Important changement de cap à l’Elysée. La priorité n’est plus accordée à l’austérité

par Xavier Timbeau, compte Twitter : @XTimbeau

(paru dans Le Monde daté du jeudi 16 janvier 2014, p. 17)

Dès son élection, François Hollande avait fait de la discipline budgétaire son objectif principal. La crise de 2008 n’avait pas fini de manifester ses conséquences sur les économies développées que se mettait en place en Europe, sur fond de crise des dettes souveraines, une austérité qui devait provoquer une seconde récession, un ” double dip ” pour employer la langue des économistes. Par exemple, lorsque François Hollande arrivait au pouvoir, la situation de la France paraissait désastreuse : déficit public à 5,2 %, plus de 600 milliards de dette publique en plus depuis 2008 mais également une hausse de 2 points du chômage (à 9,6 % de la population active). La pression était forte et, après la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, le domino des Etats de la zone euro risquait d’entraîner l’Espagne ou l’Italie. Dans ce contexte, seule la discipline budgétaire semblait pouvoir aider l’Allemagne à soutenir une zone euro chancelante.

Pourtant le pire était à venir. En sous-estimant l’ampleur des multiplicateurs budgétaires (l’impact de la politique budgétaire sur l’activité), comme ont fini par le reconnaître le Fonds monétaire international (FMI) ou la Commission européenne, et comme nous le pointions en juillet 2012, on s’est mépris sur les conséquences d’un effort budgétaire sans précédent généralisé à toute l’Union européenne.

Ce qui devait, pour François Hollande, n’être qu’un redressement dans la douleur avant un rebond ouvrant à nouveau le champ des possibles, s’est révélé être un enlisement où la hausse du chômage faisait écho aux mauvaises nouvelles budgétaires. Lorsque le multiplicateur budgétaire est élevé, rien n’y fait. Les efforts budgétaires pèsent lourdement sur l’activité et les déficits publics ne se résorbent pas vraiment. Si ce fameux multiplicateur avait été faible, la stratégie de François Hollande – et celle de la zone euro – aurait fonctionné. Mais un multiplicateur ne se commande pas; il résulte d’une situation économique dans laquelle les bilans des agents sont dégradés, les banques étouffées et les anticipations délétères.

La seconde partie du quinquennat de François Hollande, que la conférence du 14 janvier 2014 pourrait avoir ouverte, est un exercice autrement plus compliqué que prévu. Au lieu de finances publiques rétablies, la dette est à peine stabilisée au prix d’un effort démesuré. Au lieu d’une reprise vigoureuse, on a, suivant la litote même de l’Insee, une ” reprise poussive “ qui se trouve être une récession qui continue : le chômage augmente encore et encore. Nos entreprises sont exsangues, et pour essayer de restaurer leurs marges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), inspiré du rapport Gallois, ne parvient pas à nous sortir de l’impasse.

Pour baisser le coût du travail sans accroître le déficit public, il faut à nouveau ponctionner des ménages à bout de souffle. Le multiplicateur budgétaire est toujours élevé et la croissance comme l’inversion de la courbe du chômage sont remises à plus tard. Pire, les engagements de réduction de déficit public, pris auprès de Bruxelles (0,8 point d’effort structurel jusqu’à la fin du quinquennat, 50 milliards au total) reportaient la baisse du chômage à après 2017. Le malade risque bien de mourir guéri et, au mieux, c’est le successeur d’une élection en 2017 déjà perdue qui pourrait espérer tirer les fruits de cette politique qui a privilégié la baisse du déficit au plus mauvais moment.

Le pacte de responsabilité proposé par François Hollande dessine une voie différente, un autre choix. Au lieu de l’austérité, c’est une baisse du coût du travail financée non plus par l’impôt mais par la dépense fiscale, pour 1 point de PIB. Le pari est que la croissance ainsi stimulée apportera les recettes supplémentaires pour tenir les engagements de déficit public. Trente milliards d’euro de baisse de charges sont annoncés, se substituant à l’actuel CICE (20 milliards). Ce sont 10 milliards de plus qui peuvent être obtenus par les entreprises qui se lanceront dans les négociations collectives surveillées par l’observatoire des contreparties. Si cela ne simplifie pas le complexe CICE, cela poussera au dialogue social.

D’autre part, François Hollande a confirmé que l’objectif de baisse des dépenses publiques reste de 16 milliards d’euros en 2015, 18 en 2016 et 2017, soit 50 milliards d’euros au total, et n’est pas augmenté par rapport aux annonces précédentes. Le CICE a été partiellement financé par la hausse de la TVA (6 milliards d’euros à partir de 2014) et les taxes environnementales (4 milliards d’euros). En remplaçant le CICE par des baisses de cotisations sociales, il s’ajoute une finesse : si les entreprises profitent de la baisse du coût du travail pour accroître leurs bénéfices, alors la taxation de ces bénéfices réduira la facture pour l’Etat de 10 milliards d’euros (1/3 de 30 milliards). Si en revanche, elles accroissent l’emploi et les salaires, baissent leurs prix ou investissent, alors il y aura plus d’activité et le financement passera par la croissance.

Par rapport aux engagements budgétaires de la France notifiés à Bruxelles (0,8 point de réduction du déficit structurel par an), ce sont 20 milliards de stimulation budgétaire qui sont engagés sur la baisse du coût du travail d’ici à 2017. Ce point de PIB pourrait induire la création de 250 000 emplois d’ici à 2017 et permettre une baisse d’un point du chômage. C’est un changement de cap important par rapport à la priorité donnée jusqu’à maintenant à la réduction des déficits. Le choix a été fait de privilégier les entreprises en les poussant à la création d’activité ou d’emploi par un pacte. C’est un pas significatif mais il en reste d’autres à faire pour en finir avec l’austérité, en réparer les dommages sociaux et s’atteler radicalement à la réduction du chômage.




Guerre des taxis contre les VTC : chacun a ses raisons

par Guillaume Allègre

 « Le plus terrible dans ce monde c’est que chacun a ses raisons »

 Jean Renoir, La Règle du jeu

Dans la guerre entre taxis et voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), chacun a ses raisons. Nous avons souligné dans un précédent billet que le discours sur l’innovation masquait un conflit classique de répartition entre producteurs, qui veulent défendre leurs revenus, et consommateurs, qui veulent un service de taxi peu coûteux et disponible rapidement, y compris aux heures de pointe. Ceci se double d’un non moins classique conflit entre les détenteurs d’une licence ayant une valeur de rareté et les nouveaux entrants, défenseurs de l’ouverture du marché.  

