Évolution de l’emploi : quel niveau pour les cycles de productivité par branche ?

par Bruno Ducoudré

L’emploi salarié dans les branches marchandes (17,3 millions d’emplois au premier semestre 2019) représente environ 65% de l’emploi total, et sa progression contribue (848 000 emplois créés depuis le dernier trimestre 2014) largement à la baisse du chômage observée depuis 2015. La bonne compréhension des évolutions conjoncturelles de l’emploi salarié dans le secteur marchand nécessite de distinguer les tendances de long terme qui l’affectent (gains de productivité tendanciels, évolution de la durée du travail, coût du travail) des fluctuations conjoncturelles de l’activité. Ces deux dimensions peuvent par ailleurs varier selon les branches d’activité, les branches étant plus ou moins sensibles à la conjoncture internationale ; les cycles de production peuvent également être plus longs dans la construction que dans les autres branches.

Dans une étude récente[1], nous procédons à une analyse tendance/cycle de productivité pour l’économie française en décomposant les demandes de travail par grande branche marchande (industrie, construction, services marchands). À partir d’une estimation économétrique des demandes de travail par branche, nous cherchons à mesurer les tendances de productivité, leur évolution et les cycles de productivité.

Il s’agit d’une part de caractériser le ralentissement de la productivité pour la France et de mettre en évidence la contribution des branches à ce ralentissement[2]. Le ralentissement de la productivité peut provenir de deux effets : 1. un effet provenant du ralentissement partagé par l’ensemble des branches ; 2. un effet de composition : dès lors que les gains de productivité sont plus élevés dans l’industrie, mais que ce secteur voit sa part dans l’emploi et sa VA diminuer au cours du temps[3], les gains de productivité des branches marchandes prises dans leur ensemble diminuent, toutes choses égales par ailleurs. Conformément à la littérature théorique et empirique existante (Duarte et Restuccia, 2010), les gains de productivité sont attendus plus élevés dans l’industrie, là où les tâches routinières conduisent au remplacement des emplois par les machines et où les innovations de produits, managériales et organisationnelles permettent des gains de productivité plus élevés relativement aux autres secteurs. Les estimations indiquent une tendance de productivité croissante à un rythme de 0,9 % par an sur la période récente (1,9 % par an dans l’industrie, 0,8 % dans les services et 0,1 % dans la construction ; graphique 1). Cette tendance a ralenti depuis le début des années 1980. Ce ralentissement des gains de productivité tendanciels s’observe principalement dans l’industrie. Conjugué à la baisse de la part de l’industrie dans l’emploi, cela explique 90 % de la baisse du taux de croissance de la productivité tendancielle depuis les années 1980.

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D’autre part, la méthode permet d’affiner le diagnostic conjoncturel sur l’emploi par branche. De fait, les comportements de demande de travail peuvent différer selon les branches. Ces divergences portent notamment sur le type de main-d’œuvre (travail qualifié/non qualifié) et la sensibilité au coût du travail, ou sur les modalités d’ajustement de la main-d’œuvre aux variations de l’activité (délais d’ajustement, ajustements internes via la modulation de la durée du travail ou ajustement externe via la modification du stock d’emplois). Les cycles d’activité peuvent aussi être de durées et d’ampleurs différentes selon les branches, selon qu’elles sont plus ou moins exposées à la conjoncture internationale ou qu’elles connaissent des spécificités propres, les cycles d’activité dans la construction pouvant être plus longs. Ainsi, à court terme, l’emploi est essentiellement déterminé par les variations de l’activité économique mais l’ajustement est progressif. L’impact de la croissance sur l’emploi est amorti par le comportement des entreprises, conduisant à un cycle de productivité : si les entreprises adaptent très rapidement le volume d’emplois temporaires (CDD courts, intérim) à la conjoncture, elles n’ajustent pas immédiatement leurs effectifs stables aux besoins de la production. Elles préfèrent recourir à la flexibilité interne, en ajustant les rémunérations salariales variables et le temps de travail via les heures supplémentaires, les congés imposés ou le chômage partiel. Les entreprises ne vont ajuster leurs effectifs que si le rebond ou le creux conjoncturel se montre durable. C’est pourquoi la productivité du travail accélère lors des phases de reprise et ralentit lors des ralentissements conjoncturels. La modification du rythme de croissance a donc des effets retardés sur l’emploi, et la croissance de la productivité du travail fluctue à court terme.

Les résultats montrent que le cycle de productivité présente des fluctuations plus importantes dans le secteur de la construction. Le calcul des délais moyens d’ajustement (DMA) de l’emploi à la demande indique un délai d’ajustement de 5,6 trimestres pour cette branche. Le cycle fluctue beaucoup moins pour l’industrie et les services, indiquant une vitesse d’ajustement de l’emploi à l’activité économique plus rapide pour ces deux branches, ce que confirment les délais moyens d’ajustement à la demande (respectivement 4,4 et 4,1 trimestres). Globalement, au quatrième trimestre 2018 les estimations indiquent que le cycle de productivité serait légèrement positif dans les services (+0,2 %), ce qui signifie que le secteur des services est globalement en sous-effectif. Autrement dit, une fermeture du cycle de productivité dans les services se traduirait, toutes choses égales par ailleurs, par une hausse de l’emploi de 0,2 % dans les services. Le cycle de productivité serait plus largement positif dans l’industrie (+0,8 %) tandis qu’il continuerait de se creuser dans la construction (-1,6 % ; graphique 2). Au niveau du secteur marchand non agricole (SMNA), le cycle de productivité serait refermé au quatrième trimestre 2018 (Graphique 3).

 

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[1] B. Ducoudré, « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

[2] Les économies développées sont confrontées à un ralentissement tendanciel des gains de productivité (Bergeaud, Cette et Lecat, 2016 ; Cette, Fernald et Mojon, 2016 ; Ducoudré et Heyer, 2017). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce ralentissement – déclin de l’investissement, mauvaise allocation des facteurs, qualité du travail dégradée, moindre diffusion des technologies entre les entreprises à la frontière de la productivité et les autres, phénomènes de « winner-takes all ».

[3] Du fait des décisions de localisation / délocalisation de la production des firmes à l’étranger, d’une demande intérieure atone, d’un transfert d’une partie l’activité et des emplois des branches industrielles vers les branches des services ou encore de pertes de parts de marché à l’exportation ou sur le marché intérieur face à la concurrence étrangère.

 

Bibliographie

Bergeaud A., Cette G. et Lecat R., 2016, « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », Review of Income and Wealth, vol. 62, n° 3, pp. 420‑444.

Cette G., Fernald J. et Mojon B., 2016, « The pre-Great Recession slowdown in productivity », European Economic Review, vol. 88, pp. 3‑20.

Duarte M. et Restuccia D., 2010, « The role of the structural transformation in aggregate productivity », The Quarterly Journal of Economics, vol. 125, n° 1, pp. 129‑173.

Ducoudré B., « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

Ducoudré B. et Heyer É., 2017, « Quel nouveau sentier de croissance de la productivité du travail ? Une analyse pour six grands pays développés », Revue de l’OFCE, vol. 152, n° 3.




Le dispositif d’activités réduites en question

par Xavier Joutard, Aix-Marseille Université, LEST–UMR7317 CNRS et OFCE, Sciences Po Paris[1]

Les partenaires sociaux reprendront les négociations sur l’assurance chômage au mois de janvier 2019. Selon la lettre de cadrage du gouvernement, elles portent principalement sur des économies à réaliser et la feuille de route désigne clairement le dispositif d’activités réduites (AR) comme l’une des pistes prioritaires de discussion. De quoi s’agit-il précisément ? De la possibilité, pour une personne qui demeure inscrite à Pôle Emploi, de cumuler des allocations de chômage partielles et des revenus tirés d’une activité exercée.

