Collecte sur Livrets A : ô les beaux jours sont finis …

par Sandrine Levasseur

A chaque annonce de modification du taux de rémunération du Livret A, se pose la question de son impact sur les montants collectés. Répondre à cette question – en fournissant une évaluation quantifiée – n’est pas chose facile car l’impact dépend d’un grand nombre de facteurs dont certains sont difficiles à mesurer (e.g. la « valeur-refuge » que constitue le Livret A) ou difficile à anticiper (e.g la politique plus ou moins agressive menée par les banques pour favoriser leur propre support d’épargne). Pour autant, ces difficultés ne doivent pas nous priver d’une évaluation dont les enjeux sont importants pour le financement du logement social, les banques et les deniers de l’Etat.

La dernière note de l’OFCE (n°30, 30 juillet 2013) propose une évaluation quantifiée de l’impact d’une baisse du taux d’intérêt rémunérateur du Livret A (le taux passe de 1,75 % à 1,25 % à compter du 1er août 2013) sur les montants collectés. Si la prudence s’impose tant l’exercice de quantification a ses limites, celui-ci nous montre cependant que les beaux jours en matière de collecte sur les Livrets A sont vraisemblablement derrière nous. Certes, les montants recueillis sur l’année 2013 resteront à un niveau très élevé, entre 14,5 et 18,5 milliards d’euros (hors intérêts capitalisés). Mais ils sont imputables pour moitié aux montants collectés au cours du mois de Janvier (8,21 milliards d’euros) après le relèvement du plafond du Livret A intervenu le 1er janvier 2013. En 2014, l’effet « boosteur » de relèvement du plafond disparaîtra, et la collecte sur les Livrets A devrait chuter dans un contexte de rémunération plus faible du Livret A.

Selon nos estimations, pour que les montants collectés restent aux alentours des 16 milliards d’euros en 2014, il faudrait soit que le taux de chômage retombe sous la barre des 10,5 % de façon à redonner du pouvoir d’épargne aux ménages, soit que le rendement sur l’assurance-vie (net de la fiscalité) baisse à 1 % de façon à réorienter l’épargne disponible vers le Livret A[1]. Alternativement, il faudrait que la Bourse chute. Or, à l’heure actuelle, il n’y a pas vraiment de raison d’anticiper une baisse du chômage en France. Le rendement des produits d’assurance-vie est, certes, orienté à la baisse pour l’année à venir. Mais cette baisse viendrait seulement amoindrir le différentiel de rendement qui apparaîtra entre les deux produits d’épargne (assez fortement substituables) suite à la baisse du taux du Livret A à partir du 1er août. La Bourse, fortement malmenée depuis le début de la crise, est cependant engagée dans une perspective haussière depuis un an, tendance qui a priori devrait se poursuivre. Evidemment, le scénario du pire ou du mieux – tout dépend le point de vue adopté – ne peut être exclu : la Bourse peut s’effondrer mais alors le chômage risque d’augmenter et les actifs sous-jacents de l’assurance-vie risquent de baisser car cela signifiera soit qu’il y a une nouvelle crise dans la zone euro, soit que la sortie de crise est beaucoup plus difficile que prévue.

L’un dans l’autre, on le voit, des perspectives de collectes sur les Livrets A du niveau de celles observées lors des précédentes années sont plutôt obscurcies[2]. A très court terme, une moindre collecte sur les Livrets A ne devrait pas poser de problème pour le financement du logement social, la Caisse des dépôts et Consignations (CDC) disposant d’un surplus de fonds d’épargne qui n’est pas encore alloué aux bailleurs sociaux[3]. Pour autant, dès lors que le surplus du fond d’épargne sera utilisé, le financement du logement social deviendra tributaire des montants collectés sur Livrets A. Une moindre collecte sur les Livrets A se traduirait alors par l’incapacité de construire des logements sociaux. Si ce scénario du pire venait à se réaliser, on ne pourra pas faire l’économie – dans les deux à trois ans à venir – d’une réforme du mode de financement du logement social de façon à le rendre moins dépend de la collecte sur les Livrets A.


[1] La modification du système de prélèvement libératoire forfaitaire (PLF), à compter de 2013, rend cependant difficile une évaluation du rendement de l’assurance-vie, et des autres produits financiers, net de toute imposition. En effet, les revenus financiers (intérêts, dividendes, plus-values mobilières, etc.) supérieurs à 2 000 € par an seront soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu du ménage.

[2] La collecte sur Livrets A (hors intérêts) a atteint 17,38 milliards en 2011 et 28,16 milliards en 2012. Comparativement, l’année 2010 a été une année de piètre collecte, avec à peine 7,8 milliards d’euros.

[3] 65 % des sommes déposées sur les Livrets A servent, en effet, à alimenter le fond d’épargne dans lequel la CDC puise pour financer les logements sociaux (Levasseur, 2011). C’est d’ailleurs une partie (30 milliards d’euros) de ce surplus d’épargne non utilisé pour financer le logement social qui a été « rétrocédé » momentanément aux banques. Le décret, entré en application le 31 Juillet 2013, prévoit que dès que les prêts de la CDC aux bailleurs sociaux atteindront une certain niveau, les banques devront reverser ces 30 milliards au fond d’épargne.




France : pourquoi tant de zèle ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans le cadre de celles-ci, la Commission accorde deux années supplémentaires à la France pour atteindre la cible de 3% de déficit public. L’objectif de déficit de 3 % est désormais fixé à 2015 et la Commission européenne préconise pour y arriver des impulsions budgétaires de -1,3 point de PIB en 2013 et -0,8 en 2014 (voir la note « Austérité en Europe: changement de cap? »). Cela allègerait l’effort structurel à fournir, puisque le respect des engagements antérieurs aurait nécessité des impulsions de -2,1 et -1,3 points de PIB pour 2013 et 2014 respectivement.

Pour autant, le gouvernement français a choisi de ne pas relâcher sa politique d’austérité, en maintenant l’ensemble des mesures annoncées lors du projet de loi de finances de l’automne 2012. Cette politique reste restrictive et va bien au-delà des préconisations de la Commission : -1,8 point de PIB d’impulsion budgétaire, dont 1,4 point de hausse des taux de prélèvement obligatoire sur la seule année 2013. Pire, les grandes orientations pour le budget 2014 présentées par le gouvernement au Parlement le 2 juillet 2013 impliquent un effort structurel de 20 milliards d’euros pour 2014, soit 1 point de PIB, là où la Commission n’en exigeait que 0,8. Le gouvernement durcit par ailleurs l’impulsion budgétaire de 0,6 point de PIB qu’il avait lui-même affiché dans le programme pluriannuel de la Loi de finances pour 2013.

Le tableau ci-dessous permet de prendre la mesure de l’effort engagé et de ses conséquences sur l’économie française. On y lit l’évolution de la croissance, du taux de chômage et du solde public en 2013 et 2014, selon trois stratégies budgétaires :

  1. celle retenant l’assouplissement préconisé par la Commission en mai 2013 ;
  2. celle reposant sur le budget voté par le gouvernement pour 2013 et, a priori, 2014 ;
  3. celle reposant sur un scénario alternatif qui prend acte de l’impulsion de -1.8 point de PIB engagée pour l’année 2013, et calcule l’impulsion budgétaire suffisante en 2014 pour respecter l’objectif de déficit public de -3,6 % de la Commission européenne.

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Selon nos estimations réalisées à partir du modèle IAGS[1], le déficit public serait réduit à 3,1 % du PIB en 2014 dans le scénario (2), là où la Commission n’exigeait que 3,6 %. Conséquence de cet excès de zèle, la croissance cumulée pour 2013 et 2014 si le budget voté est appliqué serait de 0,7 point inférieure à celle des deux autres scenarii (0,8 point contre 1,5 point). Le corollaire est une hausse du chômage en 2013 et en 2014 : le taux de chômage, de l’ordre de 9,9 % en 2012, passe ainsi à 11,1 % en 2014, soit une hausse de plus de 350 000 chômeurs sur la période. A l’inverse, le scénario assoupli de la Commission européenne permettrait une quasi-stabilisation du chômage dès 2013, tandis que le scénario alternatif permet une inversion de la courbe du chômage en 2014.

Alors que l’échec de la politique d’austérité des dernières années semble infléchir progressivement la position de la Commission européenne, le gouvernement français persiste dans cette voie. A rebours de l’urgence sociale à laquelle le pays fait face et du changement de paradigme qui semble gagner la plupart des institutions internationales, le gouvernement français choisit d’en rester au fétichisme des 3 %.


