Quelles trajectoires pour les finances publiques de la France ?

Politique budgétaire
France
Autrices, auteurs
Date de publication

11 juillet 2025

L’OFCE a publié un Document de travail qui tente d’expliquer la dynamique du déficit et de la dette publics au cours des 25 dernières années en France et de proposer une trajectoire de stabilisation de la dette.

Une courte histoire comparée des finances publiques françaises

Au cours des années récentes, la France s’est singularisée par rapport à ses partenaires européens par l’ampleur de son déficit public. Le déficit de la France de 5,8% du PIB en 2024 est bien supérieur à la moyenne de la zone euro, qui est de 3,1%. L’écart de déficit entre la France et la zone euro s’est accru principalement de 2000 à 2007, puis après 2019 (voir ici).

Sans surprise, les différents historiques des déficits publics se traduisent par des évolutions différenciées des dettes publiques des Etats Membres de la zone euro. Sur la période 2000-2024, la dette publique augmente de 53 points de PIB en France, de 27 points en Italie, 44 points en Espagne et de 5 points en Allemagne (voir ici).

Depuis 2017, en France, le creusement du déficit de 2,4 points de PIB s’explique - comptablement - par la baisse du taux de prélèvements obligatoires (de 2,5 points de PIB), dont 1,6 point se traduisent par une baisse des prélèvements payés par les ménages et 0,9 point pour les entreprises (voir ici). De leur côté, les dépenses publiques sont restées stables. Cependant, les prestations et transferts ont baissé de 0,8 point tandis que l’investissement public a augmenté de 0,5 point de PIB (voir ici).

Macroéconomie de l’évolution des dettes publiques

Deux trajectoires de la dette publique ont été analysées à l’aide du modèle Debwatch. La première est compatible avec celle proposée par le gouvernement dans le PMST. La seconde est une trajectoire alternative, fondée sur un ajustement plus progressif, visant à réduire les effets récessifs, notamment en limitant la hausse du chômage. Ces deux trajectoires reposent sur un ajustement initial important, nécessaire pour modifier rapidement la trajectoire de la dette publique, tout en l’étalant sur plusieurs années afin d’en limiter les coûts sociaux.

Selon nos simulations, l’application de la politique budgétaire inscrite dans le Plan budgétaire et Structurel à Moyen Terme (PSMT) présenté par le gouvernement en octobre 2024 et actualisé dans le cadre du Rapport d’Avancement Annuel (RAA) d’avril 2025 conduirait à un déficit de 3,0% en 2030, et un pic de la dette à 121,7% du PIB en 2029. Le chômage augmenterait à 9% dès 2027, avant de progressivement décroître à partir de 2030 (Table 1).

Table 1: Politique budgétaire selon le PSMT, stabilisation de la dette à 110% par une règle linéaire
2024 2025 2026 2027 2028 2029 2030 LT (2050) Max. 25-50
Croissance du PIBa   1,2    0,5    1,1    1,1    1,0    1,1    1,8    1,1 
Ecart de productionb  −0,7   −1,4   −1,5   −1,6   −1,7   −1,8   −1,2    0,1  c  −1,8 
Croissance du PIB potentiela   1,2    1,2    1,2    1,2    1,2    1,1    1,1 
Inflationd   2,3    1,3    1,4    1,5    1,5    1,5    1,4    1,7 
Taux de chômagee   7,4    8,1    8,9    9,0    9,0    9,0    8,6    6,9    9,0 
Solde publicb  −5,8   −5,7   −5,1   −4,6   −3,9   −3,3   −3,0   −2,9   −2,5 
Solde public primaireb  −3,6   −3,4   −2,6   −1,9   −1,2   −0,5   −0,1    0,1    0,5 
Solde public structurel primaireb  −3,3   −2,7   −1,9   −1,2   −0,4    0,3    0,4    0,1    0,5 
Impulsion budgétaire primaireb   0,1   −0,8   −0,9   −0,7   −0,8   −0,7   −0,1    0,0 
   dont POb   0,4   −0,4   −0,4   −0,3   −0,4   −0,4   −0,1    0,0 
   dont dépenseb  −0,1   −0,4   −0,4   −0,3   −0,4   −0,4   −0,1    0,0 
Cumul de l'impulsion primaireb  −0,8   −1,6   −2,3   −3,1   −3,8   −3,9   −3,5  c  −3,9 
Taux souverain courantf   3,0    3,5    3,3    3,0    2,9    2,8    2,8    2,8 
Taux souverain pondérég   1,9    2,0    2,2    2,3    2,3    2,4    2,4    2,8 
Dette publiqueb 113,1  116,7  118,9  120,4  121,4  121,7  120,9  110,8  121,7 
Charge d'intérêtsb   2,2    2,3    2,5    2,6    2,8    2,8    2,9    3,0    3,0 
Données AMECO printemps 2025, première année de simulation : 2025
Simulation debtwatch v2.0 (github.com/OFCE/dwr), France, stochastique (256 tirages), valeurs moyennes
a évolution en % annuel, volume b % du PIB c Minimum d déflateur du PIB, évolution en % annuel e % de la population active f 10 ans, % annuel g % annuel

A l’horizon de 2029 (celui du PSMT), en appliquant un ajustement plus progressif, qui limite les impacts négatifs sur l’économie, l’ajustement devrait être de 2,8% du PIB, soit un peu plus de 80 milliards d’euros (contre un ajustement affiché dans le PSMT d’un peu plus de 110 milliards d’euros au cours de la même période). Cependant l’ajustement de long terme est du même ordre de grandeur (Table 2).

