L’indicateur avancé : pas de signal de fin de cycle

par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE pour la France, bâti sur les enquêtes de conjoncture publiées par l’INSEE le 21 juin, la croissance de l’économie française serait de +0,4 % au deuxième et au troisième trimestre 2018. Après la nette embellie de 2017, et la retombée de la croissance au premier trimestre (+0,2 %), les perspectives trimestrielles apparaissent nettement moins favorables en 2018 qu’en 2017.

Graphe_post22-06Tabe_post22-06Les publications successives des enquêtes de conjoncture confirment depuis le début de l’année le repli de l’opinion des chefs d’entreprise et des ménages interrogés par l’INSEE. Le climat des affaires reste certes à niveau élevé, mais sa trajectoire récente laisse penser qu’il a atteint un pic au tournant de 2017 et de 2018.

CaptureLes indicateurs de confiance restent néanmoins largement au-dessus de leur moyenne de longue période dans toutes les branches, ce qui laisse entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance tendancielle. Par conséquent, même si la croissance ralentit en 2018, cette baisse de régime n’est pas le signal d’une inversion du cycle en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Un tel signal serait donné par le passage du taux de croissance du PIB sous le taux de croissance tendanciel (que l’on peut assimiler au taux de croissance potentiel de l’économie), évalué par l’estimation de l’indicateur à +0,3 % par trimestre, seuil auquel les prévisions actuelles sont supérieures. La poursuite du mouvement de fermeture de l’écart de production n’est donc pas remise en question.

Le passage à vide actuel peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèse, au premier semestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, 15 janvier 2018). L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique a retenti négativement sur le pouvoir d’achat et la consommation des ménages. S’ajoute à ces facteurs négatifs le regain d’inflation lié à la hausse des prix de l’énergie et de l’ensemble des matières premières qui, entre décembre 2017 et mai 2018, a relevé en France la progression des prix en glissement annuel de 1,2 % sur un an à 2 %. Commun à l’ensemble des économies européennes (voir E. Heyer, « Que doit-on déduire des chiffres d’inflation ? »), le choc inflationniste affecte la dynamique de croissance générale en Europe, ce qui en retour pèse sur le commerce extérieur français.

Le choc de demande négatif propre à la France, lié à la politique fiscale du gouvernement, ne serait toutefois que ponctuel et devrait jouer en sens inverse au second semestre avec la montée en charge de certaines mesures, notamment la baisse de la taxe d’habitation et la seconde tranche de baisse de cotisations-salariés qui contribueront très positivement à l’évolution du pouvoir d’achat des ménages.

 




La France (presque) « championne du monde » de la dépense sociale et de la baisse de la pauvreté

par Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

La France serait « championne du monde » de la dépense (publique) en protection sociale. Selon l’OCDE, les dépenses publiques en protection sociale[1] s’établissaient à 25,7 % du PIB en 2016. Ces dépenses sont proches de celles des pays scandinaves (29 % du PIB en Finlande, 25 % au Danemark, 21 % en Suède), de la Belgique (20 %) ou l’Autriche (24 %). A l’autre extrême, les pays anglo-saxons se caractérisent par de faibles dépenses de protection sociale. En particulier, l’Irlande dépense seulement 10 % de son PIB ­– une exception dans l’Union européenne – et les Etats-Unis 8,7 %.

Ces chiffres masquent des différences sur le domaine couvert par le système de protection sociale public dans les différents pays. En France, les retraites et le système de santé reposent largement sur un financement public, ce qui n’est pas nécessairement le cas ailleurs. Une grande part des droits ouverts en France sont directement liés aux cotisations sociales payées (notamment pour la retraite-survie[2]) ou servent à financer une dépense, a priori contrainte, qui ne devrait pas être limitée par des considérations de ressources individuelles (en santé).

Lorsque l’on exclut ces dépenses (retraites et santé), la France consacre 6,8 % de son PIB à la protection sociale, chiffre inférieur à celui des pays scandinaves (11 % de PIB au Danemark ou 8 % en Finlande). En revanche, les dépenses sociales sont plus faibles dans les pays méditerranéens (3 % du PIB en Italie et en Espagne ou 1 % en Grèce) ou au Japon (3 %). Sur ce champ restreint, incluant notamment les dépenses en « famille et enfants », « chômage », « logement » et « pauvreté et exclusion », la moyenne pondérée (pour les pays où les données détaillées sont disponibles[3]) des dépenses des pays de l’OCDE se situe à 4,5 % du PIB. La France dépense ainsi plus que la moyenne de l’OCDE.

Ainsi restreintes, les dépenses ont presque explicitement pour but la redistribution monétaire et la réduction de la pauvreté[4]. Une corrélation négative est observée entre le taux de pauvreté monétaire et le niveau des dépenses redistributives (graphique 1) au sein des pays membres de l’OCDE[5]. Une moindre dépense de protection sociale se traduit par une prévalence plus forte de la pauvreté monétaire. En France, le taux de pauvreté après transferts sociaux s’établit à 14 %, alors que le taux s’établit à 17 % dans l’ensemble de l’Union européenne.

Graphe-Pauvrete_post21-06Les écarts de taux de pauvreté ne dépendent pas directement et uniquement des dépenses sociales. D’une part, celles-ci poursuivent d’autres objectifs (assurer un revenu au-dessus du seuil de pauvreté aux personnes en situation de handicap, compléter les revenus des ménages médians avec enfants, …). D’autre part, il faut aussi tenir compte du point de départ avant redistribution, c’est-à-dire la distribution qui découle des rémunérations de marché. Selon Eurostat, le taux de pauvreté (primaire, après retraite) en France aurait été de 21 % en absence de redistribution. Le système socio-fiscal réduit donc le taux de pauvreté de 37 %. Au sein de l’Union européenne, la réduction n’est que de 28 % (pour une réduction de 7 points du taux de pauvreté).

En pourcentage du taux de pauvreté avant redistribution, seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni diminuent le taux de pauvreté de façon comparable à ce qui est fait en France alors que les dépenses dans ces deux pays sont plus faibles (5 % de leur PIB en protection sociale hors « retraite-survie » et « santé »), suggérant que le ciblage des dispositifs peut avoir un effet sur le lien pauvreté monétaire dépenses sociales (voir le billet du Blog de l’OFCE : « Aides sociales » : un rôle majeur dans la réduction de la pauvreté monétaire en France).