[1] IAGS est l’acronyme de “Independent Annual Growth Survey”. Ce modèle propose une modélisation simplifiée des onze principales économies de la zone euro (Autriche, Belgique, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Pays-Bas, Portugal et Espagne). Voir plus de détails, voir le document de travail Model for euro area medium term projections.




Logement social : peut mieux faire

Par Sabine Le Bayon

Les organismes HLM et l’Etat ont signé le 8 juillet dernier un pacte pour assurer la mise en œuvre des objectifs de construction de logements sociaux. Lors de la campagne électorale de 2012, François Hollande avait fait de la question du logement l’une de ses priorités et visait la construction de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux. Depuis son élection, plusieurs mesures ont été prises dans ce sens. Concernant le logement social, il s’agit essentiellement de la mobilisation du foncier public, de la hausse du plafond du livret A, du renforcement de la loi SRU de 2000, de la fin du prélèvement sur le potentiel financier des bailleurs sociaux et de l’accord avec Action logement (ex-1% logement) pour augmenter sa participation à l’effort de construction de logements sociaux. Dans le cadre du pacte du 8 juillet, l’Etat a aussi rappelé la baisse prévue du taux de TVA sur la construction sociale de 7 à 5 % dès 2014 tandis que les organismes HLM se sont engagés à construire 120 000 logements sociaux par an[1] d’ici 2015 et à mutualiser une partie de leurs fonds (280 millions d’euros) pour soutenir les organismes les plus sollicités. L’objectif de 150 000 logements sociaux financés ne sera donc pas atteint dès 2013[2], comme l’avait déjà reconnu en mai dernier la Ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, Cécile Duflot. En effet, dans un contexte budgétaire tendu, l’objectif du gouvernement relève de la quadrature du cercle. Certes les mesures prises par le gouvernement ne sont pas neutres pour les finances publiques : la réduction du taux de TVA représente un manque à gagner et la hausse du nombre de prêts accordés par la Caisse des dépôts va entraîner une augmentation des avantages de taux, à la charge de l’Etat. Il n’en reste pas moins que les aides directes de l’Etat ne sont pas à la hauteur de l’enjeu et qu’il apparaît paradoxal de renforcer les contraintes de construction de logements sociaux pour les communes sans y consacrer les ressources nécessaires et en laissant aux autres acteurs du secteur le soin de boucler les opérations de financement.

Un objectif ambitieux au regard de la construction récente

L’objectif gouvernemental paraît bien ambitieux au regard de la construction sociale de ces dernières années (graphique). En 2012, alors que 120 000 logements sociaux devaient être financés, seuls 102 000 l’ont été effectivement (hors logements issus de la rénovation urbaine dits logements « ANRU »[3], soit le champ couvert par l’objectif gouvernemental). Pour mémoire, un pic avait été atteint en 2010 avec le financement de 146 000 logements sociaux (131 500 hors ANRU), dans le cadre du plan de relance, soit déjà un niveau important au regard de la moyenne des années 2000 (87 500).

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Des contraintes réglementaires accrues

Dans le cadre de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, la pression sur les collectivités locales est renforcée, avec la révision de l’article 55 de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU). Alors que jusqu’à présent les objectifs en termes de logements sociaux devaient être atteints en 2020, le gouvernement a repoussé cette échéance à 2025 en même temps qu’il augmentait les objectifs. Dorénavant :

  • – le taux de logements sociaux à atteindre passe de 20 à 25 %[4]. Seules les communes en décroissance démographique ou pour lesquelles ne se justifie pas d’effort de construction supplémentaire conserveront un objectif de 20 %;
  • – l’obligation des 20 % est élargie à un certain nombre de communes, hors périmètre SRU jusque-là, et qui sont en forte progression démographique.

Selon les évaluations gouvernementales, le nombre de communes ne respectant pas les taux de logements sociaux à atteindre passerait de 980 à 1086 avec l’entrée en vigueur de la loi.

La loi prévoit aussi de renforcer le prélèvement versé par les communes ne respectant pas le taux de logements sociaux prévu[5]. Enfin, les intercommunalités ou agglomérations ne pourront plus reverser une partie des pénalités aux communes prélevées, ce qui permettait précédemment de contourner la loi. Désormais, les prélèvements seront versés aux agglomérations bénéficiant de la délégation des aides à la pierre ou à un établissement public foncier, pour l’achat de foncier en vue de la réalisation de logements sociaux. Le gouvernement prévoit que le prélèvement qui s’élevait à 24 millions d’euros en 2012 pourrait atteindre 63 millions en 2014, du fait de la majoration prévue. Mais son niveau resterait relativement faible, du fait des diverses exemptions prévues et de la possibilité de déduire les montants dépensés pour la réalisation de logement sociaux[6].

Le faible montant prélevé est aussi dû au fait que de plus en plus de communes respectent leurs engagements triennaux (63 % entre 2008 et 2010, contre 49 % entre 2002 et 2004). Au final, durant la dernière période triennale (2008-2010), 43 000 logements sociaux par an ont été financés dans les communes soumises à la loi SRU, soit environ 38 % du total des logements sociaux financés en France. Pour répondre aux objectifs de la nouvelle loi, l’effort de construction demandé aux communes à court terme va augmenter. En effet, sur la période 2014-2016, il leur faudra réaliser 25 % des logements sociaux manquants pour atteindre 25 % de logements sociaux. Le gouvernement estime que la construction de logements sociaux dans ces communes devrait atteindre 187 000 sur la période 2014-2016, soit 62 000 par an. La loi va donc nettement accroître la pression sur les communes à partir de 2014.

Une action sur les coûts de production

Face à l’explosion des coûts de production (+85 % entre 2000 et 2011)[7], plusieurs mesures ont été prises. Parmi celles-ci, figure l’autre grand volet de la loi du 18 janvier dernier sur la cession de terrains publics aux collectivités territoriales et EPCI[8]. La décote autorisée peut désormais aller jusqu’à 100 % de la valeur vénale dans les zones les plus tendues si les terrains sont affectés à la construction de logements locatifs très sociaux (contre seulement 35 % précédemment). Le taux de décote est d’autant plus important que le territoire est « tendu » et que le programme intègre des logements très sociaux. Le coût pour l’Etat pourrait atteindre au maximum 370 millions d’euros sur 5 ans selon les évaluations du gouvernement. Le foncier représentant environ 20 % du prix de revient d’un logement social, l’impact pour les organismes HLM sera non négligeable, même en tenant compte du coût de viabilisation de ces terrains, mais il ne sera pas visible avant plusieurs trimestres voire plusieurs années (Caisse des Dépôts, 2012). Selon une première évaluation du Ministère, environ 900 sites, couvrant 2000 hectares, seraient disponibles, ce qui permettrait la construction de 110 000 logements d’ici 5 ans (dont la moitié pourrait être du logement social), soit près de 7 % de l’objectif du gouvernement sur 5 ans en matière de logements sociaux. Cependant, plusieurs réserves doivent être apportées aux ambitions gouvernementales. D’une part, le programme précédent (2008-2012) n’a vu la réalisation que de 60 % des objectifs fixés. D’autre part, les négociations de cession prennent du temps. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, peu de cessions ont ainsi été réalisées.

Par ailleurs, pour limiter la hausse des coûts, le taux de TVA pour la construction et la réhabilitation de logements sociaux, qui devait augmenter pour atteindre 10 % en 2014 (après 5,5 % en 2011), sera finalement réduit à 5 % à compter du 1er janvier 2014. Le gain pour les bailleurs sociaux est estimé à 800 millions par rapport à un taux à 10 % (Caisse des Dépôts, 2013). Il devrait nettement alléger la facture pour les organismes HLM, puisque la baisse s’appliquera pour les logements livrés à partir de 2014, c’est-à-dire ayant reçu des agréments à partir de 2011 ou 2012, étant donné les délais de construction.

Outre l’accent mis sur les coûts de production, le financement des logements sociaux serait facilité grâce à l’augmentation du plafond du livret A et à une mobilisation plus importante des subventions des employeurs.

