La zone euro écartelée

par Céline Antonin, Christophe Blot, Sabine Le Bayon et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie de la zone euro.

Après six trimestres de baisse, le PIB de la zone euro a renoué avec la croissance au deuxième trimestre 2013. Ce redémarrage de l’activité est un signal positif que corroborent également les enquêtes de conjoncture. Il montre que la zone euro a cessé de s’enfoncer dans les profondeurs de la dépression. Il serait cependant prématuré de conclure que la reprise est enclenchée, car ce niveau de croissance trimestriel (0,3 %) est insuffisant pour entraîner une décrue significative du chômage. En octobre 2013, le taux de chômage se stabilise à un niveau record de 12 % de la population active. Surtout, la crise laisse des stigmates et crée de nouveaux déséquilibres (chômage, précarité et déflation salariale) qui seront autant de freins à la croissance à venir, en particulier dans certains pays de la zone euro.

Plusieurs facteurs permettent d’anticiper un redémarrage de l’activité qui devrait perdurer au cours des prochains trimestres. Les taux d’intérêt souverains de long terme ont baissé, notamment en Espagne et en Italie. Cela témoigne de l’éloignement de la menace d’un éclatement de la zone euro et ce, en partie grâce au soutien conditionnel annoncé par la BCE il y a un peu plus d’un an (voir Amis des acronymes : voici l’OMT). Surtout, l’austérité budgétaire devrait s’atténuer parce que la Commission européenne a accordé des délais supplémentaires à plusieurs pays, dont la France, l’Espagne ou les Pays-Bas, pour résorber leur déficit budgétaire (voir ici pour un résumé des recommandations formulées par la Commission européenne). Par les mêmes mécanismes que nous avions décrits dans nos précédentes prévisions, il résulte de cette moindre austérité (-0,4 point de PIB d’effort budgétaire en 2013 contre -0,9 en 2013  et -1,8 en 2012) un peu plus de croissance. Après deux années de récession en 2012 et 2013, la croissance s’établirait à 1,1 % en 2014.

Cependant, cette croissance sera insuffisante pour effacer les traces laissées par l’austérité généralisée mise en œuvre depuis 2011 et qui a précipité la zone euro dans une nouvelle récession. En particulier, les perspectives d’emploi ne s’améliorent que très lentement car la croissance est trop faible. Depuis 2008, la zone euro a détruit 5,5 millions d’emplois et nous n’anticipons pas une franche reprise des créations nettes d’emploi. Le chômage pourrait diminuer dans certains pays mais cette baisse s’expliquera principalement par des retraits d’activité de chômeurs découragés. Dans le même temps, la réduction de l’austérité ne signifie pas qu’il n’y aura plus d’austérité. A l’exception de l’Allemagne, les efforts de consolidation budgétaire se poursuivent dans tous les pays de la zone euro. Qu’elle passe par la réduction des dépenses publiques ou par une hausse de la pression fiscale, les ménages supporteront l’essentiel du fardeau de l’ajustement. Dans le même temps, la persistance d’un chômage de masse continuera à alimenter les pressions déflationnistes déjà à l’œuvre en Espagne ou en Grèce. Dans ces pays, l’amélioration de la compétitivité qui en résulte stimulera les exportations, mais au prix d’une demande interne de plus en plus affaiblie. La paupérisation des pays du sud de l’Europe va donc s’accentuer. En 2014, la croissance dans ces pays sera de nouveau inférieure à celle de l’Allemagne, l’Autriche, de la Finlande ou de la France (tableau).

Par conséquent, la zone euro deviendra de plus en plus hétérogène, ce qui pourrait cristalliser les opinions publiques des différents pays contre le projet européen et rendra la gouvernance de l’union monétaire encore plus difficile tant que les intérêts nationaux divergeront.

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France-Allemagne : y-a-t-il un dividende démographique ?

par Vincent Touzé

Grace à un taux de natalité élevé, la France vieillit moins vite que l’Allemagne. Selon Eurostat, la population française devrait dépasser la population allemande à partir de 2045. La France pourrait ainsi devenir une championne européenne. Mais dans quelle mesure faut-il parler d’un dividende démographique ?

Certes, le renouvellement des générations est important. Il permet de maintenir une taille de population active suffisante pour faire face au coût social (retraite, santé et dépendance) des personnes âgées qui vivent de plus en plus longtemps. En ce sens, la France devrait faire mieux que l’Allemagne. Mais la croissance démographique porte également son lot d’inconvénients. En effet, dans un contexte de rareté des ressources, la taille de la population est avant tout un diviseur des quantités disponibles par tête. Par exemple, sur un marché du travail rationné qui peine à conserver les postes offerts en raison de problèmes de débouchés et de coûts de production insuffisamment compétitifs au niveau international, la dynamique de la population active se compte aussi en nombre de chômeurs. Pour éviter un tel écueil, un marché du travail plus efficient assis sur une économie prospère devient indispensable. Le dividende démographique dépend autant de la capacité productive des nouvelles générations de travailleurs que de leur taille.

La dernière Note de l’OFCE (n°35 du 11 octobre 2013) compare les performances relatives de la France par rapport à l’Allemagne sur la période 2001-2012. Cette étude montre que les évolutions économiques récentes ont été nettement favorables à l’économie allemande. Malgré un avenir démographique radieux, la France s’est embourbée dans une croissance faible et un chômage de masse qui frappe massivement les jeunes. Le dividende démographique tarde donc à venir.




France : la hausse du chômage conjoncturel se poursuit

par Bruno Ducoudré

La Grande Récession, débutée en 2008, s’est traduite par une montée continue et inexorable du chômage en France, de 3,1 points entre le point bas atteint au premier trimestre 2008 (7,1 % en France métropolitaine) et le pic du quatrième trimestre 2012. Le taux de chômage atteint désormais un niveau proche des niveaux record atteints à la fin des années 1990. Cette hausse peut être décomposée en une variation du taux de chômage conjoncturel liée à l’insuffisance de la croissance économique, et en une variation du taux de chômage structurel. Or ce dernier donne une information sur la mesure de l’output gap, information cruciale pour la mesure du déficit structurel. En conséquence, les choix de politique budgétaire portant sur la restauration de l’équilibre des finances publiques nécessitent d’établir un diagnostic sur la nature du chômage additionnel dû à la crise. Autrement dit, la crise a-t-elle engendré principalement du chômage conjoncturel ou du chômage structurel ?

L’étude du NAIRU[1] peut être un moyen d’établir un diagnostic sur le caractère structurel ou conjoncturel du chômage. Partant d’une estimation de la boucle prix-salaires, nous nous proposons dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie française de revenir sur l’évaluation du niveau du taux de chômage d’équilibre (TCE) au moyen d’une estimation récursive du NAIRU depuis 1995, afin d’identifier la part du chômage conjoncturel.

Premièrement, notre estimation du TCE rend bien compte de l’absence de réelles tensions inflationnistes depuis 1995. En effet, le taux de chômage effectif est constamment supérieur au TCE sur cette période (graphique 1). Or entre 1995 et 2012, l’inflation sous-jacente oscille entre 0 et 2 %. Elle atteint 2% en 2002 et en 2008, moments où le taux de chômage effectif se rapproche du TCE, sans que cela traduise une réelle tension inflationniste. En 2012 la hausse du taux de chômage a creusé l’écart avec le taux de chômage d’équilibre et fut accompagnée d’un ralentissement de l’inflation sous-jacente qui est repassée sous 1% en fin d’année.

Deuxièmement, le NAIRU est estimé à 7,2 % en moyenne sur la période 2000-2012, avec un taux d’inflation moyen de 1,9 % sur la période. Il s’élèverait en moyenne à 7,7 % sur la période 2008-2012 (tableau 1), et à 7,8 % en 2012 (graphique 1).