Dans ce conflit, la régulation actuelle est absurde. La limitation du nombre de licences de taxis avait pour objectif de soutenir le revenu des taxis indépendants et d’éviter qu’ils travaillent trop d’heures par jour pour atteindre un revenu décent. Toutefois les autorités ont commis deux erreurs. Tout d’abord, en permettant de céder les licences, ils ont transféré l’avantage du contingentement des chauffeurs de taxis aux propriétaires des licences : aujourd’hui un chauffeur de taxi doit soit louer sa licence soit l’acheter à un prix reflétant sa valeur de rareté (230 000 euros à Paris en 2012) ! La situation actuelle est d’autant plus aberrante que les nouvelles licences sont cédées gratuitement (sur liste d’attente) : si le préfet attribue gratuitement 1 000 nouvelles licences, c’est 230 millions d’euros au prix du marché qui seront transférés aux heureux gagnants (qui pourront par la suite louer ces licences) !

Ensuite, deuxième erreur, les pouvoirs publics ont laissé gonfler la bulle sur les licences de taxi. Le prix élevé des licences reflète à l’évidence une offre trop faible par rapport à la demande. Mais il serait maintenant injuste de spolier ceux qui viennent de dépenser une fortune pour acquérir une licence, par exemple, en augmentant massivement le nombre de licences : pourquoi les acquéreurs récents devraient payer pour les atermoiements du régulateur ?

Quelle solution ?

Il serait préférable de sortir d’un système où l’on doit se préoccuper continuellement de la valeur patrimoniale de licences attribuées gratuitement. Racheter toutes les licences à leur prix de marché serait coûteux et aurait pour conséquence un enrichissement sans cause de ceux ayant reçu une licence à titre gratuit.

Une solution, proposée dans le précédent billet, consiste à racheter les licences actuelles au fil de l’eau (lorsque les chauffeurs de taxis prennent leur retraite), non à leur valeur de marché mais à leur valeur d’acquisition majorée d’intérêts et à attribuer de nouvelles licences gratuites mais non cessibles. Ce système permettrait d’indemniser les acquéreurs récents, sans contribuer à l’enrichissement sans cause de ceux qui ont obtenu une licence gratuitement ou à un prix très faible. Il permettrait la transition d’un système de licences cessibles à un système de licences non cessibles dans lequel le nombre de licences en circulation et la répartition du marché entre VTC et taxis dépendraient de la demande de services et non du pouvoir de nuisance des uns et des autres. Certes, ce système est complexe mais il permettrait de détricoter les erreurs du passé de façon la plus équitable.

Pour en savoir plus : Taxis vs VTC : la victoire du lobby contre l’innovation ?

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Au royaume des aveugles, les Irlandais sont-ils les rois ?

par Christophe Blot

Le 15 décembre 2013, l’Irlande est sortie du plan d’aide de 85 milliards d’euros accordé en novembre 2010 par le FMI et l’Union européenne. Cette annonce a deux conséquences directes. D’une part, le gouvernement irlandais, ne recevant plus de financement de ces deux institutions, devra couvrir l’intégralité de ses besoins de financement sur les marchés financiers. La baisse significative des taux d’intérêt souverains, en particulier au regard des taux en vigueur sur les dettes portugaises, espagnoles ou italiennes (graphique 1), montre que cette sortie du plan de sauvetage se fera sans surcoût. En effet, le taux de marché est aujourd’hui équivalent à celui payé par le gouvernement en contrepartie des 85 milliards d’euros d’aide reçue. Le gouvernement irlandais n’avait d’ailleurs pas attendu la fin de l’aide internationale pour réaliser, avec succès, des émissions obligataires. D’autre part, le gouvernement sort de la tutelle de la troïka (UE, BCE et FMI) et retrouve ainsi des marges de manœuvre en matière budgétaire. Toutes les contraintes ne seront pas levées pour autant puisque l’Irlande est toujours tenue de respecter les règles budgétaires en vigueur dans l’Union européenne. La dette publique, qui dépasse 120% du PIB, devra être ramenée à 60% en 20 ans et le déficit budgétaire réduit à 3% d’ici 2015. L’austérité devra donc se poursuivre en 2014, 2015 et sans doute bien au-delà.

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Dans ces conditions, l’annonce sera finalement assez neutre du point de vue économique et social. Il reste que certains pourraient être tentés de voir dans l’exemple irlandais que le plan d’aide et surtout la cure d’austérité qui l’a accompagné peuvent être couronnés de succès. L’austérité aurait donc porté ses fruits chez l’ancien « tigre celtique », ce qui doit encourager la Grèce et le Portugal à poursuivre leurs efforts. Qu’en est-il réellement ? Il faut d’emblée souligner le caractère fallacieux de l’argument qui s’appuie uniquement sur un critère de performance économique indéniablement meilleure pour l’Irlande. Le taux de chômage, en baisse de 2 points depuis 2012, s’élève aujourd’hui à 12,9% contre 15,6% au Portugal et plus de 25% en Grèce ou en Espagne. Depuis la fin de l’année 2010, le PIB irlandais a progressé de 2,3% alors qu’il a reculé de 5,6% au Portugal et de 3% en Espagne.

L’efficacité d’une stratégie de politique économique peut être évaluée de deux manières, soit en la comparant à une stratégie alternative d’absence d’austérité ou de moindre austérité, soit en tentant d’évaluer les effets de cette politique « toutes choses égales par ailleurs », soit ici à politique monétaire inchangée, à niveau de compétitivité donnée, … L’économiste recourt alors généralement à une analyse économétrique. Une telle évaluation va bien au-delà de l’objectif que l’on peut attribuer à ce billet mais il n’en demeure pas moins que l’on peut tenter de préciser quelques éléments.