En tout état de cause, l’analyse de l’efficacité du système de protection sociale ne peut pas se réduire à la comparaison de chiffres globaux mais doit, dans un premier temps, définir les objectifs (réduire la pauvreté, son intensité, la pauvreté des enfants, assurer l’égalité des chances, réduire la persistance de la pauvreté, …), puis entrer dans les complexités causales de chacune des composantes de la redistribution.

 

[1] La notion de protection sociale est celle de la nomenclature internationale COFOG. Elle distingue la protection sociale au sens strict (catégorie 10) des dépenses de santé non individualisables (comme certaines dépenses hospitalières, catégorie 7). La publication « La protection sociale en France et en Europe en 2016 » de la DREES inclue dans la protection sociale la catégorie COFOG 7. Le montant des dépenses de protection sociale (10) plus santé (7) dans les données COFOG 2018 est de 34,2% pour la France. La différence provient de la révision des données opérées par la DREES et des différences de champ mineures.

[2] Il faut noter que le système de retraite français actuel génère une redistribution entre les retraités, au profit des petites retraites. Voir Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, 2017, « Faut-il une nouvelle réforme des retraites ? », OFCE policy brief 26, 2 novembre, pour plus de détails.

[3] Ce qui exclut notamment les États-Unis.

[4] Défini par la part de la population ayant un niveau de vie inférieur à 60 % du revenu médian.

[5] On observe également une corrélation négative entre taux de pauvreté et dépenses pour lutter contre l’exclusion (COFOG 10.7). Cependant la catégorie 10.7 (1,1% du PIB pour la France) n’épuise pas toutes les mesures destinées à lutter contre la pauvreté.




« Aides sociales » : un rôle majeur dans la réduction de la pauvreté monétaire en France

Mathias André (Insee)[1] et Pierre Madec

L’importance du système de protection sociale et le financement public des systèmes de santé et de retraite expliquent une grande partie du différentiel des dépenses publiques entre la France et le reste des pays de l’OCDE (voir billet de blog OFCE : « La France (presque) ‘championne du monde’ de la dépense sociale et de la baisse de la pauvreté »). Ainsi, une grande part des droits aux transferts sociaux ouverts sont directement liés aux cotisations sociales payées (en retraite et en assurance chômage notamment). De fait, la majorité des prestations versées n’ont pas de visée directement redistributive. A contrario, les minima sociaux, la Prime d’activité, les allocations logement ou encore certaines prestations familiales ont un objectif explicite de redistribution et de réduction de la pauvreté monétaire.

Selon les derniers comptes de la protection sociale publiés ce jeudi 21 juin 2018, la dépense totale de minima sociaux s’établissait en 2016 à 26,6 milliards d’euros, celle de la Prime d’activité à 4,1 milliards, les prestations familiales et les allocations logements versées aux ménages pauvres atteignaient respectivement 6,4 milliards d’euros et 10 milliards d’euros. Nous nous limiterons aux prestations sociales à visée redistributive.

Les minima sociaux bénéficient à 4 millions de personnes, 13,6 millions de personnes vivent dans des ménages percevant une allocation logement, les prestations familiales sont perçues par 6,8 millions de familles et la prime d’activité bénéficie à 2,6 millions de foyers. Compte tenu à la fois des montants distribués et du public visé, les prestations sociales à visée redistributive augmentent le niveau de vie de millions de ménages modestes. A contrario, les prélèvements progressifs comme la taxe d’habitation ou l’impôt sur le revenu amputent le niveau de vie des ménages les plus aisés. Ainsi, la redistribution monétaire réduit massivement la proportion de personnes à très bas revenu (inférieur à 650 euros par mois) (graphique 1).

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Cet impact important des prestations sociales à visée redistributive sur les plus bas revenus s’explique en grande partie par leur ciblage : les 10 % de ménages les plus modestes bénéficient de plus des deux tiers des minima sociaux et des allocations logement et plus d’un tiers de la Prime d’activité (graphique 2). Sur les 18 milliards d’euros d’aides au logement, près de 16 milliards sont alloués aux 20% de ménages les plus modestes. Il en est de même pour les minima sociaux.

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La concentration des aides vers les ménages les plus modestes est confirmée par l’analyse de la composition du niveau de vie, i.e. du revenu après redistribution des ménages (tableau 1). Les minima sociaux représentent 12% du niveau de vie des ménages pauvres[2] soit 95 euros par mois en moyenne par unité du consommation. Les allocations logement s’élèvent elles à 120 euros et la Prime d’activité à 25 euros en moyenne par unité de consommation (UC)) (tableau 1). Chez les ménages sortis de la pauvreté grâce à la redistribution monétaire (2,5 millions de ménages)[3], les montants perçus en minima sociaux sont plus importants (125 euros par mois en moyenne par UC) mais la part de ces derniers dans le niveau de vie est légèrement plus faible (11%). Cette part est quasi-nulle pour les ménages dont le niveau de vie est inférieur à la médiane mais dont les seuls revenus d’activité ou de remplacement (retraite, indemnités chômage) suffisent à les protéger de la pauvreté monétaire. Il en est de même pour les allocations logement et les prestations familiales.

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L’impact de ces prestations sociales, et notamment des minima, sur la réduction de la pauvreté est donc majeur. Sans prélèvements ni prestations, le taux de pauvreté serait 8,9 points supérieur à son niveau actuel (22,8% contre 13,9%) (tableau 2)[4]. La diminution du taux de pauvreté est principalement assurée par les prestations familiales, les aides au logement et les minima sociaux, qui contribuent chacun à une baisse de plus de 2 points de ce taux. En outre, l’intensité de la pauvreté, définie comme l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté, est réduite de moitié, soit 19,6 points. Cela correspond à une augmentation du niveau de vie médian des personnes pauvres de +38% en raison des aides au logement et +34% grâce aux minima sociaux. Les minimas sociaux permettent, à eux seuls, de réduire le taux de pauvreté de 2,1 points et l’intensité de la pauvreté de 6,7 points.

