L’emploi reprend du service

Par Bruno Ducoudré

La lente amélioration constatée en 2015 sur le front de l’emploi se confirme en 2016. Selon l’Insee, le taux de chômage au sens du BIT [1] s’élève à 9,9% au premier trimestre 2016 en France métropolitaine (10,2% en France hors Mayotte). Il diminue de 0,1 point sur un an, tandis que le taux d’emploi progresse de 0,2 point sur le trimestre et de 0,5 point sur un an. Les dernières statistiques de l’Insee portant sur l’emploi marchand indiquent ainsi 24 400 créations d’emplois salariés dans les secteurs principalement marchands au premier trimestre 2016, et 105 000 en cumul sur les quatre derniers trimestres (cf. graphique 1). Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une poursuite de l’amélioration des intentions d’embauches, le secteur des services marchands restant le principal pourvoyeur d’emplois nouveaux (cf. graphique 2).

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Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’avril 2016, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2016 (+0,3% au deuxième trimestre, puis +0,2% aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois serait suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année. Compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,5 % au deuxième trimestre et de +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres 2016), le taux de chômage atteindrait 9,7% fin 2016 en France métropolitaine (9,5% y compris effet du Plan de formation). Avec une croissance du PIB de 1,6 %, l’année 2016 serait ainsi marquée par une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, permettant une lente baisse du taux de chômage en 2016, baisse qui se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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2012-2014 : l’emploi marchand aux abonnés absents

La période 2012-2014 est marquée par une très faible croissance de l’activité économique qui a lourdement pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-77 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 158 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9% de la population active fin 2011 à 10,1% fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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2015-2017 : le redémarrage

L’année 2015 a vu une accélération des créations d’emplois tirée par la reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+122 000). Elle marque ainsi une transition, avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,2% en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) ont soutenu les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, auraient ainsi permis de créer ou de sauvegarder 45 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois ont été freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[2] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non marchand, la politique de l’emploi a continué de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse du nombre de contrats aidés. L’augmentation est cependant bien moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir (près de 90 000) atteignant un plafond fin 2015. Finalement, l’emploi total a progressé de 166 000 en 2015. Le nombre d’emplois créés étant supérieur à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-53 000 personnes), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 10,0 % de la population active au quatrième trimestre 2015, contre 10,1 % fin 2014.

Pour 2016 et 2017, le retour de la croissance (1,6 % par an) permettrait une fermeture du cycle de productivité [3] et une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, favorisée par les politiques de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité et Prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 pour le seul secteur marchand. A partir de 2016, la politique de l’emploi, hors mesures fiscales, ne soutiendrait plus les créations d’emplois (-9 000 emplois aidés en 2016). Concernant l’année 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. En revanche, le plan de formations (500 000 formations supplémentaires annoncées pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi) monterait en charge au cours de l’année 2016, ce qui freinerait temporairement la hausse de la population active, en transférant une partie des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, et accélèrerait de 0,2 point la baisse du chômage en 2016. Au total, l’accélération des créations d’emplois et les entrées en formation poursuivront la baisse du taux de chômage enclenchée fin 2015. Celui-ci atteindrait 9,5 % de la population active fin 2016 en France métropolitaine et se stabiliserait à ce niveau en 2017, ce qui le ramènerait à son niveau observé au deuxième semestre 2012.

Si l’horizon parait se dégager pour les perspectives d’emploi et de chômage, le rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons que le taux de chômage s’élevait à 7,1% en moyenne en 2008 en France métropolitaine. Avec une baisse de 0,25 point du taux de chômage en moyenne chaque année, il faudrait dès lors attendre l’année 2027 pour retrouver le niveau d’avant-crise. Un retour plus rapide du chômage à ce niveau nécessitera de retrouver des taux de croissance plus élevés à l’avenir, via l’enclenchement d’une dynamique durable et auto-entretenue entre la consommation et l’investissement.

 

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

[2] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.

[3] Il subsisterait 70 000 personnes en sureffectif dans les entreprises fin 2015.




Plan de formation : un effet transitoire sur le chômage en 2016-2017

par Bruno Ducoudré

Lors des vœux présidentiels, François Hollande a annoncé un plan massif de 500 000 formations supplémentaires en 2016 pour les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi (DEFM). Ce sont en fait 350 000 formations supplémentaires qui s’ajoutent au 150 000 déjà annoncées en octobre 2015 lors de la Conférence sociale. Ce Plan s’inscrit dans le Plan d’urgence pour l’emploi, qui comprend notamment une prime à l’embauche pour les entreprises de moins de 250 salariés et des mesures pour l’apprentissage. Dans ce billet, on s’intéresse à l’effet de ce plan de formation sur le chômage au sens du BIT à l’horizon 2017, et non sur les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) inscrits à Pôle emploi[1].

Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Des effets attendus incertains

Le plan de formation peut avoir un effet sur le taux de chômage par deux canaux : un basculement des chômeurs vers l’inactivité et une variation de l’emploi total si les chômeurs formés prennent un emploi vacant.

Les entrées supplémentaires en formation peuvent se traduire par une baisse transitoire du chômage au sens du BIT, les chômeurs en formation étant possiblement temporairement indisponibles pour reprendre un emploi au moment de l’enquête. Ces personnes entrées en formation sont alors considérées comme inactives au sens du BIT. L’effet sur les emplois vacants paraît négligeable à court terme dès lors que les chômeurs qui ne suivent pas de formation sont substituables à ceux en formation.

Par ailleurs, ces formations ciblées sur les demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et de longue durée pourraient avoir un effet positif sur l’emploi total si elles se traduisaient à terme par une baisse des emplois vacants : les taux de retour à l’emploi à 6 mois sont ainsi les plus élevés pour les formations courtes de type « préalables à l’embauche[2] » – Action de Formation Préalable au Recrutement (AFPR) et Préparation Opérationnelle à l’Emploi Individuelle (POEI). A contrario, ces retours à l’emploi plus rapides pourraient se traduire par un retour à l’emploi retardé pour les chômeurs ne bénéficiant pas du dispositif. Plusieurs études sur les trajectoires des personnes sans emploi passées par un dispositif de formation trouvent d’ailleurs peu d’effet de ce passage en formation sur les taux de transition du chômage vers l’emploi[3]. Dans ce cas, l’effet net sur l’emploi total serait nul.

Un impact transitoire et limité sur le chômage

Lorsqu’une personne suit ou a suivi récemment une formation, elle peut être considérée comme inactive au sens du BIT (formation non achevée), comme chômeur (formation en cours d’achèvement et conditions remplies pour être considéré comme chômeur) ou en emploi (la formation s’est achevée et la personne est en emploi). A partir de l’Enquête Emploi en Continu, on peut calculer la probabilité d’être inactif sachant que la personne a déclaré avoir suivi une formation[4] au cours des 3 derniers mois. Parmi les personnes inactives ou au chômage de moins de 50 ans, cette probabilité s’élève à près de 50%[5]. Autrement dit, parmi les chômeurs et les inactifs, 50% de ceux déclarant avoir suivi une formation au cours des trois derniers mois sont considérés comme inactifs au sens du BIT. Si on prend en compte les personnes en emploi, cette probabilité diminue et s’élève à 10% : parmi les personnes inactives, au chômage ou en emploi de moins de 50 ans ayant déclaré avoir suivi une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, 10% sont considérées comme inactives au sens du BIT. Ces proportions donnent ainsi des ordres de grandeur pour l’effet attendu du passage en formation sur l’inactivité et le chômage.