Si ce dispositif est aujourd’hui remis en question, c’est aussi et surtout parce qu’il est maintenant pointé comme premier responsable des situations de « permittence ». Ce mot-valise désigne une permanence de séquences de chômage indemnisé et d’activités intermittentes rémunérées pouvant générer elles-mêmes de nouveaux droits.

Une réforme pourtant récente et favorable au dispositif

Pourtant, ce dispositif a fait l’objet en 2014 d’une réforme, dont l’objectif était d’aligner les règles de cumul de revenus du régime général sur celles, plus avantageuses et moins contraignantes, du régime des intérimaires (encadré). Elle a favorisé de fait la pratique de l’activité réduite, en s’inscrivant dans la justification première de ce dispositif : l’occupation par les chômeurs d’emploi à temps partiel ou de courte durée peut être un tremplin vers l’emploi stable.

Que nous disent les études empiriques en France mais aussi en Europe sur cet effet ? A-t-on aujourd’hui oublié cette dimension dans la remise en cause de ce dispositif ?

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Encadré : la réforme de 2014

En juillet 2014, le critère d’heures de travail maximum est écarté ; seul le critère de rémunération est maintenant appliqué pour les chômeurs relevant du régime général : le cumul des deux sources de revenus est autorisé, quel que soit le nombre d’heures mensuelles travaillées et pour toute la durée d’indemnisation, à condition que le salaire de l’AR et l’indemnité versée ne dépassent pas la rémunération de référence du demandeur d’emploi (rémunération antérieure qui a servi au calcul du montant de l’allocation). De plus, ce cumul n’étant que partiel, la réduction de l’allocation de chômage au moment des périodes d’AR dépend maintenant d’un pourcentage fixe du salaire de l’activité : au moment des périodes d’AR, l’allocation chômage est diminuée de 70 % du salaire mensuel brut procuré par l’AR. Néanmoins, comme avant, cette diminution est reportée et convertie en journées d’indemnisation supplémentaires auxquelles le demandeur pourra prétendre plus tard, au cours de ses périodes sans activité. De même, les cotisations accumulées au cours de l’exercice de ces AR peuvent toujours, sous certaines conditions, donner lieu à des « droits rechargeables », c’est-à-dire à l’ouverture de nouveaux droits à l’assurance chômage.

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Un recours de plus en plus fréquent à l’activité réduite …

À l’instar des autres pays de l’OCDE ayant adopté ce type de dispositif, le recours à l’activité réduite s’est considérablement développé en France depuis sa création. En septembre 2017, plus d’un tiers des demandeurs d’emploi (36,2 %, soit 2 140 000 demandeurs) sont concernés, soit deux fois plus qu’en janvier 1996 (16,6 %, soit 621 000 demandeurs) (figures 1 et 2).

Cette progression a été marquée à la fois par la conjoncture et par la transformation du marché du travail. En effet, entre 2005 et 2008, le nombres de chômeurs et de ceux exerçant une AR a fortement baissé, mais la part de ces derniers a continué à progresser durant cette période de conjoncture favorable (+ 5 points). Avec la crise de 2008, pendant laquelle le nombre de chômeurs s’est accru et les embauches raréfiées, la proportion de demandeurs d’emploi qui exercent une AR a naturellement baissé. Elle est repartie à la hausse qu’à partir de mars 2009, avant de se stabiliser entre mi-2011 et 2014. Depuis 2014, elle s’accroît à nouveau fortement.

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Source : Pôle-Emploi-Dares, STMT, Données CVS-CJO ; calcul des auteurs.

… qui s’exerce davantage qu’avant à temps plein

Cette récente augmentation du recours à l’activité réduite est aussi révélatrice de la transformation structurelle du marché du travail : en particulier, une plus grande fréquence du temps partiel (figure 3) et de contrats de très courtes durées, qui multiplie les entrées et sorties du chômage. Ainsi depuis la crise de 2008, les transitions entre emploi et chômage ont progressé relativement plus vite que les transitions d’emploi à emploi (Flamand, 2016). Le recours à l’activité réduite pourrait participer à ces ajustements sur le marché du travail.

Néanmoins, ce sont les demandeurs d’emploi en activité réduite longue, c’est-à-dire ayant travaillé plus de 78 heures par mois (demandeurs en catégorie C selon l’UNEDIC) qui augmentent le plus à partir de 2009. Dans cette catégorie, les femmes sont les plus concernées (figure 4). En détaillant le nombre d’heures, ce sont les demandeurs qui travaillent plus de 150 heures par mois (temps plein) qui progressent le plus (figure 5) : ils représentent 28 % fin 2017 contre 16,5 % début 2009. Cette croissance est là encore plus accentuée à partir de 2014.

Cette forte progression de l’activité réduite à temps plein interpelle. Elle ne semble pas révéler des strictes situations de « permittence ». En effet, ces chômeurs, par leurs horaires de travail, perçoivent des rémunérations ne leur permettant pas de satisfaire aux critères du cumul des deux sources de revenu.

image 2Source : Pôle-Emploi-Dares, STMT, Données CVS-CJO ; calcul des auteurs.

 

Une délicate évaluation de l’impact sur les trajectoires professionnelles

Une remise en question du dispositif d’activité réduite ne peut s’affranchir d’une évaluation de ses effets sur le retour à l’emploi des chômeurs. Mais celle-ci n’est pas simple car elle doit régler le problème du « mécanisme de sélection » : les demandeurs d’emploi ayant choisi d’exercer une AR ont des profils spécifiques (plutôt des femmes, avec un certain niveau de qualification, …). Il est délicat de dé-imbriquer ce que l’on peut raisonnablement attribuer à un effet de l’AR plutôt qu’à des caractéristiques propres des demandeurs d’emploi.

Toutes les analyses conduites dans les différents pays de l’OCDE disposant d’un système d’assurance chômage prévoyant des possibilités de cumul de revenu comparables[2] appliquent le plus souvent des méthodologies économétriques communes et sont relativement convergentes en termes de résultats, en dépit de contextes institutionnels parfois très différents.

L’activité réduite, souvent un tremplin vers l’emploi

En France comme dans la plupart des autres économies évaluées, l’activité réduite semble bien avoir un effet « tremplin » du chômage vers l’emploi, même si cet effet se manifeste tardivement – après un an de chômage – et semble plus modeste pour la France. De plus, pour la France, elle ne dégrade pas (ni n’améliore) la qualité de l’emploi retrouvé puisque cela n’accélère pas (ni ne retarde) un retour vers un nouvel épisode de chômage.

En outre, d’après plusieurs analyses, les effets de l’activité réduite varient selon sa temporalité, les conditions économiques ou encore les caractéristiques des demandeurs : les effets positifs sur la reprise d’un emploi sont d’autant plus importants quand l’AR est exercée après plusieurs mois de chômage ; une situation économique dégradée semble également renforcer son impact positif ; enfin, celui-ci est plus marqué pour les demandeurs aux niveaux de qualification et d’employabilité les plus faibles.

En conclusion

Pour établir précisément le lien entre la « permittence » et le dispositif d’activité réduite, l’hétérogénéité de l’effet de l’AR en fonction des trajectoires professionnelles passées des demandeurs d’emploi devrait être regardée ; de même qu’il faudrait prendre en compte la nature dynamique de l’activité réduite, l’exercice d’une activité réduite permettant de prolonger l’allocation chômage, voire de s’ouvrir de nouveaux droits. Cela n’a pas vraiment été fait dans les études économétriques.

