Revenu universel : l’état du débat

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Par Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak

Dans une situation de maintien d’un niveau élevé de chômage et de pauvreté, d’extension de la précarité du travail, de crainte de disparition des emplois du fait de l’automatisation, le projet de revenu universel s’est installé dans le débat économique et social en France comme dans d’autres pays développés. Il s’agirait de verser à  toute personne résidante dans le pays une allocation mensuelle sans aucune condition de ressources, d’activité, de contrepartie. Dans le cadre de sa mission d’animation et d’éclairage  du débat économique, l’OFCE a organisé, le 13 octobre 2016, une journée d’étude à laquelle ont été conviés des chercheurs qui avaient travaillé sur ce projet, pour le développer, le soutenir ou le critiquer. Un e-book rassemble la plupart des contributions qui ont été présentées et discutées durant cette journée, parfois revues compte-tenu des enseignements de la discussion.

Les débats ont porté sur plusieurs points :

  • Dans quel projet de société les propositions de revenu universel s’inscrivent-elles ? Quelles sont les modalités précises des projets en présence en termes de montant de l’allocation et d’insertion dans les dispositifs actuels de protection sociale ?
  • Le revenu universel est-il finançable ?
  • Quelles en seraient les conséquences financières pour les différentes catégories de ménages, en particulier pour ceux en situation de précarité financière ?
  • Quel serait l’impact sur l’activité, l’emploi, le chômage, les salaires, les conditions de travail, en particulier sur les emplois pénibles, le travail à temps partiel, le travail précaire, les bas-salaires ?
  • Le revenu universel est-il une réponse à la « fin du travail » ? Cette dernière est-elle une hypothèse crédible ?
  • Quels sont les projets alternatifs pour lutter contre la pauvreté et la précarité du travail ?

L’article d’Henri Sterdyniak, « Des minima sociaux au revenu universel ? », présente la situation actuelle des prestations d’assistance, des minimas sociaux et de la Prime d’activité en France. Ceux-ci sont ciblés et relativement généreux, mais le système est compliqué, s’accompagne de  contrôles intrusifs ;  les minima sociaux sont souvent ressentis comme stigmatisants. L’article plaide pour le maintien du caractère familial des impôts et des prestations d’assistance. L’article discute les divers justificatifs des projets de revenu universel et présente leurs modalités. Si on souhaite maintenir les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite) et les prestations universelles (santé), le revenu universel devrait essentiellement être financé par la hausse des prélèvements directs sur les ménages, ce qui le rend peu réalisable. Par ailleurs, il n’est pas socialement souhaitable de renoncer à l’objectif de plein-emploi et d’écarter durablement une partie importante de la population du travail même en lui assurant un revenu à la lisière de la pauvreté. L’article plaide pour un revenu minimum garanti (sous conditions de ressources), à court terme pour la relance économique, pour la création d’emplois publics, pour des emplois de « dernier ressort », à plus long terme pour le partage du travail par la réduction du temps de travail et des cadences de travail.

L’article de Guillaume Allègre, « Le revenu universel : utopique ou pragmatique ?» souligne que deux objectifs sont souvent assignés au revenu universel : d’une part, gérer la fin du travail et, d’autre part, simplifier le système socio-fiscal et supprimer le non-recours. Pour les uns, il devrait être suffisant pour vivre, pour les autres, relativement faible pour ne pas bouleverser le système socio-fiscal. Des doutes subsistent sur la réalité de la raréfaction du travail. De plus, la réduction généralisée du temps de travail semble une stratégie plus soutenable que le revenu universel car elle concerne tous les salariés au lieu de couper la société en deux. Peut-être, faut-il envisager le revenu universel comme une réforme socio-fiscale qui permet surtout de lutter contre le non-recours aux prestations sociales. On passerait d’une prestation d’assistance quérable à une prestation universelle automatique. Se pose alors la question corollaire de l’individualisation du système socio-fiscal. Les pouvoirs publics font face à un arbitrage entre la simplicité et l’automaticité d’une part ou la réponse fine aux besoins d’autre part.