Troisièmement, ces estimations montrent aussi que le NAIRU aurait augmenté de 0,9 point depuis le début de la crise. Cette hausse permet donc tout au plus d’expliquer 30 % de la hausse du taux de chômage depuis 2008, le reste provenant d’une hausse du chômage conjoncturel. La composante conjoncturelle du chômage représenterait dès lors 2,1 points de chômage en 2012. Cette évolution de l’écart entre le taux de chômage effectif et le taux de chômage d’équilibre est par ailleurs cohérente avec l’inflation sous-jacente, qui diminue depuis 2009. Compte-tenu de notre prévision de chômage, cet écart augmenterait de 1,5 point pour s’établir à 3,6 % en 2014 en moyenne annuelle.

Les estimations du taux de chômage d’équilibre indiquent que l’écart avec le taux de chômage effectif s’est donc creusé au cours de la crise. Ainsi, la part du chômage conjoncturel a augmenté, et cette augmentation du chômage conjoncturel explique environ 70 % de la hausse du taux de chômage depuis 2008. Elle confirme notre diagnostic d’un output gap élevé pour l’économie française en 2012, et qui continuera à se creuser à l’horizon 2014 avec la poursuite de la politique d’austérité budgétaire conjuguée à un multiplicateur budgétaire élevé.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2013-2014, disponible sur le site de l’OFCE.


[1] Le NAIRU (Non-accelerating inflation rate of unemployment) est le taux de chômage pour lequel le taux d’inflation reste stable. Au-delà, l’inflation ralentit, ce qui permet à terme une hausse de l’emploi et une baisse du chômage. En deçà, le mécanisme inverse conduit à une hausse de l’inflation, à des réductions d’emplois et à un retour du chômage à son niveau d’équilibre.




Jusqu’ici tout va bien…

par Christophe Blot

La zone euro est toujours en récession. En effet, selon Eurostat, le PIB a de nouveau reculé au quatrième trimestre 2012 (-0,6 %). Ce chiffre, inférieur aux attentes, est la plus mauvaise performance trimestrielle pour la zone euro depuis le premier trimestre 2009, et c’est aussi le cinquième trimestre consécutif de baisse de l’activité. Sur l’ensemble de l’année 2012, le PIB baisse de 0,5 %. Ce chiffre annuel cache de fortes hétérogénéités (graphiques 1 et 2) au sein de la zone puisque l’Allemagne affiche une croissance annuelle de 0,9 % tandis que la Grèce devrait subir, pour la deuxième année consécutive, une récession de plus 6 %. Surtout, pour l’ensemble des pays, le taux de croissance sera plus faible en 2012 qu’il ne l’était en 2011 et certains pays (Espagne et Italie pour n’en citer que deux), s’enfonceront un peu plus dans la dépression. Cette performance est d’autant plus inquiétante que, depuis plusieurs mois un regain d’optimisme avait suscité l’espoir de voir la zone euro sortir de la crise. Cet espoir était-il fondé ?

Bien que très prudente sur la croissance pour l’année 2012, la Commission européenne, dans son rapport annuel sur la croissance, soulignait le retour de quelques bonnes nouvelles. En particulier, la baisse des taux d’intérêt publics à long terme en Espagne ou en Italie et la réussite des émissions de dettes publiques par l’Irlande ou le Portugal sur les marchés financiers témoignaient du retour de la confiance. Force est de constater que la confiance ne suffit pas. La demande intérieure est au point mort en France et en chute libre en Espagne. Le commerce intra-zone pâtit de cette situation puisque la baisse des importations des uns provoque la baisse des exportations des autres, ce qui amplifie la dynamique récessive de l’ensemble des pays de la zone euro. Comme nous le soulignions lors de notre précédent exercice de prévision ou à l’occasion de la publication de l’iAGS (independent Annual growth survey), la sortie de crise ne peut en aucun cas s’appuyer uniquement sur un retour de la confiance tant que des politiques budgétaires très restrictives sont menées de façon synchronisée en Europe.

Depuis le troisième trimestre 2011, tous les signaux ont confirmé notre scénario et montré que la zone euro s’enfonçait progressivement dans une nouvelle récession. Le chômage n’a pas cessé d’augmenter battant chaque mois un nouveau record. En décembre 2012, il a atteint 11,7 % de la population active de la zone euro selon Eurostat. Pourtant, ni la Commission européenne, ni les gouvernements européens n’ont infléchi leur stratégie budgétaire, arguant que les efforts budgétaires consentis étaient nécessaires pour restaurer la crédibilité et la confiance, qui à leur tour permettraient la baisse des taux d’intérêt et créeraient des conditions saines pour la croissance future. Ce faisant, la Commission européenne a systématiquement sous-estimé l’impact récessif des mesures de consolidation budgétaire, négligeant ainsi une littérature de plus en plus abondante qui montre que les multiplicateurs augmentent en temps de crise et qu’ils peuvent être nettement supérieurs à l’unité (voir le post d’Eric Heyer sur le sujet). Les partisans de l’austérité budgétaire considèrent par ailleurs que les coûts d’une telle stratégie sont inévitables et temporaires. Ils jugent que l’assainissement des finances publiques est un préalable indispensable au retour de la croissance et négligent le coût social durable d’une telle stratégie.

Cet aveuglement dogmatique rappelle la réplique finale du film La Haine (réalisé par Mathieu Kassovitz) « C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ». Il serait temps de reconnaître que la politique économique menée depuis 2011 est une erreur. Elle ne permet pas de créer les conditions d’une sortie de crise. Pire, elle est directement responsable du retour de la récession et de la catastrophe sociale qui ne cesse de s’amplifier en Europe. Comme nous l’avons montré, d’autres stratégies sont possibles. Elles ne négligent pas l’importance de restaurer à terme la soutenabilité des finances publiques. En reportant et en atténuant l’austérité (voir le billet de Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth), il est possible de retrouver la croissance plus rapidement et de permettre une décrue plus rapide du chômage.

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Quel impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?

par Mathieu Plane

A la suite de la remise au Premier ministre du Rapport Gallois sur le pacte pour la compétitivité de l’industrie française, le gouvernement a décidé  la création du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Partant du constat d’un déficit commercial en hausse  au cours de la dernière décennie, de la forte dégradation des marges des entreprises depuis le début de la crise et d’un chômage grandissant, le gouvernement vise,  par la mise en place du CICE, le redressement de la compétitivité des entreprises françaises et de l’emploi. Selon notre évaluation, réalisée à l’aide du modèle e-mod.fr, détaillée dans un article de la Revue de l’OFCE (n°126-2012), le CICE devrait permettre de créer, cinq ans après sa mise en place, environ 150 000 emplois faisant baisser le taux de chômage de 0,6 point et il générerait un gain de croissance de 0,1 point de PIB en 2018.

Ouvert à toutes les entreprises imposées d’après leur bénéfice réel et soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, le CICE sera égal à 6 % de la masse salariale, hors cotisations patronales, correspondant aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Sa montée en charge sera progressive, avec un taux de 4 % en 2013. Les effets sur la trésorerie des entreprises liés au CICE se feront avec un décalage d’un an par rapport à l’exercice de référence, ce qui veut dire que le CICE donnera lieu à un crédit d’impôt sur les bénéfices des sociétés à partir de 2014. En revanche, certaines entreprises pourraient bénéficier dès 2013 d’une avance sur le CICE attendu pour 2014. Le CICE devrait représenter 10 milliards d’euros sur la base de l’exercice 2013, 15 milliards en 2014 et 20 milliards d’euros à partir de 2015. Le financement du CICE reposera pour moitié sur des économies supplémentaires sur les dépenses publiques (10 milliards), dont le détail n’a pas été précisé, et pour moitié sur des recettes fiscales : une hausse du taux de TVA normal et intermédiaire à compter du 1er janvier 2014 (6,4 milliards) et un renforcement de la fiscalité écologique.

