Marché du travail : le taux de chômage est-il un bon indicateur ?

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

Entre la zone euro d’une part et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, les évolutions des taux de chômage sont à l’image des divergences de croissance mises en évidence au sein de notre dernier exercice de prévision. Alors qu’entre 2008 et la fin 2010, les dynamiques des taux de chômage étaient proches en zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis et reflétaient la forte dégradation de la croissance, des différences apparaissent à partir de 2011. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le chômage diminue depuis 2011 tandis qu’il amorce une seconde phase de hausse dans la plupart des pays de la zone euro (tableau 1), après un très bref repli. Ce n’est que plus récemment que la décrue s’est réellement engagée en Europe (fin 2013 en Espagne et début 2015 en France et en Italie). Au final, sur la période 2011-2015, le taux de chômage a continué de croître (+2,7 points) en Espagne. En Italie, cette dégradation du marché du travail s’est même accentuée (+4,5 points, contre 2,2 points entre début 2007 et fin 2010). Dans une moindre mesure, la France n’est pas épargnée.

Malgré tout, l’analyse des taux de chômage ne dit pas tout des dynamiques à l’œuvre sur les marchés de l’emploi (tableaux 2 et 3), et notamment sur le sous-emploi. Ainsi la plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail[1], via des politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du marché du travail américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité. Ce dernier s’établissait au premier trimestre 2015 à 62,8 %, soit 3,3 points de moins que 8 ans auparavant.

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Afin de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, il est possible, sous un certain nombre d’hypothèses[2], de calculer le taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux Etats-Unis, où le taux d’activité s’est fortement réduit depuis 2007, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait des réformes des retraites dans plusieurs pays. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés. Ainsi, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,6 point en France et de 1,1 point en Italie (tableau 4). A contrario, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2015. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-4,2 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de 3,1% (graphique 1).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points en Allemagne et en Italie et d’environ 1 point en France et en Espagne, pays dans lequel la durée du travail ne s’est réduite fortement qu’à partir de 2011. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le constat est tout autre : le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays.

Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

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[1] La durée du travail est ici entendue comme le nombre d’heures travaillées totales par les salariés et les non-salariés (i.e. l’emploi total).

[2] Il est supposé qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage. L’emploi et la durée du travail ne sont ici pas considérés en équivalent temps plein. Enfin, ne sont pas pris en compte ni les possibles « effets de flexion » ni le « halo du chômage »




Le marché du travail sur la voie de la reprise

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du mois de septembre 2015 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la hausse enregistrée du mois d’août (+20 000), une baisse significative du nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pole Emploi et n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 23 800 personnes.  Si ce chiffre est encourageant, il est à mettre en regard avec les augmentations observées en catégories B et C (+25 600). Ainsi, si des reprises d’emploi ont bien eu lieu, elles n’ont pas entraîné de sorties du chômage tel que mesuré par Pôle Emploi, n’enrayant ainsi pas la hausse continue du nombre de demandeurs d’emploi de longue durée (+10,4% en an). Malgré tout, ces évolutions viennent conforter les enseignements tirés de l’analyse conjoncturelle et visant à mettre en lumière l’enclenchement d’une reprise de l’activité.

Après 76 000 emplois créés en France en 2014 grâce au dynamisme des emplois non-marchands, le premier semestre 2015 a été marqué par une augmentation des effectifs dans le secteur marchand (+26 000) conduisant à une accélération des créations d’emplois dans l’ensemble de l’économie (+45 000) sur la première moitié de l’année. Les statistiques récentes portant sur l’emploi confirment cette tendance à l’accélération pour le troisième trimestre 2015 : ainsi sur un an, les déclarations d’embauche de plus d’un mois enregistrées par l’Acoss augmentent de 3,7 %, après +0,7 % au trimestre précédent. Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une hausse des intentions d’embauches au troisième trimestre, celles-ci étant redevenues positives depuis le début de l’année dans le secteur des services, et le creux dans la construction ayant été vraisemblablement atteint en début d’année (cf. graphique 1).

Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’octobre 2015, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2015 (+0,1 % aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois resterait toutefois trop faible pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année, compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015) et de la présence de sureffectifs dans les entreprises, que nous évaluons à 100 000 au deuxième trimestre 2015. Le taux de chômage se stabiliserait ainsi à 10 % jusqu’à la fin de l’année. Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait marquée par une nette accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand une fois les sureffectifs absorbés par les entreprises, permettant une baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Cette baisse se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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Les trois dernières années de faible croissance ont pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-73 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non-marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non-marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 164 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9 % de la population active fin 2011 à 10,1 % fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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L’année 2015 marque une transition, avec une reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+73 000 prévus sur l’ensemble de l’année) et un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non-marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,1% prévu en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) soutiendraient les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, permettraient de créer ou de sauvegarder 42 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois seraient freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[1] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non-marchand, la politique de l’emploi continue de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse des contrats aidés. L’augmentation est cependant moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir atteignant un plafond en 2015 (graphique 2). Finalement, l’emploi total progresserait de 103 000 en 2015, ce qui permettrait une stabilisation du taux de chômage à 10 % d’ici la fin de l’année.

Pour 2016 et 2017, l’accélération de la croissance (avec respectivement 1,8 % et 2 %) combinée à la poursuite de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail et à la fermeture du cycle de productivité courant 2016 permettraient une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 238 000 en 2016 et 245 000 en 2017 pour le seul secteur marchand, soit un rythme comparable à celui observé entre la mi-2010 et la mi-2011 (+234 000 emplois créés). En revanche, en 2016, le nombre de contrats aidés dans le non-marchand prévu dans le Projet de loi de finances pour 2016 baisse par rapport aux années antérieures (200 000 CUI-CAE et 25 000 emplois d’avenir en 2016 contre respectivement 270 000 et 65 000 pour l’année 2015). Pour 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. (cf. graphique 2). Au total, le retour durable des créations d’emplois dans les entreprises enclenchera la baisse du taux de chômage à partir du deuxième trimestre 2016. Bien que poussive, cette baisse devrait être durable, le taux de chômage atteignant 9,8 % de la population active fin 2016 et 9,4 % fin 2017.

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[1] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.