Notons également que la place et le rôle des employeurs restent largement ignorés. On évoque pourtant souvent, dans certains secteurs d’activité en particulier, les possibles effets d’aubaine que représentent pour eux ce dispositif. En conclusion, l’importance de situations de « permittence » causées par le dispositif d’activités réduites est aujourd’hui loin d’être établie !

 

 

[1] Cette note revient sur l’évolution des pratiques d’AR au cours de ces dernières années et sur les enjeux qu’une possible suspension soulève. Elle renvoie à une synthèse des travaux existants sur les pratiques d’activité réduite et sur leurs impacts sur les trajectoires professionnelles coécrit avec N. Havet (Université Lyon1, ISFA) et A. Penot (ENS-Lyon, GATE–UMR5824 CNRS). Cette synthèse est parue en document de travail (Sciences Po OFCE Working Paper, n° 41) et fera l’objet d’une prochaine publication dans la Revue d’Economie Politique. Les graphiques sont issus de ce document.

[2] France, États-Unis, Canada, Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Finlande, Norvège, Danemark et Belgique.




Comment l’interaction entre institutions et choc économique a-t-elle contribué à la divergence des marchés européens du travail ?

par Aizhan Shorman et Thomas Pastore

On assiste en Europe à une divergence des marchés du travail, tant du point de vue économique qu’institutionnel. D’une part, le miracle allemand illustré par un taux de chômage continûment décroissant en pleine Grande Récession, parfois attribué à des mesures décentralisatrices visant à flexibiliser le marché du travail, d’autre part, une Europe du Sud dont le degré relativement plus élevé de centralisation dans la fixation des salaires est parfois présenté comme la cause de la médiocrité de ses performances macroéconomiques.

Cependant, cette divergence économique ne peut s’expliquer par la simple dichotomie rigidité versus flexibilité, comme le montre le faible taux de chômage dans les pays scandinaves, traditionnellement plus centralisés.

Trois profils de marché du travail

En nous focalisant sur le taux de syndicalisation, le taux de couverture (pourcentage des salariés couverts par des accords collectifs) et l’extension des accords aux acteurs initialement non- signataires, notre analyse permet de dégager trois profils de marchés du travail selon le degré de centralisation des négociations salariales : décentralisé, centralisé et intermédiaire[1]. Comme le montre la figure 1, le premier groupe rassemble les pays anglo-saxons, dont les indicateurs susmentionnés sont faibles. Le second groupe englobe les pays scandinaves, dont les indicateurs sont au contraire élevés. Enfin, le troisième groupe correspond aux pays d’Europe occidentale (France, Allemagne, Espagne et Italie).

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Calmfors-Driffill et la Grande Récession

L’hypothèse d’une relation concave et non-monotone entre le degré de centralisation des négociations salariales et la performance macroéconomique des pays avait été avancée par Calmfors et Driffill (1988)[2]. Cette « courbe en cloche » s’avère robuste d’après nos estimations, et permet d’expliquer la trajectoire économique et institutionnelle des pays européens.

Une comparaison statique des pays révèle que les pays anglo-saxons se situent largement à gauche de la courbe de Calmfors-Driffill (figure 2) cumulant un faible taux de chômage (dû probablement à un ajustement plus flexible du salaire réel au choc de 2008) et un cadre de négociation salariale très décentralisé, tandis que les pays scandinaves sont regroupés à droite de la courbe, conjuguant une performance macroéconomique équivalente aux pays anglo-saxons et un système de négociation salariale centralisé, impliquant des accords signés à l’échelle nationale par des représentants syndicaux et patronaux. Entre ces deux modèles opposés du point de vue institutionnel mais similaires du point de vue de leur taux de chômage, les pays « intermédiaires » se situent au sommet de la courbe en cloche, avec un taux de chômage plus élevé que dans les autres pays. Dès lors, ce juste-milieu institutionnel cumulerait les inconvénients des deux systèmes : une fixation des salaires inadaptable aux chocs et le manque de protection des travailleurs en contexte de crise.

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Des trajectoires différentes le long de la courbe en cloche

Dans une perspective dynamique, notre analyse montre également que l’hypothèse de Calmfors-Driffill s’avère pertinente pour comprendre l’évolution des performances des pays avant et pendant la Grande Récession, en particulier la trajectoire de l’Allemagne à partir des années 1990 (figure 3). L’Allemagne semble en effet quitter son groupe initial et glisser à gauche de la courbe de Calmfors et Driffill vers le groupe anglo-saxon. Cette trajectoire le long de la courbe en cloche illustre le profond mouvement de décentralisation en Allemagne, impulsé après la Réunification en 1990, renforcé par les lois Hartz (2003-2005) et corroboré par une désyndicalisation massive et une chute brutale du taux de couverture dans les deux dernières décennies. À l’inverse, le fort taux de chômage en Italie et l’absence de tendance claire vers plus ou moins de décentralisation place ce pays au sommet de la courbe en cloche.

Les marchés du travail européens témoignent d’une certaine variété de profils qui implique des résultats économiques inégaux. Certes les idiosyncrasies de chaque pays empêchent de prescrire un remède centralisé ou décentralisé à ces déséquilibres, mais notre analyse montre que des performances macroéconomiques élevées pourraient résulter d’un choix économique plus tranché, compte-tenu des caractéristiques initiales du pays, entre l’un ou l’autre des deux modèles.

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[1] Thomas Pastore et Aizhan Shorman, 2018, « Calmfors and Driffill Revisited : analyse de l’hétérogénéité institutionnelle et macroéconomique en Europe », in Sciences-Po OFCE Working Paper, octobre.

[2] Lars Calmfors et John Driffill, « Bargaining Structure, Corporatism and Macroeconomic Performance », in Economic Policy, 3.6, 1988, p. 13-61.

 




CICE : des effets faibles sur l’activité économique, modérés sur l’emploi

par Nicolas Yol et Bruno Ducoudré

Six années après sa mise en place par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, le Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) sera transformé en baisses de cotisations sociales patronales dès janvier 2019. Les travaux d’évaluation de ce dispositif fiscal d’ampleur (1 point de PIB reversé aux entreprises sous forme d’un crédit d’impôt assis sur la masse salariale) se poursuivent néanmoins. Les premiers travaux d’évaluation se sont concentrés sur les effets microéconomiques du CICE. Ces travaux ne permettent toutefois pas de saisir l’ensemble des mécanismes en jeu et des effets induits par la mise en œuvre du CICE. Ils ne prennent pas en compte au moins trois mécanismes importants : les effets de bouclage macroéconomique du CICE ; les effets dus à la mise en place de mesures pour le financer (hausses de taxes et économies de dépenses publiques) ; les effets du CICE reçus par une entreprise sur les autres entreprises via les modifications de prix des consommations intermédiaires. À la demande de France Stratégie, l’OFCE a donc réalisé une évaluation des impacts macroéconomiques du CICE sur la période 2013-2015, en intégrant les résultats des évaluations sur données microéconomiques, et sera amené à poursuivre ses travaux sur cette question au cours des prochains trimestres. Nous présentons ici les principales hypothèses et résultats de ce premier rapport.

