Le coût économique et social du mal-logement

par Pierre Madec

Depuis le 5 mars 2007 et l’instauration de la loi DALO, le droit à un logement « décent » est inscrit dans la loi française. Malgré tout, selon la Fondation Abbé Pierre, la France comptait en 2015 près de 4 millions de mal-logés. En intégrant à ces chiffres les ménages fragilisés par leurs conditions de logement, c’est ainsi près d’un Français sur six qui serait confronté, de près ou de loin, à des situations de logement anormales. Cette population, victime des crises économiques successives, accueille en son sein des ménages aux caractéristiques de logement très disparates. Logement trop cher, précarité énergétique, habitat indigne, les situations de mal-logement sont nombreuses, diverses et, souvent, cumulatives.

S’il n’existe pas aujourd’hui de définition arrêtée de ce qu’est le « mal-logement », depuis plusieurs années, de nombreux auteurs de rapports et d’études se sont attelés à le qualifier et le quantifier. Poursuivant cet objectif, un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique (Cnis, 2011) a d’ailleurs tenté de cerner la notion de mal-logement à partir du croisement de différentes dimensions : le type d’habitat, le statut d’occupation, la qualité du logement, la précarité/stabilité dans le logement, l’environnement du logement, ou encore l’adéquation du logement au ménage qui l’occupe. Malgré tout, définir le mal-logement reste complexe. Malgré le travail important effectué depuis des décennies tant par les chercheurs que par les acteurs de secteur, la qualification du mal-logement reste sujette à débat. Des situations les plus extrêmes touchant les publics les plus fragiles (sans-abrisme, exclusion sociale, …) à celles les plus répandues que sont la sur-occupation, des dépenses en logement trop élevées ou encore des difficultés de chauffage, les situations de mal-logement sont multiples et variées. De fait, la qualification et la quantification de l’impact de ces dernières est donc des plus complexes, d’autant plus que les données statistiques à la disposition du monde scientifique ne permettent pas d’analyser aisément l’ensemble des formes prises par le « mal-logement ».

En partenariat avec l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion (ONPES) et le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), l’OFCE a tenté d’éclairer ces aspects à travers un rapport approchant le coût économique et social du mal-logement dont un article de la Revue de l’OFCE tente de condenser au mieux les résultats (Madec, 2016).

Une fois arrêtés les contours du concept de mal-logement et désignées les composantes de ce dernier dont les conséquences économiques et sociales sont susceptibles d’être chiffrées directement, celles pour lesquelles des travaux complémentaires devront être menés ont été identifiées en fonction de la connaissance et des données disponibles. De même, une identification des domaines impactés par le mal-logement a été réalisée, identification faisant suite à la présentation d’une typologie des composantes du mal-logement étudiées (sur-occupation, contrainte budgétaire dépassée, précarité énergétique, habitat dégradé) en distinguant celles dont le coût est directement mesurable, compte tenu des données et des travaux existants, de celles pour lesquelles il conviendrait de construire une information chiffrée ou d’engager des travaux complémentaires.

Une fois recensé l’ensemble des coûts directement imputables aux situations de mal-logement, pour la plupart inscrits au titre du programme 177 des lois de finances mais dont nous proposons d’élargir le dessin, nous tentons de quantifier l’impact des situations de mal-logement sur l’éducation, l’insertion dans l’emploi et la santé.

Les résultats montrent l’importance de l’environnement du foyer sur l’ensemble des champs d’étude retenus. En effet, les liens statistiques mis en évidence à travers notamment l’analyse économétrique employée concluent à un impact significatif des principales conditions de logement tant sur la réussite scolaire des élèves que sur la probabilité de retrouver un emploi ou celle de se déclarer en mauvaise santé. Ainsi, entre 8% et 10% du retard scolaire mesuré serait en partie expliqué par des conditions de logement dégradées (voir tableau).

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Concernant l’insertion dans l’emploi, les résultats obtenus mettent en évidence une corrélation importante entre logement et probabilité de retrouver un emploi. Enfin, la probabilité d’un individu à juger sa santé dégradée semble quant à elle fortement liée à la situation de logement de ce dernier puisqu’entre 16% et 30% de la perception de l’état de santé semble expliquée par le confort du logement.

La quantification, monétaire ou non, de ces impacts négatifs des conditions de logement, bien que fragiles compte tenu des données et de la méthode employée, permet d’apporter un éclairage nouveau sur les conséquences que peuvent avoir les conditions de logement sur les conditions de vie des ménages prises dans leur intégralité, et ce à court mais également à moyen/long terme.

Une fois ce constat établi, la question de la capacité des pouvoirs publics à éviter ces situations de mal-logement reste entière. Ce rapport propose en conclusion une méthodologie originale permettant, sous réserve de la mobilisation des données nécessaires, de mesurer ces coûts à travers un modèle de mobilité résidentielle faisant appel à la fois au parc de logement existant mais également à la construction neuve.

 




Chômage : ça va (un peu) mieux

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’avril 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître, après la baisse exceptionnelle enregistrée au mois de mars (–60000), une nouvelle baisse du nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité (catégorie A) de 19 900 personnes en France métropolitaine[1]. Ces deux mois de baisse consécutifs interviennent après une séquence d’alternance de baisses et de hausses mensuelles depuis le mois d’août 2015. Les statistiques mensuelles des demandeurs d’emplois sont habituellement volatiles, mais il n’en reste pas moins que l’inflexion de la trajectoire est perceptible. En 3 mois cette baisse est de 41 500. Elle se monte à 22 500 sur un an, soit la première baisse observée depuis le mois de septembre 2008, mois de la faillite de la banque Lehman Brothers (cf. graphique).

 

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La baisse importante du nombre de demandeurs d’emploi inscrits depuis plus d’un an (–11 900 sur trois mois), ainsi que celle du nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans (-3 100 sur 3 mois) sont autant de signes positifs de l’amélioration en cours sur le marché du travail. Là encore, de telles baisses n’ont pas été observées depuis 2008 pour ces publics les plus éloignés de l’emploi.