Lors de notre dernier exercice de prévision, nous avons retenu une montée en charge progressive du dispositif à partir du deuxième trimestre 2016, avec 300 000 formations supplémentaires en 2016 et 200 000 en 2017, compte tenu du délai de mise en place des nouvelles formations. La durée des formations est fixée à 2,4 mois, ce qui correspond à la durée moyenne des formations du « Plan 100 000 » en 2014. Une durée moyenne plus élevée se traduirait par une hausse plus marquée du stock de chômeurs en formation, avec un effet plus important sur l’évolution de la population active.

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Nous avons considéré que l’effet du plan de formation sur les emplois vacants serait nul. Si la formation dispensée aux chômeurs de longue durée accroît individuellement leur probabilité de retour à l’emploi, il est à ce stade difficile d’évaluer son impact sur l’emploi macroéconomique car cela suppose de quantifier les emplois non pourvus qui seraient pourvus grâce au plan de formation. Or, compte tenu de la situation générale de l’économie française caractérisée par un output gap négatif et donc un déficit de demande, l’emploi total ne peut augmenter à court terme du simple fait de la formation des chômeurs. L’effort de formation en leur faveur aurait surtout pour conséquence de modifier à court terme leur place dans la file d’attente de l’emploi. Toutefois, un effet négatif se traduirait par une baisse du stock d’emplois vacants et accentuerait la baisse du chômage inscrite en prévision.

Les chômeurs de longue durée entrés en formation en 2016 sortiraient donc provisoirement de la population active pour y être à nouveau comptabilisés en 2017. Compte tenu de ces hypothèses, le nombre de chômeurs en formation passerait ainsi de 257 000 fin 2015 à 363 000 fin 2016 (graphique 1), ce qui correspondrait à une baisse de la population active comprise entre 16 000 et 55 000 personnes en 2016 selon l’impact retenu. Une plus forte concentration des formations sur l’année 2016 se traduirait par une baisse plus rapide du chômage. A contrario, si une partie des formations se substituait aux formations hors « Plan 500 000 », cela réduirait le total des entrées en formation en 2016-2017, et l’effet attendu sur le chômage.

 

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L’effet du Plan de formation sur le taux de chômage atteindrait son maximum au quatrième trimestre 2016, le taux de chômage baissant de 0,05 à 0,15 point. Si l’ensemble des entrées en formation se traduisait par une comptabilisation des personnes en inactivité, l’effet maximum serait porté à –0,5 point de taux de chômage. La fin progressive du Plan de formation ainsi que le retour des personnes en formation au sein de la population active se traduisent par un effet nul du plan de formation sur le chômage dès la fin d’année 2017. Mécaniquement, une montée en charge différente des entrées en formation modifierait le profil de l’impact du Plan de formation sur le taux de chômage, sans pour autant modifier les créations d’emplois.

[1] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie, …) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).

[2] D’une durée maximale de 400 heures, ces formations préalables à l’embauche sont financées par Pôle emploi. Elles permettent au demandeur d’emploi d’acquérir des compétences nécessaires pour occuper un emploi correspondant à une offre déposée par une entreprise à Pôle emploi. Cf. Enquête « sortants de formation prioritaire 2014, » Pôle Emploi, Éclairages et Synthèses, n°17, septembre 2015.

[3] Crépon Bruno, Marc Ferracci, et Denis Fougère, “Training the Unemployed in France: How Does It Affect Unemployment Duration and Recurrence?”. Annals of Economics and Statistics 107/108 (2012): 175–199.

[4] Formation non formelle hors cours de sport et cours liés à des activités culturelles ou de loisirs.

[5] Il apparaît aussi que parmi les inactifs ayant suivi, au cours des 3 derniers mois jusqu’à la semaine de référence de l’enquête, une formation proposée par Pôle emploi ou un autre organisme d’aide à la recherche d’emploi, environ 50% déclarent être indisponibles au motif qu’ils achèvent leur formation.




Le recul industriel trouve-t-il son explication dans la dynamique des services ?

Sarah Guillou

Le vendredi 8 avril 2016, l’Observatoire Français des Conjonctures Economiques a ouvert une série de séminaires trimestriels relatifs à l’analyse du tissu productif. Sa vocation est d’être un lieu de rencontre entre chercheurs et de débat sur l’état, la diversité et l’hétérogénéité des entreprises de l’appareil productif français. Ce débat est aujourd’hui éclairé par l’usage croissant des données d’entreprises. Ce faisant, nous souhaitons enrichir le diagnostic sur les faiblesses et les atouts de la production française dans l’optique de guider l’élaboration de politiques publiques désireuses de renforcer l’appareil productif français.[1]

Le premier séminaire s’est  intéressé au rôle des services dans la désindustrialisation mesurée par le recul de l’emploi industriel dans l’emploi total. En France depuis 2000, l’industrie manufacturière a perdu plus du quart de sa force de travail, soit plus de 900 000 emplois. Une note récente de l’INSEE (Insee Première, No 1592) souligne que le poids de celle-ci dans l’économie a été divisé par deux de 1970 à aujourd’hui. Bien qu’ayant suscité une plus forte attention en France qu’ailleurs, sans doute en raison de la tradition interventionniste française et des difficultés du marché de l’emploi, la désindustrialisation est à l’œuvre dans toutes les économies développées. Ce qui alors interroge sur les tendances structurelles sous-jacentes communes à tous les pays.

Or le recul de l’emploi industriel s’accompagne de créations nettes d’emplois dans les services. On observe par ailleurs que la dynamique des services est en partie gouvernée par des changements des modes de production dans l’industrie. Les produits incorporent un contenu en services de plus en plus important et les entreprises augmentent leur portefeuille de produits de services. La fragmentation des processus de production – accentuée par les opportunités de la globalisation – isole les unités de fabrication à moindre valeur ajoutée des unités « serviciels » à forte valeur ajoutée.

Ces changements des modes de production méritent d’être analysés pour comprendre l’ampleur du phénomène. Il semble que les changements qui s’opèrent au sein de l’industrie soient tout autant les moteurs du déclin industriel que de la montée des services dans l’emploi. Autrement dit, on peut se demander dans quelle mesure la désindustrialisation ne trouve pas son image – sinon son explication – dans la dynamique des services.

Trois contributions ont permis d’apporter des éléments de réponses autour des interrogations suivantes : quelles entreprises manufacturières produisent des services  et avec quel impact sur leur performance ? Quel est le rôle des services dans l’évolution des chaînes de valeurs mondiales ? Les flux internationaux de services se substituent-ils aux flux de marchandises ? On retiendra trois principaux enseignements.

1 – « Servitisation » et recul des emplois manufacturiers sont clairement corrélés

Les produits manufacturés incorporent en effet une quantité de plus en plus importante de services. Cela peut s’observer à la fois par la plus grande part des entreprises qui produisent des services (Crozet et Millet, 2015) et en exportent (Castor et al., 2016) et par la croissance du contenu en services des exportations (Miroudot, 2016)[2].

La croissance de la valeur ajoutée « services » des entreprises peut ainsi faire basculer tout leur emploi dans les secteurs de services, y compris les emplois proprement manufacturiers, si la valeur ajoutée service devient dominante. Aujourd’hui 40% en moyenne de l’emploi manufacturier correspond à des activités de services. Par ailleurs, on observe une accentuation de la fragmentation du processus de production et de la répartition à l’échelle mondiale des activités ainsi externalisées en fonction des avantages comparatifs des localisations. Si l’entreprise garde un ancrage domestique, elle ne conserve le plus souvent sur le marché domestique que les emplois à plus forte valeur ajoutée, en cohérence avec le coût du travail relatif et les qualifications, emplois qui relèvent souvent des services.