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Au-delà de leur rôle dans la réduction de la pauvreté monétaire, le système redistributif et en son sein principalement les prestations sociales à visée redistributive impactent les principaux indicateurs d’inégalités de niveau de vie (tableau 3) :

  • le rapport inter-déciles passe de 6,2 avant redistribution à 3,4 après, soit une baisse de 45%, principalement en raison de l’impôt sur le revenu (baisse de 0,55), des prestations familiales (baisse de 0,9) et des aides au logement (baisse de 0,63) ;
  • l’indice de Gini passe de 0,386 avant redistribution à 0,290 après dont 32% de cette baisse est dû à l’impôt sur le revenu et 24% aux prestations familiales ;
  • la dispersion des revenus mesurée par le ratio (100-S80/S20) passe de 13,7 avant à 4,3 après redistribution (soit une baisse de 70%).

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[1] Cette publication est de la responsabilité seule de l’auteur et n’engage pas son institution.

[2] Un ménage est considéré comme « pauvre » lorsque son niveau de vie, i.e. son revenu après redistribution par unité de consommation, est inférieur à 60% du niveau de vie médian des ménages soit 1 115 euros par mois et par unité de consommation en 2016.

[3] Ces ménages correspondent aux ménages dont le revenu avant redistribution (par UC) est inférieur à 60% du revenu médian avec redistribution et dont le revenu après redistribution (par uc) est supérieur à 60% du revenu médian après redistribution.

[4] Cette comparaison s’inscrit dans une analyse statique du système redistributif. Comme nous l’avons vu précédemment, des revenus d’activités suffisant permettent également de réduire le risque de pauvreté. De plus, cette comparaison ne dit rien de la possible réallocation des moyens de protection sociale. Si des économies sont réalisées sur les prestations sociales en vue d’accroître, par quelque manière que ce soit, les revenus d’activité des plus modestes, la pauvreté monétaire pourrait se réduire.




Aspects des transmissions familiales entre générations

par Michel Forsé et Maxime Parodi

 Présentation du numéro 156 de la Revue de l’OFCE

On considère souvent que l’individualisme conduit à négliger et à dévaloriser le rôle de l’héritage et de la transmission sous tous ses aspects dans nos sociétés modernes – comme si l’individu ne pouvait affirmer son individualité qu’en rejetant ce qu’il doit à ses aïeuls. Pourtant, aujourd’hui encore, la socialisation familiale exerce une influence notable sur les goûts et les croyances des enfants et des adultes – même si la démultiplication des sources d’influences peut en réduire l’importance. Quel est aujourd’hui le poids de ces transmissions familiales sur les convictions et les engagements des individus ?

De plus, est-on si sûr que l’héritage et la transmission soient un impensé de l’individualisme contemporain ? Quelle valeur accordons-nous au fait de transmettre ? Comment jugeons-nous le fait d’hériter ?

Bien entendu, face à l’ampleur de ce sujet, il ne pouvait être question dans ce dossier d’en faire réellement le tour. C’est pourquoi seuls certains aspects sont abordés tandis que d’autres sont laissés de côté, comme par exemple l’éducation, qui joue certes un rôle majeur dans la transmission mais qui a été largement traité au travers de nombreuses autres publications.

Dans un premier temps, ce dossier revient sur la question de la socialisation familiale et de la transmission des croyances religieuses et des convictions politiques. Nul doute que la transmission familiale y joue un rôle notable. Ainsi Pierre Bréchon rappelle que, jusqu’à aujourd’hui, la religion dominante dans chacun des pays d’Europe a été une sorte de constante multiséculaire : le catholicisme en France, l’église orthodoxe en Russie, le protestantisme au Danemark… Une telle stabilité ne résulte pas seulement d’une volonté politique du souverain, mais aussi du poids des croyances héritées des parents. Toutes les enquêtes vont d’ailleurs dans le même sens et confirment que les croyants d’une confession ont des parents de la même confession. Toutefois, cette reproduction religieuse multiséculaire cède aujourd’hui de plus en plus le pas face à la sécularisation. Un nombre croissant d’Européens se déclarent à présent sans religion et indifférents à l’égard des religions. C’est particulièrement vrai des nouvelles générations. Sachant que les jeunes adultes indifférents ne reviendront pas vers une religion, Pierre Bréchon nous annonce un bouleversement de la carte des religions dominantes en Europe dans les décennies à venir.

De son côté, Anne Muxel montre l’importance de la famille lors de la socialisation politique. Aujourd’hui encore, les jeunes adultes ont souvent la même orientation politique que leurs parents. Mais elle insiste surtout sur le mode de transmission, qui est largement implicite et affectif. Comment pourrait-il d’ailleurs en aller autrement ? La norme consistant à respecter le pluralisme et la liberté de pensée va à l’encontre de toute idée de mesures actives des parents pour orienter politiquement leurs enfants. Il y a ainsi une politisation intime de l’identité depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. Les parents n’exigent pas que leurs enfants – une fois adolescents ou jeunes adultes – pensent politiquement comme eux. Toutefois, les divergences sont ressenties comme des blessures intimes qui conduisent les familles à se méfier des discussions politiques et à chercher plutôt à les éviter en leur sein. D’ailleurs, cette reproduction de l’orientation politique semble également s’affaiblir quelque peu aujourd’hui en raison de l’affaiblissement du clivage gauche-droite et d’une montée du positionnement « ni droite ni gauche » au sein des nouvelles générations.

Dans un tout autre registre, Sylvie Octobre, Nathalie Berthomier et Florent Facq se sont penchés sur le contenu des coffres à jouets des tout jeunes enfants et sur les premières interactions éducatives avec les parents pour mieux comprendre la transmission familiale des pratiques culturelles. D’un côté, l’examen du contenu du coffre à jouets montre bien qu’il y a un adressage didactique et éducatif différent selon les milieux sociaux et selon le sexe de l’enfant. De l’autre, il apparaît clairement que les interactions culturelles et éducatives se différencient très précocement entre différents climats sociaux et selon le sexe de l’enfant. Les parents s’investissent très diversement selon leur milieu social, leurs occupations ou encore selon leurs conceptions genrées des activités de l’enfant.