Ces évolutions sont la suite logique de l’accélération de la croissance de l’économie française observée depuis l’année 2015 (+1,2% en moyenne annuelle en 2015) et de la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité et prime à l’embauche). Cette année-là a ainsi vu une accélération des créations d’emplois totales tirée par le secteur marchand (+122 000), avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois aidés dans le secteur non-marchand. De fait, contrairement aux années précédentes, les créations d’emplois ne sont plus soutenues par les contrats aidés dans le secteur non-marchand.

Perspectives : la baisse devrait s’amplifier

Cette dynamique positive devrait se poursuivre en 2016 et 2017, années pour lesquelles nous prévoyons une croissance de 1,6% de l’activité. Ce retour de la croissance permettrait une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand (177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 en glissement annuel). De plus, la montée en charge du plan de formations[2] dans les prochains mois devrait renforcer la baisse du chômage observée depuis la fin de l’année 2015 [3]. Ainsi, le taux de chômage au sens du BIT devrait baisser de 0,5 point en deux ans, pour atteindre 9,5% de la population active fin 2017 et la baisse des inscrits en catégorie A devrait se poursuivre.

Ce rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons qu’en 2008, le taux de chômage au sens du BIT s’élevait en France métropolitaine à 7,1%. Au rythme actuel, Il faudrait encore une dizaine d’années pour retrouver le niveau de chômage d’avant-crise.

 

[1] Cette baisse est toutefois marquée par une hausse anormale des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation (+50 700 par rapport à la moyenne observée sur les trois premiers mois de l’année), qui semblerait concerner principalement les demandeurs d’emploi inscrits en catégories B et C. Cela n’invaliderait donc pas la baisse observée des inscrits en catégorie A.

[2] Le gouvernement a annoncé 500 000 formations supplémentaires pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi

[3] La hausse du nombre de demandeurs d’emploi en formation devrait se traduire par un transfert essentiellement des demandeurs d’emploi de la catégorie A (demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi, sans emploi) vers la catégorie D (demandeurs d’emploi non tenus de rechercher un emploi (en raison d’une formation, d’une maladie…) y compris les demandeurs d’emploi en contrat de sécurisation professionnelle (CSP), sans emploi).




Très cher Pinel …

par Pierre Madec

Le vendredi 8 avril dernier, le Président de la République a annoncé la prolongation du dispositif d’incitation à l’investissement locatif dit « Pinel ». « Puisque ça marche, il n’y a pas de raison de changer » a ainsi déclaré François Hollande. Accueillie très favorablement par les professionnels du secteur, en particulier les promoteurs immobiliers qui réalisent une grande part de leur activité sur l’investissement locatif privé (près de la moitié en 2015), cette annonce a le mérite d’apporter une certaine continuité à un secteur en proie à une grande instabilité. Du dispositif Méhaignerie instauré au milieu des années 1980 au dispositif Pinel mis en place à l’été 2014, plus d’une dizaine d’instruments différents ont été utilisés au cours des 30 dernières années pour doper le secteur de l’investissement locatif[1]. Il est clair que cette forte volatilité des dispositifs ne permet pas de les évaluer correctement dans un temps long. Malgré tout, certaines critiques semblent se dégager ces dernières années concernant l’utilité même de ce type de dispositifs de défiscalisation dont l’objectif initial était de développer, dans les zones les plus tendues, une offre de logement « intermédiaire » en direction des classes moyennes. Qu’en est-il ? Le Pinel est-il, comme l’a indiqué le Président de la république, un dispositif « qui marche » ? A-t-il permis, en remplaçant le décrié dispositif « Duflot », d’enclencher le redémarrage du marché de la construction en France ? Permet-il de remplir l’objectif affecté de développement d’un parc locatif intermédiaire ? Si oui à quel coût ?

Le « Pinel » qu’est-ce que c’est ?

Le dispositif Pinel est donc un dispositif d’incitation à l’investissement locatif. En contrepartie d’une défiscalisation plus ou moins importante, un investisseur s’engage à mettre son bien immobilier neuf en location, pour un durée allant de 6 à 12 ans, tout en respectant des plafonds de loyers et de revenus des locataires fixés par décret. Le logement doit se situer dans une zone dite « tendue » définie elle aussi par décret et respecter un certain nombre de critères de performance énergétique.

En 2016, les plafonds de loyers et de ressources sont les suivants :

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Selon l’engagement initial de location (6 ans ou 9 ans), le taux de la réduction d’impôt varie de 12% à 18% du montant de l’opération dans la limite d’un investissement de 300 000 euros et 5 500 euros par mètre carré habitable. Cet engagement initial peut être prolongé de 3 ans, une ou deux fois, dans la limite d’un engagement total de 12 ans. Chaque prolongation donnant droit à une réduction d’impôt supplémentaire de 3% du montant de l’investissement.

Enfin, contrairement à son prédécesseur, est offerte à l’investisseur Pinel la possibilité de louer à l’un de ses ascendants ou de ses descendants.

Le « Pinel » : pour quoi faire ?

Au travers la mise en place du dispositif Pinel en août 2014, le gouvernement souhaitait apporter des réponses à la fois au secteur de la construction, confronté à une crise importante, et à la crise du logement cher qui traverse la France depuis maintenant plus de trois décennies. En l’absence de données précises sur les investissements Pinel réalisés depuis la mise en place du dispositif, il paraît complexe de conclure positivement ou négativement sur l’impact de ce dispositif tant pour les investisseurs que pour les locataires. Certes, les ventes de logements par les promoteurs se sont bien rétablies en 2015 (100 200 unités soit +7% par rapport à l’année précédente), néanmoins elles restent très inférieures aux niveaux observés en 2013 (103 770) mais surtout entre 2010 et 2012 (117 400 en moyenne annuelle), temps des dispositifs Scellier (jusqu’en 2012) puis Duflot. Si le redémarrage du marché de la construction semble indéniable (hausse des mises en chantier et des permis de construire depuis la mi-2015), conclure à un impact des dispositifs d’investissement locatif semble très prématuré d’autant plus que ces derniers ne représentent qu’une faible part de l’ensemble de la production neuve. Si l’on parle ainsi de 50 000 « Pinel » produits en 2015, rappelons que cette année a vu se construire près de 400 000 logements.