Il faut reconnaître que ces changements des modes de production reflètent bien une moindre importance des fonctions de fabrication dans la valeur ajoutée d’un produit, ce qui est en soit un recul du manufacturier parmi les sources de la richesse des nations. Mais il importe de ne pas sous-estimer l’effet de la fragmentation des unités de production. Ainsi, des emplois relevant de fonction de services, autrefois attribués au secteur manufacturier, sont requalifiés en emplois de service alors que la tâche productive sous-jacente n’a pas changé et ceci indépendamment de la localisation à l’étranger.

Toutefois, cette requalification est d’autant plus probable que la « servitisation » s’accélère et s’impose aux entreprises comme un facteur de compétitivité.

2 – La « servitisation » du manufacturier est un facteur de compétitivité

Associé à l’amélioration qualitative des produits et plus généralement à la création de valeur dans le manufacturier, la « servitisation » est un levier de la compétitivité.

Comme le montre Crozet et Millet (2015), la production de services des entreprises manufacturières est un élément qui augmente leurs performances. Les entreprises manufacturières françaises qui produisent des services sont en fait très nombreuses puisque 70% de celles-ci en produisent pour des tiers (chiffres 2007). La décision de produire des services est une rupture importante qui augmente clairement les performances. Ainsi les estimations des auteurs montrent que cette décision augmente la profitabilité, l’emploi, les ventes totales et les ventes de biens. Bien que des variantes sectorielles s’observent, l’effet positif sur les performances est constaté quels que soient les secteurs industriels.

Au niveau agrégé, la part des services importés dans les exportations de biens est également en croissance. Dans les exportations françaises, selon les secteurs, la part des services a atteint entre 30% et 50%. La fragmentation des processus de production conduit à l’externalisation de certaines fonctions de services et à l’approvisionnement en services importés. Cette dynamique va de pair avec l’insertion des économies dans les échanges internationaux, avec le bénéfice des opportunités de la globalisation et au final avec la compétitivité des économies (voir De Backer et Miroudot, 2013).

3 – Les exportations directes ou indirectes de services vont continuer de contribuer positivement au solde commercial

Les évolutions précédentes impactent directement le commerce de services. C’est en effet de plus en plus les services qui alimentent le commerce de produits intermédiaires, ce dernier étant estimé à près de 80% du commerce mondial. La digitalisation, tout comme la différenciation par les services,  entraînent une fragmentation de la production incluant de plus en plus de services.

Le commerce de services en France n’a pas accusé de recul depuis la crise de 2007. Bien que le solde des services décroisse légèrement depuis 2012, il est positif depuis le début du 21e siècle et la croissance des exportations de services est plus dynamique que celle des biens. Troisième exportateur mondial de services – notamment en raison du tourisme – la France va connaître une augmentation du poids des exportations des services dans sa balance commerciale. Certes, pour le moment, le volume des services exportés ne compense pas le solde négatif des biens, mais le développement des échanges intra-firmes en services et des services intermédiaires finira par renverser les poids respectifs.

Le commerce de services est encore plus concentré que le commerce de biens. Il est principalement le fait des entreprises multinationales françaises ou étrangères qui réalisent plus de 90% de ce commerce. Un peu plus de la moitié des échanges se font avec l’Union européenne (UE) mais celui-ci est déficitaire, alors qu’il est excédentaire en dehors de l’UE. Il est intéressant de noter que si le solde est positif quand les entreprises appartiennent à un groupe français, il est déficitaire pour les entreprises qui appartiennent à un groupe étranger (Castor et al., 2016).

En conclusion

Il apparaît que la dichotomie entre industrie et services devient de plus en plus inapte pour décrire la dynamique de l’emploi et la spécialisation productive des économies. Une approche en termes de fonctions productives qui déclinerait l’emploi selon qu’il relève des activités proprement de fabrication des autres activités comme les services de transport ou de logistique, les services administratifs de support ou encore les services de R&D, permettrait une meilleure appréhension des qualifications et des avantages comparatifs d’une nation.

Plus généralement, le dynamisme des services et leur prégnance croissante dans la production et les exportations leur confèrent une place de plus en plus centrale dans la croissance de l’économie. Le renforcement des statistiques relatives à la production et aux exportations de services ainsi qu’une amélioration de l’appréciation de la productivité dans les services sont des préalables à une meilleure compréhension du rôle des services dans la croissance et des leviers à activer.

 

[1] L’organisation du séminaire OFCE sur l’Analyse du Tissu Productif s’appuie sur un comité scientifique composé de : V. Aussilloux (France Stratégie), C. Cahn (BdF), V. Charlet (La Fabrique de l’Industrie), M. Crozet (Univ. Paris I, CEPII), S. Guillou (OFCE), E. Kremp (INSEE), F. Magnien (DGE), F. Mayneris (Univ. Louvain), L. Nesta (OFCE), X. Ragot (OFCE), R. Sampognaro (OFCE), et V. Touzé (OFCE).

[2] Miroudot S. (à paraître 2016), “Global Value Chains and Trade in Value-Added: An Initial Assessment of the Impact on Jobs and Productivity”, OECD Trade Policy Papers, n° 190, OECD Publishing.




Chômage : au-delà des (bons) chiffres de Pôle emploi

Département Analyse et prévision (Equipe France)

La baisse de 60 000 du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A au mois de mars est exceptionnelle. Il faut en effet remonter à septembre 2000 pour trouver un recul de cette ampleur. Au-delà de la volatilité naturelle des statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois, il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. Sur un an, la hausse du nombre d’inscrits à Pôle emploi en catégorie A est de 17 000 personnes. Entre mars 2014 et mars 2015, cette hausse était de 164 000 personnes. Mieux encore, sur les six derniers mois, le nombre des inscrits recule de 19 000.

La catégorie A des demandeurs d’emploi reflète toutefois relativement mal les nombreuses dynamiques à l’œuvre sur le marché de l’emploi. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A les demandeurs d’emploi exerçant une activité réduite (catégories B et C), l’embellie de mars est certes visible, mais plus atténuée. Le nombre d’inscrits en catégorie A-B-C diminue ainsi légèrement en mars (–8 700 personnes) mais aussi sur 3 mois (–23 900).

Néanmoins, une fois encore, au-delà du bon résultat de mars, compte tenu de la dégradation continue du marché du travail et de l’émergence de situations de fragilisation vis-à-vis de l’emploi depuis 8 ans, la situation des ménages vis-à-vis de l’emploi ne connaîtra d’amélioration durable que sous réserve d’accumulation de « bons chiffres » à un horizon de moyen terme.

Des sources statistiques plus pertinentes…

Ces chiffres mensuels ne fournissent qu’une représentation partielle du chômage. Ils omettent notamment les personnes en recherche d’emploi mais non inscrites à Pole Emploi. Concernant les inscrits en catégorie A, sont ainsi comptabilisés les personnes ne réalisant pas de réelle recherche d’emploi car proches de la retraite (voir La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !). De plus, les chiffres publiés par Pôle emploi peuvent être perturbés par des changements de pratique administrative et des incidents techniques ponctuels affectant la gestion des fichiers de Pôle emploi.

Les chiffres fournis trimestriellement par l’INSEE constituent une source plus fidèle pour analyser le chômage. Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Selon ce critère, le taux de chômage en France métropolitaine s’établissait au quatrième trimestre 2015 à 10 % de la population active (+871 000 personnes depuis le quatrième trimestre 2007).

…permettant de mieux mesurer la précarisation du marché du travail

Mais cette définition reste encore restrictive. En effet, elle ne prend pas en compte les situations à la marge du chômage. Ainsi les personnes souhaitant travailler mais considérées comme inactives au sens du BIT, soit parce qu’elles ne sont pas disponibles rapidement pour travailler (sous deux semaines), soit parce qu’elles ne recherchent pas activement un emploi, forment le « halo » du chômage. Au quatrième trimestre, ce halo comptait 1,41 million de personnes (+25 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit 279 000 personnes supplémentaires).