Dans un deuxième temps, le dossier se penche sur l’héritage et sur les sentiments de légitimité ou d’illégitimité que suscite le fait de transmettre un capital à ses enfants. Il ne s’agit plus ici de savoir ce que l’individu doit à ses parents, mais d’en examiner les conséquences et de savoir ce que l’individu en pense. Comment articule-t-il son ancrage dans une lignée avec l’expression de son individualité ?

Luc Arrondel et Cyril Grange proposent une synthèse des études sur la transmission intergénérationnelle des patrimoines. Il en ressort un effet important de la fortune des parents sur celle des enfants. L’ampleur de cette transmission patrimoniale dépend des pays et des époques, mais aussi du niveau de richesse considéré. De toute évidence, la transmission est particulièrement forte pour les familles fortunées et apparaît plus contingente dans les familles faiblement dotées.

Les sondages, et notamment celui qui est étudié dans l’article de Michel Forsé, Alexandra Frénod, Caroline Guibet Lafaye et Maxime Parodi, se succèdent pour montrer que les Français sont plus tolérants à l’égard des inégalités de patrimoine que vis-à-vis d’autres types d’inégalités, même lorsqu’elles sont aussi à caractère économique. Même s’ils connaissent mal les règles et niveaux de taxation des héritages ou donations, ils sont particulièrement réticents lorsque les droits de mutation touchent leur maison familiale. Une enquête par entretiens semi-directifs auprès de trois générations de 35 lignées familiales (n = 105) a permis de mettre à jour trois logiques propres venant structurer les opinions sur la transmission patrimoniale : celle du libre agent, celle de l’égalité citoyenne et celle que l’on peut qualifier de conservatrice ou familialiste. Quelle que soit cette logique, beaucoup d’interviewés soulignent aussi l’importance de la transmission culturelle et/ou affective. Il faut d’ailleurs noter que les membres d’une même lignée ont tendance à partager des opinions assez proches. Pour les niveaux de patrimoine auxquels ils songent spontanément, des niveaux « ordinaires » qui s’avèrent assez peu élevés, ils manifestent une très forte aversion face à l’idée de taxation sur la succession (encore plus lorsqu’il s’agit de la maison familiale). Celle-ci doit être faible. Sinon elle est rapidement perçue comme « confiscatoire ». S’il y a une base pour justifier une taxation sur l’héritage, celle-ci est clairement limitée, dominée même, par les raisons du libre agent et du familialisme. Cette forte résistance à la taxation ne concerne toutefois pas les niveaux de patrimoine jugés extraordinaires, sur lesquels une taxation plus forte justifiée par l’égalité citoyenne n’est cette fois guère contestée.

Enfin, André Masson revient sur l’histoire des idées et des controverses autour de l’héritage et de la fiscalité des successions patrimoniales. Il s’étonne que nous discutions aujourd’hui aussi peu de ces questions qui faisaient autrefois l’objet de débats passionnés alors même sur nous assistons à une patrimonialisation massive de la société, avec tous les problèmes que cela pose tant sur le plan de l’efficacité économique que sur celui de la justice sociale. Selon lui, les débats sur ces questions s’organisent autour de trois philosophies sociales – celle du libre-agent, celle familialiste ou multisolidaire et celle de l’égalité citoyenne – et aucune ne peut l’emporter définitivement sur les deux autres. Selon les époques, ce sont donc des compromis ou des alliances qui donnent le ton politique. Depuis les années 1980, les riches (néo)libéraux et les classes moyennes familialistes ont développé un discours commun qui évacue l’égalité citoyenne. Pour Masson, il faut aujourd’hui envisager de nouvelles coalitions pour faire revenir l’impératif d’égalité sur le devant de la scène.

Les transmissions familiales qu’elles soient de nature culturelle ou économique restent donc, au vu de ces différents articles, un élément très important de structuration de la société. Il y a des évolutions et elles vont plutôt dans le sens d’un affaiblissement, mais elles sont très lentes et s’observent plutôt du côté culturel. Pour la partie économique des héritages, la réticence de l’opinion à une évolution et le peu de débats qui entourent aujourd’hui cette question, pourtant fondamentale, jouent en faveur de l’immobilisme, surtout pour ce qui concerne les patrimoines dont les montants sont jugés les plus courants et/ou qui sont aussi chargés d’une valeur affective.

La place, non contestée et qui demeure objectivement importante, des héritages oblige ainsi à nuancer le propos de ceux qui font de l’individualisme l’élément central du rapport aux autres dans nos sociétés. Elle conforte en revanche, dans un domaine où les disparités sont les plus grandes, les observations de ceux (Dubet, 2014 ; Savidan, 2015) qui soulignent la tolérance aux inégalités – tolérance paradoxale dans une France qui est aussi caractérisée (Forsé et al., 2013) par sa « passion de l’égalité » selon l’expression de Tocqueville.

 

Références

Dubet F., 2014, La préférence pour l’inégalité, Comprendre la crise des solidarités, Paris, Le Seuil, Coll. La République des Idées.

Forsé M., Galland O., Guibet Lafaye C., Parodi M., 2013, L’égalité, une passion française ?, Paris, Armand Colin.

Savidan P., 2015, Voulons-nous vraiment l’égalité ?, Paris, Albin Michel.

 




Des ajustements d’ampleur à attendre pour la zone euro

par Bruno Ducoudré, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot

Les déséquilibres de balance courante sont au cœur du processus qui a mené à la crise de la zone euro à partir de 2009. Les premières années d’existence de l’euro, jusqu’à la crise de 2007-2008, ont en effet été celles du creusement des déséquilibres entre pays dits du Nord (ou du cœur) et ceux dits du Sud (ou de la périphérie) de l’Europe, comme cela est visible sur le graphique 1.