Concernant l’impact de ce type de dispositif sur l’émergence d’un parc accessible aux classes moyennes éprouvant des difficultés à se loger dans le parc locatif privé « traditionnel » et trop « aisées » pour accéder au parc social, là aussi les conclusions ne peuvent être tirées définitivement compte-tenu du manque de données sur l’occupation des biens ainsi produits. Malgré tout, les plafonds de revenu et de loyer définis par la loi laissent à penser que l’objectif initial semble lointain. Concernant les plafonds de loyer, ils sont en réalité très proches des loyers pratiqués sur les marchés. Selon l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne, le loyer moyen acquitté par les locataires du parc privé de la petite couronne parisienne, en partie incluse dans la Zone A bis visée par le dispositif Pinel, était en 2015 de 16,5 euros le m². A titre de comparaison, le plafond défini pour pouvoir bénéficier du dispositif Pinel était, pour une zone relativement comparable, de 16,83 euros par m². Si les zones considérées ne sont pas parfaitement comparables, ces données permettent de relativiser le caractère « intermédiaire » des loyers proposés. Il paraît clair que l’objectif de proposer des loyers inférieurs de 20% aux loyers de marché ne semble pas rempli. Pour ce qui est des plafonds de revenu, ils ne semblent pas cibler prioritairement les ménages aux revenus proches de la  « moyenne ». A titre d’exemple, en 2012, les personnes seules déclaraient un revenu médian de 17 800 euros annuel. Le dernier décile de revenu déclaré était de 35 800 euros (ERFS, 2012). Clairement, les plafonds de revenu définis au sein du dispositif Pinel ne semblent pas le flécher vers les ménages aux revenus insuffisants pour se loger correctement dans le parc locatif privé traditionnel.

De même, le zonage afférent à la mesure, largement critiqué et déjà remanié lors de la mise en place du Duflot, reste encore largement perfectible. Bien que les caricatures observées lors de la mise en œuvre du Scellier aient en grande partie disparues, il demeure que certaines zones concernées ne correspondent pas tout à fait à la définition de zones « en tension », c’est-à-dire de zones où l’offre de logement est largement insuffisante.

Enfin, si la possibilité offerte de louer à ses ascendants ou descendants est pour le moins curieuse, la réduction de la durée minimale de mise en location, réclamée par les professionnels afin d’intégrer de la « flexibilité » dans l’investissement est quant à elle très critiquable. Rappelons que ce type de dispositif avait pour objectif initial de développer en France un parc de logements dits « intermédiaires ». Alors que la fixation de plafonds de loyers et de ressources élevées ne permet pas de cibler correctement les locataires pouvant correspondre aux critères initialement souhaités, les durées d’engagement posent question. Peut-on subventionner des logements dont la durée de mise en location est si courte alors même que la nécessité de développer durablement un parc de logements abordables semble faire consensus ?

Le « Pinel », combien ça coûte ?

Le coût des dispositifs d’incitation à l’investissement locatif est l’une des principales critiques qui leur est adressé. Ainsi, malgré l’existence de plafonds d’investissement, excluant d’ailleurs de fait certaines zones très tendues telle que celle de Paris, le coût budgétaire par logement peut s’avérer très élevé. Par exemple, une personne seule au revenu déclaré de 77 000 euros par an et investissant dans un Pinel à hauteur du plafond (300 000 euros) pour une durée de 12 ans, serait amenée à déduire de ses impôts plus de 53 000 euros. A titre de comparaison, l’ensemble des aides publiques affectées à la production d’un logement social du type PLAI – dont les plafonds de loyers sont de 5,94 euros par m² pour la zone équivalente à la zone A bis du dispositif Pinel – s’élève à 59 000 euros alors même que la production de logements sociaux s’inscrit par définition dans un temps bien plus long.

Conscient du caractère « extrême » de ce cas de figure et afin d’évaluer le coût budgétaire potentiel du Pinel, nous nous sommes basés sur la méthodologie proposée par le Ministère du Logement en 2008. Nous considérons dans un premier temps la dépense fiscale moyenne par logement puis multiplions cette dépense par le nombre de « Pinel » produit pour l’année 2015. Cela nous fournit une estimation du coût budgétaire d’une génération de « Pinel ».

La dépense fiscale par logement est calculée à partir des paramètres micro-économiques moyens : le logement considéré est un logement standard, invariant sur la période, d’une surface habitable de 65 m² ; son prix est déterminé à partir du prix moyen au mètre carré de vente des appartements neufs par les promoteurs, tel que donné par l’enquête « Commercialisation des logements neufs » (ECLN) pour le quatrième trimestre 2015 (3 892€/m²) ; et enfin l’investisseur considéré est une personne mariée avec un enfant disposant d’un revenu de 60 000 € environ.

Les simulations n’intègrent ni les revenus émanant de l’investissement (les loyers perçus) ni le cumul possible avec d’autres niches fiscales. La durée de mise en location est la durée intermédiaire de 9 ans. In fine, pour cet investissement, le coût budgétaire est pour l’Etat de 20 077 euros. Sous l’hypothèse de 50 000 Pinel produit en 2015, le coût budgétaire d’une génération de Pinel dépasse donc le milliard d’euros.

Si cette estimation ne donne qu’un ordre de grandeur des coûts induits, elle livre tout de même un certains nombres d’enseignements. Un milliard d’euros d’aides de l’Etat adressé à la construction de logement type PLAI, en plus d’engendrer tout autant d’emplois que la construction de Pinel[2],  permettrait la création de près de 30 000 PLAI supplémentaires chaque année …

[1] Méhaignerie, Quilès-Méhaignerie, Périssol, Besson, Robien, Daubresse, Robien recentré, Borloo Populaire, Scellier, Scellier intermédiaire, Duflot et Pinel.