Une mesure s’apparentant à une baisse du coût du travail

Le CICE est un avantage fiscal consistant à accorder aux entreprises un crédit d’impôt, ce dernier étant calculé sur la part de la masse salariale n’excédant pas 2,5 SMIC. Autrement dit, toute entreprise employant au moins un salarié rémunéré en-dessous de 2,5 SMIC est éligible au dispositif. Pour un taux de CICE de 6 %, une entreprise bénéficiera d’un crédit d’impôt représentant 6 % de sa masse salariale éligible[1]. Ce dispositif implique que la quasi-totalité des entreprises peut bénéficier du CICE, à des degrés divers selon la structure de leur masse salariale. Ainsi, les entreprises évoluant dans des secteurs d’activité particuliers (par exemple à très haute valeur ajoutée) sont peu exposées au CICE dans la mesure où leurs salariés sont pour la plupart rémunérés au-dessus du seuil de 2,5 SMIC, alors que d’autres bénéficieront très largement du dispositif.

Dans sa forme actuelle, le CICE est un dispositif de baisse du coût du travail assez singulier pour deux raisons. Premièrement, il s’agit d’un avantage fiscal induisant une baisse indirecte du coût du travail, qui se matérialise par une baisse de l’impôt sur les bénéfices versé par les entreprises (IS). Par conséquent, il diffère des dispositifs habituellement utilisés pour réduire le coût du travail de façon plus explicite, tels les allègements de cotisations (ex : allègements généraux dits « allègements Fillon »). Deuxièmement, la créance correspondant à la masse salariale éligible de l’année t est imputée sur l’IS à partir de l’année t+1 pour les entreprises bénéficiaires, d’où un décalage de trésorerie rendant peu visible l’impact sur le coût du travail[2]. Pour ces raisons, toutes les entreprises n’ont pas immédiatement modifié leur comportement en termes de recrutement et de politique de prix.

De quels effets parlons-nous ?

La baisse du coût du travail résultant du CICE peut avoir plusieurs effets sur les entreprises. Ces dernières peuvent ainsi répercuter le CICE sur leurs prix afin de réaliser des gains de parts de marché à l’étranger, se traduisant également par un recul des importations sur le marché français. Concernant le marché du travail, le CICE peut être utilisé comme une opportunité de favoriser le facteur travail par rapport au facteur capital, dans la mesure où le prix relatif du premier devient moins élevé. Une hausse de l’emploi stimule le revenu des ménages, leur consommation et la demande adressée aux entreprises (effet de bouclage macroéconomique). Un phénomène de redistribution sous forme d’augmentations de salaires est également envisageable, notamment dans les secteurs où les salariés sont en mesure de capter une partie des montants versés aux entreprises. Dans les cas où le CICE n’est pas répercuté sur les prix, les salaires ou les embauches, il peut alors contribuer à augmenter les marges, les investissements ou les dividendes[3].

Une limite importante du CICE a trait aux mesures fiscales et budgétaires qui ont accompagné sa mise en place. En effet, des hausses d’impôts indirects (TVA, fiscalité écologique) ainsi que des économies de dépenses publiques ont été réalisées pour couvrir le coût du dispositif. Ces efforts budgétaires s’élevant à près de 20 milliards d’euros exercent des contraintes fortes sur la demande des ménages et des administrations publiques. L’impact récessif sur la demande adressée aux entreprises est susceptible de limiter fortement l’efficacité du CICE sur les embauches, d’autant plus que les effets d’offre peuvent être longs à se matérialiser. Ainsi, les entreprises ne répercutent pas nécessairement instantanément le crédit d’impôt sur leurs prix ou leur demande de travail, alors que l’effet récessif de la fiscalité est immédiat[4]. En considérant à la fois les effets stimulants du CICE (principalement sur l’offre) et les effets récessifs (principalement sur la demande), il est difficile d’estimer a priori les impacts de cette mesure sur l’économie dans son ensemble. Notre étude consiste précisément à quantifier les effets macroéconomiques du CICE en tenant compte des contraintes exercées par son financement.

Des effets modérés sur l’emploi, faibles sur le PIB

Dans le cadre de notre étude, nous avons simulé les impacts macroéconomiques du CICE à partir du modèle e-mod.fr de l’OFCE. Afin d’assurer une calibration du modèle[5] aussi précise que possible, nous avons utilisé les résultats obtenus à partir de données d’entreprises par une équipe de chercheurs du TEPP[6]. L’utilisation de ces résultats microéconomiques permet également de prendre en compte la réaction des entreprises vis-à-vis du CICE dans notre modèle, puisque nous considérons le dispositif comme une baisse du coût du travail.

L’équipe du TEPP trouve deux résultats microéconomiques significatifs concernant les créations d’emplois associées au CICE, un résultat « bas » et un résultat « haut », mais qui ne tiennent pas compte des efforts budgétaires et des effets de bouclage macroéconomique. Nous simulons donc deux évaluations, auxquelles nous intégrons également un résultat positif sur les salaires mis en avant par la même équipe du TEPP.

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Le graphique 1 montre que les effets du CICE sont contrastés selon le scénario considéré. Lorsque l’évaluation « basse » est simulée, nos résultats chiffrent les créations d’emplois à 110 000 à l’horizon 2015, alors que les résultats de l’évaluation « haute » sont trois fois supérieurs. Toutefois, l’évaluation « haute » semble surestimer les effets du CICE dans la mesure où une baisse du taux de marge des entreprises est observée dans les simulations. Or, le CICE est un dispositif devant permettre aux entreprises de reconstituer leurs marges à court terme, un phénomène plus compatible avec les résultats de notre évaluation « basse ». Dans son rapport 2018, le Comité de suivi de France Stratégie semble par ailleurs privilégier le scénario microéconomique « bas » de l’équipe TEPP, sans pour autant exclure des effets du CICE plus importants sur l’emploi.

Le graphique 2 apporte des informations complémentaires et montre que les effets relatifs au financement du CICE (fiscalité, économies de dépenses publiques) sont importants et contribuent à limiter l’efficacité du dispositif. Les effets du financement étant constants dans les deux évaluations, l’impact du CICE sur le comportement des entreprises en termes de demande de travail est déterminant pour obtenir un effet « net » important sur l’emploi. Autrement dit, les effets d’offre doivent être rapides pour compenser l’impact négatif du financement sur la demande intérieure. Il faut ajouter que les simulations ne prennent en compte qu’un tiers des économies de dépenses publiques, en raison de la disponibilité limitée des données fournies par le TEPP (2013-2015). Par conséquent, le coût du CICE n’est pas totalement couvert dans nos simulations, d’où une impulsion budgétaire positive. Si nous avions pu prolonger nos simulations, les effets négatifs du financement auraient probablement été plus importants.

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Le graphique 3 montre clairement que le mode de financement du CICE détermine grandement la capacité stimulante du dispositif sur l’économie. En considérant que le coût du CICE n’est pas couvert pas des restrictions budgétaires ou des hausses d’impôts, l’effet sur le PIB est important quel que soit le scénario considéré (entre 0,4 % et 0,5 % de PIB, en écart au compte central). En revanche, l’introduction du financement annihile une part significative des effets, la contribution du CICE au PIB devenant quasi-nulle (entre 0,1 % et 0,2  %). Le niveau d’activité rétroagissant sur l’emploi (Okun, 1962), l’efficacité du CICE ne dépend pas seulement de son impact sur le coût du travail, mais également de facteurs affectant la croissance comme la fiscalité ou la dépense publique. Ces résultats témoignent de la nécessité de prendre en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE à l’économie (effets microéconomiques, bouclage macroéconomique, financement) afin d’évaluer de manière plus exhaustive son impact sur l’économie.

 

[1] Ce taux de 6 % s’appliquera en réductions de cotisations sociales patronales à partir de 2019. Les précédents taux de CICE s’élevaient à 4 % (2013), 6 % (2014, 2015, 2016), 7 % (2017) puis à nouveau 6 % (2018).