Cette réforme s’apparente en partie à une dévaluation fiscale et présente, sous certains aspects, des similitudes avec les mécanismes de la « quasi-TVA sociale » (voir Heyer, Plane Timbeau (2012) « Impact économique de la quasi-TVA sociale ») qui avait été mise en place par le gouvernement Fillon et qui a été supprimée avec le changement de majorité dans le cadre de la seconde Loi de finances rectificatives en juillet 2012.

Selon nos calculs réalisés à partir des DADS 2010, le CICE abaisserait en moyenne de 2,6 % le coût du travail du secteur marchand : l’impact sectoriel le plus fort de la mesure sur le coût du travail serait dans la construction (-3,0 %), l’industrie (-2,8 %) et les services marchands (-2,4 %). L’impact sectoriel final de la mesure dépend à la fois de la baisse du coût du travail et du poids des salaires dans la valeur ajoutée de chaque secteur. Le CICE représenterait 1,8 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles, 1,9 % de la valeur ajoutée de la construction et 1,3 % de celle des services marchands. Globalement, le CICE  pèse pour 1,4 % dans la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. Selon nos calculs, le montant total du CICE serait de 20 milliards d’euros : 4,4 milliards pour l’industrie, 2,2 milliards pour la construction et 13,4 milliards pour les services marchands. L’industrie récupérerait donc 22 % de l’enveloppe globale, soit plus que son poids dans la valeur ajoutée qui n’est que de 17 %. Si cette mesure a vocation à relancer l’industrie en France, en revanche ce secteur n’est pas le premier bénéficiaire du dispositif en valeur absolue mais reste, avec la construction, celui qui y est relativement le mieux exposé en raison de sa structure salariale. De plus, l’industrie peut bénéficier des effets induits liés à la baisse des prix des consommations intermédiaires conséquente à la diminution des coûts de production dans d’autres secteurs.

Les effets à attendre du CICE sur la croissance et l’emploi sont différents à court et long terme (graphique). Ouvrant des droits en 2014 calculés sur l’exercice de 2013, le CICE aurait des effets positifs dès 2013, d’autant plus que les hausses de prélèvements et la réduction des dépenses publiques ne s’appliqueraient pas avant 2014. L’effet sur la croissance est donc positif en 2013 (+0,2 %) mais les effets sur l’emploi (+23 000 en 2013) sont plus lents en raison des délais d’ajustement de l’emploi à l’activité et de la montée en charge du dispositif.

En revanche, l’impact du CICE est légèrement récessif de 2014 à 2016, la perte de pouvoir d’achat des ménages liée aux hausses d’impôt, et la réduction des dépenses publiques (la consommation des ménages et la demande publique contribuant à -0,2 point de PIB en 2014, puis -0,4 point en 2015 et 2016)  l’emportant sur la baisse des prix et le rétablissement des marges des entreprises. En dehors de la première année, les effets positifs du CICE sur la croissance liés aux transferts de revenus apparaissent lentement, les gains de parts de marché liés à la baisse des prix et à la hausse des marges des entreprises étant dépendants d’une mécanique de moyen-long terme rattachée aux effets d’offre, les effets qui passent par la demande étant plus rapides.

La mise en place du CICE engendre progressivement des gains de parts de marché qui contribuent positivement à l’activité  par le bais de l’amélioration du solde extérieur (0,4 point de PIB en 2015 et 2016), que ce soit par l’augmentation des exportations ou la réduction des importations. A partir de 2017, la contribution du solde extérieur à l’activité est moins positive (0,3 point de PIB) en raison de l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages entraînant une moindre réduction des importations.  Malgré la hausse des marges améliorant la profitabilité du capital, l’investissement productif diminue légèrement en raison de l’effet de substitution entre le travail et le capital et l’effet négatif d’accélérateur lié à la baisse de la demande.

Avec la baisse du coût relatif du travail par rapport à celui du capital, la substitution du travail au capital accroît progressivement l’emploi au détriment de l’investissement, ce qui enrichit le PIB en emploi et réduit les gains de productivité. Par ce mécanisme, l’emploi augmente régulièrement malgré la légère perte d’activité entre 2014 et 2016. Du fait de la hausse de l’emploi et de la baisse du chômage, mais aussi de possibles mesures de compensation salariale dans les entreprises liées à la hausse de la pression fiscale sur les ménages, les salariés regagnent en partie le pouvoir d’achat perdu, par une augmentation des salaires réels. Ce « rattrapage » du pouvoir d’achat permet de générer de la croissance mais limite les effets sur l’emploi et les gains de compétitivité.




La crise au Royaume-Uni : les femmes sont-elles moins touchées que les hommes ?

par Hélène Périvier

Dans la plupart des pays d’Europe, la crise a affecté davantage l’emploi des hommes que celui des femmes. Le Royaume-Uni n’échappe pas cette règle : au sein de la population des 15 ans et plus, entre 2008 et  2011, l’emploi des hommes y a baissé de 1,6 %, contre seulement 0,3 % pour celui des femmes. On pourrait donc conclure que les femmes ont été préservées par rapport aux hommes par la tempête qui secoue le marché du travail au Royaume-Uni, et plus généralement en Europe. Dans l’absolu c’est incontestable mais en relatif rien n’est moins sûr… 

L’impact sexué de la crise sur l’emploi tient pour beaucoup  à la segmentation du marché du travail : les femmes et les hommes n’évoluent pas dans les mêmes secteurs d’activité ; les secteurs dans lesquels les femmes sont sur-représentées ont été moins touchés par la crise du fait de la nature de ces emplois. Au Royaume-Uni, les femmes occupent 78 % des emplois dans le secteur « Santé humaine et action sociale » ou encore 72 % dans le secteur de l’ « éducation ». Ces secteurs reposent pour beaucoup sur l’emploi public ou parapublic et sont moins exposés aux affres de la conjoncture économique : entre 2008 et 2011 l’emploi dans le secteur « santé et social » a augmenté de presque 8 % et plus de 12 % dans celui de l’éducation. Inversement, les femmes ne représentent que 11 % des travailleurs dans le BTP ou encore 14 % dans l’industrie, secteurs qui ont subi le choc sur l’emploi le plus important (respectivement –19,6 % et -17,3 % sur la même période). Ainsi, les femmes semblent avoir été protégées des effets de la crise sur l’emploi du fait de leur sur-représentation dans des secteurs dans lesquels l’emploi est moins réactif à la conjoncture. L’histoire pourrait s’arrêter là, mais les choses ne sont jamais aussi simples qu’elles ne paraissent, car cette explication ne tient que si la part des femmes dans chaque secteur était restée la même durant le choc. Or il n’en est rien.

Une  décomposition statistique de la variation de l’emploi permet de distinguer ce qui dans la variation de l’emploi est dû à la variation de l’emploi total de ce qui est dû la variation de la part des femmes dans chaque secteur. Il ressort du graphique 1 que si la part des femmes dans chaque secteur était restée constante entre 2008 et 2011, alors l’emploi des femmes n’aurait pas baissé de 0,3 % sur la période mais au contraire il aurait augmenté de 2,5 % : la baisse, même faible, de l’emploi des femmes sur la période est due à une modification de leur part dans certains secteurs.