[2] François Hollande soulignait justement dans la même intervention que la production d’un logement générait la création de 2 emplois.




Vers un lent rétablissement du pouvoir d’achat en France

par Pierre Madec et Mathieu Plane

Le portrait social de la France livré par l’INSEE il y a quelques jours indique que le niveau de vie moyen, par unité de consommation, a baissé de près de 400 euros entre 2012 et 2013 soit la baisse la plus importante mesurée depuis 2008. La reprise annoncée de l’économie française dans les prochains trimestres sera-t-elle à même de redresser le niveau de vie et le pouvoir d’achat des ménages ?

Nous étudions ici l’évolution du pouvoir d’achat par ménage[1] au sens de la comptabilité nationale depuis 1999, avec un focus particulier sur la période  de la crise (2008-2016)[2]. A partir du compte des ménages, nous analysons les composantes du revenu des ménages de façon à identifier à la fois l’impact direct des politiques budgétaires sur le pouvoir d’achat (prestations sociales et prélèvements obligatoires) mais aussi la dynamique des revenus du  travail et du capital. Pour les années 2015 et 2016, nous avons repris la prévision contenue dans le Rapport Economique Social et Financier du Projet loi de finances pour 2016.

Si la période d’avant crise (1999-2007) a clairement été une période faste pour le pouvoir d’achat des ménages (+540 euros par ménage en moyenne annuelle), tirée par le dynamisme des revenus du travail et du capital, ce dernier a été fortement amputé depuis le début de la crise. Sur la période 2008-2014, le pouvoir d’achat par ménage s’est ainsi réduit de plus de 1200 euros. Si le pouvoir d’achat par ménage s’est relativement bien maintenu lors de la première partie de la crise, c’est-à-dire de 2008 à 2010, sous l’effet notamment du plan de relance et des prestations sociales qui ont joué leur rôle contra-cyclique en amortissant le revenu (+ 1020 euros par ménage sur la période), la consolidation budgétaire entamée en 2011 a considérablement impacté le pouvoir d’achat. La forte augmentation des prélèvements obligatoires sur les ménages de 2011 à 2014  a réduit le pouvoir d’achat par ménage de 1120 euros en quatre ans. Cela tend à montrer que les politiques fiscales sont pro-cycliques depuis 1999 : la hausse des impôts sur le revenu et le patrimoine a été maximale lorsque les ressources des ménages se sont le plus contractées (-50 euros en moyenne par an sur la période 2011-14). A l’inverse,  les charges liées à ces deux types d’impôt ont très faiblement augmenté  au cours de la période précédant la crise (+48 euros par ménage par an en moyenne sur la période 1999-2007) alors que les ressources des ménages ont connu une très forte croissance sur cette période (+690 euros en moyenne par an par ménage). La baisse du nombre d’emplois par ménage et la quasi-stagnation des rémunérations réelles ont quant à elles contribué à réduire les revenus réels du travail par ménage de 350 euros par an sur la période 2001-14. Et la baisse des revenus réels du capital a conduit à diminuer le pouvoir d’achat de 320 euros par ménage. Seules les prestations sociales ont contribué positivement au pouvoir d’achat (650 euros par ménage sur quatre ans). Au final, le pouvoir d’achat par ménage s’est contracté de 1330 euros sur la période 2011-14, et ce malgré une année 2014 marqué par le début du redressement du pouvoir d’achat (+200 euros par ménage) tirée par la hausse des revenus du travail en raison de salaires réels dynamiques, dans un contexte d‘inflation nulle, et d’une légère amélioration de l’emploi total (+ 81 000).

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Selon les prévisions contenues dans le PLF 2016 présenté par le gouvernement, le pouvoir d’achat par ménage croitrait en 2015 et 2016 de 335 euros en moyenne par an, soit une légère accélération par rapport à 2014. La contribution annuelle des revenus du travail au pouvoir d’achat (240 euros) serait proche de celle observée en 2014  grâce à une masse salariale relativement dynamique. En revanche, les revenus réels du capital connaitraient une forte augmentation, contribuant à accroitre le pouvoir d’achat par ménage de 160 euros par an, soit un rythme légèrement supérieur à la moyenne d’avant crise (140 euros par an sur la période 1999-2007). Toutefois, malgré la baisse votée de l’IR, la pression fiscale continuerait à peser sur le pouvoir d’achat (-115 euros en moyenne par an et par ménage)  en raison de l’augmentation des autres types de prélèvements. Enfin, sous l’impulsion des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17, dont 11 proviennent d’économies sur les prestations sociales, ces dernières ne contribueraient à augmenter le pouvoir d’achat par ménage que de 60 euros par an, soit près de trois fois moins que la hausse annuelle de la période précédant la crise (1999-2007), période qui a pourtant été marquée par une baisse  du chômage.

La politique budgétaire, bien que moins restrictive que par le passé, continuera donc à peser sur la dynamique du revenu des ménages. Ces derniers ne récupéreraient en 2016 qu’environ 50 % de la perte de revenu encaissée sur la période 2011-13. Au final, malgré un redressement du revenu sur la période 2015-16, le pouvoir d’achat par ménage resterait en 2016  proche de celui observé dix ans auparavant.

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[1] Le pouvoir d’achat par ménage correspond au revenu disponible brut,  en euros constants, divisés par le nombre de ménages.

[2] De façon à équilibrer l’analyse, nous avons séparé 2 périodes avec des durées équivalentes, celle de l’avant crise qui s’étale sur les 9 ans précédant la crise (1999-2007) et celle après la crise qui dure également 9 ans (2008-16)




The labour market: is the unemployment rate a good indicator?

By Bruno Ducoudré and Pierre Madec

Considering the euro zone on the one hand and the United States and the United Kingdom on the other, changes in unemployment rates are a reflection of the divergences in growth highlighted in our last fiscal year forecast. While between 2008 and late 2010, trends in unemployment reflected the sharp deterioration in growth and did not differ much between the euro zone, the UK and the USA, differences began to emerge from 2011. In the United Kingdom and the United States, unemployment has been falling since 2011, whereas, after a brief respite, a second phase of rising rates took place in most euro zone countries (Table 1). It was only more recently that the unemployment rate has really begun to fall in Europe (late 2013 in Spain and early 2015 in France and Italy). Overall, for the period 2011-2015 the rate rose overall (+2.7 points) in Spain. In Italy, this deterioration in the labour market even worsened (+4.5 points in this period, against +2.2 points from early 2007 to late 2010). France, though to a lesser extent, was not spared.