Un accent mis sur le livret A et les subventions patronales

Une des spécificités du modèle français de financement du logement social repose sur le non recours aux marchés financiers. Les organismes HLM ne se financent pas sur les marchés obligataires mais contractent des prêts auprès de la Caisse des dépôts et consignation (CDC) sur des horizons de long terme (30 à 50 ans) et à des taux préférentiels (Hoorens, 2013). Les prêts sont assis sur une partie de l’épargne déposée par les ménages sur leurs livrets A. In fine environ 52 % des sommes déposées sur les livrets A sont effectivement disponibles pour financer des HLM[9] (Levasseur, 2011). Pour gonfler ces liquidités et donc faciliter le financement du logement social, le plafond du livret A a été relevé en octobre 2012 puis en janvier 2013, pour atteindre 22 950€, soit 50 % de plus que début 2012. Ceci s’est traduit par une collecte record (8,2 milliards en janvier 2013, contre 2,3 milliards en moyenne chaque mois en 2012) et la baisse récente du taux rémunérateur (de 2,25 % à 1,75% en février 2013) n’a pas eu pour le moment de répercussions négatives. Pour le moment, la liquidité semble plus que suffisante pour couvrir les besoins de financement.

Enfin, il faut rappeler qu’en plus des 73 % de prêts de la Caisse des dépôts en 2012, le reste du financement du logement social provient de subventions de l’Etat (3 %), des collectivités locales (8 %) et des employeurs[10] (3 %), ainsi que des fonds propres des bailleurs sociaux (12 %)(tableau). Cette répartition reflète un désengagement progressif de l’Etat durant les années 2000 en termes d’aide par unité produite. La subvention (directe) du gouvernement par unité a ainsi baissé de 54 % entre 2000 et 2011 pour un logement social moyen, pour s’établir à 2500 euros en 2011. Cependant, le gouvernement en a financé davantage, l’enveloppe globale ayant été multipliée par trois entre 2000 et 2009 avant de baisser ces dernières années. Simultanément, on a observé une montée en puissance des subventions des collectivités locales (9 700 euros en 2011, soit une hausse de 170 % par rapport à 2000) tandis que les bailleurs ont dû accroître leur financement sur fonds propres (+375 %, à 19 000 euros). Il faut tout de même souligner qu’en complément de ces subventions directes, les organismes HLM bénéficient d’avantages de taux sur les prêts et d’avantages fiscaux (TVA réduite et exonération de taxe foncière pendant 25 ans)[11].

Malgré les mesures gouvernementales, l’objectif de 150 000 logements sociaux financés en 2013 paraît difficile à atteindre. Le nombre de financements devrait être proche de celui de 2012, c’est-à-dire légèrement supérieur à 100 000. Plusieurs raisons expliquent pourquoi l’objectif est hors de portée dès 2013. D’une part, la difficulté de mobiliser rapidement du foncier, notamment en zones tendues, allonge les délais pour monter des opérations de logement social. Ensuite, pour boucler le financement d’un logement social, ce sont tous les acteurs qui doivent être mobilisés. Or, l’accord entre l’Etat et Action logement est intervenu tardivement et le déblocage des aides d’Action logement nécessite du temps. De plus, les collectivités locales, qui fournissent une part croissante des subventions, sont aussi soumises à un contexte budgétaire tendu qui limite leurs moyens d’action.

Pour financer les 150 000 logements sociaux souhaités par le gouvernement, ce sont en effet environ 19,2 milliards d’euros qui doivent être mobilisés, soit 6 milliards de plus qu’en 2012 (tableau), en se basant sur le prix moyen d’un logement social en 2012. Ce dernier était en effet de 128 000 euros, soit moins que le coût d’un logement social « ordinaire »  (compris entre 130 000 et 140 000 euros), du fait de la prise en compte dans nos calculs du prix d’un logement en foyer ou en résidence sociale et étudiante. Les logements « ordinaires » ne représentent en effet qu’un peu plus de 70% du total des logements sociaux financés. En conservant la répartition du financement de 2012 entre les différents acteurs, cela signifie 4,4 milliards de prêts supplémentaires de la CDC. Il faut donc que la CDC prête au total 14 milliards, ce qui paraît possible au regard des montants collectés sur les livrets A en 2012 et sur la première moitié de l’année 2013 et des fonds excédentaires dont la CDC dispose. Mais au-delà de ces prêts, il faut aussi que les autres financements soient suffisants. Or, il reste 1,6 milliard à répartir entre les autres financeurs. La contribution de l’Etat devrait peu varier (500 millions prévus dans la loi de finances pour 2013, contre 430 millions dépensés en 2012), avec une poursuite de la baisse de la subvention par logement. En revanche, Action logement sera davantage mise à contribution, avec une aide effective de 950 millions d’euros (sous forme de prêts et de subventions)[12], soit une hausse de 500 millions par rapport à 2012. Cet effort accru d’Action logement –alors que sa situation financière est fragile- a d’ailleurs été critiqué par la Cour des comptes dans son dernier rapport annuel, mais elle permettra de limiter l’effort supplémentaire pour les collectivités locales et les bailleurs dans un contexte là-aussi déjà tendu. Un supplément de 600 millions de fonds propres des bailleurs et de 400 millions de subventions des collectivités locales sera toutefois nécessaire.

Les bailleurs pourront compter sur quatre mesures d’économies importantes. D’abord, on l’a vu, la baisse de la TVA leur permet d’économiser environ 300 millions d’euros. Ensuite, le gouvernement met fin au prélèvement de 175 millions d’euros sur leur potentiel financier qui avait été instauré en 2011. Ce dernier visait à financer le PNRU (Programme national de rénovation urbaine) et à pénaliser les organismes n’investissant pas assez. De plus, la baisse du taux du livret A de 0,5 point en février 2013 et 0,5 point en août prochain (Madec, 2013) va permettre aux bailleurs sociaux des économies importantes sur les intérêts versés à la Caisse des dépôts. L’USH estimait ainsi qu’une baisse de 0,2 point du taux du livret A permettait d’économiser l’équivalent de 400 millions d’euros de subventions. Enfin, le foncier libéré par l’Etat devrait à partir de 2014 ou 2015 diminuer les dépenses des bailleurs de l’ordre de 70 millions d’euros par an. Par ailleurs, un mécanisme de mutualisation a été acté dans le cadre du pacte du 8 juillet dernier : il prévoit des aides pour les années 2013 à 2015 aux organismes produisant des logements sociaux. Pour 2013, le montant sera de 3 300 euros en zone tendue et 1 300 euros dans les autres zones. Une enveloppe de 280 millions d’euros est prévue. Cette aide sera financée via une contribution des différents organismes en fonction notamment des loyers perçus et du patrimoine locatif. Le but est de mieux utiliser la trésorerie disponible au niveau national en aidant les organismes les plus sollicités. Toutes ces mesures sont positives pour les bailleurs et augmenteront leurs capacités de production. Il n’en reste pas moins que l’effort demandé aux collectivités locales et à Action logement est lourd et que les objectifs ne seront pas atteint dès cette année.

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L’accent mis sur le logement social par le nouveau gouvernement s’inscrit dans la tendance initiée au milieu des années 2000 avec le Plan de cohésion sociale de 2005. La conjonction d’une hausse de la production de logements sociaux depuis le milieu des années 2000 et de la baisse de la construction de logements privés a ainsi entrainé une augmentation de la part des logements sociaux dans la construction (comprise entre 25 % et 30 % depuis 2009). Ce mouvement devrait se poursuivre, même si les objectifs ne sont pas atteints, du fait du ralentissement important du rythme de construction par les agents privés. Entre mai 2012 et mai 2013, ce sont en effet seulement 300 000 logements neufs (privés et sociaux) qui ont été mis en chantier. Cependant, les ambitions gouvernementales sont élevées par rapport aux moyens financiers. Certes, l’Etat va contribuer à l’effort via les aides indirectes (aides de taux et aides fiscales), la fin du prélèvement sur les bailleurs et la mobilisation du foncier, mais peu via les aides à la pierre alors que François Hollande s’était engagé à les doubler pendant la campagne électorale de 2012. De plus, la situation financière d’Action Logement est fragile et cette dernière ne pourra pas supporter sur le long terme un tel effort. Surtout, la réalisation des objectifs repose largement sur les collectivités locales, qui sont contraintes via la révision de la loi SRU à accroître encore leur participation sans moyens supplémentaires fournis par l’Etat. Les mesures prises devraient permettre d’ici la fin du quinquennat d’augmenter nettement le nombre de logements sociaux, mais l’objectif de 150 000 logements sociaux par an semble difficile à atteindre. De plus, le gouvernement ne pourra faire l’économie de revoir à moyen terme le mode de financement du logement social, soumis à une forte hausse du coût de production et à une stagnation du pouvoir d’achat de ces locataires.


[1] Pour mémoire, les organismes HLM représentent 80% du parc social, le reste étant aux mains de sociétés d’économie mixte (SEM). Les 30 000 logements restants par an doivent être construits par ces dernières.