Sur le plan empirique, les analyses récentes montrent que l’effet de l’austérité sur l’activité économique est indubitablement négatif. Le multiplicateur, mesurant l’impact sur l’activité d’un point d’effort budgétaire[1], est surtout plus fort lorsque le niveau de chômage est élevé[2], lorsque la politique monétaire est contrainte par le niveau plancher au-delà duquel elle ne peut plus baisser les taux d’intérêt de court terme, et lorsque le système financier se trouve en situation de crise. Le niveau du chômage, la crise financière qui a secoué l’Irlande après l’éclatement de la bulle immobilière et les imperfections de la transmission de la politique monétaire unique sur les taux d’intérêt des pays de la zone euro en crise sont autant de facteurs qui semblent indiquer que l’effet multiplicateur des restrictions budgétaires mises en œuvre par le gouvernement irlandais est certainement élevé. S’il n’existe pas d’évaluation économétrique de l’austérité irlandaise, le graphique 2 montre qu’il y a bien une corrélation entre l’impulsion budgétaire cumulée de l’Irlande entre 2008 et 2013 et l’écart de production. Ce dernier, qui mesure la distance entre le niveau observé du PIB et son potentiel est estimé à plus de 9 points par l’OCDE pour l’année 2013. Si la politique budgétaire ne peut être tenue seule responsable de cette situation, l’austérité aura contribué à creuser cet écart de production depuis 2011. Comparativement à la Grèce, au Portugal ou à l’Espagne, il se pourrait que les conséquences soient moins fortes en Irlande. La meilleure position de l’économie irlandaise en termes de compétitivité, en particulier de compétitivité hors-prix, la fiscalité avantageuse pour les entreprises multinationales ou la moindre exposition relative de l’Irlande aux autres pays de la zone euro peuvent contribuer à expliquer cette situation. La crédibilité du gouvernement irlandais aux yeux des marchés a par ailleurs sans doute été plus forte comme en témoigne la moindre envolée des taux. D’une part, le déficit budgétaire irlandais résulte plus de la crise bancaire et immobilière, qui a provoqué une forte récession, que de l’inefficacité du système fiscal ou d’une mauvaise gestion des dépenses publiques. L’Irlande dégageait d’ailleurs des excédents budgétaires avant la crise. D’autre part, l’Irlande a déjà fait l’expérience d’un épisode de consolidation budgétaire au cours des années 1980, ce qui a pu convaincre les marchés de la crédibilité du gouvernement à stabiliser ses finances publiques. Pour autant ces arguments n’indiquent pas que l’épisode de consolidation aurait eu un effet positif ou même nul. De fait, l’Irlande a bien connu une nouvelle récession en fin d’année 2012.

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Par ailleurs, l’analyse, réalisée dans le second rapport iAGS (independant Annual Growth Survey), en variante d’une stratégie alternative d’austérité budgétaire, montre que l’Irlande gagnerait (ou aurait gagné) en moyenne 1,2 point de croissance par an entre 2011 et 2015 si le gouvernement avait choisi d’étaler l’austérité dès 2011, c’est-à-dire de limiter les impulsions budgétaires à 0,5 % du PIB. Dans ces conditions, l’Irlande aurait évité une deuxième récession. Il est donc indéniable que la stratégie d’austérité budgétaire, telle qu’elle a été mise en œuvre en Irlande, a été coûteuse en termes de croissance. Il faut toutefois souligner que dans un scénario alternatif d’étalement de l’austérité dès 2011, la dette publique n’aurait pas atteint le seuil de 60% en 2032, date à laquelle les dettes publiques devraient converger puisque les règles budgétaires soulignent la nécessité de converger vers ce seuil de 60 % du PIB au rythme de 1/20e par an. Il y a donc bien un arbitrage entre les objectifs de consolidation et l’objectif de croissance et de plein-emploi.

Certes, l’Irlande s’en sort mieux que d’autres pays de la zone euro. Mais, il faudrait sans doute être aveugle pour considérer que la sortie du plan d’aide témoigne du succès de la politique d’austérité budgétaire. Les perspectives de croissance sont plus favorables en Irlande qu’elles ne le sont au Portugal, en Grèce ou même en Espagne et en Italie (voir ici les prévisions de l’OFCE pour la zone euro). Pour autant, cet argument ne doit pas faire oublier que le PIB par tête de l’Irlande est aujourd’hui inférieur de 12 % à ce qu’il était avant la crise. Le taux de chômage dépasse 12 % et les inégalités se creusent.

 


[1] Voir Heyer (ici) pour une synthèse de cette littérature.

[2] Un niveau élevé de chômage accroît les contraintes de liquidité des ménages.




Lettonie : adieu lats, bonjour euro

par Céline Antonin

Le 1er janvier 2014, deux ans après son voisin estonien, la Lettonie deviendra le 18e pays membre de la zone euro. Du point de vue européen, l’entrée de la Lettonie, qui ne pèse que 0,2 % du PIB de la zone euro, dans le « club de l’euro » peut sembler anecdotique. Cette intégration est avant tout un symbole politique ; elle vient couronner les efforts budgétaires et monétaires consentis par le pays, durement touché par la crise de 2008-2009 qui a amputé son PIB de près d’un cinquième.

Dans l’urgence, fin 2008, le pays avait demandé une aide internationale au FMI et à l’Union européenne, laquelle lui avait été accordée en échange d’un plan d’austérité drastique. Cette aide internationale, de l’ordre de 7,5 milliards d’euros, avoisinait alors 1/3 de son PIB. De ce fait, la dette publique a fortement progressé entre 2007 et 2012, passant de 9 % à 40 % du PIB. Le pays a dû se résoudre à mettre en œuvre une purge budgétaire afin de renforcer sa compétitivité et de réduire son déficit public, en baissant drastiquement les dépenses publiques, les salaires et les pensions de retraite. Cette stratégie de dévaluation interne a conduit à une forte désinflation, ce qui a permis à la Lettonie de remplir l’objectif de stabilité des prix du MCE II (graphique). Conformément à l’avis du FMI, elle a tenu bon sur son objectif d’adhérer rapidement à la zone euro en refusant catégoriquement d’utiliser l’arme de la dévaluation externe pour sortir de la crise. Ainsi, elle a poursuivi sa politique de change fixe par rapport à l’euro, ininterrompue depuis le 1er janvier 2005.

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En 2011, la croissance est revenue, essentiellement tirée par la demande externe des pays nordiques et de la Russie. Quant au déficit public, il est passé de 9,8 % du PIB en 2009 à 1,3 % en 2012. Les taux d’emprunt sur le marché obligataire ont baissé, ce qui a permis au pays de n’emprunter que 4,4 milliards d’euros (sur les 7,5 milliards d’euros prévus) et de rembourser sa dette au FMI avec trois années d’avance). La dette publique s’est donc stabilisée autour de 40 %. En outre, la Lettonie a respecté la cible d’inflation sur la période de référence pour décider de son adhésion ou non à la zone euro. Ce sont ces éléments qui ont conduit l’Union européenne à donner son feu vert en juin 2013.

L’arrivée de la Lettonie est-elle purement anecdotique ? Pas tout à fait. Tout d’abord, la Lettonie n’a pas encore effacé les stigmates de la crise ; en 2012, le PIB était inférieur, en termes réels, à son niveau de 2007. En outre, si le taux de chômage a été quasiment divisé par deux depuis 2009, il représente encore 11,9 % de la population active et surtout, sa baisse est en partie liée à une forte émigration. Mais surtout, comme l’a souligné la BCE dans son rapport sur la convergence, près d’un tiers des dépôts bancaires (pour un montant de 7 milliards d’euros) sont détenus par des non-résidents, notamment originaires de Russie. A l’instar de l’exemple chypriote, cela fait peser un fort risque sur la stabilité bancaire en cas de crise, avec de potentielles fuites de capitaux. A l’heure où le projet d’Union bancaire achoppe sur l’hétérogénéité des systèmes bancaires en zone euro, cela nous montre, une fois encore, que la logique d’intégration économique est décidément bien difficile à concilier avec les choix politiques d’élargissement. Que ce soit à l’échelle de la zone euro ou à l’échelle de l’Union européenne, il est temps pour l’Europe de faire un choix clair entre ces deux logiques antagonistes.