An analysis of the unemployment rate does not however convey the full dynamics at work in the labour market (Tables 2 and 3), in particular in terms of underemployment. Thus during the crisis most European countries reduced the effective working time [1] to a greater or lesser degree, through policies on partial unemployment, the reduction of overtime, or the use of working-time accounts, but also through the expansion of part-time work (especially in Italy and Spain), including on an involuntary basis. Conversely, the favourable trend in the US labour market is partly due to a significant decline in the participation rate, which stood in the first quarter of 2015 at 62.8%, 3.3 points lower than eight years ago.

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In order to measure the impact of these adjustments (working time and participation rate) on unemployment, it is possible, subject to a number of assumptions [2], to calculate the unemployment rate at constant employment and control for these adjustments. Except for the United States, where the participation rate has fallen sharply since 2007, all the countries studied experienced an increase in their labour force (employed + unemployed) that was greater than in the general population; in many countries this was due to pension reforms. Mechanically, in the absence of job creation, the impact of this demographic trend is to push up the unemployment rate in the countries concerned. For instance, if the participation rate had remained at its 2007 level, the unemployment rate would be lower by 1.6 points in France and 1.1 points in Italy (Table 4). Conversely, without the significant contraction in the US labour force, the unemployment rate would have been more than 3 points higher than what was seen in 2015. Also note that since the crisis Germany has experienced a significant drop in unemployment (-4.2 points) even though its participation rate grew by 2.2 points. Assuming an unchanged participation rate, Germany’s unemployment rate would be 3.1% (Figure 1).

In terms of working time, the lessons seem quite different. It thus appears that if working time had been maintained in all the countries at its pre-crisis level, the unemployment rate would have been more than 3 points higher in Germany and Italy and about 1 point higher in France and Spain, countries in which working time decreased sharply only from 2011. In the US and UK, the situation is very different: working time has changed only very little since the crisis. By controlling for working time, the unemployment rate thus changes along the lines observed in the two countries.

The tendency for working time to fall is a familiar story. Since the late 1990s, all the countries studied have greatly reduced their working hours. In Germany, between 1998 and 2008, the reduction was on average 0.6% per quarter. In France, the transition to the 35-hour week caused a similar reduction over the period. In Italy, the United Kingdom and the United States, the downward shifts in average working hours were respectively -0.3%, -0.4% and -0.3% per quarter. In total, between 1998 and 2008, working time fell by 6% in Germany and France, 4% in Italy, 3% in the United Kingdom and the United States and 2% in Spain, which was de facto the only country that during the crisis intensified the decline in working time that started in the late 1990s.

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[1] Working time is understood here as the total number of hours worked by employees and the self-employed (i.e. total employment).

[2] It is assumed that, at constant use, a one-point increase in the participation rate leads to an increase in the unemployment rate. Employment and working time are not considered here in full-time equivalents. Finally, neither the “halo of unemployment” nor any possible “bending effects” are taken into account.

 




Marché du travail : le taux de chômage est-il un bon indicateur ?

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

Entre la zone euro d’une part et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, les évolutions des taux de chômage sont à l’image des divergences de croissance mises en évidence au sein de notre dernier exercice de prévision. Alors qu’entre 2008 et la fin 2010, les dynamiques des taux de chômage étaient proches en zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis et reflétaient la forte dégradation de la croissance, des différences apparaissent à partir de 2011. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le chômage diminue depuis 2011 tandis qu’il amorce une seconde phase de hausse dans la plupart des pays de la zone euro (tableau 1), après un très bref repli. Ce n’est que plus récemment que la décrue s’est réellement engagée en Europe (fin 2013 en Espagne et début 2015 en France et en Italie). Au final, sur la période 2011-2015, le taux de chômage a continué de croître (+2,7 points) en Espagne. En Italie, cette dégradation du marché du travail s’est même accentuée (+4,5 points, contre 2,2 points entre début 2007 et fin 2010). Dans une moindre mesure, la France n’est pas épargnée.

Malgré tout, l’analyse des taux de chômage ne dit pas tout des dynamiques à l’œuvre sur les marchés de l’emploi (tableaux 2 et 3), et notamment sur le sous-emploi. Ainsi la plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail[1], via des politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du marché du travail américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité. Ce dernier s’établissait au premier trimestre 2015 à 62,8 %, soit 3,3 points de moins que 8 ans auparavant.

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Afin de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, il est possible, sous un certain nombre d’hypothèses[2], de calculer le taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux Etats-Unis, où le taux d’activité s’est fortement réduit depuis 2007, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait des réformes des retraites dans plusieurs pays. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés. Ainsi, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,6 point en France et de 1,1 point en Italie (tableau 4). A contrario, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2015. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-4,2 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de 3,1% (graphique 1).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points en Allemagne et en Italie et d’environ 1 point en France et en Espagne, pays dans lequel la durée du travail ne s’est réduite fortement qu’à partir de 2011. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le constat est tout autre : le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays.

Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

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[1] La durée du travail est ici entendue comme le nombre d’heures travaillées totales par les salariés et les non-salariés (i.e. l’emploi total).