De même, la définition stricte du BIT n’intègre pas les personnes actives occupées mais travaillant à temps partiel et souhaitant travailler davantage ou les personnes en situation de chômage partiel. Au quatrième trimestre 2015, ces situations de « sous-emploi » concernaient 1,7 million de personnes (+18 % par rapport au quatrième trimestre 2007, soit +254 000).

Au total, en intégrant le sous-emploi et le halo à la définition stricte du chômage mesuré par le BIT, ce sont 5,9 millions de personnes qui se trouvent fragilisées vis-à-vis de l’emploi, soit 31 % de plus que 8 ans auparavant et 18,8 % de la population active élargie (graphique 1)[1].

 

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Un chômage multiforme, un marché du travail en transformation

L’analyse du taux de chômage n’englobe donc pas toutes les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail. La hausse du nombre de personnes en situation de sous-emploi s’explique en partie par l’ajustement de la durée effective de travail, via les politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel, notamment le temps partiel subi. Si ces ajustements ont accru le sous-emploi, ils ont également permis de freiner la hausse du chômage au sens strict entamée mi-2008. Sans ces ajustements, autrement dit si la durée effective du travail était restée stable entre 2007 et 2015, le taux de chômage au sens du BIT aurait été en France métropolitaine de 0,6 point supplémentaire au quatrième trimestre 2015 (graphique 2).

Parallèlement à ces ajustements du temps de travail, la France a également connu, depuis le début de la crise, une augmentation de la population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle de la population totale. Ces évolutions s’expliquent notamment par la mise en place de réformes des retraites retardant la sortie d’activité des seniors. Mécaniquement, sans nouvelles créations d’emplois, ce dynamisme de la population active a eu pour effet d’accroître le taux de chômage. Dans le cas de la France, cet impact est massif. En effet, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait en France métropolitaine, toutes choses égales par ailleurs, de 8,2 %, soit 1,6 point de moins que le taux de chômage observé au quatrième trimestre 2015.

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Il faut tout de même noter que si ces ajustements sont importants, les évolutions sur lesquelles ils reposent ne peuvent être intégralement imputées à la crise. En effet, le temps de travail a baissé tendanciellement depuis 1990. Entre 1990 et 2002, la durée effective du travail a en moyenne diminué de 0,9 % par an. Depuis 2003, cette diminution est certes moins rapide mais se poursuit (–0,2 % par an). Parallèlement, l’accroissement du taux d’activité a été continu, sous les effets cumulés de l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail et des réformes successives du système de retraites. Alors qu’il s’établissait à 67,1 % en 1990, le taux d’activité atteignait 69,7 % en 2007. Au quatrième trimestre 2015, il était en France métropolitaine de 71,5 %.

 

 

[1] Entendue comme la population active à laquelle est ajouté le halo.




Le chômage bâti pour durer

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du mois de février 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître une hausse de 38 400 du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A). Si cette hausse est à première vue très forte, elle est à prendre avec prudence. Pour rappel, le nombre d’inscrits à Pôle Emploi avait reculé fortement en janvier du fait d’un changement des règles administratives de réinscription. Ainsi, une partie de la hausse s’explique par la normalisation du nombre de cessations d’inscription pour défaut d’actualisation qui s’établit désormais à 218 000 en février après avoir atteint 239 000 en janvier. Par rapport au mois de décembre 2015, où les changements administratifs ne brouillent pas le signal, le nombre de chômeurs inscrits dans la catégorie A a augmenté de 10 500 personnes.

En février, la hausse des inscrits en catégorie A reflète en grande partie le transfert des inscrits des catégories B (-3 000 en février) et C (-32 300) vers la catégorie A. Au total le nombre d’inscrits en catégories A, B, C augmente légèrement (+3 100) mais reste à un niveau inférieur de 15 200 à celui atteint au mois de décembre. La forte baisse des inscrits en catégorie C, regroupant les inscrits à Pôle Emploi en activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) constitue un signal négatif, à prendre avec prudence, sur le niveau de l’emploi du mois de février.

Ces évolutions mensuelles doivent être mises en regard des évolutions sur plus longue période. Après huit années de crise qui ont bouleversé l’emploi, les évolutions des demandeurs d’emploi par grands domaines professionnels permettent d’appréhender certaines dimensions de ces transformations. Ainsi, entre début 2008 et fin 2015, le nombre d’inscrits en catégorie A, B et C à Pôle Emploi a augmenté de 2,3 millions, celui des inscrits en catégories A de 1,5 million. Ces demandeurs d’emploi supplémentaires en catégorie A proviennent principalement du secteur des services (+ 1,1 million). Le nombre de demandeurs d’emplois issus des secteurs du BTP (bâtiments et travaux publics) et de l’industrie voient, quant à eux leur nombre augmenter respectivement de 200 000 et 170 000 sur cette même période. Rapportées au nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A, ces évolutions montrent une hausse plus rapide des inscrits dans l’industrie et le BTP au début de la crise. Si cette hausse de la part des inscrits issus de l’industrie s’est avérée temporaire (+ 2 points entre début 2008 et début 2009, puis retour au niveau initial début 2011), elle apparaît bien plus durable dans le BTP (+2,2 points entre début 2008 et fin 2015). Depuis 2011, le nombre d’inscrits en catégorie A par grands domaines professionnels croît au même rythme.

 

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Parmi les 74 familles professionnelles répertoriées par la Dares, au sein desquelles nous avons retenu celles ayant un poids significatif[1], les dix qui ont connu la plus forte augmentation depuis début 2008 sont principalement dans le secteur du BTP. En effet, plus de la moitié des dix professions les plus impactées par le chômage se situent dans ce secteur avec une augmentation comprise entre 126 % pour les conducteurs d’engins du BTP et plus de 200 % pour les ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment. En dehors du BTP, les professions ayant connu la plus forte hausse du nombre d’inscrits à Pôle Emploi depuis début 2008 sont les métiers liés à la restauration et au commerce de bouche (148 % pour les cuisiniers et 130 % pour les bouchers, charcutiers, boulangers), ainsi que les aides à domicile et ménagères (+126 %) ou les professionnels de l’action culturelle, sportive et surveillants (+126 %). Ces dix familles professionnelles qui représentaient moins de 13 % des inscrits en catégorie A au début de l’année 2008 ont contribué à hauteur de près de 23 % à la hausse du chômage depuis le début de la crise.

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[1] Leur famille représente au moins 0,5 % du nombre d’inscrits en catégorie A, ce qui correspond à plus de 15 000 inscrits en catégorie A pour une seule famille professionnelle.




Le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré

par Céline Antonin

A l’heure où le débat sur la réforme du marché du travail cristallise les passions en France, l’Italie tire quant à elle les premiers enseignements de la réforme mise en place il y a un an. Il faut dire que la réforme du marché du travail, baptisée Jobs Act, faisait partie des promesses de campagne de Matteo Renzi. Le marché du travail italien souffre en effet de faiblesses chroniques, notamment la segmentation, la dualité entre salariés protégés et non protégés, le fort taux de chômage des jeunes, ou encore l’inadéquation des coûts à la productivité du travail. D’inspiration sociale-libérale, la réforme de Matteo Renzi prône la flexisécurité, avec l’introduction d’un nouveau contrat de travail à durée indéterminé et à protection croissante, une baisse des charges sociales sur les entreprises, et une meilleure indemnisation et un accompagnement des chômeurs. Le premier bilan est certes positif en termes de chômage et de créations d’emploi. Cela étant, il faut se garder de tout triomphalisme hâtif, car cette réforme intervient dans des circonstances particulièrement favorables avec le retour de la croissance, le policy mix accommodant, ou encore la stagnation de la population active.