 




Comment peut-on défendre un revenu de base ?

par Guillaume Allègre

A la suite de la remise de 125 000 signatures réunies par des organisations défendant l’introduction d’un revenu de base, les citoyens suisses se prononceront lors d’un référendum d’initiative populaire sur l’inscription du principe du revenu de base dans la constitution fédérale helvétique.

La Note de l’OFCE (n°39 du 19 décembre 2013) analyse des fondements sur lesquels pourrait s’appuyer l’institution d’un revenu de base.

Si le revenu de base peut prendre plusieurs formes, son principe est d’être versé (1) de manière universelle, d’un montant égal pour tous, sans contrôle des ressources ou des besoins ; (2) sur une base individuelle et non aux foyers ou ménages ; (3) de façon inconditionnelle, sans exigence de contrepartie. Dans sa version progressiste, on peut rajouter une quatrième caractéristique : il doit être (4) d’un montant suffisant pour couvrir les besoins de base et permettre la participation à la vie sociale.

Bien qu’en apparence séduisant, il n’est pas aisé de trouver des fondements, en matière de justice distributive, compatibles avec ces quatre caractéristiques du revenu de base. Tant qu’il existe des économies d’échelle et un arbitrage politique entre conditionnalité et niveau du revenu minimum, alors, dans une perspective rawlsienne, un système de revenu minimum garanti de type RMI/RSA (familialisé et faiblement conditionné) semble préférable à un revenu de base pur. De plus, la réduction généralisée du temps de travail semble une solution politique plus soutenable que le revenu de base pour atteindre les objectifs écologiques et émancipateurs qui sont souvent assignés au revenu de base.

Il apparaît que l’avantage principal du revenu de base, de par son universalité, est de ne provoquer aucun indu ou non-recours et de ne pas stigmatiser les bénéficiaires nets du système. Dans cette optique, les minima sociaux pourraient être transformés en une allocation plus universelle, qui serait moins stigmatisante. Cette allocation devrait tenir compte de la composition familiale, définir une condition de participation sociale. Elle impliquerait un contrôle du travail au noir et conserverait les incitations au travail. Elle serait complétée par des politiques spécifiques prenant en charge les enfants, les personnes âgées et les handicapés, soit ceux qui ne répondent pas aux incitations, et s’ajouterait au système assurantiel (chômage, retraite, maladie). Le système de protection sociale ne serait ainsi pas réellement simplifié mais transformé pour éviter la stigmatisation et le non-recours.

Si le revenu de base n’est pas une idée stupide, ce n’est pas non plus la réforme miracle décrite par ses défenseurs : véritable couteau suisse – social, écologiste, émancipateur – de la réforme de la protection sociale.

Pour en savoir plus: Note de l’OFCE n°39 (pdf)

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur twitter : @g_allegre




Le système socio-fiscal français est-il vraiment redistributif ?

par Henri Sterdyniak [1]

La France a mis en place le RSA, la PPE, la CMU, le minimum vieillesse, les allocations logement, les exonérations de cotisations sociales pour les bas salaires. En sens inverse, elle a conservé un impôt sur les grandes fortunes ; les cotisations sociales maladie et famille portent sur la totalité du salaire ; les revenus du capital supportent les prélèvements sociaux et sont soumis à l’IR. Les plus riches se plaignent d’une fiscalité confiscatoire ; quelques-uns  choisissent l’exil fiscal.

Pourtant, certains prétendent parfois que le système socio-fiscal français est peu redistributif. Dans la période récente, ce point de vue a été conforté par l’étude de Landais, Saez et Piketty : le système fiscal français serait peu progressif et même régressif au sommet de la hiérarchie des revenus[2] : les 0,1 % des ménages les plus riches supporteraient un très bas taux d’imposition. Toutefois, la redistributivité du système socio-fiscal passe par l’impôt mais aussi par les prestations sociales. Il faut donc regarder ces deux aspects pour évaluer la redistributivité de notre système. Ce d’autant plus que Landais, Saez et Piketty tiennent compte de la TVA payée sur la consommation financée par les prestations sociales, mais pas des prestations elles-mêmes, de sorte qu’un ménage pauvre apparaît d’autant plus perdant à la redistribution qu’il bénéficie (et dépense) des prestations sociales.[3]

Quatre chercheurs du Crédoc viennent de publier une étude[4] qui prend en compte les prestations. Ils concluent cependant : « Le système fiscal français, pris dans son ensemble, est ainsi peu redistributif ». L’étude fait le bilan, par déciles de niveau de vie après redistribution, des prestations reçues et des impôts versés par les ménages (impôts directs, impôts indirects et cotisations sociales), en pourcentage de leur revenu disponible en comparant la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède. En France, les transferts nets (prestations moins prélèvements) ne représenteraient que 23 % du revenu disponible des ménages du premier décile de niveau de vie (les plus pauvres), contre 50 % au Royaume-Uni (graphique). A l’autre bout de l’échelle, ils réduiraient en France de seulement 6 % le revenu disponible des ménages les plus aisés, contre 30 % au Royaume-Uni, 40 % en Suède, 45 % en Italie. Ainsi, la France serait le pays où la redistributivité est la plus faible, distribuant peu aux plus pauvres, taxant peu les plus riches.

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Pourtant, le système socio-fiscal français est considéré, par les institutions internationales, comme figurant parmi ceux qui réduisent le plus les inégalités. Ainsi, l’OCDE (2011) écrivait : « La redistribution par les prestations sociales et impôts réduit les inégalités par un peu plus de 30 % en France, ce qui est bien supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE de 25 % ».

L’OCDE fournit des statistiques concernant les inégalités de revenus (mesurées par le coefficient de Gini) avant et après transferts. Parmi les quatre pays choisis par le Crédoc, c’est en France que le Gini est le plus réduit en pourcentage par les transferts (tableau 1), à un degré équivalent à celui de la Suède, nettement supérieur à la réduction opérée en Italie ou au Royaume-Uni. Euromod aboutit à un classement pratiquement similaire (tableau 2).

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De même, selon Eurostat, la France est l’un des pays où le taux de pauvreté est le plus faible, un peu plus élevé que celui du Danemark, équivalent à celui de la Suède, mais nettement plus bas que le taux de pauvreté dans des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie.