[2] Il est supposé qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage. L’emploi et la durée du travail ne sont ici pas considérés en équivalent temps plein. Enfin, ne sont pas pris en compte ni les possibles « effets de flexion » ni le « halo du chômage »




L’investissement en logements des ménages sur la voie du redressement

par Pierre Madec

La publication récente des derniers résultats trimestriels du secteur de la construction laisse à penser que la reprise enclenchée dans le secteur industriel et sur le marché de l’emploi est à même de se transmettre, dans les mois à venir, au secteur de la construction. Au troisième trimestre 2015, le nombre de permis de construire a augmenté de 4,3 % pour s’établir à 98 700, après une hausse de 3,8 % lors du trimestre précédent. Les mises en chantier se sont également redressées de 0,5 % après une baisse de 0,4 % au deuxième trimestre. L’amélioration des perspectives, tant en termes de demande de logements neufs que de mises en chantier (graphique 1), observée le mois dernier semble donc se traduire dans les faits et l’investissement logement, fortement dégradé depuis plusieurs semestres, devrait de nouveau croître dès la fin de l’année 2015.

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Rappelons que l’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française.

Dans  notre exercice de prévision d’automne, nous avons modélisé l’investissement logements des ménages à court terme en nous appuyant sur un modèle à correction d’erreurs (MCE) faisant dépendre le taux d’investissement en logements (l’investissement rapporté au revenu disponible brut des ménages) de variables retardées que sont les mises en chantier (-1 trimestre), les permis de construire (-4), l’opinion des promoteurs immobiliers à la fois sur la demande de logements neufs (-3) et sur les mises en chantiers futures (-1). La simulation dynamique de cette équation retrace de manière satisfaisante l’investissement des ménages sur la période d’estimation qui commence en 1995. Le jeu des variables retardées laisse à penser que l’investissement en logements serait à même de se redresser significativement à partir du second semestre de l’année 2015.

Sous l’hypothèse, retenue dans notre prévision, d’une stabilité des dernières valeurs connues  des variables exogènes introduites dans la modélisation (permis, mises en chantier, enquêtes), l’investissement en logement des ménages, après une baisse de 2 % en 2015, progresserait de 5 % en 2016 et 2017 (graphique 2), retrouvant ainsi à la fin de l’année 2017 son niveau du milieu d’année 2013.

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Aides au logement : à la recherche du bout de chandelle

par Pierre Madec

Lors de la présentation du Budget 2016 en Conseil des ministres, a été actée la baisse de 225 millions des aides personnelles au logement. Prise en compte du patrimoine lors de l’allocation des aides, exclusion des loyers jugés « abusifs » ou encore meilleure intégration du revenu réel des jeunes actifs dans le calcul sont autant de mesures annoncées.

Au vu de l’importance des montants distribués, plus de 40 milliards d’euros au titre de l’ensemble de la politique du logement (aides à la pierre et à la personne), dont 20 milliards d’euros pour les seules aides personnelles en 2014, et des résultats observés depuis 10 ans – pénurie de logement dans les zones les plus tendues, secteurs locatifs (privé comme social) en panne de mobilité, taux d’effort des locataires en hausse continue depuis le début des années 2000, 3,5 millions de ménages mal logés – la question de l’efficience de la politique du logement, et particulièrement des allocations logement, semble se poser légitimement.

Des aides de plus en plus coûteuses ?

La première critique adressée à l’endroit des aides à la personne concerne leur coût. Certes les 20 milliards d’euros distribués au titre des aides personnelles au logement en 2014 représentent un montant important, supérieur aux montants versés au titre du RSA (moins de 10 milliards d’euros en 2014) ou des allocations familiales (moins de 15 milliards d’euros en 2014). Pour autant, la part qu’occupent les aides à la personne dans le PIB n’a, elle, que très peu évoluée depuis près de 20 ans (voir graphique).

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En 2014, la France a consacré 1 % de son PIB aux allocations logement, soit une part similaire à celle consacrée depuis 1996. Malgré la crise économique, le nombre de bénéficiaires n’a d’ailleurs que très peu évolué depuis la fin des années 1990 (+190 000 depuis 1996). L’idée selon laquelle la « défaillance » du système actuel des aides à la personne serait relativement récente et impossible à contenir semble donc déraisonnable.

Des aides de moins en moins efficaces ?

Si l’efficacité des aides personnelles au logement s’effrite peu à peu, c’est dû en grande partie à la déconnexion qui existe entre le calcul des aides et la réalité du marché locatif. En 2014, près de 90 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds servant de base au calcul des aides. Cette situation touchait plus d’un locataire du parc social sur deux. En effet, si l’évolution des montants distribués a pu être maintenue à des niveaux soutenables pour les finances publiques, cela a été rendu possible par une sous-indexation massive des aides, comparativement aux loyers de marché. Entre 2000 et 2010, alors que le loyer moyen des bénéficiaires des aides augmentait de 32 %, les loyers plafonds n’étaient eux revalorisés que de 16 %. Cette sous-indexation des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides a également eu pour effet d’exclure un certain nombre de ménages du champ des potentiels bénéficiaires. En effet, l’absence d’actualisation des barèmes a pour effet direct de réduire les seuils de revenus relativement au SMIC par exemple, excluant ainsi de fait les ménages se situant à son voisinage et expliquant pourquoi le nombre de bénéficiaires n’a que peu progressé au cours des dernières années.

Outre l’érosion de leur impact solvabilisateur, de nombreuses études ont également montré l’important effet inflationniste des aides à la personne sur les loyers (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002). Les estimations suggèrent qu’une grande partie (entre 50 et 80% selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers et l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes augmente la demande sur le marché locatif. Compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, cela alimente d’autant l’effet inflationniste.

Cet effet peut évidemment être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse. Pour autant, cette augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale, est, dans les zones les plus tendues, complexe à mettre en œuvre. La mise en place d’un dispositif d’encadrement des loyers tel que celui initialement prévu par la loi ALUR pourrait permettre d’enrayer en partie ces phénomènes de captation.

Les allocations logement demeurent malgré tout, de par leur ciblage sur les ménages les plus modestes, l’une des aides les plus redistributives. Du fait du barème, seuls les ménages des trois premiers déciles de revenu peuvent prétendre aux allocations logement. Après transferts sociaux, elles représentent près de 20 % du revenu disponible des ménages appartenant au premier quintile de revenus (les 20 % les plus pauvres). Même si les montants alloués au titre des allocations logement sont bien supérieurs aux montants distribués au titre du RSA ou des allocations familiales, leur efficacité, bien qu’en diminution, n’est plus à prouver puisque, selon l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), elles permettent à elles seules de diminuer le taux d’effort des allocataires de 36 % à 20 % et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points. Les aides au logement constituent de fait un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté.