France : retour sur désinvestissement. Prévisions 2015-2017 pour l’économie française

par  Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Ce texte résume les perspectives économiques 2015-2017 de l’OFCE pour l’économie française

 

Après un mouvement de reprise hésitant au premier semestre 2015 (avec des taux de croissance respectivement de 0,7 % et 0 % au premier et au deuxième trimestre), l’économie française enregistrerait une faible croissance au second semestre, affichant au final une hausse du PIB de 1,1 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. Avec un taux de croissance du PIB de +0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015, rythmes équivalents à ceux de la croissance potentielle, le taux de chômage se stabiliserait à 10 % jusqu’à la fin de l’année. La consommation des ménages (+1,7 % en 2015), favorisée par le redressement du pouvoir d’achat lié en particulier à la baisse du prix du pétrole, soutiendrait la croissance en 2015 mais l’investissement des ménages (-3,6 %) et celui des administrations publiques (-2,6 %) continueraient de freiner l’activité. Dans un contexte de croissance molle et de consolidation budgétaire modérée, le déficit public continuerait sa lente décrue, pour atteindre 3,7 % du PIB en 2015.

Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait celle de la reprise, marquée par la hausse du taux d’investissement des entreprises. En effet, tous les facteurs d’une reprise de l’investissement sont réunis : d’abord le redressement spectaculaire du taux de marge depuis la mi-2014 grâce à la baisse des coûts d’approvisionnement en énergie et à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité ; ensuite le niveau historiquement bas du coût du capital, favorisé par la politique monétaire non conventionnelle de la BCE ; enfin l’amélioration des perspectives d’activité. Ces facteurs permettraient une accélération de l’investissement des entreprises en 2016, qui  augmenterait de 4 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. La consommation des ménages resterait soutenue en 2016 (+1,6 %), tirée par les créations d’emplois dans le secteur marchand et par une légère baisse du taux d’épargne. Alimenté par la remontée des mises en chantier et des permis de construire, l’investissement en logement repartirait (+3 %), après quatre années successives de contraction. Sous l’effet de la dépréciation passée de l’euro et des politiques de compétitivité poursuivies par le gouvernement, le commerce extérieur contribuerait positivement à la croissance (+0,2 point de PIB en 2016, soit une contribution identique à celle de 2015). Une fois les effets du contrechoc pétrolier épuisés, l’inflation reviendrait à un rythme positif mais toujours faible en 2016 (+1 % en moyenne annuelle après deux année de quasi-stagnation), soit un rythme proche de l’inflation sous-jacente. Le rythme de croissance trimestriel du PIB en 2016 serait compris entre 0,5 et 0,6 %, déclenchant la fermeture progressive de l’écart de production et la lente baisse du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 %. Le déficit public se réduirait de 0,5 point de PIB, sous l’effet des économies réalisées sur la dépense publique, au travers notamment de la contraction de l’investissement public (-2,6 %), de la faible croissance de la consommation des administrations publiques (+0,9 %), et sous l’effet de la remontée des recettes fiscales avec la reprise de l’activité.

Sous l’hypothèse d’un environnement macroéconomique durablement favorable, la fermeture de l’écart de production devrait se poursuivre en 2017. Avec une croissance du PIB de 2 %, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB et repasserait sous la barre des 3 % pour la première fois depuis 10 ans. Grâce aux politiques de l’emploi et la résorption des sureffectifs effectuée dans les entreprises, le taux de chômage continuerait à baisser pour atteindre 9,4 % de la population active à la fin de l’année 2017.




Pas encore de « cessation » de la hausse du chômage

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Les chiffres du chômage du mois de mai 2015 font à nouveau apparaître une hausse de 16 200 personnes inscrites en catégorie A, hausse certes moindre qu’en avril (+26 200), mais qui ne laisse toujours pas entrevoir à l’horizon l’inversion de la courbe du chômage. Cette hausse ininterrompue du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Le regain de croissance du PIB au premier trimestre (+0,6  % selon les comptes détaillés publiés par l’INSEE ce matin)  n’a pas encore produit ses effets sur l’emploi qui, lui, a stagné. Pour l’heure, les entreprises profitent du surcroît d’activité pour résorber les sureffectifs hérités de la crise. Ce n’est qu’une fois la reprise inscrite dans la durée que l’augmentation de l’emploi pourra se traduire en baisse du chômage. Les délais d’ajustement de l’emploi à l’activité, de l’ordre de trois trimestres, n’augurent pas de retournement du marché du travail à brève échéance.

Le dernier épisode de croissance en France avait d’ailleurs été trop bref pour imprimer un repli du nombre de demandeurs d’emploi après la récession de 2008-2009. Avec une croissance moyenne de 0,7 % par trimestre entre le quatrième trimestre 2009 et le premier trimestre 2011, le nombre de chômeurs s’était tout au plus stabilisé (graphique 1).

Depuis le deuxième trimestre 2011, la croissance est retombée à un niveau très faible (+0,1 % en moyenne par trimestre) et le chômage est reparti à la hausse. Une inflexion est toutefois apparue au début de 2013, avec une progression mensuelle divisée par deux en moyenne grâce à la reprise du traitement social du chômage, par le biais de la création d’environ 100 000 emplois aidés dans les secteurs non-marchands, et par l’enrichissement de la croissance en emploi dû à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité.

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Avec l’accélération progressive de la croissance et la montée en charge des différentes mesures en faveur de l’emploi, une (lente) amélioration est à entrevoir au cours du second semestre 2015.

La spectaculaire baisse des sorties de Pôle Emploi

L’augmentation de +69 600 des inscrits à Pôle Emploi en catégorie A, B et C sur le seul mois de mai, soit le plus mauvais chiffre enregistré depuis le mois d’avril 2009 au plus fort de la récession, a de quoi surprendre. Le nombre de ces chômeurs au sens large, comprenant les personnes sans emploi mais aussi celles en activité réduite, a été perturbé par des variations inhabituelles de sorties de Pôle Emploi. Ainsi environ 43 % des sorties de Pôle Emploi sont dues à des « cessations d’inscriptions » en raison du non renouvellement mensuel de la demande d’emploi pour des raisons non précisées mais qui peuvent être liées par exemple à une reprise d’activité, à un effet de découragement, à une indisponibilité temporaire ou même à un oubli. En moyenne, sur les cinq dernières années, ces « cessations d’inscriptions pour défaut d’actualisation » s’élevaient à près de 200 000 par mois. Certains mois, le motif de sortie peut connaître de fortes variations, perturbant temporairement les statistiques du chômage. Par exemple, en août 2013, le bug SFR (graphique 2), lié à une panne informatique chez l’opérateur, a empêché de nombreux demandeurs d’emploi d’actualiser leur situation, ce qui a entraîné une forte hausse de ces « cessations d’inscriptions » (+260 100). Mécaniquement, sous l’effet du flux très élevé de sorties de Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d’emploi en catégories A, B et C a baissé de 43 800 en août 2013. Le mois suivant, avec un nombre de « cessations d’inscriptions » revenant à un niveau proche de sa moyenne de long terme, les chiffres du chômage avaient logiquement fortement augmenté (+56 400 en septembre 2013), corrigeant l’effet de la baisse artificielle du mois précédent.