[2] Un pré-financement assuré par Banque publique d’investissement (BPI) est toutefois possible. Pour les entreprises ne réalisant pas de bénéfice, la créance CICE est restituée les années suivantes.

[3] Le CICE ne faisant l’objet d’aucune contrepartie, il est en pratique très difficile de connaître de manière directe et précise son utilisation par les entreprises.

[4] En particulier, la hausse de la TVA est effective depuis le 1er janvier 2014.

[5] Pour davantage de détails sur le modèle utilisé, voir l’étude complète.

[6] Voir le rapport de France Stratégie.




Désocialisation des heures supplémentaires: pouvoir d’achat pour les actifs, perte d’emplois pour l’économie

par Bruno Ducoudré et Éric Heyer

Le gouvernement a annoncé le rétablissement des exonérations de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires effectuées par l’ensemble des salariés, ce qui générerait un gain de pouvoir d’achat pour les ménages d’environ 2 milliards d’euros en année pleine.

Selon le Projet de loi de finances 2019, 8 millions de salariés du secteur privé seraient concernés. Ces derniers effectuent en moyenne 109 heures supplémentaires par an, pour un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros. L’exonération de 11,3 % des cotisations salariales générerait un gain de 1,7 milliard d’euros annuel, auquel il faut ajouter 1,2 million de salariés du secteur public, qui bénéficieraient chacun de 160 euros de gain de pouvoir d’achat à l’année, soit près de 200 millions d’euros.

Heyer (2017)[1] avait évalué les effets de la suppression totale des cotisations salariales sur les heures supplémentaires, pour un montant supérieur à 2 milliards d’euros, mais qui ne portait que sur le champ des salariés du secteur privé. La mesure prévue dans le PLF 2019 touche un champ plus large, mais porte sur un montant d’exonérations plus faible pour les salariés du secteur privé (11,3% contre 20,1% retenus dans Heyer, 2017). Le montant attendu de gain de pouvoir d’achat est donc plus faible, d’autant que l’estimation du montant total d’heures supplémentaires (plus de 800 millions d’après les chiffres indiqués dans le PLF 2019) nous paraît élevé.

Quel volume d’heures supplémentaires annuel ?

Deux sources statistiques peuvent être mobilisées afin d’évaluer le nombre d’heures supplémentaires effectuées dans le secteur privé en France. Avec la mise en place de la loi TEPA et jusqu’à son abrogation en 2012, l’ACOSS a suivi trimestriellement le nombre d’heures supplémentaires exonérées. Au cours des derniers trimestres étudiés par l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires s’élevait en moyenne à 180 millions par trimestre, soit 720 millions en rythme annuel (cf. graphique 1).

Une seconde source existe : à partir de l’enquête ACEMO trimestrielle, la DARES indique depuis 2002, le nombre d’heures supplémentaires déclarées par les salariés à temps complet. Contrairement à la source ACOSS, cette dernière ne couvre que les entreprises de plus de 10 salariés, soit près de 75 % du volume total des heures supplémentaires effectuées. D’après cette source, les salariés à temps complet ont effectué au cours des trois dernières années près de 40 heures supplémentaires en moyenne par an.

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En 2016, selon cette source qui n’inclut pas les entreprises de moins de 10 salariés, cela correspond à un volume annuel de 577 millions d’heures supplémentaires. À champ identique, c’est-à-dire en excluant les entreprises de moins de 10 salariés, au cours de la période 2008-2012 commune aux deux sources, il est notable que l’enquête ACEMO de la DARES surestime le volume annuel d’heures supplémentaires d’environ 10 % par rapport à celui indiqué par l’ACOSS et qui donnait droit à exonération. En tenant compte de cette surestimation et en incorporant un effet « moins de 10 salariés » de 26 % (méthode 1), le volume annuel d’heures supplémentaires dans le secteur privé est estimé à 650 millions en 2016.

Enfin, une autre méthode (méthode 2) consiste à croiser différentes sources pour les effectifs de salariés (Insee, Acoss), les taux de salariés à temps partiel et en forfait jour (Dares, dispositif Acemo) ainsi que le recours aux heures supplémentaires (enquête Ecmoss). Fin juin 2018, on compte 17,6 millions de salariés dans le secteur privé[2], dont 3 millions dans les TPE[3]. Le taux de salariés à temps partiel s’élève à 17,7 % dans les entreprises de 10 salariés et plus[4] et à 28 % dans les entreprises de moins de 10 salariés, ce qui permet d’évaluer à 14,2 millions le nombre de salariés à temps complet dans le secteur privé. Parmi ceux travaillant dans les entreprises de 10 salariés et plus, le taux de salariés dont le temps de travail est décompté sous forme d’un forfait en jours s’élève à 13,7 % (2,2 % des salariés dans les TPE), ce qui laisse 12,5 millions de salariés à temps complet susceptibles d’effectuer des heures supplémentaires rémunérées.

D’après la Dares, en 2015, 49 % des salariés à temps complet ont effectué des heures supplémentaires, en moyenne 109 heures par an et par salarié qui en effectuent. Cela nous permet d‘évaluer le montant total des heures supplémentaires rémunérées à 670 millions, à partir des données les plus récentes disponibles. Ce chiffrage est très proche du précédent sur la base de comparaisons entre les données de l’Acoss et celles de la Dares.

Si nos deux méthodologies convergent sur le nombre d’heures supplémentaires effectuées, nos résultats s’éloignent significativement du chiffrage retenu dans le PLF 2019.

Un impact positif des exonérations sur le recours aux heures supplémentaires

L’exonération de cotisations sociales salariées sur les heures supplémentaires peut également se traduire par une modification des comportements : les salariés seraient plus enclins à accepter de faire des heures supplémentaires puisque celles-ci sont mieux rémunérées. Sur la base des estimations d’Heyer (2017), et en tenant compte du fait que le taux d’exonération prévue dans le PLF 2019 est plus faible, l’exonération de cotisations salariales sur les heures supplémentaires, en les rendant plus attractives pour les salariés, entraînerait une hausse de 4,3 % de celles-ci, soit 28,5 millions d’heures supplémentaires additionnelles (tableau 1).

Quel gain de pouvoir d’achat en attendre ?

Sur la base d’un salaire horaire brut majoré moyen de 17,3 euros, le gain en pouvoir d’achat pour les salariés du secteur privé s’élèverait plutôt à 1,4 milliard d’euros en année pleine, auxquels il faut ajouter 100 millions d’euros pour les exonérations sur les heures complémentaires[5] et les 200 millions d’euros de gains pour les salariés de la fonction publique. Au total, les gains de pouvoir d’achat à attendre de cette mesure s’élèveraient plutôt à 1,7 milliard d’euros en année pleine et 530 millions pour l’année 2019.

Tab_post1-10Un impact légèrement négatif attendu sur l’emploi

La mesure d’exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires peut avoir plusieurs effets de sens inverse sur l’emploi. Le premier effet, qui consiste à inciter les salariés à effectuer plus d’heures supplémentaires, se traduit à court terme par une augmentation de la durée du travail au détriment de l’emploi. A l’inverse, le surplus de pouvoir d’achat reversé aux ménages se traduit par une hausse de la consommation, donc de la production et de l’emploi. Enfin, il faut ajouter l’effet du financement de la mesure, qui vient obérer la demande finale avec un effet plus ou moins important selon la composition de ce financement (économies de dépenses publiques ou hausse des prélèvements obligatoires). Nous supposons, compte tenu des mesures annoncées dans le PLF 2019, que le financement de la mesure se traduirait par des économies sur la dépense publique, réparties de manière uniforme entre les différents grands postes de dépense (investissement public, rémunérations et emplois publics, prestations sociales, transferts sociaux en nature et consommations intermédiaires).