[2] Il faut rappeler que plusieurs années sont ensuite nécessaires pour que ces logements financés soient achevés et donc disponibles pour des locataires (un peu plus de 3 ans en moyenne).

[3]ANRU : Agence nationale pour la rénovation urbaine. Nous parlons ici de l’offre brute de logements sociaux, puisque dans le cadre du programme ANRU, la construction d’un logement donne souvent lieu simultanément à la destruction d’un autre.

[4] Cette obligation concerne les communes de plus de 3500 habitants (1500 en Ile de France) appartenant à une agglomération de plus de 50 000 habitants (avec au moins une commune de plus de 15 000 habitants).

[5] Jusqu’à maintenant, pour les communes ne respectant pas les objectifs de constructions sociales fixés dans le cadre des plans triennaux de rattrapage, le préfet pouvait engager une procédure de constat de carence, lui permettant par la suite de majorer le prélèvement à hauteur du taux de non réalisation des objectifs. Ce prélèvement majoré pouvait ensuite être doublé jusqu’à une certaine limite. Dorénavant, le prélèvement majoré pourra être quintuplé et la limite augmente pour les communes les plus riches. Les prélèvements sont calculés via la formule suivante : nombre de logements sociaux manquants * 20% du potentiel fiscal par habitant.

[6] En 2012, sur les 1004 communes ayant moins de 20% de logements sociaux, étant donné les autres motifs d’exemption (communes en décroissance démographique ou bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale ou dont le prélèvement est inférieur à 3811,23 euros), seules 354 ont effectivement versé une pénalité et 190 ont été reconnues en état de carence (c’est-à-dire ne respectant pas leurs objectifs triennaux de production de logements sociaux). En plus de la majoration du prélèvement, l’état de carence conduit à un transfert du droit de préemption vers le préfet. Dorénavant, dans les communes en état de carence, tous les projets de construction de plus de 12 logements ou de plus de 800 m2 de surface devront comporter au moins 30% de logements sociaux.

[7] Cette augmentation est due à la hausse des prix fonciers et à celle du coût de production, incluant des normes plus contraignantes en termes de consommation énergétique ou d’accessibilité aux handicapés.

[8] Pour plus de détails, voir le décret n° 2013-315 du 15 avril 2013.

[9] En effet, 65 % des dépôts des livrets A doivent normalement être centralisés à la Caisse des dépôts. Comme les prêts pour le logement social et la politique de la ville doivent être couverts à 125 % par les dépôts centralisés du livret A, du LDD et du LEP, les prêts au secteur social ne peuvent excéder un peu plus de la moitié des dépôts des livrets A.

[10] Il s’agit de la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC), instaurée en 1953 et désignée sous le terme de “1% logement”, avant d’être renommée en 2009 “Action logement”.

[11] D’après les comptes du logement, l’ensemble des avantages pour le logement social (aides à la pierre, avantages de taux, avantages fiscaux) a ainsi représenté près de 8 milliards d’euros en 2011 pour les finances publiques (Etat et collectivités locales).

[12] Action logement va pour cela emprunter 1 milliard d’euros par an à la Caisse des dépôts pendant trois ans (gagé sur son patrimoine).




Austérité en Europe: changement de cap ?

par Marion Cochard et Danielle Schweisguth

Le 29 mai dernier, la Commission européenne adressait aux Etats membres de l’Union européenne ses nouvelles recommandations de politique économique. Dans ces recommandations, la Commission préconise un report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro (Espagne, France, Pays-Bas, Portugal), leur laissant davantage de temps pour atteindre la cible de 3 % de déficit public. L’Italie n’est plus en procédure de déficit excessif. Seule la Belgique est sommée d’intensifier ses efforts. Cette nouvelle feuille de route peut-elle être interprétée comme un changement de cap annonçant un assouplissement des politiques d’austérité en Europe ? Peut-on en attendre un retour de la croissance sur le vieux continent ?

Ces questions ne sont pas triviales. La Note de l’OFCE (n°29, 18 juillet 2013) tente d’y répondre en simulant trois scénarii de politique budgétaire à l’aide du modèle iAGS. Il ressort de cette étude que le report des objectifs de déficit public pour quatre pays de la zone euro ne traduit pas un véritable changement de cap de la politique budgétaire en Europe. Certes, le scénario du pire, dans lequel l’Espagne et le Portugal se seraient vu imposer les mêmes recettes que la Grèce, a été évité. La Commission accepte implicitement de laisser jouer les stabilisateurs automatiques quand la conjoncture se dégrade. Cependant, pour de nombreux pays, les préconisations en termes d’efforts budgétaires vont toujours au-delà de ce qui est imposé par les traités (0,5 point de PIB de réduction annuelle du déficit structurel), avec pour corollaire une hausse de 0,3 point du taux de chômage en zone euro entre 2012 et 2017.

Pourtant, une troisième voie nous semble possible. Il s’agit d’adopter dès 2014 une position de « sérieux budgétaire » qui ne remettrait pas en cause la soutenabilité de la dette publique. Cette stratégie consiste à maintenir constant le taux de prélèvements obligatoires et à laisser les dépenses publiques évoluer au même rythme que la croissance potentielle. Cela revient à une impulsion budgétaire neutre entre 2014 et 2017. Dans ce scénario, le solde public de la zone euro s’améliorerait de 2,4 points de PIB entre 2012 et 2017 et la trajectoire de dette publique s’inverserait dès 2014. A l’horizon 2030, le solde public serait excédentaire (+0,7 %) et la dette approcherait les 60 % du PIB. Surtout, ce scénario permettrait de faire baisser significativement le taux de chômage à l’horizon 2017. Les pays européens devraient peut-être s’inspirer de la sagesse de Jean de La Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point »…




Les conteurs d’EDF

par Evens Saliesa

L’enjeu des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est pas seulement environnemental. Il est aussi de stimuler l’innovation, facteur de croissance économique. La politique d’amélioration de l’efficacité énergétique [1] nécessite de lourds investissements visant à transformer le réseau électrique en un réseau plus intelligent, un smart grid.

A ce titre, les Etats membres ont jusqu’en 2020 pour remplacer les compteurs d’au moins 80 % des clients des secteurs résidentiel et tertiaire par des compteurs plus « intelligents ». En France métropolitaine, ces deux secteurs représentent 99 % des sites raccordés au réseau basse tension (< 36kVA), soit environ 43 % de la consommation d’électricité, et près de 25 % des émissions de gaz à effet de serre (sans compter celles émises lors de la production de l’énergie électrique qui alimente ces sites).

Ces nouveaux compteurs possèdent des fonctionnalités qui, comme l’ont montré des recherches, permettent de réduire la consommation électrique. La télérelève des données de consommation toutes les 10 minutes, et leur transmission en temps réel sur un afficheur déporté (l’écran d’un ordinateur, etc.), matérialisent sans délai les efforts d’économie d’électricité ; ce qui était impossible auparavant avec deux relevés par an. La télérelève à haute fréquence permet aussi un élargissement du menu de contrats des fournisseurs à des tarifs mieux adaptés au profil de consommation des clients. Le « pilote » du réseau de transmission peut optimiser plus efficacement l’équilibre entre la demande et une offre plus fragmentée à cause du nombre croissant de petits producteurs indépendants. Pour les distributeurs [2], la télérelève résout le problème d’accessibilité aux compteurs [3].

Ces fonctionnalités sont supposées créer les conditions d’émergence d’un marché de la maîtrise de la demande d’électricité (MDE) complémentaire de celui de la fourniture. Ce marché offre aux fournisseurs non-historiques la possibilité de se différencier un peu plus, en proposant des services adaptés au besoin de MDE de la clientèle [4]. Le gain en termes d’innovation pourrait être significatif si des sociétés tierces, spécialistes des technologies de l’information et de la communication, développent elles aussi les applications logicielles permises par l’usage du compteur. Pourtant, en France, la politique de déploiement des compteurs évolués ne semble pas aller dans le sens d’une plus grande concurrence. L’innovation pourrait s’arrêter au compteur en raison d’une délibération de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) stipulant que :

« Les fonctionnalités des systèmes de comptage évolués doivent relever strictement des missions des [distributeurs] d’électricité, […] Ainsi, les fonctionnalités supplémentaires demandées par certains acteurs [essentiellement les fournisseurs] qui relèvent du domaine concurrentiel (notamment, l’afficheur déporté) ne sont pas retenues. »

A la lecture de ce paragraphe, nous comprenons que les fournisseurs ne sont pas prêts à supporter le coût de développement de ces fonctionnalités. Or, d’après l’Article 4 de cet arrêté, qui précise la liste des fonctionnalités réservées aux distributeurs, aucune ne semble avoir été laissée en exclusivité au secteur concurrentiel. En effet, les ménages équipés d’un ordinateur pourront consulter leurs données de consommation sans passer par leur fournisseur ou une société tierce.