Pour les chiffres du mois de mai 2015, le phénomène a été l’inverse de celui observé lors du bug SFR d’août 2013. En effet, constatant que le nombre de demandeurs d’emploi ayant actualisé leur situation à la suite de la relance habituelle était sensiblement plus faible que d’ordinaire, Pôle Emploi a procédé à deux relances supplémentaires, ce qui a conduit à un niveau inhabituellement bas des cessations d’inscription (+160 600) par rapport à la tendance historique (201 300). Cela a augmenté mécaniquement les effectifs des catégories A, B et C, effet que Pôle Emploi chiffre entre 28 000 et 38 000. Or, si le mois prochain, le nombre de « cessations d’inscriptions » revenait à un niveau proche de sa moyenne de long terme, cela se répercuterait à la baisse sur le nombre de chômeurs en catégorie A, B et C, sans pour autant que ce dégonflement ne soit le fruit d’un changement sur le marché du travail. On ne saurait donc insister suffisamment sur la nécessaire prudence quant à l’interprétation des statistiques du chômage mois par mois.

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Chiffres du chômage : retour des frimas en avril

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Alors que le ralentissement de la hausse des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi au premier trimestre 2015 pouvait être vu comme la prémisse de l’inversion tant espérée de la courbe du chômage, la publication de ce jour fait à nouveau douter de sa possibilité, tout au moins à court terme. L’inscription de 26 200 personnes supplémentaires à Pôle Emploi en catégorie A durant le mois d’avril ramène la hausse des demandeurs d’emplois à des rythmes élevés, bien supérieurs à ceux enregistrés depuis deux ans (13 400 par mois en moyenne) et très loin de la quasi stabilité du premier trimestre (+ 3 000 par mois).

Alors que les perspectives de reprise s’affirment avec la publication d’une forte croissance du PIB au premier trimestre (+0,6 %), on ne peut qu’être déçu d’un tel chiffre. Rappelons toutefois que l’emploi ne répond pas immédiatement aux stimulations de l’activité; les bénéfices de la bonne croissance du début de l’année sur le marché du travail ne seront engrangés qu’avec retard, quand la solidité de la reprise sera avérée et poussera les employeurs à recruter. Pour le moment, les entreprises digèrent encore les sureffectifs hérités de la période de très faible croissance que l’on a observée entre 2011 et 2014. La baisse du chômage, envisageable avec la reprise, ne peut donc s’amorcer que dans la seconde moitié de 2015. Mais l’accélération des inscriptions en avril donne le signal inverse.

La dégradation est générale parmi toutes les composantes des demandeurs d’emploi : hommes, femmes, et toutes les catégories d’âge. Le nombre de chômeurs âgés de moins de 25 ans repart à la hausse depuis deux mois (9 500 personnes). Mais ces évolutions, habituellement volatiles, sont toutefois à considérer avec prudence : elles viennent en contrepoint d’une diminution équivalente au cours de deux premiers mois de 2015. Sur un an, la hausse n’est que de 11 900, et l’interruption de la montée du chômage des jeunes depuis avril 2013 signe un succès de la politique de l’emploi ciblée sur cette catégorie (cf. graphique). L’annonce du Ministre du Travail de la création de 100 000 emplois aidés supplémentaires témoigne de la volonté du gouvernement, peut-être trop tardive, de renforcer ce dispositif au moment où les perspectives conjoncturelles s’améliorent.

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Chômage et emploi des femmes: de moindres inégalités?

par Françoise Milewski

La dégradation du marché du travail a touché différemment les femmes et les hommes depuis le début de la crise. Les évolutions récentes montrent que les formes des ajustements diffèrent. Les inégalités de sexe produisent des évolutions différenciées de l’emploi et du chômage, qui conduisent en retour à des formes spécifiques d’inégalités.

Depuis le printemps 2008, les demandes d’emploi de catégorie A[1] se sont accrues pour les hommes et les femmes, mais bien davantage pour les premiers (93% contre 60%). L’évolution a été plus heurtée pour les hommes, au fil des cycles de l’activité industrielle et des politiques publiques, en particulier des mesures de chômage partiel.

Les demandeurs d’emploi sont plus nombreux que les demandeuses d’emploi depuis novembre 2008. En décembre 2014, les hommes constituaient 52,9% des demandes d’emploi. Mais cette répartition est proche des parts respectives dans la population active et dans l’emploi. C’est la situation antérieure qui était anormale : les femmes, minoritaires sur le marché du travail étaient majoritaires dans le chômage de catégorie A.

Cependant, les demandes d’emploi en activité réduite[2], c’est-à-dire les chômeurs ayant un emploi à temps partiel mais inscrits à Pôle emploi car désirant travailler davantage, sont surtout des femmes (55,4%), une proportion sans grande variation par rapport au début de la crise. Et les femmes restent surreprésentées dans la catégorie B, en activité réduite de courte durée. La hausse des demandes d’emploi en activité réduite a été plus tardive et moins heurtée que celle de la catégorie A. Elle fut aussi moins différenciée selon les sexes.

Au total, si l’on prend en compte les demandes d’emploi des catégories A, B et C, les demandeurs d’emploi sont très légèrement plus nombreux que les demandeuses d’emploi depuis l’été 2014 (50,2% en décembre 2014). C’est une nouvelle caractéristique du marché du travail (graphique 1).

Cette caractéristique est vraie pour les moins de 25 ans et les 25 à 49 ans. En revanche, les femmes de plus de 50 ans demeurent plus nombreuses au chômage que les hommes, du fait d’un niveau important des demandes d’emploi en activité réduite.