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Le Portrait social de l’INSEE fait un bilan soigné de la redistributivité du système socio-fiscal français (Cazenave et al., 2012). Il apparaît que la réduction des inégalités est importante (tableau 4) en France : le ratio inter-déciles, D10/D1, passe de 17,5 avant redistribution à 5,7 après redistribution[5]. Selon l’INSEE, 63 % de la réduction des inégalités provient des prestations sociales et 37 % des prélèvements, ce qui confirme la nécessité de prendre en compte les prestations pour juger de la redistribution.

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Ainsi, la vision que présente le Crédoc de la redistributivité du système socio-fiscal français est originale… et, disons-le, fausse.

L’étude s’appuie sur les données de l’enquête Budget des familles qui n’est pas appariée sur les données fiscales et qui est généralement considérée comme moins fiable que l’enquête Euromod ou celle sur les revenus fiscaux et sociaux utilisée par l’INSEE. Ceci peut expliquer certaines différences importantes entre les chiffres du Crédoc et ceux de l’INSEE : par exemple, selon l’INSEE, les transferts non-contributifs représentent 61 % du revenu disponible des 10 % les plus pauvres tandis que ce chiffre n’est que de 31 % selon le Crédoc (tableau 5).

Comme l’INSEE, l’étude du Crédoc ne tient pas compte des cotisations employeurs maladie (qui pèsent sur les hauts salaires en France, pas dans la plupart des autres pays), ni de l’ISF (qui n’existe qu’en France). De plus, elle ne fait pas la distinction entre les cotisations contributives (qui ouvrent des droits à retraite ou à allocation chômage) et des cotisations non-contributives (comme les cotisations maladie ou famille), qui n’ouvrent pas de droits. Or, les bas salaires ne supportent pas en France de cotisations non-contributives puisqu’elles sont plus que compensées par les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires.

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Surtout, elle comporte deux erreurs qui en faussent lourdement les conclusions. La première erreur méthodologique est que, contrairement à l’INSEE, les auteurs incluent les transferts contributifs, et notamment les retraites[6], dans les transferts sociaux. Or, pour les retraités, les pensions publiques représentent une très grande partie de leur revenu disponible, tout particulièrement en France. Ainsi, si le système de retraite assure la parité de niveau de vie entre retraités et actifs, les retraités figurent dans tous les déciles de niveau de vie, et le système socio-fiscal apparaîtra peu redistributif puisqu’il verse des prestations à des retraités riches. Au contraire, si le système national de retraite n’assure pas la parité de niveau de vie entre retraités et actifs, le système socio-fiscal apparaîtra plus redistributif puisqu’il donne des retraites exclusivement aux pauvres. C’est paradoxalement la générosité du système français envers les retraités et les chômeurs qui fait apparaître le système français comme peu redistributif. Ainsi, selon le Crédoc, les 10 % des plus riches bénéficient de transferts contributifs représentant 32 % de leur revenu disponible ; ce qui fait que, au total, leurs transferts nets ne sont négatifs que de 6 % de leur revenu. Ceci est d’autant plus vrai que le Crédoc ne prend pas en compte les cotisations vieillesse supportées par les entreprises. Si, comme le fait l’INSEE, les retraites (et plus généralement toutes les prestations contributives) sont considérées comme un revenu primaire, résultant de cotisations antérieures, les transferts net négatifs des plus riches passeraient de 6 à 38 %.

L’autre erreur méthodologique est que le Crédoc prétend prendre en compte le poids des impôts indirects dans le revenu disponible (ce que l’INSEE ne fait pas). Celui-ci serait de 36 % pour les 10 % les plus pauvres, de 23 % au milieu de la hiérarchie des revenus et baisserait même à 13 % pour les plus riches. Cette forte régressivité des impôts indirects rendrait l’ensemble de la fiscalité régressive : les plus pauvres paieraient plus que les plus riches. Selon les chiffres de Landais, Saez, Piketty (2011), la fiscalité indirecte serait certes régressive (de 15 % du revenu disponible pour les plus pauvres à 10 % pour les plus riches), mais l’écart ne serait que de 5 %. Selon l’INSEE[7], le poids de l’impôt indirect dans le revenu disponible serait de 22 % pour les plus pauvres, de 16 % au milieu de la hiérarchie et de 10 % pour les plus riches. Cet écart provient  de la structure de la consommation (les plus pauvres consomment relativement plus de tabac, de produits pétroliers) et surtout  du taux d’épargne qui est d’autant plus élevé  que le ménages est riche. En fait, l’écart est sans doute surévalué dans une perspective intertemporelle : certains ménages consommeront demain l’épargne d’aujourd’hui, c’est alors qu’ils seront taxés à l’impôt indirect. Les plus pauvres apparaissent lourdement taxés relativement à leur revenu, mais c’est qu’ils consomment plus que leur revenu, soit en raison de transferts familiaux, soit en raison d’endettement à la consommation. En fait, l’étude du Crédoc surévalue lourdement le poids des impôts indirects en utilisant une estimation extravagante des taux d’épargne des ménages[8] : le taux d’épargne global des ménages français serait de -26,5 % ; seul le décile D10 (les 10 % les plus riches) aurait un taux d’épargne positif ; le décile D1 aurait lui un taux d’épargne négatif de -110 %, c’est-à-dire qu’il consommerait 2,1 fois son revenu. De ce fait, le décile des plus pauvres subirait fortement le poids des impôts indirects. Mais un tel taux d’épargne est-il vraisemblable ?

Les systèmes socialo-fiscaux nationaux sont différents et complexes. Leur comparaison doit se faire avec prudence et rigueur. Pour juger de la redistributivité du système français, il reste plus pertinent d’utiliser les travaux de l’INSEE, de l’OCDE ou d’Euromod que cette étude (trop) originale.

 


[1] Nous remercions Juliette Stehlé qui a bien voulu nous aider à préciser certains points de cette note.

[2] Voir Landais C., Piketty Th. et Saez E., Pour une révolution fiscale, Le Seuil, 2011.

[3] Voir aussi Sterdyniak H., « Une lecture critique de l’ouvrage Pour une révolution fiscale », Revue de l’OFCE, n° 122, 2012. Signalons aussi que l’on ne peut porter un jugement global sur la progressivité du système à partir du cas des quelques hyper-riches qui réussissent à échapper à l’impôt par le biais de montages fiscaux.

[4] Bigot R, É. Daudey, J. Muller et G. Osier : « En France, les classes moyennes inférieures bénéficient moins de la redistribution que dans d’autres pays », Consommation et modes de vie, Crédoc, novembre 2013. Voir une version développée : « Les classes moyennes sont-elles perdantes ou gagnantes dans la redistribution socio-fiscale », Cahiers de Recherche, Crédoc, décembre 2012.