Si on regarde de plus près les secteurs qui pèsent dans le volume d’emploi global, on constate que dans le BTP ou l’industrie, les femmes ont été plus affectées par les réductions d’emploi qu’elles auraient dû l’être étant donné leur sous-représentation dans ces secteurs en 2008. L’effondrement de l’emploi dans le BTP et l’industrie a disproportionnellement touché les femmes. Les secteurs où les femmes sont très présentes ont bénéficié au contraire de fortes créations d’emplois de 2008 à 2011 :  +370 000 emplois dans l’éducation et presque +305 000 dans la santé et l’action sociale. Mais ces créations d’emploi n’ont pas autant bénéficié aux femmes qu’elles auraient dû étant donné leur part dans ce type d’activité en 2008. Le graphique 2 montre que dans l’éducation, le nombre d’emplois occupés par des femmes aurait dû augmenter de 271 000 si leur part dans l’éducation était restée la même, mais le nombre d’emplois supplémentaires entre 2008 et 2011 pourvus par des femmes n’a été que de 231 700.

Finalement dans les secteurs où le choc a été violent, les femmes ont été sur-affectées par les destructions d’emplois et dans les secteurs où l’emploi est resté dynamique elles en ont moins bénéficié que ce qu’elles auraient dû. In fine, dans l’absolu l’emploi des femmes a moins souffert que celui des hommes, mais en relatif elles ont davantage été affectées. La segmentation du marché du travail qui pèse sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes n’a pas été un bouclier efficace pour l’emploi des femmes dans la crise.

 

 

 




France-Allemagne : le grand écart démographique

par Gérard Cornilleau

Les trajectoires démographiques divergentes de l’Allemagne et de la France vont avoir des conséquences majeures et différenciées sur les dépenses sociales, les marchés du travail, les capacités productives et sur la soutenabilité des dettes publiques. Elles expliquent notamment les craintes allemandes face à la montée de leur propre dette. Les divergences démographiques vont nécessiter la mise en œuvre de politiques publiques hétérogènes de part et d’autre du Rhin. Le « one-size-fits-all » n’est pas encore pour demain.

Les trajectoires  démographiques de la France et de l’Allemagne sont le produit des guerres européennes et de l’Histoire. La superposition des pyramides des âges (graphique 1) est à cet égard instructive : en Allemagne les générations les plus nombreuses sont celles qui sont nées au cours de la période nazi, jusqu’en  1946 ; ensuite viennent les générations nées au milieu des années soixante (les enfants des générations nées pendant le nazisme).  En France les générations des années trente sont à l’inverse peu nombreuses. En conséquence le baby-boom qui, comme on peut  facilement le comprendre, démarre avant celui de l’Allemagne (dès 1945 au moment où l’on observe un baby krach en Allemagne qui ne prendra fin qu’au début des années cinquante ; le baby-boom allemand culminant tardivement au cours des années soixante) est d’une ampleur limitée car les générations en âge d’avoir des enfants sont peu nombreuses. En revanche le ralentissement de la natalité est nettement plus faible en France après la crise des années soixante-dix et surtout la fécondité augmente de  nouveau depuis le début des années quatre-vingt-dix. Si bien qu’avec un taux de fécondité qui reste proche de 2 enfants par femme en âge de procréer, les générations sont de taille pratiquement constante de 1947 à aujourd’hui.  En Allemagne la réunification entraîne un effondrement de la fécondité dans l’ex-RDA qui converge vers le taux de l’Ouest  au milieu des années 2000 (graphique 2). Au total, depuis la guerre, la fécondité française est toujours restée supérieure à la fécondité allemande et depuis le début des années 2000 l’écart se creuse. Si bien que le nombre de naissances en France excède aujourd’hui  de beaucoup celui qui est observé en Allemagne : en 2011, 828 000 contre 678 000 soit 22 % de naissances en plus en France.

 

Du point de vue démographique, la France et l’Allemagne sont donc dans des situations radicalement différentes. Alors que la France a pu conserver un taux de fécondité satisfaisant, pratiquement suffisant pour garantir la stabilité à long terme de la population, la dénatalité allemande va entraîner une baisse  rapide et importante de la population et un vieillissement nettement plus prononcé qu’en France (graphiques 3 et 4)

D’après les projections démographiques retenues par la Commission européenne[1], l’Allemagne devrait perdre plus de 15 millions d’habitants d’ici 2060 et la France en gagner un peu moins de 9. Vers 2045 les deux pays devraient avoir des populations identiques (un peu moins de 73 millions d’habitants) et en 2060 la France compterait environ 7 millions d’habitants de plus que l’Allemagne (73 millions contre 66).

Dans les deux pays les migrations contribuent à la croissance de la population mais de manière modérée. Les migrations nettes ont été faibles en Allemagne au cours de la période la plus récente avec un taux de 1,87 ‰ entre 2000 et 2005 et 1,34‰ entre 2005 et 2010 contre respectivement 2,55 ‰ et 1,62‰ en France[2]. La Commission européenne retient pour l’avenir  des taux de migration nets proches pour la France et l’Allemagne, contribuant à l’horizon de 2060 à augmenter la population de l’ordre de 6 % dans chaque pays[3]. L’ONU[4] envisage une hypothèse similaire, la contribution des migrations étant de plus en plus faible dans l’ensemble des pays du fait du ralentissement général des migrations internationales dues à la hausse des revenus dans les pays d’origine. Dans ce contexte, l’Allemagne ne semble pas disposer d’un réservoir important de main-d’œuvre externe alors qu’elle a peu de liens historiques avec les principales zones d’émigration.

L’inversion des poids démographiques semble donc inéluctable et elle s’accompagnera d’une divergence de l’âge moyen de la population, l’Allemagne étant nettement plus âgée que la France (graphique 4). En 2060, la part des plus de 65 ans atteindra presque le tiers de la population en Allemagne contre un peu moins de  27 % en France.

En conséquence, et compte tenu des réformes engagées dans les deux pays, la part des dépenses publiques de retraites dans le PIB augmenterait peu en France et beaucoup en Allemagne. D’après les travaux de la Commission européenne (op. cit.) elle passerait en France, entre 2010 et 2060, de 14,6 à 15,1 %, soit une hausse de +0,5 point, alors qu’elle augmenterait de  2,6 points en Allemagne passant de 10,8 à 13,4 % du PIB. Ceci bien que la réforme allemande du système de retraite prévoie un report à 67 ans de l’âge de la retraite et la réforme française un report à seulement  62 ans.

La démographie a également des conséquences sur les marchés du travail qui vont être soumis à des contraintes différentes. Entre 2000 et 2011, les populations actives française et allemande ont augmenté du même ordre de grandeur –  +7,1 % en Allemagne et + 10,2 % en France –,  mais alors qu’en Allemagne les deux tiers de cette hausse résulte de celle des taux d’activité, en France la démographie en explique 85 %. Dans un avenir proche, l’Allemagne va buter sur la difficulté d’accroître davantage ses taux d’activité. Sa politique familiale comprend aujourd’hui des dispositions, comme le congé parental, qui visent à inciter le travail féminin par une meilleure conciliation entre le travail et la vie de famille, mais les taux d’activité féminins sont déjà élevés et la question est plutôt celle de l’augmentation de la fécondité que de l’offre de travail. La France qui part d’un niveau plus faible de taux d’activité, surtout à cause des seniors qui sortent du marché du travail nettement plus tôt qu’en Allemagne, dispose de plus de réserves de hausse. Depuis quelques années la disparition des préretraites et l’allongement des durées de travail requises pour obtenir une retraite à taux plein ont commencé à produire leurs effets et le taux d’emploi des seniors progresse nettement, même pendant la crise[5]. Dans le même temps l’emploi des seniors progresse également en Allemagne, mais il ne pourra pas augmenter fortement indéfiniment et l’hypothèse d’une convergence à long terme des taux d’emploi entre la France et l’Allemagne est la plus vraisemblable. Au total, selon les projections de la Commission européenne[6], le taux d’activité allemand pourrait augmenter de 1,7 point entre 2010 et 2020 (passant de 76,7 à 78,4 %) alors que le taux français augmenterait de 2,7 points (de 70,4 à 73,1 %). A l’horizon de 2060 le taux d’activité français augmenterait deux fois plus que le taux allemand (+4,2 points contre +2,2). Mais le taux français serait encore inférieur au taux allemand (74,7 contre 78,9) si bien que la France disposerait encore d’une réserve de hausse.