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Le processus de divergence des balances courantes a subi un net coup d’arrêt après 2009 et les déficits extérieurs ont disparu dans la presque totalité des pays de la zone euro. Pour autant, l’écart reste significatif entre pays du Nord et pays du Sud, et on ne peut pas encore parler de reconvergence. Par ailleurs, la résorption des déficits (italiens et espagnols) mais pas des excédents (allemands et néerlandais) a radicalement changé le rapport de la zone euro au reste du monde : alors que la zone avait un compte courant proche de l’équilibre entre 2001 et 2008, un excédent significatif se forme à partir de 2010, pour atteindre 3,3 % du PIB en 2016. Autrement dit, le déséquilibre qui était interne à la zone euro s’est déplacé en un déséquilibre externe entre la zone euro et le reste du monde, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni. Ce déséquilibre alimente le protectionnisme de Donal Trump et implique une tension sur le taux de change. Alors que le change nominal interne à la zone euro n’est pas une variable d’ajustement, le taux de change entre l’euro et le dollar peut s’ajuster.

Maintenir un tel excédent de la zone euro sur le long terme semble peu probable. Certes, les pressions à l’appréciation de l’euro sont aujourd’hui contenues par la politique monétaire particulièrement accommodante de la Banque centrale européenne (BCE), mais lorsque viendra le moment de la normalisation des politiques monétaires, il est probable que l’euro s’appréciera significativement. Outre un impact déflationniste, cela pourrait relancer la crise de la zone, en creusant à nouveau les déficits extérieurs des pays du Sud par une perte de leur compétitivité. Les motifs de sortie de la zone euro s’amplifieront alors.

Dans une étude récente[1] nous cherchons à quantifier les ajustements qui restent à effectuer pour parvenir à résorber ces différents déséquilibres de balance courante, aussi bien à l’intérieur de la zone euro que vis-à-vis du reste du monde. À cette fin, nous estimons des taux de change réel d’équilibre à deux niveaux. D’abord du point de vue de la zone euro dans son ensemble, avec l’idée que l’ajustement du taux de change réel passera par celui du taux de change nominal, notamment de l’euro vis-à-vis du dollar : nous estimons la cible de long terme de la parité euro/dollar à 1,35 dollar pour un euro. Ensuite, nous calculons des taux de change réels d’équilibre au sein même de la zone euro, car si le taux de change nominal entre les pays membres ne varie pas du fait de l’union monétaire, les niveaux de prix relatifs permettent des ajustements de taux de change réel : nos estimations indiquent que des désajustements substantiels subsistent (cf. graphique 2), le désajustement moyen (en valeur absolue) par rapport au niveau de l’euro s’élevant à 11% en 2016. Le différentiel nominal relatif entre l’Allemagne et la France s’élèverait à 25 %.

IMG2_post20-06Dans la situation actuelle, il n’y a plus accumulation de créances de certains pays de la zone euro sur d’autres, mais accumulation de certains pays de la zone euro sur d’autres pays du monde. Cette fois-ci le taux de change (effectif, pondéré par les actifs bruts accumulés) peut servir de variable d’ajustement. Ainsi une appréciation de l’euro réduirait l’excédent courant de la zone euro et déprécierait la valeur des actifs, probablement accumulés en monnaie étrangère. D’autre part, la France apparaît maintenant comme le dernier pays en déficit significatif de la zone euro. Relativement aux autres pays de la zone euro, c’est la France qui contribue (négativement) le plus aux déséquilibres avec l’Allemagne (positivement). Si l’euro s’appréciait, il est probable que la situation de la France serait plus dégradée encore et que l’on retrouverait une situation d’accumulation de position nette interne, mais cette fois-ci entre la France (pour le côté débiteur) et l’Allemagne (créditeur). Ce ne serait pas comparable à la situation d’avant 2012, puisque la France est un plus grand pays que la Grèce ou le Portugal et donc que la question de la soutenabilité se poserait dans des termes très différents. En revanche, la résorption de ce déséquilibre par l’ajustement des prix est d’un ordre de grandeur tel que compte tenu des différentiels de prix relatifs qu’il est vraisemblable de maintenir entre la France et l’Allemagne, il faudrait plusieurs décennies pour y parvenir. Il est d’ailleurs frappant de constater que somme toute, depuis 2012, alors que la France a engagé une coûteuse réduction des coûts salariaux par le CICE et le Pacte de responsabilité d’une part, et que l’Allemagne instaurait un salaire minimum et connaît une dynamique salariale plus franche dans un marché du travail proche du plein emploi d’autre part, le déséquilibre relatif entre la France et l’Allemagne, exprimé en ajustement de prix relatif, n’a pas bougé.

Il faut tirer trois conséquences de cette analyse :

  1. Le déséquilibre qui s’est installé aujourd’hui ne se résorbera que difficilement et toute mesure visant à l’accélérer est la bienvenue. Continuer la progression modérée des salaires nominaux en France, stimuler la progression des salaires nominaux en Allemagne, rétablir en faveur des salaires le partage de la valeur ajoutée allemande, persister dans l’appréciation du salaire minimum sont autant de pistes prolongeant celles que nous avons évoquées dans les différents rapports iAGS. Une TVA sociale inversée, ou du moins une baisse de la TVA en Allemagne serait également un moyen de réduire l’épargne nationale allemande et, en l’accompagnant d’une hausse des cotisations sociales allemandes, d’accroître la compétitivité des autres pays de la zone euro ;
  2. Le déséquilibre interne d’avant la crise est devenu un déséquilibre externe à la zone euro qui induit une pression à l’appréciation effective de l’euro. L’ordre de grandeur est conséquent, il pèsera sur la compétitivité des différents pays de la zone euro et fera réapparaître sous une forme différente le problème connu avant 2012 ;
  3. L’appréciation de l’euro induite par les excédents courants de certains pays de la zone euro génère une externalité pour les pays de la zone euro. Du fait de réponses différentes de leurs balances courantes à une variation des prix relatifs, ce sont l’Italie et l’Espagne qui verront leur balance courante réagir le plus alors que celle de l’Allemagne y réagira le moins. Autrement dit, l’appréciation de l’euro, relativement, dégradera plus la balance courante de l’Italie et de l’Espagne que celle de l’Allemagne et réinstallera un régime de déséquilibre interne presque comparable à celui d’avant 2012. Cette externalité et la moindre sensibilité de la balance courante de l’Allemagne aux prix relatifs plaide pour une réduction des déséquilibres par une progression de la demande interne allemande, c’est-à-dire une réduction de leur épargne nationale. Les outils peuvent être une relance de l’investissement public, une baisse des impôts directs sur les personnes ou encore une augmentation plus rapide du salaire minimum par rapport à la productivité et l’inflation.