Jobs Act à l’italienne : les points-clefs

Le Jobs Act n’est en réalité que le dernier né d’une série de mesures, adoptées depuis la Loi Fornero de 2012, visant à flexibiliser le marché du travail.  L’acte I du Jobs Act, ou décret-loi Poletti (DL 34/2014), a été adopté le 12 mai 2014, mais est passé relativement inaperçu, car il ciblait essentiellement les CDD et l’apprentissage. Il permettait notamment d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, supprimait les périodes de carences et permettait un renouvellement plus important des CDD, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise[1].

Le véritable changement est intervenu avec l’Acte II du Jobs Act, dont la loi d’habilitation a été adoptée par le Sénat italien le 10 décembre 2014. Les huit décrets d’application, adoptés au premier semestre 2015 comportent quatre points-clefs :

– La suppression de l’article 18 du Code du travail qui permettait une réintégration en cas de licenciement manifestement abusif : l’obligation de réintégration est remplacée par une obligation d’indemnisation plafonnée[2], mais la réintégration reste de mise en cas de licenciement discriminatoire ;

– La création d’une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée et à protection croissante, intermédiaire entre CDD et CDI : le licenciement est facilité pendant les trois premières années suivant l’embauche et des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté du salarié sont mises en place ;

– La suppression de l’usage abusif des contrats de collaboration[3], contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié, concernant environ 200 000 personnes. Ces contrats devront être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques), sauf pour quelques cas restreints ;

– La réforme de l’assurance chômage, avec une extension des dispositifs d’indemnisation. Ainsi, la durée d’indemnisation est portée à deux ans (contre 12 mois auparavant). Quant aux dispositifs d’indemnisation du chômage « technique », ils sont notamment étendus aux apprentis et entreprises de 5 à 15 salariés[4]. Une Agence Nationale pour l’Emploi (ANPAL) avec l’introduction d’un guichet unique, permettant d’articuler la formation et l’emploi, a également été créée.

Notons que seules les mesures relatives à l’expérimentation d’un salaire horaire minimum[5], qui figurent dans la loi d’habilitation de décembre 2014, n’ont pas été abordées.

Parallèlement au Jobs Act, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (équivalent de la taxe professionnelle) pour les personnes employées en CDI a été supprimée, réduisant d’un tiers environ le montant de l’IRAP. Surtout, la Loi de finances pour 2015 supprime les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche. Cette mesure devrait coûter 3,5 Mds d’euros d’ici 2018. La mesure a été prolongée en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans.

Une forte progression de l’emploi et une baisse du taux de chômage

Depuis le début de l’année 2015, on observe une forte progression de l’emploi, en particulier l’emploi à durée indéterminée : entre janvier 2015 et janvier 2016, le nombre d’actifs occupés a augmenté de 229 000, avec une progression forte du nombre de salariés (+377 000) et un recul du nombre d’indépendants (-148 000).  Parmi les salariés, on note une progression forte du nombre de CDI (+328 000). Ainsi, le nombre de salariés en CDI est revenu à 22,6 millions, aux niveaux de 2009 (graphique 1) ; quant à l’emploi total, s’il ne revient pas encore à son niveau d’avant-crise, la baisse de 2012-2014 est annulée. En revanche, le rythme annuel des créations d’emploi a retrouvé son niveau d’avant-crise, avec une progression de l’ordre de 250 000 par an (graphique 2).

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Outre les nouvelles embauches en CDI, le Jobs Act a conduit à substituer des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, 5,4 millions de nouveaux emplois ont été créés en 2015[6] (+11% par rapport à 2014), principalement à durée indéterminée. Sur les 2,4 millions de CDI créés, on dénombre 1,9 million de nouveaux CDI et 500 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (dont 85 000 contrats d’apprentissage), en forte hausse par rapport à 2014. On constate également une baisse des contrats de collaboration (-45 % entre le troisième trimestre 2014 et le troisième trimestre 2015) et des contrats d’apprentissage (-24,6 %). Signalons également l’augmentation de 4,3 % du nombre de démissions et la réduction de 6,9 % des licenciements.

Cette progression de l’emploi a pour corollaire une baisse marquée du taux de chômage (graphique 3), qui atteint 11,4 % au dernier trimestre 2015 (contre 12,8 % un an auparavant). Cela étant, la baisse du chômage s’explique également par une stagnation de la population active en 2015, à l’inverse des années précédentes marquées par la réforme des retraites.

 

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Des incertitudes demeurent

Matteo Renzi semble avoir gagné son pari. Pourtant, il ne faut pas sur-interpréter cette baisse du chômage. En effet, plusieurs facteurs positifs ont indéniablement contribué à amplifier le phénomène.

On peut tout d’abord relever un effet d’aubaine lié à l’annonce des exonérations de cotisations sociales pour l’embauche en nouveau contrat à durée indéterminée, qui a conduit certaines entreprises à repousser les embauches prévues en 2014 à 2015 (ce qui a eu pour conséquence une hausse du chômage fin 2014). Par ailleurs, une partie de la baisse du chômage est liée à l’effet de substitution des contrats précaires de courte durée par les nouveaux CDI à protection croissante (voir supra). Reste à savoir si les nouvelles flexibilités permises par ces nouveaux contrats seront utilisées dans les trois années qui viennent, et si les ruptures de contrat seront plus nombreuses.

En outre, la stagnation de la population active (graphique 3) a largement amplifié le mouvement de baisse du chômage. Avec l’embellie observée sur le marché de l’emploi, nous anticipons, dans le futur, que la hausse de la population active, amorcée au dernier trimestre de 2015, va se poursuivre en raison d’un effet de flexion[7], qui viendrait amortir l’effet de la création d’emplois en 2016 et 2017.

Par ailleurs, le  Job Act a été adopté dans un contexte de sortie de récession, avec une reprise certes molle (+0,6 % de croissance en 2015), mais néanmoins au-dessus du potentiel de croissance[8]. Le relâchement de la contrainte budgétaire a eu un effet de relance en 2015, qui peut expliquer en partie le reflux du chômage. Quant aux conditions monétaires, elles sont particulièrement favorables, l’Italie étant l’un des principaux bénéficiaires de l’assouplissement quantitatif mis en œuvre par la BCE.

Ces réserves ayant été émises, il est néanmoins indéniable que la baisse des cotisations a eu un impact positif. Le rapport de l’Institut National de Prévoyance Sociale (INPS) de février 2016 montre que sur les 2,4 millions de ces nouveaux CDI créés en 2015, 1,4 million ont bénéficié des exonérations de cotisations employeurs, soit quasiment deux nouveaux CDI sur trois. Par ailleurs, la baisse des contrats précaires au profit de contrats à durée indéterminée, même s’ils sont moins protégés qu’avant, est plutôt un signe encourageant pour l’accès à l’emploi pérenne de populations qui en étaient traditionnellement éloignées (indépendants, contrats de collaboration).

Le principal regret que l’on peut avoir face à cette réforme est l’absence d’un volet dédié explicitement à la formation professionnelle, alors que c’est l’un des principaux points faibles du marché du travail italien. Au sein de l’UE, le pays détient le triste record du nombre de jeunes (15-24 ans) qui ne sont ni en emploi, ni à l’école, ni en formation. Par ailleurs, la formation de la main-d’œuvre est insuffisante et l’investissement en recherche et développement est faible, ce qui se traduit par une faible productivité. Il est légitime de vouloir agir sur le coût du travail et la dualité du marché du travail, mais cela ne peut suffire à résoudre la question de la productivité et de l’inadéquation de la main-d’œuvre. Par conséquent, Matteo Renzi serait bien inspiré de prévoir un acte III de la réforme de l’emploi pour enfin sortir le pays de la stagnation.