Il est bon de s’interroger sur les bénéfices et les coûts d’une telle approche qui, a priori, ressemble à une monopolisation du marché de la MDE par les distributeurs.

Cette approche permettra d’atteindre rapidement l’objectif des 80 % puisque la CRE a opté pour un service public de la MDE : les distributeurs, qui ont des obligations de service public, déploieront les compteurs communicants. A lui seul, le compteur « Linky » du distributeur d’électricité dominant, ERDF, sera déployé sur 35 millions de sites basse tension, couvrant ainsi 95 % du réseau national de distribution[5]. Ainsi, le risque de sous-investissement dans les capacités d’effacement que les fournisseurs d’électricité devront bientôt détenir est faible. En effet, ces derniers n’ayant pas à supporter les coûts de fabrication et déploiement des compteurs, ils pourront rapidement investir dans le développement de ces capacités. De plus, la péréquation des coûts de sous-traitance pour la fabrication des compteurs et de déploiement sur tout le réseau français de distribution permet des économies d’échelle considérables. Enfin, le faible taux de pénétration des compteurs dans les pays qui ont opté pour une approche décentralisée (le compteur et les services sont alors en partie à la charge des ménages intéressés), plaide en faveur du modèle français. Ce modèle est en effet plus pragmatique puisqu’il supprime l’essentiel des barrières à l’adoption.

Cependant, le niveau de concentration des activités de distribution et de fourniture de l’électricité aux ménages pose question : ERDF est affilié à EDF, en quasi-monopole dans la fourniture aux ménages. En termes d’innovation dans les services de MDE, l’intérêt pour EDF d’aller au-delà du projet Linky de sa filiale paraît faible. D’abord, à cause des coûts déjà engagés par le groupe (au moins cinq milliards). Ensuite parce que la qualité de la solution de base d’information sur les consommations par défaut dans Linky, sera suffisante pour parvenir à créer des coûts de migration vers les services de MDE offerts par la concurrence [6]. Certes, les fournisseurs alternatifs vont pouvoir introduire des tarifs innovants. Mais EDF aussi. Une manière de surmonter cet obstacle serait de mettre en place une plateforme Linky, pour que des applications des sociétés tierces puissent dialoguer avec son système d’exploitation. Moyennant l’accord du ménage et, éventuellement, une charge d’accès aux données, l’activité serait certes régulée, mais l’entrée serait libre. Cela stimulerait l’innovation dans les services de MDE, mais n’augmenterait pas la concurrence puisque ces sociétés ne seront pas fournisseurs d’électricité. Le consommateur a-t-il beaucoup à perdre ? Evidemment, cela dépend du montant de la réduction de sa facture. Etant donnée la hausse probable de 30% des prix de l’électricité d’ici à 2017 (inflation incluse), nous craignons que les efforts des ménages en vue d’optimiser leur consommation ne seront pas récompensés. Le gain net à moyen terme pourrait être négatif.

Finalement, nous pouvons nous demander si, avec Linky, le groupe EDF n’essaie pas de maintenir sa position d’entreprise dominante dans la fourniture d’électricité, affaiblie depuis l’ouverture à la concurrence. Avec un service de MDE installé par défaut sur 95% des sites basse tension, Linky va devenir l’élément d’infrastructure du réseau national que devront emprunter tous les offreurs de service de MDE. Du point de vue des règles de la concurrence, il faut alors se poser la question de savoir si ERDF et ses partenaires ont bien communiqué l’information sur le système d’exploitation de Linky, sans favoritisme pour le groupe EDF et ses filiales (Edelia, Netseenergy). Les conteurs aimeraient nous narrer une belle histoire d’encouragement à l’innovation dans l’énergie et l’économie numérique pour réussir la transition écologique. Sachant que l’actuel PDG de l’entreprise en charge de l’architecture du système d’information de Linky, Atos, était ministre de l’économie et des finances juste avant le lancement du projet Linky en 2007, nous pouvons en douter…


[1] « Amélioration de l’efficacité énergétique » et « économie d’électricité » sont utilisées indifféremment dans ce billet. Voir l’article 2 de la directive 2012/27/UE du Parlement et du Conseil européens pour des définitions précises.

[2] Les distributeurs sont les gestionnaires des réseaux de lignes moyenne et basse tension. Le plus répandu est ERDF. Réseaux et compteurs font partie des ouvrages concédés, propriété des collectivités locales délégantes.

[3] Cependant, cela impliquera, par exemple pour ERDF, la suppression de 5 000 postes (à rapprocher des 5900 départs à la retraite … ; cf. Sénat, 2012, Rapport n° 667, Tome II, p. 294).

[4] En conformité avec la loi NOME de 2010, les fournisseurs et autres opérateurs devront être capables de baisser ponctuellement la consommation d’électricité de certains clients (couper momentanément l’alimentation d’un chauffage électrique, etc.), ce qui est appelé « effacement de consommation ».

[5] Dans les territoires où ERDF n’est pas concessionnaire, d’autres expérimentations existent, comme celle du distributeur SRD dans la Vienne qui déploie son compteur évolué, i-Ouate, sur 130 000 sites.

[6] Voir DGEC, 2013, Groupe de travail sur les compteurs électriques communicants – Document de concertation, février.

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a L’auteur remercie C. Blot, K. Chakir, S. Levasseur, L. Nesta, F. Saraceno, et plus particulièrement O. Brie, M.-K. Codognet et M. Deschamps. Les opinions défendues dans ce billet n’engagent que son auteur.




Le Livret A noyé sous les critiques

par Pierre Madec

Alors que le gouverneur de la Banque de France et le ministre de l’Economie et des finances annonçaient une nouvelle baisse (probable) du taux du Livret A pour le 1er août prochain, l’agence de notation Standard&Poor’s (S&P) publiait de son côté une étude sur le système bancaire français. L’agence américaine y affirmait que le Livret A, et plus généralement l’épargne réglementée, « pénalise les banques » françaises et est à l’origine d’une « distorsion du marché bancaire». Ce débat, ancien, a fait l’objet de nombreux rapports : Duquesne, 2012 ; Camdessus, 2007 ; ou encore Noyer-Nasse, 2003, … . Certains défendent ardemment cette spécificité française que constitue le Livret A, tandis que d’autres prônent, au contraire, une réforme profonde d’un système qualifié de « perdant-perdant ».

Qu’en est-il ? Le Livret A met-il réellement en péril l’activité bancaire française ? Quelle utilisation est faite de l’épargne des ménages qui y est déposée ? Quels ont été les effets des hausses successives des plafonds sur les montants collectés ? Quelles conséquences aura la (probable) nouvelle baisse de taux envisagée par le ministre de l’Economie et des finances, M. Pierre Moscovici, tant pour les épargnants que pour le financement du logement social ? Nous présentons ici nos éléments de réponse.

Que représente le Livret A ?

Le Livret A, vieux de presque 195 ans, est un placement réglementé donnant droit à un avantage fiscal (défiscalisation totale et exonération de prélèvements sociaux), dont le taux est fixé par l’Etat et les dépôts sont garantis[1].

En 2011, le taux d’épargne des Français atteignait 16 % en moyenne, soit 1,1 point de plus qu’en 2006. Cette augmentation du taux d’épargne s’est faite en grande partie en faveur de l’épargne réglementée, et particulièrement en faveur du Livret A, détenu par près de 63,3 millions de Français et dont l’encours a plus que doublé depuis janvier 2007 pour atteindre 230 milliards d’euros en avril 2013. Trois phénomènes successifs ont favorisé cette augmentation massive de l’encours : la crise financière, qui a redirigé une partie de l’épargne des ménages vers les placements sans risque, la généralisation de la distribution du Livret A à toutes les banques depuis le 1er Janvier 2009, au titre de la Loi de modernisation de l’économie[2]  et enfin l’augmentation de 50 % du plafond du Livret A qui a eu lieu en deux temps (en octobre 2012 puis en janvier 2013). Cet attrait croissant pour le Livret A s’explique aussi par la liquidité totale ainsi que la garantie des dépôts qu’il procure. Liquidité totale et garantie des dépôts que ne permet pas, par exemple, l’assurance vie.