[1] Sébastien Villemot, Bruno Ducoudré, Xavier Timbeau : « Taux de change d’équilibre et ampleur des désajustements internes à la zone euro », Revue de l’OFCE, 156 (2018).




Le faucon et la colombe : quel impact des décisions de la Fed et de la BCE sur le taux de change euro/dollar ?

par Christophe Blot, Paul Hubert et Rémi Odry

Après la décision de hausse des taux d’un quart de point décidé par la Réserve fédérale mercredi 13 juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunissait le lendemain pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. A l’issue de cette réunion, Mario Draghi a tenu une conférence de presse au cours de laquelle il a précisé à quelles échéances cesseraient les achats de titres et à quel horizon les taux seraient augmentés. Le canal du taux de change étant un canal majeur de la transmission de la politique monétaire, il est intéressant d’observer comment les marchés ont réagi à ces deux annonces et s’ils ont accordé une plus grande importance à la décision de la Fed ou à celle de la BCE.

La transmission de la politique monétaire dépend de son impact sur les prix d’actifs. Dans la mesure où le prix de ces variables est déterminé en continu sur les marchés, leur variation au moment de ces décisions permet de mesurer l’effet signal des annonces de politique monétaire. Dans un article récent, nous mesurons la réaction du taux de change euro/dollar le jour des réunions de politique monétaire de la Réserve fédérale et de la BCE. Pour des décisions de la même ampleur, nos résultats suggèrent que les marchés seraient généralement plus réactifs aux annonces de la Fed.

L’actualité de la semaine permet également d’illustrer ces différences de réaction. En effet, en l’espace de 24 heures, la banque centrale américaine s’est plutôt montrée « faucon » tandis que la sensibilité de la BCE apparaît plutôt « colombe »[1]. Même si la décision de la Réserve fédérale d’augmenter son taux directeur était anticipée, elle envoie néanmoins le signal que la normalisation de la politique monétaire américaine devrait être légèrement plus rapide que ce qu’anticipaient les marchés en fin d’année 2017[2]. Inversement, en donnant des éléments sur la fin du programme d’achat de titres, réduit en volume mais prolongé jusqu’en décembre 2018, et surtout en annonçant que les taux ne seraient pas remontés avant l’été 2019, la BCE indique clairement que la politique monétaire restera très expansionniste sur l’année à venir. Ces deux décisions ont pour conséquence une dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar. De fait, c’est bien ce qui a été observé à la suite de ces deux annonces (graphique).

Graphe_post18-06Cette fois-ci, les marchés ont accordé plus d’importance à la décision de la BCE qu’à celle de la Réserve fédérale. En effet, sur une fenêtre de 3 heures suivant la publication des décisions, l’euro n’a baissé que faiblement et temporairement après l’annonce de la Réserve fédérale, mais plus fortement et durablement après celle de la BCE. Cette différence s’explique largement par le contenu informationnel des annonces. D’une part, la décision de la Réserve fédérale était largement anticipée et déjà intégrée par les investisseurs sur le marché des changes. Il n’est donc guère surprenant que la réaction n’ait été qu’éphémère. D’autre part, le signal relatif à l’orientation de la politique monétaire était plus marqué pour la décision de la BCE : la Fed a juste annoncé une hausse d’un quart de point de son taux directeur, alors que la BCE a annoncé que son taux n’augmenterait pas dans les 12 prochains mois. Reste à savoir dans quelle mesure cet effet sera durable. Sur ce point, l’analyse développée dans notre article indique que les chocs de politique monétaire en zone euro auraient un effet plus important que ceux liés à la politique monétaire américaine.

 

[1] Cette terminologie (« hawkish » versus « dovish ») permet de qualifier l’attitude des banques centrales selon que leur politique monétaire est plutôt restrictive ou accommodante.

[2] Voir ici.




La Réserve fédérale hausse le ton

par Christophe Blot

Lors de sa réunion du 13 juin, la Réserve fédérale a annoncé une augmentation du taux directeur de la politique monétaire, qui se situe désormais dans une fourchette de 1,75 à 2 %. Jérôme Powell, le nouveau Président de l’institution depuis février justifie cette décision par la situation favorable sur le marché du travail et par l’évolution récente de l’inflation, proche de 2 % lorsqu’on l’on ne tient pas compte des prix alimentaires et de l’énergie[1]. Dans ces conditions, la banque centrale serait en passe de satisfaire ses objectifs, à savoir un emploi maximum et la stabilité des prix, ce qui justifie la poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine.

Alors qu’en fin d’année 2017, les observateurs de la Réserve fédérale pariaient plutôt sur trois hausses des taux en 2018, l’annonce du 13 juin plaide désormais pour une légère accélération du rythme de resserrement monétaire. En ligne avec nos prévisions d’avril, la Réserve fédérale augmenterait encore ses taux à deux reprises en 2018 pour les porter à 2,5 %. Ce changement résulte en grande partie de prévisions de croissance plus optimistes en 2018, soutenue par une politique budgétaire fortement expansionniste. Le PIB augmenterait alors de 2,9 % et le chômage poursuivrait sa baisse pour atteindre 3,6 % en fin d’année 2018, soit un niveau inférieur à celui observé lors des précédents creux observés en 2000 et 2006 où il avait atteint respectivement 3,9 % et 4,5 %. Néanmoins, l’évolution d’autres indicateurs sur le marché du travail – taux d’emploi et taux d’activité – conduisent à nuancer le diagnostic d’une situation économique qui aurait été définitivement rétablie dix ans après le début de la Grande Récession. Le taux d’emploi et le taux d’activité restent en effet inférieurs aux niveaux observés lors du pic de la fin des années 2000, ce qui pourrait contribuer à expliquer l’absence de tensions inflationnistes aux États-Unis malgré un taux de chômage aussi bas.