L’article de Gaspard Koenig,  « Revenu d’existence », dénonce le système actuel du RSA, le jugeant paternaliste, injuste et stigmatisant. Il défend une conception libérale du revenu d’existence qui permet à chaque individu d’être responsable et autonome, de définir ses propres besoins. Le revenu universel serait de 500 euros (250 euros pour les enfants), sous forme de crédit d’impôt,  tandis qu’une taxe de 25 % serait le seul impôt sur le revenu. La réforme ne changera pas fondamentalement la répartition des richesses mais libérera les plus pauvres de la hantise de la pauvreté en leur procurant stabilité et sécurité.

 L’article de Guillaume Mathelier, « Un pas vers l’égalité des dotations initiales : vers une  existence bien vécue », assigne à la société l’objectif philosophique et politique de garantir à chaque individu « une existence bien vécue ». L’exigence morale d’ « égalité des dotations initiales » s’inscrit dans trois mesures. La première mesure articule la mise en place d’un revenu d’existence pour couvrir les besoins fondamentaux à partir de 18 ans comprenant d’une part un revenu égalitaire, universel, sans condition ni contrepartie auquel s’ajoute d’autre part un montant équitable qui entend répondre aux besoins locaux et spéciaux des individus bénéficiaires. Sa deuxième mesure envisage qu’un revenu d’existence puisse être capitalisé pendant l’enfance et serait versé à 18 ans sous la forme d’un « capital d’émancipation » dont la contrepartie serait un service civique obligatoire. Enfin, des droits non monétaires (services publics, préservation des ressources vitales naturelles, biens communs), doivent s’y ajouter pour garantir l’objectif philosophique et politique d’une « existence bien vécue ».

Après avoir remis en cause dans leur article, «  Le revenu de base comme revenu primaire », la thèse de la fin du travail, Jean-Marie Monnier et Carlo Vercellone  proposent un réexamen de la notion de travail productif dans le capitalisme cognitif où le travail cognitif, immatériel et collectif tend à se déployer sur l’ensemble des temps sociaux et de vie. Cette mutation rend impossible la mesure de la quote-part que chaque individu apporterait à la production en raison du caractère de plus en plus social et collectif du travail. Aussi le revenu de base serait un revenu primaire directement lié à la production, c’est-à-dire la contrepartie d’activités créatrices de valeur et de richesse, actuellement non reconnues et non payées.

L’article de Jean-Éric Hyafil, «  Mise en place d’un revenu de base : difficultés et solutions » propose un exemple de réforme simple introduisant un revenu universel au niveau de l’actuel RSA pour une personne seule (475 €) en le finançant par une restructuration de l’IR. L’objectif de l’exercice est de partir de cet exemple pour mettre en évidence les enjeux, les difficultés et les éventuelles solutions pour rendre possible une réforme fiscale introduisant un revenu universel. La réflexion concerne la comptabilisation budgétaire d’une telle réforme, ses effets redistributifs, la question de l’avenir des dépenses fiscales sur l’IR (« niches fiscales »), la question de l’individualisation ou de la conjugalisation de l’impôt, la mobilisation d’autres ressources financières que l’IR pour financer le revenu universel, etc.

L’article de Anne Eydoux, « Conditionnalité et inconditionnalité : discussion de deux mythes sur l’emploi et la solidarité », dénonce deux mythes : celui selon lequel le RSA et les allocations chômage décourageraient le travail et celui de la fin de l’emploi salarié qui pourrait être remplacé par un revenu universel. L’article montre que c’est la faiblesse de l’offre d’emploi et les réformes de l’emploi qui expliquent la persistance du chômage et le développement de l’emploi précaire. Le projet de revenu universel revient à distribuer des ressources sans organiser la production nécessaire à les générer. Il oublie la centralité du travail et renonce à l’objectif de plein-emploi. L’article suggère d’autres pistes que le revenu universel, en particulier de réduire la conditionnalité des prestations sociales, mais aussi d’augmenter les salaires des emplois réputés non-qualifiés et de réduire la durée du travail.