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Les effets de la non-mixité des métiers et des secteurs d’emploi

Les évolutions de l’emploi expliquent ces tendances. Les femmes travaillent surtout dans le tertiaire, les hommes davantage dans l’industrie et le bâtiment. Or les plus fortes destructions d’emploi se sont produites dans l’industrie et le bâtiment. Le tertiaire – traditionnellement moins cyclique – a peu supprimé d’emplois, et en a même créés certaines années (de 2010 à 2012, puis en 2014) si l’on réaffecte l’intérim aux secteurs utilisateurs. Ces créations ont été de faible ampleur, mais l’emploi des femmes a moins souffert de la crise, en tout cas différemment. Il a reculé en 2009, s’est ensuite un peu accru, puis stabilisé. C’est certes une rupture de tendance au regard du rythme de croissance des années 1980, 1990 et 2000, mais la différence avec l’emploi des hommes est manifeste : celui-ci s’est nettement replié en 2009, puis de nouveau en 2012 et 2013. Les années 1980 et 1990 étaient déjà des années défavorables pour l’emploi des hommes.

La non-mixité des métiers résulte d’une formation scolaire et professionnelle sexuée et la produit en retour. Elle explique le fait que les débouchés sectoriels diffèrent à ce point. Les emplois de services, en particulier à la personne, sont l’apanage des femmes, dont les compétences, censées être « innées », les conduisent à faire dans la sphère marchande ce qu’elles font déjà dans la sphère familiale : soigner, éduquer, s’occuper des autres, nettoyer.

Ainsi, les inégalités dans l’orientation professionnelle ont une contrepartie « positive » en emploi, du moins si l’on s’en tient au nombre d’emplois. Mais la mauvaise qualité de certains emplois et leur sous-valorisation en découlent aussi.

Une évolution des taux d’emploi plus favorable aux femmes

La mise en relation des taux d’activité et d’emploi avec les taux de chômage (au sens du BIT[3]) permet de préciser à la fois les écarts entre les femmes et les hommes et les profondes différences selon les âges.

Tous âges confondus, les femmes ont accru leur taux d’activité sur la période 2008-2014 (de 2,3 points). Leur taux d’emploi a baissé entre 2008 et 2010 puis s’est redressé ensuite, dépassant son niveau d’avant-crise. Le taux de chômage s’est donc fortement accru dans la première période de la crise, puis s’est stabilisé, avant de progresser à nouveau depuis le début de 2012, la hausse du taux d’emploi restant inférieure à celle du taux d’activité. Le taux d’emploi à temps complet a d’abord baissé puis s’est stabilisé, tandis que le taux d’emploi à temps partiel a un peu progressé. La part du temps partiel dans l’emploi est un peu supérieure à celle du début de 2008, mais seulement d’1 point.

Pour les hommes, le taux d’activité s’est très faiblement accru (+ 0,6 point) et le taux d’emploi a significativement baissé (- 2,1 points), d’où la hausse plus importante du taux de chômage. La baisse du taux d’emploi des hommes vient essentiellement de celle du taux d’emploi à temps complet. Le niveau du taux d’emploi à temps partiel étant encore très faible, sa progression a peu d’impact sur l’ensemble. La part du temps partiel dans l’emploi des hommes passe cependant de 5,5% au printemps 2008 à 8% au troisième trimestre 2014.

Ainsi, les taux d’emploi en équivalent-temps-plein divergent : celui des hommes recule sur toute la période tandis que celui des femmes, après un repli au début de la crise, se redresse modérément mais continûment depuis (graphique 2).

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Le halo autour du chômage[4] s’est accru, tout particulièrement chez les hommes (+ 37,4% contre + 8,8%), mais les femmes demeurent surreprésentées (56,9% du total fin 2014).

Ces évolutions moyennes recouvrent cependant des évolutions très différenciées selon les âges. La stabilisation du taux d’activité des hommes résulte d’une baisse tant pour les jeunes que pour les 25-49 ans et d’une hausse pour les plus de 50 ans. Mais la hausse du taux d’emploi des seniors est insuffisante pour compenser le repli des autres catégories. Pour les femmes, seul le taux d’activité des 15-24 ans recule, et la hausse du taux d’emploi des plus de 50 ans compense la baisse du taux pour les jeunes et celle, modérée des 25-49 ans.

Les salarié-e-s âgé-e-s particulièrement touché-e-s

L’activité, l’emploi et le chômage des seniors sont atypiques car cette tranche d’âge a été fragilisée par les effets des reports de l’âge de la retraite. Les évolutions des taux de chômage par sexe sont parallèles et les niveaux proches. La hausse des taux d’activité est forte depuis 2009 : pour les hommes, elle intervient après une longue période de repli jusqu’en 1995, une remontée ensuite du fait de la réforme des retraites de 1993, puis de nouveau un repli (modéré) entre 2003 et 2008. La remontée depuis 2009 s’est essoufflée en 2013 et 2014 (du fait des mesures de cessation d’activité à 60 ans pour carrière longue, qui concernent en pratique surtout les hommes). Pour les femmes, la hausse est continue depuis 1990 : après un palier entre 2005 et 2008, la hausse s’est accélérée, sans le tassement en fin de période constaté pour les hommes. Cette hausse plus régulière pour les femmes répercute la montée des taux d’activité des jeunes générations dans les décennies précédentes. La hausse des taux d’emploi ayant été moindre que celle des taux d’activité, le chômage s’est accru pour les deux sexes. La difficulté de retrouver un emploi a aussi gonflé les taux d’emploi à temps partiel, tout particulièrement pour les femmes. La part du temps partiel dans l’emploi atteint 10,2% pour les hommes en fin de période (mais nettement en deçà encore de celle des femmes : 33,4%).

Le taux de chômage des 25-49 ans s’est accru pour les deux sexes, surtout pour les hommes, d’où la convergence du niveau des taux depuis la fin de 2012. Pourtant, le taux d’activité des hommes a un peu baissé depuis le début de la crise, à l’inverse de celui des femmes qui s’est stabilisé en moyenne sur la période. Le recul des taux d’emploi est très marqué pour les hommes (- 5,2 points), moins ample pour les femmes (- 1,7 point). C’est également le cas pour les taux d’emploi à temps complet. La part du temps partiel dans l’emploi des hommes augmente un peu mais reste très faible (à peine plus de 5%) et elle se stabilise pour les femmes. L’évolution des taux d’emploi en équivalent-temps-plein diffère sensiblement : baisse marquée pour les hommes, faible baisse pour les femmes. La dégradation du volume d’emploi concerne donc particulièrement les hommes. Mais les niveaux restent encore très différents.

Les jeunes femmes tirent moins bien parti de leur formation

C’est dès le début des années 2000 que les taux de chômage des hommes et femmes de moins de 25 ans se sont rejoints, à l’inverse des autres tranches d’âge. Depuis, les évolutions ont été proches. Les taux d’activité diffèrent significativement, en niveau : celui des femmes demeure de 7 points environ inférieur à celui des hommes. Le recul des taux d’activité depuis le début de la crise est uniforme, tout comme celui des taux d’emploi. Faute de pouvoir trouver un emploi, les jeunes prolongent leurs formations.