Pour autant, la politique monétaire américaine restera expansionniste cette année. De fait, le taux directeur en fin d’année 2018 resterait inférieur à celui atteint lors des deux précédents pics d’activité. En 2000 et 2006, la Réserve fédérale avait monté son taux jusqu’à 6,5 % et 5,25 % respectivement. C’est aussi ce que suggère le taux issu d’une règle de Taylor qui permet de déterminer une valeur de référence pour le taux d’intérêt si la banque centrale appliquait une règle systématique où le taux d’intérêt directeur dépend de l’écart de croissance[2] et de l’écart de l’inflation à une cible de 2 %. En fin d’année, le taux simulé issu de la règle de Taylor serait de 4,1 % suggérant que la Réserve fédérale se montre toujours aussi prudente dans sa phase de normalisation de la politique monétaire.

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[1] L’inflation totale s’élevait à 2,4 % en avril.

[2] L’écart de croissance en prévision est calculé à partir de l’évolution de la croissance potentielle du CBO (Congress Budget Office) et des prévisions OFCE du PIB américain.




Espagne : un budget 2018 dans les clous, n’en déplaise à la Commission

Par Christine Rifflart

Avec un déficit à 3,1 % du PIB en 2017, l’Espagne a réduit son déficit de 1,4 point par rapport à 2016 et satisfait ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne. Elle devrait franchir le seuil des 3 % en 2018 sans difficulté et serait donc le dernier pays à sortir de la Procédure pour déficit excessif (PDE), après la France en 2017. Après avoir été présenté à la Commission européenne le 30 avril, le budget 2018 a été voté au Congrès des députés espagnols le 23 mai dans un contexte politique extrêmement tendu qui a conduit le 1er juin à la destitution du président du gouvernement Mariano Rajoy (avec notamment le soutien des élus nationalistes basques du PNV qui avaient voté le budget 2018 quelques jours plus tôt). Il devrait être adopté au Sénat prochainement par une nouvelle majorité. L’orientation expansionniste du budget 2018, validée par le gouvernement du nouveau président socialiste Pedro Sanchez, ne satisfait pas la Commission qui juge l’ajustement des finances publiques insuffisant pour atteindre l’objectif de 2,2 % du PIB repris dans le Pacte de stabilité et de croissance 2018-2021. Selon les hypothèses du gouvernement précédent, non seulement le déficit reviendrait en dessous des 3 % mais la cible nominale serait respectée.

Certes, si, compte tenu de la vigueur de la croissance espagnole attendue en 2018, le déficit public sera facilement inférieur à 3 % en 2018 et répondra donc aux exigences fixées dans le cadre de la PDE, la nouvelle loi budgétaire ne va pas dans le sens de l’orthodoxie budgétaire attendue à Bruxelles. L’absence de majorité au Congrès des élus du Parti Populaire a conduit l’ex-président Mariano Rajoy à des alliances stratégiques avec Ciudadanos et le PNV pour faire adopter le budget 2018 (avec notamment l’espoir d’éviter des élections législatives anticipées), au prix d’importantes concessions :

  • Une hausse du salaire des fonctionnaires de 1,75 %[1] en 2018 et d’au moins 2,5 % en 2019, avec une hausse plus importante si la croissance du PIB est supérieure à 2,5 % (coût estimé à 2,7 milliards en 2018 et à 3,5 milliards en 2019 selon le gouvernement sortant) ;
  • Une baisse des impôts pour les ménages à bas revenus (via la hausse du seuil d’abattement fiscal de 12 000 à 14 000 euros de revenu par an, des crédits d’impôt pour les frais de garde, l’aide aux personnes handicapées et les familles nombreuses, baisse de l’impôt sur les revenus bruts salariaux compris entre 14 000 et 18 000 euros) (coût 835 millions en 2018 et 1,4 milliard en 2019) ;
  • La revalorisation des pensions et des retraites de 1,6 % en 2018 et 1,5 % en 2019 (coût de 1,5 et 2,2 milliards), en plus d’une hausse jusqu’à 3 % des pensions minimales et des non contribuables, et entre 1 et 1,5 % pour les pensions les plus basses (coût 1,1 milliard en 2018).

Selon l’ancien gouvernement, ces mesures coûteraient un peu plus de 6 milliards en 2018 (0,5 % du PIB) et près de 7 milliards en 2019 (0,6 % du PIB). La revalorisation des retraites devrait être en partie couverte par l’introduction d’une taxe sur les activités numériques (Google tax) en 2018 et 2019 dont les recettes sont attendues à 2,1 milliards d’euros. Au final, les dépenses qui devaient baisser de 0,9 point de PIB en 2018 selon les engagements inscrits dans le précédent PSC 2017-2020, ne baisseraient que de 0,5 point de PIB dans le PSC 2018-2021 (à 40,5 % du PIB) (tableau). Mais surtout, malgré les baisses d’impôts qui viennent d’être introduites, le surcroît de recettes attendu du supplément de croissance devrait représenter 0,1 point de PIB (à 38,3 % du PIB). De fait, le caractère redistributif du budget, combiné à la révision à la baisse de l’impact de la crise catalane sur l’économie (0,1 % du PIB selon l’AIReF[2]) ont conduit tous les instituts (Banque d’Espagne, gouvernement, Commission européenne) à relever leurs prévisions de croissance 2018 par rapport à celles de l’hiver dernier de 0,2 ou 0,3 point de PIB pour l’amener légèrement en dessous de 3 % (2,6 % pour l’OFCE selon nos prévisions d’avril[3]).