 

[1] voir C. Antonin, Réforme du marché du travail en Italie : Matteo Renzi au pied du mur, Note de l’OFCE n°48.

[2] L’indemnité économique est déterminée par un barème en fonction de l’ancienneté du salarié. Elle équivaut  à deux mois du dernier salaire par année d’ancienneté, pour un total qui ne peut être inférieur à 4 mois de salaire et plafonné à 24 mensualités.

[3] « Statut intermédiaire entre salariat et travail indépendant, destiné à des travailleurs non soumis à un lien de subordination mais « coordonnés » avec l’entreprise et créateur de certains droits sociaux. Il s’agit de travailleurs indépendants mais qui, dans les faits, dépendent d’une seule entreprise cliente (qui exerce des pouvoirs de direction limités, par exemple en matière d’organisation du travail et de temps de travail)», E. Prouet, Contrat de travail, les réformes italiennes, France Stratégie, La Note d’Analyse, n°30, mai 2015.

[4] D’autres mesures concernant le chômage technique sont également prévues, notamment le fait que le chômage technique d’un salarié ne peut dépasser 80 % du total des heures travaillées. En outre, la durée maximale pendant laquelle une entreprise peut avoir recours au chômage technique est au maximum de 24 mois sur cinq années glissantes.

[5] Il n’y a pas de salaire minimum généralisé en Italie, mais des salaires minima fixés au niveau des branches, comme c’était le cas en Allemagne avant 2015.

[6] Ce chiffre de 5,4 millions représente les créations brutes d’emploi, tous types d’emplois confondus (en cumulant notamment tous les CDD à très court terme), et sans tenir compte des destructions d’emplois. Si l’on considère le chiffre des créations nettes d’emploi, on retient le chiffre de 229 000 entre janvier 2015 et janvier 2016.

[7] Quand le chômage augmente, les personnes en âge de travailler sont découragées de se présenter sur le marché du travail. À l’inverse, lorsque l’emploi redémarre, certains sont incités à revenir sur le marché du travail, ce qui ralentit la baisse du chômage ; c’est ce phénomène que l’on appelle l’effet de flexion.

[8]  « La croissance tendancielle de productivité du travail est faible en Italie ; par conséquent, la croissance de la production permet de créer davantage d’emplois en Italie qu’en France par exemple, où la productivité du travail est plus forte ».




Chômage : baisse incertaine mais hausse certaine des inscrits de longue durée

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du chômage du mois de janvier 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la hausse enregistrée au mois décembre (+15 800), une baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 27 900 personnes. Si ce chiffre semble encourageant (une baisse d’une telle ampleur n’a pas été observée depuis 2007), il est à relativiser. D’une part, le changement de pratique administrative opéré par Pôle Emploi[1] s’est traduit par une augmentation anormale des sorties pour défaut d’actualisation (239 000 contre 207 000 en moyenne mensuelle en 2015). D’autre part, la forte volatilité des chiffres mensuels au cours des derniers mois est le signe d’un marché du travail dans lequel les créations d’emplois ne sont pas suffisantes pour faire baisser durablement le chômage.

Il est vrai que la hausse du nombre des sorties de Pôle Emploi pour motif de reprise d’emploi déclaré (+5,1% sur trois mois) constitue un signe positif laissant penser que la reprise attendue est en marche. Malgré tout, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas permis d’enrayer la montée continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+9,1% en un an). Ainsi, dans un contexte de croissance quasi-nulle en moyenne depuis 2008 et une dégradation continue du marché du travail,  la part des inscrits depuis un an et plus en catégories A, B, C est en augmentation depuis la mi-2009 (31 % environ), et atteint un niveau historique, représentant 45,4 % de l’ensemble des inscrits en catégories A, B, C (graphique 1). Cette hausse s’explique notamment par la montée du chômage des seniors (+8,9 % sur un an) : la montée en charge des réformes de retraite successives (2003, 2010), couplée à la suppression des dispenses de recherche d’emploi pour les seniors, a conduit à un allongement de la durée d’activité et à un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Dans un contexte de faible croissance, la hausse du taux d’emploi des seniors a été insuffisante pour absorber la dynamique de population active de cette classe d’âge, avec pour conséquence une hausse du chômage des plus de 50 ans (voir La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !).

La relative amélioration du marché du travail attendue dans les mois qui viennent trouverait sa source dans une légère amélioration de la croissance et la montée en charge du plan de formation des chômeurs annoncé par F. Hollande fin décembre 2015. Néanmoins, cette amélioration se diffusera lentement aux demandeurs d’emploi de longue durée. En effet, la transmission aux demandeurs d’emploi de longue durée de la baisse du nombre d’inscrits en catégorie A est relativement longue (graphique 2). Lors de la baisse importante du nombre d’inscrits observée à la fin des années 2000, il avait fallu attendre près d’un an et demi pour que la baisse enregistrée des inscrits en catégorie A se traduise par une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée. Les mécanismes de reprise d’emploi sont ainsi sujets à une inertie importante.

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   Légende : DEFM : Demandeurs d’emploi en fin de mois.

[1] Du fait de ce changement méthodologique, les demandeurs d’emploi ont eu un jour de moins pour effectuer leur actualisation, entraînant de fait une augmentation importante du nombre de radiations pour cause de défaut d’actualisation (+1,5 sur trois mois).




La suppression de la Dispense de recherche d’emploi : quand les gouvernements augmentent volontairement le décompte des chômeurs !

par Gérard Cornilleau et Bruno Ducoudré

Entre le dernier trimestre de 2008 et le troisième trimestre de 2015, le chômage, mesuré au sens du BIT[1], a augmenté de 962 000 personnes en passant de 2 millions à 2,9 en France métropolitaine, soit une hausse de l’ordre de 48 % (+2,8 points de taux de chômage). Le chômage des seniors de 55 ans et plus a plus que doublé, passant de 122 000 à 303 000 personnes entre 2008 et 2014 (+3 points de taux de chômage). Le nombre de demandeurs d’emplois de 55 ans et plus enregistré par Pôle emploi en catégorie A (celle qui se rapproche le plus de la définition du chômage par le BIT) a quant à lui augmenté de 372 000 entre les fins décembre 2008 et 2014, ce qui correspond à un quadruplement des seniors demandeurs d’emploi. Dans le même temps, le total des demandeurs d’emploi de catégorie A[2] passait de 2,25 millions à 3,25 soit une hausse de l’ordre de 53 %. Peu concernés par le chômage avant la crise, les seniors auraient donc connu une forte dégradation de leurs situations absolue et relative. Cette évolution était attendue car le recul de l’âge de la retraite implique que les seniors restent actifs  plus longtemps : certains en emploi d’autres au chômage. C’est bien ce que l’on a observé avec une augmentation de 11 points du taux d’emploi des 55-59 ans et de plus de 9 points de celui des plus de 60 ans entre 2008 et 2014. Le bilan de l’évolution de la situation des seniors sur le marché du travail au cours de la crise est donc contrasté : d’un côté, on a observé une hausse importante de l’emploi dans un contexte de crise ; de l’autre, le nombre de chômeurs a fortement augmenté, ce qui confirme la difficulté de retrouver un emploi après 55 ans et la situation fragile des actifs en fin de carrière.