[5] Notons que l’INSEE sous-estime quelque peu la redistribution assurée par le système français puisqu’elle ne prend pas en compte l’ISF. Elle n’intègre pas non plus les cotisations maladie employeurs qui en France sont fortement redistributives car elles ne sont pas plafonnées. En sens inverse, elle ne tient pas compte des impôts indirects.

[6] Et les prestations chômage et les prestations maladie de replacement.

[7] Voir Eidelman A., F. Langumier F. et A. Vicard : « Prélèvements obligatoires reposant sur les ménages :

des canaux redistributifs différents en 1990 et 2010 », Document de Travail de la DESE de l’INSEE, G2012/08.

[8] Estimation en provenance de EUROMOD (2004) : “ Modelling the redistributive impact of indirect taxation in Europe”, Euromod Working paper, juin.




Le travail à temps partiel

Par Françoise Milewski

La part des emplois à temps partiel dans l’emploi total a fortement progressé. Si cette hausse était encore limitée dans les années 1970, elle s’est accélérée dans les années 1980 et surtout 1990. Durant les années 2000 et au début des années 2010, les fluctuations ont été moins marquées au regard de la longue période. La part du temps partiel a plus que doublé depuis quarante ans et il représente désormais près d’un cinquième de l’emploi.

Ces évolutions sont le résultat de plusieurs tendances économiques et sociales. Elles reflètent à la fois les transformations du marché du travail – croissance du secteur tertiaire au détriment de l’industrie et multiplication des statuts d’emplois – et les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont aussi le produit des politiques publiques.

Les emplois à temps partiel sont pour l’essentiel occupés par des femmes. Ils sont aussi majoritairement occupés par des salariés de 25 à 49 ans, mais une tendance au développement du temps partiel chez les seniors apparaît. Les emplois à temps partiel sont surtout occupés par des salariés peu qualifiés. Si les durées du travail sont le plus souvent comprises entre 15 et 29 heures, la dispersion est importante, et l’on note une tendance à l’accroissement de la part des courtes quotités. Les salariés à temps partiel sont majoritairement employés à durée indéterminée ; il s’agit donc d’une forme d’emploi stable. Les salaires sont inférieurs, qu’ils soient mensuels ou horaires, et les salariés à temps partiel sont surreprésentés parmi les smicards et les bas salaires. Lorsque les horaires sont atypiques, que l’amplitude est étendue par de multiples coupures, que l’organisation du temps est fluctuante et sans prévisibilité, les conditions de travail sont dégradées.

Le temps partiel est hétérogène aussi bien dans les raisons invoquées par les salarié-e-s, lorsqu’elles ou ils en font la demande, que dans les formes d’organisation des entreprises selon les secteurs d’activité. Les temps travaillés relèvent de logiques multiples. Cela conduit à parler des temps partiels pour rendre compte de cette multiplicité.

Le développement du secteur tertiaire a porté celui des temps partiels. Les emplois à temps partiel dans les secteurs tels le commerce-distribution, l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, les services à la personne et certains services publics sont majoritairement occupés par des femmes. Cela résulte des types de formation qu’elles acquièrent, des stéréotypes sur les compétences naturelles qu’elles auraient pour s’occuper d’autrui, de leur surreprésentation dans les emplois peu ou non qualifiés. Les arbitrages qu’elles font entre tâches professionnelles et familiales renforcent ces évolutions, soit parce qu’un plein temps leur paraît incompatible, soit parce qu’après un congé parental elles prolongent la réduction d’activité qu’elles ont expérimentée. Après un congé de longue durée, les difficultés de réinsertion sont parfois importantes.

La flexibilisation du travail au cours des dernières décennies a renforcé ces tendances. L’éclatement des formes d’emploi a concerné surtout les femmes, à la fois parce qu’elles travaillent majoritairement dans les secteurs qui en ont été à l’origine et parce que les femmes, étant en situation d’infériorité sur le marché du travail, acceptent plus facilement des emplois peu valorisés.

Les politiques publiques ont à certaines périodes favorisé le temps partiel et, à d’autres, cherché à en limiter les effets. Au carrefour d’objectifs en termes d’emploi et/ou de mesures concernant les familles, elles ont parfois souffert d’incohérences.

Au sein de l’Union européenne, les écarts entre pays sont importants, résultant d’évolutions historiques spécifiques, de consensus sociaux différents et de réglementations du marché du travail particulières.

Analyser la situation actuelle et déceler les changements en cours permet d’entrevoir les changements potentiels à venir et donc d’ouvrir des débats sur ces évolutions et ce qu’elles impliquent pour les décideurs publics. Temps partiels et temps pleins ont-ils des logiques de développement autonomes ? Au sein même des temps partiels, va-t-on vers davantage de flexibilité ou d’encadrement ? Dans quelle mesure l’autonomie des femmes est-elle mise en cause par le développement du temps partiel comme une forme d’emploi stable ? Le temps partiel est-il une forme de sous-emploi ou un mode d’intégration au marché du travail, vers le temps plein ? Autant de questions qui conditionnent l’élaboration des politiques publiques[1].

Pour en savoir plus, lire la Note de l’OFCE, n° 38 du 13 décembre 2013.

 

 


[1] Ce texte résume l’étude du Conseil économique, social et environnemental, section du Travail et de l’emploi : « Le travail à temps partiel », Françoise Milewski, Les Editions des Journaux officiels, décembre 2013, à paraître.

 




Banques européennes : un retour de la confiance à pérenniser

par Céline Antonin et Vincent Touzé

Depuis août 2012, la remontée en Bourse des valeurs bancaires et la baisse de leur volatilité attestent d’un retour de la confiance. Cette confiance retrouvée est-elle durable ? C’est à cette question que la Note de l’OFCE n° 36 du 11 décembre 2013 s’attache à répondre, à partir de l’état des lieux de la situation des banques fin 2013.

En raison de la crise financière, la valorisation des banques a souffert à la fois d’une baisse de rentabilité des activités liées aux marchés financiers et d’une crise de confiance générale dans les placements boursiers. Mais depuis août 2012, les banques affichent de meilleurs résultats qui se traduisent par de meilleures performances boursières.

Cela étant, cette confiance retrouvée s’inscrit dans un contexte de mutation profonde : la crise a modifié le fonctionnement du système bancaire européen avec une montée en puissance de la Banque centrale européenne dans les prêts accordés aux banques et une forte réduction des expositions nationales dans les pays à risque (Portugal, Irlande, Italie, Espagne et Grèce).

Aussi, la pérennité de la confiance dépendra intrinsèquement de la capacité des banques à relever deux défis : d’une part, la réduction du risque d’insolvabilité des dettes publiques et privées dans certains Etats membres ; d’autre part, la capacité des banques à s’adapter aux changements institutionnels en cours à l’échelle européenne (mise en œuvre de Bâle 3, projet d’union bancaire et passage progressif d’une logique de bail out à une logique de bail-in).