Table_post13-06Néanmoins, au-delà de l’optimisme partagé sur la croissance espagnole, le chiffrage diverge sur le coût des nouvelles mesures entre autorités espagnoles et Commission. Selon le gouvernement, le surcroît de croissance devrait comme on l’a dit, doper les recettes fiscales et neutraliser le coût attendu des nouvelles dépenses. En 2018, la réduction de 0,9 point du déficit (qui passerait de 3,1 % à 2,2 %) serait donc atteint par l’accroissement de 0,8 point de PIB du solde conjoncturel, combiné à la baisse de 0,2 point des charges de la dette, le solde structurel restant stable (la politique budgétaire deviendrait neutre au lieu d’être restrictive comme inscrit dans la version antérieure du Pacte). Mais ce scénario n’est pas partagé par Bruxelles[4], pour qui le coût des mesures, et notamment de la hausse du salaire des fonctionnaires est sous-évalué. Les dépenses devraient être plus importantes de 0,2 point de PIB et les recettes inférieures de 0,2 point de PIB que ce qui est annoncé par le gouvernement. Selon la Commission, le solde conjoncturel devrait certes s’améliorer de 0,9 point de PIB mais l’impulsion budgétaire dégraderait le solde structurel de 0,6 point de PIB. Dans ces conditions, le déficit franchirait bien la barre des 3 % mais la politique budgétaire deviendrait clairement expansionniste et l’objectif des 2,2 % ne serait pas atteint. Le déficit public se situerait à 2,6 % en 2018 (graphique 1).

IMG1_post13-06Cette orientation plus expansionniste du budget 2018 résulte avant tout de considérations politiciennes de l’ancien gouvernement Rajoy pour débloquer une impossibilité à gouverner (les faits ont d’ailleurs démontré la fragilité de cette posture). Néanmoins, le timing est idéal. Car le seul engagement budgétaire qui s’impose en 2018 est de franchir le seuil des 3 % de déficit afin de sortir du volet correctif du PSC. L’année 2018 rend donc encore possible de mener une politique budgétaire généreuse, tout en franchissant la barre des 3 %, sans s’exposer à des sanctions. La situation aurait été plus délicate en 2019, lorsque s’appliqueront les règles communautaires visant à réduire une dette encore très supérieure au 60 % du PIB, notamment par l’ajustement du solde structurel (graphique 2).

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[1] https://www.boe.es/boe/dias/2018/03/26/pdfs/BOE-A-2018-4222.pdf

[2] https://elpais.com/economia/2018/04/17/actualidad/1523949570_477094.html?rel=str_articulo#1526464987471

[3] Voir la Partie Espagne du dossier :  https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/11-155OFCE.pdf , pp 137-141.

[4] Ni par l’AIReF d’ailleurs.




Taux d’activité et durée du travail : des impacts différenciés sur le taux de chômage

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment du temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité.

En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, les pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait entre autres des réformes des retraites menées. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 2,3 points en France, de 3,1 points en Italie et de 2 points au Royaume-Uni (graphique). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3,2 points à celui observé fin 2017. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage alors même que son taux d’activité croissait. À taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 0,9%. Il reste que les évolutions des taux d’activité résultent aussi de facteurs démographiques structurels si bien que l’hypothèse d’un retour vers les taux de 2007 est arbitraire. Pour les États-Unis, une partie de la baisse du taux d’activité s’explique par l’évolution de la structure de la population. Aussi, le chiffre de sous-emploi peut être considéré comme surévalué.

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,7 points en Allemagne et de 2,9 points en Italie. En France, en Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le temps de travail n’a que faiblement baissé depuis la crise. A durée du travail identique à celle de 2007, le taux de chômage aurait été très légèrement supérieur dans l’ensemble de ces pays.

Notons que les évolutions à la baisse de la durée du travail ont largement précédé la crise économique de 2007 (tableau). Si l’Allemagne a prolongé la dynamique à l’œuvre avant la crise et si l’Italie l’a largement accentuée, la France, l’Espagne et les États-Unis ont continué à réduire leur durée du travail mais de façon moins marquée. Le Royaume-Uni a quant à lui interrompu la baisse du temps de travail entamé avant 2007.

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Budget 2018-2019 : quel impact des mesures socio-fiscales sur le taux d’épargne des ménages ?

Par Pierre Madec et Mathieu Plane

La montée en charge des différentes mesures fiscales prises dans le cadre de la Loi de finances pour 2018 devrait affecter de manière différente les ménages selon qu’ils se situent en bas ou en haut de la distribution des niveaux de vie. Si, globalement, les mesures du budget devraient être quasiment neutres sur le pouvoir d’achat global des ménages en moyenne en 2018, les ménages les plus aisés bénéficieraient dès 2018 des réformes visant à réduire la taxation du capital (suppression de l’ISF et instauration du PFU sur les revenus du capital). Les 17,7 millions de ménages éligibles à l’exonération totale de la taxe d’habitation en 2020 devraient quant à eux voir celle-ci réduite de l’ordre de 30 % dès 2018. Les ménages du bas de la distribution devraient bénéficier des revalorisations de certains minima sociaux et de la Prime d’activité. Les salariés verront leur pouvoir d’achat s’accroître sous l’effet de l’entame de la bascule cotisation/CSG au détriment des retraités et des détenteurs de capital qui verront leur pouvoir d’achat amputé par la hausse de la CSG. Les fumeurs ainsi que les ménages utilisant un véhicule à combustion ou se chauffant au fioul verront leur niveau de vie amputé de l’accroissement de la fiscalité écologique et du tabac. De fait, l’analyse à elle seule de l’évolution du pouvoir d’achat au niveau macroéconomique ne permet pas d’éclairer le débat sur les nombreux transferts s’opérant sous l’effet des nouvelles mesures au sein même des ménages. En 2019, la montée en charge des mesures d’aides aux bas revenus ainsi que le renforcement de la fiscalité indirecte devraient également affecter de manière différente les ménages selon leur position dans la distribution des niveaux de vie.

Ces effets différenciés auront un impact sur le comportement d’épargne et de consommation au niveau macroéconomique. Comme la propension à épargner s’accroît avec le revenu des ménages[1], le taux d’épargne des 5 % les plus aisés est très élevé. Principaux bénéficiaires des mesures discrétionnaires de 2018, ils sont aussi les plus susceptibles d’augmenter leur épargne. À titre d’illustration, le taux d’épargne des ménages appartenant aux 20% les plus modestes est, selon l’Insee, de 3% alors que celui des 10% les plus aisés s’établit à 65%. La politique fiscale a donc de fortes chances de se traduire par une hausse marquée du taux d’épargne des ménages entre 2017 et 2019, hausse que nous chiffrons à 0,2 point (graphique).

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[1] Voir Céline Antonin, « Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 19 -2018/05/09.