La dette publique est-elle de droite ou de gauche ?

Dette Publique
Politique budgétaire
Autrices, auteurs
Date de publication

8 septembre 2025

Quelle relation existe-t-il entre la couleur politique du gouvernement et l’évolution de la dette publique ?

Cette question permet de s’éloigner des enjeux de très court terme, souvent anxiogènes, pour se placer dans le temps long de la politique. Son intérêt est aussi qu’elle appelle une réponse claire : la dette publique augmente davantage sous les gouvernements de droite, et ce dans la plupart des pays.

Avant de justifier cette affirmation1, trois précautions s’imposent. La première est que la notion de droite et de gauche est relative : la gauche américaine est différente de la gauche suédoise. Ensuite, au sein d’un même pays, la gauche et la droite évoluent. Le Parti socialiste en 1981 était déjà différent de celui de 1984. Enfin, la distinction entre gauche et droite est elle-même composite, avec l’existence d’une droite, d’une gauche, d’une extrême droite et d’une extrême gauche pouvant entretenir des rapports différents aux finances publiques. La deuxième précaution est qu’une cause importante de l’accroissement de la dette publique est la survenue de crises économiques. Il se peut que les gouvernements de droite aient été davantage confrontés aux crises que ceux de gauche. Enfin, la troisième précaution est que si la relation entre déficit public et couleur politique est robuste, elle admet des exceptions. Une exception intéressante, discutée dans un autre billet de blog, est la Grande-Bretagne de 1976, où un gouvernement travailliste arrivé au pouvoir en 1974 accroît le déficit, avant de solliciter l’intervention du FMI en 1976.

1 Ce blog reprend des éléments du chapitre de X. Ragot « Une idée fausse : la dette augmente à cause de la gauche », dans L’économie sans intox, Françoise Benhamou éditrice, 2025, Eyrolles.

Ces précautions étant prises, on peut justifier l’affirmation ci-dessus par des anecdotes, des chroniques et des comparaisons internationales. Les anecdotes sont nombreuses. En Allemagne, le gouvernement Scholz (SPD, gauche) a adopté une politique marquée de réduction de dette, tandis que le gouvernement Merz (CDU, droite) a proposé une modification de la Constitution pour permettre un accroissement de la dette de 500 milliards sur douze ans. Aux États-Unis, la hausse de la dette sous Donald Trump a été bien plus importante que sous Barack Obama et Joe Biden. En France, la rare période de réduction de la dette publique a eu lieu sous le gouvernement de Lionel Jospin. On pourrait ainsi multiplier les exemples.

La chronique consiste à suivre l’histoire budgétaire d’un pays. Dans le cas de la France, la dette passe de 14,5 % du PIB en 1974 à 114 % en 2024. Si l’on segmente cette période selon la couleur politique du Premier ministre – critère plus pertinent que celui du président de la République en période de cohabitation –, on constate que les gouvernements de droite ont davantage contribué à l’augmentation de la dette publique. En moyenne, celle-ci a progressé de 2,2 points de PIB par an durant les 24 années où la droite était au pouvoir, contre 1,6 point par an sous les gouvernements de gauche, qui ont dirigé environ 19 ans. Dans ce calcul, je considère la présidence d’Emmanuel Macron comme une troisième catégorie : la dette publique y connaît une hausse moyenne de 2,2 points de PIB par an.

Cette chronique française montre l’importance des crises : la dette publique a fortement augmenté sous Édouard Balladur, du fait de la crise de 1993, puis sous Nicolas Sarkozy à cause de la crise financière de 2008. La présidence d’Emmanuel Macron a été marqué par la crise Covid et la crise énergétique. Les causes de la hausse de la dette sont étudiées dans un autre Blog. Ainsi, après les anecdotes et les chroniques, une comparaison internationale plus systématique est nécessaire pour dégager des régularités. Les travaux de Müller, Storesletten et Zilibotti (2016), portant sur les pays de l’OCDE entre 1950 et 2007, sont de cette nature. Ils montrent qu’un basculement politique de la gauche vers la droite accroît la dette publique de 0,6 %.

Pour être convaincu par cette régularité statistique, encore faut-il en donner une explication solide. Deux hypothèses peuvent être avancées. La première est celle d’un comportement stratégique des gouvernements de droite. Ceux-ci sont favorables à une réduction du périmètre de l’État, et veulent réduire à la fois les impôts et les dépenses. Mais alors, pourquoi réduire les recettes par des baisses d’impôts, au risque de creuser le déficit, plutôt que de diminuer directement les dépenses ? La réponse est que la réduction des impôts est politiquement beaucoup plus facile que la baisse des dépenses2. Milton Friedman, avec son sens de la métaphore (traduction personnelle), le résumait ainsi :

2 Les conservateurs américains qui influencent Donald Trump se dissocient aujourd’hui de l’affirmation de Friedman. Voir par exemple William A. Niskanen, « Limiting Government: The failure of « Starve the Beast » », in Cato Journal, vol. 26, no 3, automne 2006, ou le rapport de Heritage Foundation de 2023 qui s’alarme du niveau élevé de la dette américaine. La discussion du cas américain actuel serait trop longue.

3 Milton Friedman, « What Every American Wants », Wall Street Journal (15 janvier 2003).

« Comment pouvons-nous un jour réduire la taille du gouvernement ? Je crois qu’il n’y a qu’une seule solution : la même que celle qu’emploient les parents pour contrôler les enfants dépensiers, en réduisant leur allocation. Pour les gouvernements, cela signifie réduire les impôts. Les déficits qui en résulteront constitueront une restriction efficace —j’irais jusqu’à dire la seule efficace. »3

Cette première explication repose donc sur un comportement stratégique présumé.

Une seconde explication peut être avancée, illustrée par la politique fiscale de Donald Trump et de son soutien éphémère Elon Musk, mais dont la portée est plus générale : il peut s’agir d’une incohérence économique et politique. Les gouvernements qui veulent réduire l’insertion de l’État dans l’économie commencent par diminuer les recettes, persuadés que la réduction des dépenses suivra. Mais ils sous-estiment systématiquement les difficultés politiques, sociales et administratives, et n’appliquent que la moitié de leur programme : la baisse des recettes. On pourrait donc formuler l’hypothèse alternative d’un biais cognitif d’excès de confiance politique conduisant à un déséquilibre économique. Laissons la question ouverte.

Références

Müller A., Storesletten K., Zilibotti F. (2016). « The political color of fiscal responsibility », Journal of the European Economic Association, 14, n° 1, p. 252‑302.