Ce constat doit être nuancé car au cours de la même période une réforme administrative est venue perturber la mesure du chômage des seniors. Jusqu’en 2008, les plus de 50 ans pouvaient en effet être dispensés de recherche d’emplois. Cette dispense leur évitait d’avoir à actualiser mensuellement leur inscription à l’ANPE (puis à Pôle emploi) lorsqu’ils étaient, en pratique, en attente de leur départ en retraite. Pour les demandeurs d’emploi approchant l’âge légal de la retraite ayant un horizon de vie active très court[3], le plus souvent indemnisés et à peu près certains de ne pas pouvoir retrouver un emploi, cette mesure permettait de mettre en cohérence leur position administrative avec la réalité de leur situation : ces personnes, à quelques mois de la retraite, n’étaient effectivement pas à la recherche d’un emploi et il n’était ni réaliste, ni socialement justifié de leur imposer des actions de recherche active d’emploi ou la participation à une formation inutile.

La possibilité d’être dispensé de recherche d’emploi a toutefois été supprimée au motif de ce qu’elle pouvait être incitative à la sortie prématurée de l’activité. La DRE (Dispense de recherche d’emploi) ne concernait que les demandeurs d’emploi et elle ne prenait place qu’une fois la sortie d’activité réalisée. Contrairement à la préretraite, qui garantissait en plus une rémunération jusqu’à la retraite dont le montant était en général plus élevé que l’indemnisation du chômage, elle ne constituait donc pas une incitation importante. On a d’ailleurs pu observer qu’une fois cette dispense supprimée, le nombre de sorties d’activité vers le chômage n’a pas diminué. Les seuls effets auront été sociaux en imposant aux chômeurs âgés une recherche « active » sans grandes chances d’aboutir, et statistique en majorant le nombre des demandeurs d’emploi de catégorie A.

L’impact de la suppression de la DRE sur la statistique du nombre de demandeurs d’emploi explique probablement une part de la hausse du chômage des seniors âgés de 55 ans et plus. Autrement dit le changement de « thermomètre » lié à la disparition des DRE aura biaisé à la hausse l’évolution du chômage depuis 2008. Contrairement à l’habitude, le traitement statistique aura ainsi été à rebours de l’objectif habituel de minoration du chômage. Mais dans quelle proportion ?

Pour évaluer la dérive statistique du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, on fait l’hypothèse que si l’on avait maintenu la dispense de recherche d’emploi, le taux de DRE aurait évolué parallèlement à l’allongement de la durée séparant les seniors de 55 ans et plus de l’âge de la retraite requis pour bénéficier du taux plein de la retraite[4]. Ce déplacement homothétique du taux de DRE et de l’âge de la retraite aurait conduit à une légère baisse du taux de DRE moyen dont nous avons donc tenu compte.

Le graphique 1 montre que le biais qui résulte de la suppression de la DRE est très important. La disparition de la DRE expliquerait la moitié de la hausse du nombre d’inscrits de 55 ans et plus depuis 2008 : l’augmentation observée de 557 000 chômeurs n’aurait été que de 224 000 ; en fin d’année 2015, le niveau observé du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A aurait été plus faible de 330 000.

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Corrigé de la suppression des dispenses de recherche d’emploi, la hausse du nombre de seniors demandeurs d’emploi de plus de 55 ans apparaît moins marquée : il aurait augmenté de 224 000 entre décembre 2008 et décembre 2015 alors que la population active correspondante augmentait dans le même temps de plus de 1,1 million[5].

L’impact de la suppression de la DRE sur le taux de chômage au sens du BIT peut également être évalué à partir de l’enquête emploi[6]. La plus grande partie des DRE est considérée comme inactive (84% en 2008), les autres personnes se déclarant dispensées étant soit considérées comme chômeurs au sens du BIT (9% en 2008), soit en emploi (7% en 2008). Pour évaluer l’impact de la suppression de la DRE sur le taux de chômage, on suppose le maintien du ratio de personnes inactives en DRE sur « inactifs DRE + chômeurs » à son niveau de 2008, par âge pour les 55-65 ans, en faisant évoluer ce taux à partir de 2010 pour prendre en compte le décalage de l’âge minimum de liquidation de la retraite. Il en résulte que le taux de chômage au sens du BIT aurait été inférieur de 0,4 point à son niveau observé en 2014, soit 110 000 chômeurs de moins au sens du BIT[7]. Le taux de chômage des 55-64 ans aurait augmenté de 0,6 point entre 2008 et 2014 contre 3,3 points observés.

 

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Ce diagnostic qui relativise la hausse du chômage des seniors observée depuis 2008 ne dit rien de la situation financière et sociale des sans-emplois de 55 ans et plus : le maintien des dispenses de recherche d’emploi les aurait simplement sortis de la catégorie A des demandeurs d’emploi, sans changer leur situation en matière de revenus.

Etablir un bilan précis de la suppression de la DRE est difficile et nous n’avons pas tenté de l’établir ici. Il est toutefois utile de rappeler que la situation des seniors au chômage est très hétérogène entre ceux, chômeurs de longue durée, qui ne disposent que d’une faible indemnisation du chômage ou du RSA[8] et les « faux préretraités » ayant pu négocier une rupture conventionnelle de leur contrat de travail et bénéficiaires, jusqu’au moment de leur retraite, d’une indemnisation pleine. Ces deux catégories très différentes sur le plan social, ont en commun d’avoir très peu de chance de retrouver un emploi. On peut d’ailleurs facilement imaginer qu’elles sont très peu actives à cet égard. Leur maintien en catégorie A est dans ces conditions parfaitement illusoire.

La DRE entérinait une situation de fait qu’on a voulu ignorer en la supprimant. Dès lors, on a créé une situation assez hypocrite dans laquelle les seniors sortis de l’emploi sont sommés d’en rechercher un activement, fusse quelques mois avant leur départ en retraite, alors que l’état du marché du travail ne permet pas d’envisager que ces démarches puissent aboutir.

Le traitement social du chômage, qu’on a diabolisé au motif de la désincitation au travail, mériterait certainement d’être réintroduit pour les seniors en fin de carrière exclus de leur emploi par accident (faillite de l’entreprise, fermeture de site, …) ou en accord avec leur entreprise par le biais d’une rupture conventionnelle avantageuse. Cette gestion sociale devrait sans doute s’appuyer sur plusieurs actions selon qu’elle viserait à retenir dans l’emploi les seniors[9], ou à améliorer les revenus et la situation sociale des chômeurs de longue durée âgés ou à très faibles ressources. Des emplois subventionnés réservés aux seniors (sur le modèle des emplois jeunes) pourraient par exemple aider ceux qui sont encore loin de l’âge de la retraite. Enfin la dispense de recherche d’un emploi pour ceux qui sont proches du départ en retraite, accompagnée d’une meilleure indemnisation pour les moins favorisés, ferait disparaître une exigence absurde d’activité et permettrait une réduction du nombre des inscrits en catégorie A qui est, comme on le sait, un objectif politique majeur des gouvernements. Il est assez paradoxal que pour d’assez mauvaises raisons, très liées à l’idéologie du « tout travail », les gouvernants aient finalement agi pour augmenter le nombre des demandeurs d’emplois comptabilisés et par ricochet le nombre de chômeurs BIT.

[1] Le chômage au sens du BIT regroupe les actifs sans emploi (i.e. n’ayant pas travaillé, ne serait-ce qu’une heure, dans la semaine de référence de l’enquête), à la recherche active d’un emploi et disponible pour en occuper un. La catégorie A des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle emploi regroupe les sans-emplois n’ayant pas du tout travaillé dans le mois et soumis à une obligation de recherche active d’emploi.

[2] France métropolitaine.

[3] En 2008, 80 % des dispensés de recherche d’emploi avaient 58 ans et plus. Seuls 3 % avaient moins de 56 ans. Le nombre de DRE pour lesquels un effort de recherche d’emploi aurait été justifié par une espérance de vie en activité de l’ordre de cinq ans était donc très réduit. En pratique les DRE s’appliquaient bien à des chômeurs très proches de l’âge de la retraite.