C’est le taux d’emploi à temps complet qui a le plus baissé, en particulier pour les jeunes hommes. Le taux d’emploi à temps partiel n’a pas compensé ce repli : il est resté stable pour les hommes, sauf depuis la fin de 2012, où il s’accroît un peu, et il a diminué pour les femmes (mais modérément).

Il est frappant de constater que même pour cette tranche d’âge, la différence de niveau entre les taux d’emploi à temps partiel est importante (de l’ordre de 4 points). Les tâches parentales ne peuvent pourtant pas être invoquées ! C’est donc du côté des types d’emplois selon les métiers et les secteurs d’activité que la cause est à rechercher. La part du temps partiel dans l’emploi des femmes atteint presque 35% en fin de période, contre 17% pour les hommes. Celle-ci est cependant en hausse marquée depuis six trimestres. Il est encore trop tôt pour affirmer qu’il s’agit d’une rupture de tendance, la crise conduisant les jeunes hommes à accepter des emplois qu’ils n’acceptaient pas antérieurement, ou bien qu’ils s’orienteraient davantage vers les secteurs tertiaires, moins touchés.

Le niveau de la formation est à l’avantage des femmes. Or il est manifeste, d’une part, que le diplôme protège du chômage et de la crise (les plus forts taux de chômage étant ceux des non ou peu qualifié-e-s), d’autre part que les filles réussissent mieux à l’école et sortent en moyenne plus diplômées du système scolaire. Comment alors comprendre que le taux de chômage soit équivalent entre les sexes ? Une étude de l’INSEE sur les débuts de carrière avait été menée en 2010, sur la période 1984 à 2008[5]. Elle montrait que les femmes étaient nettement plus au chômage que les hommes au cours des cinq premières années de vie active au début des années 1980, mais que l’écart avait diminué et que les taux de chômage s’étaient rejoints en 2002. En 2007 et 2008, le taux de chômage des femmes était même devenu plus faible que celui des hommes en début de carrière, grâce à l’élévation de leur niveau de formation. A niveau de formation identique, les jeunes hommes s’inséraient mieux, le plus souvent : le taux de chômage des jeunes femmes restait plus élevé et leurs salaires inférieurs, du fait des spécialités de formation choisies. L’INSEE estimait qu’à diplôme, spécialité et durée d’insertion identiques, elles avaient un risque de chômage supérieur de 7% à celui des hommes, au cours des premières années de vie active.

Qu’en est-il depuis la crise ? Le CEREQ mène des enquêtes d’insertion sur le devenir des jeunes sortis du système éducatif. La dernière de ces « Enquêtes générations » a été faite en 2013 sur la génération 2010[6]. Elle montre la dégradation due à la crise et la très forte différenciation selon le niveau de diplôme. En 2013, trois ans après leur sortie du système éducatif, 22 % des jeunes étaient encore en recherche d’emploi. C’est le niveau le plus haut jamais observé dans les enquêtes du CEREQ. La hausse, par rapport à la génération 2004, est de 16 points pour les non-diplômé-e-s, de 3 points pour les diplômé-e-s du supérieur long.

Les femmes, plus diplômées, résistent mieux à la crise. Pour la génération 2010 (à l’inverse de la génération 2004), le taux d’emploi des hommes diminue pour s’aligner sur celui des femmes et le taux de chômage des femmes est inférieur à celui des hommes. Les jeunes hommes sont davantage confrontés au chômage de longue durée. Cet avantage relatif des femmes est dû à leur meilleur niveau d’étude, dont la progression est supérieure à celle des hommes.

Mais les inégalités sur le marché du travail, en défaveur des femmes, subsistent : à niveau de diplôme comparable, quel qu’il soit (des non-diplômés au niveau Bac+5, sauf au niveau doctorat), le taux de chômage des femmes est supérieur à celui des hommes (graphique 3). Ainsi, le moindre chômage des femmes est seulement dû à leur niveau de formation plus élevé et celui-ci n’exerce pas son plein effet.

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Une recomposition des inégalités

Les inégalités entre les femmes et les hommes se recomposent mais demeurent. Le chômage des femmes s’est moins accru dans la crise que celui des hommes. Cela est dû, en premier lieu, à la répartition sectorielle de leurs emplois (surtout dans le tertiaire) et à la non-mixité des métiers. En second lieu, l’élévation du niveau de formation moyen permet aux femmes de mieux résister à la crise, mais avec une ampleur plus faible que ce qu’elle devrait être. Il ne suffit donc pas de patienter pour que le temps produise son effet : même dans les jeunes générations, les discriminations perdurent à l’embauche et dans les premières années de vie active. A moins qu’il faille attendre le moment (hypothétique et guère souhaitable) où des générations de femmes très qualifiées côtoieront des générations d’hommes non qualifiés pour que les inégalités sur le marché du travail s’atténuent…

C’est aussi du côté de la qualité de l’emploi que se situe l’enjeu : le temps partiel se développe parmi les hommes, en particulier les plus âgés et les plus jeunes, mais demeure surtout répandu parmi les femmes, sur lesquelles repose l’essentiel des tâches parentales. Mais le temps partiel est aussi plus fréquent parmi les femmes de moins de 25 ans, qui y sont encore peu confrontées.

Les emplois de services, en particulier à la personne, offrent des débouchés aux moins qualifiées, mais souvent à temps partiel. Faut-il y voir une plus grande acceptation des « mauvais » emplois par les femmes ?

C’est donc bien une recomposition qui s’opère : les femmes élèvent leur niveau de formation et celles qui ont une qualification élevée, de plus en plus nombreuses, s’insèrent sur le marché du travail de façon stable. Cependant, elles tirent moins bien parti de leur formation, non seulement en termes de salaires et de déroulement de carrière, mais aussi dès leur entrée dans la vie active, y compris en termes d’emploi et de chômage. Les moins qualifiées d’entre elles sont particulièrement pénalisées et forment l’essentiel de la précarité, qui s’étend. La déréglementation du marché du travail tend à amplifier les inégalités en contraignant les plus fragiles sur le marché du travail à accepter des emplois à temps partiel à horaires réduits mais de grande amplitude. Il ne suffit donc pas d’attendre pour que les inégalités disparaissent ou même s’atténuent.