Au final, sans prise en compte du financement de la mesure, l’exonération partielle de cotisations sociales salariales sur les heures supplémentaires se traduirait par un effet légèrement négatif sur l’emploi salarié, de -2 000 emplois en 2019 puis -8 000 emplois en 2020 : le pouvoir d’achat redistribué stimule la consommation et le PIB, mais dans le même temps, la hausse de la durée du travail est plus forte, ce qui aboutit à détruire des emplois. Avec prise en compte du financement, l’effet négatif monterait à -12 000 emplois salariés marchands en 2020 et la mesure augmenterait le taux de chômage de 0,1 point.

 

[1] Éric Heyer, 2017, « Quel impact doit-on attendre de l’exonération des heures supplémentaires ? », OFCE policy brief, n° 23, 8 juillet.

[2] Acoss-Stat, n° 274, septembre 2018.

[3] Dares Résultats, n° 001, janvier 2018.

[4] Dares Indicateurs, n° 042, septembre 2018.

[5] Sur la base du nombre de salariés à temps partiel (3,36 millions), d’une part de 38% de salariés à temps partiel effectuant des heures complémentaires, et d’un nombre d’heures annuel moyen de 44, on évalue à 56 millions le nombre d’heures complémentaires effectuées. Sur la base d’une rémunération horaire comparable à celle retenue pour les heures supplémentaires, soit une exonération de 110 millions d’euros en année pleine.




Taux d’activité et durée du travail : des impacts différenciés sur le taux de chômage

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

La plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail, via des dispositifs de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment du temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du chômage américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité.

En supposant qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage, il est possible de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, en calculant un taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux États-Unis, les pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait entre autres des réformes des retraites menées. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés.

Si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 2,3 points en France, de 3,1 points en Italie et de 2 points au Royaume-Uni (graphique). Par contre, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3,2 points à celui observé fin 2017. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage alors même que son taux d’activité croissait. À taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de … 0,9%. Il reste que les évolutions des taux d’activité résultent aussi de facteurs démographiques structurels si bien que l’hypothèse d’un retour vers les taux de 2007 est arbitraire. Pour les États-Unis, une partie de la baisse du taux d’activité s’explique par l’évolution de la structure de la population. Aussi, le chiffre de sous-emploi peut être considéré comme surévalué.

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de 3,7 points en Allemagne et de 2,9 points en Italie. En France, en Espagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis, le temps de travail n’a que faiblement baissé depuis la crise. A durée du travail identique à celle de 2007, le taux de chômage aurait été très légèrement supérieur dans l’ensemble de ces pays.

Notons que les évolutions à la baisse de la durée du travail ont largement précédé la crise économique de 2007 (tableau). Si l’Allemagne a prolongé la dynamique à l’œuvre avant la crise et si l’Italie l’a largement accentuée, la France, l’Espagne et les États-Unis ont continué à réduire leur durée du travail mais de façon moins marquée. Le Royaume-Uni a quant à lui interrompu la baisse du temps de travail entamé avant 2007.

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Emploi : recrutements sous tension

par Bruno Ducoudré

L’emploi reste dynamique au premier trimestre 2018. D’après l’Insee, l’emploi salarié dans le secteur privé a augmenté de 57 900 emplois. Cette évolution est cohérente avec notre diagnostic portant sur l’état du marché du travail et notre prévision d’emploi d’avril 2018 (cf. graphique 1).

Graphe1_post24-05bisL’économie française connaît depuis maintenant deux années une croissance soutenue de l’emploi marchand, suffisante pour faire baisser le chômage. La reprise des créations d’emplois, secteur non-marchand inclus, s’est timidement amorcée en 2015 (+108 000 emplois) et a accéléré en 2016 (+227 000 emplois) et 2017 (+271 000 emplois). Les créations d’emplois ont été soutenues dans un premier temps par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, Prime à l’embauche) et les emplois aidés dans le secteur non marchand, puis, à partir de la fin 2016, par l’accélération de la croissance. Les créations nettes d’emplois étant supérieures à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-312 000 depuis fin 2014), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 8,9 % de la population active au premier trimestre 2018 contre 10,1 % fin 2014 (tableau).

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À l’horizon 2019, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand seront soutenues par la croissance de l’activité dans le secteur marchand (2,5 % en 2018 et en 2019). Le rythme des créations d’emplois marchands augmenterait légèrement par rapport à 2017, malgré la fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de Responsabilité.

À court terme, les indicateurs d’intentions d’embauches demeurent à un niveau élevé, indiquant une poursuite des embauches dans l’ensemble du secteur marchand (graphique 2). Le climat de l’emploi a atteint un pic en début d’année, en lien avec la croissance soutenue au quatrième trimestre 2017, avant de retomber légèrement[1] du fait du retour du rythme de progression de l’activité à un niveau plus proche de son potentiel, ce que confirme notre indicateur avancé.

Les difficultés de recrutement, encore en-deçà des pics de 2007 et du début des années 2000 (graphique 3), ne se sont pas traduites par une accélération des salaires et ne constitueraient pas un frein aux créations d’emploi. De fait, les difficultés de recrutement progressent et ont retrouvé leur niveau d’avant crise dans l’industrie. Elles restent toutefois en-deçà de leur niveau de 2008 dans les services et la construction et encore très en-dessous de ceux de 2001, comme l’industrie d’ailleurs. Les difficultés de recrutement ne semblent donc pas avoir atteint un niveau tel qu’elles constitueraient un frein majeur à la poursuite des créations d’emploi.

Au total, et compte tenu de la réduction des effectifs dans le secteur non-marchand liée notamment à la baisse du stock de contrats aidés, nous prévoyons 194 000 créations d’emplois en 2018, puis 254 000 en 2019.

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[1] en mai 2018, l’indicateur du climat de l’emploi se situe à 107. Il perd un point par rapport à avril mais reste bien au-dessus de sa moyenne de longue période (https://www.insee.fr/fr/statistiques/3548269)




Les soubresauts du taux de chômage

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du chômage publiés par l’Insee pour le premier trimestre 2018 indiquent une remontée du taux de chômage de 0,3 point (0,2 point en France métropolitaine). Dans notre dernier exercice de prévision, nous avions anticipé un taux de chômage stable, tout en soulignant les risques à la hausse du chômage en ce début d’année (graphique 1).

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Comment expliquer la hausse du chômage sur un trimestre ? Le taux de chômage peut augmenter concomitamment à une hausse ou une baisse de l’emploi, en fonction des comportements d’activité : lorsque l’emploi augmente, le chômage baisse si la population active augmente moins vite que l’emploi. Par contre, il augmente si la population active augmente plus vite, ou dans le cas de destructions d’emploi si celles-ci ne s’accompagnent pas d’une baisse de la population active plus importante.

La hausse du chômage au premier trimestre 2018 fait suite à une forte baisse au quatrième trimestre 2017 (-0,7 point), et s’explique principalement par des mouvements importants de population active à court terme, et non par une baisse de l’emploi : sur un trimestre, le taux d’emploi des 15-64 ans est stable, tandis que la part de chômage augmente de 0,2 point, tirée par la hausse du chômage des femmes (leur part augmente de 0,4 point, ce qui s’explique par une augmentation de leur taux d’activité de 0,4 point alors que leur taux d’emploi est stable, cf. tableau). Cette hausse du chômage des femmes fait suite à une baisse plus forte encore au trimestre précédent (-0,5 point) et apparaît ainsi comme une correction partielle de la forte baisse observée au troisième trimestre 2017.

