locataires selon qu’ils bénéficient ou non du dispositif.

En ce qui concerne l’offre de logement, là encore, la littérature s’accorde à conclure à un effet globalement négatif de la mise en place de l’encadrement (9 études sur 10) en désincitant à la mise en location. Cela peut prendre la forme d’un retrait pur et simple du marché locatif, d’une transformation en locations meublées touristiques ou en vente, ou encore d’une conversion en occupation personnelle. AU délà de l’offre ancienne, la construction de nouveaux logements semble elle aussi affectée, bien que plus diversement. Sur 15 études, 10 notent un effet négatif sur le volume ou la rentabilité de la construction neuve, mais certaines recherches, notamment dans les cas d’encadrement partiel ou temporaire, montrent des effets nuls (4) ou même positifs (1), en cas de dispositifs compensatoires.

Outre le nombre de logements mis en location ou produit, la qualité des logements semble également se dégrader sous l’effet de l’encadrement. Les propriétaires peuvent limiter les travaux d’entretien ou ne pas réaliser les mises aux normes nécessaires, dans un contexte de rentabilité réduite. Ce phénomène est identifié comme un effet pervers récurrent dans la littérature économique, qui alimente la critique selon laquelle le contrôle des loyers fige un parc vieillissant.

La mobilité résidentielle est l’un des effets négatifs les plus documentés. Dans 20 études sur 21, les auteurs constatent une baisse significative de la mobilité. Les locataires, une fois installés dans un logement à loyer encadré, ont peu d’incitation à déménager, ce qui fige la structure du parc locatif, ralentit les rotations, et freine l’ajustement entre besoins et disponibilité de logement.

A première vue, la littérature économique dresse un bilan relativement critique de l’encadrement des loyers. Si son efficacité à court terme sur les loyers ciblés semble acquise, ses effets secondaires sont nombreux. Dès lors, on est en droit de se demander en quoi l’encadrement des loyers « à la française » protègerait les grandes métropoles de ces effets…

Des évaluations récentes plutôt encourageante

Alors que la majorité des recherches empiriques sur les effets de l’encadrement des loyers proviennent de contextes étrangers, plusieurs travaux récents ont commencé à évaluer les dispositifs mis en œuvre en France, en particulier à Paris, Lyon et dans d’autres grandes villes ayant adopté le mécanisme d’encadrement prévu par la loi ELAN.

Les études réalisées par les équipes du CESAER et du LéP pour l’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) (Breuillé et al., 2023) confirment les effets modérateur de l’encadrement à l’échelle de la capitale. En s’appuyant sur les données d’annonces du groupe SeLoger, elles mobilisent des méthodes comparables à celles usuellement mobilisées dans la littérature (différence de différence) visant à à isoler l’effet causal de la régulation en comparant l’évolution des loyers à Paris et dans les villes sujettes à l’encadrement avec un scénario contrefactuel sans encadrement, tout en contrôlant d’autres facteurs. Les résultats montrent que l’encadrement a modéré la hausse des loyers parisiens de 5,2 % entre juillet 2019 et juin 2024, se traduisant par une économie moyenne de 64 € par mois pour les locataires. Cet impact est plus marqué pour les petites surfaces1.

1 L’étude souligne qu’environ 38 % des annonces ne respectent toujours pas le loyer de référence majoré, ce qui indique que l’effet de modération aurait pu être encore plus significatif, atteignant 9,8 %, si la conformité avait été totale.

En ce qui concerne l’offre locative, la mise à jour et l’extension récente de l’étude (Breuillé et al., 2025) ne mettent pas en évidence de baisse significative de la mise en location, ni de retrait massif des logements du marché. Ces résultats tendent à contredire certaines prédictions de la littérature internationale sur les effets désincitatifs du contrôle des loyers. Comme souligné par les auteurs et autrices eux mêmes, l’érosion du marché locatif privé, tant en flux qu’en stock, est multi factorielle et le marché a été largement bousculé ces derniers mois : baisse de la production neuve, baisse de la mobilité résidentielle, resserrement des conditions de crédit, augmentation du parc « hors résidence principales », etc.

Bien évidemment, ces premiers travaux empiriques doivent être interprétés avec prudence. D’abord, il conviendra de confirmer que les données utilisées (les données d’annonce du groupe SeLoger) sont bien représentative de l’ensemble du marché locatif privé. En outre les méthodes d’évaluation mobilisées, fondée sur des modèles en différences de différences, suppose que les zones témoins (non encadrées) évolueraient de façon parallèle aux zones traitées (encadrées) en l’absence de politique. Or, cette hypothèse d’évolution parallèle est impossible à tester directement, et peut être remise en cause par des différences structurelles (niveau de tension du marché, profil des ménages, politiques locales d’urbanisme). Enfin, ces études portent sur une période encore courte. Le recul temporel est limité à quatre ou cinq ans, ce qui permet d’évaluer des effets à court terme mais pas les dynamiques de long terme sur l’investissement, la construction neuve, ou les arbitrages des propriétaires. Or, certains effets (comme le découragement à investir ou la détérioration du parc) peuvent ne se manifester que progressivement.