 


[1] Catégorie A : demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, sans emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi.

[2] Demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, tenus de faire des actes positifs de recherche d’emploi, ayant exercé une activité réduite courte (78 heures ou moins au cours du mois) pour la catégorie B, ou une activité réduite longue (plus de 78 heures au cours du mois) pour la catégorie C.

[3] Un chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui n’a pas travaillé, ne serait-ce qu’une heure, au cours de la semaine donnée, est disponible pour travailler dans les deux semaines et a entrepris des démarches  actives de recherche d’emploi dans le mois précédent (ou a trouvé un emploi qui commence dans les trois mois). Le taux de chômage est le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de personnes en activité (en emploi ou au chômage).

[4] Le halo autour du chômage regroupe les personnes qui n’ont pas d’emploi et qui souhaitent travailler, mais qui ne sont pas considérées comme chômeurs selon les normes du BIT car elles ne sont pas disponibles pour travailler dans les deux semaines et/ou ne recherchent pas d’emploi.

[5] « Femmes et hommes en début de carrière. Les femmes commencent à tirer profit de leur réussite scolaire », Alice Mainguené et Daniel Martinelli, Insee Première, n° 1284, février 2010,

http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=ip1284.

[6] « Face à la crise, le fossé se creuse entre niveaux de diplôme », Christophe Barret, Florence Ryk, Noémie Volle, Bref CEREQ n° 319, mars 2014, http://www.cereq.fr/index.php/publications/Bref/Enquete-2013-aupres-de-la-Generation-2010-Face-a-la-crise-le-fosse-se-creuse-entre-niveaux-de-diplome.




Combien d’euros par emploi créé ?

Par Guillaume Allègre, @g_allegre

Pacte de responsabilité, CICE, allégements de cotisations : peut-on réduire l’évaluation de ce type de mesures au coût en euros de chaque emploi créé ? Si l’évaluation est évidemment importante, le chiffre final fait souvent l’objet d’une mauvaise interprétation ou d’une utilisation abusive dans le débat public, et ce par des personnes de parfaite bonne foi. Pour certains commentateurs, un coût par emploi créé très élevé, largement plus élevé que le coût réel moyen d’un emploi public (ou privé), est un gâchis d’argent public qui serait mieux utilisé ailleurs : en crèches, dans l’éducation ou la police nationale.

Ce type de raisonnement s’appuie sur une interprétation erronée des milliards en jeu. Pour le comprendre, faisons l’expérience de pensée suivante : prenons deux mesures fiscales, disons A et B, qui ont pour objet d’alléger le coût du travail afin de créer des emplois. La mesure A crée 200 000 emplois et coûte ex post (c’est-à-dire après prise en compte des emplois créés et interaction avec les autres dispositifs sociaux et fiscaux) 20 milliards et 1 euros à l’Etat et aux administrations publiques. Le coût par emploi créé est ainsi de 100 000 euros, ce qui paraît excessif. La mesure B crée 180 000 emplois et coûte ex post 20 milliards d‘euros, soit 111 111 euros, ce qui est encore moins bien. À première vue, il ne faut mettre en place ni la mesure A, ni la mesure B : le coût par emploi créé est bien trop important. Maintenant, supposons qu’il est également possible de mettre en place –A ou –B qui, inversement à A et B, augmentent le coût du travail (par un accroissement des cotisations) avec des effets symétriques sur l’emploi. Supposons aussi que les effets sur l’emploi et le coût soient additifs lorsqu’on met en place deux mesures en même temps. Alors il paraît évident qu’il faut mettre en place [A-B][1]: alléger le coût du travail par A et l’augmenter par –B  permettrait de créer 20 000 emplois pour un coût de 1 euro, soit 0,00005 euro par emploi créé ! Le ratio de coût d’emploi créé entre la mesure A et la mesure [A-B] est de 1 sur 2 milliards (=100 000/0,00005) ! Un esprit distrait pourrait dire alors : il ne faut surtout pas mettre en place la mesure A…

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Depuis Ricardo, on sait en économie que ce sont bien souvent les avantages relatifs qui comptent et non les avantages absolus : toute seule, A ne paraît pas une mesure intéressante, mais combinée à –B, elle s’avère très puissante, de même qu’au Poker, un 2 de cœur dans une main n’a pas la même valeur avec des Valets ou avec les 2 de pique, de trèfle et de carreau… Les mesures de politiques économiques ne peuvent donc être évaluées seules : il faut les évaluer dans leur interaction avec l’ensemble des instruments déjà mis en œuvre ou simplement disponibles.

Outre la non-prise en compte du bouclage macroéconomique ou du financement, une autre limite du raisonnement en termes de coût par emploi créé est qu’il ne prend pas toujours bien en compte les questions : qui paie la note et qui reçoit quoi ? Une dépense de l’Etat (en termes de crèches, d’éducation ou de police nationale) n’est pas équivalent à une dépense fiscale : si elles sont financées, la première réduit le revenu disponible des ménages alors que la seconde non (c’est un transfert entre ménages, entre entreprises, ou entre ménages et entreprises). Par conséquent, il est trompeur de comparer les deux types de dépenses seulement en termes d’emplois créés. En effet, les emplois créés ne sont qu’une conséquence indirecte d’une dépense fiscale (l’effet direct est le transfert de l’Etat vers les ménages et les entreprises) ; si elle est financée, comme dans [AB], les emplois créés sont un effet de second ordre lié à une réponse comportementale différente à A et –B. Au contraire, l’augmentation structurelle des dépenses de l’Etat (et donc des prélèvements obligatoires) a pour effet premier d’augmenter la consommation de biens publics et de réduire la consommation de biens privés. Si on ne raisonne qu’en termes d’emplois, on risque de se retrouver avec le plein-emploi mais au sein d’une économie entièrement socialisée. Pour évaluer ce type de transferts, il faut rajouter des paramètres au-delà de la création d’emplois. Il faut notamment tenir compte du bien-être (quelle est l’utilité des crèches, des dépenses d’éducation et de police nationale par rapport aux dépenses privées ?) et des effets d’incitation (quel est l’effet de l’augmentation des prélèvements sur les incitations à répondre aux besoins économiques des consommateurs ?). Il est aussi nécessaire de réfléchir en termes d’incidence fiscale. [AB] ne peut créer des emplois qu’en organisant des transferts au sein des ménages et/ou des entreprises. Les questions pertinentes sont donc : qui sont les gagnants et les perdants ex post (en tenant compte des emplois créés et de l’évolution des prix et des salaires) ? Ces transferts réduisent-ils ou augmentent-ils les inégalités ? Contreviennent-ils à l’équité horizontale (à faculté contributive égale, impôt égal) ? Sont-ils susceptibles de modifier la croissance à long-terme (via la structure de l’emploi, les effets substitution capital-travail etc.) ?