La conséquence de cette divergence démographique  entre les deux pays est lourde  en termes de croissance potentielle à moyen long terme. Toujours selon les projections de la Commission européenne (qui repose sur l’hypothèse de la convergence de la productivité du travail en Europe autour d’un rythme de croissance annuelle de 1,5 %), la croissance potentielle française sera à long terme le double de la croissance potentielle allemande : +1,7 % par an d’ici 2060 contre +0,8. La différence resterait relativement faible jusqu’en 2015 (1,4 en France et 1,1 en Allemagne) mais elle se creusera ensuite rapidement : 1,9 en France en 2020, contre 1 en Allemagne.

Il en résultera que, comme pour la population, la hiérarchie des PIB français et allemand devrait s’inverser aux alentours de 2040 (graphique 5).

Les contextes démographiques de la France et de l’Allemagne expliquent donc logiquement que les perspectives des dépenses sociales liées à l’âge soient plus préoccupantes en Allemagne qu’en France. Ceci devrait conduire à nuancer les analyses relatives aux dettes publiques : à niveau identique du ratio dette/Pib en 2012, la dette française est plus soutenable à long terme que la dette allemande.


[1] Cf. “The 2012 ageing report”, European Economy 2/1012.

[2] Cf. United Nations, Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2011). World Population Prospects: The 2010 Revision, CD-ROM Edition.

[3] Le solde migratoire net serait un peu plus élevé en Allemagne qu’en France atteignant 130 000 par an aux alentours de 2025-2030, alors qu’il resterait inférieur à 100 000 en France. Mais au total la différence serait très faible : en 2060 le cumul des migrations nettes entre 2010 et 2060 augmenterait la population de 6,2 % en Allemagne et 6 % en France (en pourcentage de la population de 2010)

[4] Op. cit.

[5] Voir le bilan de l’évolution de la population active en 2011 par l’Insee : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

[6] Op. cit.

 




La situation sur le marché du travail en France*

Par Eric Heyer

 

L’économie française fait face à de nombreux déséquilibres dont les deux principaux sont :

– le déficit public qui devrait s’établir fin 2012 à près de 4,5 points de PIB, soit près de 100 milliards d’euros ;

– le déficit d’emplois qui induit un chômage de masse.

Si le premier fait l’objet de toutes les attentions, s’il fut et reste la préoccupation principale pour ne pas dire unique de tous les sommets européens depuis 3 ans et s’inscrit au cœur de la stratégie européenne de sortie de crise, force est malheureusement de reconnaître qu’il n’en est pas de même pour le second. Or, on est en droit de se demander si la priorité dans un pays aussi riche que la France est réellement de réduire les déficits publics coûte que coûte au risque d’aggraver le sort des plus fragiles et de rendre encore plus difficile l’accès au marché du travail.

Car depuis le début de la crise qui a débuté en début d’année 2008, l’économie française a détruit plus de 300 000 emplois et le nombre de chômeurs a augmenté de 755 000 au sens du Bureau International du Travail, touchant plus de 2 millions 700 mille Français soit 9,6 % de la population active.

Et ce chiffre sous-estime sans aucun doute la réalité : actuellement l’économie française ne crée que des mini jobs à temps partiel et de durée très faible : au cours du dernier trimestre, 4,5 millions de contrats ont été signés : 3 sur 4 sont des contrats de moins de 1 mois (essentiellement de 1 jour à 1 semaine). Ainsi donc, une personne ayant signé ce type de contrat au cours du mois et étant à la recherche d’un emploi à la fin du même mois n’est pas considérée comme chômeur. Leur prise en compte alourdirait le bilan et enfoncerait un peu plus l’économie française dans un chômage de masse.

Par ailleurs, et cela est plus inquiétant, ces chômeurs vieillissent au chômage – le nombre de chômeurs de longue durée continue à exploser – et ce faisant perdent à la fois en termes de compétence mais aussi en termes financier en sortant de l’indemnisation chômage et en tombant dans les minima sociaux ; dans une étude que nous avons effectué à l’OFCE pour l’Observatoire national sur la pauvreté et l’exclusion sociale, nous avons estimé qu’en France, 100 chômeurs supplémentaires au cours de cette crise entraîneraient une augmentation de 45 pauvres en 2012. Ainsi, même une stabilisation du chômage ne serait pas le signe de l’arrêt de la dégradation de la situation des Français, bien au contraire.

Il est donc urgent d’inverser la tendance sur le front de l’emploi et du chômage.

La façon la plus sûre d’y arriver est de remettre l’économie française sur un sentier de croissance dynamique : rappelons qu’une croissance positive mais faible ne suffit pas pour que l’économie française recommence à créer des emplois : compte tenu des gains de productivité, l’activité dans l’hexagone doit progresser de plus de 1% pour  que s’enclenche la spirale des créations d’emplois. Par ailleurs, eu égard à une démographie toujours dynamique et au report de l’âge légal de la retraite, la population active progresse de 150 000 personnes chaque année. Il faut donc créer plus de 150 000 emplois pour que le chômage commence à baisser en France, ce qui correspond à une croissance supérieure à 1,5 %.

Or compte tenu des politiques d’austérité mises en place en France et chez nos partenaires européens, une telle croissance semble inenvisageable en 2012 et en 2013.

Comment alors empêcher le chômage d’exploser à cet horizon ?

La première solution est de changer la stratégie européenne en définissant, entre autres choses, une austérité « plus tempérée ».

La deuxième solution est d’adopter la stratégie allemande au cours de la crise, c’est-à-dire réduire le temps de travail en recourant massivement au travail à temps partiel et aux dispositifs de chômage partiel. Rappelons que 35 % des salariés allemands sont embauchés à temps partiels contre 17 % en France et qu’au cours de la crise 1,6 million d’Allemands sont passés dans un dispositif de chômage partiels contre 235 000 en France, ce qui leur a permis de continuer à réduire le chômage pendant la crise.

La dernière solution vise à recourir au traitement social du chômage. Le secteur privé continuant à détruire des emplois, le secteur public compenserait une partie de ces destructions avec la création d’emplois aidés.

Le gouvernement semble s’engager dans cette dernière voie : 100 000 emplois d’avenir devraient voir le jour en 2013 et 50 000 en 2014.

A court terme, et compte tenu de la conjoncture, cette stratégie semble être la plus efficace et la moins onéreuse. Cependant, à moyen terme, elle ne pourra pas remplacer une politique de croissance.

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* Ce texte est issu d’une série de chroniques réalisées par Eric Heyer sur France Culture dans « Les carnets de l’économie ». Il est possible de réécouter ces chroniques sur France Culture.

 




La ré-industrialisation ou le retour de l’âge du “faire”

par Sarah Guillou et Lionel Nesta

« Faire ou faire faire ? » pourrait bien être la nouvelle question existentielle des anciennes puissances industrielles. De David Cameron à François Hollande, les appels à la ré-industrialisation expriment l’inquiétude causée par les pertes d’emplois industriels, comme chez PSA,  mais également l’angoisse de la disparition de nos savoir-faire dans la fabrication elle-même.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste et s’inquiètent également de leur devenir industriel devant la désolation que manifestent certains territoires, comme par exemple l’Etat du Michigan ( New York Times, August 24 2011, Does America need Manufacturing ? Les experts alimentent le désarroi, tels Patrick Artus et Marie-Paule Virard qui questionnent ce que serait « La France sans ses usines » (Edition Fayard, 2011), ou Dani Rodrick qui vante les mérites de l’industrie manufacturière (The Manufacturing Imperative – Dani Rodrik – Project Syndicate ). S’il fallait caricaturer la pensée dominante en cours en matière de politique industrielle, on pourrait sans forcer le trait la qualifier de retour à l’âge du « faire ».