 

 




Le casse-tête budgétaire américain

Par Christine Rifflart

Avant le 13 décembre prochain, le Budget Conference Committee doit présenter les résultats de ses discussions lancées à la suite du shutdown et de la crise de la dette du mois d’octobre 2013. L’objectif des négociations : permettre le vote du Budget 2014 au Congrès, dont l’année fiscale a démarré le 1er octobre dernier[1] et trouver une alternative aux coupes automatiques dans les dépenses du gouvernement fédéral qui devraient s’appliquer au 1er janvier 2014. Un accord ne semble pas hors d’atteinte. Même si l’opposition entre républicains et démocrates reste vive, la raison devrait l’emporter et le risque d’une nouvelle crise budgétaire semble exclu. Au pire, une nouvelle Continuing Resolution[2] sera votée permettant le fonctionnement des institutions et laissant l’arbitraire des coupes budgétaires automatiques dans les dépenses structurelles conduire la politique du gouvernement. Au mieux, les négociations aboutiront à des coupes raisonnées sur ces dépenses, voire à des hausses de certaines recettes qui assoupliront alors la violence de l’ajustement, violence amplifiée par l’arrivée à terme de mesures exceptionnelles de soutien aux revenus et à l’activité prises au cœur de la crise.

Les marges de négociations sont étroites. Sur l’année fiscale 2013, le déficit de l’ensemble du secteur public atteint 7 % du PIB – après 12,8 % sur l’année fiscale 2009, et le déficit du gouvernement fédéral affiche 4,1 % du PIB – après 9,8 %. La dette fédérale représente actuellement 72,7 % du PIB et continue d’augmenter. Par ailleurs, la croissance reste faible : 2,2 % en moyenne annuelle depuis la reprise de 2010 et 1,8 % attendu en 2013, et surtout insuffisante pour redynamiser le marché de l’emploi. Dès lors, comment mener une politique budgétaire de soutien à la croissance sur fond de rigueur budgétaire, de réduction des déficits et surtout de respect des engagements antérieurement actés par le Congrès[3],notamment du Budget Control Act of 2011 ? A la suite de la crise du plafond de la dette fédérale en juillet 2011, le président Obama signait le 2 août 2011 le Budget Control Act of 2011 qui conditionnait le relèvement du plafond de la dette fédérale à une réduction massive des dépenses publiques sur 10 ans. En plus de l’introduction de plafonds sur les dépenses discrétionnaires[4], 1200 milliards de dollars de coupes automatiques (sequestrations) dans les dépenses ont été prévus sur la période 2013-2021 selon un principe de parité entre les budgets de la défense et hors défense. Ont été exemptés un certain nombre de programmes sociaux (assurance vieillesse, programme Medicaid, garanties de revenu…) tandis que les coupes du programme Medicare, destiné aux personnes âgées, ont été limitées à 2 %. Au total, les coupes s’appliquent sur un peu moins de la moitié des dépenses du gouvernement fédéral et représentent 109 milliards par an d’économies réalisées sur le déficit, soit 0,6 % du PIB.

Sur l’année fiscale 2014, selon le CBO, la combinaison de ces deux mesures (dépenses discrétionnaires plafonnées et coupes automatiques dans les budgets non protégés) ainsi que la reconduction du montant des crédits de 2013 à 2014 (donc un budget constant en nominal), conduisent à des coupes dans les dépenses discrétionnaires de 20 milliards de dollars qui devront être intégralement supportées par le Pentagone. Sur cette base, si les coupes sont maintenues, les dépenses discrétionnaires des budgets de la défense et hors défense auront baissé respectivement de 17 % et 17,8%, en termes réels entre 2010 et 2014.

Mais en plus de ces coupes brutales, d’autres programmes, dont ceux principalement destinés aux ménages à bas revenus, vont connaître en 2014 une réduction de leur budget du fait de l’arrivée à échéance des mesures exceptionnelles dont ils bénéficiaient jusqu’alors. Ainsi, le programme d’extension de l’allocation chômage créé le 30 juin 2008 pour les chômeurs ayant épuisé leurs droits (Emergency Unemployment Compensation) se termine au 1er janvier 2014. Cet arrêt devrait frapper 4 millions de personnes si rien n’est envisagé.

C’est également le cas du programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program) qui avait bénéficié dans le cadre de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 de ressources supplémentaires qui se sont éteintes au 1er novembre dernier. Or,47,7 millions de bénéficiaires (soit 15 % de la population) ont reçu des bons alimentaires cette année. Selon le CBPP, cette baisse de 7 % des ressources du programme devrait se traduire par un recul de 4 millions du nombre de bénéficiaires.

Autre exemple, le programme des aides au logement pour les 2,1 millions de familles qui ne peuvent se loger dignement devrait être affecté lui aussi par l’arrivée à échéance des rallonges budgétaires instituées en 2009 et les coupes automatiques. Si les budgets ne sont pas reconduits, entre 125 000 à 185 000 des familles bénéficiaires à la fin 2012 ne percevront plus les aides à la fin 2014.

Selon les informations actuellement disponibles, un accorda minima du Budget Conference Committee semble se dessiner. Les coupes dans le budget de la défense pourraient être validées[5] tandis que d’éventuelles hausses de redevances de services publics permettraient de financer des rallonges budgétaires pour certains programmes sociaux, et d’alléger l’impact des coupes automatiques. En avril dernier, le Président Obama avait présenté devant le Congrès son Projet de Budget 2014. Il proposait à l’époque de supprimer les procédures de coupes automatiques, de réduire à long terme la dette par une vaste réforme budgétaire, et à plus court terme, de différer une partie des restrictions budgétaires 2014 sur les années fiscales 2015 et 2016 afin de soutenir la croissance. L’accord qui sera vraisemblablement présenté au Congrès d’ici le 13 décembre ne devrait pas avoir cette ambition. Face aux républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) partisans d’économies supplémentaires, les démocrates (majoritaires au Sénat) vont avoir du mal à défendre une hausse des dépenses publiques en 2014 et empêcher que la politique budgétaire soit aussi pénalisante pour la croissance cette année qu’elle ne l’a été en 2013.

 


[1] A défaut d’avoir été adopté par le Congrès, le budget 2014 est depuis le 16 octobre financé par une Continuing Resolution (voir note 2) sur la base des montants du budget 2013.La résolution agit rétroactivement à partir du 1er jour de l’année fiscale 2014, soit le 1er octobre 2013, et jusqu’au 15 janvier 2014.

[2] Une Continuing Resolution est une résolution provisoire adoptée par le Congrès qui permet de reconduire les crédits alloués l’année fiscale précédente à l’année fiscale en cours, en attendant que soient votés les nouveaux crédits.