Table 2: Politique budgétaire optimale pour la stabilisation de la dette à 110% à partir de 2025
2024 2025 2026 2027 2028 2029 2030 LT (2050) Max. 25-50
Croissance du PIBa   1,2    0,7    1,2    1,2    1,2    1,2    1,2    1,3 
Ecart de productionb  −0,7   −1,3   −1,2   −1,2   −1,2   −1,2   −1,1    0,0  c  −1,3 
Croissance du PIB potentiela   1,2    1,2    1,2    1,2    1,2    1,1    1,1 
Inflationd   2,3    1,3    1,4    1,5    1,5    1,5    1,5    1,7 
Taux de chômagee   7,4    8,0    8,7    8,7    8,6    8,5    8,4    7,1    8,7 
Solde publicb  −5,8   −5,7   −5,2   −4,9   −4,5   −4,1   −3,7   −3,0   −1,8 
Solde public primaireb  −3,6   −3,5   −2,8   −2,2   −1,7   −1,2   −0,8   −0,0    1,2 
Solde public structurel primaireb  −3,3   −2,9   −2,2   −1,7   −1,2   −0,7   −0,2   −0,0    1,3 
Impulsion budgétaire primaireb   0,1   −0,6   −0,7   −0,5   −0,5   −0,5   −0,5    0,1 
   dont POb   0,4   −0,3   −0,3   −0,3   −0,2   −0,2   −0,2    0,0 
   dont dépenseb  −0,1   −0,3   −0,3   −0,3   −0,2   −0,2   −0,2    0,0 
Cumul de l'impulsion primaireb  −0,6   −1,3   −1,8   −2,3   −2,8   −3,2   −3,4  c  −4,7 
Taux souverain courantf   3,0    3,5    3,3    3,0    2,9    2,9    2,8    2,8 
Taux souverain pondérég   1,9    2,0    2,2    2,3    2,3    2,4    2,4    2,8 
Dette publiqueb 113,1  116,6  118,8  120,5  121,8  122,6  123,1  110,1  123,2 
Charge d'intérêtsb   2,2    2,3    2,5    2,6    2,7    2,8    2,9    3,0    3,1 
Données AMECO printemps 2025, première année de simulation : 2025
Simulation debtwatch v2.0 (github.com/OFCE/dwr), France, stochastique (256 tirages), valeurs moyennes
a évolution en % annuel, volume b % du PIB c Minimum d déflateur du PIB, évolution en % annuel e % de la population active f 10 ans, % annuel g % annuel

Il faut noter qu’avec des taux d’intérêt plus bas, cet ajustement jusqu’à 2029 pourrait être réduit à 2,5% du PIB, soit 75 milliards d’euros. La France doit avoir une crédibilité budgétaire pluriannuelle pour un ajustement progressif (Table 2).

Des nouvelles institutions pour une stabilisation progressive et crédible de la dette publique

La difficulté posée par les deux trajectoires analysées est la nécessaire crédibilité de l’ajustement budgétaire sur plusieurs années. L’histoire récente des finances publiques n’incite qu’à un optimisme modéré quant à la capacité de la France à s’engager sur une telle trajectoire progressive. Des évolutions institutionnelles sont nécessaires afin de permettre de rendre crédible un ajustement progressif.

Tout d’abord, une cible de déficit public à dix ans suppose une identification précise de l’évolution des dépenses et des recettes publiques. Il est donc crucial d’améliorer la prévision à l’horizon de 10 ans à législation inchangée.

Le Haut-Commissariat au Plan (HCSP), en coordination avec d’autres organismes publics, pourrait établir une trajectoire à trente ans des finances publiques. Les travaux de la CAE, du COR, du HCAAM, du HCFEA, du HCFiPS, du HCC ou encore du CNN sont essentiels, mais mériteraient d’être agrégés et articulés autour d’une vision cohérente.

L’évaluation du réalisme des prévisions budgétaires relève aujourd’hui du mandat du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP). Toutefois, cette évaluation se limite pour l’instant à l’année à venir. Or, une trajectoire crédible de désendettement nécessite une appréciation pluriannuelle, à horizon de dix ans. Dans ce cadre, après l’analyse par le HCSP des tendances spontanées des dépenses et recettes publiques, le HCFP devrait évaluer la crédibilité des mesures de consolidation budgétaire de moyen terme proposées par le gouvernement, au regard de ses objectifs de dette. C’est bien l’analyse du moyen terme (10 à 20 ans) des finances publiques qui fait aujourd’hui défaut.

L’ensemble de ces éléments – projections, évaluations, cohérences sectorielles – devraient nourrir le débat public et guider le vote du budget par le Parlement. Deux évolutions simples permettraient d’informer le législateur. Tout d’abord le débat sur le Projet de Loi de Finances devrait commencer par un cadrage budgétaire à moyen terme à législation inchangée. Ensuite, après le vote du budget, une nouvelle estimation de l’évolution de la dette publique devrait être proposée. Le dispositif institutionnel varie d’un pays à l’autre. Le CBO et l’OBR aux Etats-Unis et en Angleterre ont un rôle de cette nature. En France, une institution devrait réaliser ce travail, avec une indépendance forte vis à vis de l’exécutif. Une institution comme la Cour des Comptes, qui héberge déjà le HCFP, pourrait être un candidat naturel à cette mission élargie.