Tabe_post24-05Sur un an, les évolutions indiquées par l’Enquête emploi sont en phase avec l’évolution de la conjoncture économique. Le taux d’emploi augmente fortement (+1 point) en lien avec la croissance économique et les créations d’emploi dynamiques dans le secteur privé. Le taux d’activité augmente également, après deux années de baisse plus forte qu’attendu (cf. graphique 2).

IMG2_post24-05La hausse du chômage constatée en ce début d’année ne devrait pas interrompre la tendance à la baisse enclenchée mi-2015. Nous prévoyons ainsi une poursuite de la baisse du chômage au cours des deux prochaines années. Cette baisse serait tirée par la poursuite des créations d’emplois marchands du fait d’une croissance soutenue de l’activité économique (2,0% en 2018, 2,1% en 2019 après 2,2% en 2017). L’emploi total serait relativement dynamique en 2018 (+194 000) et en 2019 (+254 000), soit un rythme suffisant pour faire baisser le chômage. Ce dernier baisserait de 0,2 point fin 2018 par rapport au T4 2017, puis de 0,5 point fin 2019 par rapport au T4 2018. La forte baisse des contrats aidés dans le secteur non-marchand, le moindre enrichissement de la croissance en emplois (fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité, fin de la prime à l’embauche) et la croissance de la population active freineraient toutefois la baisse du chômage en 2018 après la forte baisse de 2017.




Fin de partie pour les contrats aidés

par Bruno Ducoudré

L’été 2017 a été marqué, sur le plan des politiques de l’emploi, par un changement de stratégie majeur du nouveau gouvernement par rapport au précédent quinquennat. La nouvelle politique de l’emploi donne désormais la priorité à la formation et à l’accompagnement des jeunes NEET (Not in Education, Employment or Training – ni en étude, emploi, ou stage) et des chômeurs les plus éloignés du marché du travail, et délaisse les contrats aidés comme outil de traitement du chômage. Cette nouvelle stratégie s’est opérée en deux temps. Premièrement le gouvernement a annoncé cet été qu’il n’y aurait pas de rallonge pour les contrats aidés au deuxième semestre et que le nombre de contrats prévus pour 2018 serait en forte baisse par rapport aux années précédentes. Puis le Plan Investissement Compétences (PIC), prévoyant notamment 15 milliards d’euros dédiés à la formation professionnelle sur cinq ans, a été présenté à la presse le 25 septembre. Dans ce billet, nous précisons quel devrait être l’effet de la baisse des contrats aidés sur l’emploi à partir du deuxième semestre 2017, effet pris en compte dans le dernier exercice de prévision de l’Ofce d’octobre 2017 pour 2017-2019.

La baisse programmée des contrats aidés

Le quinquennat précédent a été marqué par une progression des contrats aidés, avec notamment la création des Emplois d’avenir et l’allongement de la durée des Contrats uniques d’insertion – Contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) (graphique 1). Ainsi, en 2013-2014, face à la dégradation du marché du travail, 380 000 contrats aidés dans le secteur non-marchand avaient été signés en moyenne chaque année (360 000 en moyenne sur 2012-2016). La montée en charge des emplois d’avenir, dont la durée moyenne était de 2 ans, ainsi que l’allongement de la durée des CUI-CAE avec pour objectif une durée moyenne des contrats de 10,5 mois contre 7 mois en 2012, avaient permis une forte progression du stock d‘emplois en contrat aidé. Le pic des contrats aidés a été atteint au deuxième trimestre 2016, que l’on considère les contrats aidés dans le non-marchand seuls (307 000 en stock) ou que l’on inclut l’Insertion par l’activité économique (IAE) et les contrats aidés du secteur marchand (540 000 en stock). Par la suite, le nombre d’emplois en contrat aidé a légèrement diminué, avec la baisse entamée du stock des Emplois d’avenir pour le secteur non-marchand et des Contrats uniques d’insertion – Contrats initiative emploi (CUI-CIE) dans le secteur marchand. Au deuxième trimestre 2017, on comptait 476 000 contrats aidés en France métropolitaine, dont 292 000 dans le secteur non-marchand, 135 000 dans l’IAE et 49 000 dans le secteur marchand.

L’été 2017 a marqué une rupture brutale avec les années précédentes. Alors que 280 000 contrats aidés ont été votés dans la Loi de finances 2018, une partie importante de l’enveloppe annuelle a été consommée sur le premier semestre. Une rallonge conséquente (généralement votée en Loi de finances rectificative) aurait donc été nécessaire pour stabiliser le stock de contrats aidés atteint à la fin juin 2017. Le gouvernement en a décidé autrement avec une rallonge de 30 000 contrats aidés, ciblés uniquement sur le secteur non-marchand, actant ainsi une baisse rapide du stock de contrats aidés dans ce secteur (-50 000 contrats aidés en stock prévus au second semestre 2017) et la fin des entrées en contrats aidés dans le secteur marchand.

Graphe_post12-12Cette forte baisse des contrats aidés se prolongera en 2018. Cela se traduit dans le Projet de loi de finance (PLF) pour 2018 par 200 000 contrats aidés prévus exclusivement dans le secteur non-marchand sous la forme de CUI-CAE dont la durée serait de 10,2 mois en moyenne, avec un taux de prise en charge par l’État qui baisserait à 50% contre environ 70% en 2017 (Tableau 1). Les Emplois d’avenir marchands et non-marchands disparaîtront ainsi que les CUI-CIE. Pour 2019, nous avons fait l’hypothèse de maintien du stock de CUI-CAE à son niveau prévu fin 2018. Par ailleurs, et à contre-courant de la baisse prévue sur les autres types de contrats aidés, les dispositifs d’insertion par l’activité économique bénéficieraient d’une rallonge de 10 000 contrats en 2018, que nous avons maintenue pour 2019.

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Des effets négatifs à court terme sur l’emploi

Compte tenu de ces éléments, le stock de contrats aidés baisserait fortement entre la fin 2017 et la fin 2019 (cf. graphique 1 et Tableau 1 : –86 000 contrats aidés non-marchands, –123 000 contrats aidés y compris secteur marchand et IAE). L’effet cumulé sur 2017-2019 de la baisse du stock de contrats aidés conduirait à réduire le nombre d’emplois de 86 000. Cet effet négatif s’explique principalement par le faible effet d’aubaine des contrats aidés non-marchands contrairement au secteur marchand (0,3 retenu pour les CUI-CAE, 0,4 pour les Emplois d’avenir, 0,84 pour les CUI-CIE et 0,75 pour les Emplois d’avenir du secteur marchand)[1].

Concernant l’alternance, en attendant la réforme à venir, le gouvernement a fixé pour 2018 un objectif de hausse de 2% du nombre d’entrées en apprentissage et nous avons retenu une hypothèse de stabilisation du stock de contrats de professionnalisation en prévision. L’effet sur l’emploi serait négligeable en prévision (+2 000 emplois cumulés entre 2017 et 2019).