A quoi sert le Livret A ?

L’une des (nombreuses) spécificités du modèle de financement du logement en France porte (entre autres) sur le non-recours des bailleurs sociaux aux marchés obligataires (Levasseur, 2011). Ainsi, les bailleurs sociaux se financent principalement (à hauteur de 73 % en 2012) auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) où est déposée une partie de l’épargne du Livret A des ménages. La CDC, au travers d’un fonds d’épargne, centralise 65% des encours du Livret A, ce qui représentait en avril dernier plus de 150 milliards d’euros (Banque de France). Les dépôts ainsi disponibles sont prioritairement utilisés pour l’octroi de prêts au logement social et à la politique de la ville[3]. Ces emprunts servent en grande partie à la construction, l’acquisition et la réhabilitation de logements locatifs sociaux par des bailleurs HLM mais peuvent aussi financer des opérations d’habitat spécifique et des missions de la politique de la ville tel que le Plan national de rénovation urbaine (PNRU). Afin de sécuriser les dépôts et assurer les ressources nécessaires au fonds d’épargne, le montant des dépôts centralisés au titre du Livret A doit toujours être supérieur ou égal à 125 % de l’encours des prêts au logement social et à la politique de la ville octroyés par la CDC.

Il est clair que l’objectif de financement de 150 000 logements sociaux par an (à comparer aux 105 000 de l’année 2012) va engendrer une augmentation sensible des besoins de financement du secteur. Ainsi, pour satisfaire cet objectif, ce sont 13,7 milliards d’euros de prêt au logement locatif social qui devront être accordés pour la seule année 2013, soit 4 milliards d’euros de plus qu’en 2012.

Enfin, les ressources du Livret A qui ne sont pas centralisées par la CDC (80 milliards d’euros) font l’objet d’une « obligation d’emploi ». Elles doivent être employées par les établissements bancaires « au financement des PME » à hauteur de 80 % ainsi  « qu’au financement des travaux d’économie d’énergie dans les bâtiments anciens » à hauteur de 10 % [4]. De même, un certain nombre de programmes d’investissement des collectivités locales (plan Campus, plan Hôpital 2012, Grenelle de l’environnement) ont bénéficié des encours du Livret A.

Le Livret A met-il en danger le système bancaire français ?

Compte tenu de l’attrait croissant des ménages pour l’épargne réglementée (et notamment celle du Livret A), on pourrait penser (à l’instar de S&P) que ce type de placement met en danger le système bancaire en appauvrissant les liquidités bancaires déjà mises à mal par la crise. Les relèvements de plafond opérés ces derniers mois ont en effet conduit – pour l’essentiel – à un transfert de l’épargne vers les placements défiscalisés dont la part dans l’épargne financière totale des ménages a augmenté de 0,6 point entre 2011 et 2012. On a ainsi pu observer en octobre 2012 une chute importante de l’encours des livrets soumis à l’impôt (-12 milliards d’euros), chute s’expliquant en partie par la hausse des encours sur le Livret A (+6 milliards d’euros)[5] (voir graphique 1).

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Pour autant, il est important de relativiser les déclarations alarmistes de S&P. D’une part, parce qu’excepté ce mois d’octobre 2012, les flux sur les livrets fiscalisés sont relativement stables. D’autre part, parce que l’épargne réglementée, bien qu’en nette progression, ne représentait en 2012 que 9,5 % (dont 6,2% pour le Livret A) de l’épargne financière totale des ménages qui s’élevait à 3 664 milliards d’euros. De plus, en cas de manque réel et durable de liquidité, des ajustements techniques existent ou peuvent être mis en place. Selon le dernier rapport annuel de la Cour des comptes, le ratio de couverture du fonds d’épargne atteignait au début de l’année 156 % des encours des prêts au logement social et à la politique de la ville au lieu des 125 % réglementaires. Cette sur-couverture représente quelques 50 milliards d’euros qui ne sont affectés ni au financement du logement social ni à la liquidité bancaire. Aujourd’hui réclamés par les banques, ces fonds se doivent d’être rapidement orientés. Le fonds d’épargne disposant de liquidités importantes, tout en laissant inchangé les taux de couverture et de centralisation (fruits d’âpres négociations), on peut imaginer qu’un certain nombre de mécanismes temporaires de transfert entre le fonds d’épargne et le secteur bancaire peuvent annihiler tout risque de crise de liquidité. Enfin, on peut noter que les banques ont aussi bénéficié de la généralisation de la distribution du Livret A, notamment au travers du versement, par le fonds d’épargne, d’un commissionnement sur les sommes centralisées. Ce commissionnement, qui ponctionne directement le financement des logements sociaux, a grevé le fonds d’épargne d’1 milliard d’euros en 2012. Sans conclure sur la suite à donner à ces contreparties, on peut s’interroger sur la mise en place d’un meilleur arbitrage entre taux de centralisation et de couverture, taux de commissionnement et financement pérenne du logement social[6].

Quid de la baisse « probable » des taux ?

Avancée le 23 juin dernier par le ministre de l’Economie, M. Pierre Moscovici, reprenant les déclarations faites quelques jours auparavant par le gouverneur de la Banque de France, M. Christian Noyer, l’idée d’une baisse du taux du Livret A devrait entrer en vigueur le 1er août prochain et découlerait de la baisse du taux d’inflation sur lequel ce dernier est en partie indexé. Quels effets cette baisse de taux peut-elle avoir sur les flux d’épargne déposés sur les Livrets A et donc sur le financement du logement social ?

En mai 2013, le taux d’intérêt du Livret A s’établissait, en termes réels, à 0,5 %, soit un niveau relativement bas. Sur la période 2011-2012, ce dernier était même nul en moyenne (voir graphique 2). Pour autant, les flux d’encours sont restés stables sur la période. Ceci s’explique en partie par les faibles taux proposés par les autres placements,  notamment les livrets fiscalisés de type Compte épargne logement(CEL) dont les taux réels nets sont négatifs depuis fin 2009. Compte tenu des arbitrages effectués par les ménages, notamment les plus aisés, en vue d’atteindre le meilleur rendement de leur épargne, il est assez complexe de mettre en évidence une corrélation stricto sensu entre le taux du Livret A (réel ou nominal) et les évolutions de l’encours. Ainsi, au second semestre 2009, le Livret A a subi une décollecte alors même que son taux réel était élevé ; en 2010 et 2011, en revanche, la collecte a été forte alors que ce n’était plus le cas.

Compte tenu, d’une part, des faibles taux réels nets que proposent les placements comparables et, d’autre part, des incertitudes sociales et économiques actuelles, on peut espérer une certaine stabilité des flux au second semestre 2013 et ce malgré la baisse du taux rémunérateur. Cette stabilité dépendra bien évidemment de l’importance de la baisse. Le taux étant actuellement de 1,75  %, il paraît peu probable de maintenir des flux élevés si le taux était révisé en deçà des 1,25 %. La Commission économique de la nation prévoyant une inflation de 1,2 % pour 2013, toute fixation du taux du Livret A inférieure à ce taux se traduirait par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, baisse allant à l’encontre des engagements gouvernementaux.

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Rappelons tout de même que cette réévaluation du taux n’est pas automatique et reste dépendante des décisions politiques. Dans la seconde moitié de 2009, alors que l’effondrement de l’inflation aurait justifié un recul de 1,5 point pour ramener le taux à 0,25 %, la baisse de taux finalement appliquée n’a été que de 0,5 point, pour s’établir à 1,25 %. C’est ainsi que 2 milliards d’euros supplémentaires ont été redistribués aux ménages. Inversement, en février 2012, au vu du regain d’inflation (même temporaire), le taux aurait dû être revalorisé à 2,75 %. Le manque à gagner engendré pour les ménages de cette non-réévaluation du taux est estimée à 1 milliard d’euros.

A l’image du choix des ménages entre sécurité, liquidité et rendement, l’arbitrage public entre pouvoir d’achat des ménages et conditions d’emprunt des bailleurs sociaux peut s’avérer compliqué. Ainsi, alors qu’une sous-évaluation du taux avantage sensiblement les bénéficiaires de l’affectation des fonds issus du Livret A (essentiellement les bailleurs sociaux) dont les intérêts d’emprunt sont « indexés » sur le taux du livret A, elle devient pénalisante pour l’épargnant.