Nous mettons en débat la désindustrialisation et la ré-industrialisation pour mieux questionner les objectifs du ministère du Redressement Productif.

La désindustrialisation s’illustre d’abord par les pertes d’emplois manufacturiers

La désindustrialisation désigne la diminution des emplois manufacturiers ainsi que la baisse de la part de l’industrie dans le Produit Intérieur Brut. En 1980, la France comptait plus de 5,1 millions d’emplois alors qu’elle en compte 3,1 millions en 2008, avant la crise récente. Entre 1980 et 2008, la France a donc perdu presque 2 millions d’emplois manufacturiers[1], soit une diminution relative de 38%. De même en 1980, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB s’élevait à 19,2% diminuant à 14,7% en 2008, soit une baisse de 23%. Toutefois, la baisse de la part de la valeur ajoutée dans le PIB ne doit pas être confondue avec la baisse de la valeur ajoutée elle-même. Entre 1980 et 2008, la valeur ajoutée manufacturière en volume a augmenté de 36%, ce qui avec la baisse concomitante de l’emploi manufacturier, révèle des gains de productivité du travail tout à fait substantiels.

La désindustrialisation n’est pas plus sévère en France qu’ailleurs

Les discours sur le « déclin » de la France des uns et des autres suggèrent une exposition singulière de la France à la désindustrialisation structurelle. Il n’en est rien. Si on prend la période 1992-2008, la France comme l’Allemagne observe une baisse de 21% de l’emploi manufacturier, le Royaume-Uni et le Japon une diminution de 31 et 28% respectivement. Les Etats-Unis connaissent une baisse de 18% et l’Italie de 6%. Ces pourcentages cachent des volumes d’emplois perdus très importants. Alors que la France détruit ainsi presque 900 000 emplois, l’Allemagne en perd plus de 2 millions, les Etats-Unis 3,3 millions et le Japon 4,3 millions.

Tertiarisation, productivité, et nouvelle division internationale du travail sont les causes principales de la désindustrialisation

La désindustrialisation des années 1980 et 1990 s’explique avant tout par la tertiarisation qui découle du développement des activités au service de l’industrie et qui est elle-même alimentée par deux moteurs : l’externalisation des activités de services des entreprises manufacturières et le changement qualitatif de la production qui incorpore de plus en plus de contenu en services. Ce double mouvement est le propre des économies technologiquement avancées et est amené à se poursuivre. Ensuite, la désindustrialisation est plus fondamentalement la conséquence du progrès technique. Ce dernier entraîne immanquablement des gains de productivité qui eux-mêmes diminuent le contenu en travail de l’unité de production. Le même niveau de production demande moins de travail. Enfin et plus récemment, la globalisation de l’économie a accéléré la mutation industrielle en cours en raison de l’arrivée de nouveaux producteurs comme la Chine (sans une augmentation équivalente de la demande pour le moment) et en raison de l’intensification des opportunités pour les entreprises de division internationale du travail.

La désindustrialisation résulte de l’interaction de ces trois causes ­– tertiarisation-productivité-globalisation – dont il faut rappeler qu’elles participent a priori à une dynamique positive pour la croissance économique. Toutefois les changements induits ne sont pas neutres sur la nature des emplois et les qualifications « employables ». Les emplois de fabrication disparaissent au profit d’emplois de gestion de la fabrication – de la conception à la distribution. En théorie, cela s’accompagne d’une diminution de la pénibilité des tâches productives et d’une libération de ressources en emplois susceptibles de générer des richesses par ailleurs. Mais le redéploiement de ces ressources se heurte à des barrières à la mobilité du travail, principalement en raison de la spécificité des compétences et des qualifications.

Toute politique de croissance ne devrait a priori pas empêcher le mouvement de fond de désindustrialisation qui traduit en fait une mutation du système productif, mais elle ne peut se soustraire à considérer très sérieusement les conséquences sur la nature des emplois. Cette préoccupation devient même critique en temps de crise.

La crise a révélé la fragilité du système productif français

La crise a indéniablement constitué un choc négatif sur l’emploi manufacturier. La dynamique de l’emploi dans l’industrie connaît depuis 2007 deux phases bien distinctes : une accélération des destructions d’emplois jusqu’en 2010 puis une stabilisation de son niveau (voir graphique 2). Cette stabilisation, sur la dernière période, rétablit le rythme de désindustrialisation à son niveau antérieur. Précisément, les statistiques sur l’emploi de l’INSEE montrent qu’entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2012, l’industrie a détruit 301 000 emplois. Sur une période identique, mais de croissance économique plus soutenue, entre le premier trimestre 2003 et le premier trimestre 2007, l’industrie avait détruit 325 000 emplois.

La surprise vient davantage du marché de l’emploi dans les services marchands. Alors que durant la période de croissance 2003-2007, les services créaient plus d’un million d’emploi, largement de quoi absorber les emplois perdus dans l’industrie, ces mêmes services n’en créent pas plus de 180 000 sur la dernière période. Le rôle des services comme pourvoyeur essentiel des emplois est rompu dès le premier trimestre 2008 (graphique 2). Cela explique peut-être pourquoi aujourd’hui plus qu’auparavant, la désindustrialisation est devenue bien plus difficile à tolérer.

On pourrait se satisfaire de l’augmentation de la production industrielle depuis fin 2008 et de la stabilisation de l’emploi manufacturier depuis 2010. Mais le tassement de l’indice de la production industrielle ne présage rien de bon. On peut en effet craindre que les entreprises aient joué sur la dualité du marché du travail en se séparant d’abord de leur main-d’œuvre précaire. De plus, les fermetures d’usines et les annonces récentes de plans sociaux laissent penser qu’une reprise de la désindustrialisation est en cours et que la stabilisation de la période précédente reflète plutôt un report de décisions de licenciements. Ces évolutions révèlent l’attentisme des acteurs dans le contexte électoral récent mais aussi la fragilité du système productif français et sa dépendance à la conjoncture européenne incertaine.

L’évolution récente a ainsi accentué l’inquiétude sur la vitalité de nos industries. Cette inquiétude naît du rôle central de l’industrie manufacturière dans la croissance économique.  Représentant moins d’un emploi sur sept, l’industrie manufacturière concentre cependant 75% des exportations et 80% de l’effort de recherche national privé. Renouveler l’industrie française, c’est donc encourager les activités de R&D, promouvoir à terme les exportations et enfin espérer créer des emplois nouveaux.  D’où la question suivante : faut-il réindustrialiser, et revenir à l’âge du « faire » ?

La ré-industrialisation est-elle un moyen d’équilibrer la balance commerciale ?

Plus de 75% des exportations sont constituées de produits manufacturés. Autrement dit, 12% de notre production est responsable directement de 75% des exportations. Donc, il semblerait qu’à défaut de produire des produits manufacturés, on serait condamné au déficit commercial. Mais attention, il ne faut pas produire forcément un grand volume de produits, il faut : (1) surtout produire une grande valeur de produits, ce qui peut se faire avec beaucoup de R&D et moins d’emplois ; (2) en consommer moins que l’on en produit. Cela signifie qu’un pays peut très bien avoir un excédent commercial avec une forte valeur ajoutée industrielle, une consommation intérieure atone relativement au reste du monde, et une forte désindustrialisation. Autrement dit, il n’existe pas de relation bijective entre déficit commercial et désindustrialisation. Une augmentation des exportations n’assurerait pas nécessairement une création nette d’emplois, si par exemple elle résultait d’innovation de procédés économes en travail, ou si encore elle s’accompagnait en retour d’un accroissement des importations de biens intermédiaires.

