« Stop à la dette » : les retraités largement mis à contribution
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Annoncé le 15 juillet par François Bayrou, le plan « Stop à la dette » prévoit un effort budgétaire de 43,8 milliards d’euros à horizon 20261. Certaines des mesures proposées ont déjà fait l’objet d’évaluations sur ce blog. Au sein de ce plan d’ensemble, les retraités sont mis à contribution par 4 mesures : le gel de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), le gel des pensions de retraite, le gel du barème de l’impôt sur le revenu et de la CSG et enfin la suppression de l’abattement de 10 % pour frais professionnels au profit d’un abattement forfaitaire à 2000 euros.
1 Il s’agit là d’une estimation réalisée par rapport à un spontané dont on ne sait pas grand chose. Si on utilise la notion de potentiel, l’impulsion budgétaire primaire nette en 2026 serait de 0,9. Elle incluerait non seulement 3,5 milliards de dépenses publiques en plus, 25,5 millairds d’effort de dépenses primaire, ainsi que la baisse de prélèvement liée à la fin des mesures exceptionnelles de 2025 (10 milliards), compensée par de nouvelles mesures à hauteur de 15,3 pour un net de mesures en PO de 5,3 milliards d’euros.
A l’aide du modèle de microsimulation Ines, développé conjointement par l’Insee, la Drees et la Cnaf, et dont la dernière version intègre la législation socio-fiscale de 2023, nous simulons les effets budgétaires et redistributifs de ces mesures sur les ménages retraités.
Nous comparons pour chaque ménage comptant au moins retraité, son revenu disponible, auquel on applique la législation 2023, à un contre-factuel dans lequel les pensions de retraites, l’ASPA et le barème de l’impôt sur le revenu et de la CSG sont réduits de 1,1% et dans lequel un abattement forfaitaire remplace l’abattement actuel de 10% sur les pensions2.
2 Afin de tenir compte du fait que les données de revenu et de pensions mobilisées sont celles de 2023 et non de 2025 nous déflatons ici l’abattement forfaitaire de 2000 euros de l’évolution observée des pensions de retraite sur la période (8,5%).
Selon nos estimations, 1,5 million de ménages verraient leur impôt baisser du fait de la mise en place de l’abattement forfaitaire. Pour deux tiers, ils appartiennent à la moitié de retraités la plus aisée en terme de niveau de vie. Les gagnants sont également pour deux tiers des couples ne comptant qu’un seul retraité.
A contrario, selon nos estimations, 5,2 millions de ménages verraient leur impôt sur le revenu augmenter suite à la mise en place de l’abattement forfaitaire. Il s’agit là principalement de retraités seuls ou de couples de retraités appartenant aux 30% de retraités les plus aisés. Il est à noter que l’effet de la mesure varie fortement en fonction de la structure des revenus : à niveau de vie équivalent, un ménage peut être gagnant ou perdant selon que sa part de revenus du patrimoine est élevée (dans ce cas, la réforme peut réduire l’impôt), ou qu’il dépend presque exclusivement des pensions (ce qui tend à accroître l’imposition).
Sur le plan budgétaire, l’introduction de l’abattement forfaitaire entraînerait une baisse d’impôt de l’ordre de 300 millions d’euros pour les ménages gagnants, contre une hausse de 1,1 milliard d’euros pour les perdants, soit un solde net de l’ordre de 800 millions d’euros de recettes fiscales pour l’État.
À cette mesure s’ajoutent les autres mesures de « l’année blanche » déjà mises au débat depuis maintenant quelques semaines.
Le gel des pensions de retraite devrait entraîner une perte de revenu disponible de l’ordre de 3,7 milliards d’euros pour les ménages comptant au moins un retraité3. De son côté, celui du barème de l’impôt sur le revenu devrait se traduire par une hausse d’impôt d’environ 400 millions d’euros pour les ménages qui comptent au moins un retraité, soit un tiers de l’augmentation d’impôt totale induite par la mesure. Il toucherait la moitié des ménages comptant au moins un retraité soit 6,7 millions de ménages. Enfin, la transformation de l’abattement forfaitaire s’ajouterait à hauteur de 800 millions d’euros avec donc environ 10% de ménages retraités gagnants, 40% perdants et la moitié pour lesquels cela ne changerait rien à leur imposition (ils ne sont pas imposables aujourd’hui).
3 Les données de l’Enquête revenu fiscaux et sociaux (ERFS) que nous mobilisons ne nous permettent pas de distringuer les pensions de retraites perçues au titre des différents régimes alors même que selon les derniers chiffres de la Drees 40% des pensions sont versées au titre du régime général, 28% au titre des régimes directs employeurs (fonction publique, salariés agricoles, …) et 26% au titre des complémentaire. Nous considérons dans nos simulations à la fois que l’ensemble des pensions sont gelées mais aussi qu’elles partagent la même date de revalorisation que le régime général c’est à dire le 1er janvier. Il s’agit là dès lors d’une hypothèse maximaliste « en année pleine ».
Au total, l’ensemble de ces mesures devrait réduire le revenu disponible des ménages comprenant au moins un retraité de l’ordre de 4,9 milliards d’euros, soit une baisse équivalente à 0,9 % de leur niveau de vie moyen. En net, ces ménages seraient très largement mis à contribution puisque 90% devraient voir leur niveau de vie réduit par les mesures annoncées contre seulement 5% de ménages gagnants. Bien entendu, ces effets seront très inégalement répartis, en fonction à la fois du niveau de vie et de la composition des revenus de chaque ménage.
Les couples ne comptant qu’un seul retraité sont quasiment les seuls à gagner à la mise en place des mesures étudiées4 (Graphique). Au contraire, les retraités seuls ou en couple devraient quasiment tous enregistrer des pertes de revenu disponible en 2026 du fait des mesures annoncées. Le gros des pertes s’expliquerait par le gel des pensions mais la mise en place du nouvel abattement réduirait tout de même le revenu disponible des retraités les plus aisés.
4 Ils peuvent être pour certains impactés par des mesures annoncées dans le cadre du plan annoncé par le Premier Ministre mais qui ne rentrent pas ici dans le champ d’analyse des mesures (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, niches fiscales, gel des autres prestations sociales, …). En outre, au delà des transferts monétaires analysés ici, les ménages retraités sont à même d’être pénalisés par d’autres mesures de réduction des dépenses publiques comme par exemple les efforts programmés sur les dépenses de santé dont ils sont les premiers bénéficiaires.
En euros, ces pertes seraient croissantes avec le revenu des ménages allant de 100 euros environ pour les retraités seuls appartenant au 10% de retraités les plus modestes à près de 1000 euros pour les couples de retraités appartenant au 10% de retraités les plus aisés.
Les retraités seuls et dont le niveau de vie est supérieur à la médiane des retraités seraient les plus pénalisés par la mise en place de l’abattement forfaitaire, ces foyers fiscaux bénéficiant aujourd’hui d’un abattement maximum de l’ordre de 4300 euros, réduit mécaniquement à 2000 euros par la mesure.
Rapportées à leur niveau de vie, pour les retraités seuls, les pertes devraient être croissante avec le niveau de vie exception faite des 10% les plus aisés relativement protégés par la part de revenu financier dans leur revenu disponible. Les couples comptant 2 retraités verraient leur niveau de vie amputé de l’ordre de 1% quelques soit leur décile d’appartenance. Pour les autres couples comptant uniquement un retraité, cet impact serait réduit à -0,4% environ.