Bien que les « petits » épargnants soient peu sensibles aux variations des taux, les « gros » épargnants, c’est-à-dire ceux approchant le plafond des dépôts, peuvent rapidement arbitrer en défaveur du Livret A. Or, ces 10 % de déposants les mieux lotis représentent 51 % des dépôts du Livret A. Une réduction massive des taux pourrait donc entraîner une décollecte importante et, par la suite, réduire significativement les capacités de prêts de la CDC au secteur du logement social, secteur aux objectifs de construction ambitieux et aux besoins de financement croissants. A contrario, il paraît clair que le maintien, en période de faible inflation, de taux élevés entraînerait un renchérissement des crédits accordés aux bailleurs sociaux, au moment même où l’Etat et les organismes HLM viennent de s’engager à la construction de 120 000 logements sociaux par an entre 2013 et 2015.

 


[1] Pour plus de précision sur le mode de détermination du taux  d’intérêt, voir Péléraux (2012).

[2] En janvier 2009, l’encours a subi une augmentation historique de 12,5 %. A titre de comparaison, les hausses successives du plafond d’octobre et janvier dernier n’ont engendré que des hausses respectives de 3,1 et 3,5 %.

[3] En 2012,  pour le seul financement de 105 000 logements sociaux, ce sont 9,7 milliards d’euros de prêt qui ont été octroyés par le fonds d’épargne.

[4] A titre d’exemple, Oséo et le fonds stratégique d’investissement (FSI) ont reçu respectivement, en 2012, 5,2 et 0,5 milliards d’euros de ressources issues du Livret A.

[5] Le transfert s’est principalement opéré en faveur du Livret de développement durable (LDD) dont l’encours a progressé de près de 14 milliards d’euros en octobre 2012 à la suite du doublement de son plafond.

[6] Alors que le taux de commissionnement doit converger d’ici 2022 vers 0,50 % pour l’ensemble des établissements distributeurs, il s’élevait en 2011 à 0,37 % pour les nouveaux distributeurs et à 0,53 % pour les distributeurs historiques (CDC, 2012).




Comment peut-on défendre les 1% ?

par Guillaume Allègre

Dans un article à paraître dans le Journal of Economic Perspectives, Greg Mankiw, professeur à l’Université Harvard et auteur reconnu de manuels universitaires, défend les revenus perçus par les 1 % les plus aisés et critique l’idée d’une imposition des hauts revenus à un taux marginal de 75 %. Pour Mankiw, il est juste que les individus soient rémunérés en proportion de leur contribution. En concurrence pure et parfaire, les individus sont rémunérés selon leur productivité marginale, il n’est donc ni nécessaire ni souhaitable pour un gouvernement de modifier la répartition des revenus. Le gouvernement doit se limiter à corriger les distorsions de marché (externalités, recherche de rente).

Dans la dernière Note de l’OFCE (n° 28, 5 juillet 2013) nous démontrons que l’économie dans laquelle vivent ces « 1 % » s’éloigne de l’équilibre concurrentiel classique par de nombreuses façons non discutées par Mankiw, ce qui nous semble être une limite importante de son argumentation. C’est parce que les « 1 % » n’opèrent pas dans une économie concurrentielle pure et parfaite qu’ils peuvent recevoir des rémunérations astronomiques. Les rémunérations perçues sur le marché par les « 1 % » ne correspondent donc pas à leur contribution sociale marginale. Cela ne signifie pas que leur contribution sociale est nulle mais que le marché est incapable de mesurer cette contribution. Les rémunérations astronomiques ne peuvent donc pas être défendues sur la base du « mérite mesuré par la contribution marginale » proposé par Mankiw.

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Voir dans le blog de l’OFCE  sur le même sujet : “Superstars et équité : Let the sky fall” et “Pigeons : comment imposer le revenu des entrepreneurs ?




Quand la jeunesse brésilienne rêve d’autre chose que de foot…

par Christine Rifflart

La hausse du prix des transports publics n’a pas été appliquée plus de deux semaines mais elle a allumé le feu de la révolte et amorcé un nouveau virage dans ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle de développement brésilien ». Aspirant à des services publics de qualité (éducation, santé, transports, …), la nouvelle classe moyenne qui s’est formée au cours de la dernière décennie revendique ses droits et rappelle au gouvernement que les sommes englouties pour l’accueil des grands événements sportifs (Coupe du Monde de 2014, Jeux Olympiques de 2016) ne doivent pas être dépensées au détriment des autres priorités, surtout quand la croissance n’est plus au rendez-vous et que la contrainte budgétaire appelle à réaliser des économies.

Depuis 10 ans, la croissance brésilienne s’est accélérée : elle est passée de 2,5 % en moyenne par an dans les décennies 1980 et 1990 à presque 4 % entre 2001 et 2011. Mais surtout, elle a, pour la première fois, bénéficié à une population traditionnellement exclue de ses bienfaits. Jusqu’alors, la faible progression du revenu par tête allait de pair avec le renforcement des inégalités (supérieur à 0,6 sur la période, le Coefficient de Gini est l’un des plus élevés au monde) et la hausse du taux de pauvreté – qui a dépassé 40 % pendant les années 1980. Avec la fin de l’hyperinflation vaincue par le « Plan Real » de 1994, la croissance a repris mais est restée fragile du fait de la succession de chocs externes qui sont venus frapper le pays (conséquences de la crise asiatique de 1997 et de la crise argentine de 2001).

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L’arrivée de Lula à la présidence le 1er janvier 2003 a marqué un véritable tournant dans cette dynamique de croissance (graphique 1). Poursuivant à la fois l’orthodoxie libérale en matière de gestion macro-économique et de stabilisation financière de son prédécesseur F. H. Cardoso (à la différence de l’Argentine par exemple), le nouveau gouvernement a mis à profit la reprise de la croissance pour mieux répartir les richesses du pays et tenter d’éradiquer la pauvreté. Selon les enquêtes réalisées auprès des ménages, le revenu réel par ménage a progressé en monnaie nationale de 2,7 % par an entre 2001 et 2009 et le taux de pauvreté a reculé de près de 15 points, pour atteindre 21,4 % de la population en fin de période. De plus, le revenu réel des huit premiers déciles, en particulier celui des 20 % de la population la plus pauvre, a augmenté beaucoup plus vite que le revenu moyen (graphique 2). Au final, 29 millions de Brésiliens ont rejoint les rangs de la nouvelle classe moyenne qui compte désormais 94,9 millions d’individus (soit 50,5 % de la population) tandis que la classe à revenu supérieur a accueilli 6,6 millions de Brésiliens supplémentaires (et représente désormais 10,6 % de la population). A l’inverse, la population pauvre a baissé de 23 millions, et représente 73,2 millions d’individus en 2009. En termes de revenu, cette nouvelle classe moyenne accapare désormais 46,2 % des revenus distribués, soit plus que la catégorie la plus riche qui a vu sa part diminuer à 44,1 %[1].

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Cette nouvelle configuration de la société brésilienne modifie les modes de consommation et les aspirations, notamment en termes d’éducation, d’accès aux soins, d’infrastructures, … Mais si la consommation des ménages s’est accélérée depuis 10 ans (notamment en biens durables) et a stimulé l’investissement privé, ce vent de démocratisation pose un sérieux défi pour le gouvernement. Car si la hausse du tarif des transports publics a pu être rapidement annulée, l’offre de nouvelles infrastructures et l’amélioration de la qualité des services publics dans un pays grand comme 15 fois la France ne se fait pas en un jour. En 2012, sur 144 pays enquêtés, le World Economic Forum (pp 116-117) situait le Brésil à la 107e place pour la qualité de ses infrastructures et à la 116e place pour la qualité de son système éducatif. Les autorités doivent donc adroitement rebondir sur cette demande légitime de la population, notamment de la jeunesse[2].

Le pays dispose d’atouts importants pour y faire face et stimuler les investissements : un cadre politique et macroéconomique stable, des finances publiques saines, un endettement extérieur inférieur à 15 % du PIB, des réserves de changes abondantes, la confiance des marchés financiers ainsi que des investisseurs directs étrangers, et bien sûr des richesses naturelles variées et abondantes, tant agricoles (soja, café, …) que minières (minerai de fer, houille, zinc , bauxite, …) et énergétiques (hydroélectricité, pétrole).