[3] Selon le CBPP, si l’on considère l’ensemble des mesures de réduction du déficit prises depuis 2010 dans le Budget 2011, le Budget Control Act of 2011 et l’American Taxpayer Relief Act de 2012, l’impact cumulé sur le déficit serait de 4000 milliards sur la période 2014-2023, soit l’équivalent de 24 % du PIB de 2013.

[4] Les dépenses discrétionnaires (33 % des dépenses fédérales) sont les dépenses dont les budgets sont votés sur une base annuelle à la différence des dépenses obligatoires (61 %) qui sont assises sur des programmes faisant l’objet d’une loi antérieure. La politique budgétaire du gouvernement, côté dépenses, est principalement assise sur l’évolution des dépenses discrétionnaires, qui sont des dépenses structurelles.

[5] Les dépenses liées à la défense ont déjà baissé de 13,1 % en termes réels, entre le troisième trimestre 2010 et le troisième trimestre 2013.




De l’austérité à la stagnation

Par Xavier Timbeau

Depuis 2010, la Commission européenne publie chaque année une « revue annuelle de la croissance », Annual Growth Survey en anglais, pour alimenter le semestre européen pendant lequel les gouvernements et les parlements des Etats membres, la Commission, la société civile doivent discuter et élaborer les stratégies économiques des différents pays européens. Il nous a paru important de participer à ce débat en publiant au même moment que la Commission une revue indépendante annuelle de croissance (indepedent Annual Growth Survey ou iAGS) en collaboration avec l’IMK, institut allemand et l’ECLM, institut danois. Ainsi, dans l’iAGS 2014, nous évaluons le coût de l’austérité menée depuis 2011. Menée alors que les multiplicateurs budgétaires étaient très élevés, d’une ampleur sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, cette politique d’austérité a été suivie simultanément par la plupart des pays de la zone euro. Il en a résulté un PIB amputé de 3,2% en zone euro pour 2013. Une stratégie alternative, aboutissant aux mêmes ratios de dette sur PIB dans 20 ans (soit 60% dans la plupart des pays) aurait été possible en ne cherchant pas à réduire les déficits publics à court terme, lorsque les multiplicateurs sont élevés. La baisse du chômage, le rétablissement des bilans des agents ou encore la sortie de la trappe à liquidité sont les conditions pour que les multiplicateurs budgétaires soient à nouveau bas. Un ajustement réduit mais continu, stratégie tout aussi rigoureuse sur le plan budgétaire mais plus adaptée à la situation économique, aurait permis de bénéficier de 2,3% points de PIB en plus en 2013, soit bien plus que dans la situation d’austérité brutale dans laquelle nous sommes. Ainsi, il n’y aurait pas eu de récession en 2012 ou en 2013 pour la zone euro dans son ensemble (voir le graphique ci-dessous : PIB en millions d’euros).   IMG_Post-9-12 Il est souvent avancé que la situation des finances publiques des pays de la zone euro ne laissait pas de choix. En particulier, la pression des marchés a été telle que certains pays ont craint, comme la Grèce par exemple, de perdre l’accès aux financements privés de leur dette publique. Les montants en jeu et une situation de déficit primaire sont avancés pour justifier cette stratégie brutale afin de convaincre à la fois les marchés et les partenaires européens. Pourtant, la crise des dettes souveraines, et donc la pression des marchés, s’est achevée dès lors que la Banque centrale européenne a annoncé qu’aucun pays ne quitterait l’euro, puis a mis en place un instrument, l’OMT (Outright Monetary Transaction) qui permet, sous condition, de racheter des titres de dette publique des pays de la zone euro et donc d’intervenir pour contrer la défiance des marchés (voir une analyse ici). Dès lors, ce qui compte, c’est la soutenabilité de la dette publique à moyen terme et non plus la démonstration dans l’urgence que l’on peut faire accepter n’importe quelle politique aux populations. Or cette soutenabilité nécessite une politique d’ajustement continu (parce que les déficits sont élevés) et modéré (parce que les politiques budgétaires ont un impact majeur sur l’activité). En choisissant la voie dure de l’austérité, nous avons payé le prix fort de l’incohérence institutionnelle de la zone euro que la crise a révélée. Dans l’iAGS 2014, nous pointons d’autres coûts que la perte d’activité due à cette austérité. D’une part, les inégalités augmentent et la pauvreté ancrée, c’est-à-dire mesurée à partir des revenus médians de 2008, s’accroît de façon considérable dans les pays les plus touchés par la récession. Le niveau élevé du chômage entraîne certains pays (l’Espagne, le Portugal et la Grèce) dans la déflation salariale. Cette déflation salariale se traduira par des gains de compétitivité-coût mais, en retour, conduira leurs partenaires à s’engager aussi sur la voie de la déflation salariale ou de la dévaluation fiscale. Au total, l’ajustement des taux de change effectifs ne se produira pas, ou à un rythme si lent que ce sont les effets de la déflation qui domineront, d’autant que l’appréciation de l’euro ruinera les espoirs d’une compétitivité accrue par rapport au reste du monde. L’effet principal de la déflation salariale sera un alourdissement réel (ou rapporté au revenu) de la dette privée et publique. Cela remettra au centre de l’actualité les défauts massifs, publics comme privés, ainsi que les risques d’éclatement de la zone euro. Pour autant, on peut sortir du piège de la déflation. Des pistes sont développées et chiffrées dans l’iAGS 2014. En réduisant les écarts de taux souverains, on peut donner une marge de manœuvre importante aux pays en crise. La continuation de l’action de la BCE, mais aussi un engagement crédible des Etats membres pour stabiliser leurs finances publiques en sont les leviers. L’investissement public a été réduit de plus de 2 points de PIB potentiel depuis 2007. Ré-investir dans le futur est une nécessité, d’autant que les infrastructures non entretenues coûteront très cher à reconstruire si on les laisse s’effondrer. Mais c’est aussi un moyen de stimuler l’activité sans compromettre la discipline budgétaire, puisque celle-ci doit être appréciée non pas par l’évolution de la dette brute mais par celle de la dette nette. Enfin, le salaire minimum doit être utilisé comme instrument de coordination. Nos simulations montrent qu’il y a là un moyen de freiner les processus déflationnistes et de résorber les déséquilibres courants si les pays en excédent s’engagent à ce que leur salaire minimum augmente plus vite en termes réel que leur productivité et qu’au contraire dans les pays en déficit, le salaire minimum augmente moins vite que la productivité. Une telle règle, qui respecterait à la fois les pratiques nationales en matière de négociation salariale, ainsi que les niveaux de productivité ou les spécificités des marchés du travail, permettrait de réduire graduellement les déséquilibres macroéconomiques de la zone euro.