Les autres dispositifs d’emplois aidés voient la fin de l’exonération de cotisation chômage sur les embauches de jeunes en CDI à compter du 1er octobre 2017 (entrée en vigueur de la nouvelle convention d’assurance chômage de l’Unedic) ainsi que la suppression du contrat de génération dès 2018. L’aide aux chômeurs créateurs d’entreprise serait en revanche étendue progressivement à partir de 2019[2]. Nous avons inscrit 200 000 bénéficiaires supplémentaires en 2019. Enfin, nous avons stabilisé en prévision les bénéficiaires de l’accompagnement des restructurations, ainsi que les dispositifs ciblés sur les territoires. Ces derniers devraient être toutefois rediscutés en 2019 avec l’allègement supplémentaire de cotisations sociales au niveau du SMIC[3]. Au total, les politiques de l’emploi, via les contrats aidés et les autres dispositifs d’emplois aidés, contribueraient négativement à l’évolution de l’emploi total pour –98 000 emplois sur la période 2017-2019. Ce chiffrage indiqué dans le tableau 1 ne tient toutefois pas compte d’un possible effet de l’extension de l’Accre (Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise) sur l’emploi[4], ni de l’effet positif attendu du Plan d’investissement compétences sur l’amélioration de l’employabilité des jeunes et des chômeurs de longue durée : compte tenu de la montée en charge des formations et de la Garantie jeunes, et de l’effet attendu sur le retour à l’emploi de ces dispositifs[5], le Plan d’investissement compétences pourrait contribuer positivement à l’emploi en 2018-2019 (+54 000 emplois).

La nouvelle orientation des politiques de l’emploi devrait donc avoir un effet négatif à court terme sur l’emploi total, l’effet négatif de la forte baisse des contrats aidés entre le deuxième semestre 2017 et la fin d’année 2018 n’étant que partiellement compensé par la montée en charge progressive de Plan d’investissement compétences.

 

[1] Pour plus de détails, voir « Les contrats aidés : quels objectifs, quel bilan ? », Dares Analyses, n° 21, mars 2017.

[2] Suivant le PLF 2018, l’exonération de cotisations sociales « Aide au chômeur créant ou reprenant une entreprise » (ACCRE) sera étendue dès 2019 à l’ensemble des travailleurs indépendants qui créent ou reprennent une activité, pour un coût de 200 millions d’euros » et pourrait bénéficier à terme à 350 000 créateurs ou repreneurs d’entreprise supplémentaires.

[3] Les allègements supplémentaires rendraient ces dispositifs non incitatifs.

[4] Cet effet pourrait toutefois être négligeable. Cf. Redor, D., « L’aide à la création d’entreprises a-t-elle un impact sur leur survie ? Une évaluation pour quatre cohortes d’entreprises créées par des chômeurs en France », Économie et Statistique, n° 493, 2017.

[5] L’effet de la formation sur l’emploi est calculé en appliquant une élasticité de retour à l’emploi de 0,07 sur le différentiel d’entrées en formation par rapport aux entrées constatées en 2015 (660 000 entrées). Cf. Card, D., Kluve, J., & Weber, A. (2017), « What works? A meta analysis of recent active labor market program evaluations », Journal of the European Economic Association, jvx028. L’effet de la Garantie jeunes sur l’emploi est calculé en retenant un impact de 9 % sur le taux d’emploi durable (CDI et CDD de 6 mois et plus hors emplois aidés) sur le nombre de jeunes entrant dans le dispositif chaque année. Cf. Tableau 2.2, p. 22 dans Dares, 2016 : « Premiers résultats d’évaluation statistique de l’impact de la Garantie jeunes – Annexe 5 », novembre.




Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ?

Par Bruno Ducoudré, Éric Heyer, Alaïs Martin-Baillon, Mathieu Plane [1]

Le dernier rapport du Comité de suivi du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) rappelle la difficulté d’évaluer l’impact de ce dispositif et propose des conclusions extrêmement prudentes sur son efficacité. Il mentionne également l’importance de mener des études macroéconomiques complémentaires aux travaux existants et la nécessité de poursuivre cette évaluation afin d’allonger la période de temps disponible pour ces analyses économétriques.Ce rapport relance la question de l’efficacité du CICE au moment même où l’exécutif annonce qu’il va le transformer en baisse de cotisations sociales patronales pour 2019. Cette mesure phare du quinquennat Hollande fait ainsi l’objet de multiples évaluations qui n’ont pour l’instant pas atteint de consensus (voir le rapport de France Stratégie : ou encore les évaluations de l’OFCE réalisées à partir d’emod.fr). À ce jour, France Stratégie conclue à un « un effet sur les salaires difficiles à déceler » et, avec un certain nombre de réserves, à un effet modéré sur l’emploi.

Dans notre étude « Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ? Une évaluation sur la période 2014 t1 à 2017 t3 » (publiée dans le dernier Working paper de l’OFCE, n°25 du 26 octobre 2017), nous proposons une évaluation trimestrielle de ce dispositif à l’aide de données issues des comptes de branches. Dans ce billet nous synthétisons les principaux résultats issus de ce travail et présentons les dernières évaluations à notre disposition. Notre méthodologie consiste à estimer les élasticités interbranches au CICE de l’emploi et des salaires, et cela pour chaque trimestre. Cela nous permet de suivre au cours du temps l’évolution de l’impact de cette mesure. Nous présentons ci-dessous deux graphiques résumant l’évolution temporelle de ces élasticités.

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Nos derniers résultats indiquent un effet positif et significatif du CICE sur les salaires au cours de l’année 2016 et qui décline fortement au début de l’année 2017. Nous mettons également en évidence un effet positif et significatif du CICE sur l’emploi depuis le début de l’année 2015, effet qui diminue également au premier trimestre 2017 tout en restant positif.

Ces résultats sont cohérents avec ceux présentés dans les différentes notes d’étape complémentaire aux rapports de 2016 et 2017 du Comité de suivi du CICE dirigé par France Stratégie lorsque nos travaux portent sur la même période de temps. Leur méthodologie s’appuie sur des données d’entreprises, ce qui limite leur analyse à la période 2013-2015, alors que l’utilisation de données de branches, issues des comptes nationaux trimestriels, nous permet d’estimer l’impact de cette mesure jusqu’au deuxième trimestre de l’année 2017 (avec le corollaire que nous travaillons sur des données sujettes à de possibles révisions).

Les rapports du Comité de suivi du CICE concluent à un effet positif modeste « probable » du CICE sur l’emploi en 2014 et 2015 quand nos estimations laissent apparaître un effet extrêmement faible et seulement très légèrement significatif en fin d’année 2014, voire non significatif sur l’ensemble de l’année selon les spécifications retenues[2]. En revanche, nos analyses mettent en évidence un effet positif, significatif et croissant de ce dispositif sur l’emploi entre le premier trimestre de l’année 2015 et le premier trimestre de l’année 2017.

De même, les rapports du Comité de suivi évoquent un effet nul ou très faible du CICE sur les salaires en 2014 et 2015, résultats également mis en avant par nos estimations. Nos travaux laissent apparaître un effet significatif du CICE sur les salaires à la fin de l’année 2015, effet qui perdure en 2016 tout en déclinant fortement jusqu’au premier trimestre de l’année 2017.

La nature même de notre travail, qui s’appuie sur des estimations inter-branches, appelle cependant une interprétation prudente de nos résultats. En effet, ces élasticités se lisent comme la différence en termes de créations d’emplois ou de variations de salaire entre deux branches lorsque l’une d’elles reçoit un point de taux de CICE en plus, ce qui ne permet pas d’évaluer l’impact macroéconomique des variations totales. Par ailleurs, rappelons que nous travaillons sur des données susceptibles d’être révisées par l’INSEE, ce qui peut avoir pour conséquence une modification de ces résultats sur la fin de période.

 

[1] Ce travail sera mis à jour tous les trimestres et les résultats seront présentés sous forme de billet de blog à échéance régulière.

[2] Voir le document original : « Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ? Une évaluation sur la période allant du premier trimestre 2014 au deuxième trimestre 2017 », Working Paper de l’OFCE, n°25-2017 pour le détail de ces estimations .