[4] Le nombre de dispensés de recherche d’emploi avant 55 ans est très faible. Il a été négligé dans les calculs présentés ici.

[5] Précisément, d’après les données de l’enquête emploi, de 1,184 million entre les moyennes annuelles de 2008 et 2014.

[6] Jusqu’en 2012, les personnes âgées de 55 à 65 ans se déclarant dispensées de recherche d’emploi sont identifiables dans l’enquête. Pour 2013 et 2014, on utilise le nombre de DRE donné par la DARES, que l’on impute par âge à partir de la répartition par âge donnée par la DARES pour 2013. La répartition des DRE entre actif/inactif/chômeur au sens du BIT est celle de l’enquête emploi pour 2012.

[7] L’écart entre la hausse des demandeurs d’emploi liée à la suppression de la DRE et la hausse des chômeurs au sens du BIT s’explique par le fait qu’au sein des demandeurs d’emploi en DRE, une partie des seniors peut exercer une activité, ou rechercher activement un emploi et être ainsi considérée comme chômeur dans l’enquête emploi. L’écart s’explique aussi par la différence des sources de données : données administratives pour la DARES-Pôle emploi contre données d’enquête pour l’Insee.

[8] Les plus de 60 ans bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du RSA bénéficient en outre d’une prime transitoire de solidarité (PTS) de 300 € par mois

[9] Pourquoi pas une autorisation administrative pour les ruptures conventionnelles concernant les plus de 55 ans ? La législation actuelle prévoit déjà une homologation des ruptures conventionnelles mais le contrôle de l’administration ne porte que sur le respect des formes (délais de rétractation conforme, montant des indemnités, etc.) et sur la vérification de la liberté de consentement des parties. Pour les plus de 55 ans il serait possible d’élargir le champ du contrôle de manière à tenir compte de l’intérêt général et des conséquences, y compris pour l’assurance chômage, des arrangements opportunistes entre salariés et entreprises permettant de réintroduire un système opaque de préretraites démissions.




2015 : huitième année de hausse du chômage

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Depuis le mois de juin 2015, le nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A inscrits à Pôle Emploi oscille d’un mois sur l’autre entre hausse et baisse. Cette forte volatilité, qui reflète un marché du travail atone dans lequel les créations d’emplois ne sont pas suffisantes pour faire baisser durablement le chômage, est directement liée à une croissance molle de l’économie française. Ainsi, après un mois de novembre 2015 relativement favorable (-15 000 DEFM en catégorie A), le mois de décembre a vu à nouveau une hausse du nombre de chômeurs (+15 800), venant annuler la baisse du mois précédent. En outre, pour la première fois depuis le mois de mai 2015, toutes les catégories d’âge ont vu, en décembre, leur nombre de DEFM en catégorie A augmenter.

Au final, pour la huitième année consécutive, le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A à Pôle Emploi a augmenté en France métropolitaine. Avec le retour d’une croissance plus élevée, cette hausse est néanmoins plus faible que les années précédentes : +90 000 personnes en 2015 contre +200 000 en moyenne entre 2011 et 2014. Cette augmentation a touché massivement les demandeurs d’emploi âgés de 50 ans et plus (+69 000 en 2015), tandis que les inscrits de moins de 25 ans sont en retrait (-22 000 en 2015).

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La montée en charge des réformes de retraite successives (2003, 2010), couplées à la suppression des dispenses de recherche d’emploi pour les séniors, a conduit à un allongement de la durée d’activité et à un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Dans un contexte de faible croissance, la hausse du taux d’emploi des séniors a été insuffisante pour absorber la dynamique de population active de cette classe d’âge, avec pour conséquence une hausse du chômage des plus de 50 ans.

En revanche, la diminution du nombre de jeunes au chômage résulte de deux facteurs principaux. Premièrement les politiques de l’emploi développées depuis 2013 ciblent particulièrement les jeunes avec la mise en place des emplois d’avenir. Deuxièmement, les faibles créations d’emplois observées dans le secteur marchand se font principalement sous la forme d’emplois temporaires (CDD, intérim), type d’emploi dans lequel les jeunes sont particulièrement représentés (34,2 % des jeunes en emploi sont en CDD ou en intérim contre 8,4 % des autres catégories d’âge). Cette évolution peut être rapprochée de l’augmentation observée en catégories B et C (+170 000 en 2015 contre 97 000 en moyenne entre 2011 et 2014). Ainsi, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas entraîné de sorties du chômage tel que mesuré par Pôle Emploi, n’enrayant ainsi pas la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+9,5% en an).

L’année 2015 n’aura donc pas été celle de l’inversion de la courbe du chômage. Rappelons qu’il faut un taux de croissance du PIB supérieur à 1,4% pour que les créations d’emplois permettent d’entamer une baisse du chômage, et seul un retour prolongé de la croissance au-delà de ce seuil serait à même d’enclencher une baisse durable des inscrits à Pôle emploi en catégorie A.




Chômage : la douche froide

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Après un mois de septembre encourageant sur le front du chômage (-24 000 inscrits en catégorie A), l’augmentation en octobre de 42 000 demandeurs d’emploi en catégorie A inscrits à Pole Emploi ressemble à une douche froide. C’est en effet le plus mauvais chiffre mensuel depuis 25 mois. Le basculement d’un certain nombre de chômeurs des catégories B (-6 800) et C (-22 100) vers la catégorie A confirme l’idée que la sortie de certains demandeurs d’emploi en catégorie A, par le biais de contrats de très courte durée, n’a été que provisoire : une part importante de ces contrats n’a a priori pas été renouvelée ou transformée en contrats de plus longue durée.

Bien que les enquêtes de conjoncture sur les perspectives d’emploi soient en amélioration, notamment dans les services, cela montre combien la sortie de crise est fragile, les entreprises hésitant à s’engager dans un cycle d’embauches au sein d’un environnement macroéconomique encore très incertain. Eponger les surcapacités de production héritées de la crise prendra du temps et la timide reprise de la croissance (+0,3% au 3e trimestre et +0,4% attendu au 4e trimestre 2015) n’est pas encore suffisante pour inverser la courbe du chômage.

Seule nouvelle positive, le chômage des jeunes de moins de 25 ans en catégorie A se stabilise en octobre 2015. Il est en baisse de près de 20 000 depuis le début de l’année, et se situe à un niveau comparable à celui observé fin 2012. Cela confirme que les politiques d’emplois aidés ciblées sur les jeunes, en particulier les emplois d’avenir, fonctionnent. A l’inverse, faute de véritable reprise sur le marché du travail, avec 2 436 600 chômeurs inscrits en catégories A, B et C depuis plus d’un an, le chômage de longue durée atteint de nouveaux records de mois en mois.

Ce maintien du chômage à un niveau élevé se traduit aussi par une déformation de sa composition. La part des demandeurs d’emploi de longue durée (ceux inscrits depuis plus d’un an) dans l’ensemble des inscrits en catégories A, B et C a crû de 15 points, passant de 29,8 % en avril 2009 à 44,8 % en octobre 2015. Cette évolution préoccupante témoigne de la difficulté de certaines personnes à pouvoir s’extraire du chômage. Les frémissements du marché du travail depuis le début de l’année ont profité en priorité aux chômeurs les moins éloignés de l’emploi.

L’allongement de la durée au chômage s’accompagne d’une perte des droits à l’indemnisation au-delà de 2 ans (3 ans pour les 50 ans et plus) qui se traduit par une dégradation de la situation personnelle des sans-emploi. La part des demandeurs d’emploi indemnisés, passée de près de 50 % au début de 2009 à environ 41 % aujourd’hui évolue à l’inverse de celle des demandeurs d’emploi ayant deux ans d’ancienneté ou plus, cette dernière s’étant accrue de 10 points depuis 2009.

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