Quelles pistes de réforme ?

Parmi les pistes d’économies proposées par le gouvernement figure notamment la possibilité d’intégrer dans le calcul des aides au logement une fraction du patrimoine des ménages. Evidemment, les aides au logement ne doivent pas pouvoir bénéficier à des ménages au patrimoine élevé mais rappelons que le revenu d’exclusion des aides pour un ménage de deux personnes avec deux enfants se situe aux alentours de deux SMIC (contre 2,12 SMIC en 2001). Il paraît peu probable que ces ménages aient un patrimoine excessivement important. L’Inspection générale des finances chiffrait d’ailleurs à 4 % le nombre de bénéficiaires d’aides ayant un patrimoine global (financier et immobilier) supérieur à 75 000 euros.

A contrario, l’instauration de maxima de montant de loyer serait à même de concerner un nombre relativement important d’allocataires. La sous-indexation massive des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides, associée à la hausse continue des loyers dans les zones les plus tendues, a de fait entraîné l’acquittement de loyers « abusifs » par les locataires les plus modestes. Malgré tout, réduire les aides allouées à ces ménages ne peut être une solution. A titre d’exemple, le loyer plafond à Paris pour un ménage ayant 2 enfants est de 445 euros en 2015.

Si les propositions faites venaient à être mise en œuvre, tout ménage s’acquittant d’un loyer supérieur à 890 euros verrait son allocation logement diminuer, augmentant d’autant son reste à charge en matière de dépenses de logement.

Bien qu’une refonte globale du système d’allocations logement soit à terme indispensable (revalorisation des plafonds de loyers, meilleure territorialisation des montants alloués, ciblage plus strict pour un certain nombre d’allocataires tels que les étudiants), elle doit avoir lieu dans le but d’une meilleure redistribution et non dans l’espoir de faire des économies.

 

Pour un état des lieux plus complet, voir « Faut-il réformer les aides personnelles au logement », dans L’économie Française 2016, Repères, La Découverte.




Enquête « Logement 2013 » : quels premiers enseignements ?

Par Pierre Madec et Morgane Richard

Il y a quelques semaines, l’INSEE publiait les premiers résultats de la nouvelle Enquête Nationale Logement (ENL). A la fin de l’année 2013, la France métropolitaine comptait 28 millions de résidences principales, soit 1,7 millions de plus qu’en 2006 (date de la précédente ENL). Ces premiers résultats, encore préliminaires du fait de l’absence des données financières, semblent confirmer les évolutions déjà mises en exergue en 2006 : l’augmentation du nombre de propriétaires, notamment sans remboursement d’emprunt, l’érosion du parc locatif privé et la dégradation de la situation des ménages locataires.

La structure du parc de logements en transformation…

Depuis 2001, la part des propriétaires occupants, accédants[1] ou non, a augmenté de 2 points pour atteindre 58% du parc des résidences principales en 2013 (graphique 1). Cette hausse est expliquée à la fois par une nette diminution de la proportion de ménages locataires (-1,2 points entre 2001 et 2013) mais également par la baisse du nombre de ménages logés à titre gratuit dont la part dans la population totale a baissé de 2 points au cours des 12 dernières années. Plus précisément, au sein des propriétaires occupants, on observe un accroissement important du nombre de propriétaires non-accédants entre 2001 et 2006, accroissement qui ne s’est pas démenti par la suite. En 2013, les propriétaires non-accédants représentaient ainsi 38,4 % des ménages, soit 0,6 points de plus qu’en 2006 et 3,4 points de plus qu’en 2001.

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A l’opposé, l’ensemble des autres statuts d’occupation a vu sa part décroître. Les accédants à la propriété, soit 19,5 % des ménages, ont vu leur part diminuer depuis 2001 (-1,5 pts), mais aussi leur nombre fortement se réduire notamment du côté des primo-accédants. Entre 2001 et 2013, ce sont ainsi 140 000 ménages primo-accédants qui ont quitté le marché de la propriété occupante, alors même que le nombre (et la part) des bénéficiaires de prêts aidés parmi les primo-accédants s’est plutôt bien maintenu aux alentours de 80 000 en 2013 (graphique 2). Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution : les modifications du dispositif d’incitation à la primo-accession dans le neuf du type PTZ (Madec, 2013), une génération de trentenaires (souvent primo-accédants) moins nombreuse en 2013 qu’en 2000 ou encore un prix de l’immobilier élevé à l’acquisition.

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Concernant le secteur de la location, la part des locataires du secteur privé comme celle du secteur social a continué à s’éroder. L’érosion du parc locatif privé est d’un point de pourcentage entre 2001 et 2013, pour s’établir à un niveau légèrement inférieur à 20% en 2013. La part du parc social (HLM ou non) s’élevait, quant à elle, à 16,8% en 2013, soit une baisse de 0,5 point depuis 2001.

Malgré tout, des différences notables existent selon la taille des unités urbaines considérée. Les propriétaires, accédants ou non, sont ainsi largement surreprésentés en zones peu denses où ils représentaient, en 2013, plus de 73 % du parc de résidences principales dans les zones urbaines de moins de 20 000 habitants contre 46% dans l’agglomération parisienne. De même, si l’augmentation des propriétaires accédants semble comparable en zones peu denses et à Paris, les parcs locatifs montrent des évolutions différenciées. L’érosion du parc locatif privé, si elle est observée sur la France entière, est cependant d’une ampleur plus importante dans l’unité urbaine de Paris[2] où le parc locatif privé a diminué de près de 3 points entre 2001 et 2013 (graphique 3). Le parc social, dont la part dans le parc de logements est de 5 points supérieure dans l’agglomération parisienne, n’évolue quant à elle quasiment pas (+0,1 point entre 2001 et 2006 et -0,5 points entre 2006 et 2013).

