Notre maison brûle, et nous ne regardons que Paris

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par Paul Malliet

Alors que la 21e Conférence des Parties, la COP 21, a débuté la semaine dernière, tous les regards sont braqués sur Paris dans l’attente d’un accord  global ambitieux qui permettrait de limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2°C et de mener les Etats  à s’orienter très rapidement sur le chemin d’une décarbonisation rapide de leurs économies. Toutefois il est une autre bataille qui se mène actuellement et qui est passée sous silence alors que ses conséquences sont d’une ampleur catastrophique.

Les forêts primaires et les tourbières d’Indonésie, principalement localisées sur les îles de Sumatra et de Kalimantan (et considérées comme l’un des trois poumons verts de la planète) ont été ravagées par le feu pendant plusieurs mois, conséquence d’une saison sèche plus longue que prévue, elle-même alimentée par le phénomène El Niño d’une ampleur rarement observée[1], mais également et surtout par la poursuite des pratiques de culture sur brûlis, pourtant illégales, afin de déboiser des terres nécessaires à l’extension de la culture de l’huile de palme.

Ce sont ainsi 1,62 Gigatonnes de CO2 qui ont été relâchées dans l’atmosphère en l’espace de quelques semaines, triplant les émissions annuelles de l’Indonésie et faisant passer ce pays du 6e au 4e plus gros émetteur mondial derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et devant la Russie[2]. A titre de comparaison, cela représente près de 5 % des émissions mondiales pour l’année 2015.

Pourtant la question de la déforestation était centrale dans la contribution de l’Indonésie à l’effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque elle représente plus de 80 % de l’effort consenti[3] jusqu’à présent. De surcroît, dans le cadre du mécanisme onusien REDD+ (Reduction Emissions from Deforestation and Forest Degradation) lancé en 2008, l’Indonésie bénéficiait d’un financement international depuis 2011 de 1 milliard de dollars pour lutter justement contre la déforestation et pour promouvoir une gestion durable des forêts.

Or, faute d’une réponse rapide et significative qui aurait sans doute pu limiter les incendies, c’est cet effort qui est littéralement parti en fumée ces derniers mois. Trois éléments d’explication peuvent être avancés à ce stade. Le premier relève des capacités matérielles propres à l’Indonésie lui permettant de répondre à une telle catastrophe. Les autorités ne disposaient à titre d’exemple que de 14 avions, et s’appuyaient principalement sur les populations locales pour lutter contre l’extension des feux de forêts en construisant des bassins de rétention. Le deuxième élément relève de questions géopolitiques régionales. Plusieurs tensions diplomatiques émaillent les relations que l’Indonésie entretient avec ses voisins et il a fallu plusieurs semaines d’incendies avant que le gouvernement ne consente à accepter l’aide internationale. Enfin, une culture de la corruption telle qu’elle existe à plusieurs échelons de l’administration a favorisé des années de déforestation, fragilisant encore plus les écosystèmes au risque d’incendie.

Pourtant, il est désormais indéniable que les débats autour des réponses et des moyens à apporter aux situations de catastrophes climatiques sont à l’heure actuelle totalement absents des discussions dans le cadre de la COP 21. Il est aujourd’hui plus qu’urgent que la communauté internationale soit en mesure de fournir un cadre et des moyens d’intervention en réponse à ce type d’événement, qui malheureusement devrait être de plus en plus fréquent, et dont les conséquences seraient sources de profonds déséquilibres régionaux. Le renforcement des financements destinés à la lutte contre la déforestation est évidemment primordiale, surtout que le coût de la tonne de CO2 évité est dans ce cas très faible ; mais c’est principalement au niveau des pratiques que de nombreux progrès restent à faire, que ce soit  par l’introduction de plus de transparence dans la gestion des fonds ou une intégration plus forte des  populations locales et des ONG dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques.

François Hollande déclarait lors de son discours d’ouverture de la COP 21 que « ce qui est en cause avec cette conférence sur le climat, c’est la paix ». Effectivement, les conditions de la paix risquent de plus en plus de dépendre des capacités d’adaptation des sociétés face au risque climatique. Le désastre de la Seconde Guerre mondiale a conduit la communauté internationale à créer le corps des casques bleus dont le mandat est « le maintien ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale ». Combien de désastres écologiques seront-ils nécessaires pour voir apparaître des casques verts ?

 


[1] D’après l’OMM (Organisation météorologique mondiale), le phénomène El Niño 2015-2016 s’inscrit comme étant l’un des trois plus puissants jamais enregistrés depuis que les données sont répertoriées, en 1950,  et les prochaines décennies sont susceptibles de voir une accélération d’épisodes extrêmes sous l’effet du changement climatique.

[2] World Resources Institute, With Latest Fires Crisis, Indonesia Surpasses Russia as World’s Fourth-Largest Emitter, 29 octobre 2015.

[3] L’Indonésie s’était engagée en 2009 à réduire de 29 %, voire 41% (avec un support international), ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à un scénario de référence (Source : National Action Plan for Greenhouse Gas Emissions Reduction (RAN-GRK)).

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