Jean-Marie Harribey dans « Le revenu d’existence : un remède ou un piège ? »  dénonce les incohérences du projet de revenu d’existence. Il récuse la thèse de la fin du travail et l’abandon de l’objectif de plein-emploi. Il soutient que le travail socialement validé par le marché ou par une décision politique est la seule source de valeur, contrairement au travail domestique, au bénévolat ou aux activités libres, de sorte que le revenu d’existence serait obligatoirement un revenu de transfert. Mais distribuer plus de revenus nécessite obligatoirement de produire plus, ce qui est contradictoire avec la thèse selon laquelle le revenu universel permettrait d’échapper à la nécessité du travail.  L’article dénonce les risques du projet : la fracture entre ceux qui auraient un emploi et les exclus, la mise en cause des droits sociaux. Il propose la réduction collective du temps de travail et une allocation garantie pour les adultes.

L’article de Denis Clerc, « Le revenu d’existence : beaucoup de bruit pour pas grand-chose ? », présente une analyse critique des propositions de revenu universel. Il lui reproche de nécessiter beaucoup de transferts bruts pour des faibles effets redistributifs. On pourrait parvenir au même résultat de façon beaucoup plus simple en augmentant les revenus des plus pauvres (par l’aide sociale ou la création d’emplois socialement utiles financés en partie par la collectivité) tout en taxant davantage les plus riches. Il craint que la hausse de la fiscalité sur les plus riches se heurte à des obstacles politiques et économiques. Il souhaite que des expérimentations soient mises en place et que des décisions ne soient pas prises avant que leurs résultats ne soient connus.

Paul Ariès  dans « Pour un revenu universel démonétarisé : défendre et étendre la sphère de la gratuité » propose une dotation individuelle d’autonomie (DIA) qui serait donnée au maximum sous une forme démonétarisée : une partie en monnaie nationale, une partie en monnaie régionale si possible fondante pour faciliter la relocalisation des activités vers des activités à forte valeur ajoutée sociale et écologique et la partie essentielle sous forme de droit d’accès à des biens communs. L’objectif est d’étendre la sphère de la gratuité. Cette gratuité serait utilisée pour démocratiser le fonctionnement des services publics, pour repenser écologiquement et socialement les produits et services existants, pour décider ce qui doit être gratuit et donc produit en priorité, pour mettre en place des communs, des relations de dons réciproques.

Le texte de Bernard Friot, « Continuer d’affirmer une production non capitaliste de valeur grâce au statut politique du producteur », récuse tant le projet de revenu de base (qui permettrait au capital de ne plus assumer les responsabilités d’employeurs, d’organiser la baisse des salaires et l’insécurité de l’emploi) que la réponse keynésienne de plein emploi, de baisse de la durée du travail et de fiscalité redistributive. Les travailleurs ne doivent pas se battre pour une meilleure répartition de la valeur, mais sur la production d’une valeur alternative. Ils doivent remplacer les institutions capitalistes (propriété lucrative, crédit, marché du travail) par des institutions inspirées de la Sécurité sociale et de la fonction publique : la production non capitaliste, la qualification personnelle, le salaire à vie, le financement de l’investissement par une cotisation économique.

L’article de Mathieu Grégoire, « Le régime des intermittents : un modèle salarial pour l’ensemble de l’emploi discontinu ? » part de l’expérience de la mise en place puis du maintien du régime des intermittents du spectacle. Celui-ci organise la socialisation du salaire dans le cadre des mécanismes de solidarité interprofessionnelle et non par une subvention publique  financé par le contribuable. Aussi, la lutte pour un revenu inconditionnel doit passer par l’extension du rapport salarial et l’exigence d’un salaire pour tous et non par des mécanismes redistributifs. En s’appuyant sur le régime des intermittents, il convient de fournir à l’ensemble des salariés en emploi discontinu, un droit à un salaire indirect socialisé.

En tout état de cause, le débat sur le revenu universel n’aura pas été inutile s‘il permet de faire progresser la réflexion sur deux points importants : le niveau et les conditions d’accès aux minima sociaux, ainsi que l’évolution du travail.

Pour en savoir plus : Guillaume Allègre et Henri Sterdyniak (coord.), 2017 : “Revenu universel : l’état du débat”, OFCE ebook 

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