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Ces modifications dans la structure du parc de logements s’accompagnent d’importantes évolutions dans les profils des ménages qui les occupent ; évolutions qui confirment les divergences socio-économiques observées depuis plusieurs années entre les propriétaires et les locataires.

Des inégalités qui se creusent …

Bien que l’exploitation des données financières sera à même de nous fournir des informations plus complètes, les premiers résultats de l’ENL permettent de mettre en lumière une augmentation des inégalités entre les statuts d’occupation.

Les propriétaires affichaient, en 2013, un taux de chômage inférieur à 5 %, contrastant nettement avec les taux de chômage de 12,5% des locataires du secteur privé et de 17,5 % des locataires du secteur social la même année.

Si ces disparités étaient déjà observées avant 2006, elles se sont fortement creusées depuis lors. Ainsi, depuis 2006, le taux de chômage des propriétaires a stagné alors que celui des locataires du secteur social augmentait de 4 points, soit une hausse 10 fois plus importante que celle observée pour le taux de chômage de l’ensemble de la population active qui, en 2013, s’établissait à 8,8% (en hausse de 0,4 point).

Evidemment, ces divergences sont en partie expliquées par la relative sur-représentation des classes d’âges les plus jeunes et des catégories socio-professionnelles les plus exposées au chômage (ouvriers, employés, …) chez les locataires, notamment sociaux, mais cela n’enlève rien au caractère préoccupant de ce constat.

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Les mêmes différences selon le statut d’occupation se retrouvent aussi en termes de conditions de logement. Les propriétaires non-accédants sont ainsi très peu exposés aux situations de mal logement, entendues ici comme la sur-occupation et la précarité énergétique ; et leur situation, comme celle des accédants, n’a que peu évolué depuis le début des années 2000[3]. A contrario en 2013, parmi les locataires du secteur privé, plus d’un ménage sur cinq était en situation de sur-occupation et plus d’un ménage sur trois était concerné par la précarité énergétique, soit une augmentation de 16 points par rapport à 2001. En 2013, près d’un locataire du secteur social sur six rapportait une situation de sur-occupation, et un ménage locataire du secteur social sur 5 déclarait avoir des difficultés à se chauffer, soit 6 points de plus qu’en 2001. Il y a donc, au sein même du parc locatif, des conditions de logement très différentes.

Ces données soulignent la précarisation massive des locataires des parcs privés et sociaux, déjà mise en exergue dans de nombreux articles de recherche[4]. Par ailleurs, un autre élément fourni par l’ENL nous renseigne sur la dégradation des conditions de logement des ménages. En 2013, 1,4 million de ménages avait effectué au cours de l’année une demande de logement HLM. Cette demande a augmenté de 17 % par rapport à 2006 et de 37 % par rapport à 2001. Rapporté au parc social, le nombre de demandes a cru de 5 points depuis 2001 passant ainsi de 25 à 30 %. Pour la seule unité urbaine de Paris, ce sont plus de 400 000 demandes qui ont été déclarées pour la seule année 2013.

Ces premiers résultats laissent donc entrevoir une dégradation des conditions de logement des ménages les plus modestes. L’érosion relative des parcs locatifs et l’accentuation de la divergence des profils, tant socio-économiques que vis-à-vis des conditions de logement, entre ménages locataires et propriétaires, sont autant de signes laissant penser que les disparités de vont pas s’améliorer à court terme.

 


[1] Un ménage accédant à la propriété est un ménage propriétaire ayant encore des emprunts à rembourser au titre de l’achat de sa résidence principale.

[2] L’unité urbaine de Paris définit l’aire urbaine communément nommée « agglomération parisienne ». Elle regroupe Paris, l’ensemble des communes de la petite couronne et une partie des communes de la grande couronne parisienne.

[3] Moins de 5% des propriétaires étaient exposés au surpeuplement en 2013 et moins de 10% déclaraient avoir des difficultés à se chauffer.

[4] Voir notamment Le Bayon, Madec et Rifflart, Revue de l’OFCE n°128, Ville et Logement, 2013.




France : la reprise, enfin !

par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Les perspectives 2015-2016 pour l’économie française de l’OFCE sont disponibles.

Jamais depuis le début de la crise des subprime l’économie française n’avait connu un contexte aussi favorable à l’enclenchement d’une reprise. La chute des prix du pétrole, la politique volontariste et innovante de la BCE, le ralentissement de la consolidation budgétaire en France et dans la zone euro, la montée en charge du CICE et la mise en place du Pacte de responsabilité (représentant un transfert fiscal vers les entreprises de 23 milliards d’euros en 2015 et près de 33 en 2016) sont autant d’éléments permettant de l’affirmer. Les principaux freins qui ont pesé sur l’activité française ces quatre dernières années (austérité budgétaire sur-calibrée, euro fort, conditions financières tendues, prix du pétrole élevé) devraient être levés en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée. La politique de l’offre impulsée par le gouvernement, dont les résultats se font attendre sur l’activité, gagnerait en efficacité grâce au choc de demande positif provenant de l’extérieur, permettant un rééquilibrage économique qui faisait défaut jusqu’à présent.

L’année 2015 connaîtrait une hausse du PIB de 1,4 % avec une accélération du rythme de croissance au cours de l’année (2 % en glissement annuel). Le second semestre 2015 marquerait le tournant de la reprise avec la hausse du taux d’investissement des entreprises et le début de la décrue du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 % (après 10 % fin 2014). 2016 serait quant à elle l’année de la reprise avec une croissance du PIB de 2,1 %, une hausse de l’investissement productif de 4 % et la création près de 200 000 emplois marchands permettant au taux de chômage d’atteindre 9,5 % à la fin 2016. Dans ce contexte porteur, le déficit public baisserait significativement et s’établirait à 3,1 % du PIB en 2016 (après 3,7 % en 2015).

Evidemment, le déroulement de ce cercle vertueux ne sera rendu possible que si l’environnement macroéconomique reste porteur (pétrole bas, euro compétitif, pas de nouvelles tensions financières dans la zone euro, …) et si le gouvernement se limite aux économies budgétaires annoncées.