Ceci posé, soutenir l’industrie avec succès pourrait-il permettre une relance des exportations ? Oui, à condition que ce soutien renforce l’attractivité des produits domestiques et réponde à la demande mondiale. Mais vouloir un haut niveau d’exportation est une conséquence de l’amélioration préalable des gammes produites. C’est parce que les produits de nos industries seront attractifs qu’ils satisferont la demande mondiale et augmenteront les exportations.

La ré-industrialisation est-elle nécessaire au maintien des investissements en R&D ?

L’industrie manufacturière est le lieu majeur des investissements en Recherche et Développement. Faut-il alors s’inquiéter du recul de l’industrie manufacturière au regard du niveau des investissements dans la R&D ? L’inquiétude ne serait sérieuse que si la valeur ajoutée manufacturière diminuait. Car comme on l’a vu, la désindustrialisation est elle-même en partie causée par les conséquences en termes de productivité des investissements de R&D. En conséquence, il existe une certaine contradiction à vouloir une augmentation des investissements en R&D – et donc une augmentation de la productivité – et à refuser  le processus de désindustrialisation. La seule manière de réconcilier l’investissement en R&D et la création d’emplois dans l’industrie est de créer de nouvelles activités, de favoriser les innovations en produits afin d’augmenter le niveau de la production à productivité du travail constante. Mais cela suppose une modification de la spécialisation productive, comme nous l’expliquons ci-dessous.

La ré-industrialisation est-elle créatrice d’emploi ?

Retrouver les emplois perdus de l’industrie semble être le motif principal d’une politique de ré-industrialisation pour l’économie française, si marquée par le chômage. Deux cas de figures sont à alors envisager : le ré-industrialisation s’opère sur des activités existantes, la structure de la spécialisation productive restant identique (autrement dit, on conserve les mêmes parts dans le PIB des industries/produits) ; le ré-industrialisation est basée sur des activités nouvelles, nécessairement innovantes, la structure de la spécialisation étant alors modifiée.

Le premier cas est selon nous le plus délicat. Il consiste à persévérer dans des activités existantes en soutenant la création d’emplois. Pour ce faire, on peut diminuer l’intensité capitalistique (le rapport capital sur travail) et substituer du travail au capital. Mais il faut reconnaître que remplacer des machines par des ouvriers revient à accepter une forme de régression technologique, rendant nos activités encore moins compétitives. Une autre solution consisterait à accroître la production pour augmenter les facteurs consommés (capital et travail). Cela suppose un surcroît de demande (mais dans ce cas-là, d’où viendrait-elle ?) et/ou une amélioration des conditions de l’offre (baisse du coût du travail, baisse des barrières à l’entrée). Mais attention, toute amélioration des conditions de l’offre n’est pas forcément créatrice d’emploi. Une stratégie d’externalisation à l’étranger, par exemple, peut diminuer et les coûts de production, et l’emploi.

Dans le deuxième cas, il s’agit de conduire une politique industrielle qui modifie la structure de la spécialisation du pays. Cette ré-industrialisation doit s’effectuer autour d’activités nouvelles, créatrice de croissance, plus adaptée à la demande interne et mondiale. Ces activités nouvelles doivent être génératrices d’externalités positives et d’effets de diffusion dans l’ensemble du tissu industriel. Il ne s’agit pas d’envisager une politique industrielle dirigiste qui décide ex ante des activités futures, mais plutôt de définir une politique qui autorise et incite à la création d’activités et de gammes nouvelles. C’est en effet en dégageant une valeur ajoutée (par travailleur) plus importante que les termes de l’échange deviendront plus favorables. Une telle politique, menée avec succès, ne peut cependant pas garantir un solde net d’emplois créés positif. Rien ne dit que les nouvelles activités auront un contenu en emplois supérieur aux activités sur le déclin.

Le retour à l’âge du « faire » n’est pas simplement un jeu de mot

Cette expression suggère que la ré-industrialisation risque d’aller à rebours du changement technique, de la croissance de la productivité, de l’extension du libre-échange et de la division internationale du travail qui sont des moteurs de la croissance économique.

La ré-industrialisation du pays ne peut se décréter ex nihilo. Elle doit procéder d’une politique de formation de la main-d’œuvre, seule garante d’une production à haute valeur ajoutée, d’une exigence de qualité via des normes ambitieuses, de programmes de recherche et de développement de technologies hautement génériques. C’est sur le maintien ou le développement de cette compétitivité que le gouvernement doit travailler et qu’une politique industrielle doit être définie. S’il faut en attendre la création d’emplois, alors ces derniers ne peuvent résulter que d’un regain de compétitivité.

Nous pensons enfin que ré-industrialisation et redressement productif ne sont pas synonymes. Le premier terme définit un résultat, en termes d’emploi, mais ne s’exprime pas sur les conditions de sa mise en œuvre. Le redressement productif implique des politiques créant les conditions de la croissance des entreprises françaises que les nombreux rapports économiques n’ont cessé de réclamer[2]. Il importe donc que la politique industrielle ne se confonde pas avec l’objectif de ré-industrialisation.


[1] Exactement 1 970 000, source OCDE 2012, base de données OCDE-STAN.

[2] Rapport Cahuc-Kramarz, 2004 ; Rapport Attali, 2008 ; Rapport Aghion et al., 2006 et 2010.




La suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires va-t-elle créer des emplois ?

par Eric Heyer

Avant la conférence de presse du 26 juillet 2012 au cours de laquelle l’OFCE présentera une évaluation du projet économique du gouvernement Ayrault, nous dressons un bilan de la défiscalisation des heures supplémentaires et de son exonération de cotisations sociales, puis évaluons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de la suppression de cette mesure.

Le nouveau gouvernement a décidé de revenir sur la mesure de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales qui s’appliquait depuis le 1er octobre 2007 à l’ensemble des salariés des secteurs public et privé en France. A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés sera supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, ne sera maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés. Enfin, les heures supplémentaires effectuées à partir du 1er août 2012 seront soumises à l’impôt sur le revenu.

Dans ce billet, nous tenterons dans un premier temps de dresser un bilan de cette mesure en s’intéressant tout particulièrement à ses conséquences sur l’emploi et les finances publiques (1). Dans un deuxième temps, nous évaluerons l’impact sur l’emploi et les finances publiques de cette réforme pour les années à venir (2).

1.     Quel bilan peut-on tirer de la défiscalisation des heures supplémentaires ?

a) Quel coût ex-ante sur les finances publiques ?

En 2011, selon l’ACOSS, le nombre d’heures supplémentaires exonérées au titre de la loi TEPA s’est élevé à 739 millions. Plus de la moitié de ces heures ont été réalisées dans les entreprises de plus de 20 salariés (57,7 %)[1]. Le montant des exonérations afférentes a été de 3,107 milliards d’euros dont plus de 77 % proviennent des baisses de charges salariales. Concernant les baisses de cotisations patronales, elles représentent 693 millions d’euros en 2011 dont 65,5 % sont en faveur des entreprises de moins de 20 salariés[2] (tableau 1).

Par ailleurs, cette mesure permettait aux salariés d’exonérer d’impôt sur le revenu les rémunérations versées au titre des heures supplémentaires effectuées dans la seule limite d’une majoration de 25 %. D’après le PLF 2012, cela a entraîné un manque à gagner de 1,4 milliard d’euros pour les finances publiques en 2011. Au total, le coût ex-ante pour les finances publiques de cette mesure s’est élevé à environ 4,5 milliards d’euros en 2011.

b) Cette mesure a-t-elle induit  une augmentation du nombre d’heures supplémentaires ?