Néanmoins, ces études sur données françaises récentes marquent une avancée méthodologique importante dans l’évaluation des politiques du logement. Elles confirment les effets modérateurs de l’encadrement tout en indiquant que celui ci peut, dans certaines conditions, atteindre ses objectifs sans générer les effets négatifs documentés dans d’autres contextes. Mais elles soulignent aussi l’importance de poursuivre les travaux empiriques, en diversifiant les méthodes ou encore en élargissant les données mobilisées.

Bombardement ou bouclier ?

L’encadrement des loyers tel que réactivé en France depuis la loi ALUR poursuit trois objectifs principaux : maîtriser l’évolution des loyers dans les zones tendues, lutter contre les pratiques abusives, et favoriser la mobilité résidentielle en tendant vers une convergence des loyers entre les nouveaux et les anciens locataires. Afin de limiter les effets pervers souvent associés à ce type de régulation, plusieurs garde-fous ont été intégrés dès l’origine du dispositif : un dispositif qui touche l’ensemble du marché locatif privé local, la possibilité d’augmentation de loyer en cas de travaux lourds ou encore des loyers de référence estimés sur la base des loyers réellement observés. Rappelons que malgré l’encadrement des loyers, le loyer moyen à Paris s’établissait en 2024 à près de 1 300 euros par mois pour un appartement de 50m2 selon l’Observatoire des loyers en agglomération parisienne (OLAP, 2025) soit plus de la moitié du niveau de vie médian des ménages parisien (Insee, 2024).

Ce que nous enseignent aujourd’hui les études empiriques récentes menées sur données françaises, c’est que l’encadrement tel qu’il est appliqué dans les grandes villes (Paris, Lyon, Lille…) atteint ses objectifs immédiats. Il modère les loyers à la relocation, réduit la part des dépassements illégaux, et ce sans provoquer de baisse nette et massive de l’offre locative, du moins à court terme. Mais ce bilan positif à court terme ne saurait masquer les risques à moyen ou long termes.

D’abord, le marché locatif privé se contracte, tant en stock qu’en flux d’annonces, dans les grandes agglomérations françaises, un phénomène également observé dans les autres métropoles européennes. Cette érosion traduit une perte d’attractivité du placement locatif, qui s’explique en partie par la baisse tendancielle des rendements locatifs immédiats : depuis plusieurs décennies, les prix d’achat ont crû beaucoup plus vite que les loyers. En parallèle, les incitations fiscales ont été modifiées : la suppression de l’ISF et sa transformation en IFI, le prélèvement forfaitaire unique (PFU) qui ne concerne que les revenus financiers (Madec et Timbeau, 2018), et la remise en cause de certains régimes de défiscalisation affectent les choix d’allocation d’actifs des ménages les plus aisés, qui sont aussi les principaux détenteurs du parc locatif privé (André et al., 2023).

Par ailleurs, les portes de sortie du marché locatif réglementé sont encore nombreuses et souvent plus attractives : meublés de tourisme, colocation meublée haut de gamme, coliving, autant de segments qui échappent (encore) à l’encadrement et la régulation et offrent des rendements supérieurs.

Enfin, les craintes exprimées par les bailleurs, en particulier sur les risques d’impayés, restent peu prises en compte dans le débat public. Il faut rappeler que la loi ALUR prévoyait, en contrepartie de l’encadrement, la création d’une garantie universelle des loyers (GUL), qui n’a finalement jamais vu le jour (Madec, 2015). Ce déséquilibre peut fragiliser l’acceptabilité du dispositif chez les « petits » propriétaires.

Ainsi, l’encadrement des loyers « fonctionne », mais il ne peut pas être considéré comme une solution suffisante ou structurelle à la crise du logement : un dispositif qui réduit les loyers tout en (potentiellement) contribuant à raréfier les logements disponibles risque, à terme, de renforcer les logiques d’exclusion : seuls les candidats les plus solvables accéderont au parc régulé, tandis que les ménages précaires resteront exclus ou relégués vers des segments non encadrés, souvent plus chers et de moindre qualité. Cette rareté de l’offre a également des effets négatifs sur la mobilité résidentielle, aujourd’hui à un niveau historiquement bas, alimentant ainsi des déséquilibres durables, en particulier sur le marché du travail, où la distance entre emploi et logement devient un obstacle croissant à l’appariement.

Si l’encadrement des loyers est nécessaire pour enrayer l’explosion du taux d’effort des ménages locataires, il apparaît indispensable de l’associer à des mesures actives de soutien à l’offre locatif. En ce sens, la loi du 19 novembre 2024 portée par Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz visant à mieux encadrer les meublés de tourisme, ou la mission confiée par Valérie Létard, Éric Lombard et Amélie de Montchalin à Mickael Cosson et Marc-Philippe Daubresse visant à visant à « imaginer un investissement locatif rentable et attractif » vont (a priori) dans la bonne direction.