Mais les difficultés à relever restent nombreuses. Actuellement, la croissance fait défaut alors même qu’elle bute sur les capacités de production. En 2012, elle n’a été que de 0,9 % (insuffisante pour accroître le revenu par tête) et, même si l’investissement repart, les prévisions pour 2013 sont régulièrement révisées à la baisse, autour de 3 %. Simultanément, l’inflation accélère, alimentée par de fortes tensions sur le marché du travail (à 5,5 %, le taux de chômage est très bas) et une productivité qui stagne depuis 2008. A 6,5 % en mai, l’inflation est sur le haut de la fourchette autorisée par les autorités monétaires. Pour respecter sa cible de 4,5 %, plus ou moins 2 points de moins, la banque centrale a remonté en avril dernier son taux directeur de 7,25 % à 8 %. La politique monétaire reste malgré tout très accommodante – l’écart du taux directeur avec le taux d’inflation n’a jamais été aussi bas – et la modération de la croissance devrait avoir raison des tensions inflationnistes. Par ailleurs, ce relatif soutien de la politique monétaire à l’économie est contrebalancé par une politique de consolidation budgétaire qui se poursuit. Après un excédent primaire de 2,4 % du PIB en 2012, l’objectif est de le maintenir à 2,3 % cette année. La dette nette du secteur public continue de baisser. De 60 % il y a dix ans, elle est passée à 43 % en 2008 et atteignait 35 % en avril dernier.

Cette quasi-stagnation de la croissance tient notamment à un grave problème de compétitivité qui ampute le potentiel de croissance du pays. Dans un contexte de conjoncture internationale morose, la hausse des coûts de production et une monnaie qui apparaît surévaluée se traduisent par une chute des performances à l’exportation, une frilosité de l’investissement et un recours accru aux importations. Le solde courant s’est dégradé de 1 point de PIB en un an pour atteindre 3 % en avril dernier.

Pour résorber ce problème d’offre, la banque centrale du Brésil intervient de plus en plus pour contrer les effets néfastes des entrées de capitaux – attirés par les taux d’intérêt élevés – sur le taux de change tandis que le gouvernement cherche à doper l’investissement. Inférieur à 20 % du PIB depuis plus de 20 ans et plutôt proche de 15 % entre 1996 et 2006, celui-ci est structurellement insuffisant pour entraîner l’économie sur une trajectoire de croissance vertueuse. Pour mémoire, le taux d’investissement a été au cours des 5 dernières années de 44 % en Chine, de 38 % en Inde et de 24 % en Russie. Pour amener le taux d’investissement autour d’une cible de 23-25 %, le gouvernement a mis en place en 2007 un Programme d’accélération de la croissance (PAC) basé sur la réalisation de grandes infrastructures. En 4 ans, les investissements publics sont passés de 1,6 % du PIB à 3,3 %. En 2011 a été lancée la deuxième phase du PAC qui prévoit d’y consacrer un budget d’1 % du PIB par an pendant 4 ans. A cela s’ajoutent d’autres programmes d’investissement dont les retombées, décevantes en 2012, devraient néanmoins aider à résoudre une partie des problèmes. Mais les efforts restent insuffisants. Selon une étude de Morgan Stanley de 2010[3], le Brésil aurait besoin d’investir dans les infrastructures 6 à 8 % du PIB chaque année pendant 20 ans pour rattraper le niveau des infrastructures de la Corée du Sud, et 4 % pour rattraper celui du Chili, référence en la matière en Amérique du Sud !

En améliorant l’offre productive et en stimulant la demande par la hausse de l’investissement public, l’objectif des autorités est donc bien de rattraper une partie du retard accumulé par le passé. Mais est-il possible de mener à bien des projets d’investissements de grande ampleur tout en poursuivant une politique de désendettement quand la dette publique nette est proche de 35 % du PIB ? Les autorités doivent accélérer le jeu des réformes pour mobiliser les investisseurs privés, notamment en favorisant le développement d’une épargne nationale de long terme (réforme des retraites, …) et, ce qui va de pair, en stimulant l’intermédiation financière. Le volume de crédits accordés par le secteur financier au secteur non financier ne représentait que 54,7 % du PIB en mai dernier. Un peu moins de la moitié sont des crédits fléchés (crédit rural, Banque nationale de développement, …) et à des taux d’intérêt largement subventionnés (0,5 % en terme réel contre 12 % pour les crédits non aidés aux entreprises, et 0,2 % contre 27,7 % respectivement pour les particuliers). Mais l’Etat doit également réformer une administration publique lourde et corrompue.

Le Brésil est un pays émergent depuis plus de quatre décennies. Avec un revenu de 11 500 dollars PPA par habitant, il est temps que ce grand pays passe à l’âge adulte en proposant les standards de qualité des services publics des pays développés et en recentrant son nouveau modèle de développement sur cette nouvelle classe moyenne dont les besoins restent à couvrir.


[1]Voir  The Agenda of the New Middle Class | Portal FGV sur le site de la Fondation Gétulio Vargas.

[2]http://www.oecd.org/eco/outlook/48930900.pdf

[3]Voir l’étude de Morgan Stanley Paving the way, 2010.

 




Des toits ou des plafonds ?

par Philippe Weil

Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové prévoit d’encadrer les loyers «principalement dans les agglomérations où existe un fort déséquilibre entre l’offre et la demande de logements et où les loyers ont connu la progression la plus forte au cours des dernières années ».  Les loyers dépassant de plus de 20 % un loyer médian, fixé par quartier et type de logement,  « auront vocation à être abaissés ». L’objectif de ce plafonnement est certes louable puisqu’il « vise à combattre la crise du logement, marquée depuis de nombreuses années par une forte augmentation des prix, une pénurie de logements et une baisse du pouvoir d’achat des ménages ». L’enfer est hélas pavé de bonnes intentions car les plafonds d’aujourd’hui détruisent bien souvent les toits de demain :

  • Le plafonnement des loyers […] entraîne une répartition aléatoire et arbitraire des logements et rend leur utilisation inefficace. Il retarde la construction de nouveaux logements et prolonge indéfiniment le plafonnement des loyers, ou déprime la construction future en subventionnant aujourd’hui la construction résidentielle. Un rationnement formel des logements par les autorités publiques aurait des effets sans doute pire encore.

S’opposer au plafonnement des loyers ne signifie pas cependant se résoudre aux inégalités qui se manifestent en matière de logement :

  • Le constat que, dans des conditions de marché, ceux qui ont des revenus ou patrimoines plus élevés occupent de meilleurs logements est plutôt une raison de prendre des mesures de long terme pour réduire les inégalités de revenus et de richesse. Pour ceux qui, comme nous, voudraient encore plus d’égalité qu’aujourd’hui – en matière de logement comme pour tous les produits –, il est certainement préférable d’attaquer directement à leur source les inégalités existantes de revenu et de richesse plutôt que de rationner chacun des centaines des produits et services qui déterminent notre niveau de vie. Permettre aux individus de recevoir des revenus monétaires inégaux puis prendre des mesures complexes et coûteuses afin de les empêcher d’en bénéficier est le comble de la folie.

Les auteurs de ces deux citations, qui nous enjoignent de laisser le système de prix libre d’allouer aux locataires les logements disponibles tout en préconisant d’attaquer à leur source les inégalités de revenu et de richesse, ne sont autres que Milton Friedman et George Stigler – les deux fondateurs de l’école de Chicago. Le titre de ce billet est emprunté – qu’ils me le pardonnent – à leur article de 1946 « Roofs or Ceilings : the Current Housing Problem ».[1]

Le projet de loi Duflot envisage un mécanisme d’encadrement des loyers bien plus sophistiqué que celui que dénonçaient Friedman et Stigler il y a près de soixante-dix ans. Ses effets sur le parc immobilier français pourront être évalués dans quelques années mais la littérature économique récente nous prévient que les mécanismes de contrôle des loyers dits de « seconde génération » ont des effets souvent ambigus[2] – pas toujours négatifs mais pas obligatoirement positifs[3]. On peut regretter, dans ces conditions, qu’une expérimentation préalable, que la prudence exigerait, ne soit pas envisagée dans certaines villes choisies aléatoirement. L’urgence politique plaide certes contre les retards qu’elle entraînerait mais, en économie comme en médecine, il convient de s’assurer qu’on ne tue pas le patient en tentant de le guérir.

Reste, pour finir, l’avertissement de Friedman et Stigler : les inégalités de revenus et de patrimoine doivent être attaquées à leur source et pas dans leurs manifestations.

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[1] Foundation for Economic Education, Irvington-on-Hudson, NY.

[2] Cf., par exemple, The Economics and Law of Rent Control, par Kaushik Basu et Patrick Emerson, Banque mondiale, 1998.

[3] Le lecteur pourra consulter Le Bayon, Madec et Rifflart (2013) pour une évaluation de la régulation du marché locatif français.