Un des objectifs de cette mesure était d’inciter à une durée du travail plus longue par le biais d’un recours accru aux heures supplémentaires. Cela fut-il le cas ? Compte tenu de la faiblesse de la longueur des séries et d’une impossibilité de comparaison avec un épisode conjoncturel similaire, il apparaît difficile de répondre catégoriquement à cette question. Il nous semble toutefois possible, à la lecture des données fournies par l’ACOSS, de formuler une hypothèse de travail.

Comme l’illustre le graphique 1, après une montée en charge progressive du dispositif au cours des premiers trimestres d’application, le nombre d’heures supplémentaires a atteint un premier pic en fin d’année 2008 avec près de 188 millions au quatrième trimestre. Au cours du premier trimestre 2009, le nombre d’heures supplémentaires s’est effondré de près de 12 %, s’établissant à 165 millions. Si cette baisse est cohérente avec la forte dégradation d’activité observée en France à cette époque, la remontée du volume d’heures supplémentaires depuis est plus surprenante : alors que l’activité ne repartait pas suffisamment pour permettre une décrue du chômage, rendant compte d’une position cyclique dégradée de l’économie, le volume d’heures supplémentaires a franchi un nouveau pic en 2011, atteignant plus de 190 millions au quatrième trimestre. Ce rebond contra-cyclique peut être dû à la défiscalisation associée aux heures supplémentaires : sans elle, compte tenu de la situation conjoncturelle toujours dégradée, leur nombre aurait dû rester voisin de celui observé en début d’année 2009.

Sous cette hypothèse, en 2011, cette mesure aurait favorisé une hausse de près de 80 millions d’heures supplémentaires, soit un supplément de 11 %.

c) Quel impact sur l’emploi ?

L’impact  sur l’emploi est ambigu. En effet, deux effets de sens contraire se superposent :

  1. Le premier est positif et relatif à la baisse du coût du travail et à la hausse du pouvoir d’achat des salariés. Face à la baisse du coût des heures supplémentaires, les entreprises seraient incitées à augmenter le temps de travail des salariés en place, en particulier dans les secteurs où le recrutement de la main-d’œuvre connaît des tensions (bâtiment, hôtellerie, santé ou éducation). La rémunération de ces heures supplémentaires permettrait une augmentation du pouvoir d’achat irriguant l’ensemble de l’économie avec un effet positif sur l’emploi ;
  2. Le deuxième est négatif pour l’emploi : en abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs). Cela engendre une augmentation de la productivité par tête des salariés français, ce qui est positif pour la croissance potentielle de l’économie française mais défavorable à l’emploi à court terme. Dans un travail antérieur (Heyer, 2011a), mené sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, nous avons estimé qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 800 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les trois quarts seraient des emplois intérimaires ;

D’après nos simulations, réalisées à l’aide du modèle macroéconomique de l’OFCE, emod.fr, et dont les principaux résultats sur l’emploi sont résumés dans le tableau 2, l’effet négatif l’emporterait sur l’effet positif : la défiscalisation des heures supplémentaires aurait détruit plus de 30 000 emplois en 2011.

Ce résultat conforte l’idée selon laquelle, dans un contexte conjoncturel dégradé, comme cela est le cas dans la période récente, la défiscalisation des heures supplémentaires apparaît clairement inadaptée et contre-productive pour l’emploi (Heyer, 2011b). Face à un choc négatif imprévu, les entreprises commencent généralement par réduire le temps de travail, puis se séparent de leurs emplois précaires et en particulier de leurs intérimaires, avant finalement de procéder à des licenciements économiques.

Par ailleurs, la baisse des charges salariales et patronales ainsi que l’exonération d’impôt sur le revenu,  coûtent 4,5 milliards d’euros ex-ante (0,22 point de PIB) et ne sont pas financés. En tenant compte de plus du coût pour les finances publiques de la dégradation du marché du travail (-30 000 emplois), cette mesure aurait creusé le déficit public de 6,8 milliards d’euros, soit 0,34 point de PIB en 2011.

Le financement de cette mesure alourdirait son bilan sur l’emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois auraient finalement été comprises entre 52 000 et 95 000 postes en 2011 (tableau 3).

2.     Quel impact de cette réforme ?

A compter du 1er septembre 2012, l’exonération de charges pour les salariés est supprimée, quelle que soit la taille de l’entreprise. L’exonération de charges patronales, quant à elle, n’est maintenue que dans les PME de moins de 20 salariés.

a) Cette réforme  va-t-elle induire  une baisse du nombre d’heures supplémentaires ?

En maintenant l’exonération de charges patronales pour les entreprises de moins de 20 salariés, il est possible d’imaginer que cette réforme n’aura pas d’impact sur le volume d’heures supplémentaires effectuées dans ces PME. En revanche, pour les autres entreprises, l’incitation à un plus fort recours disparaissant, on peut supposer que ce volume diminuera en revenant vers un niveau plus compatible avec le cycle conjoncturel.

Nous faisons alors l’hypothèse qu’à compter de 2013, le volume d’heures supplémentaires dans les entreprises de moins de 20 salariés se maintiendrait à plus de 310 millions. Dans les autres entreprises, nous faisons l’hypothèse que le volume annuel d’heures supplémentaires en 2013 reviendrait vers celui enregistré fin 2009-début 2010, à savoir proche de 380 millions (graphique 2).

Au total, selon nos hypothèses, la baisse des heures supplémentaires pourrait être de 1,2 % en 2012 et de 5,9 % en 2013, soit une baisse de 7,1 % par rapport au niveau observé aujourd’hui.

b) Quel impact sur l’emploi et les finances publiques à l’horizon 2014 ?

Sur la période 2011-2014, si la baisse des heures supplémentaires prévue se réalise, cette réforme permettra la création ou la sauvegarde de 17 900 emplois. Ce résultat est la conséquence de deux effets de sens inverse (tableau 4) : le premier est négatif et est lié à la baisse du pouvoir d’achat des salariés bénéficiant des heures supplémentaires (-29 000 emplois) ; le second est positif et résulte de la réduction du recours aux heures supplémentaires dans les entreprises de plus de 20 salariés (46 900 emplois).

Sur la même période, la suppression de la défiscalisation permettra d’économiser 2,6 milliards d’euros d’exonération de charges sociales et permettra d’engranger un surplus de 1,3 milliard d’euros d’impôt sur le revenu. Par ailleurs, les créations d’emplois supplémentaires entraîneront un supplément de recettes fiscales et une économie de dépenses sociales de 1,3 milliard d’euros. Au total, une fois le bouclage macroéconomique réalisé, cette réforme permettra de réduire le déficit des APU de 5,2 milliards, soit 0,26 point de PIB en 2014 (tableau 4).

Références bibliographiques

Heyer É. (2011a), « Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ? Simulation et première évaluation de ce dispositif», Note de l’OFCE, n° 2, septembre.

Heyer É. (2011b), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle: the case of tax reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, vol. 27, n° 2, summer.

Sévin É. et Y. Zhang (2012), « Les heures supplémentaires au premier trimestre 2012 », Acoss Stat, n°150, mai.


[1] Rappelons toutefois que près de 70 % des salariés travaillent dans des entreprises de plus de 20 salariés.

[2] Rappelons que cette mesure introduit une réduction forfaitaire des charges patronales de 1,5 euro  par heure supplémentaire effectuée dans les entreprises de moins de vingt salariés et de 0,5 euro dans les entreprises de plus de vingt salariés. Pour plus de détails sur la mesure, se référer à Heyer (2011b).