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre

 


[1] Par exemple, on peut financer une baisse ciblée des cotisations sociales patronales (A) par une hausse générale de ces cotisations (-B).




Doit-on se réjouir de la baisse du taux de chômage en fin d’année 2013 ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Chaque trimestre, l’Insee publie le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) : pour le 4ème trimestre 2013, en France métropolitaine, celui-ci est en baisse de 0,1 point, soit 41 000 chômeurs en moins. Parallèlement, chaque mois paraît le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi : au cours du 4e trimestre 2013, cette source indique une hausse de 23 000 du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A. Dans un cas le chômage baisse, dans l’autre il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur la fin d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre l’Insee et Pôle emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A à Pôle emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible[1] sauf en période d’activation du traitement social du chômage comme ce fut le cas lors du dernier trimestre 2013: pour bénéficier d’un emploi aidé, il est nécessaire d’être préalablement inscrit à Pôle emploi.

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Comme l’indique le tableau 1, quelle que soit la classe d’âge, la situation semble moins favorable dans les chiffres de Pôle emploi que dans ceux au sens du BIT : le découragement face à la dégradation continue depuis plus de 2 ans du chômage a provoqué l’arrêt de la recherche active d’emploi pour un certain nombre de chômeurs qui ne sont plus comptabilisés comme tel au sens du BIT mais qui continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et donc restent inscrits dans la catégorie A.

La baisse du taux de chômage au sens du BIT est-elle une bonne nouvelle ?

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui est resté stable. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs, qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, la politique de l’emploi menée par le gouvernement – emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion – a eu un effet positif sur l’emploi des jeunes, le taux d’emploi augmentant de 0,3 point au cours du dernier trimestre 2013. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la forte hausse des inscriptions à Pôle emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi. Ils sont désormais classés dans le« halo » du chômage, qui lui poursuit sa hausse.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.


[1]Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.




Ce que cache la baisse du taux de chômage américain

par Christine Rifflart

Malgré la nouvelle décrue du taux de chômage en décembre, les données du Bureau of Labor Statistics publiées la semaine dernière confirment paradoxalement la mauvaise santé du marché du travail américain. Le taux de chômage américain a baissé de 0,3 point par rapport à novembre (-1,2 point par rapport à décembre 2012) pour terminer l’année à 6,7 %. Il a ainsi perdu 3,3 points depuis son plus haut historique d’octobre 2009 et se rapproche de plus en plus du taux de chômage non inflationniste défini par l’OCDE à 6,1 % depuis 2010. Pourtant ces résultats sont loin de refléter un raffermissement de l’emploi. Ils masquent plutôt une nouvelle dégradation de la situation.

Si le taux de chômage est l’indicateur standard pour synthétiser le degré de tensions sur le marché du travail, l’analyse peut également s’appréhender au travers de deux autres indicateurs que sont le taux d’emploi et le taux d’activité de la population et qui, dans le cas américain, donnent une toute autre vision de la situation sur le marché du travail (graphique).

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Ainsi, après avoir baissé de près de 5 points en 2008 et 2009, le taux d’emploi reste constant depuis 4 ans, au niveau du début des années 1980 (soit 58,6 % après un maximum à 63,4 % à la fin 2006). Dès lors, la baisse du taux de chômage reflète la décrue du taux d’activité et les chiffres du mois de décembre confirment cette tendance. Sur la période 2010-2013, ce dernier a perdu un peu plus de 2 points pour revenir fin décembre à son plus bas niveau depuis 1978 (62,8 % après un maximum à 66,4 % à la fin 2006).

Ces mauvaises performances s’expliquent par l’insuffisance des créations d’emplois dont l’effet est triple. Malgré une croissance positive du PIB – qui tranche avec la récession de la zone euro –, la demande est loin d’être suffisante pour rassurer les entreprises et redynamiser le marché du travail. Après quatre années de reprise, l’emploi n’a toujours pas retrouvé à la fin 2013 son niveau d’avant-crise. Les créations nettes d’emplois salariés dans le secteur privé sont même insuffisantes pour absorber l’augmentation démographique de la population en âge de travailler. Résultat : le taux d’emploi ne se redresse pas, il reste à son niveau plancher.

Par ailleurs, la difficulté à trouver un emploi favorise la sortie, ou retarde l’entrée ou le retour d’une partie de cette population en âge de travailler sur le marché du travail. Cet effet, connu en économie, est qualifié d’effet de flexion : les jeunes sont incités à étudier plus longtemps, les femmes à rester à leur domicile après avoir élevé leurs enfants, et des chômeurs découragés cessent de chercher un emploi. Or, malgré la reprise de la croissance économique et des créations d’emploi, cet effet de flexion a continué de jouer à plein en 2013. Car si la baisse du taux d’activité s’était infléchie en 2011 et 2012 – la croissance de la population active était redevenue positive mais restait inférieure à celle de la population en âge de travailler –, elle s’est accélérée en 2013 avec le repli de la population active. Durant le second semestre 2013, 885 000 personnes se sont en effet détournées du marché du travail, en raison notamment du durcissement du contexte économique et social.

La réticence des entreprises à réembaucher s’inscrit dans un contexte économique particulièrement tendu. Le choc fiscal du début de l’année 2013 a pesé sur l’activité : la croissance du PIB est passée de 2,8 % en 2012 à 1,8 % environ attendu pour 2013. Cet ajustement budgétaire va encore se durcir en 2014. Au-delà des coupes drastiques (liées aux séquestrations[1]) dans les dépenses de l’Etat, un certain nombre de mesures exceptionnelles mises en place depuis 2008-2009, destinées aux ménages les plus pauvres et aux chômeurs de longue durée (3,9 millions sur 10,4 millions de chômeurs) arrivent à leur terme et ne sont pas reconduites. Selon les estimations du CPBB, 1,3 million de chômeurs, qui avaient épuisé leur droit aux allocations de base (sur 26 semaines) et qui bénéficiaient d’une extension exceptionnelle, se trouvent sans ressources depuis le 1er janvier 2014 du fait du non renouvellement de la mesure, et presque 5 millions de chômeurs devraient être concernés d’ici à la fin de l’année.

Dès lors, le risque est que cette situation place un nombre croissant de personnes en situation de pauvreté. Selon le Census Bureau, le taux de pauvreté se situe depuis 2010 à 15 %. Or, toujours selon le CBPP, les allocations chômage auraient évité à 1,7 million de personnes de sombrer dans la pauvreté. La fragilisation de la situation des chômeurs de long terme et le désengagement d’une partie de la population du marché du travail sont bien les conséquences directes d’un marché du travail atone, ce que ne reflète pas la baisse ininterrompue du taux de chômage.

 


[1] Voir Le casse-tête budgétaire américain du 9 décembre 2013.




Important changement de cap à l’Elysée. La priorité n’est plus accordée à l’austérité

par Xavier Timbeau, compte Twitter : @XTimbeau

(paru dans Le Monde daté du jeudi 16 janvier 2014, p. 17)

Dès son élection, François Hollande avait fait de la discipline budgétaire son objectif principal. La crise de 2008 n’avait pas fini de manifester ses conséquences sur les économies développées que se mettait en place en Europe, sur fond de crise des dettes souveraines, une austérité qui devait provoquer une seconde récession, un ” double dip ” pour employer la langue des économistes. Par exemple, lorsque François Hollande arrivait au pouvoir, la situation de la France paraissait désastreuse : déficit public à 5,2 %, plus de 600 milliards de dette publique en plus depuis 2008 mais également une hausse de 2 points du chômage (à 9,6 % de la population active). La pression était forte et, après la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, le domino des Etats de la zone euro risquait d’entraîner l’Espagne ou l’Italie. Dans ce contexte, seule la discipline budgétaire semblait pouvoir aider l’Allemagne à soutenir une zone euro chancelante.

Pourtant le pire était à venir. En sous-estimant l’ampleur des multiplicateurs budgétaires (l’impact de la politique budgétaire sur l’activité), comme ont fini par le reconnaître le Fonds monétaire international (FMI) ou la Commission européenne, et comme nous le pointions en juillet 2012, on s’est mépris sur les conséquences d’un effort budgétaire sans précédent généralisé à toute l’Union européenne.

Ce qui devait, pour François Hollande, n’être qu’un redressement dans la douleur avant un rebond ouvrant à nouveau le champ des possibles, s’est révélé être un enlisement où la hausse du chômage faisait écho aux mauvaises nouvelles budgétaires. Lorsque le multiplicateur budgétaire est élevé, rien n’y fait. Les efforts budgétaires pèsent lourdement sur l’activité et les déficits publics ne se résorbent pas vraiment. Si ce fameux multiplicateur avait été faible, la stratégie de François Hollande – et celle de la zone euro – aurait fonctionné. Mais un multiplicateur ne se commande pas; il résulte d’une situation économique dans laquelle les bilans des agents sont dégradés, les banques étouffées et les anticipations délétères.

La seconde partie du quinquennat de François Hollande, que la conférence du 14 janvier 2014 pourrait avoir ouverte, est un exercice autrement plus compliqué que prévu. Au lieu de finances publiques rétablies, la dette est à peine stabilisée au prix d’un effort démesuré. Au lieu d’une reprise vigoureuse, on a, suivant la litote même de l’Insee, une ” reprise poussive “ qui se trouve être une récession qui continue : le chômage augmente encore et encore. Nos entreprises sont exsangues, et pour essayer de restaurer leurs marges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), inspiré du rapport Gallois, ne parvient pas à nous sortir de l’impasse.

Pour baisser le coût du travail sans accroître le déficit public, il faut à nouveau ponctionner des ménages à bout de souffle. Le multiplicateur budgétaire est toujours élevé et la croissance comme l’inversion de la courbe du chômage sont remises à plus tard. Pire, les engagements de réduction de déficit public, pris auprès de Bruxelles (0,8 point d’effort structurel jusqu’à la fin du quinquennat, 50 milliards au total) reportaient la baisse du chômage à après 2017. Le malade risque bien de mourir guéri et, au mieux, c’est le successeur d’une élection en 2017 déjà perdue qui pourrait espérer tirer les fruits de cette politique qui a privilégié la baisse du déficit au plus mauvais moment.

Le pacte de responsabilité proposé par François Hollande dessine une voie différente, un autre choix. Au lieu de l’austérité, c’est une baisse du coût du travail financée non plus par l’impôt mais par la dépense fiscale, pour 1 point de PIB. Le pari est que la croissance ainsi stimulée apportera les recettes supplémentaires pour tenir les engagements de déficit public. Trente milliards d’euro de baisse de charges sont annoncés, se substituant à l’actuel CICE (20 milliards). Ce sont 10 milliards de plus qui peuvent être obtenus par les entreprises qui se lanceront dans les négociations collectives surveillées par l’observatoire des contreparties. Si cela ne simplifie pas le complexe CICE, cela poussera au dialogue social.

D’autre part, François Hollande a confirmé que l’objectif de baisse des dépenses publiques reste de 16 milliards d’euros en 2015, 18 en 2016 et 2017, soit 50 milliards d’euros au total, et n’est pas augmenté par rapport aux annonces précédentes. Le CICE a été partiellement financé par la hausse de la TVA (6 milliards d’euros à partir de 2014) et les taxes environnementales (4 milliards d’euros). En remplaçant le CICE par des baisses de cotisations sociales, il s’ajoute une finesse : si les entreprises profitent de la baisse du coût du travail pour accroître leurs bénéfices, alors la taxation de ces bénéfices réduira la facture pour l’Etat de 10 milliards d’euros (1/3 de 30 milliards). Si en revanche, elles accroissent l’emploi et les salaires, baissent leurs prix ou investissent, alors il y aura plus d’activité et le financement passera par la croissance.

Par rapport aux engagements budgétaires de la France notifiés à Bruxelles (0,8 point de réduction du déficit structurel par an), ce sont 20 milliards de stimulation budgétaire qui sont engagés sur la baisse du coût du travail d’ici à 2017. Ce point de PIB pourrait induire la création de 250 000 emplois d’ici à 2017 et permettre une baisse d’un point du chômage. C’est un changement de cap important par rapport à la priorité donnée jusqu’à maintenant à la réduction des déficits. Le choix a été fait de privilégier les entreprises en les poussant à la création d’activité ou d’emploi par un pacte. C’est un pas significatif mais il en reste d’autres à faire pour en finir avec l’austérité, en réparer les dommages sociaux et s’atteler radicalement à la réduction du chômage.